Au nom des Darroze

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Au nom des Darroze
Au nom des Darroze
La saga de cette famille a débuté
dans l’auberge de Villeneuve-deMarsan
Dans la famille Darroze, il est préférable de se faire un prénom… puisque l’on a déjà un
nom. Un patronyme de luxe, même. La figure tutélaire de Villeneuve-de-Marsan, celle du patriarche
tyrannique et surdoué, plane encore, insensiblement, sur cette lignée landaise. Jean Darroze fut le
solide tronc sur lequel les branches ont poussé, l’origine de bien des succès, l’homme aux deux étoiles par qui la renommée culinaire est arrivée après guerre dans la modeste auberge familiale ouverte
en 1870. Il semble avoir diffusé autour de lui un virus gastronomique, qui s’est même répandu chez
ceux qui avaient choisi une autre voie : Hélène s’était dirigée vers des études économiques, et Alain
vers le domaine agricole. Chez les Darroze, les fourneaux du Sud-Ouest finissent presque toujours
par vous rattraper. Vous avez beau vous en éloigner, prendre des chemins de traverse, l’esprit de Villeneuve-de-Marsan s’impose. Il scelle les destins, façonne les hasards de ces vies peu ordinaires.
Prenez Jean-Charles, fils de Claude. Il a tourné autour de la célèbre table langonnaise créée par son
père, a pris de la distance, avant d’en saisir finalement les rênes avec son épouse, Annelie, il y a
quelques mois. Le jeune homme a dû penser que les études d’hôtellerie-restauration le ramèneraient
à Darroze, à condition de voir auparavant un peu de ce monde. Il a appris la vie et le métier de l’autre
côté de la Manche, tenu une affaire en Irlande, non sans avoir tenté une première fois, à 25 ans, de
reprendre l’affaire familiale. « C’était trop tôt. Nous avions des visions trop différentes, avec mon
père. » Chacun semble avoir appris de son côté. Désormais, Claude observe plus qu’il ne critique un
fils qui souhaite « moderniser », tout en s’appuyant sur les bases solides de la maison Darroze. Celles
d’une cuisine d’une grande finesse, portée par une équipe fidèle. Le père a choisi de choyer son personnel. Les faits lui ont donné raison. Il a ainsi conservé son étoile, après en avoir gagné deux, alors
qu’il est longtemps resté éloigné des fourneaux en raison d’une grave maladie.
De Claude à Hélène
Lui aussi, jeune homme, avait cherché à s’émanciper de l’écrasante personnalité de Jean Darroze et du
berceau de l’auberge de Villeneuve-de-Marsan. Il l’a fait à la force du poignet, par le travail, en apprentissage chez Pierre Laporte, à Biarritz, avant de passer par d’autres cuisines célèbres, avant d’assister avec amusement aux frasques de stars dans le luxe d’un hôtel des Alpes. « Je dois dire que les
Landes me manquaient. » Le hasard d’un match du tournoi des Cinq-Nations à Paris lui fera rencontrer Raymond Oliver. Le chef du Grand Véfour va lui proposer de gérer une adresse de Langon
laissée à l’abandon. Il suffira de quelques mois à Claude Darroze pour y décrocher sa première étoile,
en 1976. Hélène sa nièce, fille de Francis, a connu, plus tard, un parcours encore plus tourbillonnant
de gloire. Encouragée par Alain Ducasse, la jeune femme va se lancer… pour une fulgurance gastronomique. Qu’on en juge : reprise du restaurant de Villeneuve en 1995, ouverture du restaurant parisien en 1999 et première étoile un an après, deuxième étoile en 2003, direction du Connaught à Londres en 2008 avec deux étoiles dès 2011, et ouverture l’an dernier du Raff House à Moscou. Hélène
Darroze est désormais la star, le symbole de la réussite, l’amie de Laeticia Hallyday, la travailleuse
acharnée. Un succès qui rend aussi indirectement hommage aux femmes, si précieuses, de la maison
Darroze, restées dans l’ombre de leurs célèbres maris. Hélène passe désormais d’une capitale à l’autre,
gère trois brigades de 80 personnes, s’amuse des paillettes et savoure sa renommée. Mais cette petite
dame énergique conserve cet esprit de famille, celui des origines de Villeneuve. Elle n’oublie pas dans
ses créations ses solides racines du Sud-Ouest, fait encore aujourd’hui son miel de cette éducation landaise.
Pimençon et armagnac
Un autre cuisinier de la famille, son cousin Alain, revendique les mêmes racines, mais à sa manière.
Attaché à sa terre, un peu poète, il aime cultiver son jardin et ses amitiés. Alain considère la cuisine
comme un « mode d’expression culturel ». Après un apprentissage dans quelques grandes tables et un
passage à l’Élysée, il a tenu des affaires à Oloron, Laàs et Bayonne. Ce conteur volubile ne cesse de
vouloir magnifier le terroir. Il est l’inventeur de la Garburade (concours de garbures), le promoteur du
haricot-maïs du Béarn, le créateur du Pimençon, vin blanc moelleux aromatisé au piment doux avec
lequel il espère obtenir un succès (boutique.alain-darroze.fr). Dans cette famille aux longues ramifications, dont Alain Juppé est d’ailleurs un cousin très éloigné, il y a aussi Pierre-Jean Darroze, qui tient
une belle table à Toulouse. Sans oublier Marc, fils de Francis et frère d’Hélène, désormais porteur des
eaux-de-vie millésimées du Bas Armagnac. On y préserve
ce qui rend unique une eau-de-vie : son domaine et son année. Un peu comme cette famille atypique mais toujours
unie, qui se rassemble avec fidélité lors de cousinades. Il
paraît que l’on y mange bien.
« L’esprit de Villeneuve-de-Marsan scelle les destins »

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