Mario Vargas Llosa, La fête au bouc

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Mario Vargas Llosa, La fête au bouc
Mario Vargas Llosa, La fête au bouc
Ce roman qui mêle la réalité et la fiction déconstruit tous les processus par lesquels une dictature envahit le corps d?une société. Il ne s?ag
t pas d?une simple chronique de la vie à Saint-Domingue sous l?ère du président Trujillo. La puissance de la fiction littéraire permet en ef
à Vargas Llosa de dépasser le côté factuel et nécessairement incomplet de l?analyse historique. C?est au foyer même d?infection qu?il no
ntroduit, au centre de la peur, de la corruption et de la mort. Tous les rouages dictatoriaux, qu?ils soient politiques, économiques, jur
idiques, militaires ou personnels, voire intimes, sont saisis dans leur entremêlement complexe, impitoyable et de plus en plus i
rrationnel, Inhumain. L?absence des libertés premières ne gangrène pas seulement les activités de la nation ; elle pervertit aussi les relati
ons interpersonnelles. Le déchirement entre le sénateur Cabral (un des privilégiés du pouvoir avant d?être déchu par Trujillo) et sa fille
en est l?illustration extrême.
L?attrait du roman ne se limite pas à ces éléments. Toute analyse théorique du modèle dictatorial aboutirait à des enseignements semblabl
es. Mais Mario Vargas Llosa, sur cette base, dresse un récit d?autant plus prenant qu?il est écrit de façon très moderne : allers-retours dan
temps, mélanges de dialogues distincts, fusion du réel et du fictif?Or, à aucun moment, ces procédés techniques ne sont dérangeants ou n?
araissent comme étant surajoutés. Tout se passe au contraire comme si la décomposition de la vie sociale et personnelle qu?impose la di
ctature du « bouc », ne pouvait être appréhendée que via ce travail de reconstruction romanesque avec des anticipations, des retours dans
le passé, des glissements entre interlocuteurs?
C?est certainement à une telle qualité littéraire que devait penser Léo Strauss, théoricien des idées politiques lorsqu?il écrivait : « Je crois
un romancier contemporain avec un degré raisonnable de compétence nous apprend beaucoup plus de choses sur la société mode
rne que des volumes de science sociale remplis d?analyses. Je ne conteste pas que les analyses de la science sociale soient très imp
ortantes, mais néanmoins, si l?on veut avoir une vision générale et une opinion approfondie, on lit plutôt un roman que de la science socia
e » (La philosophie politique de Platon, Paris-Tel Aviv, 2006, p.18).

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