Les économistes rentrent dans les jeux vidéo
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Les économistes rentrent dans les jeux vidéo
Nombre de document(s) : 1 Date de création : 22 octobre 2014 Créé par : SCD-NANCY-II Les économistes rentrent dans les jeux vidéo Courrier international - 3 janvier 2013..................................................................................................................2 1 Nombre de document(s) : 1 Date de création : 22 octobre 2014 Courrier international, no. 1157 Transversales, jeudi 3 janvier 2013, p. 35 TENDANCE Les économistes rentrent dans les jeux vidéo Brad Plumer The Washington Post ( WASHINGTON ) - L'inflation peut être un vrai casse-tête pour le président d'une banque centrale. Mais il faut être un économiste un peu spécial pour savoir que faire quand un vaisseau spatial attaque un comptoir commercial interstellaire et provoque une flambée du prix des minerais dans toute la galaxie. C'est justement le cas d'Eyjólfur Gudmundsson. Cet économiste travaille pour la société de jeux vidéo islandaise CCP Games et supervise l'économie virtuelle du jeu en réseau Eve Online. Dans cet univers, les participants construisent leurs vaisseaux et parcourent une galaxie de 7 500 systèmes stellaires. Ils achètent et vendent des matières premières, spéculent, fondent des banques et constituent des coalitions commerciales. C'est une énorme économie : ce marché virtuel réunit plus de 400 000 joueurs, un nombre supérieur à la population de l'Islande. Inflation, déflation, voire récession, tout peut arriver. Dans son bureau de Reykjavík, Gudmundsson épluche, avec une équipe de huit analystes, des montagnes de données pour faire en sorte que tout se passe bien. Son travail n'est guère différent de celui de Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale américaine. Nombre de chercheurs en économie se passionnent pour l'étude des jeux vidéo. Après tout, ces mondes virtuels leur permettent d'étudier des concepts qui se concrétisent rarement dans la vie réelle. Et l'on peut y mener des expériences à grande échelle - des expériences impossibles à réaliser dans un pays pour des raisons évidentes.Cela pourrait révolutionner l'économie. "La théorie économique est arrivée dans une impasse - les dernières nouveautés remontent aux années 1960", affirme l'économiste grec Yanis Varoufakis. " A l'avenir, il faudra expérimenter et simuler, et les communautés de jeux vidéo nous le permettent." Il a annoncé en juin dernier sur son blog qu'il avait été recruté par Valve, le concepteur de la série de jeux HalfLife. Varoufakis n'est pas un obscur gratte-papier. A l'université d'Athènes, il est devenu célèbre pour ses analyses mordantes des crises de la dette grecque et de l'euro. Valve, qui supervise toute une gamme de jeux en réseau accessibles via la plateforme Steam, dont Team Fortress 2, voulait relier différents jeux pour permettre aux participants d'échanger des biens virtuels. Comme Gabe Newell, le directeur général de la société, l'expliquait dans un courriel à Varoufakis : "Nous songeons à relier les économies de 2 deux environnements virtuels (en créant une monnaie commune) et à nous attaquer à des problèmes épineux de balance des paiements." Qui était mieux placé pour remplir cette tâche qu'un spécialiste des difficultés que l'Allemagne et la Grèce avaient rencontrées après avoir adhéré à l'euro ?A ce jour, trois sociétés seulement - CCP Games, Valve et ArenaNet, l'éditeur de Guild Wars 2 - sont allées jusqu'à embaucher des économistes. Mais plusieurs chercheurs spécialisés dans les mondes virtuels ont déjà travaillé comme consultants pour des concepteurs de jeux. Masse monétaire Pour Eve Online, Gudmundsson supervise une économie très fluctuante : elle a connu une croissance de 42 % entre février 2011 et février 2012, puis une contraction de 15 % l'été dernier. Son équipe doit périodiquement régler des déséquilibres dans la masse monétaire. Elle peut par exemple réduire l'inflation en introduisant un nouveau type d'armes pour absorber la monnaie virtuelle - un peu comme le ferait une banque centrale en vendant des obligations. Selon Gudmundsson, la gestion de l'économie virtuelle peut être étonnamment difficile. "C'est bien Nombre de document(s) : 1 Date de création : 22 octobre 2014 plus fascinant, bien plus intéressant, et cela va bien plus en profondeur que ce que j'imaginais", assure-t-il. Par exemple, les responsables d'Eve Online introduisent régulièrement de nouvelles technologies ou modifient la disponibilité de certaines matières premières pour maintenir l'intérêt du jeu - ce qui produit les mêmes effets que les chocs technologiques dans la vraie vie. Mais les joueurs essaient souvent d'anticiper ces modifications. "On a même vu de vastes alliances se former dans l'objectif de manipuler le marché, de contrôler les approvisionnements et de modifier les prix, ajoute Gudmundsson. Ça ressemble beaucoup au fonctionnement de l'Opep."D'une certaine manière, l'économie d'Eve Online est une expérience libertarienne à grande échelle. Il y a peu de règles. Les marchés rebondissent rapidement après une récession parce qu'il n'y a pas de salaire minimum. Les joueurs peuvent s'associer pour former par exemple de grandes entreprises, des alliances commerciales et des institutions financières. Les banques d'Eve Online ne sont pas soutenues par une banque centrale ou par un prêteur de dernier recours, et elles ne sont pas tenues de constituer des réserves. "Cela les oblige à être diligentes et efficaces", explique Gudmundsson. D'un autre côté, cela fragilise le système. EBank a ainsi fait faillite en 2009 quand son fondateur a fait main basse sur ses fonds virtuels pour les échanger contre de l'argent réel auprès de joueurs, sur une sorte de marché noir. [Après l'annonce de ce braquage, les joueurs ont massivement retiré leurs dépôts et cette banque virtuelle s'est effondrée.] L'absence de contrôle peut aussi semer la pagaille dans les jeux. Au cours de l'été 2007, Second Life a connu une crise bancaire assez similaire à celle qui a frappé les Etats-Unis l'année suivante. Des milliers de joueurs avaient confié leur argent à des banques virtuelles qui l'avaient ensuite investi dans des casinos. Quand ces placements ont tourné au vinaigre, la panique s'est déclenchée. [Pour se mettre en conformité avec la loi américaine, la société éditrice a interdit les jeux d'argent dans Second Life. Les déposants se sont alors précipités pour récupérer leurs fonds.] Nombre de joueurs n'ont pas pu retirer leur argent auprès de la banque virtuelle Gingko Financial, qui a perdu 750 000 dollars dans la vraie vie. [Le dollar Linden de © 2013 Courrier international ; CEDROM-SNi inc. news·20130103·IL·939211 - Date d'émission : 2014-10-21 Ce certificat est émis à SCD-NANCY-II à des fins de visualisation personnelle et temporaire. Retour à la table des matières 3 Second Life peut être échangé contre de vrais dollars.] Les concepteurs du jeu ont dû intervenir et interdire certains types de prêts. Divergences Si fascinantes que ces économies virtuelles puissent être, les spécialistes sont divisés sur la question de savoir si elles peuvent nous apprendre grand-chose du monde réel. "Jusqu'à présent, nous n'avons rien vu dans ces environnements virtuels qui contredise les théories économiques fondamentales", déclare Ted Castronova, de l'université de l'Indiana à Bloomington, qui a été l'un des premiers à étudier les mondes virtuels. Après tout, l'ajustement rapide des prix à l'évolution de l'offre et de la demande dans Eve Online n'a rien de surprenant. Les économistes ont déjà étudié des monnaies artificielles dans d'autres contextes, comme les cigarettes en prison."J'ai dit un jour que, si Eve Online fermait demain, j'aurais assez de matériel pour faire de la recherche pendant dix ans", confie de son côté Gudmundsson. Mais pas tout de suite. Il n'a pas le temps. Car il a une économie galactique à surveiller.