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LA DÉTENTION CORPORATIVE D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU 40:1 LA DÉTENTION CORPORATIVE D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU Jean-François Pelland Avocat, LL. Fisc. Hart, Saint-Pierre TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION ..........................................................................................40:3 1. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ......................................................40:3 2. DÉTERMINATION DE L’EXISTENCE ET QUANTIFICATION D’UN AVANTAGE ..........................................................................40:4 2.1. 2.2. 2.3. MOTIFS PRINCIPAUX AYANT JUSTIFIÉ L’ACQUISITION OU LA DÉTENTION D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU PAR LA SOCIÉTÉ ............................................................................40:5 L’INTENTION DE CONFÉRER UN AVANTAGE À L’ACTIONNAIRE .....40:7 LA PROVENANCE DES FONDS ......................................................40:10 3. POSITION ADMINISTRATIVE DE REVENU CANADA ...................40:12 CONCLUSION ...........................................................................................40:12 40:2 APFF CONGRÈS 99 LA DÉTENTION CORPORATIVE D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU 40:3 INTRODUCTION Bien que simple en apparence, l’inclusion d’un avantage imposable au revenu d’un contribuable en relation avec la détention corporative d’une résidence ou d’un bateau s’avère souvent un exercice fort complexe dans les faits, donnant parfois lieu à des combats épiques entre le contribuable et les autorités fiscales. Comme nous allons le voir à l’occasion du présent texte, l’interprétation des dispositions législatives pertinentes requiert non seulement que soit tranchée la question de l’existence même d’un avantage conféré à un actionnaire mais également qu’on détermine avec exactitude la valeur qui doit être incluse à cet égard au revenu de ce dernier. Tel que le précisait M. Luc Bernier à ce sujet à l’occasion du Congrès 1995 de l’APFF1, «la quantification de l’avantage est sans doute la tâche la plus ardue». Ce dernier ayant effectué à cette occasion une analyse détaillée de la jurisprudence applicable, nous ne reprendrons pas ici de manière exhaustive une telle analyse mais nous nous contenterons plutôt de tirer des conclusions générales à l’égard de la jurisprudence antérieure à la parution du texte de M. Bernier et nous tenterons d’étayer ses conclusions en effectuant une analyse détaillée de la jurisprudence émise depuis. Afin de ce faire, il est tout d’abord nécessaire de revoir brièvement les dispositions législatives applicables. 1. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES L’inclusion au revenu d’un contribuable d’un montant égal à la valeur d’un avantage qu’il reçoit en tant qu’actionnaire d’une société est prévue au paragraphe 15(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu2 et à son pendant provincial, l’article 111 de la Loi sur les impôts3 dont le libellé est fort similaire à celui de la disposition législative fédérale. Le paragraphe 15(1) L.I.R. se lit comme suit : «15 (1) - Avantages aux actionnaires. La valeur de l’avantage qu’une société confère, à un moment donné d’une année d’imposition, à un actionnaire ou à 1 Luc BERNIER, «Pot-pourri fiscal», dans Congrès 95, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 1996, pp. 26:7-32, aux pages 26:25-31. 2 L.R.C. (1985), 5e supp., c. 1 et mod. (ci-après « L.I.R.»). 3 L.R.Q. c. I-3 et mod. (ci-après «L.I.»). 40:4 APFF CONGRÈS 99 une personne en passe de le devenir est incluse dans le calcul du revenu de l’actionnaire pour l’année - sauf dans la mesure où cette valeur est réputée par l’article 84 constituer un dividende - si cet avantage est conféré autrement que : a) par la réduction du capital versé, le rachat, l’annulation ou l’acquisition, par la société, d’actions de son capital-actions ou à l’occasion de la liquidation, cessation ou réorganisation de son entreprise, ou par une opération à laquelle l’article 88 s’applique; b) par le paiement d’un dividende ou d’un dividende en actions; c) par l’octroi à tous les propriétaires d’actions ordinaires du capital-actions de la société à ce moment d’un droit, relatif à chaque action ordinaire et identique à chacun des autres droits conférés à ce moment relativement à chacune des autres semblables actions, d’acquérir d’autres actions du capital-actions de la société; pour l’application du présent alinéa : (i) les actions ordinaires d’une catégorie donnée du capital-actions d’une société sont réputées être identiques aux actions ordinaires d’une autre catégorie du capital-actions de la société dans le cas où, à la fois : (A) les droits de vote rattachés à la catégorie donnée d’actions diffèrent de ceux rattachés à l’autre catégorie d’actions, (B) les modalités des catégories d’actions ne présentent pas d’autres différences qui pourraient donner lieu à un important écart entre la juste valeur marchande d’une action de la catégorie donnée et la juste valeur marchande d’une action de l’autre catégorie, (ii) des droits ne sont pas considérés comme identiques si leur coût d’acquisition diffère; d) par une opération visée à l’alinéa 84(1)c.1), c.2) ou c.3).» Considérant qu’aucune des exceptions prévues à l’article 15 L.I.R. ne soit pertinente dans le cadre de notre analyse relative à la détention corporative d’une résidence ou d’un bateau, il y a lieu d’entrer dans le vif de ce sujet et de s’interroger sur les circonstances qui donnent lieu à l’inclusion d’un avantage imposable au revenu du contribuable. 2. DÉTERMINATION DE L’EXISTENCE ET QUANTIFICATION D’UN AVANTAGE Afin de conclure à l’existence d’un avantage imposable conféré à un actionnaire et de s’interroger sur la méthode de la détermination de la valeur de cet avantage, il y a lieu de prendre en considération un certain nombre de facteurs qui ont été considérés comme pertinents par les tribunaux canadiens en pareille matière. LA DÉTENTION CORPORATIVE D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU 2.1. MOTIFS 40:5 PRINCIPAUX AYANT JUSTIFIÉ L’ACQUISITION OU LA DÉTENTION D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU PAR LA SOCIÉTÉ Bien que certains contribuables aient en maintes occasions tenté de nier l’existence d’un avantage conféré à un actionnaire dans la mesure où les actifs dont ce dernier avait bénéficié, avaient été acquis par la société pour les fins commerciales de cette dernière, la jurisprudence est à l’effet que peu importe l’existence de motifs commerciaux justifiant telle acquisition, il n’en demeure pas moins que dans la mesure où l’actionnaire jouit, même de manière incidente, d’un avantage quelconque en relation avec l’utilisation des actifs détenus par la société, il y aura lieu d’inclure à son revenu imposable la valeur d’un tel avantage. Cependant, l’analyse de cette jurisprudence nous enseigne par ailleurs que l’existence de motifs commerciaux propres à la société s’avérera un critère déterminant quant au choix du mécanisme qui sera utilisé afin de procéder à la détermination de la valeur de l’avantage à inclure au revenu de l’actionnaire. Ainsi, le courant jurisprudentiel majoritaire, tel qu’établit par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt de principe rendu en date du 23 avril 1990 dans l’affaire Youngman c. La Reine4 est à l’effet que, dans la mesure où les biens ont été acquis par la société principalement afin d’en permettre l’usage personnel par l’actionnaire, l’on devra calculer la valeur de l’avantage en fonction d’un rendement d’intérêt normal qu’aurait obtenu la société à l’égard des fonds qui ont été investis au bénéfice de l’actionnaire alors que dans la mesure où les actifs sont principalement acquis pour les fins de l’exploitation d’activités commerciales au bénéfice de la société, l’on calculera l’avantage en considération de la juste valeur marchande (ci-après «JVM») de l’utilisation réelle de l’actif par l’actionnaire, valeur qui sera le plus souvent égale à la valeur locative d’un actif comparable. Bien que la preuve de l’existence d’une intention commerciale ou de l’absence de celle-ci puisse en pratique susciter certains problèmes, certains critères ont été considérés comme particulièrement probants à cette fin dont, notamment, le choix de la propriété détenue par la société ainsi que les modalités d’usage de celle-ci par l’actionnaire. À cet égard, l’arrêt Youngman a bien établi le principe que, lorsque le choix d’un actif devant être acquis par une société repose principalement sur 4 [1990] 2 C.T.C. 10; 90 D.T.C. 6322 (C.A.F.) (ci-après «Youngman»). 40:6 APFF CONGRÈS 99 des motifs propres à satisfaire des attentes personnelles de l’actionnaire plutôt que pour des fins intrinsèques à tel actif ou aux opérations commerciales de la société, il sera considéré que l’actif est acquis afin de satisfaire à l’usage personnel de l’actionnaire et, partant, le mécanisme de détermination de la valeur de l’avantage conféré à l’actionnaire sera basé sur la méthode du rendement telle que présentée ci-dessus. Ce principe a d’ailleurs été illustré avec beaucoup d’à propos par la décision rendue par la Cour d’appel fédérale en date du 26 septembre 1997 dans l’affaire Fingold c. La Reine5 où la société dont le contribuable était actionnaire avait acquis un condominium situé en Floride et avait dépensé plus de 4 millions $ en coût d’acquisition et en frais de rénovations. Or, ce condominium était (par hasard!) situé dans un immeuble habité par la mère de l’actionnaire principal de la société et la preuve avait démontré que l’utilisation pour des fins corporatives au cours des années de détention de la propriété par la société avait été particulièrement minime en considération des coûts supportés par la société, variant annuellement de 25 à 45 utilisations d’une durée de quelques heures chacune alors que l’actionnaire et sa famille avaient accès au condominium en tout temps et l’utilisait effectivement approximativement 151 jours par année, ce qui a amené la Cour d’appel fédérale à conclure que le condominium avait été acquis principalement pour les fins personnelles de l’actionnaire et, qu’en considération de ce fait, la méthode appropriée d’évaluation de l’avantage qui lui avait été conféré était celle du rendement sur investissement. Des décisions à l’effet similaire avaient d’ailleurs été rendues antérieurement par des tribunaux de première instance, notamment dans les affaires Donovan c. La Reine6, Taylor (J.D.) c. La Reine7, Wigmar Holdings Ltd. c. La Reine8, Gendron c. MRN9, Hinkson c. MRN10 et Soper c. MRN.11 5 [1997] 3 C.T.C. 441; 97 D.T.C. 5449 (C.A.F.) (ci-après «Fingold»). 6 [1994] 1 C.T.C. 2394 (C.F. 1re inst.), confirmé par [1996] 1 C.T.C. 264; 96 D.T.C. 6085 (C.A.F.) (ci-après «Donavan»). 7 [1995] 2 C.T.C. 2223 (C.C.I.) (ci-après «Taylor»). 8 [1994] 2 C.T.C. 2369; 94 D.T.C. 1795 (C.F. 1re inst.), confirmé par 97 D.T.C. 5202 (C.A.F.). 9 [1989] 2 C.T.C. 2378; 89 D.T.C. 575 (C.F. 1re inst.). 10 [1988] 1 C.T.C 2263; 88 D.T.C. 1119 (C.F. 1re inst.). 11 [1987] 2 C.T.C. 2199; 87 D.T.C. 522 (C.F. 1re inst.) (ci-après «Soper»). LA DÉTENTION CORPORATIVE D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU 40:7 Il est également intéressant de souligner, comme l’illustre la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans l’arrêt Soper, que la période d’utilisation réelle par l’actionnaire d’un actif acquis par la société dont il est actionnaire à des fins propres à ce dernier n’est pas pertinente aux fins de la détermination de la valeur de l’avantage conféré à l’actionnaire car l’on doit considérer à cette fin toute la période où l’actionnaire a eu accès à l’actif et où l’inutilisation effective de celui-ci résulte de la seule volonté de l’actionnaire. Les arrêts Youngman et Fingold ont également été suivis par la suite, notamment à l’occasion du jugement rendu en date du 3 décembre 1998 dans l’affaire Corriveau c. La Reine12 où le taux d’intérêt utilisé par le ministre du Revenu, soit le taux prescrit prévu à l’article 80.4 L.I.R., a été avalisé par la Cour canadienne de l’impôt. À l’opposé, la jurisprudence reconnaît que, lorsque l’acquisition est principalement motivée par un motif commercial propre à la société et que l’utilisation par son actionnaire n’est qu’incidente, alors la valeur de l’avantage devant être inclus au revenu de l’actionnaire doit être limitée à la JVM d’une utilisation comparable par une personne qui traiterait à distance avec la société, ce qui est généralement considéré comme étant la valeur locative d’un bien similaire pour une période d’utilisation comparable à l’utilisation réelle de l’actionnaire. Les décisions rendues dans les affaires McHugh c. La Reine13, Cartwright c. La Reine14, Meeuse (J.) c. MRN15, Tremblay c. MRN16, Giffin c. MRN17, Dudelzak c. MRN18 et Houle c. La Reine19 militent en ce sens. 2.2. L’INTENTION DE CONFÉRER UN AVANTAGE À L’ACTIONNAIRE De même, il appert que l’intention des parties au moment de 12 [1998] NatCarswell 2438 (C.C.I.). 13 [1995] 1 C.T.C. 2652; 95 D.T.C. 778 (C.C.I.). 14 [1995] 1 C.T.C. 15; 94 D.T.C. 6677 (C.F. 1re inst.). 15 [1992] 1 C.T.C. 2470; 92 D.T.C. 1549 (C.C.I.). 16 [1991] 2 C.T.C. 2147; 91 D.T.C. 1009 (C.C.I.). 17 [1991] 1 C.T.C. 2306; 91 D.T.C. 421 (C.C.I.). 18 [1987] 2 C.T.C. 2195; 87 D.T.C. 525 (C.C.I.). 19 [1983] C.T.C. 406; 83 D.T.C. 5430 (C.F. 1re inst.). 40:8 APFF CONGRÈS 99 l’acquisition du bien par la société de conférer ou non un avantage à l’actionnaire n’est pas pertinente aux fins de la détermination de l’existence de cet avantage et que, dans les faits, seul le résultat produit à l’égard des parties par la détention d’un bien par la société et l’utilisation de ce dernier par l’actionnaire doit être pris en considération. À cet égard, la décision rendue en date du 9 avril 1998 par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Cribb-McKeown c. La Reine20 illustre fort bien les conséquences désastreuses qui peuvent résulter de la détention corporative d’une résidence principale utilisée par un actionnaire en raison des règles prévues par l’article 15 L.I.R., et ce, nonobstant toute absence d’intention à cet effet de la part des parties concernées. Dans cette affaire, le contribuable était propriétaire d’une propriété résidentielle qu’il avait transférée à une société en contrepartie de l’émission en sa faveur d’actions privilégiées de cette dernière en application des dispositions prévues à l’article 85 L.I.R. La raison principale motivant ce transfert consistait, selon les prétentions du contribuable, en la crainte que ladite résidence, dans l’éventualité où elle était demeurée la propriété du contribuable, eût été la cible potentielle des créanciers de ce dernier. En échangeant la résidence pour des actions privilégiées d’une société dont le contrôle était détenu par une fiducie familiale liée au contribuable, ce dernier croyait vraisemblablement réduire les risques de saisie à l’égard de sa résidence, et ce, après avoir consulté ses aviseurs légaux et fiscaux. Au cours de la période de détention corporative de la résidence, la société n’a déduit aucun montant pour amortissement et la propriété a été ultimement retransférée par la société en faveur du contribuable à un moment où la JVM de la propriété avait passablement augmenté. Or, bien qu’il semble qu’il n’ait jamais été de l’intention du contribuable de transférer et de détenir la propriété par voie corporative pour en retirer un avantage fiscal quelconque (contrairement à d’autres situations où il s’avère, par exemple, fiscalement plus avantageux d’utiliser des deniers pour acquérir un bien alors qu’ils n’ont été imposés qu’au niveau corporatif à un taux d’imposition moins élevé), il n’en fut pas moins décidé par la Cour canadienne de l’impôt que le contribuable avait bénéficié d’un avantage imposable devant être inclus à son revenu pour toute la période au cours de 20 [1998] 3 C.T.C. 2458; 98 D.T.C. 1647 (C.C.I.) (ci-après «Cribb-McKeown»). LA DÉTENTION CORPORATIVE D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU 40:9 laquelle il avait bénéficié de l’utilisation de la résidence alors qu’elle était détenue par la société dont il était actionnaire et a calculé la valeur de cet avantage en fonction de la valeur locative de la résidence. Plus encore, la cour a par ailleurs conclu qu’à l’occasion du retransfert de la résidence en faveur du contribuable, la société avait effectivement disposé de la résidence aux fins fiscales et devait en conséquence être imposée sur le gain en capital relatif à l’excédent de la JVM de la résidence au moment de sa disposition sur la JVM de celle-ci au moment de son acquisition par la société puisque la transaction avait été effectuée entre parties liées! Finalement, la cour a couronné le tout en ajoutant un montant égal au gain en capital imposable réalisé par la société au revenu imposable du contribuable en raison de l’appropriation par ce dernier d’un actif appartenant à la société dont il était actionnaire!!! Le tribunal rejetait ainsi l’argument invoqué par le contribuable à l’effet que malgré l’absence d’écrit à ce sujet, l’arrangement entre la société et le contribuable constituait en réalité une relation de type fiduciaire en vertu de laquelle le contribuable était dans les faits demeuré en tout temps le propriétaire véritable («beneficial owner») de la propriété bien que le titre («registered ownership») ait été détenu par la société, auquel aucun gain en capital imposable n’aurait été réalisé ni aucun avantage inclus au revenu du contribuable. Cette décision illustre particulièrement bien la tendance des tribunaux à donner effet à la forme des transactions fiscales lorsque proprement documentées par les contribuables, accordant une valeur significative à la preuve documentaire constituée d’états financiers, déclarations d’impôt, livres de procès-verbaux et autres documents corporatifs et légaux, aux fins de la détermination de l’intention des parties à une transaction de nature contractuelle ayant des incidences de nature fiscale. Elle illustre également les risques immenses relatifs à la détention corporative d’une résidence principale en raison de la double imposition à l’égard d’un accroissement de valeur qui n’aurait aucunement été imposé dans l’éventualité où la résidence principale avait été détenue en tout temps par un particulier. La plus grande prudence est donc de mise dans l’éventualité où un contribuable désire qu’une résidence principale soit détenue par sa société plutôt que personnellement pour des fins telles que la protection d’actifs. 40:10 APFF CONGRÈS 99 L’absence de pertinence de la question de l’intention des parties doit cependant être relativisée lorsque l’avantage a été réalisé à la suite d’une simple erreur comptable dont le contribuable n’a pas eu connaissance, comme l’a reconnu la Cour d’appel fédérale en date du 13 novembre 1997 à l’occasion de la décision rendue dans l’affaire Chopp c. La Reine.21 2.3. LA PROVENANCE DES FONDS Il existe une croyance relativement répandue au sein de la communauté d’affaires à l’effet que la provenance initiale de fonds ayant servi à l’acquisition par une société d’une résidence ou d’un bateau aux fins de l’utilisation de ceux-ci par l’actionnaire doit être considérée au moment de la détermination de l’existence d’un avantage imposable pour ce dernier. À cet égard, on songe notamment à l’utilisation passablement répandue, pour les fins de la détention d’une résidence aux États-Unis, de sociétés à but unique (mieux connues sous le vocable «single purpose corporation»), et ce, en considération du fait que les autorités fiscales canadiennes ne reconnaissent généralement pas l’octroi d’un avantage imposable à un actionnaire dans la mesure où les fonds ayant servi à l’acquisition d’une résidence aux États-Unis par la société ont été obtenus par la société à l’occasion d’un prêt sans intérêt consenti par l’actionnaire, où la société n’a pas déduit d’amortissement relativement au bien et où tous les frais d’utilisation ont été exclusivement assumés par l’actionnaire. Considérant la tolérance des autorités fiscales canadiennes relativement à l’utilisation des sociétés à but unique aux fins de la détention d’une résidence aux États-Unis, certains contribuables canadiens ont ainsi tenté d’appliquer le même principe relativement à la détention d’actifs au Canada Or, une jurisprudence constante, qui trouve sa source dans une décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt en date du 13 juin 1985 dans l’affaire Woods c. MRN22 où il fut décidé qu’il n’était pas pertinent de considérer la provenance des fonds utilisés par une société pour acquérir un bien dont l’usage est ensuite conféré à son actionnaire, est à l’effet contraire. Cependant, bien que le critère de la provenance des fonds ne soit pas pertinent aux fins de la détermination de l’existence même d’un avantage, la jurisprudence récente reconnaît que cet élément doit, en certains cas, être considéré au moment de la détermination de la valeur de celui-ci. 21 [1998] 1.C.T.C. 407; 98 D.T.C. 6014 (C.A.F.) et jurisprudence y citée. 22 [1985] 2 C.T.C. 2118; 85 D.T.C. 479 (C.C.I.) (ci-après «Woods»). LA DÉTENTION CORPORATIVE D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU 40:11 En effet, la méthode de détermination de la valeur de l’avantage basée sur la méthode du rendement telle qu’établie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Youngman, implique la multiplication du montant d’argent utilisé par la société aux fins de l’acquisition ou du maintien de l’actif par un taux de rendement raisonnable en considération de la période sous analyse et la soustraction de ce montant des sommes qui ont été versées par l’actionnaire, que ce soit à la société à titre de loyer, en faveur de tierces parties aux fins de l’utilisation de l’actif ou par voie de prêts sans intérêt conférés à la société. En ce dernier cas, un montant raisonnable correspondant à l’intérêt qui aurait été gagné sur le montant prêté par l’actionnaire sera déduit de la valeur de l’avantage conféré. Il est à noter que la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Youngman va à l’encontre de la décision antérieure rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Woods où il avait été déterminé que l’existence d’un prêt sans intérêt n’avait aucune incidence quant à la valeur de l’avantage qui devrait être inclus au revenu du contribuable. L’arrêt Youngman faisant cependant autorité, il a notamment été appliqué à l’occasion de la décision rendue par la Cour du Québec en date du 11 mai 1998 dans l’affaire Monast c. SMRQ23 où aucune imposition additionnelle n’a été retenue à l’égard d’un contribuable qui avait engagé des dépenses supérieures à la valeur de l’avantage qui lui avait été conféré en relation avec son usage de résidences secondaires détenues de manière corporative. Il est par ailleurs nécessaire de souligner que, pour que la valeur d’un prêt sans intérêt conféré à la société soit prise en considération, il s’avère nécessaire de démontrer un lien direct entre le prêt et l’acquisition de l’actif par la société. Ainsi, la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Donovan a refusé de prendre en considération la valeur des prêts sans intérêt consentis par le contribuable à la société en considération du fait qu’il n’existait aucun lien direct entre les prêts consentis et l’acquisition des biens détenus par la société et utilisés par le contribuable. Une décision au même effet a également été rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Taylor pour les mêmes motifs. 23 C.Q., Québec, no 200-02-002190-942, 11 mai 1998, j. St-Hilaire, répertorié à [1998] R.D.F.Q. 172. 40:12 3. APFF CONGRÈS 99 POSITION ADMINISTRATIVE DE REVENU CANADA De manière générale, la position administrative de Revenu Canada en relation avec le sujet sous étude est relativement conforme à la jurisprudence analysée ci-dessus, et ce, tel qu’il en appert notamment du Bulletin d’interprétation IT-432R224 qui réitère la position du ministère du Revenu national. Plus spécifiquement, le paragraphe 11 du Bulletin IT-432R2, reconnaissant le principe développé par l’arrêt Youngman mentionne que, lorsqu’une propriété a été acquise par une société principalement pour l’usage personnel de son actionnaire, il y aura lieu non pas d’utiliser les critères usuels de l’inclusion d’un avantage calculé sur la JVM pouvant résulter de l’utilisation réelle par une tierce partie de biens similaires mais bien plutôt par l’utilisation de la méthode du rendement requérant la multiplication par un taux de rendement normal du montant investi par la société pour l’acquisition ou l’utilisation des biens et par la soustraction, le cas échéant, et dans l’éventualité où sont rencontrés les critères présents dans l’arrêt Youngman (c’est-à-dire un lien direct entre les prêts consentis à la société et l’acquisition des biens par cette dernière) d’un montant équivalant à l’intérêt normal qui aurait été gagné par l’actionnaire en relation avec les prêts sans intérêt consentis par ce dernier à sa société. Le Bulletin IT-432R2 précise également qu’il pourra y avoir un avantage conféré à un actionnaire, que celui-ci ait effectué ou non des prêts sans intérêt en faveur de la société dont il est actionnaire, de manière à permettre à cette dernière de procéder à l’acquisition des biens dont il a obtenu l’utilisation, ou ait contribué aux frais d’utilisation de ceux-ci. De même, le Bulletin IT-432R2 rappelle qu’il n’est aucunement pertinent que la société ait ou non déduit des frais d’amortissement en relation avec les biens et qu’en définitive, le seul critère pertinent réside dans l’existence ou non pour l’actionnaire d’un avantage résultant de l’utilisation desdits biens. CONCLUSION En considération de ce qui précède, il est définitivement conseillé, lorsque le choix de la détention corporative d’une résidence ou d’un bateau est envisagé par un contribuable, de structurer la transaction de manière à s’assurer que le contribuable bénéficiera du traitement fiscal le plus 24 REVENU CANADA, Bulletin d’interprétation IT-432R2, «Avantages accordés à des actionnaires», 10 février 1995 (ci-après «Bulletin IT-432R2»). LA DÉTENTION CORPORATIVE D’UNE RÉSIDENCE OU D’UN BATEAU 40:13 avantageux en relation avec l’inclusion d’un avantage à l’actionnaire en application des dispositions législatives pertinentes. Plus particulièrement, dans l’éventualité où des prêts sans intérêt seraient conférés par l’actionnaire à la société afin de financer l’acquisition de tels actifs, il sera définitivement préférable qu’une convention de prêt distincte intervienne entre l’actionnaire et la société, prévoyant expressément que l’utilisation des fonds prêtés sera relative à l’acquisition de biens spécifiquement identifiés. De même, il est suggéré de s’assurer que les biens ainsi acquis serviront principalement aux fins commerciales de la société et non seulement à l’usage personnel de l’actionnaire et, à cette fin, il y aura lieu de prendre en considération des critères tels que l’utilisation du bien par d’autres personnes que l’actionnaire, les modalités selon lesquelles l’actionnaire peut utiliser le bien, l’imputation d’un loyer qui soit raisonnable eu égard aux circonstances, etc. Dans tous les cas mentionnés ci-dessus, il est évident qu’il sera plus prudent de se munir d’une preuve documentaire adéquate afin d’éviter toute contestation ministérielle. Finalement, il y a lieu de se rappeler, tels que le fera probablement pour très longtemps le contribuable visé par l’affaire Cribb-McKeown que la détention corporative d’une résidence principale peut avoir des conséquences fiscales désastreuses comportant un facteur important de double imposition qui ne saurait être pris à la légère. 40:14 APFF CONGRÈS 99