Analyse du film - Ciné-club Ulm
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Analyse du film - Ciné-club Ulm
CINÉ-CLUB NORMALE SUP’ mardi 12 février 2002 L assassin habite au 21 - Henri-Georges Clouzot FILM FRANÇAIS, 1942, 84 MIN AVEC LE COMMISSAIRE WENCESLAS WOROBEÏTCHIK, ALIAS M WENS : PIERRE FRESNAY, MILA MALOU : SUZY DELAIR, COLIN : PIERRE LARQUEY, LINZ : NOËL ROQUEVERT, LALAH POOR : JEAN TISSIER, LE COMMISSAIRE MONNET : FLORENCIE, TURELOT : RAYMOND BUSSIÈRES. Le contexte Le cinéma français sous Pétain, étroitement corseté par les directives allemandes de la Continental, se devait d'échapper au réalisme noir: plus de drames crapuleux donc, plus de femme faisant exécuter son mari par son amant, comme dans le film de Pierre Chenal,Le dernier tournant (1939), première en date des multiples versions du Facteur sonne toujours deux fois de James Cain-, mais des intrigues policières bien françaises ou assimilées, tirées d'auteurs réputés sans arrière-plan dangereux. Impossible d'adapter Agatha Christien anglaise, donc ennemie. On se rattrapa avec S.A.Steeman, Georges Simenon et Pierre Véry. Ce dernier, déjà adapté avant la guerre avec un grand succès (Les disparus de Saint-Agil, de Christian-Jaque, 1938), vit plusieurs de ses romans d'énigme passer alors à l'écran, avec des fortunes diverses. On peut surtout retenir L'Assassinat du Père Noël (1941) dans lequel ChristianJaque parvient à retransmettre la poésie particulière de son auteur, et Goupi Mains-rouges (1943) dont Jacques Becker fit un classique. Pour ce qui est de S.A.Steeman et Georges Simenon, c'est justement Clouzot qui, entré à la Continental en 1941 (ce qu'on lui reprochera assez par la suite), s'occupa d'adapter certaines de leurs oeuvres pour le cinéma, d'abord comme scénariste puis comme réalisateur à part entière. En effet, Clouzot, qui a commencé comme assistant-réalisateur, travaille depuis 1930 comme scénariste-adaptateur. Premiers succès de HenriGeorges Clouzot. Les deux scénarios qu'il signe, en 1941 pour Le Dernier des Six de Georges Lacombe d'après Steeman et en 1942 pour Les Inconnus dans la maison de Henri Decoin d'après Simenon, sont remarquables, et les films rencontrent un grand succès. C'est en travaillant sur le second que Clousot se rend compte que la maîtrise des mots ne lui suffit plus: "C'est ce film qui m'a décidé à faire de la mise en scène", dira-t-il plus tard. Et la même année, il passe à la réalisation avec L'Assassin habite au 21(mais il ne cessera de participer au scénario et au dialogue de tous ses films). L'Assassin Habite au 21 est, comme Le Dernier des Six, tiré d'un roman policier énigmatique de l'auteur belge Stanislas-André Steeman: ilretrace une nouvelle aventure du commissaire Wenceslas Vorobeïtchik (dit Wens) interprété dans les deux cas par Pierre Fresnay, toujours accompagné de sa pétulante et extravagante compagne Mila Malou, jouée par Suzy Delair (remarquée et révélée par Clouzot qui lui offrira son meilleur rôle quelques années plus tard en 1947 dans Quai des Orphèvres). Il s'agit d'une sorte de badinage policier, considéré comme sans grand danger mais qui est surtout entrainé par une pléïade d'acteurs extraordinaires jusque dans les petits rôles (notamment Raymond Bussières en cambrioleur au petit pied et en indic à la grande gueule) qui conservent à ces deux oeuvres un agrément indéniable.Projeté en août 1942, L'Assassin Habite au 21connaît un succès retentissant et réalise des recettes records. Le traitement de l'intrigue Si l'on considère l'intrigue du film pour elle-même, on se trouve face à un canevas traditionnel de comédie policière, où le héros (le policier) doit affronter dans des circonstances plus ou moins rocambolesques de multiples complications en tout genre. Dans notre film donc, le commissaire Wens (policier ironique et sentencieux, admirable composition de Pierre Fresnay) à la recherche d'un mystérieux tueur en série qui depuis quelques mois sévit dans les rues, laissant sur chacune de ses victimes une carte de visite signée "M.Durand", décide de se déguiser en pasteur pour s'introduire incognito dans la pension de famille où logerait l'assassin. Mais très vite la situation, déjà assez amusante, s'anime grâce à l'arrivée inopinée dans ce petit monde étrange de la compagne du commissaire qui prétend découvrir avant lui la solution de l'énigme et en profite pour le houspiller à plaisir (la gouaille explosive de Suzy Delair face à un Pierre Fresnay flegmatique est un vrai régal). Or ce couple de comédie est magistralement inséré dans l'atmosphère on ne peut plus trouble de cette maison, où les pensionnaires (Pierre Larquey, Jean Tissier, Noël Roquevert, Maximilienne...) échangent des propos d'une vacherie ahurissante. Ces personnages, traités plus légèrement, auraient pu donner lieu à une galerie de portraits pittoresques et/ou comiques: un vieux médecin colonial en retraite qui ne rêve que de raconter ses aventures, un prestidigitateur fou de son art, etc. Mais précisément Clouzot ne voulait pas en rester là, quoique cet aspect ne disparaisse pas complètement dans le film: la noirceur qui le caractérise est déjà à l'oeuvre dans ce premier longmétrage. En effet, le regard porté sur les pensionnaires du 21 est sans concession: chacun d'eux peut cacher quelque secret ignoble sans manquer pour autant d'accabler ses voisins, au contraire. Ainsi cette oeuvre, qui est par ailleurs rehaussée d'insolites notations humoristiques, contient en germe l'univers caustique et impitoyablement noir de Clouzot, alors qu'on pourrait au premier abord la croire peut-être plus légère. fréquent à un certain expressionnisme, son habileté à mettre ses personnages (et donc ses spectateurs) en situation de voyeurs, tout cela relève d'une volonté de style qui exprime une vision du monde fondée, selon ses propres termes, sur une "grande règle": "porter les contrastes à leur maximum" en poursuivant "un effort continu de simplification (dans la trame et les caractères), précisément pour accentuer les contrastes". La "manière" de Clouzot Clouzot, par la grande précision de sa mise en scène, par le choix des éclairages, par la vivacité aiguisée de ses dialogues, souligne ce côté à la fois sinistre et médiocre, qui apparaît ici un peu moins pesant que dans ses films postérieurs sans doute grâce à l'amusant contre-point que forme le couple Fresnay-Delair. Rien de manichéen pourtant ici. Clouzot évite en général les considérations morales, de même que le psychologisme. Il est moins un analyste du coeur qu'un peintre des comportements: sa dramaturgie d'entomologiste consiste à mettre des personnages en situation et à étudier leurs réactions, souvent dans un lieu privilégié d'observation: la pension de famille du 21, rue des Mimosas, la petite ville terrorisée par le mystérieux Corbeau ou l'école dans Les Diaboliques Ainsi prédomine chez Clouzot la construction dramatique, et cette mécanique qui entraîne l'action jusqu'à son dénouement (d'ailleurs généralement surprenant, voire stupéfiant) semble plus importante pour lui que les motivations psychologiques. C'est pourquoi il a été souvent catalogué comme auteur de suspenses policiers -si c'est un genre dans lequel il excelle, il serait pourtant abusivement réducteur de ne voir en lui que cela. Mais on demeure en effet frappé par la description du milieu, du décor, des objets, par la mise en place de cet enfermement, de ce huis-clos qui conditionnent si fort les personnages. Sa maîtrise dans la création d'une atmosphère, son recours assez Hélène Ercole Actualités Mardi 19 février : pas de séance. Jeudi 21 février : 17, rue Bleue, de Chad Chenouga, en présence du réalisateur. http://www.eleves.ens.fr:8080/cof/cineclub/ [email protected]