Eyes Wide Shut - Aids

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Eyes Wide Shut - Aids
MÉDECINE | SOCIÉ TÉ | DROIT
Swiss Aids News
1 | MARS 2012
Eyes Wide Shut
PROGRAMME NATIONAL VIH/IST
3 Stigma lié au VIH: hypocrisie communautaire?
SOCIÉTÉ 
4 Eyes Wide Shut – le VIH et la communauté
6 «Je n’ai jamais eu peur»
13 «Ici, nous sommes entre de bonnes mains»
MÉDECINE 
8 Stress psychique
9 «Il en coûte de gérer la différence»
11 Important: prévention du cancer de l’anus
12 Problématique: l’hépatite C
DROIT
14 Safari à travers la jungle juridique
16 Quels coûts sont pris en charge par la caisse
pour les dépressions?
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IMPRESSUM
Edité par
Aide Suisse contre le Sida (ASS)
Office fédéral de la santé publique (OFSP)
Rédaction
lic. phil. Stéphane Praz (sp),
rédacteur en chef
Brigitta Javurek (bj), journaliste RP
Dr iur. LL. M. Caroline Suter (cs)
lic. phil. Claire Comte (cc)
lic. iur. Dominik Bachmann (db)
David Haerry, Conseil Positif Suisse (dh)
Shelley Berlowitz (ShB)
Version française
Jaime Calvé, Bâle
Inter-Translations SA, Berne
Transit TXT, Fribourg (droit)
Mise en pages et présentation
Ritz & Häfliger, Visuelle Kommunikation, Bâle
SAN no 1, mars 2012
Tirage: 5500, parution bimestrielle
© Aide Suisse contre le Sida, Zurich
Les SAN bénéficient du soutien
de l’Office fédéral de la santé publique,
d’Abbott SA,
de Boehringer Ingelheim (Schweiz) SA,
de Tibotec, a Division of Janssen-Cilag SA,
de ViiV Healthcare GmbH
Les partenaires industriels des Swiss Aids News
n’exercent aucune influence sur son contenu.
Pour vos communications
Rédaction Swiss Aids News
Aide Suisse contre le Sida
CP 1118, 8031 Zurich
Tél. 044 447 11 11
Fax 044 447 11 12
[email protected]
www.aids.ch
Photo de couverture
© Jakob Fridholm / Johnér Images / Corbis
Les photos dans cette brochure servent à l’illustration. Les personnes montrées sont des modèles.
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Swiss Aids News 1 | mars 2012
Chère lectrice,
Cher lecteur,
La prévalence de l’infection à VIH est très élevée parmi les homosexuels. Dans
­aucun autre groupe, les personnes séronégatives aussi doivent-elles à ce point être
conscientes de la présence du virus. Les militants gays ont nettement marqué la lutte
contre la maladie depuis le commencement. Les constats d’une analyse récemment
publiée sont d’autant plus stupéfiants: les préjugés et l’ignorance qui entourent le
VIH sont largement répandus au sein de la communauté gay également. De nombreux
homosexuels séropositifs souffrent de la stigmatisation qui en découle. Le présent
numéro en aborde les conséquences, non seulement pour les homosexuels séropositifs,
mais aussi pour l’ensemble de la communauté gay.
Le stigmatisme du VIH est aussi présent dans le thème qui suit: la santé psychique
des homosexuels séropositifs. Dans une interview, Stephan Dietiker, psychologue
au Checkpoint Zurich, aborde leurs problèmes particuliers. Et nous dit s’il faut être
soi-même gay pour conseiller des gays séropositifs, ou séropositif, ou les deux.
Le présent numéro aborde encore d’autres thèmes comme la prévention du cancer
de l’anus et la prévention de l’hépatite C. Et nous donnons un aperçu des principaux
thèmes juridiques pouvant concerner les gays séropositifs. Par ailleurs, un week-end
Queer+ se prête idéalement aux réponses à toute question additionnelle. Pour en
savoir plus, aller à la page 13.
Stéphane Praz
Rédacteur en chef des Swiss Aids News
P R O G R A M M E N AT I O N A L V I H / I S T P N V I
La stigmatisation des personnes séropositives
parmi les gays: un cas d’hypocrisie communautaire?
Les gays ne sont pas moins discriminants et insensibles envers
leurs pairs que le reste de la population générale. Les termes
de «folles», «bears» ou «daddies» sont des traces linguistiques
d’une stigmatisation de personnes qui ne répondent pas au type
idéal gay que l’on admire principalement dans les magazines.
Cet idéal est jeune, beau, viril, bien musclé, toujours à la mode,
en bonne santé, intelligent, créatif et capable de prouesses
sexuelles. Tous ne correspondent (évidemment) pas à cet idéal.
Les hommes trop gros, trop vieux, trop féminins, trop laids, et
naturellement les hommes séropositifs, peuvent rapidement
se trouver isolés du reste de leur communauté.
Si l’on peut difficilement cacher son surpoids ou son âge avancé,
les personnes séropositives peuvent garder leur statut sérologique
sous silence et se protéger d’un rejet social, affectif et sexuel. Or,
ce silence est souvent lourd à porter car il mène à une autre forme
d’isolement. Les hommes gays séropositifs doivent faire face à un
double coming out: celui d’homosexuel dans une société majoritairement hétérosexuelle, et celui de porteur du virus du sida
vis-à-vis de leurs proches, parfois de leurs collègues de travail,
de leurs partenaires sexuels occasionnels, mais surtout vis-à-vis
de leur partenaire stable potentiel. A l’instar d’une normalisation
toujours plus grande de l’homosexualité dans les sociétés occidentales, le VIH ne devrait plus être un obstacle à la recherche
d’un partenaire stable ou occasionnel au sein d’une communauté
qui compte environ 10-15% de personnes séropositives et qui sait
mieux que quiconque comment se protéger efficacement d’une
infection. Et pourtant, cet obstacle est loin d’avoir disparu.
«Les hommes gays diagnostiqués séropositifs ne
représentent pas un danger pour leur communauté.»
est d’autant plus grande sachant que chaque gay entretient tôt ou
tard des rapports sexuels protégés avec un homme séropositif sans
le savoir et sans que ceci n’aboutisse à une infection. En outre, il
est aujourd’hui avéré que les personnes séropositives suivant un
traitement antirétroviral, ayant une virémie indétectable depuis
au moins six mois et n’ayant pas d’autres IST, ne transmettent pas
le VIH.
Du safer sex au safe sex
En somme, avoir des rapports sexuels protégés avec un partenaire
séropositif sous traitement et avirémique correspond en termes de
VIH à du safe sex – un échelon supérieur au safer sex. Les hommes
gays diagnostiqués séropositifs ne représentent pas un danger pour
leur communauté. Ces personnes sont prises en charge, traitées,
suivies et responsables en adoptant des comportements préventifs
après leur diagnostic. Les hommes qui entretiennent, en revanche,
des rapports sexuels non protégés sur la base de leur dernier test
VIH négatif constituent les principales sources de transmission.
Persuadés de gérer correctement leurs risques dans leurs relations
de confiance, une fraction de ces hommes s’infecte, puis transmet
le virus, sans le savoir, à leur partenaire stable et/ou leurs amants
durant la phase hautement infectieuse de la primo-infection qui
dure de trois à six mois.
Il est temps pour les gays de briser le tabou du VIH dans leur
communauté et de les encourager à parler ouvertement dans leur
couple des éventuelles prises de risque hors de leur relation. C’est
aussi en apprenant à évaluer correctement ses risques (dans les
Checkpoints et les centres VCT) et en parlant en toute transparence
de son statut VIH que la prévention gagnera en efficacité.
Steven Derendinger, chef de projet MSM/MSW
section Prévention et Promotion, OFSP
Bien heureux les ignorants?
Nombreux sont les gays qui n’éprouvent aucune difficulté à avoir
des rapports sexuels protégés avec des partenaires dont ils ne
connaissent pas le statut sérologique. Ils se sentent, par contre,
insécurisés aussitôt qu’ils apprennent la séropositivité de leurs partenaires. S’agit-il de vieilles peurs d’une maladie autrefois mortelle
ancrées dans la mémoire collective d’une population traumatisée
par l’épidémie du sida ou est-ce la conscience de s’exposer à un
risque théorique d’infection qui incitent certains gays à repousser
leurs pairs ayant été diagnostiqués VIH-positif? Quelle que soit la
réponse, ce rejet n’est pas justifié et relève d’un manque d’honnêteté intellectuelle et d’une forme d’hypocrisie communautaire.
Après 30 ans de prévention VIH, l’efficacité du préservatif
n’est plus à discuter. Si l’on considère le nombre moyen de partenaires sexuels par individu dans la population gay, l’hypocrisie
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SOCIÉTÉ
Eyes Wide Shut – le VIH et la communauté
Les gays séropositifs sont rarement l’objet de discrimination directe au sein de la communauté gay. Ils se voient cependant confrontés à des préjugés dans de nombreuses situations
et, parfois même, à de frappantes fausses idées. Or, une attitude éclairée face au VIH serait
un gain pour tous, séropositifs comme séronégatifs.
«Lorsqu’ils sont informés du
statut séropositif de l’autre,
ils tombent des nues et se
détournent.»
«Toi? Séropositif? Tu n’as pas du tout l’air malade.» Plus d’une personne séropositive aura
déjà entendu ce genre de réflexion. La phrase
stigmatise inconsciemment, car elle trahit
l’idée que se fait l’interlocuteur des personnes
séropositives: elles sont surtout malades, et
cela se voit. Et cette remarque montre par ailleurs que les préjugés et l’ignorance sur le VIH
restent très répandus. Que ce soit aussi le cas
parmi les gays, un groupe fortement touché par
l’infection à VIH depuis plus de 25 ans, peut
étonner. Les auteurs de l’article récemment
paru sur la stigmatisation du VIH au sein de
la communauté homosexuelle e ont compilé,
puis analysé les résultats de plusieurs études.
Leur conclusion: les gays séropositifs font l’objet
de discriminations au sein de la communauté.
Stephan Dietiker, psychologue au Checkpoint Zurich, renvoie aux causes du stigmatisme: «Le VIH souffre d’une connotation négative à plus d’un égard: maladie, tabou, angoisse
et terreur des années 80. La stigmatisation a
plus d’un visage: de la discrimination avec les
prestations d’assurance, jusqu’au rejet à l’occasion d’une rencontre, en passant par l’attitude
maladroite d’amis face à l’inconnu. La propre
angoisse peut aussi s’avérer stigmatisante.»
Oliver, séropositif depuis neuf ans, connaît le
problème. «Dans le petit univers gay, du moins
dans l’espace urbain, la plupart réagissent généralement de manière relativement sereine.
Mais il existe aussi un certain nombre de
gays qui prennent leurs distances, dès qu’ils
apprennent le statut séropositif. C’est pourquoi
beaucoup de séropositifs ne parlent guère de
leur infection autour d’eux.»
Que signifie cela dans la réalité?
Remarque
e Smit et al. (2011): Das HIV-Stigma innerhalb homosexueller Gemeinschaften:
Eine Auswertung der Literatur, Originalartikel (englisch) online (ahead of print), paru
le 25/11/2011 dans AidsCare.
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Les exemples de stigmatisation sont multiples:
idée fausse que les séropositifs sont mortellement atteints, qu’ils ne fonctionnent pratiquement plus, rejet sexuel des séropositifs (alors
que la pratique du safer sex et une charge
virale supprimée empêchent aujourd’hui une
transmission de l’infection avec une fiabilité
absolue), l’idée qu’il appartient uniquement
aux séropositifs d’éviter les transmissions, les
reproches de culpabilité («il aurait pu se protéger»). «Le rejet sexuel est fréquent», confirme
Oliver. «Certains gays sont disposés à avoir des
rapports non protégés, sans demander le statut
de leur vis-à-vis. Mais, lorsqu’ils sont informés
du statut séropositif de l’autre, ils tombent des
nues et se détournent.» Pour lui, le principal
problème vient du fait que l’on ignore tout simplement le thème du VIH au sein de la communauté: «On vit ainsi caché d’une certaine
manière.»
Conséquences pour les
séropositifs
Beaucoup de séropositifs ne se voient pas en mesure de parler de leur infection à leurs proches,
par crainte de la stigmatisation. Dietiker voit
aussi un problème dans la perception de soi: «Le
sentiment de honte et de culpabilité est très présent dans l’infection à VIH: ‹Ma vie est ruinée, et
c’est de ma faute› – difficile à ­étaler devant les
amis, les parents … – même si, naturellement, ce
n’est pas juste.» Par conséquent, les personnes
affectées s’isolent elles-mêmes, pour éviter
d’emblée tout événement stigmatisant potentiel. Oliver dit: «Cela pèse de ne pouvoir le dire
à personne, ou à un petit nombre seulement,
surtout les premiers temps après le diagnostic. Ne pas pouvoir expliquer pourquoi l’on se
sent mal, passer sous silence les visites chez le
médecin, taire le séminaire sur le Stoos, cacher
les médicaments à la maison et les prendre de
sorte que personne ne remarque rien. Avec le
temps – c’est mon expérience après neuf ans
avec le VIH – on s’y habitue.»
La difficile recherche de partenaires de vie
ou de partenaires sexuels donne souvent lieu
à des expériences marquantes. Selon la situation personnelle, la confiance en soi peut en
ressortir durement et durablement atteinte. Et
l’isolement s’en trouve encore accentué.
Certaines études montrent que les hommes
séropositifs souffrent bien plus souvent de
­ épressions que les gays séronégatifs. «La
d
honte et la culpabilité sont des sentiments
autodestructifs et peuvent avoir des répercussions terribles sur l’équilibre psychique. Il
faut affronter la situation, il faut des encouragements et de la proximité pour intégrer un tel
événement dans la vie», estime Stephan Dietiker. Des études montrent que les symptômes
dépressifs, les idées de suicide, les sentiments
d’angoisse et la solitude ont un lien direct avec
le stigmatisme du VIH chez les hommes séropositifs.
Le stigmatisme du VIH a un impact extrêmement défavorable, à l’intérieur de la communauté gay aussi. Les tests de dépistage du VIH
sont moins nombreux lorsqu’il faut s’attendre
à être discriminé. «J’entends souvent dire que
certaines personnes ne font pas le test parce
qu’elles ont peur d’avoir contracté l’infection,
mais se disent plutôt, ‹ce que je ne sais pas ne
me préoccupe pas›» dit Dietiker. Cette attitude
est fatale, car le diagnostic est souvent l’occasion de mieux se protéger, et permet d’obtenir
une thérapie – élément essentiel tant pour la
santé personnelle que pour la prévention.
En outre, le stigmatisme du VIH fait qu’un
certain nombre de personnes séropositives
n’informent par leurs partenaires sexuels de
leur infection. Un entretien franc sur la meilleure stratégie pour se protéger n’est ainsi pas
possible. Tandis que la majorité des séropositifs
ont un comportement sexuel responsable, le
stigmatisme du VIH peut favoriser un comportement à risque dans certains cas. Une étude
américaine effectuée auprès de gays séropositifs pratiquant intentionnellement des rapports sexuels non protégés par voie anale a
révélé que ce comportement s’expliquait en
partie par le stigmatisme ressenti de l’infection
à VIH – en plus du stress lié à l’homosexualité,
aux reproches intérieurs et à la toxicomanie.
Les choses avancent lentement –
mais elles avancent
Oliver voit des signes d’amélioration dans la
communauté gay sur la manière de gérer l’infection à VIH: «Je pense qu’il était bon de publier
la déclaration de la CFPS. A savoir de mentionner que les personnes séropositives suivant
un traitement ne sont plus ­contagieuses.» Or,
© Miroslaw Oslizlo / iStockphoto
Conséquences pour
la communauté gay
le message n’est pas encore passé partout. Et
d’autres aspects, comme les images horribles
de la maladie, ne sont guère faciles à chasser
des esprits.
Une chose est claire: il faut poursuivre sans
relâche le travail d’information pour que les
séropositifs puissent tout naturellement vivre
comme membres de la communauté gay. Le
VIH est, dans la réalité, une partie de la communauté gay. Il est important qu’il soit perçu
de façon correspondante par les gays – dans
l’intérêt de tous les gays séropositifs, dans
l’intérêt de tous les gays.
sp
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SOCIÉTÉ
«Je n’ai jamais eu peur»
Dani, 39 ans, est spécialiste en in­
formatique; il travaille à mi-temps,
prépare sa maturité en parallèle, est
gay, et séropositif depuis douze ans.
De nombreux gays séropositifs passent
leur infection sous silence par crainte
d’être discriminés et stigmatisés. Toi,
par contre, tu vis ouvertement ton infection. Qu’est-ce qui te motive?
Le VIH fait partie de moi. Et je ne souhaite pas cacher cette partie. Si je cache
le VIH aux autres, je cache ma propre
personne. Je vis depuis douze ans avec la
maladie, et je vis bien avec elle. Je crois
que c’est important: si l’on a personnellement une bonne relation avec la maladie,
on n’a aucun problème non plus à en
parler.
Et comment fais-tu?
«Au début, je cherchais à
dessein un entretien direct en
tête-à-tête avec les personnes
qui me tenaient à cœur.»
Ce n’est pas que j’ai besoin de parler de
mon infection à tout moment et partout.
Au début, je cherchais à dessein un
entretien direct en tête-à-tête avec les
personnes qui me tenaient à cœur. «Mes
gens» sont tous informés entre-temps. Aujourd’hui, je décide si c’est opportun d’en
parler selon la situation. Car, comme je
l’ai dit, l’infection fait partie de moi, mais
n’est justement qu’une partie de moi.
Cependant, il arrive régulièrement que
je corrige de fausses vues et idées sur
le VIH, et je suis d’autant plus crédible
lorsque je laisse entendre que l’information vient de première main pour ainsi
dire.
Etait-ce immédiatement clair pour
toi après le diagnostic que tu voulais
communiquer ouvertement?
Au début, j’étais naturellement sous le
choc. J’ai eu besoin d’un certain temps
pour bien réfléchir à la question. Dans
une telle situation, l’on n’est pas encore
prêt à en parler à autrui – hormis à
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Swiss Aids News 1 | mars 2012
d’autres séropositifs. Et j’ai heureusement
pu le faire, car j’avais quelques amis
qui étaient séropositifs depuis quelques
années. J’avais déjà parlé de l’infection à
VIH avec eux, et je les ai ensuite rencontrés plus fréquemment pour leur demander: «Comment avez-vous vécu tout cela?
Comment avez-vous géré la situation?»
Par ses amis, j’ai su d’emblée que le VIH
n’était pas la fin, la catastrophe absolue.
C’est pourquoi je n’ai jamais eu peur.
Bien sûr, le fait de n’avoir jamais caché
mon homosexualité m’a aussi aidé. Par
chance, mon éducation s’était inscrite
dans une grande ouverture d’esprit, de
sorte que j’ai pu révéler mon homosexualité sans problème à mes parents à l’âge
de 16 ans déjà. Ces expériences positives
m’ont encouragé à vivre ouvertement
mon infection à VIH également.
«Dans de tels moment, on pourrait
insister pour avoir des rapports protégés, sans rien dire de l’infection.»
As-tu été l’objet de discrimination?
Pas de façon immédiate ni directe.
Indirectement, oui. Par exemple, lorsque
je constate que mon vis-à-vis s’attend à
des rapports sexuels non protégés, alors
qu’il ne connaît pas mon statut. Peut-être
même quelqu’un qui «n’irait jamais au
lit avec un séropositif». On voit là clairement transparaître l’idée qu’il appartient
uniquement et exclusivement aux séropositifs d’empêcher une transmission du
VIH. Et, que si le partenaire ne dit rien,
il est certainement séronégatif. Dans de
tels moments, on pourrait insister pour
avoir des rapports protégés, sans rien
dire de l’infection. Mais je préfère que les
choses soient claires, et, dans la plupart
des cas, il n’y a pas de rapports sexuels
en fin de compte. Beaucoup de gays
semblent prendre goût à la roulette russe,
mais ils estiment trop dangereux des
rapports sexuels sûrs avec un séropositif.
A tout point de vue un comportement
particulièrement idiot, et très vexant en
principe. Je dois cependant ajouter que je
perds moi aussi tout intérêt dans ce genre
de situation. Un tel comportement en dit
finalement plus sur mon vis-à-vis que sur
moi-même.
«Le VIH comme partie intégrante
de la communauté gay, comme une
partie de notre sexualité»
Il est aussi désagréable d’être réduit
par les autres à sa seule infection. Dani
n’est plus une personne aux nombreuses
facettes, mais uniquement le séropositif,
point final. Et certains prennent leurs
distances, simplement parce qu’ils
savent que l’on est séropositif. Certains
de mes amis ont directement appris que
quelqu’un ne voulait plus avoir affaire
avec eux – en raison de l’infection. Certains semblent craindre de devoir bientôt
s’occuper d’une personne gravement
malade. Cela ne reflète guère une vision
éclairée de l’infection à VIH.
Les connaissances sont donc généralement lacunaires au sein de la communauté gay?
Absolument. Ou, autrement dit, parce
que beaucoup ne se penchent pas sur
le thème du VIH, et qu’ils ont des idées
surannées qui ne correspondent plus à
la réalité. Des idées qui se sont gravées
dans la conscience collective voilà des
années, des images fortes qui n’ont pas
évolué depuis. Par exemple, la publicité
de Benetton qui montrait un homme
famélique sur son lit de mort. Certaines
gens s’imaginent une infection à VIH de
cette manière aujourd’hui. De telles
photographies sur la maladie me dérangent évidemment comme séropositif.
D’un autre côté, beaucoup de gays
sont très bien informés sur le VIH, ils
connaissent la déclaration de la Commission fédérale pour les questions liées au
sida, savent ce qu’est une PPE, etc. Un
vaste travail de prévention et d’information est effectué dans les milieux gays.
Pourquoi à ton avis existe-t-il encore
autant de lacunes?
Ce n’est pas tant que cela un manque de
savoir, mais plutôt un refoulement collectif du thème de l’infection à VIH. Je pense
que c’est surtout lié à des angoisses.
L’idée d’être séropositif en terrorise plus
d’un. C’est pourquoi, on élude la question.
Premièrement, on ne veut pas admettre
les risques, ce qui fait que l’on finit par
prendre des risques et refuse ensuite de
passer le test de dépistage pour ne pas
devoir faire face à la maladie. Je connais
plusieurs exemples de personnes qui
menaient consciemment une vie sexuelle
très risquée, et n’ont cependant jamais
effectué le test. Aussi longtemps qu’elles
ne se trouvaient pas en très mauvaise
condition par suite d’une infection à VIH
avancée.
Tu vis ton infection ouvertement et
tu as fait beaucoup de bonnes expériences à cet égard. Recommandes-tu
cette même attitude à chacun?
on dirait que règne la devise: «Ce qui ne
peut être n’est pas». Les organisations
et les associations gays ne doivent pas
être les dernières à traiter le thème,
non pas comme le problème d’autrui,
mais comme partie intégrante de la communauté gay, comme une partie de
notre sexualité. Il doit de nouveau occuper une place ­centrale le jour de la SaintChristophe (CSD) – pas uniquement à
quelques stands marginaux – mais dans
les discours même des élus ou autres personnalités qui s’expriment lors du CSD.
Je suis conscient que la cohésion au sein
de la communauté gay n’est plus celle
d’il y a 20 ans, où l’on luttait justement
pour la «cause gay». Ce n’est pas mal pour
autant. Certains thèmes qui font partie
de l’homosexualité devraient de nouveau
revenir sur le devant de la scène. Entre
autres, des thèmes politiques aussi. Et
certainement le VIH.
Interview accordée à Stéphane Praz
Il n’existe aucune recommandation
à valeur universelle. Chacun doit décider pour soi et trouver sa voie, car les
situations individuelles peuvent beau­
coup varier. Pour ce qui concerne la
communauté gay, je pense quand même
que ce serait avantageux pour la plupart.
Quand je pense simplement aux rumeurs
qui peuvent circuler: on parle dans le
dos de nombreux séropositifs qui taisent
leur infection, car l’on a appris par des
voies détournées que, probablement,
etc. S’ils en parlaient ouvertement, les
­commérages ne seraient plus aussi
­passionnants pour les autres. Et c’est
justement les commérages qui empoisonnent la situation. Il est clair que
les séropositifs comme la communauté
gay dans son ensemble iront de l’avant
si les séropositifs s’affichent plus.
Comment atténuer le stigmatisme du
VIH dans la communauté gay?
Je crois qu’il faut surtout parler du combat contre l’ignorance. A l’heure actuelle,
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MÉDECINE
Stress psychique
Aide en cas de problèmes psychiques
Checkpoint Genève
Le harcèlement, la discrimination et la stigmatisation rendent malade. Proportionnellement,
les homosexuels souffrent plus souvent de maladies psychiques que la moyenne de la population. Le même tableau apparaît pour les hommes séropositifs. Le cadre social joue un rôle
prépondérant lorsqu’il s’agit de surmonter les problèmes. Et il existe des offres spéciales à
caractère professionnel pour les gays séropositifs.
Rue du Grand-Pré 9, Genève Grottes
Heures d’ouverture (sans rendez-vous):
lundi à mercredi de 16 h - 20 h, vendredi
de 12 h - 16 h.
Checkpoint Zurich
Konradstrasse 1, 8005 Zurich
Heures d’ouverture (sans rendez-vous):
lundi 14 h - 20 h, mercredi et vendredi
12 h - 20 h, dimanche 16 h - 20 h.
Le site Blues-out de Dialogai Genève
propose une foule d’informations, de conseils, d’adresses et d’indications sur la santé
psychique à l’attention de la communauté
gay: www.blues-out.ch/pages/gaysbis.php.
Queer-talk (consultation et psychothérapie) et Queer-help (soutien de la part
d’autres gays séropositifs) sont proposés
par le Checkpoint Zurich, dans le but
d’améliorer la santé psychique des gays
et des autres hommes ayant des rapports
sexuels avec des hommes (HSH):
http://checkpoint-zh.ch/service/queertalk/
http://checkpoint-zh.ch/service/queerhelp/.
Pour mener une vie de gay séropositif, il faut
avoir une bonne image de soi et un environnement sur qui compter dans un monde hétérosexuel. Or, c’est souvent ce qui fait défaut.
Les offres telles que les dispensent les checkpoints de Genève et de Zurich sont d’autant plus
importantes: les gays séropositifs y reçoivent
des informations de fond sur les maladies psychiques, des conseils pratiques, des services
professionnels d’assistance et peuvent y rencontrer d’autres gays séropositifs.
La Geneva Gay Men’s Health Study a été réalisée en 2007 par diverses universités suisses
avec le concours de Dialogai, la plus grande
organisation gay de Suisse romande; 571 gays
de Genève ont répondu aux questions posées.
L’analyse des résultats balaie bien des illusions.
Près de la moitié des participants sondés montraient des signes d’affection psychique. e
Chez les séropositifs aussi – gays ou non – le
nombre de maladies psychiques est disproportionnellement élevé. r De nombreux hommes
souffrent de dépressions profondes; d’autres,
de troubles anxieux et de phobies. Un nombre
substantiel a un problème d’alcoolisme ou de
toxicomanie.
«Les gays séropositifs parviennent
diversement à surmonter ces
­problèmes, selon leurs ressources
et leur environnement social.»
Pas encore d’authentique égalité
Remarques
e Wang et al.: High prevalence of mental
Gay Men’s Health Study. Soc Psychiatry
Psychiatr Epidemiol (2007) 42:414–420.
r Whetten et al.: Trauma, Mental Health,
Distrust, and Stigma Among HIV-Positive
Persons: Implications for Effective Care.
Psychosomatic Medicine (2008) 70:531–538.
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Swiss Aids News 1 | mars 2012
© Joan Vicent Cantó Roig / iStockphoto
disorders and comorbidity in the Geneva
Tant l’homosexualité que l’infection à VIH
restent stigmatisées dans notre société. Les
séropositifs sont confrontés à des peurs de
contagion irrationnelles dans leur entourage;
au travail, ils sont souvent victimes de harcèlement. En outre, leur couverture d’assurance
est inférieure, et la protection des informations
sur leur santé n’est pas garantie dans beaucoup
d’entreprises. Lorsqu’ils sont gays par-dessus
le marché, ils doivent énormément lutter pour
bloquer intérieurement la discrimination et le
mépris, et faire face à un environnement en
partie peu compréhensif à leur égard.
La combinaison de l’homosexualité et du statut séropositif peut nuire à la santé psychique.
Les traumatismes consécutifs à la violence
homophobe et/ou un diagnostic séropositif
sont difficiles à supporter. Les gays séropositifs parviennent diversement à surmonter
ces problèmes, selon leurs ressources et leur
environnement social. Certains ont un bon
poste, un cercle d’amis attentionnés et une
famille compréhensive. Dans le cas contraire,
le manque d’estime de soi, l’humeur dépressive
ou l’angoisse prennent le dessus (SAN 2/juin
2011), ce qui fait qu’un grand nombre de gays
séropositifs se renferment, et vont jusqu’à s’isoler socialement. Un cercle vicieux, car un environnement social bienveillant constitue une
des principaux facteurs de la santé psychique.
Il aide à surmonter le stress et à maîtriser les
crises de la vie. ShB
MÉDECINE
«Il en coûte de gérer la différence»
Les hommes viennent avec des dépressions ou des troubles anxieux, en raison
du stress avec leur partenaire ou leur
chef, ou parce qu’ils n’arrivent plus à
s’endormir sans un joint – en somme
des thèmes communs à d’autres cabinets
aussi, et cela concerne les clients séronégatifs comme les clients séropositifs.
Une infection à VIH peut constituer un
événement difficile à intégrer dans la
vie; nous parlons en l’occurrence d’un
trouble d’adaptation. Souvent, nous avons
affaire à une conjonction de plusieurs
facteurs stressants. Lorsqu’une séparation
vient s’ajouter à l’infection, que la situation professionnelle est instable, que la
personne traverse une crise personnelle
vers le milieu de sa vie, qu’elle n’arrive
plus à s’orienter, ou tout simplement
parce que c’est un peu trop à la fois.
pratiques envisageables pour leur problème, et comment y parvenir par étapes?
Cela fait que les psychothérapies durent
souvent moins longtemps que pour les
traitements où il faut remonter jusqu’à
l’enfance par exemple.
Parmi vos clients, vous comptez des
gays et d’autres qui s’entendent comme
hétérosexuels, mais ont occasionnellement des rapports sexuels avec des
hommes. Cette différence a-t-elle un
impact sur la thérapie?
Il existe une grande différence entre un
gay affirmé vivant en partenariat enregistré et un père de famille qui vit en secret
sa vie homosexuelle, et vient secrètement
en consultation. Il existe des HSH qui
considèrent, après avoir soupesé les
avantages et les inconvénients, qu’ils perdraient trop en affichant leur orientation
sexuelle. Je peux le comprendre, mais
cela a son prix – le bien-être psychique
aussi.
Qui paie la thérapie chez vous?
Quel rôle joue le cadre social?
Je peux proposer une psychothérapie
déléguée médicalement. Celle-ci est prise
en charge par l’assurance de base des
caisses-maladie.
Un bon réseau familial, un partenariat
stable, des solides amitiés, un emploi
sûr – tous ces facteurs ont un effet positif
sur la santé psychique. Lorsque tout cela
fait défaut, il apparaît bien plus difficile
de surmonter un diagnostic positif et
de gérer le stress psychique. Une part
importante de la consultation consiste
à observer: où aller chercher de l’aide?
Il est possible de s’appuyer sur de bons
amis ou sur des proches compréhensifs;
leur assistance est garantie. Or, ce rôle
peut aussi être assumé par des groupes
de personnes également affectées, par
exemple les queer-helper au Checkpoint.
Les consultations constituent-elles de
brèves interventions en situation de
crise, ou bien s’agit-il de psychothérapies d’une certaine durée?
Il y a des clients qui me consultent après
un résultat de test positif et requièrent
une intervention en situation de crise.
Ils retrouvent généralement leur stabilité
après deux à trois entretiens. D’autres
viennent avec des angoisses, un état
dépressif ou un traumatisme – dans ce
cas, la psychothérapie est naturellement
plus longue. J’ai tendance à privilégier la
recherche de solutions, c’est-à-dire que je
cherche avec mes clients une voie viable
pour le présent: à savoir, les solutions
© Photo: Regula Müdespacher
Stephan Dietiker, avec quels problèmes
les hommes qui entretiennent des
rapports sexuels avec d’autres hommes
(HSH) viennent-ils au Checkpoint?
Le psychologue Stephan Dietiker
tient depuis 2010 un cabinet de consultation psychologique pour les hommes
entretenant des rapports sexuels avec
d’autres hommes (HSH) dans le cadre
de l’offre dispensée par queer-talk au
Checkpoint Zurich. Environ la moitié
des hommes faisant appel à l’offre
sont séropositifs.
Un thérapeute doit-il être gay ou séropositif pour travailler auprès de HSH
séropositifs?
En principe, non. Voyons d’abord l’infection à VIH: un médecin ne peut pas avoir
Swiss Aids News 1 | mars 2012
9
MÉDECINE
eu lui-même toutes les maladies pour
comprendre les symptômes ou les guérir.
Et pour ce qui concerne l’homosexualité:
il existe beaucoup de bons thérapeutes
hétérosexuels, des femmes aussi, qui font
un excellent travail auprès des gays. Mais
l’homosexualité peut aussi présenter un
avantage pour le thérapeute. Ceux qui
viennent au Checkpoint savent ou supposent que je suis gay, et le souhaitent
aussi en règle générale. Les gays ne se
sentent pas toujours à l’aise lorsqu’ils
veulent parler avec un hétérosexuel de
rapports sexuels entre gays, ou encore
des lieux de rencontre gays.
Lorsque l’on pense à la communauté
gay, des concepts tels que «jeune»,
«dynamique», «séduisant», «bien situé»
viennent immanquablement à l’esprit.
A quoi ressemble la réalité?
Il existe de jeunes gays, très stylés, extrêmement séduisants, à qui tout réussit.
Mais il existe aussi un envers au décor.
La poursuite d’un tel idéal coûte énormément d’énergie. Certains vont au-delà de
leurs capacités physiques et psychiques:
ils travaillent à 120%, sortent beaucoup,
suivent des cours de formation continue,
font de la musculation, et prennent en
plus des anabolisants et des drogues.
Une chose après l’autre, les gars! C’est un
surmenage incroyable pour l’organisme
et pour le mental. Certains parviennent
mieux que d’autres à tout concilier. Les
uns vivent ainsi et trouvent un équilibre,
d’autres pas. Cela dépend des ressources
personnelles, de la situation financière
et professionnelle, du réseau social, mais
de l’âge aussi: un quadragénaire n’a pas
l’organisme d’un jeune de 20 ans.
Quel âge ont vos clients? La manière de
gérer le diagnostic du VIH varie-t-elle
entre les HSH plus jeunes et les plus
âgés?
Le plus jeune a 18 ans, le plus âgé 68.
Bien sûr, la manière de gérer la situation
varie – à 50 ans, votre situation n’est pas
la même qu’à 20 ans face à la vie. Un
jeune de 20 ans part d’un organisme pour
10
Swiss Aids News 1 | mars 2012
l’essentiel encore intact, il pose de toutes
autres questions et ne dispose pas de la
même expérience qu’un quadragénaire.
La dépression aussi se manifeste en général différemment chez le jeune de 20 ans
et le quinquagénaire. La symptomatique
est certes identique, mais les symptômes
sont vécus différemment et leur signification dans la vie de tous les jours varie
elle aussi.
«En présence de troubles du
sommeil, d’irritabilité excessive, ou
lorsque l’on ne comprend pas ses
propres angoisses, il peut être utile
de passer nous voir.»
Tant le VIH comme l’homosexualité
souffrent d’une connotation négative
dans notre société. Quel effet produit
leur combinaison sur la santé psychique des gays séropositifs?
Pour certains gays, le diagnostic du VIH,
c’est comme la répétition d’un film déjà
vu. Les questions soulevées par la découverte de l’homosexualité ressurgissent:
«Je ne suis pas comme je devrais être, je
ne fais pas partie des autres, à qui puis-je
faire confiance?» Dans notre société, malheureusement, le stress est souvent tout
simplement supérieur pour les gays. Il en
coûte de gérer la différence, les préjugés
des autres et les propres images négatives que chacun véhicule. Il reste moins
de ressources pour bien s’occuper de soi,
avec les implications possibles pour les
comportements face au risque, et la santé
sexuelle par voie de conséquence. Mais
la manière de réagir au diagnostic varie
fortement d’une personne à l’autre. S’y
attendait-on, est-ce totalement inattendu?
Est-on livré à soi-même, peut-on compter
sur un partenaire? Quelles informations
a-t-on déjà, quelles peurs sont présentes?
La souffrance psychique peut-elle être
engendrée par le diagnostic de l’infection à VIH, ou bien existait-elle déjà au
préalable en règle générale?
Les deux sont possibles. Il se peut que la
césure que constitue le diagnostic positif
déclenche une dépression, dans l’impossibilité de surmonter la crise. Il est tout à
fait possible aussi que le stress additionnel renforce et mette au jour des troubles
psychiques déjà présents ou latents.
Beaucoup n’osent pas recourir
à une psychothérapie.
Oui. Beaucoup se disent: «Je ne suis pas
dérangé» et voient dans une psychothérapie un signe de leur propre faiblesse.
Le contraire est le cas; c’est faire preuve
de force que de veiller à soi! Lorsque le
trouble est somatique, personne n’hésite
à se rendre chez le médecin, et le mental
est déterminant pour le bien-être de la
personne. Temporiser ne fait qu’empirer
la situation pour rien. En présence de
troubles du sommeil, d’irritabilité excessive, ou lorsque l’on ne comprend pas ses
propres angoisses, il peut être utile de
passer nous voir.
Stephan Dietiker, merci beaucoup de
cet entretien.
Interview par Shelley Berlowitz
MÉDECINE
Important: prévention du cancer de l’anus
L’incidence du cancer de l’anus chez les HSH séropositifs a fortement augmenté depuis l’introduction du traitement antirétroviral hautement actif (HAART). Selon des données publiées
voilà deux ans, on l’estime à environ 128 cas pour 100 000 personnes – c’est le centuple de
l’incidence relevée parmi la population en général. En Suisse, aucun vaccin contre le VPH
pour les hommes n’est autorisé.
L’incidence du cancer de l’anus chez les
hommes ayant des rapports sexuels avec
d’autres hommes (HSH) est supérieure à la
fréquence du cancer du col de l’utérus chez
les femmes. Elle est particulièrement élevée
chez les HSH séropositifs. L’incidence élevée est
liée à la durée de l’infection à VIH. e L’affection
commence par des altérations cellulaires cancérigènes à l’anus causées par certains types de
virus du papillome humain (VPH); les mêmes
souches virales sont à l’origine du cancer du
col de l’utérus.
A l’intérieur de l’étude de cohorte suisse,
les patients séropositifs font l’objet d’examens
réguliers pour déceler d’éventuels cancers de
l’anus; une fois par an dans la plupart des
cliniques. Les directives de l’European AIDS
Clinical Society recommandent une scannographie endo-rectale tous les un à trois ans, avec
ou sans test de Pap, pour l’ensemble des HSH
séropositifs. Si le test de Pap révèle quelque
anomalie, une endoscopie anale additionnelle
est conseillée. Si les prodromes de cancer sont
détectés à temps, les chances de réussite thérapeutique sont bonnes. Il vaut quand même
mieux ne pas en arriver là. Pour ce faire, certains cliniciens, ainsi que les défenseurs des
droits de patients, demandent désormais une
vaccination des jeunes garçons contre le VPH
et pas seulement des jeunes filles. La vaccination précoce des adolescents aurait aussi pour
avantage que les hommes ne propagent plus le
virus du papillome humain. Le vaccin contre le
VPH a aussi une influence sur le risque d’infection à VIH: une étude sud-africaine montre que
celui-ci est plusieurs fois plus élevé chez les
hommes ayant contracté le VPH. r Le virus
du papillome humain cause par ailleurs plus
souvent que le tabac le cancer du pharynx
chez les hommes qui pratiquent des rapports
sexuels oraux-génitaux t ainsi que le cancer
de la tête et le cancer de la nuque. u
Vaccin contre le VPH
pour les jeunes?
Deux vaccins contre le VPH sont autorisés et
commercialisés en Suisse: Cervarix et Gardasil. L’autorisation vaut uniquement pour les
femmes et vise à prévenir le cancer du col de
l’utérus (les deux vaccins) ainsi que les verrues
génitales (uniquement Gardasil). Des discussions à l’échelon international, de même qu’en
Suisse ont eu lieu sur la pertinence d’une autorisation pour les jeunes hommes gays aussi.
Au Etats-Unis par exemple, le vaccin Gardasil est également autorisé contre les verrues
génitales chez les hommes, et, depuis décembre
2010 par ailleurs, contre le cancer de l’anus
chez les hommes comme chez les femmes.
Beaucoup de praticiens spécialistes du VIH
ont œuvré aux Etats-Unis pour l’autorisation
du vaccin contre le VPH chez les hommes. Fin
octobre 2011, le comité compétent du Centre
pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) a adopté un projet portant sur les
recommandations pertinentes en matière de
vaccin. Par-delà l’argument que constitue la
prévention du cancer de l’anus et des verrues
génitales, le CDC justifie sa recommandation
par le décevant taux de vaccination parmi les
jeunes filles – la vaccination des jeunes garçons favoriserait le recul de la propagation du
VPH dans la population. Une recommandation
officielle du CDC est attendue dans les mois
qui viennent. L’Agence Médicale Européenne
(EMEA) a déjà également autorisé Gardasil
pour les jeunes garçons à partir de 9 ans; la
Suisse reste à l’écart pour l’instant.
Les HSH soucieux de leur santé devraient
veiller à effectuer régulièrement un examen
de dépistage du cancer de l’anus. *
dh
Remarques
e Crum-Cianflone N et al.: Anal cancers
among HIV-infected persons: HAART is not
slowing rising incidence. 5th IAS Conference on HIV Treatment, Pathogenesis and
Prevention, Cape Town, abstract WeB101,
2009.
r Auvert B et al.: Association of oncogenic
and nononcogenic human papillomavirus
with HIV incidence. JAIDS 53:111–116, 2010.
t Chaturvedi A et al.: Human Papilloma­­virus and Rising Oropharyngeal Cancer Incidence in the United States. Journal of Clinical Oncology, doi: 10.1200/JCO.2011.36.4596.
u Mehanna H et al.: Oropharyngeal carcinoma related to human papillomavirus. BMJ
2010;340:c1439.
* L’auteur remercie le docteur Jan Fehr,
Clinique d’infectiologie et d’hygiène hospitalière à l’Hôpital Universitaire de Zurich,
pour la relecture du manuscrit.
Swiss Aids News 1 | mars 2012
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MÉDECINE
Problématique: l’hépatite C
Des données tirées de l’étude suisse de cohorte VIH confirment l’augmentation du nombre
d’infections à VHC parmi les HSH séropositifs. Beaucoup expliquent cette tendance par
certaines pratiques sexuelles. Généralement, une forte consommation de stupéfiants pendant les rapports sexuels pourrait jouer un rôle significatif. Aucune approche préventive
n’existe dans l’immédiat.
«Le recours aux drogues et
aux stimulants pendant les
rapports sexuels est plutôt
la norme que l’exception au
sein de la communauté gay
fétiche.»
Le dépistage systématique du virus de l’hépatite C (VHC) chez les patients séropositifs a
été instauré en 1998 dans l’étude suisse de
cohorte VIH (SHCS). Les infections s’inscrivaient en recul depuis chez les toxicomanes
et s’avéraient rares parmi les patients hétérosexuels. Or, l’incidence du VHC a fortement
augmenté chez les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), et
une dynamique renforcée s’observe: la moitié
des cas s’est déclarée au cours des trois dernières années. Des analyses génétiques virales
révèlent une multiplication du nombre des
transmissions au sein de réseaux sexuels. Les
facteurs de risque sont encore insuffisamment
compris, mais vont de pair avec des pratiques
sexuelles sans protection. e r
Que signifie «unsafer sex»
en rapport avec le VHC?
Remarques
e van de Laar T, Pybus O, Bruisten S et al.:
Evidence of a large, international network
of HCV transmission in HIV-positive men
who have sex with men. Gastroenterology
2009 May;136(5):1609–17.
r Matthews GV, Pham ST, Hellard M et al.:
Patterns and characteristics of hepatitis C
transmission clusters among HIV-positive
and HIV-negative individuals in the Australian trial in acute hepatitis C. Clin Infect Dis
2011 Mar 15;52(6):803–11.
* L’auteur remercie le docteur Andri Rauch
de l’Hôpital de l’Ile à Berne pour la relecture du manuscrit.
12
Swiss Aids News 1 | mars 2012
Le «fisting» est une pratique sexuelle dans
laquelle le poing est introduit dans le vagin
ou dans le rectum. Des traumatismes qui en
résultent sous forme d’érythèmes ou de saignements favorisent le risque d’infection à VHC. Ils
s’expliquent fréquemment par une insensibilité
à la douleur après la consommation de drogues,
à une technique inappropriée ou à une durée
excessive de la session. Le péril multiplié lors
de «fisting parties» constitue un risque supplémentaire: les gants encaoutchouc ne sont pas
utilisés, ou bien sont employés pour plusieurs
partenaires passifs à la fois; les godemichets
sont utilisés pour différents hommes sans
être nettoyés, des rapports non protégés par
voie anale ont lieu, alors que le rectum saigne
déjà – ou la capote n’est pas changée entre différents partenaires passifs.
Les pratiques suivantes pourraient également jouer un rôle: rapports non protégés
par voie anale, piercing pendant les rapports
sexuels ou infusion scrotale à la solution physiologique; l’échange occasionnel ou intentionnel de seringues, l’échange de sex-toys, ou
bien des rapports sexuels avec des partenaires
en phase aiguë de séroconversion VHC. Le
recours aux drogues et aux stimulants pendant les rapports sexuels est plutôt la norme
que l’exception au sein de la communauté gay
fétiche. La méthamphétamine (crystal meth)
s’emploie fréquemment, et, de plus en plus, par
injection aussi. Le déplacement de la drague
vers les moyens virtuels de communication
dépersonnalise les rapports sexuels et réduit
la disposition à négocier.
Il existe de nombreuses raisons à cette recrudescence de la toxicomanie. Des attentes en
rapport avec le mode de vie jouent un rôle dans
la communauté gay, la pression du groupe, la
peur des contacts sociaux ou intimes, l’angoisse
de l’échec sexuel, certaines attentes en rapport avec le corps et l’apparence, la solitude
et l’isolement, les dépressions et le dysfonctionnement émotionnel, la consommation de
drogues comme élément du mode de vie, ou
par dépendance physique.
Comment approcher les patients concernés?
Il faut absolument faire preuve d’empathie; le
soutien psychiatrique ou psychologique est
parfois indiqué, mais pas toujours. Une stratégie qui marche souvent: faire comprendre
au patient que la consommation de drogues
n’est pas inhabituelle et planifier, ensemble,
les étapes suivantes. Or, certains médecins
traitants ne sont guère familiers avec ces souscultures et les comportements correspondants,
ou bien ne parviennent pas à les comprendre.
Il reste des risques à caractère non sexuel,
à savoir surtout du matériel d’injection, utilisé
professionnellement ou avec de la drogue, ainsi
que l’échange de pailles servant à sniffer la
drogue.
La situation est difficile pour les mesures
de prévention, le groupe cible est restreint, et
celui-ci requiert des informations très spécifiques et complètes. Il faudrait absolument de
meilleures données statistiques sur les différentes situations à risque.* dh
SOCIÉTÉ
«Ici, nous sommes
entre de bonnes mains»
R. C., gay, a récemment appris qu’il était séropositif. Les questions se bousculent dans sa
tête. Il a des difficultés avec le diagnostic, se sent souvent seul. En consultation, il entend
parler d’une offre Queer+: un week-end d’atelier gratuit sur le thème de «la vie avec le
VIH», s’adressant aux gays. Cadre de la manifestation: un hôtel wellness avec panorama de
montagne en toile de fond. R. C. nous en fait le récit.
«La soif de connaissances
paraît énorme»
Le personnel de l’hôtel nous souhaite la bienvenue, puis nous avons un peu de temps pour nous
installer et prendre nos marques. Nous nous
réunissons ensuite en séance plénière, et l’organisateur – l’antenne zurichoise d’Aide contre le
Sida, à savoir le centre de santé homosensible
Checkpoint – présente le programme des trois
jours à venir. La seconde impression aussi est
positive, et tous réfléchissent aux thèmes qui
les intéressent spécialement. Onze ateliers au
total sont proposés, en allemand et en français
évidemment. Les thèmes sont spécifiques et
variés «VIH & couple», «stress vécu & stress
supportable», «Comment traiter mon médecin»,
«Safari dans la jungle juridique», etc. Tous les
ateliers sont animés par un spécialiste et une
personne affectée. Médecins, psychologues
et un juriste sont présents. Ici, nous sommes
entre de bonnes mains. Nous constatons avec
stupéfaction que l’ensemble des participants
se sont inscrits à tous les ateliers. La soif de
connaissances paraît énorme. Et il nous reste
suffisamment de place pour nos sentiments,
qui submergent certains d’entre nous de temps
à autre. Le diagnostic du VIH n’est pas une
promenade de santé.
«Tous ont en commun leur statut de
séropositif et la disposition à faire
cette nouvelle expérience.»
«Il est bon de dialoguer avec
d’autres personnes directement
affectées»
© Jupiterimages / Thinkstock
Nous, un groupe de gays, prenons la route
de la montagne. C’est un jeudi après-midi de
l’automne 2011. But de l’expédition: le weekend Queer+ à Stoos dans le canton de Schwyz.
Les participants viennent de Suisse alémanique comme de Suisse romande. Scepticisme,
nervosité, attentes, un mélange spécial règne
dans l’air. Qu’est-ce qui nous attend? Quel est
le programme? Tous ont en commun leur statut de séropositif et la disposition à faire cette
nouvelle expérience. Arrivés à Stoos, nous prenons nos quartiers, de confortables chambres
dans un agréable hôtel, panorama de montagne
inclus. Nous formons un groupe important;
nous essayons tous – moi compris – d’être forts,
en espérant repartir plus forts encore après
ce week-end. Et d’apprendre ce que signifie
d’aménager activement sa vie avec une maladie
chronique, et de vivre avec l’infection.
Le «plus» pour les gays séropositifs
Le prochain week-end Queer+ se tiendra
du 26 au 29 avril 2012 ainsi qu’à l’automne
(la date suivra). Inscriptions sur le site
Les connaissances se font vite, et les sujets de
conversation ne tarissent pas. Comment as-tu
découvert ton infection? As-tu peur du futur?
Prends-tu des médicaments? Il est bon de dialoguer avec d’autres personnes directement
affectées. L’impression d’être seul et isolé avec
cette maladie s’estompe peu à peu. Les responsables des ateliers sont aussi disponibles pour
les conseils individuels. Une offre qui est largement mise à profit. De temps à autre, je m’offre
un regard sur les montagnes. Les heures à Stoos
filent en un rien de temps.
Je ne regrette aucun instant des trois jours
passés à Stoos. Je n’ai plus l’impression d’être
livré à moi-même et, dans l’immédiat, j’ai n’ai
plus de questions. Par ailleurs, j’ai décidé de
m’engager moi aussi pour Queer+ à l’avenir.
checkpoint-ge.ch/accueil/stoos/.
Langues du cours: allemand et français.
Les week-ends réservés aux gays séropositifs,
ainsi qu’à leurs partenaires et aux célibataires
ont été organisés pour la première fois il y
deux ans. Le feed-back favorable donné par les
participants à Queer + et le fait qu’un nombre
croissant d’hommes séropositifs et leurs
partenaires prennent le chemin de Stoos donne
raison aux auteurs de l’initiative: il est utile et
bénéfique d’apprendre dans un cadre agréable
comment vivre avec l’infection et aménager
activement sa vie comme malade chronique.
Swiss Aids News 1 | mars 2012
13
DROIT
Safari dans la jungle du droit: thèmes
juridiques abordés au cours des weekends Queer+
© kallejipp / photocase.com
Suis-je obligé d’informer mon supérieur de ma séropositivité? Les assurances peuvent-elles
m’exclure en raison de ma séropositivité? Dois-je craindre une condamnation en cas de
rapports sexuels non protégés? Y a-t-il des professions que je ne peux plus exercer? Autant
de questions parmi d’autres qu’aborderont les participants à l’atelier «Safari dans la jungle
du droit».
Service de consultation juridique
de l’Aide Suisse contre le Sida
Nous répondons à des questions juridiques
en relation directe avec une infection à VIH
dans les domaines suivants:
Droit des assurances sociales
Droit de l’aide sociale
Assurances privées
Droit du travail
Droit en matière de protection
des données
Droit des patients
Droit sur l’entrée et le séjour
des étrangers
Notre équipe est à votre service:
mardi et jeudi: de 9 h à 12 h et
de 14 h à 16 h.
Tél. 044 447 11 11, [email protected]
Remarques
e Pour plus d’informations: Brochure
«Protection des données – protection de
la sphère privée», www.aids.ch/shop/­
produkte/infomaterial/pdf/1050_02.pdf.
r Pour plus d’informations: Brochure
­«Emploi et VIH», www.aids.ch/shop/­
produkte/infomaterial/pdf/1239-02.pdf.
14
Swiss Aids News 1 | mars 2012
Apprendre sa séropositivité s’accompagne
le plus souvent de questionnements d’ordre
juridique. L’expérience en la matière de la
consultation juridique de l’Aide Suisse contre
le Sida montre que les principales interrogations concernent la protection des données, le
travail, les assurances et le droit pénal. Ces
thèmes ont également été intensivement abordés en atelier. Petit tour d’horizon des informations les plus importantes.
Devoir de discrétion
Dans le cadre des week-ends à Stoos, l’on
n’attend pas l’atelier juridique pour aborder
la question du devoir de discrétion; ce sujet
est abordé avec les participants dès leur arrivée. Ces derniers sont informés que toutes les
informations échangées au cours du week-end
sont hautement confidentielles et que l’identité
des participants ne peut en rien être divulguée
à l’extérieur. Les participants signent un document par lequel ils s’engagent à respecter ces
conditions.
Il existe toute une série de lois qui con­
traignent les spécialistes, les autorités et les
personnes privées à un devoir de discrétion. Ces
dispositions visent à éviter la collecte et la diffusion abusives d’informations confidentielles et
à protéger le droit personnel de l'individu. Les
personnes séropositives sont particulièrement
sensibilisées au fait qu’aucune personne non
autorisée ne doit être informée de leur infection
afin d’éviter que cela n’engendre des discriminations. Par conséquent, il importe d’informer les
personnes auxquelles l’on fait part de sa séropositivité qu’il s’agit d’une information hautement
personnelle. Toute personne qui divulgue une
telle information sans autorisation enfreint la
législation et pourrait être poursuivie en dommages-intérêts et réparation morale. e
Environnement de travail
En Suisse, aucune profession n’est interdite aux
personnes séropositives, étant donné qu’il n’y
a pas de risque d’infection dans le travail au
quotidien. Cela s’applique également aux professions médicales: le respect des mesures d’hygiène qui sont de toute manière obligatoires
(par exemple le port de gants) permet d’exclure
ici aussi pratiquement toute transmission. De
même, il n’existe aucune obligation d’informer son employeur de sa séropositivité, et un
employeur ne peut en aucun cas demander un
diagnostic du VIH. S’il le fait tout de même, l’on
est en droit de fournir une réponse fausse étant
donné que la question est illégitime.
En Suisse, les rapports de travail peuvent
être résiliés librement. Tant l’employé que
l’employeur peut résilier à tout moment les
rapports de travail moyennant le respect des
délais de résiliation. Certains motifs de rupture
du contrat sont toutefois abusifs. Parmi ceux-ci,
un licenciement pour cause de séropositivité,
si cette dernière n’a pas eu d’influence sur la
prestation de travail. Si l’employé est en mesure
de prouver qu’il y a eu abus, l’employeur est
obligé de payer de un à six mois de salaire.
Toutefois, même un licenciement abusif reste
valable. r
Assurances
Il convient tout d’abord de distinguer deux
types d’assurances soumises à des principes
de fonctionnement très différents.
Un nouveau diagnostic du VIH ne change
rien aux assurances existantes, qu’il s’agisse
d’une assurance sociale ou privée. Une personne séropositive peut continuer de souscrire
de nouvelles assurances sociales, comme par
exemple une assurance des soins médicaux et
pharmaceutiques et ce, sans aucune ­limitation.
Du reste, cette assurance couvre tous les traitements et médicaments nécessaires liés au
VIH. Toutefois, lorsque le VIH est diagnostiqué,
l’on ne peut en règle générale plus conclure
d’assurance privée (en référence à la vie/­santé)
ultérieurement, ou uniquement avec des réserves. Cela s’applique dans la plupart des cas
aux assurances-maladie complémentaires, aux
assurances individuelles d’indemnités journalières et aux assurances-vie. Il existe toutefois
quelques exceptions. Il est par conséquent
recommandé de prendre contact avec la consultation juridique de l’Aide Suisse contre le Sida
dans ce cas.
Fondamentalement, chaque personne est responsable de sa propre protection. Malheureusement, la jurisprudence suisse ne voit pas
les choses de cette manière: une personne
séropositive peut être condamnée si elle a eu
des rapports sexuels non protégés avec une
personne séronégative et ce, même si cela n’a
pas débouché sur une infection (tentative).
L’art. 122 CP (Lésions corporelles graves) et
l’art. 231 CP (Propagation d’une maladie de
l’homme dangereuse) s’appliquent. Selon l’art.
231 CP, il peut même y avoir condamnation si
le partenaire était au courant de l’infection au
VIH et a consenti à avoir des rapports sexuels
non protégés. Cet article est actuellement en
cours de révision, et il y a des chances qu’il
soit modifié.
En janvier 2008, la Commission fédérale
pour les problèmes liés au sida (CFS) a publié
une déclaration selon laquelle une personne
séropositive sous thérapie antirétrovirale
(TAR) n’est sexuellement pas infectieuse si
elle applique le traitement antirétroviral à la
lettre et est suivie par un médecin traitant, si
la charge virale se situe en dessous du seuil de
détection pendant au moins six mois et si elle
ne souffre pas d’autres infections sexuellement
© Hemera / Thinkstock
Pénalisation
«Une personne séropositive peut
être condamnée si elle a eu des
­rapports sexuels non protégés.»
transmissibles. t Si ces conditions sont remplies, cela devrait fondamentalement déboucher sur une impunité. En 2009, un jugement
genevois a pour la première fois acquitté une
personne, car les conditions de la déclaration
de la CFS étaient remplies dans son cas. Un
jugement de l’instance suprême (Tribunal fé­
déral) est encore attendu, et des jugements
cantonaux ne déploient pas d’effet contraignant pour d’autres cantons. Sauf conclusion
contraire, l’on est en droit d’espérer que l’instance suprême se conforme à l’opinion du Tribunal genevois. u
cs
Assurances sociales
Assurances privées
Droit public
Droit privé
Aucune exclusion ni réserve pour les personnes
séropositives
Exclusions et réserves régulières pour les personnes
séropositives
Pas de questionnaire de santé
Questionnaire de santé/obligation d’informer
Exemples: assurance des soins médicaux
et pharmaceutiques, prévoyance professionnelle
obligatoire, assurance-accidents
Exemples: assurance-maladie complémentaire,
assurance indemnités journalières, assurance-vie
t Déclaration de la CFS disponible sur
www.saez.ch/pdf_f/2008/2008-05/
2008-05-089.PDF.
u «Pénalisation de la transmission du VIH»,
www.aids.ch/shop/produkte/fuerfachleute/
pdf/1040_Positionspapier_Strafbarkeit_F.pdf.
Swiss Aids News 1 | mars 2012
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FORUM
Nous répondons à vos questions
Demande de Madame A. M.
© Viola Heller
Quels coûts l’assurance-maladie prend-elle
en charge en cas de dépression?
Depuis quelque temps, je souffre d’une dépression qui me limite sans cesse davantage
dans mes capacités professionnelles ainsi
que dans ma vie privée. Pour éviter que les
choses ne s’aggravent, je dois solliciter un
soutien médical. Quels sont les coûts dont je
dois m’acquitter personnellement et quelle
part de ces coûts mon assurance-maladie
doit-elle assumer?
Réponse de Dr iur. Caroline Suter
Une dépression se traite généralement avec
des médicaments ou une psychothérapie. Une
combinaison de ces deux formes d’intervention
peut aussi s’avérer utile. Afin de déterminer
le traitement le plus adapté à votre cas, vous
devriez avoir un entretien personnel avec un
spécialiste. Vous trouverez des interlocuteurs
potentiels via votre antenne régionale de l’ASS,
sur le site: www.promentesana.ch ou encore sur
le site: www.docteur.ch/medecins.
L’assurance de base prend en charge les
coûts des psychothérapies effectuées selon
des méthodes dont l’efficacité est scientifiquement prouvée. En outre, le traitement doit
être effectué par un médecin spécialisé en psychiatrie et en psychothérapie. Des traitements
peuvent toutefois être pris en charge par des
thérapeutes qui ne sont pas médecins si ceuxci sont embauchés dans un cabinet médical et
si les traitements ont lieu sous la surveillance
d’un médecin (c’est ce que l’on appelle la
psychothérapie déléguée). L’assurance prend
en charge les coûts pour un maximum de
40 séances diagnostiques et thérapeutiques.
Si une psychothérapie doit être poursuivie
après 40 séances à la charge de l’assurance
de base, le médecin traitant doit remettre au
médecin-conseil un rapport qui décrit le type
de maladie et le déroulement du traitement
entamé jusqu’à présent. Il doit en outre formuler une proposition pour la suite de la thérapie
(y compris en indiquant l’objectif, la raison, le
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Swiss Aids News 1 | mars 2012
cadre et la durée probable). Le médecin-conseil
de l’assurance examine ensuite la proposition.
L’assureur communique à la personne assurée,
avec copie au médecin traitant, dans les 15
jours ouvrables suivant la réception du rapport
par le médecin-conseil, s’il continue de prendre
en charge les coûts de la psychothérapie et pour
quelle durée.
Si vous bénéficiez d’une assurance-maladie complémentaire, celle-ci couvre tout au
plus une certaine partie des coûts liés aux
psychothérapies prodiguées par des psychothérapeutes exerçant librement. Le mieux est
de vous informer directement auprès de votre
assurance complémentaire.
«L’assurance de base prend en
­charge les coûts des psychothérapies effectuées selon des méthodes
dont l’efficacité est scientifiquement prouvée.»
L’assurance obligatoire des soins médicaux et
pharmaceutiques prend en charge les coûts des
médicaments prescrits par un médecin, utilisés
pour les indications autorisées conformément
à la notice et qui sont repris dans la liste des
spécialités (www.sl.bag.admin.ch). Si un médicament n’est pas utilisé pour l’indication autorisée, l’assurance de base ne doit en règle
générale pas supporter les coûts, comme le met
en exergue une décision récente du Tribunal
fédéral datant de décembre 2011: un homme
s’était vu prescrire du Ritalin pour traiter sa
dépression. Etant donné que ce médicament
n’est autorisé que pour les enfants, l’assurancemaladie a été libérée de son obligation de prestation. Mais si aucun médicament alternatif
n’avait été disponible et si le patient avait été
exposé à un danger de mort, l’assurance de
base aurait dû prendre ces coûts en charge.

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