LMV21 DossierFMC Evenement thrombo

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LMV21 DossierFMC Evenement thrombo
formation
Médicale
continue
Un évènement thrombo-embolique
veineux survenu en présence
d’un agent dopant est-il toujours
idiopathique ? (mécanisme assimilable
à une contraception orale).
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Emmanuelle Le Moigne ([email protected]) Département de médecine interne et pneumologie, CHRU Brest
Introduction
Données pré-cliniques
Un évènement thromboembolique veineux (EVTE) est
idiopathique quand il survient sans facteur transitoire
majeur et sans facteur favorisant. La mise en évidence
de facteurs favorisants a un double intérêt: supprimer
si possible ce facteur déclenchant et évaluer le risque
de récidive.
Les modifications de l’hémostase et des vaisseaux
liées à certains produits dopants majeurs, stéroïdes
androgéniques anabolisants (SAA) et érythropoïétine
(EPO) sont bien étudiés. Les SAA agissent à la fois
sur l’hémostase primaire, la coagulation, la fibrinolyse
et entraînent polycythémie et hyperviscosité (3,4).
L’EPO stimule l’érythropoïèse mais provoque aussi une
hypercoagulabilité, une stase veineuse et des lésions
des vaisseaux (5). Des études récentes ont aussi montré
que l’excès d’hormones thyroïdiennes entraîne de façon
dose-dépendante une augmentation des facteurs de
coagulation (fibrinogène, facteur Willebrand, F VIII, F
IX, F X) et une inhibition de la fibrinolyse (PAI-1, temps
de lyse du caillot (6).
En effet, ce risque est estimé à 3% après 5 ans en cas
de EVTE post-chirurgie, 15% après 5 ans pour les MVTE
provoquées par d’autres facteurs réversibles (grossesse,
traumatisme des membres inférieurs, voyages…) et
30% après 5 ans pour les EVTE idiopathiques (1,2).
On peut considérer qu’un facteur est imputable s’il
existe des arguments biologiques de causalité, une
chronologie compatible et un lien statistique. Si le
produit dopant est un facteur déclenchant imputable,
on s’attend d’une part à une augmentation du risque
d’EVTE chez les usagers et d’autre part à un taux faible
ou intermédiaire de risque après l’arrêt du produit.
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Epidémiologie
Les données épidémiologiques impliquant les produits
dopants proviennent de cas cliniques isolés chez des
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Par contre, nous n’avons aucune donnée épidémiologique
sur le risque de récidive après arrêt du produit dopant.
C’est pourquoi nous nous sommes proposé de considérer
les données concernant la contraception orale dont le
mécanisme d’action sur la coagulation est proche de
celui des produits dopants.
Le cas de la contraception orale
sportifs ou d’études chez des sujets malades utilisant
les produits incriminés à visée thérapeutique. Les doses
utilisées pour le dopage sont souvent beaucoup plus
importantes, les effets à long terme sont inconnus et
enfin les patients associent souvent les produits dopants.
Le rôle des SAA est bien établi dans la surmortalité
globale chez les athlètes et dans la mort subite chez
l’athlète (7). Sur 2250 morts subites autopsiées,
108 concernaient des patients sportifs amateurs et
12 des athlètes; 6 d’entre eux avaient une histoire
de prise de SAA. Les lésions cardiaques observées
chez les utilisateurs de SAA ont été reproduites
expérimentalement chez l’animal après administration
de norethandrolone (8).
En ce qui concerne les thromboses veineuses, le risque
lié aux stéroïdes anabolisants est moins documenté.
Il n’existe dans la littérature que des cas cliniques
rapportant des thromboses survenues de façon
concomitante à la prise de SAA (4,9,10,11).
La contraception oestroprogestative (COP) utilisée par
voie orale ou transcutanée (patch ou anneau) entraîne des
modifications bien connues de l’hémostase. L’intensité
des anomalies de l’hémostase varie en fonction de
la voie d’administration, de la dose d’oestrogène et
de la molécule progestative utilisée. On observe une
hypercoagulation secondaire à une augmentation
des facteurs de coagulation (fibrinogène, VII, VIII et
X), une diminution des inhibiteurs physiologiques de
la coagulation (antithrombine III, protéine S) et une
résistance acquise à la protéine C activée. La deuxième
modification concerne l’augmentation de la fibrinolyse
avec augmentation des taux de plasminogène et
diminution des taux d’inhibiteur de l’activateur du
plasminogène. Enfin, il existe une augmentation des
marqueurs d’activation de la coagulation (fragments
1+2 de la prothrombine, complexes thrombineantithrombine, D-dimères)(15,16). Ces anomalies
disparaissent progressivement dans les trois mois qui
suivent l’arrêt de la contraception oestroprogestative.
Sur le plan épidémiologique, le risque d’EVTE sous
pilule oestroprogestative est bien connu. Deux études
récentes (en Norvège et aux Pays-Bas) nous confirment
que le risque est multiplié par 2 à 4. Le risque est plus
élevé pendant la première année d’utilisation, lorsque
la dose d’oestrogène est plus élevée et en fonction
du progestatif associé. Les pilules de 3ème génération
présentant un risque plus élevé que les pilules de
deuxième génération. (17,18).
Pour mémoire, le risque relatif de MVTE après chirurgie
orthopédique est nettement plus élevé, supérieur à 10
(4,5% dans le premier mois)(19,20).
Pour l’EPO, la plupart des études montrant une
augmentation du risque de thrombose veineuse ont été
réalisées chez les patients cancéreux (5). Une étude de
population réalisée en Norvège a mis en évidence un surrisque de MVTE chez les hommes ayant un hématocrite
>46% par rapport aux hommes ayant un hématocrite
<43% (RR : 2.4) (IC 95% : 1.36-4.15)(12).
Par contre, le risque de récidive après une thrombose
veineuse sous pilule est mal connu.
Le risque est très élevé (21%) en cas de poursuite
ou de reprise de la contraception oestro-progestative
(21). Lorsque la contraception est arrêtée, on ne sait
pas si le risque de récidive est moins important chez
les femmes qui prenaient la pilule et avaient donc un
facteur déclenchant réversible, par rapport aux femmes
qui ne prenaient pas d’hormones lors de l’EVTE.
Le rôle de l’excès d’hormones thyroïdiennes sur le risque
de MVTE a été montré récemment dans deux études castémoin. Le risque semblait particulièrement important
dans les six mois suivant un dosage élevé de T4 (OR :
9.9 (IC 95%)(13)(14).
Il n’existe pas d’essai randomisé évaluant ce risque
mais plusieurs études de cohorte prospective permettent
d’étudier le risque de récidive lié au sexe et au contexte
hormonal. Une méta-analyse récente de 7 cohortes
prospectives concernant 1268 femmes, dont 390 sous
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traitement hormonal au moment de l’EVTE (27 femmes
sous contraception oestroprogestative), montre une
réduction du risque de récidive, uniquement pour les
évènements idiopathiques, chez les femmes initialement
exposées à une COP (hasard ratio : 0.39, IC95%: 0.160.91)(22). Dans l’étude de cohorte REVERSE, chez des
patientes présentant un premier épisode thrombotique
idiopathique majeur (phlébite proximale ou embolie
pulmonaire), le risque de récidive était identique chez
les femmes exposées ou non aux oestrogènes lors
de l’épisode initial (hazard ratio : 0.6, IC95% :0.12.8, p=0.51)(23). Chez les patientes incluses dans
l’étude brestoise EDITH, le risque de récidive après un
premier épisode thrombotique idiopathique majeur était
identique chez les femmes sous COP (n=102) et les
femmes sans exposition hormonale initiale (n=32)(ratio
d’incidence : 0.7, IC95% :0.2-2.4, p=0.59)(données
personnelles).
Conclusion
Il existe des arguments physiopathologiques
d’imputabilité des thromboses veineuses à plusieurs
classes d’agents dopants. Cependant, les données
cliniques sont de faible niveau d’évidence car elles se
résument à des cas isolés et à des études dans des
populations non comparables. Il paraît difficile de
mener des études chez les usagers de produits dopants,
et en particulier d’étudier de façon isolée le rôle des
multiples produits consommés.
En pratique, il paraît souhaitable d’exclure le produit
dopant et donc d’interroger les patients sportifs sur
la prise éventuelle de ces produits. Par contre, si l’on
considère l’exemple de la contraception orale, l’arrêt du
produit ne protège pas des récidives.
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