LA PEINE ÇA VAUT LA PEINE D`EN PARLER

Transcription

LA PEINE ÇA VAUT LA PEINE D`EN PARLER
SOCIÉTÉ DE CRIMINOLOGIE DU QUÉBEC
33e CONGRÈS
LA PEINE ÇA VAUT LA PEINE D'EN
PARLER
DISCOURS D'OUVERTURE PRONONCÉ PAR
L'HONORABLE J. J. MICHEL ROBERT
Juge en chef du Québec
Hôtel Hilton
QUÉBEC
23 MAI 2007
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Monsieur le président
Chers participants
La peine, ça vaut la peine d'en parler, voilà bien un thème
accrocheur pour la tenue du 33e congrès de la Société de
criminologie du Québec.
Je suis très honoré que vous m'ayez confié la présidence
d'honneur de ce congrès. J'ai accepté en ayant à l'esprit que mon
rôle sera surtout de vous écouter et de vous offrir lors de la
conférence de clôture vendredi matin quelques réflexions que vont
sans doute m'inspirer les discussions en atelier.
Je dis un rôle d'écoute, parce que je crois fermement que la
peine est avant tout une question pour les praticiens de terrain dont
vous êtes pour la plupart.
Je ne dis pas que les juristes et plus particulièrement les juges
n'ont pas de rôle à jouer dans l'imposition de la peine. Au contraire,
les procureurs de la poursuite, les avocats de la défense et plus
particulièrement les juges de première instance, notamment à la
Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, ont un rôle
extrêmement important puisque ce sont eux qui finalement
déterminent la peine.
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Mais, il y a un mais très important, la détermination de la peine
n'est pas la majeure partie de l'opération.
Permettez-moi d'abord de faire quelques constats.
Premier constat
La peine est une affaire complexe, multidisciplinaire qui
s'échelonne sur une période de temps plus ou moins longue, et en
plusieurs phases qu'on peut résumer succinctement de la façon
suivante:
-
Enquête pré-pénale
-
Détermination de la peine
-
Administration de la peine
Second Constat
La globalité de la peine fait davantage appel à d'autres
disciplines qu'à la science juridique d'où la nécessité de l'intervention
efficace
et
continue
criminologues.
des
autres spécialistes,
notamment
les
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Troisième constat
C'est dans l'administration de la peine que se posent les
questions les plus difficiles et les plus fondamentales relativement à
la finalité du système de justice pénale dans la société.
Chez les auteurs et dans les débats politiques, on retrouve
souvent deux écoles de pensée, l'école dite morale axée sur la
nécessité du châtiment du criminel et l'école dite utilitaire axée sur la
prévention de la criminalité future.
Ces deux approches ne sont pas mutuellement exclusives et
sont toutes les deux sous-jacentes à nos principes généraux de
sentencing. Il n'est pas facile de distinguer les deux concepts, sauf
sur le plan purement théorique.
Quatrième constat
Tant la définition législative des peines que leur application par
les tribunaux comportent toujours une évaluation morale des crimes
notamment quant à leur relative gravité.
Ainsi, l'homicide est
considéré comme un crime plus grave que le vol ou les voies de fait.
Après ces quelques constats, il faut dire un mot de nos
principes généraux de sentencing.
L'énoncé des objectifs et des
principes généraux se retrouve à l'article 718 du Code criminel qui se
lit ainsi:
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718. [Objectif] Le prononcé des peines a pour objectif
essentiel de contribuer, parallèlement à d'autres initiatives
de prévention du crime, au respect de la loi et au
maintien d'une société juste, paisible et sûre par
l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des
objectifs suivants:
a)
dénoncer le comportement illégal;
b)
dissuader
les
délinquants,
et
quiconque,
de
commettre des infractions;
c)
isoler, au besoin, les délinquants du reste de la
société;
d)
favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
e)
assurer la réparation des torts causés aux victimes
ou à la collectivité;
f)
susciter la conscience de leurs responsabilités chez
les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort
qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
L'objectif du premier paragraphe couvre à la fois l'aspect
châtiment et l'aspect utilitaire.
Quant aux sous-paragraphes la
doctrine les résume de la façon suivante:
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a)
La dénonciation qui est considérée comme la sanction
publique de la société vis-à-vis un crime spécifique, sans
référence à l'individu qui l'a commis (aspect châtiment ou
réprobation sociale)
b)
La dissuasion à la fois générale et spécifique qui a
évidemment pour but la protection de la société et qui repose
sur le postulat que la connaissance d'un châtiment sévère aura
un effet réducteur sur le niveau de criminalité. À ce sujet, il
faut reconnaître que ce postulat est contesté par plusieurs
experts.
Malgré le caractère un peu spéculatif de l'effet
dissuasif, les tribunaux continuent à appliquer ce critère et à s'y
référer (aspect utilitaire)
c)
Isolement des délinquants du reste de la société. C'est la
mesure du dernier recours. Selon l'article 718.2(e) le juge doit
d'abord
considérer
toutes
les
sentences
autres
que
l'emprisonnement, qui sont raisonnables dans les circonstances.
Dans les cas limites, l'isolement du reste de la société empêche
physiquement le délinquant de commettre d'autres crimes.
d)
La réinsertion sociale des délinquants. Elle suppose que
le délinquant peut être traité et guéri de son comportement
criminel.
Ici, on met l'accent plutôt sur l'aspect médical et
curatif. On s'éloigne de l'aspect châtiment mais la réhabilitation
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est également utilitaire car elle permet de retourner à la société
un individu guéri et productif.
En pratique, souvent, cet
objectif s'oppose à la protection de la société et exige du juge
qu'il équilibre les deux finalités apparemment contradictoires.
e)
La réparation. Ici l'accent est placé sur la victime. En
autant que possible, le délinquant doit offrir à la victime une
réparation qui la replace dans l'état où elle était avant la
commission du crime.
Cet objectif rapproche la procédure
pénale de l'action civile en dommages-intérêts et pose le
problème difficile de l'absence relative de la victime dans le
processus menant à la détermination de la peine.
C'est
cependant un objectif qui fait l'objet de beaucoup de réflexions
dans le monde et plusieurs pays permettent maintenant
l'application de mesures dites «réparatrices»
f)
La conscientisation des délinquants quant aux torts
causés par eux à la victime et à la collectivité. Ici, le délinquant
doit accepter son tort et le reconnaître.
La maxime biblique, œil pour œil, dent pour dent, n'est pas
comme on le pense souvent l'expression de la vengeance mais plutôt
l'expression de la proportionnalité de la peine repris à l'article 718.1
sous le titre de principe fondamental.
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C'est la règle cardinale ou si l'on veut le principe opérationnel de
l'imposition de la peine
718.1
La peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et
au degré de responsabilité du délinquant.
Dans l'application de ce principe, le juge devra dans une
première étape considérer la gravité objective et subjective de
l'infraction et ensuite mesurer le degré de responsabilité du
délinquant en analysant les facteurs aggravants et les facteurs
attenants à l'aide des autres principes énumérés à l'article 718.2.
Nous n'avons pas le temps d'examiner en détails tous ces
principes mais qu'il suffise de dire que l'on ne punit pas généralement
des crimes mais bien des délinquants et qu'en conséquence, on doit
privilégier l'individualisation de la peine sur la généralité du crime.
De plus, les paragraphes c, d et e de l'article 718.2 donnent la
préférence aux peines autres que la privation de la liberté et
favorisent l'obligation d'éviter les peines excessives ou démesurées.
J'oserais dire que la justice criminelle dans notre régime doit être
administrée avec compassion.
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En terminant, permettez-moi de mentionner le changement de
contexte social et médiatique qui rend notre tâche à tous plus
délicate et difficile.
Je ne parlerai que de trois aspects, la médiatisation de la
société, l'augmentation importante des attentes de la population et la
diversification résultant d'une immigration accrue.
Nous sommes à l'ère de la révolution des communications.
Cette révolution se caractérise par l'omniprésence des médias,
l'instantanéité des communications notamment par l'Internet et
l'abondance d'information sans cependant qu'un non-spécialiste
puisse distinguer entre l'information valide et l'information moins
valide.
Donc quatre expressions caractérisent cette révolution de
l'information:
-
Omniprésence
-
Instantanéité
-
Abondance
-
Absence de discrimination
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Dans un tel monde nouveau où les perceptions sont souvent
plus importantes que la substance elle-même, le choix des mots dans
l'imposition des peines devient crucial;
on connaît nombre de
situations où des peines, par ailleurs, légitimes ont été mal perçues
par le public en général à cause d'un mauvais choix de mots.
De
plus
cette
situation
entraîne
l'obligation
d'expliciter
davantage les circonstances factuelles du crime ainsi que les facteurs
atténuants et aggravants pour diminuer ce risque de confusion.
À cause de la médiatisation de la société et aussi d'autres
facteurs qu'il serait trop long de discuter ici, les attentes du public
sont beaucoup plus grandes et plusieurs groupes structurés font
valoir leur point de vue et la promotion de leur agenda politique,
droit des victimes, droit du public, droit des enfants et des familles,
droit des agences de mise en œuvre de la loi etc.…
De plus, la population par les médias et autrement, demande
un plus grand niveau de sécurité comme si on voulait vivre dans une
société sans risque.
Cela requiert à la fois de la part des décideurs une plus grande
sensibilisation à l'environnement public mais en même temps une
plus grande indépendance d'esprit et un certain courage devant les
pressions sociales.
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Enfin, il faut aussi mentionner une plus grande diversité sociale
(langue, culture, religion) résultant d'une immigration accrue,
tendance lourde qui s'intensifiera à cause du vieillissement de la
population et des pénuries de main-d'œuvre.
Cette diversité fragilise la cohésion sociale et le rattachement à
des valeurs communes et engendre des conflits parmi les droits
garantis par la Charte canadienne et la Charte du Québec.
Ces conflits nous entraînent dans la recherche d'un nouvel
équilibre entre diverses valeurs dans un esprit de tolérance et de
compromis. La nouvelle société nous conduira sans doute vers une
nouvelle définition de la morale civique.
La tâche de déterminer la peine est plus complexe, plus
difficile, plus délicate mais nous avons tous les atouts pour réussir
comme nous l'avons fait dans le passé.
En effet, la capacité
d'intégration des sociétés québécoise et canadienne demeure très
efficace et harmonieuse si on la compare à celle des autres pays
développés.
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Mais, nous devrons d'une part approfondir notre réflexion,
raisonner avec plus de rigueur et apporter plus de soin dans le choix
de nos mots;
voilà trois objectifs que ce congrès, je l'espère,
permettra d'atteindre en partie.
Merci de votre attention.

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