Le terrifiant pouvoir de la télé Télévision « Le jeu de la mort », docu

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Le terrifiant pouvoir de la télé Télévision « Le jeu de la mort », docu
Le terrifiant pouvoir de la télé
WYNANTS, JEAN-MARIE (Vendredi 26 février 2010)
Télévision « Le jeu de la mort », docu-fiction édifiant sur la Deux
« J’arrête ! » De la capsule étanche où il est enfermé, le candidat vient de prendre sa décision. « Je
crois qu’il veut arrêter », se risque l’autre candidat en se tournant vers l’animatrice. « Ne vous laissez
pas impressionner ! », lâche celle-ci. Le candidat fait pivoter son siège, pose la main sur la manette et
annonce : « Je suis désolé, je vais envoyer la décharge. »
Nous sommes en France, sur un plateau de jeu télévisé : éclairages tape-à-l’œil, podium futuriste,
public chauffé à blanc, animatrice impitoyable et candidats prêts à tout. D’un côté la victime, de
l’autre le bourreau. La victime est enfermée, invisible. On peut seulement entendre sa voix. Le
bourreau est installé devant une série de manettes commandant l’envoi de décharges électriques. «
Du choc léger au choc dangereux, précise l’animatrice. Mais il n’y a pas de lésion irréversible. De
toute façon, c’est un jeu. Si vous arrêtez… vous perdez tout. »
Le principe du jeu ? Le bourreau pose des questions à choix multiples. Plutôt simples. Si la victime
répond correctement, on passe à la question suivante. Si elle se trompe, elle reçoit une décharge
envoyée par le bourreau. Plus on avance, plus les décharges sont puissantes…
Ce jeu, vous ne le verrez pas à la télévision. Pas encore. Ce que l’on découvre ici est le test réalisé
dans les conditions du direct. Si le test est concluant, l’émission sera adoptée et lancée à l’antenne…
C’est en tout cas ainsi que les choses sont présentées aux 80 candidats sélectionnés dans un panel de
13.000 participants possibles.
Vrai-faux jeu télévisé
Ce que tous ignorent, c’est que ce test n’est qu’un prétexte. Sans le savoir, ils participent à une
expérience scientifique inspirée par celle menée dans les années 60 par Stanley Milgram.
Afin de tester le degré d’obéissance de l’individu face à l’autorité, Milgram avait mis au point une
expérience où un questionneur et un questionné étaient aux prises dans un soi-disant processus
d’apprentissage. A chaque mauvaise réponse, le questionneur envoyait une décharge, de plus en plus
forte au questionné, installé dans une autre pièce. Rassurés par la présence d’un pseudoscientifique et
soumis à son autorité supposée, 62 % des participants menaient l’expérience à son terme, envoyant
au questionné des décharges allant jusqu’à 450 volts, malgré les protestations, les cris puis enfin
l’inquiétant silence de celui-ci.
Au-delà du principe d’obéissance, le réalisateur et producteur Christophe Nick a voulu tester
aujourd’hui les limites extrêmes du pouvoir de la télévision. Le docu-fiction qu’il en a tiré, Le jeu de
la mort, est proprement effrayant. Mettant tous les atouts de son côté, il a réuni une équipe de
scientifiques et préparé durant un an ce programme cofinancé par plusieurs télévisions publiques.
Après un démarrage un peu racoleur montrant les pires excès de la télé actuelle aux quatre coins du
monde, on découvre pas à pas la préparation de l’expérience. On passe ensuite à sa réalisation au
cours d’un jeu plus vrai que nature. La dernière partie analyse enfin ce qui vient d’être montré,
chiffres et images à l’appui. Des 62 % de Milgram, on passe à plus de 80 % de participants allant
jusqu’au bout. Tous hésitent, s’inquiètent, veulent renoncer à un moment ou l’autre. Mais l’immense
majorité finit par obéir, sous les injonctions de l’animatrice (pilotée via l’oreillette par l’équipe
scientifique), mais aussi et surtout sous la pression des caméras et du public.
Intégré à l’émission InterMédias présentée par Alain Gerlache, ce docu-fiction édifiant sera suivi par
un débat en présence de Christophe Nick.
InterMédia : Le jeu de la mort, La Deux, 20 heures.
P.49 L’Interview dE christophe Nick
La règle du jeu
Le test de Milgram comme celui appliqué aujourd’hui à l’univers des jeux télévisés, ne montre ni des
pervers ni des frustrés ivres de pouvoir. Dans le cas du Jeu de la Mort, 13.000 participants potentiels
ont été sélectionnés par une équipe marketing. 2.500 ont accepté de participer et parmi ceux-ci, 80
ont été sélectionnés. Aucun n’avait jamais participé à un jeu télévisé ni même cherché à le faire. Tous
pensaient participer à un test qui ne serait pas diffusé et pour lequel ils recevraient en tout et pour
tout 40 euros de dédommagement. Aucun enjeu donc, hormis le besoin de se conformer à l’attente
de la production, de l’animatrice et du public.
Parmi les rares rebelles qui arrêteront avant la fin, un enseignant que l’on ne verra pas à l’antenne.
On l’entendra toutefois protester puis prendre intelligemment appui sur le public pour retourner
celui-ci en sa faveur. Un coup de force étonnant. Mais rarissime.