Qu`est-ce qu`une dépense en capital?

Transcription

Qu`est-ce qu`une dépense en capital?
QU’EST-CE QU’UNE DÉPENSE EN CAPITAL DANS UN BAIL COMMERCIAL ?
Par: Paul Mayer du cabinet d’avocats Fasken Martineau
Les dépenses en capital engagées par un locateur pour l’exploitation, l’entretien et les
travaux de réparations à l’égard d'une propriété sont parmi les dépenses les plus controversées
pouvant faire partie des frais d’exploitation imputés à un locataire à l’égard d’un bail
commercial.
Le présent article étudie ce que sont les dépenses en capital, si elles doivent ou non faire
partie des frais d’exploitation devant être payés par un locataire et de quelle façon leurs coûts
devraient être amortis.
Qu’est-ce qu’une dépense en capital?
Qu’est-ce qui correspond ou ne correspond pas à une dépense en capital? Il s’agit là
d’une question importante. C’est le cas tout particulièrement lorsque le bail stipule que les
dépenses en capital représentent une dépense que les parties ont convenu soit d’amortir, soit de
plafonner, soit d’exclure plutôt que de les traiter en tant que frais d’exploitation pouvant être
imputés au locataire et recouverts par celui-ci à titre de versements de loyer additionnels dans
l'année où elles sont encourues.
Selon les principes comptables généralement reconnus, les dépenses en capital sont des
montants dépensés afin d’acquérir, de remplacer, d’ajouter ou d’effectuer des travaux importants
de réparations sur un immeuble et à l'égard de certains de ses équipements. Étant donné qu’il
s’agit de dépenses qui créent une valeur à long terme, les dépenses en capital sont habituellement
amorties sur un certain nombre d’exercices plutôt que d’être incluses dans les frais d’exploitation
d’un seul exercice.
Une gamme de principes comptables a obtenu l’acceptation générale du secteur
immobilier. Au Canada, les principaux principes comptables mis en pratique de façon constante
sont décrits dans le manuel de l’Institut Canadien des Comptables Agréés (ICCA). Étant donné
que le manuel de l’ICCA contient peu de règles traitant de l’immobilier de façon précise, ce
2
secteur a adopté en grande partie les principes comptables établis par l’Institut canadien des
compagnies immobilières publiques pour traiter de ces principes comptables.
Le manuel de l’ICCA définit les dépenses en capital de la façon suivante:
"Les coûts engagés pour accroître le potentiel de service d’une immobilisation
correspondent à une amélioration. Le potentiel de service peut être accru lorsque la
capacité de service estimée antérieurement est augmentée, que les frais d’exploitation y
afférents sont réduits, que la durée de vie utile est prolongée ou que la qualité des extrants
est améliorée. Les coûts engagés pour le maintien du potentiel de service d’une
immobilisation correspondent à une réparation, et non à une amélioration. Lorsque les
coûts correspondent à la fois à une réparation et à une amélioration, la partie considérée
comme donnant lieu à une amélioration est incluse dans le coût de l’immobilisation en
cause."
Le manuel de l’ICCA définit ce qui est considéré comme étant une dépense courante de la façon
suivante:
"Les charges […] sont généralement constatées lorsqu’une dépense ou un actif déjà
constaté ne présente aucun avantage économique futur. Les charges qui ne peuvent être
rattachées à des produits spécifiques sont attribuées à un exercice en fonction des
opérations et des faits survenus au cours de cet exercice, ou sont répartis sur plusieurs
exercices. Le coût des actifs dont les avantages s’étendent sur plus d’un exercice est
normalement réparti sur le nombre d’exercices en cause."
Ainsi, il est généralement convenu que les dépenses qui augmentent la valeur,
l’utilisation, la durée de vie utile, la force ou la capacité d’un bien comparativement à l’état de ce
bien avant les dépenses, devraient être capitalisées.
La différence entre les dépenses en capital et les dépenses courantes n’est pas toujours
clairement définie. Le traitement de certaines dépenses requiert une importante analyse et un bon
jugement avant qu’une classification appropriée puisse être établie. Une caractérisation des types
de dépenses pourrait être utile. Il existe quatre types principaux de dépenses qui sont engagées
relativement aux immobilisations courantes : (i) ajouts, (ii) améliorations et remplacements, (iii)
restructurations et réinstallations et (iv) réparations. Chacun d’entre ces derniers est traité
3
différemment lorsque l’on tente de déterminer si une dépense doit être traitée comme étant une
dépense en capital ou plutôt comme une dépense courante.
Ajouts. Un ajout à un bien devrait être capitalisé puisqu’une nouvelle immobilisation
vient donc d’être créée. Par exemple, l’ajout dans un édifice d’un étage ou d’un système de
conditionnement de l’air, qui augmente le potentiel de service de cet édifice, doit être capitalisé.
Améliorations
et
remplacements.
Les
améliorations
et
les
remplacements
correspondent à la substitution d’un bien par un autre. Une amélioration correspond à la
substitution du bien actuellement utilisé par un de meilleure qualité (i.e.: un plancher de béton
pour remplacer un plancher de bois). Un remplacement, par contre, correspond à la substitution
du bien par un bien semblable (un plancher de bois par un plancher de bois). Le problème qui se
pose lorsqu’on caractérise ce genre de dépense, est résolu en examinant si la dépense augmente
ou non le potentiel de service futur du bien ou s’il ne fait que maintenir le niveau de service. La
réponse n’est pas toujours claire. Analyse et jugement doivent être utilisés afin de classifier les
dépenses correctement. Si l’on détermine que la dépense augmente le potentiel de service futur
de l’immobilisation, elle devrait être capitalisée.
Restructurations and réinstallations. Les coûts de restructuration et de réinstallation,
qui sont des dépenses prévues pour en tirer les avantages sur une période de plus d’un an, sont
différents des ajouts, des remplacements et des améliorations. Par exemple, si les restructurations
et les réinstallations sont prévues pour faciliter la production future, les coûts d’un tel travail
devraient être capitalisés comme un bien devant être amorti sur le nombre d’années des profits
anticipés lorsque le montant en jeu est important. Si le coût n’est pas important ou s’il ne peut
être séparé d’autres frais d’exploitation, ou si le profit à venir est incertain, le coût peut être
imputé à titre de dépense plutôt que d’être capitalisé.
Réparations. Les coûts de réparation ordinaires sont des dépenses engagées pour
conserver le bien en condition d’exploitation. Ils doivent être imputés comme une dépense durant
l’exercice au cours duquel ils sont engagés. Des exemples de coûts de réparation qui surviennent
régulièrement et qui sont traités comme des dépenses d’exploitation ordinaires comprennent les
remplacements mineurs de la propriété, la peinture et le nettoyage. Si une réparation importante
4
est effectuée et que les avantages dureront pendant plusieurs années, le coût devrait être
caractérisé comme un ajout, une amélioration ou un remplacement.
Droit fiscal
La Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) contient des dispositions qui classent certaines
dépenses comme devant être soit des dépenses en capital soit des dépenses courantes. Il existe
une jurisprudence abondante qui traite de cette question en illustrant une gamme de situations et
en fournissant des exemples qui peuvent être suivis afin de déterminer si une dépense donnée
peut ou non être traitée comme une dépense courante plutôt que capitalisée.
Les critères choisis par les tribunaux pour déterminer si une dépense représente ou non
une dépense en capital ou une dépense courante, en droit fiscal, peuvent être résumés de la façon
suivante :
·
Est-ce que la dépense a été engagée « une fois pour toutes »?
·
Est-ce que la dépense augmente la valeur du bien?
·
Est-ce que la dépense a été engagée pour créer un revenu?
·
Est-ce que la dépense devient partie intégrante du bien ou est-ce une immobilisation
distincte?
·
Est-ce que la dépense a été engagée dans le but de remplacer un autre bien ou était-ce dans le
but d’en créer un tout nouveau?
·
Est-ce que la dépense a été engagée dans le but de permettre au bien de conserver sa valeur?
·
Un autre critère semble être employé lors de cas-limite pour déterminer si une dépense doit
ou non être capitalisée. Il s’agit de l’examen du coût ou de la valeur de la dépense
relativement à la valeur de la propriété. On le nomme le test de « l’importance relative ».
5
Position du ministère du Revenu du Québec
Lorsqu’il doit déterminer si une dépense correspond à une dépense en capital, le
ministère du Revenu du Québec applique les conclusions de la décision rendue en 1987 par la
Cour d’appel dans l’affaire Sous-ministre du Revenu du Québec c. Denise Goyer.
Pour rendre sa décision dans l’affaire Goyer, la Cour devait déterminer si le
remplacement de balcons, de la tuyauterie, de fenêtres et de portes dans un immeuble à
logements constituait des dépenses en capital. Ces travaux avaient été effectués parce que la
tuyauterie de l’immeuble était défectueuse et que les balcons, les fenêtres et les portes étaient en
train de pourrir. La Cour a reconnu que les dépenses engagées n’étaient pas des dépenses en
capital parce que ces éléments n’étaient pas d’eux-mêmes des immobilisations, mais uniquement
des parties d’une plus grande immobilisation. Le remplacement de ces éléments ne constituait
pas le remplacement de l’immobilisation. Selon la Cour, le propriétaire ne faisait que les réparer.
Par conséquent, selon la position du ministère du Revenu du Québec, pour être reconnu
comme ayant engagé des dépenses en capital, il est nécessaire soit d’avoir créé un bien nouveau
soit d’avoir augmenté la valeur du bien.
En suivant les critères établis dans l’affaire Goyer, le ministère du Revenu du Québec
considère comme étant déductibles les dépenses engagées pour remplacer les fenêtres d’un
immeuble, en refaire le toit ou la tuyauterie, si ces travaux ont pour effet de remettre le bien à sa
valeur marchande initiale. Par contre, le ministère du Revenu du Québec prend la position selon
laquelle si un contribuable fait l’acquisition d’un bien à un prix inférieur à sa valeur marchande
dû à l’état lamentable de ce bien au moment de l’acquisition, et qu’il engage des dépenses pour
remettre le bien à sa valeur marchande, ces dépenses doivent être capitalisées.
Selon le ministère du Revenu du Québec, l’ajout d’un foyer dans une maison doit
également être capitalisé, puisque la valeur marchande de la propriété sera augmentée. De
même, l’ajout d’un garage sera traité comme une dépense en capital puisqu’un nouveau bien est
créé.
6
Le test de l’importance relative
Tel que mentionné précédemment, l’importance relative d’une dépense est parfois un
critère appliqué par les tribunaux lorsqu’ils doivent déterminer si une dépense correspond ou non
à une dépense en capital. L’importance relative est mesurée en fonction de l’importance d’une
dépense relativement à la valeur de l’immobilisation et celle de l’immeuble. Malgré le fait que ce
test de l’importance relative ne devrait pas en soi déterminer si une dépense en particulier
constitue ou non des frais déductibles ou une dépense en capital, l’importance et le coût des
travaux influencent les tribunaux dans le cadre de cas-limite, plus particulièrement lorsque le
résultat semble être le remplacement d’un ancien bien par un nouveau. Plusieurs décisions
illustrent ce point.
En 1959, dans l’affaire MNR c. Lumor Interests Ltd., un nouvel ascenseur avait été
installé dans un immeuble au coût de 28,000 $, un montant correspondant à environ 18% de la
valeur de l’immeuble. La dépense a été considérée comme étant une dépense en capital. La Cour
a précisé que sa décision avait été influencée par l’importance de la dépense engagée.
En 1979, l’affaire Dubé & al c. MNR traite de réparations effectuées à l’égard de deux
immeubles commerciaux. Bien que les coûts de réparation dépassaient largement les frais
d’entretien annuels moyens à l’égard des immeubles, les propriétaires ont cherché à déduire le
coût total dans le calcul du revenu pour chaque année d’imposition au cours desquelles les
dépenses avaient été engagées. Les dépenses liées aux points suivants : réparations sur certaines
parties du toit des deux immeubles; remplacement de certaines rangées de briques dans la partie
supérieure des deux immeubles; démolition et retrait de deux cheminées en briques ; retrait de
certains faîtes du toit sur le devant des deux immeubles; réparation d’une véranda en bois;
beaucoup de travaux de peinture; et réparations sur une partie du trottoir devant l’un des deux
immeubles. La Cour a traité toutes les dépenses en question comme des dépenses courantes
plutôt que comme des dépenses en capital parce que les dépenses avaient été engagées pour
conserver plutôt que pour remplacer l’immobilisation et qu’elles étaient raisonnables compte
tenu de la valeur des immeubles en cause.
En 1987, la décision rendue dans l’affaire Goldbar Developments Ltd. v. The Queen
portait sur un immeuble résidentiel acquis en 1966. En 1979, une inspection a révélé que les
7
briques se détachaient des murs et que toute la façade en briques sur un des murs était devenue
moins solide dû à des travaux de qualité inférieure par le premier sous-traitant de briques. Le
propriétaire a procédé aux réparations nécessaires, mais a utilisé un revêtement métallique au
lieu de remplacer la brique originale ou d’avoir recours à un placage en brique. La Cour a
soutenu que le propriétaire avait le droit de déduire le coût de ces réparations plutôt que de les
capitaliser. Pour arriver à ce résultat, la Cour a constaté qu’il était utile d’examiner le but des
réparations. Le propriétaire avait eu l’intention d’effectuer des réparations parce qu’une situation
était devenue dangereuse plutôt que d’améliorer le bien. Dans cette affaire, la Cour a conclu que
le propriétaire n’avait pas le choix et que la dépense n’était pas suffisamment importante pour
constituer un remplacement du bien, étant donné qu’elle ne représentait qu’un faible pourcentage
de la valeur de l’immeuble. Quant au test de l’importance relative, la Cour a fait le commentaire
suivant : "quoique le montant d’argent soit certainement important, la preuve indéniable a établi
que la valeur de l’immeuble … se situait dans les 8 M $, de sorte que le montant investi (environ
241 000 $) représente moins de trois pour cent de la valeur du bien."
En 1993, dans l’affaire June Earl c. La Reine, le ministère du Revenu du Québec a refusé
une déduction de 33 000 $ faite par le propriétaire d’un immeuble pour en remplacer le toit. Du
point de vue de la Cour, le nouveau toit incliné créait une amélioration durable à l’immeuble
parce qu’il était différent du vieux toit plat qui avait d’importantes fuites. Certes, le nouveau toit
ne modifiait pas l’apparence de l’immeuble ni n’augmentait sa valeur. Néanmoins, il était
considérablement différent et faisait partie intégrante de l’immobilisation constituant
l’immeuble.
Ces décisions sont particulièrement pertinentes dans le cas de baux où le locateur s’est
engagé à se conformer aux principes comptables généralement reconnus.
Litiges à l’égard d’un bail
La question selon laquelle une dépense représente ou non une dépense en capital se
termine parfois en litige entre un locateur et un locataire relativement à l’interprétation de leur
bail commercial.
8
En 1995, dans l’affaire De Forte c. Poly Selection Inc., la Cour du Québec a établi que
les dépenses engagées tant pour réparer et agrandir (de sept pour cent) le parc de stationnement
d’un centre commercial que pour remplacer les portes d’issue constituaient des frais
d’exploitation plutôt que des dépenses en capital. La Cour a soutenu que le centre commercial
était l’immobilisation tandis que le parc de stationnement et les portes d’issue n’étaient que des
composantes de cette immobilisation. Selon la Cour, le résultat obtenu suite à la réfection du
parc de stationnement n’a été que de rétablir la valeur marchande normale du bien et n’avait pas
été entrepris à titre de placement. En ce qui concerne l’agrandissement du parc de stationnement,
la Cour a soutenu qu’il ne s’agissait pas d’une dépense en capital. La Cour a déclaré : «
L'agrandissement fait exception, certes, mais il représente seulement 7% de la superficie initiale.
Cela suffit pour appliquer le principe que l'accessoire suit le principal. »
En 1991, dans la décision rendue par la Cour d’appel dans l’affaire Executive Investments
Canada Ltd. c. Rourke Bourbonnais and Associates Ltd., la Cour a fait référence à la
jurisprudence en matière de fiscalité pour déterminer si l’installation d’un système de gicleurs
automatiques dans les garages et le soubassement d’un édifice commercial constituait des frais
d’exploitation ou une dépense en capital. La Cour a déclaré que ces dépenses constituaient des
dépenses en capital puisque l’installation de cet équipement avait pour effet d’augmenter la
valeur de l’immeuble. La Cour a constaté que le propriétaire de l’immeuble avait ajouté à
l’immeuble un élément de structure qui n’existait pas auparavant.
Les dépenses en capital devraient-elles être imputées aux locataires?
Savoir si les dépenses en capital doivent être incluses ou non dans les frais d’exploitation
devant être rechargés aux locataires demeure une décision d'affaires.
Pour un locateur, un immeuble est un placement qui devrait fournir un revenu régulier sur
le capital investit. Le but d’investir dans l’immobilier, comme tout autre placement, est
d’accroître la valeur du bien. Cela est possible en augmentant les revenus provenant du loyer de
base ou minimum, lorsque la conjoncture le permet, et en s’assurant que toutes les dépenses
possibles (y compris les dépenses en capital) sont rechargées aux locataires. Si les dépenses ne
peuvent être chargées aux locataires, la valeur d’un immeuble peut être affectée de façon
négative étant donné que sa valeur est souvent établie selon un pourcentage ou un multiple de ses
9
revenus nets. C’est pourquoi de nombreux locateurs comprennent l'importance de passer aux
locataires toutes les dépenses dans la plus large mesure possible pour garantir un flux constant de
revenus nets de loyers.
Du point de vue d’un locataire, le loyer de base ou loyer minimum est censé couvrir le
coût d’acquisition et de construction du bien, de même que les coûts de réparations et de
remplacements majeurs des composantes principales et des équipements de l'immeuble.
L'immeuble est uniquement loué et non acheté. Un locataire considérera généralement la
structure d’un immeuble, y compris le toit et les systèmes mécaniques principaux, tels que les
ascenseurs, les escaliers, le chauffage, la ventilation et le système de conditionnement de l’air,
comme appartenant au locateur et soutiendra que les coûts de réparation et de remplacement de
la structure et des systèmes mécaniques de l’immeuble, qui apportent au locateur une
augmentation de la valeur nette de l'immeuble ne devraient pas être chargés aux locataires. Un
locataire prétendra également qu’il ne devrait pas être obligé d’engager des dépenses au cours de
la durée du bail qui fera bénéficier le locateur d’un profit à la fin de la durée, en raison des
améliorations apportées à l’immeuble à ses dépens. Imaginez le fardeau pour un locataire dont le
bail exige qu’il rembourse le coût total du remplacement du toit de l'immeuble pendant les
dernières années de la durée.
Parfois, un locataire possédant de bons pouvoirs de négociation, réussira à faire en sorte
que le locateur exclut ou plafonne certaines dépenses en capital. Cependant, dans le marché
actuel des bureaux à louer de première qualité au centre-ville, il est de plus en plus accepté que
certaines dépenses en capital fassent partie des frais d’exploitation remboursés par les locataires,
sous réserve qu’ils soient amortis correctement.
Clarté et précision pour rendre exécutoire
Afin d'imputer à un locataire le coût de dépenses en capital et de réparations majeures, un
locateur doit être le plus précis possible dans son bail. Les clauses doivent être clairement
rédigées afin d’être exécutoires. En fait, le Code civil du Québec stipule de façon spécifique que
pour pouvoir être exécutoire, une obligation doit être déterminée ou déterminable.
10
La décision qu’a rendue en 2000 la Cour d’appel dans l’affaire Skyline Holdings Inc. v.
Scarves and Allied Arts Inc. démontre l’importance de formuler clairement dans un bail la clause
concernant les frais d’exploitation si un locateur désire pouvoir recouvrir les dépenses en capital
et le coût des réparations ou de remplacements importants. Dans cette cause, un locateur a
engagé une dépense de 262 000 $ pour remplacer le toit de l'immeuble. Le locateur a inclus cette
dépense dans les frais d’exploitation imputés aux locataires de l’immeuble sur une période de
trois ans. Deux des locataires de l’immeuble, possédant des baux pour des durées de cinq ans, se
sont opposés à payer pour cette dépense.
La définition que donne le bail des frais d’exploitation indiquait que des dépenses en
capital n’étaient pas recouvrables:
« Les frais d’exploitation doivent inclurent tous les coûts raisonnables ordinairement
imputables aux revenus provenant de l’immeuble et sans restreindre la généralité de ce qui
précède, ils doivent inclurent le chauffage, l’éclairage et l’électricité, les assurances, les taxes
spéciales, les licences et les honoraires, les réparations, l’entretien, les coûts de construction et de
nettoyage, l’approvisionnement, les salaires, la surveillance, le refinancement et tous les autres
frais et dépenses payés ou payables relativement à l'exploitation de l’immeuble, mais ne doivent
pas inclure le revenu d’impôts sur bénéfices ou des paiements qui constituent du capital et des
prêts ou des hypothèques. » [traduction] (C’est nous qui soulignons)
Le locateur a insisté sur le fait que les coûts de remplacement du toit pourraient être
imputés en tant que frais d’exploitation parce qu’ils ne représentaient pas une dépense en capital
selon la position du ministère du Revenu du Québec suite à la décision rendue dans l’affaire
Goyer.
La Cour a soutenu que la jurisprudence relative à la fiscalité n’était pas un guide fiable
pour tenter d’interpréter le bail entre les parties. La Cour considère que la définition des frais
d’exploitation dans le bail n’était pas assez claire pour permettre au locateur d’imputer une
dépense aussi importante étant donné que l’énumération des dépenses mis en évidence dans la
clause concernant les frais d’exploitation représentait des dépenses ordinaires. La Cour a conclu
que le coût de remplacement du toit était une dépense extraordinaire qui ne pouvait être
11
caractérisée de dépense ordinaire. Une telle caractérisation n’aurait pu être possible que si une
clause précise du bail avait stipulée cette dépense de façon plus claire.
Comment amortir des dépenses en capital?
Le délai choisi par un locateur pour amortir des dépenses en capital aura une incidence
sur les frais d’exploitation devant être payés par les locataires de l’immeuble au cours de la durée
du bail.
Pour un locataire, le délai d’amortissement d’une dépense en capital devrait être aussi
longue que possible. Un locataire insistera sur le fait que ce qui a une durée de vie prévue de plus
d’un an devrait être amorti au cours de sa durée prévisible de vie utile. En ce sens, le locataire ne
payerait pas au cours de la durée du bail pour les améliorations dont il ne profitera pas à partir du
moment de l'expiration du bail.
Un locateur voudra amortir les dépenses conformément aux principes comptables
généralement reconnus ou au moyen d’une méthode accélérée d’amortissement qui lui permet
d’avoir le plus de flexibilité possible dans le choix de la période au cours de laquelle il amortira
les dépenses en capital. Un locateur voudra également être en mesure d’ajuster l’amortissement
d’une année à l’autre. Si le locateur possède la flexibilité d’amortir les dépenses en capital sur
une courte période de temps ou de les rajuster chaque année, un locataire peut être pénalisé en
prenant en charge un fardeau plus important et en devant payer pour les dépenses en capital dont
les avantages n’apparaîtront qu’un certain nombre d’années après le terme de son bail.
Habituellement, un locateur voudra également imputer des intérêts sur le solde des
dépenses en capital non amorties. Le but du volet intérêts est de rembourser au locateur le prix de
revient des fonds qu’il a avancés et qu’il a mis à la disposition du locataire. Le locateur se
considère comme un banquier pour le locataire et impute habituellement une part d’intérêts sur
les dépenses en capital. Un locataire voudra pouvoir discuter en cours de négociations d’un bail
du taux d’intérêt qui sera imputé par le locateur, et ne voudra habituellement pas payer plus que
quelques points de pourcentage sur le taux d’intérêt « préférentiel » courant ou voudra utiliser le
taux d’intérêt chargé au locateur par son institution financière.
12
Conclusion
En conclusion, comme nous l’avons vu, les dépenses en capital ont une certaine
signification en vertu de principes comptables et des lois fiscales. Les nombreuses décisions qui
traitent de cette question démontrent qu’il s’agit d’un concept en évolution. Les baux étant des
contrats négociés entre deux parties ayant certains pouvoirs de négociation, peuvent contenir des
clauses qui n’ont rien à voir avec les principes comptables ou les lois fiscales. Cependant, les
clauses qui traitent du paiement de dépenses en capital doivent être clairement rédigées afin
d’éviter des litiges et un argument à l'effet qu’elles ne sont pas exécutoires en ce qu’elles ne sont
pas assez claires.