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Des NOTES de LECTURE … 25 août 2015 … 1. « Notes » réalisées par Henry Colombani – ancien délégué national à la FCSF, membre de « Mémoires Vives Centres sociaux » - au simple titre d’un retraité, bénévole associatif qui, souhaitant approfondir ses lectures, propose de les partager avec ceux qu’elles intéresseraient. Elles sont donc subjectives, selon les intérêts du moment et les choix de l’auteur, et n’engagent aucune institution. En espérant qu’elles inciteront à lire, à nourrir le travail et les réflexions des acteurs bénévoles et professionnels, dans l’accord comme dans le débat contradictoire ! Les ouvrages retenus sont répertoriés et classés à la FCSF. 2. Site : http://www.centres-sociaux.fr/ - rubrique : « Ressources / Notes de lecture » . Laurent MUCCHIELLI1 (sous la direction de), La délinquance des jeunes, coll. « Les études », n°5402-03, La Documentation française, novembre 2014. [156 p. 14,80 €] Elle est ancienne et tenace, la tradition qui associe classes laborieuses et classes dangereuses 2, ainsi que celle qui noue jeunesse – et jeunes des classes populaires – et dangerosité. Pourquoi ces postures ? Que nous disent-elles sur la perception de la violence, la définition de la délinquance, selon les époques, les cultures ? Quelles distinctions accordent-elles selon les lectures des sciences du vivant, des psychologies, de l’éducation, mais aussi des droits et des règles judiciaires de référence, du politique ? C’est d’un regard de sociologue que Laurent Mucchielli, dans une remarque préalable3 à cet ouvrage collectif, nous invite à réfléchir au très grand écart qui existe entre la masse de connaissance élaborées par les disciplines concernées et l’absence de prise en compte qui en est faite dans le débat public. ******** Un tel « recul », nécessaire pour prendre en considération les recherches et les travaux scientifiques, est difficile. Y font obstacle aussi bien les pressions des 1 Sociologue, auteur de nombreux ouvrages sur les questions de délinquance et les institutions pénales, Laurent Mucchielli, est rattaché depuis 2010 au Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (LAMES), unité mixte de recherche entre le CNRS et l'université Aix-Marseille, au sein de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (MMSH). En 2011, il créé un nouveau programme de travail ainsi qu’une structure qu’il baptise « Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux » (ORDCS) qui constitue un « programme de recherche transversal » de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme. Cf. l’ouvrage remarqué de Louis Chevalier, historien et démographe français, professeur au Collège de France de 1952 à 1981 et spécialiste du milieu parisien : Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle. Plon, 1958. Réédité en Poche : Perrin, Tempus, 2007. 2 3 Voir son interview aux ASH, 24 octobre 2014, p. 28-29. 1 enjeux politiques, la surexposition médiatique, les réflexes de l’opinion – essentiellement sur le registre de la morale et du jugement de valeur à partir de « prérequis » -, en n’oubliant pas la nécessité pour les acteurs engagés de répondre par des actes, sans attendre la fin des débats conceptuels ! Cette « relativité » doit être perçue, mais l’opération est difficile, dans la mesure où les formes et contenus de ces contextes se chevauchent eux-mêmes d’une époque à l’autre, notamment à travers les générations qui se superposent et coexistent avec de fortes différences de perceptions. Il y a les anciennes, qui portent une représentation du monde … qui n’est déjà plus, révolue pour les nouvelles mais qui n’ont pas encore forgé leur propre vision, tandis que les générations intermédiaires se débrouillent, souvent en porte-à-faux, pour tenir l’équilibre ou le passage entre le déjà plus et le pas encore, entre l’ancien et le futur ! Un des intérêts majeurs de l’ouvrage : l’approche historique, sur la longue durée – du Moyen Age à nos jours. Sont ainsi présentée dans les trois premiers chapitres, d’une manière concise mais fortement argumentée, les essentiels des très nombreux et copieux travaux des historiens et des sociologues de la violence, de la délinquance et de l’évolution des représentations et conceptions avec leurs conséquences juridiques et morales4. [Voir le sommaire du Chapitre 1. Violences et délinquances juvéniles dans la longue durée historique (Xavier Rousseaux et Veerle Massin) • Du Moyen Âge à la « première modernité » : l’« émergence » de la jeunesse (1300-1450) • « Réveil éthique », confessionnalisation et discipline : des jeunesses sous tension (14501780). • La « seconde modernité » : industrialisation, urbanisation et « naissance » de la délinquance juvénile (1780-1860). • État national et jeunesse citoyenne : mobiliser les jeunesses au service de la nation (18601950). • Sortie de guerre, trente glorieuses, postmodernité et révoltes juvéniles : la seconde moitié du XXe siècle. La conclusion du chapitre explicite qu’il s’agit de procéder à une « archéologie d’une construction sociale, qui suppose l’émergence de la notion de jeunesse, puis de son contrôle éthique avec, progressivement, la réorientation de la violence (physique et sexuelle, notamment chez les jeunes mâles célibataires) vers des espaces de civilisation des mœurs, les formes admissibles de violence étant peu à peu appropriées par l’Etat s’instituant (pouvoir militaire au service du Roi, puis de la Nation et de la Patrie, pouvoir législatif et judicaire établissant les normes du droit, de l’interdit, ainsi que les réparations et sanctions). Mai ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle – avec le développement de l’ère industrielle, le premier exode rural forme les faubourgs manufacturiers puis ouvriers - que se distingue la catégorie nouvelle de l’adolescence « qui tente d’acculturer les classes populaires aux bourgeoises, en nécessitant un encadrement particulier pour la période sensible de 13 à 16 ans, mais aussi pour empêcher les jeunes d’agir trop vite comme des adultes, comme le veut la socialisation des classes populaires. » [chap. 1. P. 20] Pour aller plus loin sur la contextualisation de la variation des formes de traitement de la violence et de la délinquance, on pourra consulter avec profit l’ouvrage de l’historien Robert MUCHEMBLED : Une histoire de la violence. De la fin du Moyen Age à nos jours, Seuil, 2008. Vient d’être réédité en Poche, Tempus, février 2015. 4 2 Le chapitre 2 trace l’évolution de la figure du « Gamin de Paris » (valorisé jusqu’au mythe par le Victor Hugo des Misérables, dont on notera la position solitaire et visionnaire en un temps où les gens de lettres écrivaient leur mépris pour ces rebuts sociaux en des termes qu’on ne pourrait imaginer de nos jours…) jusqu’à celle des « blousons noirs », ainsi désignés à la fin des années 505, en passant par celle des « Apaches » parisiens du début du XXe siècle, qui devient « l’archétype du danger social, le parangon du crime… » qu’un Emile Faguet décrivait comme : ‘de 15 à 20 ans, l’être moral sollicité au crime par l’éveil des passions et le désir des jouissances, et n’ayant pas encore été moralisé par la vie, est le bandit à l’état pur […] le plus grand danger social c’est le bandit imberbe ! » [chap. 2. p. 37-38] [Voir sommaire : chap. 2. De Gavroche aux Blousons noirs. La construction de la délinquance juvénile comme problème public (Jean-Jacques Yvorel) • La prison et la découverte de la délinquance juvénile • Premières réponses et nouveaux experts • Jeunesse laborieuse, jeunesse dangereuse : la délinquance juvénile dans les enquêtes sur la condition ouvrière • Discours « savants », discours médiatiques et « invention » de la délinquance juvénile • Du gamin de Paris aux Blousons noirs : une matrice discursive toujours active En Conclusion, après l’analyse de presque deux siècles (env. 1800 – 1960), s’avère une constante dont la leçon est importante à retenir : « Dès qu’elle est ‘’inventée ‘’, et chaque fois qu’elle occupe le devant du débat public, la délinquance juvénile est présentée comme connaissant une extension inédite, et comme nécessairement plus grave et plus violente que naguère, un naguère qui n’est généralement pas daté. » [chap. 2. p. 41] On retiendra donc ici : - d’abord, que l’« invention » – les guillemets indiquant que le terme désigne à la fois la découverte d’un phénomène et la fabrication de sa représentation - est en partie construite par le débat public (on parlerait de nos jours e la sphère médiatique avec son ampleur et sa vitesse numérisée…) et la construction qu’on entend lui donner, bien au-delà du phénomène observé ; - ensuite, que la nouveauté supposée des fait est, par définition, pire que ce dont on se souvient ou, plus exactement, de ce que l’on se représente d’un passé, d’un « naguère », lui-même jamais daté… puisque chaque génération le reconstruit à son tour et à sa manière. En général, c’est le souvenir de sa propre enfance/jeunesse, qu’on interpose comme une protection contre un aujourd’hui qui, en décalage avec ses souvenirs embellis, devient menaçant parce qu’incompréhensible... Et, se repliant sur le registre moral, on évoque au lieu d’analyser le phénomène en termes de causes sociales, psychologiques, etc. : « on évoque principalement la responsabilité des parents et surtout les pratiques culturelles des jeunes…6 » En un mot, l’on produit et reproduit à chaque fois le processus de la « population-cible » ! Voir sur ce sujet les travaux de la regrettée Françoise TETARD : Le phénomène blousons noirs en France, fin des années 50, début des années 60, in Collectif, Révolte et société, Histoire au présent, Publications de la Sorbonne, 1989 Tome II, p. 205-214. 5 6 L’évolution de la délinquance des mineurs du point de vue des institutions pénales. Au XIXe siècle, on invoque la fréquentation du théâtre, les « blousons noirs » sont excités par le rock’n roll, et de nos jours : laissons à chacun d’examiner ce qu’il va imputer dans les cultures « d’jeunes » comme cause du « déclin » ! 3 C’est Laurent Mucchielli lui-même qui s’attache à la 3e et dernière période du triptyque historique, mais du point de vue des processus juridiques des institutions construisant le cadre législatif, réglementaire et déterminant les champs de pratiques des intervenants : . chap. 3 - L’évolution de la délinquance des mineurs en France depuis les années 1970 : • Définir et mesurer • Des enquêtes en population générale qui montrent une stabilité des phénomènes • Une délinquance des mineurs de plus en plus judiciarisée • Quelles évolutions dans la délinquance des mineurs en France ? L’on retrouve ici, clairement illustrées par les tableaux des évolutions statistiques du nombre de mineurs mis en cause dans les procédures, les hypothèses que l’auteur construit et défend dans les travaux précédents qui ont contribué à sa réputation scientifique et militante. L’assise de son approche semble bien résumée dans cette sorte de principe de précaution – d’abord, démarche épistémologique - qu’il énonce sur l’acte de mesurer en forme de trois règles d’or de l’analyse statistique en sciences humaines : 1) On ne peut rien dire d'un chiffre si l'on ignore comment il a été fabriqué ; 2) Un seul chiffre ne saurait permettre de décrire ni mesurer un phénomène social complexe ; 3) Les chiffres ne ‘parlent pas d'eux-mêmes’, c'est nous qui les faisons parler »7. Cette conception, qui porte également une éthique, permet à l’auteur de prendre des positions qualifiées de militantes – voire idéologiques, selon certains de ses contradicteurs -, mais qui semblent nécessaires à la fois sur le plan philosophique et sur le plan méthodologique : il s’agit de produire un travail de « déconstruction » des a priori culturels de toute espèce, de prendre en compte la contextualité de toute production sociale, ainsi que de la grille de lecture intellectuelle qui l’appréhende, et, enfin, d’évaluer le caractère historique de ces « construits », c’est-à-dire de mesurer et comparer les étapes de leur évolution. Risque de relativisme ? Peut-être : mais mieux valent ces éclairages pour lire et comprendre un phénomène, plutôt que les jugements pré-formatés qui, faute d’ajuster leurs outils de visée, tapent à côté de ce qui se produit. Quand ce n’est pas, comme c’est le plus souvent le cas en matière de délinquance des mineurs, traiter les symptômes en croyant intervenir sur les causes ! Un des premiers résultats de cette analyse tend à montrer que « contrairement à une idée courante du débat public, au plan national, il n’y a pas eu de croissance spectaculaire et spécifique de la délinquance des mineurs du point de vue des institutions qui la prennent en charge, à l’exception d’une courte période (19941998)8 » [chap. 3. p. 47] 7 Notons qu’un des combats scientifique de Mucchielli vise à analyser les conditions de production des statistiques sur la délinquance : d’abord, sur le plan de la définition de l’acte de mesurer, ensuite, dans le domaine de la critique de l’instrumentation que les politiques et institutions font des chiffres… Voir notamment deux articles éclairants : . Les techniques et les enjeux de la mesure de la délinquance, / http://www.savoir-agir.org/IMG/pdf/SA14-AlterIndicMucchielli.pdf . « Grand Entretien avec L. Mucchielli : le savant, l'expert et le politique : la production de connaissances sur la délinquance », in Savoir Agir,14 - http://www.savoir-agir.org/IMG/pdf/SA14-GdEntretien.pdf Les précisions de Mucchielli méritent une attention particulière, si l’on veut éviter de tomber dans le dualisme idéologique du type « laxisme versus autoritarisme » : en effet, « il ne peut y avoir de réponses simplistes à la question « la délinquance des mineurs augmente-t-elle ? » : il faut en effet savoir de quoi l’on parle, quant la notion recouvre des faits aussi disparates « tant dans leur nature (du tag au vol avec violence, en passant par la rixe dans le collège) et leurs circonstances (l’entrainement dans un groupe, l’acte occasionnel anodin, le comportement impulsif, etc.) que 8 4 Malgré leur intérêt et la finesse des approches qu’ils proposent sur des thématiques plus spécialisées, nous ne ferons que signaler les 3 chapitres suivants, en soulignant qu’ils complètent le voyage qui nous est proposé sur les différents axes de la problématique de la délinquance des jeunes : Chapitre 4. Les délinquances juvéniles : diversité des parcours et construction des « carrières » (Laurent Mucchielli) • Des types très différents de délinquants juvéniles • La notion de « carrière » délinquante • Entrées et sorties de la délinquance • La décisive question de l’insertion professionnelle Chapitre 5. Les violences sexuelles commises par des mineurs (Véronique le Goaziou) • Les « nouvelles » violences sexuelles • Les violences sexuelles dans les statistiques • Les violences sexuelles commises par des mineurs : premiers enseignements • Les faits de viol et leurs auteurs mineurs • Le regard de la justice : une palette diversifiée de réponses Conclusion Chapitre 6. Les bandes de jeunes dans la France contemporaine (Marwan Mohammed) • Comment est construite la figure des « bandes » ? • Les bandes telles qu’observées par la recherche • École et travail au cœur des mutations depuis un demi-siècle Conclusion. Ce que pansent et compensent les bandes. Le chapitre 7, dû à l’expertise de Christophe Daadouch, propose une lecture particulièrement aiguë du devenir d’une vielle dame qui célèbre cette année – malheureusement d’une manière trop discrète9 – ses 70 ans : l’ordonnance du 2 février 1945 issue des travaux du Conseil national de la résistance, avec bien d’autres mesures qui ont structuré après la seconde guerre mondiale l’Etat-providence en France, et qui régit le droit pénal des mineurs. . chap. 7. Que reste-t-il de l’ordonnance du 2 février 1945 ? • La spécialisation des acteurs de la justice pénale des mineurs • De l’irresponsabilité à une responsabilité atténuée • De la primauté de l’éducatif à l’automaticité de la réponse pénale • Le droit à l’oubli • Le temps de l’évaluation, le temps de l’évolution • Une nouvelle banalisation de l’enfermement ? dans l’identité de leurs auteurs, comme de leurs victimes… » [chap. 3. p. 48] On peut lire à cet égard la récente et stimulante contribution de Jean-Pierre ROSENCZVEIG, magistrat, ancien Président du Tribunal pour enfants de Bobigny jusqu’en juin 2014, auteur de « Dispositif français de protection de l'enfance », Jeunesse et Droit, 2005, et militant de l’ordonnance de 1945, dans une chronique de son blog du Monde : http://jprosen.blog.lemonde.fr/2015/02/01/exit-la-nouvelle-ordonnance-de-1945-594/ 9 5 Conclusion 70 ans … et peu retouchée, si ce n’est à la marge, pendant une trentaine d’année, puis soumise à une frénésie de réformes : une trentaine en 20 ans…, « relativisant son caractère sacré… » [chap. 7. p. 110]. Une formule illustre cette accélération qui aboutira à la réforme de la loi du 5 mars 2007, celle d’un futur président de la République, alors Ministre de l’Intérieur, énonçant « qu’on n’était plus mineur aujourd’hui en 2006 comme on l’état en 194510… », ou précisant sa pensée ‘anthropologique’ : « Un garçon de 17 ans, qui mesure 1,90 m, qui frappe à terre avec une violence inouïe un photographe ou une petite jeune fille, l’emmener au tribunal pour enfants, il n’a plus rien d’un enfant, c’est parfaitement ridicule. 11» C’est évidemment oublier les fondamentaux de la justice des mineurs et qui va fonder le socle de la démarche : prévenir, éduquer, punir… Justice qui repose sur la figure centrale du Juge des enfants (les tribunaux pour enfants ayant été créés en 1912…), « compétent tant au pénal qu’au civil, pouvant passer d’une procédure à l’autre à tout moment, avec une souplesse procédurale sans égale… Au pénal il est même compétent à toutes les étapes : juge d’instruction, juge des libertés et de la détention, juge de jugement, et, depuis la loi du 9 mars 2004, juge d’application des peines pour les mineurs incarcérés. » [chap. 7. p. 111] C’est à ce statut que de récentes lois – d’après les recommandations du rapport Varinard 12, en 2008, ont porté atteinte, notamment avec l’institution des tribunaux correctionnels pour mineurs avec présence de juges non spécialisés voire s’ouvrant à des jurys populaires. De même, dans les mesures pour combattre les « récidivistes » l’instauration d’une automaticité de peines, et de peines planchers, sont venues mettre à mal le principe d’individualisation des peines. Sans entrer ici dans des détails juridiques qui supposent des précisons et nuances qui ne sont pas de notre compétence, retenons l’évaluation générale proposée par C. DAADOUCH, qui a fait passer « de la primauté de l’éducatif à l’automaticité de la réponse pénale » [chap. 7. p. 118sq] La situation des services de la Protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ), qui est au cœur des démarches d’accompagnement des mineurs sous main de justice, a été bousculée par les réformes successives, notamment celle de 2007, mettant à mal « une culture éducative qui se transmettait depuis plusieurs générations et donnait du sens à l’engagement professionnel [… ] En somme, le dispositif s’est substitué à l’éducatif… [chap. 7. p. 113-114] Plus généralement, on est ainsi passé « de l’irresponsabilité du mineur à une responsabilité atténuée… » [chap. 7. p. 115sq] Enfin, un dernier chapitre (8) propose une évaluation des prises en charge des jeunes délinquants (Virginie Gautron), en mettant l’accent sur deux lignes de force mises en œuvre ces dernières années : • Le développement de nouvelles sanctions centrées sur la responsabilisation des mineurs primodélinquants • L’évolution des prises en charge des mineurs multiréitérants : entre éducation sous contrainte et contention L’auteure y traite, entre autres points spécialisés, la question des dispositifs intermédiaires d’éducation sous contraintes, avec les mesures de liberté surveillée, les TIG (travaux d’intérêt général) et, ce qui a le plus marqué le changement vis-à-vis des principes de l’ 10 Nicolas Sarkozy, sur TF1, le 4 janvier 2006 11 Idem, sur Europe 1, le 11 avril 2006. Remis à la Garde des Sceaux, le 3 décembre 2008, par le recteur Varinard, président de la Commission de réforme de l’ordonnance de 1945 concernant la justice des mineurs délinquants. 12 6 « éducabilité » des mineurs délinquants, un développement des mesures de placement à visée « contenante » (au sens de contention), dont les CER (centres éducatifs renforcés 13) et les CEF (centres éducatifs fermés), depuis les années 90. [cf. p. 143] Prononçant un jugement nuancé sur ces mesures, leur efficience et leur coût, notamment, il reste que l‘auteur conclut en soulignant que « les efforts des acteurs e la justice des mineurs pour conserver la philosophie de l’ordonnance de 1945 n’ont pas empêché de profonds bouleversements de ce modèle protectionnel. » [p. 145] Pour conclure, on ne peut qu’inviter les acteurs concernés du champ du travail social et de l’éducation à se ressourcer dans cette riche palette de contributions, précieux état des lieux de la situation de la délinquance des jeunes et des dispositifs qui en accompagnent la prise en charge par les politiques publiques. La spécialisation de compétence judiciaire d’un certain nombre d’articles ne doit pas rebuter le lecteur. Il y trouvera une aide pour sortir des jugements de valeurs à l‘emporte-pièce, empreints d’idéologie ou de présupposés convictionnels ou moraux, pour préférer l’endurance de la description des faits, la patience de leur décryptage, conditions requises pour construire, en tâtonnant, de réponses possibles. On notera enfin la richesse des références bibliographiques présentées à la suite de chacun des chapitres, ainsi que des nombreux tableaux descriptifs et explicatifs. Henry COLOMBANI Quelques éléments bibliographiques pour aller plus loin : Déchiffrer la violence, Entretien en vidéo avec Laurent Mucchielli, par Nicolas Duvoux, le 5 janvier 2010 - http://www.laviedesidees.fr/Dechiffrer-la-violence.html Véronique Le Goaziou, Laurent Mucchielli, La violence des jeunes en question, Éditions Champ social, coll. « Questions de société », 2009. Laurent MUCCHIELLI, L'évolution de la délinquance juvénile : essai de bilan critique ; (in revue « Vie sociale », 2002, n°3, p. 21-47) Laurent Mucchielli, Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, Paris, La Découverte, 2ème éd. 2002 - (les chapitres 1, 2 et 3 sont consacrés à l’analyse de la façon dont les médias, les hommes politiques, certains syndicats de police et quelques “ experts ” présentent dans le débat public la “ réalité ” de “ l’insécurité ”). Et aussi : Robert MUCHEMBLED : Une histoire de la violence. De la fin du Moyen Age à nos jours, Seuil, 2008. Vient d’être réédité en Poche, Tempus, février 2015. Françoise TETARD : Le phénomène blousons noirs en France, fin des années 50, début des années 60, in Collectif, Révolte et société, Histoire au présent, Publications de la Sorbonne, 1989 Tome II, p. 205-214. ***** Les placements en CER ont augmenté de 45% entre 2002 et 2010, représentant 1283 placements en 2010, soit 10,7 % de l’ensemble des placements judiciaires) [cf. p. 143] 13 7