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DIRECTION GENERALE POUR LES POLITIQUES EXTERNES DE L'UNION DIRECTION B - DEPARTEMENT THEMATIQUE - ETUDE EXTERNE Démocratisation dans le monde arabe Médias et femmes Contenu: L’étude explore quelques changements récents en ce qui concerne l'implication des femmes dans les médias arabes, en tenant compte des évolutions dans les différents secteurs des médias et des domaines y afférant. Avec cette approche, l'étude essaie de voir si les médias agissent comme un canalisateur ou amplificateur pour les changements sociaux et politiques qui touchent les femmes dans les pays arabes, ou si les mêmes forces qui influencent l'audience, les valeurs et les prédispositions agissent aussi sur l'expression des contenus dans les médias. Dans ce sens, l'étude démontre comment et de quelle façon ces luttes pour la formulation du statut de la femme s'expriment dans les médias, tout comme elles s'expriment dans le domaine de la politique et de la justice. Toute opinion exprimée est celle de l'auteur et ne reflète pas nécessairement la position du Parlement européen. DGExPo/B/PolDep/Note/2006_24 [PE N°] 16.1.2006 FR Sakr: Les femmes et les médias Cette note a été demandée par la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen. Le présent document est publié dans les langues suivantes: Français Anglais Auteur: Naomi Sakr Manuscrit achevé en janvier 2006 Pour obtenir des copies, veuillez vous adresser par: E-mail: [email protected] Bruxelles, Parlement européen, 20 avril 2006 PE 371.957v01-00 FR 2/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias Table des matières Introduction ………………………………………....…….........…..……..…..……3 1. La visibilité accrue des femmes ………………………...........…..……..……...3 1.1 Les armes dans la course à l’audimat 1.2 La reconnaissance des présentatrices 1.3 Les femmes reporters de guerre 1.4 La télévision, un espace de dialogue 1.5 La polémique sur les chanteuses 1.6 Nomination à des fonctions de cadres 1.7 La radio et la presse écrite 2. L’évolution au niveau organisationnel …………………………..…...………..9 2.1 Les utilisations de l’internet 2.2 Les avantages limités de la représentation syndicale 2.3 Le réseau panarabe de l’AWMC 2.4 La couverture médiatique des violences commises à l’encontre des femmes 2.5 La violence conjugale et le contrôle des médias 3. La dynamique de la politique des médias………………………….....………14 3.1 Les campagnes et les médias 3.2 Les approches en matière de division et de cohésion 3.3 Les femmes, les médias et la démocratie 3.4 Les réformes: suite ou point de rupture? 3.5 Les cadres propices au changement Conclusion……………………………………......……………………............……18 Bibliographie……………………………………………...........………….....…......18 DV\609726FR.doc 3/22 PE 371.957v01-00 FR Sakr: Les femmes et les médias Introduction Le paysage audiovisuel du monde arabe a connu une évolution spectaculaire ces dix dernières années, caractérisée principalement par l’adoption rapide par les opérateurs médiatiques et les consommateurs de la technologie de diffusion par satellite. Les médias transnationaux sont loin de représenter un phénomène nouveau dans cette région: voici longtemps que la langue commune de ses habitants, l’arabe, insuffle une dynamique aux centres de rédaction de journaux et de radiodiffusion qui se déplacent dans la région au gré de l'évolution de la situation politique. Toutefois, le phénomène de la télévision en tant que tel est devenu le centre de toutes les attentions, ce que l'on pourrait expliquer, entre autres, par le fait que la propagation de la télévision par satellite a coïncidé avec des événements majeurs impliquant des pays du MoyenOrient. Divers observateurs des médias accusent les chaînes de télévision d'attiser la haine au sein des populations arabes, d'encourager certains modes de consommation culturelle, etc. Les débats sur l’évolution du statut des femmes dans la région attribuent à la télévision aussi bien le rôle d’ennemi que d’ami. Ce rapport se propose d'explorer certains changements observés récemment au niveau de la participation des femmes aux médias arabes, compte tenu de l’évolution de différents secteurs médiatiques et domaines connexes. Ce faisant, l'objectif poursuivi est de déterminer si les médias accélèrent ou amplifient l'évolution sociale et politique des femmes dans les pays arabes, ou si ce sont les mêmes courants sociaux qui structurent les «valeurs et prédispositions» du public (Curran et al 1987: 2) qui façonnent également le type de contenu médiatique. Concrètement, le présent rapport s’attache à examiner de quelles manières les luttes entourant la position des femmes dans la société peuvent être représentées dans les médias, tout comme dans les domaines de la politique et de la justice. 1) La visibilité accrue des femmes 1.1 Les armes dans la course à l'audimat Avant de se pencher sur la visibilité des femmes dans les médias arabes, il convient de commencer par l'un des grands principes économiques, à savoir la loi de l'offre et de la demande sur le marché de l'emploi. L’explosion du nombre de chaînes TV par satellite dans les pays arabes s'est déroulée en deux phases, la première entre 1996 et 1998 (caractérisée en particulier PE 371.957v01-00 FR 4/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias par l'arrivée de nouvelles chaînes qatariennes, libanaises et égyptiennes) et la seconde entre 2002 et 2004 (stimulée en partie par le changement de situation provoqué par l’apparition de nouvelles chaînes privées dans des pays tels que l’Égypte, l’Iraq, le Liban et le Koweït). Arab Advisors Group, un cabinet de consultants basé à Amman, a recensé 55 nouvelles chaînes gratuites sur le marché au cours des 18 mois précédant juillet 2005. Dans une autre étude qu’il a réalisée, il a comptabilisé 13 nouvelles chaînes d’information en arabe, y compris la chaîne privée Al-Arabiya (lancée en 2003) et la chaîne publique Al-Ikhbariya (2004), toutes deux créées avec le concours financier de l’Arabie saoudite dans le but de faire contrepoids à Al-Jazeera. Le recrutement de femmes à certains postes clés dans les grandes stations TV satellite n’a rien d’étonnant. Les chaînes libanaises n'ont jamais caché que les présentatrices attireraient, selon elles, des téléspectateurs supplémentaires, en particulier dans les pays où les femmes ne sortent presque pas, ce qui leur donnerait donc un avantage sur leurs concurrents. Présentatrices qui se sont d’ailleurs vu dire sans ambages que ce que les téléspectateurs souhaitaient avant tout, c’était les voir, et non les écouter. Cette politique de recrutement a eu des conséquences pour les autres chaînes. Ainsi, Al-Ikhbariya a choisi une présentatrice pour donner son premier communiqué, preuve que la chaîne entendait dépeindre l'Arabie saoudite sous un jour nouveau. Al-Arabiya s’est même approvisionnée en présentatrices chez Al-Jazeera. 1.2 La reconnaissance des présentatrices Peu importe ce qui motive la nomination de femmes à des postes d'animatrices et de présentatrices TV, plusieurs d’entre elles se sont rapidement fait un nom sur des chaînes transnationales. Les personnalités du monde de la TV sont aux téléspectateurs ce que les marques sont aux consommateurs; elles entraînent le même sentiment de fidélité dans le sens où les téléspectateurs préfèrent les voix ou les visages familiers. En août 2004, un cabinet d'étude américain, InterMedia, a réalisé une étude auprès de téléspectateurs en Égypte, en Iraq, en Jordanie, au Koweït, au Liban, au Maroc, en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis, dont il est ressorti que deux présentateurs classés dans le top cinq par les hommes et femmes interrogés étaient des femmes, tandis que les femmes interrogées ont, dans leur grande majorité, porté leur choix sur des femmes présentatrices (Talgar 2005: 28). La première place d’une liste de dix présentatrices, classées suivant le nombre d’hommes et de femmes leur ayant accordé leur préférence, est incontestablement revenue à Khadija bin Qenna, une journaliste algérienne travaillant pour la chaîne Al-Jazeera. L’étude a été réalisée plusieurs mois après la décision de DV\609726FR.doc 5/22 PE 371.957v01-00 FR Sakr: Les femmes et les médias bin Qenna de porter le voile à l'écran, en novembre 2003. La crédibilité dont jouissent désormais les grandes présentatrices TV est apparue de manière radicalement différente en septembre 2005 lorsque May Shidyac, qui présente les infos et anime d’autres émissions sur LBC, a presque perdu la vie dans un attentat à la voiture piégée, quelques heures après avoir animé une émission dans laquelle il était question de l’assassinat du Premier ministre libanais Rafiq Hariri, et notamment de la prétendue implication de la Syrie. 1.3 Les femmes reporters de guerre La couverture des conflits armés a elle aussi joué un rôle dans la visibilité accrue des femmes faisant le même travail que leurs homologues masculins à la télévision. La nature dramatique de la guerre serait accentuée par la vue de femmes reporters, tandis que ses horreurs seraient atténuées par la présence de femmes (Sebba 1994: 277). Future TV a dépêché trois femmes pour couvrir l’invasion américaine de l’Iraq en 2003. Selon l’une d’entre elles, Najat Sharafeddine (2005), il s’agissait d’une décision délibérée de Future afin de conférer à sa couverture un avantage dans un contexte de concurrence acharnée avec des chaînes mieux équipées et dotées de technologies de pointe. Diana Moukalled, l'un des membres du trio, était déjà connue sur Future pour sa série documentaire Bi'l Ain al-Mujarrada (À l’œil nu), dans le cadre de laquelle elle s’était rendue en de nombreux points chauds du globe. Moukalled affirme que l'envie de faire ce travail lui est venue après avoir assisté au massacre de Qana en 1996, lorsque les forces armées israéliennes ont bombardé un poste de l’ONU dans le sud du Liban dans lequel des civils avaient trouvé refuge (Abu-Fadil 2004: 193). C’est grâce à la production de documentaires qu’elle a acquis une vision plus précise des conséquences de la guerre, notamment des conséquences que tout conflit armé a sur les femmes (Moukalled 2003). La troisième, Najwa alQassim, a été engagée plus tard par Al-Arabiya. Elle se trouvait au bureau d’Al-Arabiya à Bagdad lorsqu’une voiture piégée a explosé à proximité, faisant 7 victimes et blessant plus de 10 autres personnes à la fin de 2004. Coupée par des morceaux de verre, Qassim a rendu compte de l’événement en direct peu de temps après, ce qui lui a valu des menaces de mort pour avoir propagé des «mensonges» sur la «résistance» iraquienne (Shapiro 2005). 1.4 La télévision, un espace de dialogue Les documentaires tels que ceux de Moukalled ne sont qu’un exemple parmi tant d‘autres de programmes d’un genre nouveau qui sont diffusés à la télévision arabe et qui impliquent et représentent les femmes de multiples façons. Cette évolution de la situation a suscité un débat PE 371.957v01-00 FR 6/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias animé, tant dans les médias qu'en dehors, sur la manière dont la télévision pouvait aider les femmes à faire part de leurs griefs et les expliquer aux hommes. Les pays arabes ne comptent que très peu d'espaces publics de dialogue sur ce thème, tandis que les réunions privées de type salon ont tendance à rassembler soit exclusivement des hommes, soit exclusivement des femmes. C’est dans ce contexte que l’Alliance des femmes arabes, une organisation non gouvernementale (ONG) basée au Caire, a réalisé en 1993 ce que l’on pourrait qualifier de petite révolution en organisant plusieurs réunions auxquelles étaient conviées des avocates qui avaient l'occasion de s'adresser directement à des magistrats égyptiens (à l'époque exclusivement masculins) au sujet de leurs décisions concernant des questions telles que le divorce (Ammar et Lababidy 1999: 162). Les us et coutumes des pays arabes préfèrent que le dialogue fructueux entre les sexes continue d’avoir lieu à huis clos, et non pas par le biais de talk-shows mouvementés comme ceux qui ont fait la réputation d'Al-Jazeera. Les responsables d’Al-Jazeera ne se voient pas revêtir la robe d’avocats: ils ont conçu ces débats de manière à attirer irrésistiblement un public qui n’est pas habitué à de tels échanges, et non pas pour faire changer d’avis les téléspectateurs. Or, le titre même des séries présentant des formats plus propices au dialogue sur la position des femmes dénote un caractère exclusif. Nous avons ainsi Lil Nissa Faqat (Pour les femmes uniquement), Kalam Nowa'im (Propos du sexe faible), ou encore Laki (Pour toi – au féminin). Même si l’émission hebdomadaire Lil Nissa Faqat d’Al Jazeera était un véritable exemple d’ouverture pour la possibilité qu’elle offrait à des invitées venant de l’ensemble de la région de se pencher ensemble sur des sujets sensibles (Sakr 2005), et même si la plupart des coups de fil reçus en direct émanaient d’hommes, nombre de féministes arabes se sont dites exaspérées par son titre et les aspects de son contenu. Cette émission a été suspendue en juin 2005 après trois années d'existence. 1.5 La polémique sur les chanteuses Dans le même temps, la transgression des tabous sociaux sur les émissions de téléréalité et les clips vidéo a déclenché une vive polémique. De grandes chaînes satellite libanaises et saoudiennes ont obtenu d’entreprises européennes des formats de programme rencontrant un énorme succès (Nouvelle Star, Star Academy, etc.1), émissions qui leur ont permis de river les téléspectateurs à leur écran de télévision au fil des semaines. Ces formats, réunissant des concurrents, de la musique et des animateurs arabes, dont des séquences sont retransmises 1 Les versions arabes de la Nouvelle Star et de Star Academy s’intitulent SuperStar et Star Academy respectivement. DV\609726FR.doc 7/22 PE 371.957v01-00 FR Sakr: Les femmes et les médias 24 heures sur 24 sur des chaînes numériques, ont rencontré un énorme succès chez les jeunes téléspectateurs, comme en témoignent les millions de votes pour les chanteurs sélectionnés, hommes comme femmes, depuis 2003. Toutefois, les gardiens de l’ordre social, en particulier en Arabie saoudite, au Koweït et au Bahreïn, désapprouvent les programmes de téléréalité qui réunissent sous un seul toit des candidats célibataires. Ils ont en outre dénoncé les chants et danses au caractère provocant de vedettes – femmes s’entend - libanaises et égyptiennes sur les chaînes musicales arabes. Les chaînes musicales, détenues par des chefs d’entreprise saoudiens et égyptiens, constituent apparemment une mine d’or pour les sociétés de téléphonie mobile à en juger par les sms diffusés à l’écran. Selon certains observateurs, les clips ont faire disparaître tout repère en ce qui concerne le statut de la femme, en transformant son corps et l’exposition de celui-ci en champ de bataille (Abou El Naga 2004). D’autres, remarquant la production de clips musicaux arabes d’un autre genre faisant la part belle à la religion et aux valeurs familiales, considèrent que la polémique sur les clips «s'inscrit dans un cadre de tensions très anciennes sur le statut de la jeunesse dans la culture patriarcale» (Armbrust 2005: 28). 1.6 Nomination à des fonctions de cadres Parallèlement à la visibilité accrue des femmes à la télévision arabe, on remarque également leur nombre sans cesse croissant derrière le petit écran. Cependant, à ce jour, l’ampleur de cette tendance est limitée par l’organisation hiérarchique qui tend à conduire directement ou indirectement à un ministre de l’information d’un gouvernement probablement non élu ou impopulaire. Dans ce cas de figure, les femmes qui occupent des positions de cadre sont non seulement pieds et poings liés pour ce qui est de faire vaciller le statu quo - mais peuvent même être amenées à le consolider. Les conflits de loyauté se compliquent encore davantage lorsque les gouvernements arabes sont considérés comme devant leur survie aux ressources étrangères, y compris l’aide militaire occidentale. Dans ce genre de situation, la pression exercée ouvertement par l’Occident pour faire accéder les femmes au pouvoir se combine à l'absence de légitimité du gouvernement, ce qui jette le discrédit sur les politiques en faveur des femmes, vues comme un moyen d’«occidentaliser» la société. Il arrive que de telles politiques suscitent déjà le ressentiment. Ainsi, les quotas de députées introduits par un décret présidentiel en Égypte sous le régime de Sadat ont fini par jeter une ombre d'«autoritarisme» sur les droits des femmes (Hatem 1992: 234). Cette situation, conjuguée à la lourde censure exercée par le gouvernement sur le contenu des médias, réduit considérablement l’impact d'une forte présence de cadres féminins à PE 371.957v01-00 FR 8/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias travers le labyrinthe des médias publics égyptiens. La présence de femmes expérimentées à des fonctions dirigeantes dans des stations publiques a donné naissance à un vivier de talents dans lequel sont venues puiser les nouvelles chaînes satellite privées égyptiennes, telles que Dreal et Al-Mehwar. Cependant, l'expérience personnelle et les relations n'ont pas pu venir à bout des obstacles mis en travers de leur route par la censure. En Jordanie, où les femmes occupent des fonctions de direction dans les médias, le gouvernement a coopté une militante des droits de la femme au poste de ministre, lui faisant jouer un rôle par lequel elle donnait l’impression d’être complice de la répression des médias. 1.7 La radio et la presse écrite Néanmoins, depuis l'explosion des médias arabes, les professionnelles dans ce domaine bénéficient de nettement plus de possibilités d'acquérir de l'expérience sur le terrain. À cela s'ajoute que le volume d'informations pertinentes disponibles a lui aussi augmenté. La radio FM indépendante de la région, auparavant composée quasi-exclusivement de stations libanaises et palestiniennes, s'est considérablement étendue en 2003 après diverses modifications aux lois en Égypte, en Jordanie, aux Émirats arabes unis, etc. Fin 2005, on recensait plus de 60 stations de radio FM indépendantes, les débats radio se faisant l’écho des discussions télévisées et contraignant les chaînes publiques à organiser la riposte. Le nombre de journaux et de magazines a lui aussi augmenté, mais sur une période plus longue, une nouvelle fois en raison, entre autres, des modifications apportées à la législation sur les médias en Algérie, en Égypte, en Jordanie et au Yémen par exemple. Il y a de fortes chances que les petits nouveaux sur le marché, tels que les journaux Al-Masri al-Youm ou Nahdet Misr en Égypte, ou encore les illustrés marocains comme Femmes du Maroc ou Citadine, traduisent davantage que leurs prédécesseurs les changements sociaux qui affectent les femmes. En Arabie saoudite, l’éditeur de l’hebdomadaire Al-Sharq, basé à Dammam, a lancé en 2003 un hebdomadaire pour femmes intitulé Donya, qu’il diffuse également dans d’autres pays arabes depuis 2004. Le rédacteur en chef de Donya est un homme, mais l’équipe de journalistes est composée de femmes, qui développent des thèmes tels que la santé, l'enseignement, ainsi que les personnes travaillant dans ces secteurs. Trois histoires en première page d’un numéro de décembre (sélectionnées au hasard pour la présente étude) abordaient le traitement réservé aux enseignantes, le rêve de jeunes Saoudiennes de devenir pilotes et le pourcentage de femmes saoudiennes infectées par le virus du sida. DV\609726FR.doc 9/22 PE 371.957v01-00 FR Sakr: Les femmes et les médias 2) L’évolution au niveau organisationnel 2.1 Les utilisations de l'internet De par sa nature, la télévision confère à d'éminentes personnalités féminines une certaine visibilité. Mais la seule visibilité ne permet pas de connaître de manière fiable les réelles intentions d'ascension des femmes et de grands changements ont eu lieu loin des projecteurs des médias, à l'interface entre les organisations médiatiques et le féminisme. Il nous a été dit de voir dans les journaux et les programmes radio et TV des «moyens permettant toute une série de fonctionnements, plutôt qu'un flux de contenus à consommer» (Garnham 2000: 33). Pour ce qui est des ressources proposées par l'internet, la situation est on ne peut plus claire. Les données brutes révélant une faible pénétration de l'internet dans certains des pays arabes les plus peuplés ne disent pas tout. En effet, la fréquentation des cybercafés est incroyablement élevée. La concentration de 200 cybercafés dans une seule rue à Irbid en Jordanie, l’une des plus importantes au monde, aurait valu à ce pays une place dans le Livre Guinness des records (Wheeler 2005). On observe des taux de fréquentation aussi élevés pour les jeunes filles et les femmes que pour les hommes. Parmi la foule de sites de langue arabe qu’ils peuvent visiter1 figure Islamonline. La contribution de journalistes et de conseillers de sexe féminin (Kristianasen 2005) à ce site, lancé au Caire en 1999, reflète le boom de l'activité indépendante des femmes – des oeuvres caritatives aux cercles de lecture du Coran - centrée sur les mosquées. Une initiative plus récente, poursuivant un objectif politique à cent pour cent, fut la création par une enseignante, Ghada Shahbandar, en collaboration avec d’autres professionnels, d’un groupe internet appelé Shayfeen.com (traduction: «nous vous voyons») chargé de recevoir les plaintes concernant les irrégularités des élections présidentielles de septembre 2005 en Égypte. Les grandes chaînes d’information Al-Jazeera et Al-Arabiya ont elles aussi leur propre site web, qui leur sert à sonder l'opinion publique ou, comme pour Al-Arabiya, à transgresser les tabous sociaux. Le propriétaire saoudien d’Al-Arabiya, un parent par alliance de la famille royale saoudienne, a fait part à des journalistes occidentaux de son souhait de nettoyer la région de ce qu'il appelle la «mentalité des Taliban» (Washington Times 2003). 2.2 Les avantages limités de la représentation syndicale 1 Selon un article rédigé par Layal Daou dans Al-Hayat le 16 janvier 2006, 800 sites traiteraient le thème des femmes arabes. PE 371.957v01-00 FR 10/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias Dans le secteur des médias, les femmes doivent encore conquérir la direction de journaux et les conseils de syndicats de journalistes. En Égypte, ce n'est pas parce que des femmes occupent des fonctions de cadres dans des chaînes publiques qu'il en va de même dans la presse semiofficielle. Un remaniement au niveau des rédacteurs en chef de grands journaux égyptiens en 2005 aurait dû déboucher sur la nomination d’une femme à une position dirigeante à Al-Akhbar. Il n’en a rien été. En outre, le conseil du syndicat des journalistes égyptiens ne compte plus de femmes depuis deux mandats, depuis l’exclusion par vote d’Amina Shafiq, une journaliste chevronnée d’Al-Ahram. Et ceci en dépit du fait qu’un tiers des membres du syndicat sont des femmes et de l'appel lancé aux syndicats pour qu'ils relèvent les défis auxquels les femmes journalistes sont confrontées à une époque où les heures supplémentaires et la précarisation de l’emploi sont devenues monnaie courante à l’échelle de la planète. La plupart des gouvernements arabes n’autorisent qu’un seul syndicat pour représenter les journalistes et restreignent l’adhésion à ce dernier à ceux qui ont conclu un contrat de travail par écrit. Alors que d’autres mécanismes de contrôle refusent aux médias indépendants la sécurité financière qui résulterait de la présence en suffisance de points de distribution ou des recettes publicitaires et qui leur permettrait d’embaucher des journalistes sous contrat, les syndicats de journalistes tombent sous la coupe de salariés de points de vente qui prennent garde à ne pas sortir des limites fixées en matière de liberté d'expression. Aussi la constitution d’une association saoudienne de journalistes (SJA) en 2003 et l’élection de deux femmes à son conseil en juin 20041, des avancées quoique remarquables dans le contexte saoudien, ne constituaient-elles pas un affranchissement des autorités, compte tenu de la stricte vérification des candidats par le ministère. Les éléments réformateurs des responsables saoudiens ont maille à partir avec les conservateurs religieux lorsqu’il est question d’accorder aux femmes des possibilités professionnelles. Les priorités des membres féminins du conseil de la SJA sont, selon leurs propres dires, l’obtention de contrats et la sécurité de l’emploi pour le vaste contingent de femmes journalistes établies à leur propre compte dans le royaume. 2.3 Le réseau panarabe de l’AWMC Si le syndicat jordanien, l'Association de la presse jordanienne (JPA), avait représenté ses membres féminins de manière adéquate, une nouvelle ONG n’aurait pas dû le faire à sa place. Mahasen al-Emam, première femme à être élue au conseil de direction de la JPA et première 1 Nahed Bashatah et Nawal al-Rashed, toutes deux liées au quotidien Al-Riyadh. DV\609726FR.doc 11/22 PE 371.957v01-00 FR Sakr: Les femmes et les médias rédactrice en chef de l’hebdomadaire Al-Bilad, a quitté la JPA pour constituer le Centre des médias des femmes arabes (AWMC) fin1999. Consciente des efforts visant à encourager les organisations médiatiques panarabes à établir une antenne en Jordanie, Emam à créé l'AWMC dans l'optique suivante: armer les jeunes diplômées en journalisme au monde du travail en leur prodiguant formations et conseils, notamment des conseils sur la législation du travail. Les membres de l’AWMC ont depuis conçu des cassettes vidéo de formation et organisent chaque année une conférence réunissant des femmes journalistes de pratiquement tous les pays arabes. La quatrième conférence, qui s’est tenue en septembre 2005, a accordé énormément d’importance aux préoccupations à l’intersection des médias, des questions liées au sexe et de la démocratisation. Les participantes à la conférence, placée sous le thème des «femmes arabes face aux changements politiques», ont débattu de la citoyenneté des femmes et de leurs droits, des conséquences de l'évolution politique et économique sur les institutions médiatiques, de la corruption dans les médias arabes et des défis posés par les nouvelles technologies. À un moment donné, Farida Naqqash, une militante égyptienne du parti de gauche Tagammu et de la Fédération progressiste des femmes, connue du public pour ses articles dans la presse écrite et ses apparitions télévisées, a attiré l'attention sur le traitement des femmes lors d'une manifestation en Égypte quelques mois plus tôt. Le 25 mai, les forces de sécurité n’avaient pas bronché tandis que des casseurs déchiraient les vêtements de manifestantes et de journalistes, les tiraient par les cheveux ou leur donnaient des coups (Eltahawy 2005). Selon Naqqash, l’apparition de nouveaux espaces médiatiques avait moins favorisé la liberté d’expression que l’affranchissement de la peur. 2.4 La couverture médiatique des violences commises à l’encontre des femmes Il est incontestable que les femmes ont appris, dans nombre de contextes différents, à se servir des médias pour attirer les regards sur l’autoritarisme, la violence et l’inégalité entre les sexes. Des photos des scènes évoquées par Naqqash ont été publiées dans le journal de l’opposition égyptienne Al-Ghad. Rania al-Baz, une présentatrice TV saoudienne s’est servie intelligemment de l'influence des médias en avril 2004 après avoir été battue quasiment à mort par son mari. Elle a convié des journalistes autour de son lit d’hôpital et les a autorisés à prendre des clichés de son visage défiguré, donnant ainsi lieu à couverture médiatique sans précédent de la violence conjugale en Arabie saoudite. Rana Husseini, journaliste pour la rubrique délits du journal anglophone Jordan Times, a commencé à écrire sur ce que l’on appelle les «crimes d’honneur» en 1994. Ces crimes mettent en scène des femmes qui sont tuées ou blessées par des proches PE 371.957v01-00 FR 12/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias pour avoir soi-disant sali l’honneur de la famille; les auteurs de tels crimes peuvent compter sur la clémence de la justice grâce aux vestiges du droit européen dans le code pénal de nombreux pays arabes1. Cette question placée sous le feu des projecteurs par Husseini a eu un retentissement presque trop important pendant le restant des années 90, conduisant notamment les médias occidentaux à assimiler crimes d'honneur et Jordanie uniquement, et par là même à mettre au ban le roi et le peuple de Jordanie. Le Parlement tribal conservateur du pays, formé en vertu d’une nouvelle loi électorale, s’est opposé fermement à toute modification du code pénal sous la pression de pays étrangers. Or, même s’il a condamné les crimes d’honneur et les discriminations sexuelles dans le système judiciaire jordanien, l’Occident n’est pas allé jusqu’à critiquer le roi et la loi électorale (Clark 2003: 41). L’engouement médiatique dans le pays comme à l’étranger n’a pas non plus préservé Rania al-Baz. Soumise à l'interdiction de quitter le royaume sans l'accord écrit d'un tuteur masculin, elle a pris la fuite pour la France en octobre 2005 sans aucun retour possible sur le plan juridique. Quant aux maltraitances mentionnées par Naqqash, l’indignation suscitée est retombée comme un soufflé, à tel point que le procureur général égyptien a décidé quelques mois plus tard de ne pas instruire l’affaire. Il a même été suggéré sur Orbit TV, une chaîne saoudienne entretenant des liens étroits avec le président égyptien, que les victimes avaient inventé leur histoire de toutes pièces. 2.5 La violence conjugale et le contrôle des médias Diverses études réalisées par des femmes arabes ont montré que la violence à l’encontre des femmes était monnaie courante dans les séries et films télévisés. Le contrôle des émissions dans le but de saisir l’étendue et la nature du phénomène demeure une activité marginale, qui n'en est d'ailleurs qu'à ses balbutiements. La Commission nationale pour les femmes, parrainée par le gouvernement égyptien, et le Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche (CAWTAR - fondé par le gouvernement tunisien, le PNUD, et le Programme du golfe arabe pour les organisations de développement des Nations unies), basé à Tunis, ont tous les deux affirmé vouloir passer au crible le contenu des médias. Ils n’ont publié aucun résultat à ce jour. En revanche, MediaHouse, une entreprise de production privée, et le nouveau Centre de recherche pour la femme (NWRC), une ONG basée au Caire, ont regardé à la loupe les films et séries diffusés dans la région en 2002 et 2003 et ont publié leurs résultats dans la presse et même 1 P.ex. un article du code pénal français de 1810, qui prévoyait la commutation de peine pour tout homme ayant tué sa femme après l’avoir prise en flagrant délit d’adultère, est resté en vigueur suffisamment longtemps pour s’introduire dans les lois des pays arabes sous domination française. DV\609726FR.doc 13/22 PE 371.957v01-00 FR Sakr: Les femmes et les médias à la télévision1. Ils ont analysé les programmes diffusés pendant le mois de jeûne du Ramadan, au cours duquel il est de coutume que les familles se réunissent au soir devant la télévision après avoir rompu le jeûne. Sur les 12 séries et 6 films examinés en 2002, 559 cas de violence contre des femmes ont été répertoriés, dont 13 pour cent de meurtres et 42 pour cent de coups (MediaHouse 2003: 13). L’analyse réalisée en 2003 s’est axée sur les stéréotypes. Loin de se féliciter de cette étude, le gouvernement égyptien a tenté d’empêcher le NWRC de l’enregistrer en invoquant la nouvelle loi de 2002 sur les ONG. Le NWRC a pu seulement l’enregistrer après avoir fait appel de la décision du gouvernement devant les tribunaux. Étant donné que les ONG égyptiennes peuvent avoir difficilement accès aux financements étrangers, le projet d’analyse du contenu des médias a bénéficié de fonds par l'intermédiaire de MediaHouse. 3) La dynamique de la politique des médias 3.1 Les campagnes et les médias Jusqu’à présent, le présent rapport a démontré que la visibilité des médias ne permet pas en soi d'affranchir les femmes, car il faudrait pour ce faire modifier les systèmes juridique et politique. Inversement, l’invisibilité des femmes dans les médias ne signifie pas l’absence de toute action autonome. Diverses études ethnographiques réalisées auprès de groupes de femmes arabes, y compris les mouvements de femmes autour des mosquées, révèlent des formes d’agencement qui résistent à toute classification binaire, à savoir soit la reproduction du schéma patriarcal soit le renversement de ce système (p.ex. Mahmood 2005; Barazangi 1999). Ce type d'étude montre que les femmes parviennent à s'épanouir même enserrées dans un carcan, les restrictions qui leur sont imposées portant non seulement sur le sexe mais également sur d’autres axes de relations de pouvoir. Ces études fournissent également des preuves édifiantes en ce qui concerne les concepts de consultation et de recherche du consensus enchâssés dans le terme arabe de shura2, lequel est nettement plus chargé pour la majorité des hommes et des femmes de la région que les versions simplistes de la «démocratie» qui le réduisent à la règle de la majorité et à l’organisation d’élections. La recherche du consensus n'est pas sans conséquences sur les modes de l'action politique. Lorsque les médias sont généralement liés à des structures de pouvoir bien enracinées 1 2 P.ex. le journal saoudien Al-Hayat et Lil Nissa Faqat d’Al-Jazeera. L’injonction coranique 'wa'l-amr shura bainakum' veut dire «c’est à vous de régler cette question». PE 371.957v01-00 FR 14/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias dans la société, les groupes subalternes ne peuvent considérer les médias comme le premier moyen ou le moyen le plus efficace de canaliser leurs aspirations à plus d'égalité. Les auteurs d'une étude se sont penchés sur ce que les femmes pensaient de l'amélioration de leur position dans la vie publique et sociale, le résultat étant que celles-ci ne considèrent pas, loin s’en faut, les médias comme un facteur de changement potentiel (Salem-Pickartz et al 2002: 116-117). Les médias sont eux aussi frileux: le quotidien saoudien Al-Watan a récemment décidé de ne pas publier en première page l'histoire de la progression des femmes dans la société par crainte de mauvaise publicité (Fattah 2005). 3.2 Les approches en matière de division et de cohésion Parmi les facteurs qui empêchent les médias arabes d’apporter une contribution de taille à la consultation et à la recherche du consensus figurent les lois qui leur interdisent de relayer les différences d’opinion. Certaines sociétés considèrent les désaccords étalés au grand jour par les médias comme un moyen de promouvoir les connaissances et la compréhension, ce qui à son tour favorise la cohésion sociale et permet de trouver un terrain d’entente. Les journalistes arabes sont nombreux à insister pour que les médias jouissent d’une plus grande liberté, précisément parce qu'ils partagent cette démarche. En revanche, leur système juridique national sert fréquemment à consolider ce qui constitue dans les faits la règle du parti unique en interdisant les articles ou programmes qui abordent les divisions sociales, au motif que cela ne fera qu’exacerber le sectarisme, saper les valeurs familiales, détruire les traditions, etc. C’est la raison pour laquelle le «dialogue national» prôné par l’Arabie saoudite, lancé en 2003, a dans un premier temps rassemblé des représentants et représentantes de différentes communautés à huis clos seulement. Ce n’est qu’en décembre 2005 que les chaînes de télévision ont pu retransmettre les séances en direct. Ailleurs, les scénaristes sont frappés par la censure s'ils traitent des sujets tels que les relations entre monde chrétien et musulman ou entre chiites et sunnites, ou encore le statut des femmes. Démarche qui, dans une certaine mesure, concorde avec les sensibilités de l'opinion publique. Ainsi, le réalisateur Hala Galal1 estime que les Égyptiens sont agressifs lorsqu’il est question de leur image et de celle de leur société, désirant que la situation soit dépeinte comme ils souhaiteraient qu’elle soit, et non pas comme elle est dans la réalité (Morgan 2005). C’est la raison pour laquelle Al-Jazeera, qui adhère aux normes communément admises 1 Y compris Dardasha Nissa'iyya (bavardage de femmes) DV\609726FR.doc 15/22 PE 371.957v01-00 FR Sakr: Les femmes et les médias pour ce qui est de l’intérêt d’un sujet en termes journalistiques et interroge les différentes parties au conflit, a si souvent été accusée dans les pays arabes de semer la discorde. 3.3 Les femmes, les médias et la démocratie À la suite de la plus grande liberté résultant de la présence de médias transnationaux, les populations des pays arabes ont pris davantage conscience de la manière dont les médias nationaux pouvaient être améliorés. Cependant, les bâtons mis constamment dans les roues au niveau national expliquent, entre autres, pourquoi les campagnes en faveur de l'égalité des sexes dans la région sont souvent associées, directement ou indirectement; à des initiatives prônant la diversité des médias et la liberté d'expression. Ainsi, le mouvement féministe palestinien, très actif, largement reconnu pour sa contribution à la «naissance d’une subculture politique démocratique tolérante à l’égard des différences politiques» (Barron 2002: 90) a collaboré avec des médias non gouvernementaux palestiniens, y compris Al-Quds Educational TV et le réseau Ma’an de stations locales, qui aspirent également à promouvoir la politique participative en représentant les différents courants politiques. Le Comité technique pour les affaires féminines (WATC), une coalition de partis politiques et d’ONG, a vu le jour en réaction à la marginalisation des femmes dans les comités institués dans le cadre des négociations de paix multilatérales (Kuttab 1998: 121). Le WATC, qui a fait campagne pour que les femmes bénéficient d’un quota de 30 pour cent des sièges lors des premières élections du Conseil législatif palestinien en 1996, a finalement obtenu un quota de 20 pour cent, adopté en 2004. Il a permis à des femmes élues de siéger dans des conseils municipaux à la fin des années 90, lorsque les élections municipales officielles ont été annulées, et a organisé des sessions de parlement modèle pour les hommes et les femmes. Tout au long de cette période, le WATC et d’autres ONG de femmes ont collaboré avec des éditeurs et des responsables de la radio et de la télévision, rédigeant des suppléments aux journaux et produisant des programmes pour la radio et la télévision, dont des documentaires et des débats sur l'éducation et les droits des femmes (Somiry-Batrawi 2004: 115). Il convient absolument de mentionner un documentaire produit conjointement par le WATC et le Ma’an sur une femme élue maire d’une municipalité de Cisjordanie à la lumière de l’élection, en décembre 2005, d’une chrétienne aux fonctions de maire de Ramallah par des conseillers représentant le Hamas et d’autres partis. PE 371.957v01-00 FR 16/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias 3.4 Les réformes: suite ou point de rupture? De la même manière, les différentes étapes du combat des femmes marocaines pour leur participation à la vie politique révèlent que le déblaiement du terrain en faveur de pratiques démocratiques implique également le développement de médias pluralistes. L’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM), née en 1985, a créé sa propre commission pour la participation des femmes à la vie politique en 1992; deux femmes ont été élues au parlement pour la première fois lors des élections législatives de 1993 (les premières en neuf ans). À la suite du statu quo des élections de 1997, l'ADFM a décidé de s’efforcer surtout d’apprendre aux femmes à défendre leurs intérêts et à bien faire passer leur message. Pour ce faire, elle a dû s’opposer au contenu des médias (en particulier les fictions et les publicités) qui étaient en contradiction directe non seulement avec l'objectif poursuivi par l'ADFM, mais également avec l'intention affichée ouvertement par le gouvernement lui-même, celle-ci étant de promouvoir la santé des femmes, leur éducation et leurs ressources financières et de réformer le code de la famille entaché de discriminations, la moudawana. La moudawana a fini par être révisée en 2004 après qu’Al-Adl wa'l Ihsan, un mouvement islamiste populaire au Maroc, se fut prononcé en faveur de cette réforme pour des raisons religieuses, et au lendemain des attentats suicides de Casablanca, qui ont jeté le discrédit sur les fondamentalistes opposés à la réforme. La presse indépendante a pu elle aussi monter à la tribune. Ainsi, Le Journal Hebdomadaire a publié un «débat civilisé» (Jamaï 2004) entre Nadia Yassine de l’Al-Adl wa'l Ihsan et un ministre favorable aux réformes. Toutefois, la presse indépendante marocaine a subi les représailles du gouvernement et s'est vue privée de toutes ses recettes issues de la publicité. Entre-temps, les féministes redoutent que les juges appliquent sans précipitation aucune la moudawana révisée, d’où la nécessité de maintenir un contrôle strict des médias. Aussi, en ce qui concerne l’exemple marocain, la lutte permanente pour l'égalité des sexes et celle pour la survie des médias indépendants constituent deux éléments indissociables. 3.5 Les cadres propices au changement On pourrait avancer que, certes, l’ouverture des médias et la reviviscence de la politique, conjuguées à l’action des femmes, ont permis de déblayer le terrain pour la révision du code de la famille marocain, mais ce sont d'autres facteurs qui ont déclenché cette révision proprement dite. Cela vaut également pour la modification de la législation électorale du Koweït intervenue DV\609726FR.doc 17/22 PE 371.957v01-00 FR Sakr: Les femmes et les médias en mai 2005, qui, après des décennies de campagnes en faveur des droits politiques des Koweïtiennes, leur a finalement accordé le droit de vote et le droit de se présenter à des fonctions officielles. Cela fait longtemps que des femmes occupent des fonctions importantes dans les médias du pays, dont les éléments progressistes soutiennent aussi de longue date le droit de vote des femmes. Pour autant, ces facteurs, tout en constituant un terreau favorable, n'ont pas figuré parmi ceux qui ont finalement été à l'origine de la victoire sur les députés tribaux et sunnites siégeant à l’assemblée nationale. Le peuple koweïtien la doit plutôt à la crainte du Premier ministre d'être embarrassé par cette question pendant une visite aux États-Unis. Réfléchissant rapidement et manœuvrant habilement, le gouvernement a soudainement imposé la mesure en invoquant une règle spéciale de procédure parlementaire, tout en faisant mieux passer la pilule aux députés en soumettant un projet de loi pour la revalorisation salariale dans les secteurs public et privé. Néanmoins, considérés conjointement, le rôle des médias et la présence d’espaces de discussion nous donnent des éléments pour comprendre comment les groupes de femmes ont œuvré au changement au Koweït, comme ce fut aussi le cas en Palestine et au Maroc. Ils peuvent également nous fournir un élément de réponse quant au climat nettement moins favorable à la promotion du rôle des femmes dans la vie politique égyptienne, pays où le parti au pouvoir a l'emprise sur le parlement et les médias et gêne les ONG dans leur travail. Lors des élections législatives égyptiennes de 2005, le nombre de femmes élues à l’assemblée populaire a reculé de sept à quatre, tandis que l’on ne comptait aucune femme parmi les 73 nouveaux procureurs nommés cette année-là. PE 371.957v01-00 FR 18/22 DV\609726FR.doc Sakr: Les femmes et les médias Conclusion L’augmentation considérable et rapide du nombre de médias arabes, en particulier des chaînes de télévision, a permis d'accroître la visibilité des femmes journalistes, présentatrices, productrices, réalisatrices, scénaristes et cadres. Parallèlement, les femmes des pays arabes ont été parmi les premiers à tirer parti des nouveaux canaux de communication sur l'internet. En dépit de leur visibilité accrue dans ces nouveaux moyens de communication, il serait toutefois erroné de s'essayer à généraliser l'évolution des femmes ou l'impact qu'elles peuvent avoir sur l’opinion publique. Le processus qui a permis l’arrivée de débats télévisés sur l'inégalité entre les sexes ou d’articles dans la presse sur les femmes qui exercent une activité professionnelle est également celui qui a ouvert la voie aux clips vidéo controversés, aux sites web extrémistes opposés à la présence des femmes dans la vie publique, et aux séries dramatiques dans lesquelles la violence conjugale est considérée comme normale. L’atténuation du déséquilibre entre les sexes dans les conseils de syndicats de journalistes est plutôt inégale; les ONG prônant une représentation plus équitable des femmes dans les médias font souvent l'objet de contrôles sévères en permanence, tandis que les médias indépendants doivent lutter pour survivre. Tout ceci pour dire que la présence des femmes dans les médias, notamment leur présence en tant que journalistes, doit s’inscrire dans un cadre d'évolution sociale et politique plus large, étant donné que les médias sont soumis eux aussi aux forces divisées et contradictoires qui sont à l’œuvre dans la société dans son ensemble. Forces qui sont à leur tour affaiblies ou renforcées de multiples façons par les régimes autoritaires divers, l’intervention occidentale et la lassitude de l’opinion publique vis-à-vis des uns comme de l’autre. Dans les pays où la population féminine a remporté de belles victoires, telles que l'instauration de quotas au parlement, l'égalité en droit, ou même seulement le droit de vote, ces progrès doivent être préservés et consolidés par le biais des médias et d'autres forums. Bibliographie Abou El Naga, Shereen (2004) Arab Women and the New Media: Empowerment or Disempowerment? 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