Un autre regard - Institut Benjamin Delessert

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Un autre regard - Institut Benjamin Delessert
51ème JAND
28 janvier 2011
Un autre regard
Sylvie Benkemoun
Vice présidente d’Allegro Fortissimo, chargée des questions de santé, psychologue clinicienne
Résumé
Quel chemin parcouru depuis les premiers cris de révolte de quelques pionniers faisant irruption
dans le paysage du moment! C’est en 1989. L’obésité plus confidentielle, s’évalue dans les cabinets
médicaux et dans quelques services hospitaliers connus pour leur spécialité.
Il ne fait pas bon être trop gros à l’école pendant les cours de gymnastique, dans les soirées
dansantes ou pour trouver des vêtements à la mode. Mais c’est simple. Il suffit de maigrir, d’avoir
de la volonté et de suivre scrupuleusement le régime prescrit par ce nième spécialiste consulté
après quelques mois d’attente. Si cela ne « marche » pas, c’est que nous n’avons pas de volonté ou
bien que la stabilisation n’a pas été faite. Que d’espoirs déçus à chaque tentative nous enfonçant
dans une culpabilité qui s’inscrit peu à peu comme une fatalité difficile à vivre.
L’obésité se développe de façon inquiétante pour les épidémiologistes. Les recherches permettent
de passer des facteurs de risque déjà connus à la maladie obésité et à son irréversibilité possible.
La prise en compte de cette première épidémie non contagieuse décrétée par l’OMS s’intensifie
partout dans le monde. La prévention et les prises en charge s’organisent autour de l’alimentation
et de l’activité physique. L’obésité massive est prise en charge chirurgicalement. Mais le regard sur
les personnes grosses est toujours aussi difficile à vivre.
Honte et culpabilité isolent et empêchent de vivre une réalité possible. La mésestime de soi éloigne
des prises en charge et aggravent l’obésité.
Et pourtant, avec les connaissances actuelles il pourrait être possible de considérer l’obésité comme
une affection au long cours et l’accompagner de la même façon qu’une autre maladie chronique.
Mais comment mobiliser ses facultés d’adaptation quand on brandit la peur de la maladie ou de la
mort, dans un discours qui s’étend à tous les domaines de la vie.
Injonctions à maigrir ou facilitation des moyens proposés, contrôle ou régulation, disqualification des
personnes obèses et de leur entourage ou bien requalification pour faire barrage aux effets de la
stigmatisation ? Des choix à proposer pour aider les personnes à vivre plus facilement leur
différence.
La lutte contre l’obésité, devenue question de santé publique, cherche des solutions concrètes, un
savoir-faire efficace et des mesures à appliquer rapidement.
A l’échelle individuelle le savoir-être d’une relation thérapeutique est sans doute la clef d’un
parcours de soins efficace à long terme. Le praticien, dans un rapport d’aide accompagne un patient
responsable qui sollicite ses ressources et ses possibilités. Ce sont les enjeux d’une éducation
thérapeutique, au-delà des attentes magiques et des rêves irréalistes.
Encore faut-il que l’information circule, afin de remplacer les stéréotypes et préjugés qui existent
encore largement, même au sein du corps médical.
Ma perspective est celle d’une expérience de 15 ans acquise au sein d’Allegro Fortissimo au titre de
responsable santé, avec une lecture de psychologue clinicienne.
Donner la parole aux patients, comme cela m’est proposé aujourd’hui, c’est officialiser un échange qui
existe depuis quelques années déjà et nous reconnaître une expertise de personnes concernées.
C’est aussi, comme cela se passe en médecine, tirer un enseignement des pathologies pour ajuster
les prises en charge et traitements afin d’être efficients et conformes à l’intérêt des personnes. Je vous
remercie donc, au nom des individus en difficulté avec leur poids que je représente, de m’avoir invitée
à partager cette journée.
S. BENKEMOUN
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DE LA CARACTÉRISTIQUE PHYSIQUE À LA MÉDICALISATION
De façon arbitraire, je vais commencer à remonter le temps en m’arrêtant dans les années 1989, date
de création de notre association.
A cette époque l’obésité est beaucoup moins importante statistiquement, l’obésité massive plus
exceptionnelle, moins visible. Le cri de révolte poussé par Anne Zamberlan, entourée de quelques
personnes crée l’événement. Les affiches de Virgin Mégastore la montrent en blanche vestale opulente
offerte aux regards. Ces images sont encore présentes dans le souvenir d’une époque. Etre gros est
plutôt une singularité, une apparence, être très gros une exception qui interroge.
Le regard social d’alors est critique face à des personnes jugées sans volonté, mangeant sans doute
plus qu’il ne faudrait. Ces jugements ont une origine religieuse en lien avec le péché de gourmandise
et morale associée au partage de la nourriture. Dans l’inconscient collectif, le gros c’est le pêcheur.
Mais c’est aussi celui qui prend plus que sa part.
Les stéréotypes et les préjugés laissent une empreinte forte même chez certains médecins et
soignants souhaitant pourtant venir en aide. Les échecs des prises en charge sont attribués aux
patients récalcitrants et…à leur manque de volonté. Ces idées persistent d’ailleurs actuellement en
dépit d’informations qui pourraient modifier ce regard intolérant qui diffère les visites chez le médecin
et augmentent la gravité des risques associés, quand ils sont découverts.
Les prises en charge médicales existent. Elles sont exclusivement à visée amaigrissante et proposent
des modèles diététiques restrictifs qui évoluent régulièrement en interdisant des groupes d’aliments
et en proposant une activité physique pour brûler des calories. L’obésité n’a pas une définition précise.
Elle s’apprécie par les facteurs de risque et leurs conséquences négatives sur la santé. Elle n’est pas
encore considérée comme une maladie.
DE LA NORME AU PATIENT
Les études épidémiologiques se multiplient avec des chiffres alarmants. On parle d’épidémie non
contagieuse. L’obésité devient peu à peu un problème de santé public qui mobilise les acteurs
politiques. On s’intéresse alors à l’environnement et à ses sollicitations à manger de façon inadéquate.
Le gros n’est plus le seul coupable même si cette culpabilité s’est inscrite, de façon inconsciente chez
les personnes concernées.
Les statistiques évaluées tous les 3 ans depuis 1997 par l’enquête Obépi suivent l’augmentation de
l’obésité suivant des critères d’âge, de sexe, de niveau social et de répartition géographique orientant
les mesures à prendre et les traitements proposés.
L’obésité devient le fléau à combattre de plus en plus tôt, une attention mobilisant de nombreux
acteurs, une peur entretenue et un devoir citoyen de contrôle.
Toute dérive par rapport à la norme s’inscrit dans la pathologie. La personne en surpoids ou grosse
est considérée comme un patient potentiel en danger de maladie ou de mort, une personne qui coûte
cher à la collectivité.
Les difficultés du patient s’aggravent : honte et culpabilité l’isolent et le mettent en situation d’échec
Il se sent coupable d’être trop gros et de ne pas réussir à maigrir. Il a honte de lui-même et a des
difficultés à assumer sa réalité et à s’y adapter. Culpabilité et honte sont les deux sentiments les plus
puissants de la mésestime de soi. Ils génèrent souffrance, remaniements psychiques et systèmes de
défense qui peuvent laisser supposer qu’il ne se voit pas tel qu’il est ou bien qu’il refuse la prise en
charge, alors que c’est souvent son obsession.
Les logiques de la honte et de la culpabilité impliquent à la fois les patients, leur famille et les
soignants.
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Culpabilité – honte, des freins à une prise en charge efficace
Culpabilité (norme)
Honte (valeur)
Intériorisation de principes normatifs
Atteinte de l’image de soi (rapports au corps,
à l’identité)
Frein
Intrusion
Autocritique
Décharge des émotions bloquées - isolement
Désordre des pensées (Lewis)
Désordre des émotions (Lewis)
Pousse à réparer la faute - autopunition
Favorise intériorisation et inhibition
Refoulement
Enfouissement (conduites d’évitement,
de contournement
FAIRE
ETRE
Ne pas manger comme il faut
Ne pas être beau, séduisant
Ne pas faire de régime
Ne pas être performant, efficace
Ne pas bouger
Ne pas être digne d’attention, d’intérêt, d’amour
Ne pas accepter de solution chirurgicale
Coûter trop cher à la collectivité
La réponse médicale à ces émotions complexes concerne à la fois le savoir-faire et le savoir-être, plus
difficile à codifier et à imposer.
Des repères en quelques dates
1989 naissance d’Allegro Fortissimo, association de défense et de soutien des personnes corpulentes
isolées et vivant difficilement leur différence avec l’objectif de lutter contre les stéréotypes liés à
l’obésité. Les personnes concernées ont envie de sortir d’une certaine transparence pour faire
entendre leurs besoins d’exister en dépit de cette singularité. Elles utilisent la provocation pour sortir
de l’ombre en affirmant :
• On peut être gros et beaux.
• On peut être gros et bouger.
• On peut être gros et avoir envie d’être respecté dans ses prises en charge médicales.
Ces affirmations sont diversement comprises par les personnes concernées et par le corps médical.
Il ne s’agit ni de prôner la grosseur, ni d’inciter à continuer à prendre du poids mais simplement dire
que l’on peut être hors normes et essayer de le vivre en luttant contre ce regard qui exclut.
On peut savoir que l’obésité a des conséquences sur la santé et en avoir assez des ces régimes qui se
soldent pas des reprises de poids de plus en plus importantes, de ces échecs qui agissent sur l’estime
de soi et qui laissent supposer qu’une personne obèse en est réduite à ses kilos et à leurs
conséquences.
En ce qui concerne les prises en charge : le praticien propose de perdre du poids et pense que cela est
possible pour tous. Le patient espère à chaque nouveau spécialiste consulté d’avoir enfin ce poids
rêvé, prêt à tout pour y arriver enfin.
1997 l’OMS déclare que l’obésité est une maladie. De grands espoirs nous font alors espérer le
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développement de recherches, une meilleure connaissance de cette affection et surtout un nouveau
regard sur les plus gros d’entre nous, disant clairement que ce n’est pas un problème de volonté.
2001 à 2010 PNNS 1 et PNNS 2 coordonnent les connaissances sur l’alimentation et l’activité physique
afin d’avoir la meilleure santé possible, laissant au passage une certaine confusion entre les conseils
de santé et les conseils liés à l’amaigrissement et ses possibilités.
C’est aussi le début de la concertation avec les associations de patients qui sont conviées à s’exprimer
et à travailler à une planification des moyens à mettre en œuvre pour améliorer les prises en charge.
C’est un travail sur les équipements spécialisés à l’hôpital, l’acquisition de matériel adapté, les
protocoles de prise en charge de la chirurgie de l’obésité, leur actualisation. Ce sont des mesures en
direction de la publicité à la télévision, de l’affichage des produits gras et sucrés. Mais c’est aussi un
travail sur l’image du corps et une prise en compte plus psycho sociale de cette problématique.
2002 La loi de santé publique associe lutte contre l’obésité et lutte contre la discrimination,
reconnaissant cette double peine si présente dans nos parcours mais sans dire comment s’y prendre
ou quels moyens mettre en œuvre.
2005 Allegro demande la création d’un groupe d’étude à l’Assemblée en souhaitant faire évaluer les
techniques proposées pour maigrir, dont certaines aggravent la situation en provoquant ou en
aggravant les troubles du comportement alimentaire. Il aura fallu 5 années pour obtenir l’évaluation
des techniques d’amaigrissement proposées et des médicaments prescrits en constatant leurs limites.
Leur dangerosité est constatée mais il n’existe pas encore de solutions qui pourraient répondre à des
demandes différentes en fonction d’un parcours de poids qui commence au surpoids et évolue souvent
vers une obésité simple ou massive. Il est dit par exemple qu’une perte de poids minime permet
d’améliorer certaines pathologies associées mais il existe si peu d’endroits où il est possible d’obtenir
cette amélioration de façon stable.
2010 La lutte contre l’obésité s’officialise politiquement prenant des proportions qui nous inquiètent
car elle accentue les peurs et les mises en garde en autorisant parfois certains jugements qui nous
desservent dans le regard de la population.
Nous nous interrogeons sur la façon de lutter contre cette discrimination. Il ne s’agit pas de se sentir
victimes ou de chercher des responsables mais simplement de vivre sans crainte en participant à la
réflexion générale et aux propositions.
EVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE DE L’OBÉSITÉ
Des pôles de référence pluridisciplinaires permettent d’avoir une prise en charge plus globale et en
rapport avec la complexité de l’obésité.
La chirurgie pour l’obésité massive se développe. C’est ainsi qu’à Allegro par exemple, il devient
impossible d’ignorer toutes ces techniques tant elles sont utilisées fréquemment par nos membres.
Il devient difficile actuellement de ne pas chercher à maigrir tant la peur de la maladie est largement
diffusée et la pression importante.
QUE PEUVENT PROPOSER LES ASSOCIATIONS POUR UNE PRISE EN CHARGE
PLUS EFFICACE ET MIEUX ADAPTÉE ?
Nous constatons combien l’errance médicale est encore importante et combien de nombreuses
personnes qui en auraient besoin ne consultent pas ou alors tardivement par peur d’être critiquées
plus qu’aidées. Il n’existe pas un interlocuteur désigné pouvant suivre ces parcours de soins.
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Propositions
- Un interlocuteur privilégié pour un suivi au long terme
Cela pourrait être le médecin généraliste mais souvent celui-ci a une méconnaissance de la maladie
obésité et peu de temps disponible pour aider la personne en difficulté et l’adresser éventuellement
à un service spécialisé pluridisciplinaire.
- Importance de la relation au patient obèse dans un parcours de maladie chronique
Cette relation doit se poursuivre dans le temps et s’adapter à l’évolution de la maladie. Comment
revenir sans crainte si on a l’impression d’être en échec ? La mise en place d’une alliance
thérapeutique est un savoir-être spécifique d’accompagnement pour une relation au long cours. Le
sujet pourrait alors retrouver une estime de soi perturbée. Le savoir-faire pourrait requalifier le
sujet dans son identité, ce que nous sommes loin d’observer pour l’instant.
Une information est nécessaire afin de dépasser ce « catastrophisme » peu propice à mobiliser les
systèmes de défense du sujet.
Nous souhaitons pouvoir établir une communication entre personnes adultes et responsables.
- La peur est-elle efficace ?
Il est reconnu actuellement que l’obésité est une maladie chronique. A ce titre, nous pouvons
souhaiter qu’elle soit considérée ainsi ce qui pourrait court-circuiter l’urgence et ses effets à court
terme.
Comparaison d’une prise en charge en fonction des facteurs de risque ou de la maladie chronique.
Facteurs de risque
peur
normes
pathologies associées
urgence
culpabilisation
Maladie chronique
besoins
individu
maladie obésité - développement
chemin
responsabilisation
- Facilitation plutôt qu’injonctions
Les mesures de santé publique préconisées doivent être concrètes et efficaces, or toute l’histoire
du poids et de l’obésité ne se met pas en équations ou en mesures.
- Comment prendre en compte la souffrance, les histoires de vie, les liens et tout ce que la psychologie
propose.
Peut-être faut-il rappeler la définition de la santé donnée par l’OMS
« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement
en une absence de maladie ou d'infirmité. »
Le bien être est une valeur individuelle, subjective et relative qui appartient à la personne.
Ce n’est ni un devoir, ni une injonction.
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