L`été meurtrier
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L`été meurtrier
27 Août 2015 L’été meurtrier L’épisode baissier actuel est un événement majeur qui nécessite d’être décrypté car il est sans doute structurant dans la compréhension du prochain régime de marché. La crise grecque au printemps avait déjà été une première secousse pour la zone euro : baisse de l’indice Eurostoxx50 de 12% entre les mois d’avril et juin mais sans réelle contagion. En revanche, la Chine (éclatement de la bulle Actions, dévaluation surprise du Renminbi) a eu des conséquences systémiques, avec notamment 1/ une diffusion sur les prix des matières premières (-40% depuis juillet des cours du pétrole ), 2/ un écartement des spreads de crédit (la prime de risque du high yield dans le secteur de l’énergie est montée à 1200pb), 3/ une baisse brutale des marchés émergents (-25% depuis début juillet pour le MSCI EM), 4/ et enfin une contagion aux marchés développés (US, Europe, Japon). VIX : volatilité implicite du S&P500 (en %) 50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 01.2010 08.2010 03.2011 10.2011 05.2012 12.2012 07.2013 02.2014 09.2014 04.2015 Banque Pâris Bertrand Sturdza SA C’est la baisse massive et brutale du S&P500 qui traduit le phénomène d’emballement. En baissant de 11% sur cinq séances, l’indice est entré en territoire de correction, phase baissière qui se définit par une baisse cumulée de 10 à 20%. A 1867, le S&P500 retombe au niveau qui prévalait le 17 octobre 2014. C’est la plus importante baisse depuis 2011. Mais ce qui a le plus choqué les investisseurs, c’est la rupture d’une tendance haussière initiée en 2009 avec les mesures massives de reflation des actifs menées par la Fed pour sortir de la crise financière. Ainsi, le S&P500 s’est écarté de près de 5 écarts-types par rapport à sa moyenne mobile 50 jours. Une telle déviation ne s’était pas vue depuis le 19 octobre 1987 et le 14 mai 1940. La volatilité implicite sur le S&P500 (VIX), reflétant le coût du risque, a fait un bond, passant de 13 mi août à plus de 50 en séance le 24 août. C’est le plus haut niveau atteint depuis février 2009. De même, la volatilité de la volatilité (VVIX) a explosé, pour dépasser les niveaux observés lors de la faillite de Lehman Brothers. 1 Spread de crédit High Yield énergie (pb) 1'400 1'200 1'000 800 600 400 200 0 01.14 03.14 05.14 07.14 09.14 11.14 01.15 03.15 05.15 07.15 Banque Pâris Bertrand Sturdza SA Pourquoi une telle sur-réaction ? C’est sans doute la combinaison d’une bifurcation macroéconomique (accélération du décrochage des pays émergents par rapport aux pays développés) et d’un dysfonctionnement de marché (dislocation du marché du crédit). Sur le plan macroéconomique, cet été a connu une accélération baissière des prix du pétrole brut. La décision par l’Arabie Saoudite de défendre ses parts de marchés au détriment du prix avait fait sortir les cours du pétrole de son plateau de 100-120 $/bl en 2014. Avec un cours actuel proche de 40$, c’est une baisse cumulée de près de 65% en un an. Cet effondrement des cours a trois types de conséquences : 1/ un stress dans le secteur du high yield (à partir du secteur énergie) ; 2/ une fragilisation de la situation financière extérieure des pays producteurs avec une dépendance accrue aux flux de capitaux (d’abord la Russie et le Venezuela, puis le Brésil et enfin les pays du Moyen Orient, qui connaîtront cette année un déficit courant pour la première fois depuis 1998) ; 3/ un regain des pressions déflationnistes, qui contrarie les politiques monétaires, notamment la Fed, qui était engagée dans un processus de normalisation de sa politique. Ce dernier point est essentiel. La remontée brutale des taux d’intérêt réels (taux longs après inflation) de près de 80pb depuis le printemps et le ralentissement international provenant des pays émergents (dont la Chine) a été une combinaison toxique pour les marchés. Il est normal que les marchés émergents soient les plus impactés par ces catalyseurs macro-financiers, mais les marchés développés ont été rapidement contaminés. D’une part, les marchés Actions américains, avec une surévaluation de près de 25% en début d’année, étaient devenus très vulnérables à une inversion de la politique monétaire de la Fed. D’autre part, les Actions européennes, nettement plus exposées au relais de croissance des pays émergents et inflatées par l’action de la BCE (baisse de l’euro, QE), ont accusé une forte baisse en raison de leur beta de marché supérieur. 2 Capitalisation boursière mondiale (USD Mds) 80'000 70'000 60'000 50'000 40'000 30'000 20'000 10'000 0 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Banque Pâris Bertrand Sturdza SA Cet épisode a vu la capitalisation boursière mondiale passer rapidement de USD 74.000 à 60.000Mds, soit un retour sous le pic de 2007 et ce pour la première fois depuis le début 2014. Une telle perte de valeur représente plus de 15% du PIB mondial, la taille de l’Union européenne. Dans l’immédiat, deux questions sont soulevées : 1/ quel est le risque d’une erreur de politique monétaire de la part de la Fed ? 2/ quelle est la probabilité d’une crise de la dette des pays émergents ? Concernant ce dernier point, il est frappant de voir à quel point le déni persiste concernant la situation en Chine. Une récession mondiale ayant pour déclencheur la Chine serait du jamais vu. Les marchés continuent d’accorder le bénéfice du doute aux autorités chinoises quant à leur capacité à gérer une crise financière. Rien n’est mois sûr. La dévaluation surprise est une action qui remet en cause la thèse du rééquilibrage de la croissance et elle montre aussi que la Chine n’hésitera pas à exporter ses problèmes au reste du monde. Quant à la Fed, les mesures de marchés comme l’inflation anticipée (1.8% actuellement) ou les taux d’intérêt forward (le 5 ans dans 5 ans est à 2,9%, soit le niveau de décembre 2008) sont compatibles avec un nouveau cycle de stimulation monétaire (c’est-à-dire un QE4). Le consensus table sur un scénario de correction limitée et exclut l’hypothèse d’un bear market (une baisse cumulée de 20 à 50%). Il est vrai que pour que ce scénario se matérialise, il faudrait une récession aux Etats-Unis dans les 12 prochains mois, un resserrement monétaire excessif de la Fed ou une crise financière globale. Autant d’hypothèses qui seront encore testées ces prochains mois. Emmanuel Ferry [email protected] Banque Pâris Bertrand Sturdza SA Paru dans L'AGEFI, le 27 août 2015 3