« Battlefield », le nouveau « Mahabharata » de Peter Brook Peter

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« Battlefield », le nouveau « Mahabharata » de Peter Brook Peter
« Battlefield », le nouveau « Mahabharata » de Peter Brook
LE MONDE | 09.09.2015 à 14h45 | Pa r Fab ienne Darge
Trente ans après, Peter Brook revient sur le champ de bataille (Battlefield) du Mahabharata. Créée en juillet 1985
au Festival d’Avignon, jouée pendant trois ans à travers le monde, l’épopée, qui durait neuf heures, fut un
sommet de son oeuvre, et un sommet tout court. Aujourd’hui, le maître des Bouffes du Nord, qui vient de fêter ses
90 ans, explore un épisode inédit, monté dans une version minimaliste d’un peu plus d’une heure.
Le Mahabharata, disent les hindous, est « une forêt infinie, épopée d’une guerre gigantesque entre deux
familles pour la possession d’une ville depuis détruite par l’eau du Gange, une forêt traversée par des fables,
des aveux, des récits, des secrets ». Un poème long comme quinze fois la Bible : 274 778 vers, un immense
conte de merveilles et d’horreurs, écrit entre le IVe siècle avant et le IIIe siècle après Jésus-Christ.
Lʼobscurité, après les âges dʼor, dʼargent et de fer
Pourquoi y revenir aujourd’hui ? Le choix a la valeur de l’évidence, pour Peter Brook, comme il nous l’expliquait
dans un entretien, en juin : « Nous vivons dans une époque où tout change. Parfois ces périodes de
changement sont très créatives, sont l’aube d’une ère nouvelle et positive, mais de nos jours on serait plutôt
dans un mouvement descendant, où tout s’écroule partout. Cette alternance de grands cycles de
construction et de destruction est le grand thème du Mahabharata, selon lequel la vie des humains se
déroule sous quatre grands âges. On vit maintenant dans l’âge de Kali, qui est celui de l’obscurité, après les
âges d’or, d’argent et de fer. Comment ne pas voir que la destruction est partout, entre le terrorisme, la
guerre en Syrie et ses conséquences redoutables ? »
Cette nouvelle pièce tirée du grand récit épique indien commencera donc à la fin de la guerre exterminatrice qui a
décimé des millions de guerriers. Comme dans tous les grands récits archaïques, la guerre est née d’un conflit
familial : l’opposition acharnée entre les cent frères Kaurava, dirigés par l’aîné, Duryodhana, et leurs cinq cousins,
les Pandava, dirigés par l’aîné, Yudhishtira.
Les cent frères sont morts. Yudhishtira a gagné. « Comment régner ? Comment trouver la paix quand le champ
de bataille est jonché de tous ces morts ? Comment vivre avec le remords qui ne cesse de vous ronger ? », se
demande Peter Brook, qui met en scène la pièce en anglais, avec des comédiens aux parcours singuliers et aux
fortes personnalités : Carole Karemera, Jared McNeill, Ery Nzaramba et Sean O’Callaghan.
Peter Brook, metteur en scène
LE MONDE | 25.03.1998 à 00h00 | Par Brig itte Sa l i no
« ``Je suis convaincu depuis des années que le sujet qui fascine le plus les gens, qui concerne ce qui
est commun à tous les êtres humains, c'est le cerveau`` », écrivez-vous dans le texte de présentation de
Je suis un phénomène. Qu'est-ce qui vous fait penser cela ?
Tout simplement la quantité de livres qui paraissent sur le sujet. Si l'on va dans n'importe quelle librairie en
Angleterre, en Amérique ou en France, on voit que chaque semaine sortent plusieurs livres sur le cerveau,
l'émotion, la pensée, la conscience tout ce qui est de l'ordre de la neurologie ou de la science cognitive. Les
journaux, les revues et les magazines aussi reviennent continuellement sur la question. Ce n'était pas le cas il y a
sept ou huit ans, quand nous avons commencé à travailler à la préparation de L'Homme qui, avec Jean-Claude
Carrière. A l'époque, je cherchais un thème d'aujourd'hui dans la science. Mais je ne trouvais pas de matière
humaine dans les domaines qui me passionnaient, comme la physique. Et puis, subitement, j'ai rencontré Oliver
Sacks. Je suis allé avec lui à l'hôpital, et j'ai vu un domaine scientifique avec une matière totalement Humaine.
Quand nous avons donné L'Homme qui la première fois, aux Bouffes du Nord, puis en tournée, en 1993, ça a très
bien marché, mais c'était encore un sujet spécialisé. Quand nous l'avons repris, en novembre 1997, c'était
devenu totalement évident pour le public.
Comment expliquez-vous cet intérêt ?
Il est lié à notre époque, qui est à la fois tragique et merveilleuse. On ne peut plus faire confiance à quoi que ce
soit. Toutes les grandes questions, philosophiques, éthiques, religieuses, sociales, politiques, sont abordées avec
la plus grande méfiance. Depuis les débuts de l'humanité, l'être humain a besoin de comprendre ce qu'il est.
Dans la période de transition que nous vivons, cette interrogation trouve dans le cerveau l'unique zone qui soit à
la fois inconnue et pas contaminée. Je crois que ce désir de se comprendre tient à la nécessité religieuse
profonde de l'être humain. » Aujourd'hui, la plupart des gens sont déçus par les réponses données par les
religions traditionnelles, ou se méfient de ce qu'apportent les ersatz de religions. Ils cherchent un point d'appui. Il
y a le cerveau, qui est un facteur commun à tous. J'insiste toujours sur le fait qu'il oblige à dépasser le racisme.
Quand on se penche sur la cervelle, cette matière assez dégoûtante à regarder, on voit qu'elle n'a ni couleur ni
race. Toutes les races sont inscrites dans les gènes. Même Jean-Marie Le Pen ne peut pas dire qu'un Arabe n'a
pas de cerveau.
Comment le théâtre peut-il rendre compte du cerveau ?
Le théâtre est là pour casser toutes les distinctions, toutes les catégories. Donc, pour s'ouvrir, d'une manière
toujours différente, à la question humaine. Que l'on prenne une oeuvre écrite il y a deux mille ans ou une oeuvre
d'aujourd'hui, le but reste le même : mettre en scène un aspect du mystère humain. Parfois, on peut le faire avec
des moyens connus. Parfois, il faut provoquer un choc, en allant sur des terrains moins connus, en utilisant des
images nouvelles tout simplement parce que ça aide à redécouvrir la fraîcheur de la question. Même pour une
question toute simple : "Qu'est-ce que l'amour ?", il est nécessaire de toujours prendre des biais différents. » Pour
donner un exemple : j'ai assisté, et même fait partie des premiers fans du mouvement qui a mis la nudité sur
scène, en Angleterre, au début des années 60. A l'époque, c'était une carte très forte à jouer, pour la simple
raison que ça avait un sens. On n'avait jamais vu l'être humain nu sur scène. Subitement, on l'a vu une première
fois de dos, une deuxième de face, et chaque fois cela apportait quelque chose de vivifiant au spectacle. Cinq
ans plus tard, le fait de montrer quelqu'un nu était une manière de fermer les portes de la nouveauté et d'endormir
les spectateurs. Aujourd'hui, je trouve que, provisoirement, la neurologie apporte l'élément surprenant qui nous
permet de regarder à nouveau autrement un être humain, comme nous le sommes tous. »
La représentation du " Mahabharata " " Peter Brook a tout compris "
LE MONDE | 24.11.1989 à 00h00
Entassées dans un vaste auditorium de Delhi, deux mille personnes applaudissent chaleureusement à la fin du
spectacle, geste rarissime de la part du public indien. Ils viennent de découvrir pour la première fois le
Mahabharata réalisé par Peter Brook. Professeurs et étudiants pour la plupart, ils ont été élevés dans le culte de
cette légende fleuve. Le film les console de l'affligeant soap-opera dominical qui, à la télévision, bat tous les
records d'audience dans le pays. L'entrée de Shiva ou de Krishna est accueillie par des torrents de murmures et
de rires. Après six heures de projection, les langues se délient. " Je suis venu pour voir si un Européen pouvait
être ému par une saga indienne. Peter Brook a tout compris ", s'exclame un professeur.
Une vieille militante féministe déplore que les comédiens ne soient pas indiens et que les dialogues, trop brefs,
cachent la richesse du Mahabharata. Une autre, au contraire, pense que " au lieu de simplifier les textes, Brook
les a épurés. Les scènes ressemblent ainsi à des flèches, rapides, précises, qui donnent plus de force à l'histoire
". Le lendemain, la presse est du même avis. " Le Mahabharata de Peter Brook provoque un engouement
universel ", titre notamment The Times of India du 4 novembre, qui salue une réalisation " étonnamment pure,
lucide et directe de cette épopée indienne ". " La simplicité ressort de chaque image (...). Le Mahabharata de
Peter Brook n'a pas la grandeur d'une épopée à proprement parler. Sa grandeur à lui, c'est un scénario et des
interprétations brutes ".