Position du Barreau | Projet de loi C
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Position du Barreau | Projet de loi C
Le 12 février 2015 Par courriel L’honorable Peter MacKay Ministre de la Justice Chambre des communes Ottawa (Ontario) K1A 0A6 Objet : L’honorable Mike Wallace Président Comité permanent de la justice et des droits de la personne 131, rue Queen, 6e étage Chambre des communes Ottawa (Ontario) K1A 0A6 Projet de loi C-26 – Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d’enfants Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, Le Barreau du Québec a pris connaissance du projet de loi C-26 et souhaite vous faire part de ses commentaires. Ce projet de loi a pour objet l’augmentation des peines d’emprisonnement pour certaines infractions sexuelles commises contre des mineurs et la création d’une banque de données, accessible au public, qui contiendrait certains renseignements sur les délinquants sexuels à risque élevé de commettre des crimes de nature sexuelle. La Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels Le Barreau du Québec considère que les modifications apportées à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels sont justifiées. Les nouvelles obligations imposées aux délinquants visés par cette loi semblent raisonnables et permettront de parer à certaines lacunes de la loi actuelle. La banque de données sur les délinquants sexuels à risque élevé Le projet de loi C-26 édicte la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants). Cette loi prévoit la création d’une banque de données accessible au public qui pourra contenir, notamment, les nom, prénom, nom d’emprunt, date de naissance, sexe, description physique et photographie d’une personne visée par cette loi, de même qu’une description …2 L’honorable Peter MacKay et L’honorable Mike Wallace Objet : Projet de loi C-26 – Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d’enfants des infractions qu’elle a commises, des conditions auxquelles elle est assujettie et le nom de la collectivité locale (ville, municipalité) où elle réside. Seuls les « délinquants déclarés coupables d’infractions sexuelles visant les enfants et [qui] présentent un risque élevé de commettre des crimes de nature sexuelle » seront susceptibles de voir leurs informations personnelles inscrites dans la banque de données. De l’avis du Barreau, cette nouvelle loi comporte deux lacunes majeures, toutes deux reliées au « risque élevé de commettre des crimes de nature sexuelle ». En effet, la loi ne prévoit pas ce qui constitue un « risque élevé »; elle énonce plutôt qu’il appartiendra au gouverneur en conseil d’établir par règlement les critères permettant de décider qu’un délinquant présente ce risque. Si un règlement peut préciser les modalités d’application d’une loi, il ne devrait pas avoir pour objet de définir les concepts fondamentaux en vertu desquels elle sera appliquée. Avec égard, le Barreau est d’avis qu’il serait plus conforme au système parlementaire canadien que ce soit le législateur, plutôt que le gouverneur en conseil, qui définisse cette notion centrale de la loi. Par ailleurs, la loi ne prévoit pas quelle autorité déterminera si un délinquant présente ou non un risque élevé de commettre des crimes de nature sexuelle. Le projet de loi donnera au commissaire de la Gendarmerie royale du Canada la tâche de créer et de gérer la banque de données1 et d’y inclure les informations qui s’y trouveront2, mais il n’est pas prévu qu’il ait le pouvoir de rendre cette décision. Le Barreau du Québec estime qu’il est souhaitable que cette décision soit rendue par un juge au terme d’un débat contradictoire, comme cela se fait dans la détermination du statut d’un délinquant dangereux ou d’un délinquant à contrôler. L’expérience a démontré que seul le tribunal possède l’expertise requise pour rendre une décision comportant un degré de stigmatisation si élevé. La Loi sur la preuve au Canada L’article 20 du projet de loi modifie le paragraphe 4(2) de la Loi sur la preuve au Canada pour y ajouter l’article 163.1 du Code criminel. Le Barreau du Québec accueille favorablement cet ajout grâce auquel le conjoint d’une personne accusée d’une infraction reliée à la pornographie juvénile sera désormais habile à témoigner et contraignable pour le poursuivant. Cette modification est compatible avec la logique soutenant les exceptions prévues à cet article. L’augmentation des peines minimales d’emprisonnement Le projet de loi C-26 augmente les peines minimales d’emprisonnement pour de nombreuses infractions sexuelles à l’égard de mineurs. Le Barreau reconnaît qu’il appartient au législateur de déterminer les peines à être considérées pour la perpétration d’une infraction criminelle. 1 2 Paragraphe 4(1) de la nouvelle loi. Par interprétation de l’article 6 de la nouvelle loi. 2 L’honorable Peter MacKay et L’honorable Mike Wallace Objet : Projet de loi C-26 – Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d’enfants Toutefois, la tradition juridique canadienne a depuis longtemps reconnu l’importance des principes de proportionnalité, d’individualisation et de totalité de la peine. Les peines imposées par les tribunaux doivent être justes en regard des crimes commis, et équitables en regard des individus qui doivent les purger. De l’avis du Barreau, une peine d’emprisonnement pourrait être contestée si elle était imposée sans égard aux faits et aux circonstances qui sont en lien avec l’infraction et l’inculpé. Le Barreau avance respectueusement que la plupart des pays qui ont recours à l’imposition de peines minimales d’emprisonnement prévoient dans la loi des mécanismes dérogatoires. Ces exceptions législatives accordent aux juges la discrétion judiciaire leur permettant de réduire la peine minimale d’emprisonnement lorsque des circonstances le requièrent. Ce faisant, il devient possible de considérer des circonstances atténuantes dont le tribunal ne pourrait autrement tenir compte3. Dans ces autres juridictions, ce type de clause a permis que des peines minimales d’emprisonnement — qui auraient autrement été considérées comme disproportionnées — soient maintenues. Afin d’éviter que la constitutionnalité de ces nouvelles peines soit contestée, le Barreau est d’avis qu’il serait de mise de prévoir une disposition dérogatoire au Code criminel. Par la même occasion, le Barreau souhaite aussi rappeler qu’il est souhaitable que les objectifs de réhabilitation, de réintégration à la société et de protection du public continuent d’être les principes directeurs de détermination de la peine. Ces principes, fondés sur l’idée que des personnes réhabilitées peuvent devenir des éléments qui contribuent à la société, ont permis de faire du Canada l’un des pays les plus sécuritaires au monde. Veuillez accepter, Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, mes salutations distinguées. Le bâtonnier du Québec, Bernard Synnott BS/MF/mj Réf. 282 3 Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada – Section pénale, Exemptions législatives aux peines minimales obligatoires : Rapport final, Victoria (C.-B.), 2013; Yvon Dandurand, Exceptions aux peines minimales obligatoires - Rapport rédigé pour le Groupe de travail sur les exceptions aux peines minimales obligatoires de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, 2012. 3