Editions Hatier © Hatier 1 Corrigé (développement rédigé) 1. L

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Editions Hatier
Corrigé
(développement rédigé)
1. L'imitation comme rapport entre copie et modèle : la nature est notre maître
A. La notion d'imitation
Nous devons expliquer comment l'imitation est possible, tenter d'en expliquer les formes et les causes. Qu'est-ce
qui permet de copier tel modèle, de reproduire un original ? Il faut posséder les mêmes matériaux et les mêmes
techniques de production. L'imitation fonctionne donc au premier abord comme un processus de production, qui
cherche à reprendre les mêmes voies que celles qu'a suivies la production de l'original.
Il n'est pas nécessaire de disposer du même matériau : si on reproduit en plastique un original métallique, on
parlera néanmoins d'imitation. On peut également varier quelque peu dans les techniques de production du
moment que l'on peut encore déceler un rapport de ressemblance entre la copie et le modèle. Une imitation a lieu
dès lors que la production d'un objet ne relève pas de part en part d'une invention. Un objet absolument nouveau
ne peut pas, par définition, être une imitation.
L'imitation n'implique donc ni une stricte identité entre deux éléments ni une stricte différence, mais désigne une
forme de production qui emprunte tel ou tel trait d'une autre forme de production.
B. Production humaine et imitation de la nature
Toute production implique néanmoins un engendrement. Or le modèle de tout engendrement n'est-il pas celui
des choses naturelles ? C'est la raison pour laquelle, dans son traité sur la nature (en grec phusis), intitulé
Physique, Aristote déclare que l'art (la technique de production) imite la nature.
Il ajoute néanmoins que la nature n'en imite pas moins l'art. Comment comprendre ce rapport d'imitation
réciproque entre l'art et la nature ? Dans toute production naturelle, Aristote remarque une régularité qui ne peut
pas s'expliquer seulement par le hasard. En effet, pour rendre compte de la production d'une chose naturelle, il ne
suffit pas de dire comment une matière s'est agencée pour la produire. Il faut aussi indiquer la raison pour
laquelle la matière s'est agencée ainsi et non autrement.
Cette raison consiste dans ce que l'auteur appelle la “ forme ”. La forme est le principe qui rend compte d'une
disposition particulière de la matière. Prenons l'exemple d'un arbre : pour produire un arbre, il ne suffit pas que
certains matériaux soient disponibles, il faut aussi qu'ils soient agencés d'une certaine façon, conforme à la forme
d'un arbre, et même à la forme particulière de cet arbre. Cette forme impliquerait par exemple l'élévation du
tronc, la possession de branches ou tout autre caractéristique.
Cette forme doit par ailleurs être rapportée à une fonction : elle joue un rôle directeur pour la production. Les
matériaux nécessaires à la production de toute chose naturelle s'assemblent progressivement selon un certain
ordre, de manière à convenir à la forme. Aussi peut-on dire que la forme joue dans la nature, le rôle du plan dans
la technique : il s'agit d'une cause “ en vue de quoi ” tout le reste est fait. Dans le cas de l'arbre, la forme joue le
rôle de principe qui dispose les matériaux en vue de sa propre réalisation, qui est atteinte lorsque l'arbre est
adulte.
On comprend alors pourquoi Aristote affirme que l'art imite la nature, et que la nature imite l'art : dans un cas
comme dans l'autre, un principe régulateur joue le rôle de plan dans la disposition des matériaux nécessaires à la
production d'une chose.
Certes, il ne s'agit pas exactement du même principe. La différence entre l'art et la nature tient justement à ce que
pour les choses naturelles, le principe leur est interne, tandis que pour les choses produites par la technique, le
principe n'est autre que le plan conçu dans l'esprit de l'homme. Est naturel ce qui possède en soi-même le
principe de son mouvement et de son repos. Ce qui est naturel tend à réaliser la fin qui lui est prescrite par luimême.
Une fois cette fin atteinte, il n'a plus de raison de changer. Il tend donc au repos. Cette façon de tendre au repos
relève d'une imitation de ce qui demeure toujours en repos, qui est toujours identique à soi et est pleinement
réalisé : le “ divin ”.
C. Continuité de la nature à la culture
L'imitation permet de comprendre le rapport étroit qu'entretiennent la nature et l'action humaine. L'action
humaine doit se comprendre dans ce rapport de ressemblance avec la nature, dont l'homme est une partie. Toutes
ses conduites doivent tenir compte de ce que la nature assigne comme fin. La violence n'est autre chose qu'une
action humaine qui contrarie une tendance naturelle, un obstacle posé à la réalisation du plan de la nature. Toute
conduite juste implique donc une forme d'imitation de la nature, qui permette de prolonger la réalisation du plan
naturel par la réalisation de la nature de l'homme.
Ainsi la politique (ou la vie dans la cité), se définit comme une dimension de la nature humaine. Ce serait
contrevenir à la réalisation du plan naturel que de ne pas faire partie d'une communauté politique. De fait, la cité
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la plus parfaite sera celle dans laquelle les mouvements politiques seront restreints, et la cité imitera en cela le
divin.
Il en va de même du sage, pour qui la contemplation du divin est une forme de réalisation et d'achèvement qui le
fait participer en quelque façon (par imitation) au divin lui-même. Il en va de même dans le domaine de
l'esthétique : la création poétique (artistique au sens moderne) doit saisir la forme des choses naturelles et les
produire devant nos yeux en la transposant.
La définition de l'imitation comme production permet de comprendre la continuité entre nature et action humaine
: l'action de l'homme ne saurait être bonne si elle ne répond pas à l'exigence déposée en lui par le plan de la
nature. La réponse à cette exigence est à proprement parler l'imitation humaine, et elle constitue la formation de
l'homme.
Le rapport entre nature et nature humaine est fondé sur l'imitation. Certes, pour nous l'imitation est une
formation, et équivaut à la culture. Mais en soi, l'imitation est naturelle puisque la nature dans son ensemble tend
à imiter le divin. L'imitation définit le rapport naturel de l'homme à la nature. Autrement dit, la nature nous dicte
la façon dont nous devons nous conduire : elle est notre maître.
Un problème se pose alors : n'est-ce pas justement parce que nous croyons que la nature doit nous conduire que
nous posons que la nature est un processus de production ? Cette facilité nous permet ensuite de dire que toute
production humaine est une imitation de la nature. Mais pourquoi devrions-nous croire que la nature doit nous
conduire ? N'est-ce pas parce que nous consentons nous-mêmes à notre propre faiblesse, que nous n'espérons pas
pouvoir transformer la nature ? Autrement dit, la primauté de la nature sur la nature humaine ne s'explique-t-elle
pas par une démission, un oubli de ce que nous sommes, de la puissance qui est en nous ?
2. La puissance propre de la nature humaine
A. Perception et soumission à la nature
La thèse selon laquelle nous sommes en mesure d'imiter la nature suppose pourtant que soit auparavant réglée
une autre question : percevons-nous la nature telle qu'elle est ? Pour celui qui défend la thèse de l'imitation, il est
clair que nous percevons bien la nature telle qu'elle est. Sinon nous ne pourrions tout simplement pas la prendre
comme modèle. La nature telle que nous la percevons doit même être une copie conforme de la nature telle
qu'elle est. La thèse de l'imitation (comme rapport naturel entre l'homme et la nature) présuppose celle de la
copie entre nature réelle et nature perçue.
Or rien ne nous oblige à assumer une telle thèse : dans la Dioptrique, traité d'optique qui fait suite au Discours de
la méthode, Descartes montre que la perception par les sens n'implique pas que ce qui est effectivement perçu
par nos sens et par notre cerveau “ ressemble ” à l'objet perçu en tant que tel. L'idée selon laquelle ce que nous
percevons doit ressembler aux choses provient précisément de ce que nous privilégions le rapport d'imitation.
Puisque le tableau d'une chose semble susciter en nous la meilleure saisie de cette chose (par une reproduction de
sa forme, par exemple), nous croyons que toute perception implique ce genre de petits tableaux en nous, qui
seraient des copies conformes de la réalité.
Mais cette croyance dans l'imitation s'accompagne d'une négligence de ce qui est proprement humain : nous ne
portons pas assez d'attention aux pratiques humaines, par exemple au langage, dans lequel il n'y a aucune
ressemblance entre le mot et les choses qu'il signifie. La puissance propre de l'esprit humain est d'inventer des
symboles, qui n'impliquent parfois aucune ressemblance entre eux et ce qu'ils désignent.
Par conséquent, ce que nous percevons pourrait bien ne pas ressembler à ce que la nature est en elle-même. La
continuité entre l'homme et la nature ne relève donc peut-être que d'une croyance en sa puissance, et en notre
propre impuissance.
Nos sens ne nous font pas percevoir la réalité telle qu'elle est, mais à travers une grille qui leur est propre. Aussi
ne devons-nous pas chercher à connaître la nature en prenant appui sur ce qu'ils nous livrent d'elle.
B. L'homme comme maître de la nature
Nous devons plutôt tenter de saisir ce qui est propre à la nature humaine : la pensée. La certitude qui
accompagne l'exercice de notre pensée permet de déduire les lois de la nature, et toute connaissance véritable de
la nature telle qu'elle est découlera de ces lois. Au lieu de prendre la nature pour modèle, nous devons découvrir,
par la puissance de notre pensée, les lois générales qui la règlent.
La connaissance de ces lois peut servir à la transformation et à la domestication de la nature : il s'agit d'une
connaissance “ pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air... et de tous les
autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans,
nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre
comme maîtres et possesseurs de la nature ”. Cesser d'imiter, c'est comprendre que la nature pourrait bien, si par
l'exercice de notre pensée nous pouvions en saisir les lois, être amenée par nous a imiter l'activité technique
humaine.
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Dès lors que nous découvrirons les règles par lesquelles la nature produit les choses, nous pourrons inscrire notre
action et nos buts propres dans la nature : nous ferons converger ses forces vers l'aménagement d'un monde où
nous serons maîtres.
C. La culture perfectionne la nature
Une objection se présente alors : en effet, ces buts que nous croyons nous fixer à nous-mêmes ne sont-ils pas en
définitive des buts naturels ? Ils consistent à améliorer la vie de l'homme, d'une espèce animale parmi les autres.
D'une certaine façon, si nous devons bien reconnaître que l'activité humaine impose à la nature un
fonctionnement particulier de ses lois, il n'en reste pas moins que nous ne cherchons qu'à la supplanter pour
mieux prendre sa place. Nous cherchons par exemple à nous procurer par des moyens techniques ce qui nous est
utile ou nuisible. Or la nature, par l'intermédiaire du fonctionnement naturel de nos sens, nous informait
directement et instantanément des buts utiles à la vie : l'utile et le nuisible correspondent au plaisant et au
douloureux dans nos perceptions.
Certes, notre science s'oppose parfois à l'enseignement de la nature. Tel remède, pourtant utile, nous paraît amer
et donc nuisible. La science que nous avons de ce remède nous contraint à reconnaître qu'il est utile d'ingérer ce
remède. Mais ne pallions-nous pas là les défauts accidentels d'une machine, tout en poursuivant les buts mêmes
que cette machine s'était fixés ? En fin de compte, en cherchant par nos propres moyens à améliorer la vie, nous
ne faisons rien d'autre que de prendre la nature comme modèle... La culture ne serait qu'une certaine façon de
suivre un modèle, un plan tracé par la nature elle-même ?
3. Plan de la nature et règne de la liberté
A. Critique de la providence
Dans le traité intitulé Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, Kant évoque cette
possibilité d'un plan de la nature. Certes, ce plan ne peut pas être un plan véritable, réglant nos actions à la
manière d'une Providence divine. À cela, nous opposons immédiatement cette objection : comment pourrionsnous parvenir à connaître cette providence, ou ce plan divin ? Il nous faudrait “ être du conseil de Dieu ” comme
le disait Descartes.
Ce que nous prenons la plupart du temps pour un plan divin n'est qu'une pure et simple imagination : nous nous
plaçons en idée à la place de Dieu, nous supposons que Dieu réagirait comme nous, et tracerait le plan de ce qu'il
cherche à produire selon certaines règles, et accomplirait ensuite ce dessein. Cette illusion pure et simple relève
d'un anthropomorphisme, qui fait de Dieu un homme et lui prête ses folies.
Nous ne saurions connaître un plan divin à l'œuvre dans la nature. Nous ne pouvons connaître de la nature que
des lois qui s'exercent sans faillir, et produisent les phénomènes avec régularité. En aucune façon nous ne
pouvons nous aventurer à répondre à la question : pourquoi les choses sont-elles ainsi ? Dans la Critique de la
raison pure, Kant montre que notre connaissance ne peut s'étendre qu'à ce dont une expérience est au moins
possible. L'expérience possible (les conditions de lieu et de temps d'un phénomène) nous est absolument
nécessaire pour rapporter un phénomène à une loi, qui prescrit alors sa cause et nous permet de le comprendre.
B. L'“ idée ” d'un plan de la nature et le génie
Mais tout se passe néanmoins comme si nos efforts de culture prolongeaient les buts naturels. L'espèce humaine
est préservée par la technique. La domination par l'homme de la nature ne contredit donc pas l'influence de la
nature sur nous, mais au contraire la prolonge. Nous pouvons au moins le penser.
II est surtout un domaine dans lequel la technique humaine prolonge la nature : c'est celui de l'art. En effet, un
artiste qui renouvelle totalement son genre en imposant de nouvelles règles par exemple, puise aux sources de
son talent, et les sources de son talent proviennent d'un certain rapport privilégié qu'il entretient avec la nature.
Certes ce rapport est inexplicable, mais il relève d'une imitation de la manière dont la nature semble produire les
choses. Cet homme possède un don naturel, c'est un génie, au sens propre de celui qui est né pourvu d'un don
(ingenium).
Le génie artistique donne ses règles à l'art, mais le génie scientifique parvient à prescrire de nouvelles lois à la
nature. Ainsi Newton a expliqué par la gravitation le système des planètes. Il a donné de nouvelles lois à la
science. D'une certaine façon donc, et dans tous les domaines de la culture, l'homme ne peut se passer d'une
imitation de la nature.
C. Droit et morale : la fin de la nature réside dans la moralité
Mais il est un domaine dans lequel il n'en va pas ainsi, c'est celui de la morale. Dans ce cas précis, tout se passe
comme si la nature imitait l'homme.
En effet, le terme de la culture, de l'évolution technique, de la discipline de la nature réside dans l'organisation de
la société selon les règles de l'État, ou du droit. Le travail technique impose la division du travail, le respecte de
certaines règles et contrats, le maintien de la paix, et parfois aussi la guerre. (La guerre ne permet pas moins
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l'avènement du droit aussi bien à l'intérieur d'un pays qu'à l'échelle des nations elles-mêmes. Elle implique en
effet un pouvoir centralisé, qui tient les commandes de l'État, et elle impose aux nations un ordre qui puisse faire
cesser le recours ultérieur à la guerre.)
Mais la réalisation d'un État de droit est la condition même de l'exercice de la loi morale. Le droit prescrit de
faire ce que la loi morale exige comme un devoir, et il punit ceux qui dérogent à ses règles. Il instaure donc un
monde dans lequel l'action morale est possible.
Par conséquent le plan de la nature, que nous suivons dès lors que nous nous engageons dans une action
technique, a pour fin la réalisation des conditions de l'action morale. Le plan de la nature prend comme modèle
un monde dans lequel la loi morale serait toujours respectée. La loi morale est ce qui fait de nous des fins en soi
sans autre modèle que notre propre dignité, sans rapport à autre chose qu'à nous-mêmes, sans imiter rien ni
personne. Par sa liberté morale, l'homme s'invente lui-même.
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