Le National Arab Orchestra : la musique arabe, contre
Transcription
Le National Arab Orchestra : la musique arabe, contre
Les Libanais dans le monde 5 lundi 7 mars 2016 Arts Le National Arab Orchestra : la musique arabe, contre vents et marées Créé aux États-Unis en 2009 par Michael Ibrahim, un Américain d’origine syrienne, l’orchestre est dédié à la préservation et à la promotion des traditions musicales arabes, classiques et contemporaines. ATLANTA (GÉORGIE), de Pauline M. KARROUM Écouter le National Arab Orchestra interpréter Ibn Il Balad de Mohammad Abdel Wahab équivaut à comprendre pourquoi le public s’enthousiasme devant tant de talent. C’est à Michael Ibrahim, un jeune Américain d’origine syrienne âgé d’une trentaine d’années, que l’on doit ces réalisations, lui qui dirige son orchestre de main de maître. « Une merveille », un « moment d’enchantement »... Les critiques sont unanimes. Le National Arab Orchestra doit continuer, persévérer, surtout en ces temps critiques où les Arabo-Américains sont perçus avec méfiance. Mais le problème est que cette communauté n’est pas prête à accorder beaucoup d’importance au domaine de la musique. Le « oud », un instrument introduit dans le paysage musical américain. C’est ce qui ressort du long entretien qu’accorde le chef d’orchestre Michael Ibrahim à L’Orient-Le Jour, au cours duquel il dresse un bilan des difficultés de son orchestre et du long chemin qui reste à faire pour convaincre les Arabes d’investir dans ce domaine. Pour lui, l’institution musicale qu’il a lancée en 2009 a pourtant un grand mérite. Elle remplit un vide réel qui existait depuis de nom- Michael Ibrahim, un chef d’orchestre plein d’initiative. breuses années. « En évoluant dans le domaine artistique, j’ai réalisé que chaque communauté avait son propre orchestre, dit-il. Mais ce n’était pas notre cas. » En 2009, le jeune homme se lance dès lors dans un projet ambitieux : convaincre ses concitoyens qu’il faut bien une institution célébrant le patrimoine arabe tout en étant performante sur le terrain éducatif. Mais quel rôle éducationnel peut-elle donc jouer ? Faire découvrir la musique arabe classique au public américain, et surtout le sensibiliser à la richesse et à la diversité des sons et des notes orientales. Après de nombreux concerts auxquels ont assisté des milliers de personnes, l’orchestre est en train d’atteindre ses objectifs. « Lors de notre premier concert, nous avons démarré avec cinq musiciens, se souvient Michael Ibrahim. Depuis, notre groupe s’est élargi. Il nous arrive désormais d’être trente musiciens sur scène lors d’un événement. » « Pour eux, le concept de la philanthropie artistique n’existe pas » C’est à Atlanta que le National Arab Orchestra a connu son plus grand succès. Plus de 5 000 personnes ont assisté à l’un de ses concerts grâce à un mécène qui a tenu à tout financer. « Il a cru en nous et a voulu nous soutenir, se félicite le chef d’orchestre. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. » Michael Ibrahim souligne d’ailleurs un point essentiel : la communauté arabo-américaine se mobilise énormément pour les causes caritatives. « Ils sont prêts à payer des sommes exorbitantes pour construire des églises, des mosquées, remarque-t-il. Les Arabes sont également capables de mener des campagnes politiques. Mais quand il s’agit d’art, c’est une tout autre histoire. Pour eux, le concept de philanthropie artistique n’existe pas. » Le National Arab Orchestra s’est déjà produit dans de nombreux États américains, rencontrant à chaque fois le succès. Le musicien ajoute que sa communauté d’origine n’est pas vraiment convaincue qu’il faut renforcer le secteur artistique arabo-américain, qu’il est de sa responsabilité de le maintenir en vie. Pourtant, rappelle-t-il, Danny Thomas et d’autres artistes avaient, dans la première moitié du vingtième siècle, entre les années 1916 jusqu’au début des années 1950, bénéficié du soutien de leur entourage. Ils ont pu ainsi jouer du oud (luth) malgré toutes les difficultés qu’ils affrontaient. « Ce qu’ils ont fait au sein du milieu musical américain a permis à la musique arabe d’exister et de se transmettre d’une génération à l’autre, dit-il. Cet héritage doit être défendu. » Pour se faire plus entendre, le chef de l’orchestre a envisagé une collaboration avec des artistes arabes vivant au Moyen-Orient ou dans le Maghreb. Mais cela s’avère compliqué car la majorité d’entre eux, lorsqu’ils se produisent aux États-Unis, viennent accompagnés de leurs propres musiciens. « Ils savent pourtant que nous sommes ici et que nous avons besoin d’eux pour nous produire plus fréquemment », déplore Michael Ibrahim. Prochainement, l’orchestre jouera dans le Michigan. De- puis quelque temps déjà, on peut l’écouter au Music Hall de « Detroit for the Performing Arts ». C’est évidemment une excellente chose, reconnaît le jeune homme, mais ce n’est pas suffisant. Son rêve est de faire des tournées annuelles aux États-Unis. Avec de tels débuts, ce rêve devrait bientôt se réaliser. Une évolution en flèche Depuis 2009, le National Arab Orchestra s’est déjà produit dans divers États américains : Indiana, Virginie, Michigan, Géorgie, Floride, Californie… Deux événements en particulier lui ont permis de devenir une référence dans le monde artistique américain. Le premier est le concert interreligieux donné le 10 mai 2011. Depuis, le maire de Bloomington, Indiana, a décrété que cette journée serait celle de la paix. Le second est l’obtention d’une bourse offerte par la Fondation Knight. Grâce à ce projet, baptisé « Bâtir des ponts à travers la musique », des étudiants des écoles publiques de Michigan ont appris la musique arabe et ont même chanté en arabe. (Pour les écouter, se rendre sur : https://www.youtube.com/watch ? =SLBgkQZcvn0&list=UUW0q_ FZnJxmNTVoD7inGh4A) Diaspora Quand les ponts entre le Brésil et le Liban sont faits d’hommes et d’histoires La famille Menassa, comme tant d’autres familles libanaises, a émigré en partie au Brésil. Sa particularité, c’est que plusieurs de ses membres font le voyage entre les deux pays depuis plus de 130 ans, toutes générations confondues. Roberto KHATLAB À la fin du dix-neuvième siècle, la province – « moutasarrifiya » – autonome du Mont-Liban (1861-1915), une subdivision de l’Empire ottoman, a connu une période de renaissance culturelle et économique, comme elle a connu des difficultés, tant sur le plan politique, la population craignant un nouveau massacre comme celui de 1860 à cause de la politique turque, qu’au niveau économique, avec la croissance démographique et la crise de la sériciculture, entre 1880 et 1914, qui a entraîné un mouvement d’émigration considérable (un quart de la population) vers les Amériques. Dans le cadre de ce mouvement migratoire de 1885, quatre frères de la famille Photo de famille de Boutros Yacoub Menassa. Photos fournies par Jacques Menassa Menassa – Yacoub, Mansour, Boutros et Boulos –, fils d’Ibrahim Hanna Menassa et Wardé Estephan, originaires de Ghosta, Kesrouan, ont pris la route de l’émigration en laissant leurs parents et une sœur, Mariam, à Ghosta. Une pionnière libanobrésilienne en Amazonie Le Brésil semblait une évidence : les frères avaient Yacoub Ibrahim, émigré en Amazonie, au Brésil, en 1885. entendu parler des histoires d’un empereur du Brésil aux tropiques, Dom Pedro II, qui parlait l’arabe et qui avait passé par le Mont-Liban en 1876. De plus, les journaux arabes montraient que le Brésil était un pays d’opportunités. À l’époque (1885), le Brésil avait la « fièvre du caoutchouc » (1879-1912), un cycle très important pour l’histoire économique et sociale du Brésil qui intéressait tous ceux qui cherchaient la prospérité et l’espace de liberté. Les quatre frères sont arrivés dans la grande forêt amazonienne, à Manaus, capitale de l’Amazonie, terre de l’exploitation du caoutchouc. Ils se sont adaptés à la région et ont travaillé dans le commerce général. Au bout de quelques années, ils ont réussi dans les affaires. Mansour s’est marié avec une Brésilienne, Henriqueta. De ce mariage sont nés quatre fils et une fille. Cette dernière, Maria, née en Amazonie, a marqué l’histoire de sa ville : elle a fait des études à Paris et, de retour à Manaus, est devenue une pionnière et une référence féminine dans la société amazonienne. Maria a épousé un Brésilien avec qui elle a eu onze enfants et… 34 petit-fils. Elle est décédée en 2000 à l’âge de 100 ans. Quant à Yacoub, il s’est marié avec Wadigha Cecin, originaire de Tripoli. En 1903, ils ont décidé de retourner au Liban pour construire une maison à Ghosta et établir un commerce entre le Liban et le Brésil. C’est à cette époque qu’ils ont eu leurs trois premiers-nés, Youssef (1905), Rose (1907), Ibrahim (1909). Ils avaient décidé de rentrer au Brésil quand la Première Guerre mondiale a commencé et que les Ottomans ont bloqué les routes de montagne au Liban. Le couple Menassa est resté à Ghosta où il a eu deux autres enfants : Marie (1914) et Boutros (1916). Yacoub et Wadigha sont décédés respectivement en 1937 et 1964, sans avoir plus jamais quitté Ghosta. « Colporteur » de la culture des deux pays C’est leur fils Ibrahim qui a émigré en 1926 en Amazonie, où il a rétabli les liens familiaux entre les deux pays. Il a travaillé dans le commerce et l’immobilier et s’est marié, en 1936, avec une Brésilienne, Alicia Sanchez de Oliveira, dont il a eu deux filles : Adelaïde et Odette. Ibrahim a fait plusieurs fois le voyage entre le Brésil et le Liban et a lancé des affaires entre les deux pays. Il est décédé en Amazonie en 1980. Contrairement à son frère Ibrahim, Boutros n’a pas émigré. Il a épousé Milia Estephan au Liban et a eu deux enfants : Jacques et Theresinia. Le lien de cette branche de la famille avec l’Amazonie est pourtant resté vivant grâce à la seconde génération. En effet, Jacques Menassa, né à Ghosta en 1956, diplômé en sciences politiques et administratives, Jacques Menassa, qui s’est rendu plus d’une fois au Liban. a passé une année au Brésil en 1984. Passionné de photographie, surtout après avoir visité l’Amazonie, Jacques a pris des cours et a participé à des expositions au Liban. Il devait résider huit ans au Brésil dès 1990, sillonnant le pays avec sa caméra, notamment l’Amazonie dont il est tombé littéralement amoureux. Jacques, avec sa caméra et à travers ses photos, a pu rapporter des images des indigènes, des forêts, des animaux, des traditions… En plus, il a donné des cours d’art photographique (1993-1997) au « Centro de arte Chaminé » à Manaus. Durant cette époque, il a participé à des projets divers, a organisé plusieurs expositions sur l’Amazonie et sur le Liban et a reçu plusieurs prix de concours de photos. De retour au Liban en 1998, Jacques a rapporté dans sa valise une collection de plus de 40 000 photos professionnelles, non seulement de l’Amazonie, mais aussi de Rio de Janeiro et d’autres villes brésiliennes. En 1999, il a organisé au Liban une exposition de photos intitulée Amazonas. Ont suivi d’autres expositions, conférences et articles dans les journaux libanais et brésiliens, des interviews à la télé, etc. Jacques est devenu « colporteur » de la culture photographique libano-brésilienne, parce qu’à travers ses photos, il a divulgué les couleurs et la beauté de la nature et des peuples des deux pays. Étant donné les liens étroits qui unissent la famille Menassa, et d’autres familles de Ghosta, au Brésil, Jacques Menassa a demandé, en 2012, à la peintre ukrainienne Iryna Novytska, résidant au Liban, de peindre un tableau de la patronne du Brésil, Nossa Senhora Aparecida (N-D de l’Apparition). Ce tableau peut être aujourd’hui admiré en l’église N-D de la Délivrance, à Ghosta, église maronite de la famille Menassa, construite il y a plus de 300 ans. Témoignage « Notre nostalgie pour le Liban » Voici de larges extraits d’un texte publié en espagnol dans l’édition de l’automne 2015 de la revue trimestrielle « Baitna » du « Centro Libanés » de Mexico City. « La nostalgie s’est installée dans notre mémoire. Des semaines se sont écoulées depuis le voyage au Liban, sur la terre de nos grands-parents, El Bled, et nous prenons toujours autant de plaisir à nous rappeler les journées vécues dans ce merveilleux pays. Cela se manifeste par les messages via Internet, les WhatsApp et les appels téléphoniques entre les membres du groupe qui se sont rendus au pays du Cèdre durant l’été 2015, grâce au parrainage de RJLiban. Sept Mexicains, parmi plus de soixante-dix personnes, ont eu l’opportunité de parcourir le Liban durant trois semaines, partageant l’expérience avec des citoyens venus d’Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Canada, de France, d’Irlande, de Norvège et d’Uruguay. La plupart des boursiers étaient d’ascendance libanaise, en plus de certaines personnes reconnues comme « amis du Liban » pour leur grand intérêt à la culture de l’antique pays des Phéniciens. Tout a commencé par une convocation de RJLiban, et son président fondateur Naji Farah, qui nous a invités à parcourir le Liban durant trois semaines. Nous avions participé à un tirage au sort, après inscription sur la page web de l’ONG. RJLiban mène divers programmes sociaux, culturels et touristiques au Liban et avec l’émigration dans le monde. Ce voyage répondait à sa mission, qui est celle de la promotion du retour de descendants de Libanais, et du rapprochement avec les familles d’origine. Plusieurs participants à ce voyage ont réussi cette entreprise, parmi eux Laura et Mario Athié, tous deux de Mexico, José Luis Elmelaj d’Argentine et Antonio Abdo de Bolivie. Leurs rencontres avec leurs familles ont apporté des réponses à des recherches menées depuis bien longtemps et ont réveillé une infinité d’émotions. Des expériences qui « ont enrichi notre existence » Notre tournée du Liban a été inaugurée par une cérémonie à laquelle ont assisté les ambassadeurs d’Argentine, du Mexique et d’Uruguay, la consule générale de France, ainsi qu’un représentant du ministère libanais du Tourisme. Naji Farah a déclaré à cette occasion : « Tout émigrant libanais a le droit de retourner au Liban. » Ces propos m’ont incitée à réfléchir, encore une fois, sur une réalité douloureuse : beaucoup de nos grands-parents n’ont pas pu retourner à leur terre d’origine, mais cette opportunité nous a été donnée à nous, leurs descendants. La visite au Bled incluait des parcours du nord au sud et de l’est à l’ouest : grandes cités, petits villages, campagne, montagnes, grottes, littoral, zones archéologiques et vieux quartiers. Ces lieux sont tous emplis d’histoire, de beauté et de couleurs. Ces expériences ont enrichi notre existence : vivre en communauté avec des personnes de neuf pays, découvrir que l’origine commune et le désir de retrouver ses racines sont un énorme facteur d’unité. Nous avons été conviés, à Hammana, à un dîner donné par l’évêque maronite du Mexique, Mgr Georges Abi Younès, qui visitait le Liban durant cette période. Nous avons écouté les récits de nos compagnons de voyage autour de leurs péripéties et, dans certains cas, de leurs sacrifices, pour pouvoir acheter les billets d’avion (unique exigence de RJLiban). Nous avons suivi des cours de libanais dialectal dans une ambiance ludique, durant lesquels le professeur Samira el-Jorr s’efforçait de nous en faciliter l’apprentissage. Nous nous sommes retrouvés autour de tables remplies de petits plats exquis qui nous étaient offerts, et dont la saveur nous rappelait les mets de notre enfance. Nous avons vu le groupe de jeunes Argentins danser la dabké comme des experts, et nous nous y sommes mis à notre tour, stimulés par la musique qui pénétrait la peau et réveillait une gamme d’émotions. Nous avons par ailleurs assisté au mariage de deux jeunes Argentins d’origine libanaise en la cathédrale de Tyr, Paula Gattas et Federico Montes Chantire, qui « réali- Bertha Jalil (deuxième à partir de la droite) en compagnie de ses nouveaux amis lors d’une soirée à Beyrouth. sèrent leur rêve de retourner à la terre de leurs ancêtres pour s’unir et commencer une vie libanaise ». Nous avons ensuite participé à une célébration inoubliable suivant les coutumes du pays. Nous avons aussi visité le sanctuaire de saint Charbel Makhlouf et assisté à une messe célébrée par le père Yaacoub Badaoui, venu lui aussi du Mexique. « C’est le Liban qui vit en nous » À tout moment, le groupe a bénéficié de l’hospitalité et de l’affection constante de Naji, de Joseph, du couple de professeurs, Nada et Joseph Rizk, de l’ambassadeur Farès Eid, de Rosarita Tawil, responsable des relations publiques, et de Vanina Palomo, sympathique et dynamique Argentino-Libanaise, également collaboratrice de l’association… Ce que nous avons vécu était un grand cadeau de la vie, un rêve atteint. Ce voyage a réveillé en nous un grand amour pour le Liban et nous a conféré une meilleure compréhension de nos ancêtres libanais qui ont délaissé leur Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban. E-mail : [email protected] – www.rjliban.com terre en quête de liberté et de la possibilité d’une nouvelle vie. Nous sommes désormais plus motivés à travailler pour le Liban. Avec ce voyage, RJLiban a amplement rempli sa mission, et il faut encore remercier pour cette grande opportunité l’association, Naji Farah et son équipe, ainsi que la présidence d’al-Fannaan. Voilà pourquoi nous disons aujourd’hui : « Nous ne vivons pas au Liban : c’est le Liban qui vit en nous ! » Bertha Teresa Abraham JALIL