Eux présidents», les scénarios de 2017 : 1487 (épisode 1/2)

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Eux présidents», les scénarios de 2017 : 1487 (épisode 1/2)
«Eux présidents», les scénarios de
2017 : 1487 (épisode 1/2)
FICTION POLITIQUE – Après son élection à la présidence de la République,
François Fillon nomme à Matignon Henri de Castries, ancien président
d’Axa.
«Eux présidents»: jusqu’au 26 août, Philippulus imagine ce que pourraient
être les 100 premiers jours des uns et des autres. Chacun a droit à deux
épisodes pour convaincre, ou non…
François Fillon annonça la nomination à Matignon d’Henri de Castries dès son
élection, quelques minutes après 20 heures, le dimanche 7 mai 2017. Inutile
de préciser que ce fut une immense surprise. À Paris, les gens qui font
profession de tout savoir et prennent des airs entendus pour vous le prouver
annonçaient depuis l’entre-deux-tours que l’ancien président d’Axa, compagnie
d’assurances de renommée mondiale, grand inspirateur du programme économique
du président élu, se verrait confier les clés d’un superministère de
l’Économie et des Finances. Et que Matignon irait à Bruno Le Maire, qui lors
de la tumultueuse primaire des Républicains, en novembre 2016, avait au
second tour apporté un soutien décisif à François Fillon contre Nicolas
Sarkozy. Lequel, depuis, disait quatre fois par jour: «Je le tuerai! Je le
tuerai!»
Mais François Fillon se méfiait de l’ancien ministre de l’Agriculture. Un
soir, il avait confié à Myriam Lévy, qui gérait sa communication au cordeau:
«Tu vois, j’aime bien Bruno, mais à Matignon, il va vouloir me faire un
enfant dans le dos. Il est jeune, bien de sa personne, et il n’est pas du
genre à patienter dix ans. Alors qu’Henri, lui, est tout d’abnégation et de
loyauté. Et puis, un vrai manager à la tête de ce pays, ça changera!»
Myriam avait fait la moue: «Méfie-toi de la “société civile”, ça n’a jamais
marché. Mais enfin bon, si tu penches pour Henri…» Et ce fut donc Henri de
Castries, qui, les premiers jours, dut apprendre aux nombreux journalistes
qui l’ignoraient que le «i» de son nom ne se prononçait pas. «Mesdames et
messieurs, Castries se prononce Castre, comme Broglie se prononce Breuille.
Je vois que vous n’êtes pas habitués, mais vous verrez, on s’habitue très
vite!»
Le lundi 8 mai, le nouveau premier ministre appela le chef de l’État, qui, en
attendant le départ de François Hollande, réfléchissait au cours de son futur
quinquennat dans sa maison de Sablé-sur-Sarthe.
«François? C’est Henri. Quel instant béni! Je souhaite te remercier encore!
Toi et moi, nous avons tant de choses à faire! Voyons-nous très vite pour
parler de la campagne des législatives, de la réforme fiscale, du grand plan
d’économies, des coupes dans les budgets sociaux, de toutes les grandes
gabegies de ce pays, bref, pour savoir par quoi on commence! Je propose de
frapper très fort d’entrée dans mon discours de politique générale. Je ne
sais pas ce que tu en penses, mais à mon sens, le mieux est d’annoncer dès
maintenant la fin de l’État-providence, ce truc débile qui entraîne le pays
par le fond depuis 1945, voire plus! Sus au gaspillage! J’ai fait comme ça,
chez Axa! Tu connais le résultat: 102 millions de clients dans le monde,
92 milliards de chiffre d’affaires, 5 milliards d’euros de résultat
opérationnel! Je te rappelle que la France n’a pas fait de bénéfices depuis
près de cinquante ans! Bref, il faut gérer ce pays comme une entreprise de
65 millions de salariés. Je sais faire! On commence par un audit général et
après on se transforme en cost killers! À mon avis, y a du boulot!»
«Je suis convaincu que ce pays est prêt pour une grande cure libérale»
Comme le printemps 2017 fut le plus froid qu’on ait connu de mémoire d’homme
(au point que les signataires de la COP 21 se demandèrent s’ils n’avaient pas
signé des engagements inutiles et coûteux), François Fillon disposait des
bûches dans la cheminée pour réchauffer le grand salon où l’on se gelait.
«Oui, tu as évidemment raison, Henri. Je n’ai pas arrêté de dénoncer pendant
la campagne les excès de l’État-providence. Mais je propose qu’on agisse avec
méthode et discernement. Nous n’avons peut-être pas intérêt à tout faire d’un
coup. Patience et longueur de temps, c’est bien aussi! Bref, faut voir.»
Il y eut quelques secondes de silence. Henri de Castries répondit:
– Écoute, le politique, c’est toi ; l’expert, c’est moi. Mais tu ne m’ôteras
pas de l’esprit que si on commence à calculer d’entrée de jeu, c’est fichu.
Je suis convaincu que ce pays est prêt pour une grande cure libérale.
D’ailleurs, tous mes amis me le disent!
– Tes amis du CAC 40?, répondit en souriant François Fillon.
– Oui, certes, mais pas qu’eux! L’autre soir, mon boulanger, un homme
charmant au demeurant, m’a fait une grande diatribe contre, je le cite, “le
marxisme congénital de ce pays”. Eh bien vois-tu, il parlait comme toi et
moi! Du coup, je lui ai acheté trois baguettes! C’est fou comme un boulanger
peut être plus intelligent que trois énarques et deux polytechniciens réunis!
Et c’est un ancien de la promotion Voltaire qui te le dit!»
Le président élu reprit la parole. «Henri, ce qui est certain, c’est qu’il ne
s’agit pas d’entrer dans un processus de négociations permanentes avec tous
les corps intermédiaires de ce pays. Je te demande seulement de me donner un
peu de temps.
– Entendu, François! C’est toi le boss! Au fait, à propos de négociation, tu
vas rire, je t’en propose une!
– Une négociation? Entre qui et qui?, répondit le président de la République.
– Entre toi et moi!
François Fillon fronça les sourcils et lâcha:
– Je t’écoute.
Henri de Castries se lança et son monologue dura dix vraies minutes. Il
rappela au chef de l’État que la famille de la Croix de Castries n’était pas
n’importe laquelle sous le Royaume de France puis sous la République.
– François, tu sais que j’ai horreur de me pousser du col, mais enfin, chez
nous, nous avons eu un maréchal de France, plusieurs lieutenants généraux,
des maréchaux de camp, des chevaliers des ordres du Roi, et ma famille fut
admise aux honneurs de la Cour en 1744, puis 1753, puis 1776, puis enfin en
1786, trois ans avant les très fâcheux et déplorables événements que l’on
sait… Et tout ça n’est pas grand-chose si tu as en tête que mon lointain
aïeul Guilhem, né à Montpellier, et par qui tout chez nous a commencé, fut
anobli en 1487. Te rends-tu compte? 1487! Cinq années avant la chute de
Grenade! Vois-tu le symbole? Moi qui viens de temps très anciens, je serai
celui qui, avec toi, fera entrer la France dans le monde moderne! J’y vois
une forme de cohérence tout à fait émouvante, inatteignable bien entendu pour
le commun des mortels, mais vraiment passionnante intellectuellement!
François Fillon souriait en écoutant son premier ministre, qui lui racontait
avec verve et passion cinq cents années de l’histoire de France. Comme il
avait vu les derniers épisodes deGame of Thrones, il répondit en riant:
– Et dans ta famille, il n’y eut pas de lord commandant de la Garde de Nuit,
par hasard? Un lord Snow qu’on aurait assassiné mais qui serait ressuscité?
Je trouve que ça manque!
Henri de Castries ne releva point et alla à l’essentiel.
– François, si je te dis tout ça, c’est parce que j’ai une requête. Une
seule.
– Laquelle?
Le nouveau président de la République se sentait coincé.
– Voilà. Avant Sarko, en 2007, la résidence de la Lanterne, à deux pas du
château de Versailles (de toi à moi, plus d’un de mes aïeux y a dansé sous
Louis XIV, XV et même XVI), était réservée aux premiers ministres. Ce
paltoquet de Sarko te l’a piquée, chacun sait bien, en s’installant à
l’Élysée, et ce gros rustre de Hollande a poursuivi la “tradition”, si on
peut appeler ça comme ça pour un truc vieux de seulement dix ans. Alors
voilà: j’aimerais bien que le chef du gouvernement de la République
française, c’est-à-dire moi, descendant de Guilhem de Montpellier et de
divers chevaliers des ordres du Roi, récupère le bien. Psychologiquement, ça
m’aiderait! J’aurais l’impression le week-end de travailler à côté des lieux
que mes ancêtres jadis arpentèrent. Et pour toi, ce serait un symbole
formidable! Tu montrerais que tu n’es en rien attaché aux biens matériels!
Bref, comme on dit dans le monde de l’assurance-vie, c’est du gagnantgagnant! Du win-win! Tope là?»
François Fillon resta longtemps silencieux, tout en surveillant les bûches
qui, dans la cheminée, peu à peu rougeoyaient. Il se souvint de la phrase de
Jean-Pierre Raffarin, en 2007, lorsque Nicolas Sarkozy, à peine élu, avait
réquisitionné la Lanterne pour en faire sa propriété privée du samedi et du
dimanche. «Tu as perdu le meilleur du job!», lui avait lancé, goguenard,
l’ancien premier ministre de Jacques Chirac.
Le nouveau président de la République se sentait coincé. Refuser la demande
d’Henri de Castries, c’était prendre le risque d’aigrir d’entrée de jeu une
relation qui, jusqu’à présent, avait été idyllique. Mais c’était la promesse
de week-ends agréables où il pourrait nager dans la piscine et soigner son
dos, si d’aventure son mal se rappelait à lui et nécessitait des bienfaits
aquatiques. Accepter cette requête, c’était s’exposer à un premier reproche
de faiblesse vis-à-vis du chef du gouvernement. Mais c’était aussi prouver à
l’opinion publique qu’il n’avait aucune appétence pour les attributs du
pouvoir et que l’époque Sarkozy, perpétuée par François Hollande, était
définitivement révolue.
Dans la maison de Sablé-sur-Sarthe, devant la grande cheminée, il y eut un
éclat de rire sonore.
«Henri, je te laisse à Louis XVI, à Marie Antoinette, à Guilhem de
Montpellier, à ton nom qui ne se prononce pas comme il s’écrit et à la chute
de Grenade! La Lanterne est à toi!
– Merci François! Et bien entendu, je t’inviterai à Versailles! On écoutera
du Lully en peaufinant la réforme des régimes spéciaux de retraites! Avoue
que ce sera romanesque!
Une heure plus tard, l’affaire de la Lanterne se sut chez les gens qui savent
tout avant tout le monde. À Paris comme à Pékin. Dînant ce soir-là non loin
de la Cité interdite avec le premier ministre chinois Li Keqiang, à qui il
venait de lancer d’un air mystérieux: «Figurez-vous que l’aïeul de votre
homologue français, Henri de Castries, fut anobli en 1487! Cinq ans avant la
chute de Grenade! Soit, pour que cela vous parle davantage, vers la fin de la
dynastie Ming!», Jean-Pierre Raffarin eut le temps d’envoyer un texto au
nouveau président de la République française: «François, comment as-tu fait
pour reperdre le meilleur du job?! Lol. Amitiés. JPR.»
Le texto s’envola vers Paris. Li Kekiang, d’un air énigmatiquement souriant,
s’approcha de l’oreille de Jean-Pierre Raffarin et lui dit: «Nous savoir que
M. de Castries être homme tout à fait brillant. Et que lui avoir eu ancêtres
à Versailles à époque lointaine où dragons de la France crachaient du feu! Et
nous savoir déjà que bien entendu le “ i ” de son nom ne se prononce pas…»
Source :© «Eux présidents», les scénarios de 2017 : 1487 (épisode 1/2)