LeMonde_20150501
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international | 3 0123 SAMEDI 2 MAI 2015 Népal : la recherche des disparus s’organise en ligne Les familles tentent de retrouver la trace de leurs proches sur la Toile, malgré le chaos créé par le séisme A vez-vous vu ma mère, en trek dans l’Annapurna ? », « Aidez-moi à retrouver mon frère », « Je cherche ma sœur, Aude, 28 ans, qui faisait un trek dans le Langtang ». Ces messages se comptent par centaines sur Twitter, sur Facebook et sur d’autres réseaux sociaux depuis le violent séisme qui a frappé le Népal samedi 25 avril, faisant près de 5 500 morts selon le dernier bilan officiel. Aux quatre coins de la planète, les proches des disparus tentent désespérément de glaner des nouvelles. Dans le chaos qui règne sur place, difficile d’obtenir des informations de la part des autorités népalaises ou des ambassades. Les familles se voient donc souvent dans l’obligation de mener ellesmêmes leurs recherches, en répétant et en partageant inlassablement des messages en ligne. Parfois, au milieu de ces messages d’inquiétude, une lueur d’espoir. « J’ai eu mon fils hier, il va bien », indique par exemple Virginie Fouzari sur Twitter. Mardi soir, elle a enfin eu des nouvelles de son fils Karim, disparu depuis samedi dans la capitale, Katmandou. Quatre jours de « peur extrême », durant lesquels elle a « tout essayé ». La cellule de crise du Quai d’Orsay, qu’elle a appelée « deux cents fois », l’oriente vers différents sites Internet, comme le Person Finder de Google, qui regroupe les informations sur les personnes disparues ou retrouvées lors d’une catastrophe. Elle y recherche le nom de son fils, « mais il n’y avait rien du tout ». Même revers avec Family Links, l’outil du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour rétablir le contact dans les situations de crise, ou le Safety Check de Facebook. La plupart de ces services permettent non seulement de rechercher des informations sur les personnes disparues, mais aussi d’en publier. Virginie Fouzari remplit alors consciencieusement les différents champs : nom, âge, description, photo, adresse… afin de créer des avis de recherche complets sur Karim. Et elle n’est pas la seule. Le site Family Links, qui existe depuis « Internet va plus vite que les institutions. On n’a pas de protocole à respecter » VIRGINIE FOUZARI mère d’un touriste français 2012, a reçu pas moins d’un million de visites depuis samedi. 1 700 demandes de personnes disparues ont été enregistrées sur une page spéciale créée pour le séisme, traduite en anglais et en népalais. Parmi elles, 325 personnes ont été retrouvées et formellement identifiées. « La différence avec Google ou Facebook, c’est le travail de suivi et de vérification que nous effectuons, explique Alexis Heeb, porte-parole du CICR. Nous travaillons avec les bureaux et les antennes de la Croix-Rouge népalaise et un réseau de plusieurs milliers de volontaires, qui recoupent les informations et se déplacent sur le terrain dans l’ensemble du pays, dans les refuges ou les hôpitaux. Ainsi, lorsque notre base de données indique “je suis vivant” à côté d’un nom, cela signifie que nous avons vérifié l’information avec la personne recherchée et ses proches. » Partagés des centaines de fois Parallèlement, Virginie Fouzari inonde de messages les réseaux sociaux. Ses messages sont partagés des centaines de fois. Pour elle, « sans Internet, les recherches seraient beaucoup moins efficaces. Dans le chaos général, Internet va beaucoup plus vite que les institutions. Nous, on n’a pas de protocole ou de diplomatie à respecter ». Plusieurs fois par jour, elle fait le tour des mêmes sites, en attente de nouvelles : Facebook, Twitter, Google, le site de la Croix-Rouge… En vain. Jusqu’à ce coup de fil, mardi soir, où elle entend à nouveau la voix de son fils. « Il a réussi à rejoindre l’ambassade à pied. Quelqu’un lui a dit qu’on le cherchait sur Internet, alors il a accéléré Des équipes de secours à Bhaktapur, à une dizaine de kilomètres à l’est de Katmandou. ISHAN TANKHA POUR « LE MONDE » sa route. » L’appel ne dure pas longtemps. Juste le temps de lui dire qu’il va bien, qu’il compte rester pour aider les ONG. Et de blaguer : « J’espère que tu as mis une belle photo ! » Mais tout le monde n’a pas cette chance. Valentin, lui, est toujours sans nouvelle de son frère Dorian et de Julia, la compagne de ce dernier, partis faire un trek dans le Langtang. Utilisateur aguerri de Twitter, suivi par plus de 16 000 personnes, il y a naturellement publié son message de recherche, en plusieurs langues. « Sur place, je ne servirais à rien », assure-t-il. Grâce à « l’effet boule de neige » des réseaux sociaux, il remonte le fil du voyage de son frère. Première étape : trouver le nom de son agence de trekking. Pour cela, il songe à « cracker » la boîte de messagerie électronique de son frère, et demande de l’aide sur Twitter pour y parvenir. En vain. Mais il finit tout de même par se procurer le nom de l’agence, qu’il parvient à contacter par téléphone. Celle-ci tient informés comme elle peut les proches des randonneurs. Jusqu’à ce qu’elle lui apprenne que tous les groupes ont pu être localisés, « sauf celui de [son] frère ». Les proches de François Urbany, eux, ont publié sur les réseaux sociaux des photos de ce Belge de 24 ans, parti cinq mois au Népal pour faire un « break » après ses études de psychomotricité. « Les dernières nouvelles que nous avons remontent au 23 avril, quand il nous disait qu’il partait faire un trek au Langtang, raconte son père, Bernard. Nous avons signalé sa dis- L’inquiétude grandit dans la vallée encaissée de Langtang que reste-t-il des villages de la région népalaise de Langtang ? Situé à une soixantaine de kilomètres au nord de la capitale, Katmandou, le long de la frontière tibétaine, ce lieu très prisé des trekkeurs suscite les plus vives inquiétudes. La vallée a été doublement meurtrie. Elle a été dévastée par le séisme de magnitude 7,8, samedi 25 avril, et par des coulées de boue et de neige, notamment sur le village de Langtang. Trois jours plus tard, le mardi 28, alors qu’il restait encore de nombreuses victimes à évacuer, une nouvelle avalanche a tout emporté aux alentours de Ghodatabela. Plusieurs centaines d’étrangers randonnaient dans ce massif en ce mois d’avril. Plus facile d’accès que l’Everest et l’Annapurna, le parc national de Langtang accueille chaque année 10 000 touristes, marcheurs, chevronnés comme débutants, familles, venus admirer la chaîne himalayenne, les glaciers et les lacs sacrés. Le massif très encaissé comprend plusieurs villages, dont certains équipés de lodges et de guesthouses, mais il n’est accessible qu’après deux ou trois jours de marche. Seuls les hélicoptères sont en mesure de secourir les victimes et de porter assistance aux populations privées de toit, de nourriture et d’eau. Depuis le 26 avril, des appareils de l’armée ou de compagnies privées sillonnent le ciel au gré des conditions météorologiques ou des réserves de carburant pour évacuer les survivants népalais et étrangers. Villages engloutis Les nouvelles rapportées par les rares rescapés sont dramatiques. Samedi, la première avalanche de glace et de roche de deux à trois kilomètres de large a littéralement englouti le village de Langtang et de plus petits hameaux périphériques, comme Chyamki, Thangsyap, et Mundu. Trois cents personnes auraient été piégées. Les quel- ques survivants de Langtang – une douzaine de Népalais et deux étrangers – sont descendus à pied à Ghodatabela, après avoir passé la nuit du 25 avril dans une grotte. Selon leurs témoignages, il ne restait plus personne dans le village. Plus haut, à Kyanjin Gompa, il y aurait eu moins de victimes, mais beaucoup de blessés. Les survivants, parfois grièvement touchés, ont très vite été confrontés à une pénurie de nourriture, au froid et à des problèmes sanitaires. Ghodatabela, qui n’avait pas été détruite par le séisme, a été ravagée par une avalanche, mardi. Grâce à une météo favorable, des hélicoptères ont pu effectuer de nombreux allers et retours. Mercredi, le ministère de l’intérieur népalais a assuré que les secours avaient pu évacuer les 250 personnes qui étaient portées disparues. Mais le bilan humain dans l’ensemble de la vallée de Langtang reste impossible à établir. p service planète parition dimanche au ministère des affaires étrangères belge, qui nous a seulement rappelés mardi, avec une fausse information : ils nous ont dit que François était sain et sauf, avant de se rétracter trois quarts d’heure plus tard, en expliquant qu’ils n’avaient finalement pas d’informations ! » « En colère », le père reste toutefois « confiant », notamment grâce à la « forte mobilisation et le soutien sur Internet ». Documents collaboratifs En plus des messages que chacun publie, certains tentent de fédérer les recherches et de regrouper les informations des uns et des autres. Cela prend souvent la forme de documents collaboratifs recensant les personnes disparues. « Je trouvais que les informations qui nous parvenaient étaient trop focalisées sur la situation du camp de base de l’Everest », explique Markus Pothmann, qui a créé un de ces documents pour la zone du Langtang. Cet étudiant allemand y a deux amis. « Je sais depuis dimanche qu’ils ont survécu », mais « la situation sur le terrain a l’air chaotique ». Environ 70 personnes de différentes nationalités apparaissent sur le document, dont certaines ont finalement été retrouvées. « J’espère que cette liste pourra aider les secours ou les autorités. » Sur Facebook, les recherches se concentrent autour du groupe « Langtang Missing/Found People ». Plus de 1 700 personnes y partagent des photos de disparus, des liens vers des sites ressources, des informations glanées ici et là, venues parfois de personnes présentes au Népal ou des ambassades… 280 Français au Népal, dont on est toujours sans nouvelles Un premier avion spécial ramenant 206 rescapés du séisme au Népal, principalement des Français, a atterri, jeudi 30 avril, à l’aéroport de Roissy. Selon le Quai d’Orsay, plus de 2 250 Français ont été localisés sains et saufs, mais 280 autres restent à retrouver. Un troisième Français a été tué dans la catastrophe. « Notre équipe de trekkeurs français a été secourue dans le village de Timure, peut-on lire parmi les centaines de contributions. Quatre membres du groupe (des Français) manquent à l’appel, apparemment ils sont à Syabru Besi. On attend plus d’infos. » Plus d’une dizaine de commentaires suivent. « Agnès Michel pourrait être parmi eux. Pouvez-vous demander ? » répond un internaute. Malgré la mobilisation de ses proches sur tous les réseaux, celle-ci reste introuvable. Pourtant, grâce à ce groupe Facebook, une trace de Florent Morel, qui l’accompagnait, a été retrouvée. Une survivante dans le Langtang s’est procuré une liste de personnes secourues dans un hôpital local. Des documents manuscrits, qu’elle a photographiés et envoyés à sa sœur, qui a les a ensuite partagés sur ce groupe Facebook. Le nom de Florent y apparaît, avec une quinzaine d’autres. Pas celui d’Agnès. p morgane tual avec audrey garric et elise vincent