Eux présidents», les scénarios de 2017 : la nouvelle nuit du
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«Eux présidents», les scénarios de 2017 : la nouvelle nuit du 4 août (épisode 2/2) – Crédits photo : montage : Denis ALLARD/REA, •WITT/SIPA, Jean-Christophe MARMARA FICTION POLITIQUE – Trois mois après l’élection de François Fillon, le Congrès du Parlement se réunit à Versailles. «Eux présidents»: jusqu’au 26 août, Philippulus imagine ce que pourraient être les 100 premiers jours des uns et des autres. Chacun a droit à deux épisodes pour convaincre, ou non… François Fillon s’installa à l’Élysée le 19 mai et s’engagea aussitôt dans la campagne des élections législatives, dont le premier tour était fixé trois semaines plus tard. Entre autres conseils, il recommanda à Henri de Castries, qui lui aussi tenait meeting sur meeting, d’éviter de comparer la gouvernance de la France à celle d’une grande entreprise et de ne pas brandir à tout bout de champ les comptes d’exploitation de la société Axa, aussi excédentaires fussent-ils. Et tout se passa bien. Les Républicains obtinrent une très large majorité (400 députés), le FN multiplia par 50 le nombre de ses élus au Palais Bourbon (de 2 à 100), et la gauche se contenta des rogatons. «Ça va me faire drôle de diriger 577 connards pendant cinq ans!» Nicolas Sarkozy Nicolas Sarkozy, qui s’était trouvé une nouvelle circonscription dans le Var, fit son retour à l’Assemblée nationale, au grand déplaisir du nouveau chef de l’État, qui aurait préféré que son prédécesseur se retirât définitivement de la vie politique. Le courroux de François Fillon s’accentua lorsque, contre toute attente, Nicolas Sarkozy se fit élire président de la nouvelle Assemblée. À Brice Hortefeux, l’ancien président avait confié quelques minutes après le scrutin: «Ça va me faire drôle de diriger 577 connards pendant cinq ans!» Quelques jours plus tard, Henri de Castries prononça un discours de politique générale qui lui valut les applaudissements nourris de la droite, une bronca au Front national, et à peu près rien à gauche. Il est vrai qu’au lieu d’écouter le chef du gouvernement, les quelques députés PS présents s’échangeaient des textos où il était question du prochain Congrès extraordinaire du Parti, de la destitution annoncée de Jean-Christophe Cambadélis, de la possible exclusion de Manuel Valls pour «traîtrise caractérisée», d’une forme «d’excommunication» (mais le mot exact restait à trouver) d’Emmanuel Macron et d’une «motion de défiance a posteriori» contre François Hollande (mais il était bien tard pour y penser). Curieusement, devant les députés, le premier ministre n’entra pas dans le détail de la politique qu’il entendait mener, se contentant de grandes formules joliment troussées où il était question d’allier le meilleur de la France de toujours au meilleur de la France d’aujourd’hui. Qui pouvait être contre? Personne, à l’exception des élus FN, qui tentèrent d’interrompre le nouveau chef de gouvernement en s’exclamant, comme Marion Maréchal-Le Pen: «Si vous voulez vous inspirer ne serait-ce qu’un chouïa de la France d’aujourd’hui, cela signifie que vous avez déjà échoué!» Mais le clou du discours de politique générale d’Henri de Castries fut évidemment sa conclusion, qui fit faire un bond au président Fillon, assis devant la télévision dans son bureau de l’Élysée. «Le président de la République s’exprimera devant le Congrès et scellera ainsi le nouveau pacte français» Henri de Castries «Mesdames et messieurs, je vous propose de reparler de cette nouvelle et grande ambition pour la France le 4 août prochain! À Versailles! Le président de la République s’exprimera devant le Congrès et scellera ainsi le nouveau pacte français, fondé, encore et toujours, sur la fin des privilèges! Les privilèges de notre temps, pas ceux de jadis! Je vous remercie!» Ce fut un triomphe à droite, même si de nombreux députés, qui avaient déjà prévu leurs destinations estivales, froncèrent les sourcils en songeant qu’ils allaient probablement devoir annuler. Six minutes plus tard, tandis qu’il quittait le Palais Bourbon, le premier ministre vit son téléphone portable s’allumer. C’était le président de la République. «Allô Henri? Ton discours, très bien. Mais c’est quoi cette histoire de réunion du Congrès à Versailles le 4 août? – Une idée que j’ai eue tout en parlant! François, tu sais bien ce que c’est que l’art oratoire! On s’enflamme, on trouve des formules, on se découvre des projets au débotté! Ainsi, tout en parlant, m’est venue l’idée de convoquer députés et sénateurs pour solenniser un peu tout ce que nous allons entreprendre! Et, m’enthousiasmant moi-même, j’ai pensé que si tu t’adressais au Congrès réuni à Versailles, comme la Constitution t’y autorise, pour remettre en perspective quelques siècles d’Histoire de France, ça aurait de la gueule! Et un 4 août, c’est encore mieux, je ne te fais pas un dessin! À mon avis, il faut résumer la chose de la façon suivante: conjuguer la tradition rassurante de mon ancêtre Guilhem de Montpellier et le capitalisme conquérant de la compagnie Axa Assurances, dont je te rappelle qu’elle fait des bénéfices, elle!» Le chef de l’État ne sut que dire. Contrarié, il demanda à sa secrétaire particulière de modifier son emploi du temps pour le début du mois d’août. «Je t’avais bien dit que les gens de la société civile, c’est spécial. Il va falloir s’habituer!» glissa Myriam Lévy à François Fillon. Le Congrès de Versailles se réunit donc en grande pompe le 4 août 2017, en fin d’après-midi, 228 années jour pour jour après la fameuse nuit révolutionnaire. Le président Fillon fut accueilli par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, Gérard Larcher et Nicolas Sarkozy. Comme le veut le règlement du Congrès, ce dernier s’installa dans le fauteuil de président de séance, au-dessus de la tribune, et invita son ancien premier ministre à prendre la parole. Le grand hémicycle était plein à craquer, députés et sénateurs s’étant résolus (en grognant) à reporter leurs vacances. Le chef de l’État fit un discours brillant où il fut question de France éternelle et de France moderne Le chef de l’État fit un discours brillant où il fut question de France éternelle et de France moderne, de nécessaire renouveau, d’abnégation, de tabous à briser et de grands efforts sur soi-même à accomplir. Mais aussi de guerre totale contre Daech et d’églises qu’il fallait «remettre au milieu du village». François Fillon parla 45 minutes, sans notes, tandis que, assis audessus de lui, Nicolas Sarkozy rédigeait des textos tout en donnant ostensiblement l’impression de s’ennuyer. François Fillon venait à peine d’achever son discours qu’Henri de Castries se leva pour demander la parole. Nicolas Sarkozy l’interrompit sèchement. «Monsieur le premier ministre, excusez-moi de vous rappeler le principe de la séparation des pouvoirs, mais le règlement du Congrès prévoit que l’intervention du chef de l’État n’est suivie d’aucun débat. Sauf, bien sûr, si le président de la République quitte l’enceinte du Congrès…» Neuf cent vingt-cinq députés et sénateurs regardèrent alors le président Fillon qui, grandiose dans sa posture, leva les deux bras vers le ciel et eut cette phrase historique: «Vous, représentants du peuple, lancez-vous dans un débat fécond! Ayez de l’audace, vous aurez ma bénédiction!» Quelques minutes plus tard, entre Versailles et Paris, dans la voiture qui le ramenait à l’Élysée, le chef de l’État eut un langage moins fleuri pour confier son agacement à Myriam Lévy: «J’aime bien Henri, mais il est gonflant… Faudrait qu’il atterrisse…» Stoïque, sa conseillère répondit: «La société civile, François, la société civile… J’espère qu’il ne va pas leur faire une présentation PowerPoint sur les comptes d’Axa Assurances… – Une présentation Power quoi? – Laisse, je t’expliquerai…», répondit-elle en regardant le ciel. Henri de Castries s’engagea dans un discours enflammé Au même moment, dans le grand hémicycle du Congrès, Henri de Castries s’engagea dans un discours enflammé qu’il est malaisé de résumer puisqu’il dura jusqu’à une heure assez avancée de cette nuit du 4 août. Il était déchaîné. La droite était partagée. Lorsqu’il affirma que «rien ne va plus dans ce pays», elle l’applaudit à tout rompre, mais quand il ajouta que «nous sommes tous ici responsables, depuis cinquante ans, à force de couardise», elle se renfrogna. Assis au-dessus de lui, Nicolas Sarkozy prit fiévreusement son iPhone pour écrire à Brice Hortefeux: «Ce mec est insupportable! Il me débecte. NS» La réponse arriva après 23 secondes: «Pareil. BH» Le chef du gouvernement décrivit une société profondément inégalitaire «où les fonctionnaires sont mieux rémunérés que nos jeunes têtes chercheuses, futurs créateurs de richesses, et donc futurs cotisants à notre système de protection sociale, que l’on décourage et incite à s’expatrier». Un système où «certains, notamment à la SNCF, peuvent partir à la retraite à 53 ans, tandis que d’autres, dans le privé, beaucoup moins bien payés et mal assurés de leur avenir, doivent attendre 62 ans, et plus s’ils prétendent au taux plein». «Il faut en finir avec ces rentes ruineuses pour nos comptes publics, ces rentes semblables à celles que certains de mes ancêtres ont dû toucher jadis tandis que le petit peuple crevait de faim! Les guerres de Louis XIV ont laissé les finances du royaume sur le flanc, et aujourd’hui c’est notre fonction publique surnuméraire qui grève nos budgets nationaux, ainsi que nos politiques sociales ruineuses et inefficaces!» Henri de Castries poursuivit en éreintant le monde syndical, «qui, s’il devait y avoir prochainement une nouvelle réunion des États généraux, siégerait assurément sur les bancs de la noblesse ou du clergé, mais sûrement pas du tiers état!». «Il y a bel et bien dans notre société d’aujourd’hui des petits marquis qui se sont adjugé des pouvoirs mirifiques, et en premier lieu celui de bloquer le pays pour un oui ou pour un non! Cet invraisemblable privilège, nous y mettrons fin! Sus aux petits marquis poudrés, syndicalisés, et marxistes!» «Et que dire de notre fiscalité!» poursuivi Henri de Castries, tandis que hurlaient tous les parlementaires de gauche. «Comment justifier le fait qu’un Français sur deux ne paie pas l’impôt sur le revenu? Comment admettre que 37 % du montant de ses recettes soient acquittés par 1 % des foyers fiscaux? N’est-il pas temps d’imaginer un impôt proportionnel, et non plus progressif, que paieraient tous les contribuables? Dois-je vous rappeler le deuxième mot des trois que compte notre devise républicaine?» L’ultime partie du long et âpre discours du premier ministre fut consacrée «au privilège des privilèges» L’ultime partie du long et âpre discours du premier ministre fut consacrée «au privilège des privilèges». Il regarda longuement l’assistance puis posa à tous, droite et gauche réunies, la question suivante: «Mesdames et messieurs, mais comment avez-vous fait, toutes ces années, pour dépenser autant d’argent? Et pour un aussi piètre résultat! Nous voilà avec 2 100 milliards de dette, et 50 milliards chaque année à rembourser pour les seuls intérêts! On marche sur la tête! Je vous le dis: il faudra en finir un jour ou l’autre avec ce privilège exorbitant qui consiste à lever emprunt sur emprunt et à confier l’addition aux générations futures. Cette pratique honteuse, c’est vous tous!», ajouta-t-il, terrible, provoquant un tollé aussi bien chez les socialistes que chez les Républicains, lesquels commençaient à s’agacer sérieusement de cet accablant réquisitoire. Il y eut des cris perçants, des «c’en est trop!» des «faites-le taire!» et même chez quelques sénateurs communistes des «ressortez la guillotine!», de sorte que très peu entendirent les derniers mots du chef du gouvernement: «Oui, nous sommes en 1789 et je vous promets une Grande Révolution! La Révolution libérale! Jetez par-dessus bord vos surmoi marxistes et, si j’osais cette étrange alliance de mots, notre royaume républicain sera sauvé!» Au grand étonnement des «observateurs», l’audacieux et transgressif discours d’Henri de Castries fut très bien accueilli par l’opinion publique, qui, pour reprendre la formule d’un quidam interrogé par Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, se dit qu’«un aristo républicain ça peut pas faire de mal à la France, vu ce qu’en ont fait des républicains qu’étaient pas aristos». Le lendemain de cette nouvelle et mémorable nuit du 4 août, et tandis que Jean-Claude Mailly et Philippe Martinez promettaient sur les ondes (et dans l’indifférence générale) de «régler son compte à l’émigré de Coblence», François Fillon convoqua Myriam Lévy dans son bureau de l’Élysée. «Myriam? Voilà, j’aimerais bien ton avis sur Henri.» «Henri est un génie!» Myriam Lévy Sa conseillère s’approcha d’une des fenêtres du bureau présidentiel. «Oublie toutes mes préventions! Henri est un génie!» Et elle lui tendit le dernier sondage Sofres, qui accordait au nouveau chef de l’État 84 % d’opinions positives. Au même moment, Jean-Pierre Raffarin (qui effectuait son vingt-huitième voyage à Pékin en cinq ans) s’entretenait avec le premier ministre chinois Li Keqiang, non loin de la Cité interdite. Ce dernier, qui l’écoutait lui relater les premières semaines de la présidence Fillon, le regardait d’un sourire (évidemment) énigmatique. Il s’approcha de son oreille et lui dit: «Ce M. de Castries être réellement formidable dragon! Et son ancienne entreprise faire beaucoup de bénéfices! Si la nouvelle France en faire autant, nous trembler bientôt!» Et les deux hommes trinquèrent à la nouvelle Révolution libérale de François Fillon et d’Henri de Castries réunis. Source :© Le Figaro Premium – «Eux présidents», les scénarios de 2017 : la nouvelle nuit du 4 août (épisode 2/2)