Se rétablir de la dépression - Re
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Se rétablir de la dépression - Re
SM191_06_FREYMOND_SM191_P0_INT 15/10/14 09:46 Page1 DOSSIER À PROPOS DE LA GUÉRISON EN PSYCHIATRIE Se rétablir de la dépression « Je pense donc je suis », écrivait René Descartes (1). La pensée comme preuve d’une réalité, celle d’être, être quelqu’un, un homme, une femme, un malade… mental… Je me sens tout à coup pris dans le tourbillon des formes perçues par cette pensée qui fait feu de tout bois, qui d’ailleurs parfois me consume. Suffirait-il donc de maîtriser cet acte de penser pour filer des jours heureux ? En ce qui me concerne, il me semble avoir largement contribué à prouver le contraire. La dépression est en effet cet état soumis à une pensée compulsive, négative et aux effets dévastateurs. C’est fou ce qu’une période faste tombe vite dans les oubliettes, c’est normal, banal. Il en est tout autrement de ces moments sombres qui nous emmènent dans ces marécages enlisant, insupportables, honteux… Souffrance quand tu nous tiens ! Mais alors que penser de cette souffrance ?… SOUFFRANCES… Il était une fois, un matin, comme quelques autres, mais pas tout à fait. Ce matin-là, le petit garçon que j’étais fut malgré lui l’auteur de l’un de ces actes intuitifs qui Bernard FREYMOND Pair praticien en santé mentale, Genève, Suisse. 1 SANTÉ MENTALE | 191 | OCTOBRE 2014 n’attendent pas d’être d’abord justifiés avant d’être posés. Ça se manifeste parce que… c’est ainsi ! Oui, cette fois-là, je suis arrivé à ce moment précis où elle s’apprêtait à avaler le contenu d’une main tremblante, le regard vide, sans un mot, juste l’air de dire : « Je n’en peux plus ! » J’ai peutêtre dit : « Non ! » Je ne sais plus. J’ai surtout porté un geste suffisamment précis pour voir gicler dans tous les sens ces petites pilules du malheur. Elle, c’était cette maman qui m’avait donné la vie, et qui, en un rien de temps me montrait que la vie pouvait se reprendre. Mais pourquoi ? Ma mère était malade, allait-elle guérir ? Aujourd’hui, je sais combien cette réalité d’une mère souffrant de dépression a déterminé mon parcours de vie fait de haut et de bas comme tout un chacun, sauf que l’intensité de mes périodes « down » pouvait durer des mois. Le diagnostic a été posé : dépression majeure récurrente. Une première crise à l’âge de 14 ans puis des rechutes à partir de 23 ans, et enfin un dernier épisode de deux ans, entre janvier 2011 et septembre 2012. Je parle parfois de ces quarante années de bons et loyaux services à la cause de la souffrance, une façon peut être d’exprimer combien la route a été longue avant d’intégrer cette réalité comme faisant partie de l’œuvre de cette vie. En effet, vivre la dépression, c’est insupportable, honteux, c’est jusqu’à perdre le moindre © Catherine Metz. Aujourd’hui pair aidant en santé mentale, Bernard revient sur les différentes approches qui l’ont aidé à « se rétablir » d’une dépression majeure récurrente, en particulier l’approche Mindfulness et les TCC. SM191_06_FREYMOND_SM191_P0_INT 15/10/14 09:46 Page2 À PROPOS DE LA GUÉRISON EN PSYCHIATRIE DOSSIER SANTÉ MENTALE | 191 | OCTOBRE 2014 2 SM191_06_FREYMOND_SM191_P0_INT 15/10/14 09:46 Page3 DOSSIER À PROPOS DE LA GUÉRISON EN PSYCHIATRIE sens d’être en vie, perdre espoir, et, parfois… se donner la mort. C’est un état qui saborde tout élan à vivre son humanité. L’expérience relationnelle se raréfie jusqu’à parfois refuser toute relation sociale. Je me souviens de ces périodes très longues de solitude, que je recherchais, même si mon entourage a souhaité à maintes reprises m’accueillir dans ces moments d’extrême fragilité. Oui, je confirme. Si une personne dépressive a besoin d’un accompagnement, les proches peuvent également avoir besoin de ressources pour maintenir un niveau d’énergie que la situation tend à mettre à mal. La dépression est une maladie et on veut en guérir. Peut-être n’avais-je pas réussi à guérir la dépression de ma mère mais la perspective d’être moi-même porteur à tout jamais de cette affection morbide m’était impossible à envisager. Je n’ai jamais cessé de croire à la guérison. Le marché de la thérapie est immense et j’ai été un fervent consommateur d’une quantité impressionnante de prises en charge, sans que je puisse aujourd’hui donner quelconque conseil sur la question. Je remarque juste que l’efficacité de l’outil dépend toujours de la manière de l’utiliser. Or, les capacités d’une personne dépressive sont si diminuées que les progrès sont souvent peu perceptibles. Les échecs de prise en charge sont courants et le désespoir s’insinue dans tous les aspects de sa vie. Puis, entre deux crises, une période de rémission fait croire à une guérison. Toutes les sensations reviennent, toutes les capacités intellectuelles reprennent… Que c’est bon de vivre ! Mais pour combien de temps… CHANGER DE PARADIGME Depuis deux ans, est apparue la nécessité de sortir du piège qu’a sûrement été, ces années durant, la croyance d’une guérison possible. Sortir des turbulences générées dans un espace parfois abyssal entre la maladie et la guérison, entre ce qui est et ce qui devrait être. Le concept de rétablissement représente pour moi cette invitation à changer de paradigme dans sa relation à la maladie. Aujourd’hui, j’appréhende la maladie comme une rupture plus ou moins importante d’un équilibre, de fait, sans cesse bousculé. Peut-être est-ce plus correct de considérer la guérison comme le retour à cet équilibre instable, forcément, car constamment mis en péril par les vicissitudes que nous offre généreusement la vie. Forcément aussi, puisque le propre « d’être en vie » est le changement, l’impermanence. J’ai d’ailleurs récemment découvert les travaux sur la « cohérence cardiaque » (2) qui mettent en évidence cette réalité contrôlable, grâce aux avancées technologiques. Dès lors, le rétablissement est cette porte de sortie, cette libération de l’illusoire garantie de parvenir à une guérison définitive. Précisément, c’est cette qualité d’attitude qui m’invite aujourd’hui à goûter l’arrivée d’une petite fille dans ma vie, petit être qui me propulse au merveilleux statut de grand-père. Car longtemps, la confrontation aux crises dépressives m’a comme brutalement renvoyé à « la case départ », la réjouissance étant à chaque fois balayée par des symptômes dépressifs qui œuvraient jusqu’à anéantir tout élan d’amour. De fait, ma présence était inégale, parfois inexistante, dans mon rôle de père ou de conjoint. Être juste là, toucher la vie, être en vie. Je tente la simplicité : aimer. Oui, je sens cette attitude comme un état d’être, d’être « amour ». Une capacité d’accueil inconditionnelle et sans limite de ce qui est. En d’autres termes, maintenant entrés dans le vocabulaire médical occidental, j’évoque ici la pleine conscience (Mindfulness), initiée par Jon Kabat-Zinn (3), cette pratique de l’attention dirigée de manière délibérée dans le moment présent, sans jugement de valeur sur les choses telles qu’elles sont. Ce médecin a rendu accessible aux Occidentaux l’expérience de la méditation enseignée par Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste vietnamien que j’ai eu la chance de connaître et de rencontrer lors de retraites régulières. J’ai bénéficié du programme MBCT (thérapie cognitive basée sur la pleine conscience) et intégré cette démarche dans ma vie. Je développe tous les jours cette attitude qui me permet de repérer très efficacement tout symptôme annonciateur d’un état dépressif. Et ça marche ! On sait aujourd’hui que chaque crise dépressive augmente de manière spectaculaire la possibilité d’une rechute (après trois épisodes déjà, les risques grimpent à 90 %) (4). Mon expérience doit bien compter un minimum de 20 crises majeures. Cette période marquée par une capacité d’amour souvent tellement limitée, par l’absence de rêve car prisonnier par la peur du lendemain et les regrets d’hier, aura eu cet effet salvateur de toujours « m’obliger » à chercher, sans jamais trouver d’ailleurs ! La souffrance oblige, son absence endort ! Aujourd’hui, mon message est celui d’un homme « condamné » à une vie aux lendemains désenchantés et finalement porteurs d’un possible rétablissement pour une vie enchantée. PAIR PRATICIEN EN SANTÉ MENTALE Vivre devient un art, un art de vivre. Quelqu’un disait de l’« art » que c’est : Aimer, Rêver, Transmettre. J’aime cette formule. C’est ainsi que ma réalité professionnelle prend une forme liée à ce long parcours dans la maladie psychique. Je viens d’obtenir une certification de « Pair praticien en santé mentale » à l’école sociale et pédagogique de Lausanne. Cette formation nous accompagne à reconnaître et mettre en forme cette expertise expérientielle de la maladie, et ainsi d’en témoigner en offrant cet éclairage particulier, complémentaire aux approches utilisées dans l’aide aux personnes en souffrance (5). J’insiste sur le fait que la pair aidance repose d’abord sur la reconnaissance d’une expérience douloureuse, celle d’une affection psychique grave qui a nécessité un appui psychiatrique parfois très lourd sur une longue période. Les personnes concernées sont dans une phase de rétablissement depuis suffisamment longtemps pour mettre à profit cette expérience dans un rôle de témoin de la capacité humaine au changement, à la résilience. C’est un témoignage d’espoir, une lueur tellement absente quand tout va mal. Ce regard, nourri par l’expérience de la maladie, favorise la rencontre avec des personnes en grande difficulté et donne de la crédibilité au témoignage d’un changement toujours possible. LES ATOUTS DES TCC Je suis à ce moment de ma vie où la justesse se révèle. Une sensation saisissante qui pourrait m’inviter à donner des conseils. Heureusement, « sœur humilité » vole à mon secours avec son lot de prudence et de nuance. Vous savez, la palette de l’artiste peintre aux couleurs éclatantes et multiples. SM191_06_FREYMOND_SM191_P0_INT 15/10/14 09:46 Page4 À PROPOS DE LA GUÉRISON EN PSYCHIATRIE DOSSIER Oui, peut-être bien. Peut-être bien pourrions-nous partager une réalité faite de couleurs. Nos différences seraient juste faites de nuances. Je réalise combien il est bon de nourrir le lien, de se nourrir de lien. De sentir cette relation au monde, aux autres. De la partager, surtout. J’observe et repère autour de moi ce qui, en termes d’accompagnement thérapeutique, aujourd’hui à mes yeux et à mon cœur, fait vibrer cette réalité du lien. À dessein, je n’évoquerai pas les nombreuses expériences dont j’ai pu bénéficier et qui ont pu être porteuses de cette qualité d’attention au lien. Je privilégie celle qui semble réunir le plus d’atouts pour contribuer à mettre en route la seule révolution digne d’intérêt, la révolution intérieure. Une irrésistible attirance pour quelque chose qui nous touche un jour et qui ne nous quitte plus jamais… Conscience, conscience… Depuis deux ans maintenant, mes rencontres me font découvrir la thérapie cognitivo-comportementale. Je pense que cette approche revêt un intérêt grandissant car elle réussit à proposer une démarche vivante, libre de la chape analytique. Elle a su par ailleurs habiller la pratique bouddhique à l’occidentale, je fais référence ici à la pleine conscience évoquée plus avant. Il me semble que la compréhension humaine ne peut plus s’écarter d’une pratique, d’un entraînement régulier. D’abord la prise de conscience des mécanismes psychologiques, de la reconnaissance ensuite de leur nature programmée et la possibilité d’en changer pour finalement, en être libre. UN LIEU HOSPITALIER DE PRATIQUE Un nombre grandissant de thérapeutes propose leur aide pour accompagner tout un chacun dans ce processus de libération. J’ai eu récemment l’opportunité de passer une journée à la clinique Belmont à Genève, qui accueille principalement des personnes souffrant d’addiction ou de troubles de l’alimentation. La démarche institutionnelle est d’obédience cognitivo-comportementale et les patients bénéficient d’un accompagnement individuel et de groupe. Ils reçoivent des enseignements très pratiques sur les façons de mieux comprendre leur fonctionnement et j’ai été impressionné de voir l’implication des professionnels. On cherche ensemble, on trouve pour soi. J’aurais aimé, il y a des années, bénéficier d’un encadrement qui ne promet pas la guérison mais enseigne le rétablissement. Bénéficier d’une approche qui a confiance en cette capacité naturelle à se rétablir, rétablir cet équilibre parfois gravement altéré. – Il fut un temps… Où la folie m’aurait conduit à rejoindre les insensés, À la renfermerie, à l’époque, le lieu adapté. Le critère : ne pas être d’équerre Aujourd’hui ce n’est pas que j’en sois fier Mais même si je peux vivre encore des situations précaires Il n’est plus question de me taire… 1– René Descartes, Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, La Haye, 1637. 2– Voir Cohérence cardiaque : Nouvelles techniques pour faire face au stress, de Charly Cungi et Claude Deglon Ed. Retz, 2009. 3– Professeur émérite de médecine, il a fondé et dirige la Clinique de Réduction du Stress ainsi que le centre pour la pleine conscience en médecine de l’université médicale du Massachusetts, États-Unis. 4. Méditer pour ne plus déprimer, Mark Williams, John Teasdale, Zindel Segal et Jon Kabat-Zinn, Ed. Odile Jacob, 2009. page 37. CONCLUSION Aujourd’hui, je me sais toujours habité par ce petit garçon qui n’a plus à porter la responsabilité de guérir sa maman. Il peut avoir confiance en la vie, il peut en jouir, il peut jouer et rire… Ma mère s’en est allée, mais pas tout à fait. Je me sens en effet submergé souvent de reconnaissance de juste imaginer que le parcours de rétablissement qui est le mien je le partage avec elle… J’avoue parfois me surprendre à imaginer le partager avec le monde entier ! Voici le poème que cette expérience m’a inspiré : 5– En savoir plus sur le site des pairs praticiens de Suisse romande, www.re-pairs.ch Résumé : Diagnostiqué souffrant de dépression majeure récurrente, un patient revient sur la souffrance de la dépression et les approches thérapeutiques, en particulier le concept du rétablissement, la Mindfulness et les thérapies cognitivo-comportementales, qui l’ont aidé à transformer sa vie et parvenir à un équilibre. Mots-clés : Accompagnement thérapeutique – Dépression – Guérison – Pair aidant – Relation entre pairs – Relation mèreenfant – Rétablissement – Souffrance psychique – Témoignage – Thérapie cognitive – Thérapie comportementale – Thérapie basée sur la pleine conscience. SANTÉ MENTALE | 191 | OCTOBRE 2014 4