1610-27eme-dimanche-st-remi-a-reims

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1610-27eme-dimanche-st-remi-a-reims
2 octobre 2016 – 27ème dimanche ordinaire C
Reims, solennité de Saint Remi, Grand Jubilé des familles.
Sept siècles avant Jésus environ, le prophète Habacuc est témoin de
pillage, violence, dispute et discorde. La traduction que nous avons
entendue ne met pas ces mots au pluriel, elle pourrait bien le faire.
De toute façon, ce n'est pas très original, on pourrait dire la même
chose aujourd'hui. S'agit-il de bataille perdue, d'occupation de
territoire, de domination d'un empire voisin, l'Égypte ou Babylone,
peu importe ! Aujourd'hui, si nous ne sommes pas dans un territoire
occupé par une puissance étrangère, nous connaissons bien des peurs
identiques : les écarts qui se creusent entre pauvres et riches, les
menaces quotidiennes sur la sécurité des personnes, les dérives d'un
monde qui consomme avec voracité ses ressources en obstruant
l'avenir, et aussi les inquiétudes que nous portons, comme en ce jour,
pour la vie des familles, l'éducation des jeunes. Tout n'est
évidemment pas perdu et le travail que le Saint Père a demandé à
l'Église tout entière au sujet des familles, en leur donnant maintenant
une feuille de route, nous met sur la voie d'une espérance à
entretenir.
Mais restons un peu sur cette situation de tension, d'angoisse, de
stress de devoir vivre dans un monde incertain et dur. Le prophète
Habacuc exprime son désarroi et s'adresse à Dieu. Dieu, justement,
lui a donné mission de prophète, c'est-à-dire de porte-parole : dis aux
hommes qu'ils sont infidèles et qu'ils ne prennent pas le bon chemin.
Mais le prophète se retourne vers Dieu pour porter la plainte du
peuple ; le prophète est aussi un priant qui fait remonter au Seigneur
les doléances. "Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler sans
que tu entendes ? … Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la
misère ?" Je connais bien des personnes, il y en a parmi vous, qui
sont ainsi immergées au cœur des misères et cherchent à les soulager
de toute leur générosité : elles aussi, elles appellent, elles crient vers
le Seigneur. Je n'ai pas de mal à imaginer – et même je le sais – que
beaucoup sont fatiguées d'avoir à lutter avec tant d'énergie pour de si
faibles résultats, d'alerter tant de monde qui reste dans l'indifférence
ou l'inaction.
C'est que le dialogue avec Dieu est possible. La révolte contre les
situations angoissantes et humiliantes pour les hommes n'est jamais
rejetée par le Seigneur. On peut avoir le sentiment que rien ne
bouge, que Lui-même n'écoute guère. Il se trouve pourtant que ceux
qui crient vers Lui ne se lassent pas de le faire : c'est le cas du
prophète Habacuc, c'est le cas de Job dont nous avons entendu
l'histoire en bref, dans les lectures bibliques de cette semaine.
L'Écriture biblique nous rapporte ce dialogue incessant avec Dieu, ce
dialogue jamais rompu de son point de vue, alors même que, de
notre part, nous l'interrompons régulièrement ! Mais nous le
reprenons, grâce à Lui. J'en ai eu la preuve récente : une personne
que je connais bien m'a écrit, il y a quelques mois, qu'elle cessait
désormais de prier en regard de tous les malheurs qui assaillent sa
famille ; et au cours de l'été, à la suite de l'attentat de Nice et de
l'assassinat du père Hamel, elle m'a dit : je recommence, il faut bien
faire quelque chose et ne pas désespérer définitivement.
Et que dit Dieu au prophète ?-"Écris !" écris un bref message
d'encouragement, d'espérance que je traduis ainsi : l'injuste, le
dominateur, le violent, l'arrogant, en un mot : l'insolent ne peut pas
trouver de justification à sa conduite, seul le juste vit parce qu'il est
fidèle ! C'est sa consolation, sa justification. St Paul, en se référant à
Abraham, dira : le juste vit par sa foi, par sa confiance en Dieu.
C'est-à-dire que l'homme de foi ne sait pas tout, il n'a pas percé tous
les mystères, il n'a pas remporté tous les succès, y compris contre
l'injustice, mais il sait que la bataille n'est jamais perdue, il sait que
le combat pour plus d'humanité reprend toujours. C'est la vraie leçon
de l'homme qui combat en s'appuyant sur plus grand que lui, en
comptant sur Dieu : l'homme grandit, l'homme s'affermit dans la
confiance, dans la foi, dans la fidélité, dans l'espérance.
Écoutons alors la deuxième lettre de Paul à Timothée, son
compagnon et ami dans le ministère apostolique. "Ravive le don
gratuit de Dieu, ce don qui est en toi depuis que je t'ai imposé les
mains !" Nous sommes dans la même dynamique. Même s'il ne s'agit
pas du tout du même contexte. Ici, il s'agit de la vie des
communautés chrétiennes et de l'annonce de l'évangile. Les
communautés chrétiennes sont petites, traversées de soucis, de
conflits parfois ou souvent, inquiètes de leur avenir ; et puis
l'annonce de l'évangile est un projet démesuré, disproportionné au
regard du monde immense auquel il faut l'annoncer. Il y a de quoi
être découragé, au premier siècle dans l'Église d'Éphèse par
exemple, comme aujourd'hui dans nos communautés. Cela peut faire
peur, comme le dit l'Apôtre : "ce n'est pas un esprit de peur que Dieu
nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de pondération."
Entendons bien ces trois mots : la force n'est pas la violence, mais
l'assurance que l'on peut s'avancer et construire du solide ; l'amour,
c'est pas seulement l'affection sensible et le désir d'être reconnu,
mais la volonté que Dieu met en nous de construire avec Lui un
monde où tous les hommes ont leur place et sachent qu'ils ne sont
pas promis à l'exclusion, mais au contraire appelés à l'intégration ; la
pondération, c'est l'attitude respectueuse qui ne prétend pas imposer
aux autres une voie unique pour y arriver, parce que les routes et les
chemins de chacun sont dans le secret de Dieu.
La demande des apôtres, dans l'évangile de Luc aujourd'hui, est dans
le même fil. "Augmente en nous la foi !" C'est une demande
merveilleuse ; les apôtres savent bien qu'ils ont la foi, qu'ils sont
dans la confiance en Dieu et en Jésus, ils l'ont suivi jusqu'à présent.
Est-ce qu'ils pressentent qu'ils pourraient bien ne pas être fidèles ?
C'est possible, nous sommes dans cette partie de l'évangile de Luc où
Jésus monte vers Jérusalem, le lieu où il sera arrêté et où il donnera
sa vie pour tous. Les proches de Jésus sentent probablement la
tension monter, et soupçonnent qu'ils pourraient eux-mêmes
défaillir, ne pas pouvoir affronter le combat, la persécution. Ils
voudraient certainement ressembler davantage à Jésus, lutter comme
lui contre le mal, les souffrances des hommes, être capables de
grandes choses, de victoires contre les maladies, et tout ce qui
blesse, diminue les hommes qu'ils rencontrent. Peut-être aussi
rêvent-ils de quelque succès personnel qu'ils pourraient mettre à leur
compte ! En tout cas, Jésus les emmène sur le chemin de l'humilité :
"quand vous aurez fait tout ce qui vous a été demandé, dites : nous
sommes de simples serviteurs." Pas inutiles, certes, car nous faisons
quelque chose, et le maître le sait ; pas quelconques, car nous
sommes aimés de Dieu et connus par notre nom. Mais simples,
travailleurs, "faiseux" comme on dit, sans prétention, parce que c'est
Dieu qui donne la force d'agir, et la fécondité qui demeure parfois
cachée à nos yeux.
Remettons-nous dans notre contexte. L'Église qui est à Reims, de la
région de Reims et des Ardennes, fête en ce jour Saint Remi. Elle
fait mémoire d'une œuvre apostolique majeure dans la Gaule du 5ème
et 6ème siècles. De grandes qualités personnelles, une foi très assurée,
une longévité épiscopale dont personne ne rêve à vrai dire, mais
surtout une douceur et une charité capables d'amener des disciples au
Christ. La situation historique n'était pas brillante, il fallait prêcher,
bâtir, organiser, et le faire comme un simple serviteur : sans esprit de
domination, avec le seul désir de faire accéder à la rencontre du
Christ. Il demeure pour vous surtout, fidèles de ce diocèse, un
2
modèle, lointain dans le temps, mais toujours honoré d'affection, et
un intercesseur pour votre Église et pour chacun de vous.
Le contexte, c'est aussi pour les jeunes le retour des JMJ de
Cracovie. Vous avez vécu, avec Mgr Bruno Feillet qui vous
accompagnait, comme moi-même je l'ai vécu avec les jeunes de
Lille, un moment immense de vie ensemble, de rencontre des
peuples du monde, de joie de vivre partagée avec les amis polonais,
dont certains vivent aussi parmi nous en France depuis des années !
Vous avez entendu des paroles échangées dans vos groupes, des
catéchèses données par nous, vos évêques, et finalement la parole du
Pape François : chaleureuse, amicale, et aussi exigeante. "Il n'y a
rien de plus beau que de contempler les désirs, l'engagement, la
passion et l'énergie avec les quels de nombreux jeunes affrontent la
vie. D'ou vient cette beauté ? De Jésus lorsqu'il touche le cœur d'un
jeune … Ne jetez jamais l'éponge". 1 J'ai entendu cela avec vous.
Vivons-le ensemble.
Le contexte d'aujourd'hui, c'est aussi ce Grand Jubilé des familles.
Nous avons déjà vécu une rencontre avec un certain nombre d'entre
vous ce matin. Le Pape François a voulu que se renouvelle l'attention
de toute l'Église, des pasteurs et des fidèles, à l'égard des familles qui
cherchent à vivre l'amour conjugal et familial comme un signe de
l'amour que Dieu porte à tous.Et Dieu le fait, selon l'enseignement
de l'Église ré-exprimé au terme de deux synodes dans l'exhortation
apostolique La joie de l'amour, en proposant aux hommes et aux
femmes à vivre dans la fidélité et la fécondité de l'engagement
matrimonial. Cet engagement est vécu par certains dans la foi du
baptême, et il est alors perçu comme une réponse à une vocation, un
appel : le mariage n'est pas seulement la forme naturelle de l'union
de l'homme et de la femme, il exprime un don particulièrement fort
1
Cérémonie d'accueil des jeunes, le 28 juillet.
de la part de Dieu, c'est une chance et une grâce. Mais ce signe est
aussi vécu dans l'accompagnement que l'Église offre et doit offrir de
plus en plus à ceux qui avancent dans la vie avec un tel projet, et
aussi à ceux qui n'arrivent pas à le mettre en œuvre, à ceux qui se
sentent fragilisés, à ceux qui savent qu'ils ont butté sur des obstacles.
Tous sont sous le regard de Dieu, aucun n'est définitivement fixé sur
place, l'espérance que Dieu offre, c'est que chacun peut faire de
nouveaux pas sur la route de la rencontre avec Lui. Les trois mots
clés de la pédagogie divine, c'est : "accompagner, discerner, et
intégrer la fragilité". 2
Pour les familles, pour les jeunes, cette tâche est à la fois belle et
risquée, dans le monde tel que nous le connaissons. Elle ne peut se
vivre que dans l'humilité et l'espérance que Dieu donne, c'est
justement cela qui va marquer maintenant le rite de renouvellement
silencieux des engagements du mariage pour ceux qui le veulent, et
de bénédiction mutuelle dans les familles. Que le Seigneur nous
vienne en aide, à tous !
2
Amoris Lætitia, chapitre 8.