Se rétablir de la dépression - Re

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Se rétablir de la dépression - Re
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DOSSIER À PROPOS DE LA GUÉRISON EN PSYCHIATRIE
Se rétablir de
la dépression
« Je pense donc je suis », écrivait René Descartes (1). La pensée comme
preuve d’une réalité, celle d’être, être quelqu’un, un homme, une femme, un
malade… mental… Je me sens tout à coup
pris dans le tourbillon des formes perçues par cette pensée qui fait feu de
tout bois, qui d’ailleurs parfois me
consume. Suffirait-il donc de maîtriser
cet acte de penser pour filer des jours
heureux ?
En ce qui me concerne, il me semble
avoir largement contribué à prouver le
contraire. La dépression est en effet cet
état soumis à une pensée compulsive, négative et aux effets dévastateurs. C’est fou
ce qu’une période faste tombe vite dans
les oubliettes, c’est normal, banal. Il en
est tout autrement de ces moments
sombres qui nous emmènent dans ces marécages enlisant, insupportables, honteux…
Souffrance quand tu nous tiens ! Mais
alors que penser de cette souffrance ?…
SOUFFRANCES…
Il était une fois, un matin, comme quelques
autres, mais pas tout à fait. Ce matin-là,
le petit garçon que j’étais fut malgré lui
l’auteur de l’un de ces actes intuitifs qui
Bernard FREYMOND
Pair praticien en santé mentale, Genève, Suisse.
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n’attendent pas d’être d’abord justifiés avant
d’être posés. Ça se manifeste parce que…
c’est ainsi !
Oui, cette fois-là, je suis arrivé à ce
moment précis où elle s’apprêtait à avaler le contenu d’une main tremblante,
le regard vide, sans un mot, juste l’air de
dire : « Je n’en peux plus ! » J’ai peutêtre dit : « Non ! » Je ne sais plus. J’ai
surtout porté un geste suffisamment précis pour voir gicler dans tous les sens ces
petites pilules du malheur.
Elle, c’était cette maman qui m’avait
donné la vie, et qui, en un rien de temps
me montrait que la vie pouvait se reprendre.
Mais pourquoi ? Ma mère était malade,
allait-elle guérir ? Aujourd’hui, je sais
combien cette réalité d’une mère souffrant de dépression a déterminé mon parcours de vie fait de haut et de bas comme
tout un chacun, sauf que l’intensité de
mes périodes « down » pouvait durer des
mois. Le diagnostic a été posé : dépression majeure récurrente.
Une première crise à l’âge de 14 ans puis
des rechutes à partir de 23 ans, et enfin
un dernier épisode de deux ans, entre janvier 2011 et septembre 2012.
Je parle parfois de ces quarante années
de bons et loyaux services à la cause de
la souffrance, une façon peut être d’exprimer combien la route a été longue
avant d’intégrer cette réalité comme faisant partie de l’œuvre de cette vie. En effet,
vivre la dépression, c’est insupportable,
honteux, c’est jusqu’à perdre le moindre
© Catherine Metz.
Aujourd’hui pair aidant en santé mentale, Bernard revient
sur les différentes approches qui l’ont aidé à « se rétablir »
d’une dépression majeure récurrente, en particulier
l’approche Mindfulness et les TCC.
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sens d’être en vie, perdre espoir, et, parfois… se donner la mort. C’est un état qui
saborde tout élan à vivre son humanité.
L’expérience relationnelle se raréfie jusqu’à parfois refuser toute relation sociale.
Je me souviens de ces périodes très
longues de solitude, que je recherchais,
même si mon entourage a souhaité à
maintes reprises m’accueillir dans ces
moments d’extrême fragilité.
Oui, je confirme. Si une personne dépressive a besoin d’un accompagnement, les
proches peuvent également avoir besoin
de ressources pour maintenir un niveau
d’énergie que la situation tend à mettre
à mal.
La dépression est une maladie et on veut
en guérir. Peut-être n’avais-je pas réussi
à guérir la dépression de ma mère mais
la perspective d’être moi-même porteur
à tout jamais de cette affection morbide
m’était impossible à envisager. Je n’ai jamais
cessé de croire à la guérison.
Le marché de la thérapie est immense et
j’ai été un fervent consommateur d’une
quantité impressionnante de prises en
charge, sans que je puisse aujourd’hui donner quelconque conseil sur la question.
Je remarque juste que l’efficacité de
l’outil dépend toujours de la manière de
l’utiliser. Or, les capacités d’une personne dépressive sont si diminuées que
les progrès sont souvent peu perceptibles. Les échecs de prise en charge
sont courants et le désespoir s’insinue dans
tous les aspects de sa vie.
Puis, entre deux crises, une période de rémission fait croire à une guérison. Toutes les
sensations reviennent, toutes les capacités intellectuelles reprennent… Que c’est
bon de vivre ! Mais pour combien de
temps…
CHANGER DE PARADIGME
Depuis deux ans, est apparue la nécessité de sortir du piège qu’a sûrement
été, ces années durant, la croyance d’une
guérison possible. Sortir des turbulences
générées dans un espace parfois abyssal
entre la maladie et la guérison, entre ce
qui est et ce qui devrait être.
Le concept de rétablissement représente
pour moi cette invitation à changer de paradigme dans sa relation à la maladie.
Aujourd’hui, j’appréhende la maladie
comme une rupture plus ou moins importante d’un équilibre, de fait, sans cesse
bousculé. Peut-être est-ce plus correct de
considérer la guérison comme le retour
à cet équilibre instable, forcément, car
constamment mis en péril par les vicissitudes que nous offre généreusement
la vie. Forcément aussi, puisque le propre
« d’être en vie » est le changement, l’impermanence.
J’ai d’ailleurs récemment découvert les
travaux sur la « cohérence cardiaque » (2)
qui mettent en évidence cette réalité
contrôlable, grâce aux avancées technologiques.
Dès lors, le rétablissement est cette porte
de sortie, cette libération de l’illusoire garantie de parvenir à une guérison définitive.
Précisément, c’est cette qualité d’attitude
qui m’invite aujourd’hui à goûter l’arrivée d’une petite fille dans ma vie, petit
être qui me propulse au merveilleux statut de grand-père.
Car longtemps, la confrontation aux crises
dépressives m’a comme brutalement renvoyé à « la case départ », la réjouissance
étant à chaque fois balayée par des symptômes dépressifs qui œuvraient jusqu’à
anéantir tout élan d’amour.
De fait, ma présence était inégale, parfois inexistante, dans mon rôle de père
ou de conjoint. Être juste là, toucher la
vie, être en vie. Je tente la simplicité :
aimer.
Oui, je sens cette attitude comme un
état d’être, d’être « amour ». Une capacité d’accueil inconditionnelle et sans
limite de ce qui est.
En d’autres termes, maintenant entrés
dans le vocabulaire médical occidental,
j’évoque ici la pleine conscience (Mindfulness), initiée par Jon Kabat-Zinn (3),
cette pratique de l’attention dirigée de
manière délibérée dans le moment présent, sans jugement de valeur sur les
choses telles qu’elles sont. Ce médecin
a rendu accessible aux Occidentaux l’expérience de la méditation enseignée par
Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste vietnamien que j’ai eu la chance de connaître
et de rencontrer lors de retraites régulières.
J’ai bénéficié du programme MBCT (thérapie cognitive basée sur la pleine
conscience) et intégré cette démarche
dans ma vie. Je développe tous les jours
cette attitude qui me permet de repérer
très efficacement tout symptôme annonciateur d’un état dépressif. Et ça marche !
On sait aujourd’hui que chaque crise
dépressive augmente de manière spectaculaire la possibilité d’une rechute (après
trois épisodes déjà, les risques grimpent
à 90 %) (4). Mon expérience doit bien
compter un minimum de 20 crises
majeures. Cette période marquée par une
capacité d’amour souvent tellement limitée, par l’absence de rêve car prisonnier
par la peur du lendemain et les regrets
d’hier, aura eu cet effet salvateur de toujours « m’obliger » à chercher, sans jamais
trouver d’ailleurs !
La souffrance oblige, son absence endort !
Aujourd’hui, mon message est celui d’un
homme « condamné » à une vie aux lendemains désenchantés et finalement porteurs d’un possible rétablissement pour
une vie enchantée.
PAIR PRATICIEN
EN SANTÉ MENTALE
Vivre devient un art, un art de vivre. Quelqu’un disait de l’« art » que c’est : Aimer,
Rêver, Transmettre. J’aime cette formule.
C’est ainsi que ma réalité professionnelle prend une forme liée à ce long parcours dans la maladie psychique.
Je viens d’obtenir une certification de
« Pair praticien en santé mentale » à
l’école sociale et pédagogique de Lausanne.
Cette formation nous accompagne à reconnaître et mettre en forme cette expertise expérientielle de la maladie, et ainsi
d’en témoigner en offrant cet éclairage
particulier, complémentaire aux approches
utilisées dans l’aide aux personnes en
souffrance (5).
J’insiste sur le fait que la pair aidance
repose d’abord sur la reconnaissance
d’une expérience douloureuse, celle
d’une affection psychique grave qui a
nécessité un appui psychiatrique parfois très lourd sur une longue période.
Les personnes concernées sont dans une
phase de rétablissement depuis suffisamment longtemps pour mettre à profit cette expérience dans un rôle de
témoin de la capacité humaine au changement, à la résilience.
C’est un témoignage d’espoir, une lueur
tellement absente quand tout va mal. Ce
regard, nourri par l’expérience de la maladie, favorise la rencontre avec des personnes en grande difficulté et donne de
la crédibilité au témoignage d’un changement toujours possible.
LES ATOUTS DES TCC
Je suis à ce moment de ma vie où la
justesse se révèle. Une sensation saisissante qui pourrait m’inviter à donner des
conseils. Heureusement, « sœur humilité »
vole à mon secours avec son lot de prudence et de nuance. Vous savez, la palette
de l’artiste peintre aux couleurs éclatantes et multiples.
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À PROPOS DE LA GUÉRISON EN PSYCHIATRIE DOSSIER
Oui, peut-être bien. Peut-être bien pourrions-nous partager une réalité faite de
couleurs. Nos différences seraient juste
faites de nuances.
Je réalise combien il est bon de nourrir
le lien, de se nourrir de lien. De sentir
cette relation au monde, aux autres. De
la partager, surtout.
J’observe et repère autour de moi ce qui,
en termes d’accompagnement thérapeutique, aujourd’hui à mes yeux et à mon
cœur, fait vibrer cette réalité du lien.
À dessein, je n’évoquerai pas les nombreuses expériences dont j’ai pu bénéficier et qui ont pu être porteuses de cette
qualité d’attention au lien. Je privilégie
celle qui semble réunir le plus d’atouts
pour contribuer à mettre en route la seule
révolution digne d’intérêt, la révolution
intérieure.
Une irrésistible attirance pour quelque chose
qui nous touche un jour et qui ne nous
quitte plus jamais… Conscience,
conscience…
Depuis deux ans maintenant, mes rencontres me font découvrir la thérapie
cognitivo-comportementale. Je pense que
cette approche revêt un intérêt grandissant car elle réussit à proposer une
démarche vivante, libre de la chape analytique. Elle a su par ailleurs habiller la
pratique bouddhique à l’occidentale, je
fais référence ici à la pleine conscience
évoquée plus avant.
Il me semble que la compréhension
humaine ne peut plus s’écarter d’une
pratique, d’un entraînement régulier.
D’abord la prise de conscience des mécanismes psychologiques, de la reconnaissance ensuite de leur nature programmée et la possibilité d’en changer pour
finalement, en être libre.
UN LIEU HOSPITALIER DE
PRATIQUE
Un nombre grandissant de thérapeutes
propose leur aide pour accompagner tout
un chacun dans ce processus de libération. J’ai eu récemment l’opportunité de
passer une journée à la clinique Belmont
à Genève, qui accueille principalement
des personnes souffrant d’addiction ou de
troubles de l’alimentation.
La démarche institutionnelle est d’obédience cognitivo-comportementale et les
patients bénéficient d’un accompagnement
individuel et de groupe. Ils reçoivent des
enseignements très pratiques sur les
façons de mieux comprendre leur fonctionnement et j’ai été impressionné de voir
l’implication des professionnels. On
cherche ensemble, on trouve pour soi.
J’aurais aimé, il y a des années, bénéficier d’un encadrement qui ne promet
pas la guérison mais enseigne le rétablissement. Bénéficier d’une approche qui a
confiance en cette capacité naturelle à
se rétablir, rétablir cet équilibre parfois
gravement altéré.
– Il fut un temps…
Où la folie m’aurait conduit à rejoindre
les insensés,
À la renfermerie, à l’époque, le lieu
adapté.
Le critère : ne pas être d’équerre
Aujourd’hui ce n’est pas que j’en sois
fier
Mais même si je peux vivre encore des
situations précaires
Il n’est plus question de me taire…
1– René Descartes, Discours de la méthode pour bien
conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences,
La Haye, 1637.
2– Voir Cohérence cardiaque : Nouvelles techniques pour
faire face au stress, de Charly Cungi et Claude Deglon Ed.
Retz, 2009.
3– Professeur émérite de médecine, il a fondé et dirige la
Clinique de Réduction du Stress ainsi que le centre pour
la pleine conscience en médecine de l’université médicale
du Massachusetts, États-Unis.
4. Méditer pour ne plus déprimer, Mark Williams, John
Teasdale, Zindel Segal et Jon Kabat-Zinn, Ed. Odile Jacob,
2009. page 37.
CONCLUSION
Aujourd’hui, je me sais toujours habité
par ce petit garçon qui n’a plus à porter
la responsabilité de guérir sa maman. Il
peut avoir confiance en la vie, il peut en
jouir, il peut jouer et rire… Ma mère s’en
est allée, mais pas tout à fait. Je me
sens en effet submergé souvent de reconnaissance de juste imaginer que le parcours de rétablissement qui est le mien
je le partage avec elle…
J’avoue parfois me surprendre à imaginer le partager avec le monde entier !
Voici le poème que cette expérience m’a
inspiré :
5– En savoir plus sur le site des pairs praticiens de Suisse
romande, www.re-pairs.ch
Résumé : Diagnostiqué souffrant de dépression majeure récurrente, un patient revient sur la souffrance de la dépression et les approches thérapeutiques, en particulier le concept du rétablissement, la Mindfulness et les thérapies cognitivo-comportementales, qui l’ont aidé à transformer sa vie et
parvenir à un équilibre.
Mots-clés :
Accompagnement thérapeutique – Dépression – Guérison – Pair aidant – Relation entre pairs – Relation mèreenfant – Rétablissement – Souffrance psychique – Témoignage – Thérapie cognitive – Thérapie comportementale – Thérapie basée
sur la pleine conscience.
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