Peut-on s`excuser en disant : ? J`ai agi inconsciemment ? ?

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Peut-on s`excuser en disant : ? J`ai agi inconsciemment ? ?
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Introduction
« Je n’ai pas fait exprès », « je n’avais pas toute ma tête », « ce n’était pas
moi » : autant de jugements portés a posteriori sur une action que l’on
regrette et qui se présentent comme une justification, voire une excuse en
évoquant quelque chose qui échappe à la conscience. Mais peut-on vraiment s’excuser en disant : « J’ai agi inconsciemment » ?
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Il semble que la définition même du sujet moral et juridique repose sur son
identité, qui subsiste à travers le temps, et que l’idée d’action inconsciente
ne pourrait en rien permettre à l’homme d’échapper à ses responsabilités.
Cependant, reconnaître sa faute révèle que même si les effets de l’action
sont moralement ou juridiquement désastreux, l’intention qui la guidait
n’était pas malveillante et en ce sens sa moralité est peut-être préservée.
Est-il alors possible de considérer l’homme dans toute sa dignité morale
tout en expliquant certaines de ses actions par l’existence d’un inconscient
psychique ? Autrement dit, peut-on concilier le déterminisme psychique et
la liberté humaine qui préside à toute responsabilité morale ?
1. L’inconscient ne peut servir d’excuse car l’homme
est un sujet moral toujours responsable
A. L’identité de la personne subsiste à travers le temps :
le sujet responsable moralement et juridiquement
L’homme se définit en tant que sujet d’un point de vue théorique et pratique, c’est-à-dire qu’il a à la fois un pouvoir de détermination des choses
(sujet de la connaissance), et un pouvoir d’autodétermination (sujet moral
libre). Pour que le sujet puisse assumer toute sa responsabilité morale et
juridique et répondre de ses actes (la responsabilité vient du latin respondeo, répondre), il faut nécessairement que ce soit la même personne qui
ait agi qui se repente, s’excuse ou que l’on pardonne ou condamne. L’idée
d’identité et plus particulièrement l’ipséité (le fait d’être toujours le même à
travers le temps) est présupposée par celle de responsabilité. C’est en ce
sens que la justice continue de juger les gens même de nombreuses années
après leurs crimes. Dire qu’on a changé ne suffit pas à se dédouaner de ses
fautes.
Dès lors faire appel au poids des événements passés, qui seraient inscrits
dans notre inconscient et nous pousseraient à agir à l’encontre de notre
volonté, serait affirmer que nous sommes déterminés dans nos actions par
une force psychique qui échappe à notre contrôle. Ce déterminisme psychique ferait de l’homme une sorte de marionnette portée par les
événements, sans maîtrise de soi. En ce sens, l’homme se présente plus
comme un irresponsable. C’est ce que tentent d’établir les psychiatres dans
des procès lorsqu’on étudie le degré de responsabilité pour constituer une
circonstance atténuante. Mais en évoquant ainsi la possibilité d’agir sans
être l’auteur de son action mais un simple acteur, n’est-on pas en train de
nier sa qualité d’homme, à savoir sa liberté ?
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B. Vouloir s’excuser par le déterminisme psychologique
serait de la mauvaise foi
En ce sens, Sartre présente l’invocation d’un inconscient pour se justifier
comme une fausse excuse. Un homme peut se sentir sincèrement en décalage avec ce qu’il a fait, ce qui est généralement source d’angoisse, mais il
ne peut nier que c’était « lui ». Se servir de l’idée de déterminations psychiques inconscientes (par exemple une enfance difficile qui amène à
reproduire la maltraitance reçue sur ses propres enfants) comme acte déterminant, c’est selon Sartre un acte de mauvaise foi car il consiste à nier la
liberté qui est en soi pour se trouver des « excuses ».
Or selon l’existentialisme, en l’homme « l’existence précède l’essence ». Cela
signifie que l’homme n’est déterminé que par ses actions, et celles-ci peuvent
constamment changer, donc il n’existe pas d’essence définitive ou de nature
humaine. L’homme est perpétuellement en train de se redéfinir par ses
actions. Dire par exemple que l’on est particulièrement susceptible pour justifier une réaction violente n’est pas légitime car on « est » ainsi aussi
longtemps qu’on le décide. L’homme est libre, il est même « condamné à être
libre », ce qui l’oblige à assumer ses responsabilités.
Ainsi on ne peut légitimement affirmer que l’on a agi inconsciemment pour
s’excuser car ce serait tout simplement refuser d’assumer ses responsabilités,
qui pourtant existent. Cependant, le fait de s’excuser n’est-il pas déjà une possibilité de se « racheter », sans pour autant nier une faute ? N’est-ce pas une
manière d’atténuer une sanction morale et juridique ? Dans un procès, les criminels qui ne regrettent rien ne sont-ils pas regardés encore plus sévèrement ?
2. Cependant, s’excuser en invoquant l’inconscience
constitue une explication sur sa bonne intention
A. La prise de conscience semble nécessaire au pardon
Celui qui veut s’excuser, demander pardon, reconnaît avoir commis une
faute, ce qui est déjà la condition nécessaire pour espérer être pardonné.
Mais comment expliquer qu’une même personne à un moment de sa vie
fasse un acte, puis à un autre moment le reconnaisse comme étant à ne pas
faire ? Selon Platon, « Nul n’est méchant volontairement ». En effet, un
homme ne peut pas vouloir faire le mal car ce serait rejeter le Bien, et donc
ce qui est bien pour lui aussi. Faire le mal, c’est se tromper dans l’échelle
des valeurs et préférer un bien inférieur à un autre. Faire le mal c’est donc
non seulement faire une faute, mais aussi une erreur dans la mesure où cela
résulte de l’ignorance.
On peut donc imaginer que celui qui s’excuse en affirmant avoir agi inconsciemment, invoque son inconscience passée, montre qu’il est moins
ignorant et que s’est opéré en lui une prise de conscience.
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B. L’homme n’a pas la pleine maîtrise des effets de ses actions,
or la moralité d’une action, et par là même son caractère
répréhensible, vient de l’intention
On peut alors présumer qu’en s’excusant ainsi, il montre qu’il ne referait pas
la même chose car s’il s’est trompé, il a fait une erreur qu’il ne reproduirait
plus en connaissance de cause. Sa bonne intention est préservée, et par là
même sa moralité. Selon Kant, on ne mesure pas la moralité d’une action à
ses conséquences car il peut toujours y avoir des imprévus, mais à l’intention qui y préside, même si cette intention n’est pas connaissable.
On peut avoir agi par aveuglement et prendre conscience d’avoir mal agi.
Le rachat est alors possible. Ainsi, dans le film L’Aurore, de Murnau, un
paysan vit paisiblement avec sa femme et son enfant qu’il chérit lorsqu’une
« dame de la ville » le séduit et lui demande de tuer sa femme pour la suivre.
Entraîné par la passion il organise le meurtre, mais au moment de passer à
l’acte, il retrouve l’amour pour sa femme. Après avoir longuement tenté de
la reconquérir, ils se retrouvent enfin dans un pardon et un amour puissant.
Sa prise de conscience est irréversible : il n’éprouvera plus qu’aversion pour
cette séductrice de la ville.
On peut donc s’excuser en disant qu’on a agi inconsciemment, montrant
ainsi que l’on a pris conscience d’une erreur passée. La justification
consiste alors à montrer son ignorance ancienne, une passion aveuglante
par exemple. Cependant, agir inconsciemment peut aussi signifier que l’on
a agi non pas par manque d’attention ou par ignorance, mais sous l’action
d’un inconscient psychique autonome. Mais alors, si une telle instance
existe, comment la concilier avec l’idée de responsabilité ?
3. La reconnaissance de l’existence d’un inconscient
n’est pas en contradiction avec la morale,
mais au contraire la condition de sa possibilité
A. La thèse freudienne : « Le moi n’est pas maître en sa demeure »
La grande découverte de Freud est l’existence d’un inconscient psychique
absolument distinct de la conscience, et dont les effets peuvent même s’y
opposer. Car la conscience ne peut rendre compte de certains éléments
d’origine psychique comme les rêves, les actes manqués ou certaines maladies… L’hypothèse d’un inconscient psychique se montre nécessaire d’un
point de vue théorique. D’un point de vue pratique, la psychanalyse semble
pouvoir guérir certaines névroses. Mais cet inconscient, à la fois activité de
refoulement et réceptacle de tous ces désirs refoulés, renvoie la conscience
à sa propre impuissance : nous n’avons pas le contrôle total de ce que nous
sommes et de ce que nous faisons ; les oublis, les névroses, les rêves, etc.,
sont autant de manifestations cryptées, au quotidien, de l’existence de
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désirs qui tendent à se réaliser et qui pourtant ne peuvent le faire au grand
jour de la conscience.
Le « moi », c’est-à-dire la conscience de soi, n’est plus « maître en sa
demeure », autrement dit la conscience ne se confond pas avec le psychisme, et l’on peut vouloir faire quelque chose et faire autre chose dans la
mesure où des désirs inconscients influent sur l’action.
B. La psychanalyse comme condition d’une éthique retrouvée
Mais suffit-il alors par exemple d’évoquer une pulsion meurtrière inconsciente pour échapper à sa responsabilité dans un crime ? Certes non, car
d’abord ce jugement relève d’un diagnostic psychiatrique que l’on ne peut
faire soi-même, et d’autre part la psychanalyse ne prétend pas faire de
l’homme un être exclusivement dominé par ses désirs.
En effet, l’objectif d’une psychanalyse n’est pas tant de mettre au grand
jour des désirs « honteux » pour pouvoir les réaliser, que de mieux se
comprendre pour pouvoir concilier le principe de plaisir avec le principe de
réalité. Aussi, le fait de prendre conscience de l’action de l’inconscient
permet de se libérer de certains désirs contradictoires. Paul Ricœur décrit
en ce sens l’action de la psychanalyse comme une maïeutique de la liberté.
Or, retrouver sa liberté est la condition même pour pouvoir agir moralement.
Dire que l’on a agi inconsciemment signifie qu’un travail psychanalytique
s’est fait et que les choses ont été analysées comme étant névrotiques.
S’excuser est alors un acte d’humilité qui encourage le pardon sans nécessairement le forcer.
Conclusion
La question de savoir si l’on peut s’excuser en disant que l’on a agi inconsciemment souligne la difficulté de penser le sujet humain dans sa
temporalité, dans la mesure où il peut rétrospectivement réaliser que son
action n’était pas bonne soit parce qu’il était dépassé par des désirs
inconscients, soit par ignorance.
Les enjeux sont donc à la fois psychologiques, moraux et juridiques car il
s’agit de penser en un même homme sa responsabilité, qui subsiste à
travers le temps, donc le fait de rester toujours l’auteur de ses actions, et
l’existence d’un inconscient psychique, c’est-à-dire d’une instance dont
l’activité échappe et peut faire perdre le contrôle de soi.
Seule une conception de la psychanalyse comme possibilité de mettre à
jour ce qui pousse à mal agir (mal dans un sens à la fois moral et qui
s’oppose au bonheur) permet au sujet de retrouver une maîtrise de soi, non
pas par une conscience qui contrôle tout mais par la mise à jour de certaines activités inconscientes.
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