Enjeux de l`apprentissage de la langue française

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Enjeux de l`apprentissage de la langue française
institutions
Le Centre International d’Études Pédagogiques (CIEP), établissement public, est
depuis 1946 l’opérateur du ministère de l’Éducation nationale pour l’international,
en particulier dans le domaine de la diffusion de la langue française. Il a de ce fait
toujours eu un rôle pionnier dans le domaine de la didactique et de la formation en
français langue étrangère (FLE). Sa légitimité nouvelle dans le champ du français
langue seconde (FLS) s’explique par ce rôle premier, qui lui permet de promouvoir
et d’accompagner auprès des enseignants comme des formateurs une « migration »
des outils pédagogiques à partir du FLE vers le FLS.
Enjeux de l’apprentissage
de la langue française
Les formateurs du CIEP se fondent sur chez l’enfant (voire chez l’adulte !) ne seconde : c’est une notion qui a un
des outils FLE comme le Cadre Euro- se construit qu’à travers des processus statut de fonction (et pas un champ
péen Commun de Référence pour les sociocognitifs, c’est-à-dire en contexte d’application) 4.
langues (CECR) et l’approche par scolaire, par l’interaction avec le procompétences, et travaillent à la création fesseur et les autres élèves ; si cela est Ce que nous appellerons donc désorde nouveaux outils qui permettent vrai pour tous les apprenants, c’est mais FLS-SCO et le FLE ont des points
d’affermir chez les apprenants les d’autant plus lourd de conséquences communs, qu’il est important de soulicompétences transversales, transdisci- pour des ENA. Michèle Verdelhan peut gner : dans les deux cas, la personne
plinaires, nécessaires à la réussite de ainsi écrire, dans son essai 3 pour définir doit apprendre à la fois un système linleur scolarité.
ce qu’est le FLS que « la visée d’inser- guistique nouveau qui lui permette de
Ce rôle relativement récent a été affirmé tion dans une société francophone est nommer ce qui l’entoure et d’exprimer
et reconnu par des partenaires institu- certainement à prendre en compte ce qu’il pense, mais aussi un monde
tionnels : le CIEP entretient, par comme variable définitoire de l’appren- culturel différent, ce qui explique que
exemple, depuis plusieurs années main- tissage du FLS ».
l’intégration de l’approche pédagogique
tenant un partenariat avec le CASNAV
du FLE et de la méthode communicade Paris, pour lequel nous organisons On pourrait ici s’attarder longuement sur tive en particulier est non seulement
des stages longs (entre 60 et 90 heures de ce qu’est le FLS par rapport, voire en pertinente mais nécessaire dans le panoformation), dont l’ambition est de pré- opposition, au « français langue de sco- rama
classique
des
« classes »
larisation (FLS-SCO) » ; mais il s’agit
parer de la façon la plus
françaises.
complète des enseignants à
Il y a cependant des spéciexercer leurs fonctions dans
ficités liées à la fonction de
« Pour un ENA, la maîtrise de la langue française
les dispositifs académiques
scolarisation qu’il est
constitue la clé de la réussite scolaire
qui vous ont été présentés
important de souligner
tout comme celle de son intégration harmonieuse
au cours des précédentes
dans notre perspective. Le
dans le corps social. »
interventions.
poids institutionnel : pour
La perspective de ce bref
l’enfant ou l’adolescent
exposé est celle des enjeux de l’appren- avant tout d’une querelle de spécialistes. scolarisé en français, l’ensemble de la
tissage de la langue française du point Il est cependant important de préciser semaine se déroule en français, quelle
de vue de la formation continue des que la langue de scolarisation ou d’ensei- que soit la discipline concernée ; les
enseignants : quels outils et quel par- gnement est celle qui est à la fois matière interactions avec le maître et avec le
cours proposer aux professeurs qui d’enseignement, vecteur des autres personnel éducatif utilisent le français,
exerceront leur métier dans les struc- apprentissages et moyen de l’insertion ainsi que les relations entre l’école et la
tures d’accueil des « élèves nouveaux réussie dans le système scolaire.
famille. L’inscription dans le temps : un
arrivants » (ENA), pour que leur ensei- Or, puisque nous venons de préciser apprenant en situation de FLS-SCO est
gnement soit le plus efficace possible ? que l’apprentissage ne se fait pas sans constamment en situation d’urgence (à
interaction sociale, la « langue de sco- la différence d’un apprenant FLE dont
larisation » présuppose et/ou implique l’apprentissage s’inscrit généralement
Français : langue étrangère,
la langue de socialisation.
langue seconde, langue
dans la durée). De plus, ces urgences
de scolarisation
Michèle Verdelhan apporte sur ce sujet peuvent se télescoper. Le mode de
Pour un ENA, la maîtrise de la langue une vue fort intéressante lorsqu’elle dis- pensée : la manière d’entrer dans les
française constitue la clé de la réussite tingue le français de scolarisation et le apprentissages diffère d’une culture à
scolaire tout comme celle de son inté- FLS en précisant que le français langue l’autre ; il faut ainsi non seulement
gration harmonieuse dans le corps de scolarisation ne constitue pas un apprendre les mots du vocabulaire spésocial. Ces deux pôles sont indissocia- champ particulier, une variante du FLS. cifique de chaque matière, mais aussi
bles, nous le savons depuis Piaget 1 et Il s’agit d’une fonction transversale à la comprendre les notions, construire les
Vygotski 2, puisque l’apprentissage langue maternelle et à la langue concepts, donc intégrer un mode de
accueillir no 242
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institutions
raisonnement qui peut être radicalement
nouveau pour l’élève ENA.
Ces spécificités impliquent que l’on
adopte dans le contexte FLS-SCO une
méthodologie et une didactique
particulières.
Méthodologie et didactique
du français langue de scolarisation
accueillir no 242
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L’oral est prioritaire car l’ENA doit
pouvoir exprimer ses besoins et/ou dire
ce qu’il ne comprend pas ; mais,
contrairement au FLE, c’est la compréhension orale plus que la production qui
sera développée, car il a besoin de
comprendre ce qu’on veut de lui, les
consignes qu’on lui donne.
Cette priorité se module selon l’âge de
l’apprenant, mais, quelle que soit sa
situation, il doit aussi apprendre très
vite à maîtriser l’écrit, puisque la plupart des contrôles à l’école française
passent par l’écrit, ou encore parce que,
tout simplement, il doit pouvoir déchiffrer le plus vite possible les consignes
des exercices dans le manuel ; nous
avons ici un bon exemple du « téléscopage des urgences ».
Du point de vue des enseignants, ce
contexte peut encore être compliqué par
le fait qu’il s’agit parfois et même souvent d’apprendre à lire et à écrire à des
enfants qui n’ont jamais été alphabétisés ; là encore, la différence est grande
par rapport au FLE, où l’élève peut
transférer des compétences acquises en
langue maternelle.
Il y a aussi, pour l’élève ENA, une véritable urgence culturelle, puisque la
culture pédagogique française conditionne la conception du rôle du maître
ainsi que celle des activités et de l’organisation de la classe. L’effort doit porter
ici sur la comparaison et l’analyse de la
culture d’origine et de la culture
d’accueil, ce qui est difficile dans un
contexte où, parfois, ni les textes officiels ni les enseignants ne reconnaissent
la culture de l’élève.
Pour éviter de placer les ENA dans une
situation de scolarisation par « submersion » dans la langue d’accueil, R. Bouchard et Cl. Cortier précisent qu’il est
important de « rendre les enseignants
“ordinaires” sensibles aux particularités/particularismes de leur propre
culture d’enseignement, culture qu’ils
ont souvent trop intériorisée pour être
conscients de sa spécificité et de sa...
relativité » 5.
L’apprentissage de la langue et de son
fonctionnement est sensiblement différent en FLE et en FLS-SCO ; en effet,
l’apprentissage spécifique du système
de la langue n’est guère jugé efficace
pédagogiquement en FLE. Or, en FLSSCO, la priorité doit être donnée à une
méthodologie qui permette à l’élève de
percevoir clairement le fonctionnement
de la langue nouvelle ; c’est seulement
ainsi, en effet, qu’il pourra développer
rapidement sa capacité de création langagière. S’il reste important de passer
par une démarche communicative afin
de donner du sens aux contenus langagiers enseignés, on n’hésitera pas
cependant à redonner une place centrale
aux apprentissages systématiques.
Il s’agit là d’un premier exemple de
l’importance de la démarche de métacognition lorsqu’il s’agit des élèves
ENA : pour les aider à parcourir le plus
rapidement possible le chemin qui
conduit de l’ignorance inconsciente
(« je ne sais pas que je ne sais pas ») à
la connaissance inconsciente (« je ne
sais plus que je sais ») et qui assure
l’assimilation des savoirs et des savoirfaire, il faut absolument expliciter et
travailler avec eux la phase de la
connaissance consciente (« je sais que
je sais ») en insistant sur les mécanismes cognitifs qu’ils mettent en
œuvre, et qui restent implicites pour la
plupart des élèves : « Comment as-tu
fait pour résoudre l’exercice ? »,
« Quels éléments as-tu utilisés pour
résoudre le problème »... sont des questions que l’on doit sans cesse poser à
un ENA et qui développeront chez lui
une compétence transversale fondamentale, celle de la reformulation. C’est
la prise de conscience métacognitive et
la capacité de reformulation qui permettent aux ENA de devenir autonomes
dans leur apprentissage, quelle que soit
la matière considérée, puisqu’elles
constituent la passerelle par excellence
pour favoriser le transfert des compétences d’un domaine à l’autre.
Le travail sur la métacognition peut
ainsi devenir le pivot autour duquel
s’organise l’acquisition de l’ensemble
des compétences transversales nécessaires : la compréhension orale et écrite,
c’est-à-dire la compréhension des
consignes, dont j’ai parlé plus haut, la
production orale et écrite, qui permet à
l’ENA d’interagir avec l’environnement scolaire et de participer à l’évaluation, mais aussi une « éducation au
manuel », selon le mot de M. Verdelhan 6, trop souvent implicite pour les
professeurs, surtout à partir du collège,
et qui est au contraire capitale pour
accompagner l’ENA vers un apprentissage de plus en plus autonome.
L’enseignement aux ENA en France
constitue un champ de recherche et
d’expérimentation pédagogique exceptionnel. Dans la perspective de la formation des enseignants qui accompagnent ces élèves, on n’insistera jamais
assez sur l’importance de la mutualisation des connaissances et des outils,
importance dont les dispositifs qui nous
ont été présentés prouvent la prise en
compte croissante – bien qu’encore
imparfaite – par l’institution scolaire.
Dans cette entreprise de mutualisation,
le CIEP souhaite continuer à jouer le
rôle d’un ensemblier capable de mobiliser des compétences venues d’horizons différents et complémentaires :
des chercheurs universitaires, des formateurs d’IUFM (Institut Universitaire
de Formation des Maîtres), des enseignants de terrain... qui tous contribuent, par la constante remise en question, la réflexion et l’expérimentation,
à creuser les problématiques que nous
venons d’évoquer.
Marie Cerati
Chargée de programmes au CIEP
----1
Psychologue et épistémiologiste suisse.
Psychologue soviétique défendant la thèse de la
génèse sociale.
3
M. Verdlhan, « Du français langue étrangère au
français langue seconde et au français langue de
scolarisation : des compétences différentes », Les
cahiers de l’ASDIFLE no 15, pp. 135-150, Paris,
2003, p. 137. Mon intervention reprend l’essentiel
de cet article.
4
Ibidem, p. 138.
5
R. Bouchard et Cl. Cortier, « L’intégration scolaire des enfants étrangers : du français de scolarisation à la compétence scolaire (l’exemple de
l’histoire/géographie) », Bulletin suisse de linguistique appliquée, pp. 107-120, Université de Neuchâtel, 2006, p. 111.
6
M. Verdelhan, op. cit., p. 140.
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