pieces de gaines - un marionnettiste

Transcription

pieces de gaines - un marionnettiste
PIECES
DE
GAINES
EXTRAITS
Recueil de trois pièces
pour marionnettes à gaine
Boris Croilguy
à
Michelle,
avec
deux
«
L
».
Merci
!
PIECES DE GAINES
UBU FOR EVER
............................. 9
LE GANT DE TOINETTE
....................... 55 LA BROUILLE D’APRES ( Marivaux) ................ 83 MICHELLE, AVEC 2 « L ». MERCI !
Michelle, avec 2 «L ». Merci ! ... 133 Chère Michelle .................... 135
MAMA Michelle ..................... 137
La Comédie tragique ou Tragédie comique
d’une Montreuse géniale de Punch and
Judy show ......................... 141
UBU FOR EVER
d’après UBU SUR LA BUTTE d’Alfred Jarry
Vive
l’exagération,
elle
nous
rapproche
un
peu
de
l’horreur
d’aujourd’hui.
Howard
Barker
Le
texte
édité
ici
est
l’aboutissement
d’une
aventure
qui
a
débuté
en
1998
à
Charleville‐Mézières
et
qui
s’est
enrichie
de
multiples
séjours,
de
Berlin
à
Meung‐sur‐Loire
en
passant
par
Marseille
et
Paris.
La
version
définitive
de
ce
texte
a
vu
le
jour
à
Dieppe
au
mois
de
mars
20101.
De
nombreuses
personnes
ont
rendu
possible
cette
épopée
ubuesque,
qu’elles
en
soient
ici
remerciées
de
tout
cœur.
Une
pensée
toute
particulière
à
Michelle
Gauraz,
à
qui
cette
épopée
doit
beaucoup.
1
UBU
FOR
EVER
par
la
Compagnie
pUnChiSnOtdeAd.
Conception
et
interprétation
:
Cyril
Bourgois,
sous
les
conseils
magistraux
de
Michelle
Gauraz.
Régie
:
Gildas
Le
Boulaire.
Direction
d’acteur
:
Stéphanie
Farison.
Scénographie
:
Cyril
Bourgois
et
Ludovic
Billy.
Musique
:
Vincent
Martial.
Marionnettes
:
Cyril
Bourgois
et
Etienne
Bideau‐Rey.
PERSONNAGES
Le
Grand
Eugène
Une
Poire
Père
UBU
Mère
UBU
Roi
Venceslas
Un
Noble
Un
Magistrat
Un
Phynancier
Le
Gendarme
Le
Spectre
PROLOGUE
Le
public
est
accueilli
à
la
porte
de
la
salle
de
représentation
par
un
bonimenteur.
Sur
scène,
les
spectateurs
découvrent
un
castelet
traditionnel
de
marionnettes
à
gaine.
Le
Grand
Eugène
Mesdames,
Mesdemoiselles,
Messieurs,
de
vous
accueillir
ce
soir,
si
nombreux,
si
resplendissants,
me
fait,
je
vous
le
dis
sincèrement,
profondément
et
véritablement,
chaud
au
cœur.
Alors
j’espère
qu’ensemble
ce
soir
nous
allons
rire,
peut‐être
même
que
nous
allons
pleurer…
Quoi
qu’il
en
soit
au
Théâtre
du
Caniveau,
laissez
couler
maintenant
votre
tout
à
l'ego
!
Car
vous
ne
rêvez
pas,
il
est
là
!
Oui
Madame,
j'ai
bien
dit
:
il
est
là
!
L'illustre
Théâtre
du
Caniveau.
Mais
qui
ne
serait
rien
sans
la
présence
du
Grand
Eugène.
Athènes
eut
Diogène
et
son
tonneau,
vous
avez
devant
vous
le
grand
Eugène,
et
son
Théâtre
du
Caniveau
!
Merci
pour
les
bravos,
dans
mon
Théâtre
ils
ne
sont
jamais
de
trop
!!!
Après
avoir
arpenté
les
ruelles
du
monde
entier,
les
pavés
des
grandes
rues
de
notre
vieux
continent,
le
bitume
de
la
cinquième
avenue,
et
de
la
Nouvelle
Orléans,
après
avoir
manqué
la
noyade
au
Cap
Vert,
me
voici
parmi
vous,
à
Charleville‐Mézières
!
Rescapé
de
mille
funestes
déboires,
sain
et
sauf,
car
à
courir
les
rues,
Madame,
on
se
retrouve
souvent,
le
nez
dans
la
rigole
qui
longe
le
trottoir…
Dans
mon
Théâtre,
Messieurs
Dames,
il
n'y
a
pas
de
parterre,
il
n'y
a
qu'un
paradis
:
y'a
pas
de
première,
pas
de
seconde,
tout
le
monde
est
à
peu
près
bien
placé.
Les
petits
devant,
les
grands
derrière
!
Allez,
ne
soyez
pas
si
impatients
!
Pour
vous,
dans
quelques
instants…
Vous,
qui
croyez
avoir
tout
vu,
rien
que
pour
vos
mirettes
vous
allez
voir
:
la
terrifiante,
la
scandaleuse,
l'innommable
épopée
du
Père
UBU…
Mais
avant
de
passer
aux
choses
vraiment,
vraiment
sérieuses,
la
direction
du
Théâtre,
m’a
demandé
–
et
ce
dans
un
souci
louable
de
clarté
et
de
limpidité,
de
faire
une
petite
mise
au
point
sur
ce
à
quoi
vous,
mais
moi
aussi
finalement,
prenons
part
ici
ce
soir,
hic
et
nunc,
les
uns
avec
les
autres…
Chaque
début
de
spectacle
étant
un
peu
comme
le
signal
d’un
nouveau
départ,
vous
ne
m’en
voudrez
pas,
j’en
suis
convaincu,
si
je
profite
de
cet
instant
particulièrement
singulier
pour
vous
présenter
de
la
manière
que
j’espère
la
plus
juste,
la
plus
appropriée
mais
aussi
la
plus
succincte
qui
soit,
le
sujet
qui
nous
intéresse
ce
soir…
Le
Père
UBU
!
Père
UBU,
en
off
au
lointain.
Merdre
!!!
Le
Grand
Eugène
Dans
un
souci
de
réelle
équité
et
d’égalité
entre
les
spectatrices
et
les
spectateurs
ici
réunis,
il
me
semble
judicieux,
de
vous
donner
à
vous…
Le
castelet
traditionnel
fait
place
à
une
table
de
conférencier.
Sur
la
table
un
livre
et
un
cartable
de
professeur.
Vous
qui
par
votre
présence
ce
soir,
votre
confiance,
votre
soutien,
votre
amitié
ou
tout
simplement
l’attention
que
vous
portez
à
notre
illustre
Théâtre,
que
vous
soyez
en
accord
avec
l’action
que
nous
menons
et
les
convictions
au
nom
desquelles
nous
les
menons,
ou
que
vous
en
soyez
simplement
témoins
intéressés,
disposés
à
en
débattre
pour
l’infléchir
et
la
nourrir,
à
chacun
d’entre
vous
,
il
me
semble
pertinent
de
livrer
un
certain
nombre
de
clefs
et
de
repères
historiques
absolument
indispensables
à
la
bonne
compréhension
de
ce
qui
va
se
dérouler
ce
soir
sous
vos
yeux
ébahis.
C’est
pourquoi
je
suis
heureux,
heureux
et
fier
à
la
fois
de
pouvoir
vous
proposer
ce
soir
à
Charleville‐
Mézières,
une
conférence
entièrement
retransmise
en
duplex
instantané,
avec
ici
même
en
avant
scène…
Nous
nous
efforçons,
au
sein
de
notre
illustre
Théâtre,
de
proposer
une
image
définitivement
moderne
de
l’art
de
la
marionnette,
moderne,
c’est
à
dire
à
la
fois
riche
d’une
tradition
magnifique
et
toujours
plus
à
l’écoute
des
évolutions
culturelles
du
moment.
Apparition
d’une
caméra
vidéo.
Oui,
Mesdames,
Mesdemoiselles
Messieurs,
au
sein
de
notre
illustre
Théâtre,
nous
avons
une
ambition
:
nous
avons
cette
ambition
de
proposer,
de
vous
proposer,
une
image
de
la
marionnette
résolument
inscrite
dans
la
modernité
et
la
mutation
contemporaine
des
arts
de
la
scène.
Agitant
les
mains
à
la
manière
de
Guignol.
Tradition…
Désignant
la
caméra.
Modernité
!...
Pour
commencer,
je
ne
résiste
pas
à
emprunter
les
mots
clairs
et
concis
d’un
brillant
spécialiste
en
littérature
mirlitonne2,
le
fameux
Herr
Professor
Doktor
Boris
Croilguy.
Poète
ouragan
à
ses
heures
perdues,
excessif
et
merveilleux,
Boris
Croilguy
est
au‐delà
de
son
siècle,
un
instituteur
supplétif
de
toutes
les
écoles
du
Surréalisme.
Ces
mots
clairs
et
concis
nous
proviennent
de
son
formidable
essai
:
«
UBU,
sa
vie,
son
œuvre
»,
essai
dont
j’ai
la
grande
chance
de
posséder
un
exemplaire
unique
sauvé
des
puces
2
Néologisme
ubuesque.
d’un
marché
du
même
nom.
Ces
mots
clairs
et
concis
que
je
vous
ai
promis
et
que
vous
attendez
sans
doute
avec
une
impatience
légitime,
les
voici
:
«
L’histoire
d’UBU
se
déroule
en
Pologne,
la
Pologne,
c’est
à
dire
nulle
part
»…
Le
Grand
Eugène
installe
une
carte
d’Europe.
Alors,
plutôt
que
de
perdre
mon
temps
à
vous
parler
de
ce
pays
magnifique
qu’est
la
Pologne,
je
vous
parlerai
plus
précisément
ce
soir
de
nulle
part
:
nulle
part,
c’est
à
dire
un
petit
peu
partout
en
fin
de
compte.
Le
Grand
Eugène
présente
une
tablette
où
sont
inscrites
les
lettres
U
au
verso
et
B
au
recto.
U,
B,
U
trois
lettres
qui,
prononcées
à
la
suite
en
respectant
la
phonétique
française
donne
«
UBU
»,
dans
un
sens
comme
dans
l’autre,
vous
l’aurez
remarqué.
Le
Grand
Eugène
sort
une
fiche
d’état
civil
de
son
cartable.
Suite
à
des
recherches
aussi
laborieuses
que
difficiles
et
documents
très
originaux
à
l’appui,
nous
sommes
en
mesure
de
vous
faire
un
certain
nombre
de
révélations
inédites
concernant
le
personnage
qui
nous
intéresse
ce
soir.
Documents,
Mesdames,
Mesdemoiselles,
Messieurs,
qui
vont
tout
naturellement
à
l’encontre
des
thèses
développées
jusqu’à
présent
mais
dont
le
cachet
ne
laisse
aucun
doute
concernant
l’authenticité
de
la
chose.
Gros
plan
vidéo
sur
le
cachet
de
la
fiche
d’état
civil.
Selon
nos
sources
non
contradictoires,
le
Père
UBU
serait
donc
le
fils
illégitime
d’un
immigré
anglais
d’origine
italienne,
Mister
Punch…
Le
Grand
Eugène
sort
un
buste
de
Mister
Punch
de
son
cartable.
…
Et
de
Francine
Makeübesse…
Même
jeu.
…
Bretonne
d’origine
celtique
elle
aussi
mais
de
nationalité
française
!
Jeu
érotique
avec
les
bustes,
face
à
la
caméra.
De
l’union
tumultueuse
de
ces
deux
êtres
si
imparfaits
et
si
affreux
est
née
le
6
décembre
1896
sous
les
feux
de
la
rampe
d’un
Grand
Guignol
parisien…
Apparition
d’une
Poire.
Une
Poire
!
Une
Poire
qui
fut
appelée
Pierre
ou
Paul
ou
Patrick
–
alors
là,
les
recherches
sont
encore
un
peu
confuses
concernant
le
prénom,
Hebert
en
tout
cas
de
son
nom.
Car
les
linguistes,
nombreux
dans
la
salle
l’auront
compris,
Makeübesse
n’est
pas
un
nom
facile
à
porter
chez
un
nouveau
né
de
sexe
masculin.
Le
Grand
Eugène
saisit
la
Poire
et
l’amène
face
à
la
caméra.
Brillant
élève
au
lycée
de
Rennes…
La
Poire,
se
dégageant.
Maman
!
Le
Grand
Eugène,
ramenant
la
Poire
à
soi.
Bachelier
mentionné
en
mathématiques
et
physique…
La
Poire,
même
jeu.
Maman
!
Le
Grand
Eugène,
coiffant
la
Poire
d’une
toque
d’étudiant.
Le
jeune
Hebert
se
lança
très
tôt
dans
des
passionnantes
études
en
sciences
politiques
internationales…
La
Poire,
se
dégageant.
Maman
!
Le
Grand
Eugène,
coiffant
la
Poire
d’une
perruque
de
noble.
Après
avoir
été
quelque
temps
Comte
de
Sandomir…
La
Poire,
même
jeu.
Maman
!
Le
Grand
Eugène,
coiffant
la
Poire
d’un
entonnoir.
Il
fut
nommé
quelques
années
plus
tard
Capitaine
des
Dragons,
décoré
de
l’Aigle
Rouge…
La
Poire,
même
jeu.
Maman
!
Le
Grand
Eugène,
replaçant
la
Poire
sur
la
table.
Puis
officier
de
confiance
de
sa
Majesté
le
Roi
de
Pologne,
le
brillant
Venceslas.
Là,
il
prit
le
nom
plus
pratique
de
Père
UBU
avant
de
succéder
dignement
comme
vous
le
verrez
dans
la
pièce
au
Roi
de
Pologne,
le
regretté
Venceslas.
Avant
de
devenir
digne
successeur
au
trône
de
Pologne,
il
s’amouracha
de
Lucienne
Morin…
Lucienne,
rencontrée
au
162
du
boulevard
Saint‐Germain
lors
d’immémorables3
folies
parisiennes…
Suite
à
des
noces
somptueuses
et
toujours
pour
des
raisons
pratiques,
Lucienne
prit
le
nom
désormais
mondialement
connu
de
?…
La
Mère
UBU
!
3
Mot
valise
assumé,
revendiqué
et
défendu
par
l’auteur.
Comprendre
une
espèce
de
folie
aussi
mémorable
qu’immorale…
Apparition
d’une
cuillère.
Ah
non.
Ça,
ce
n’est
pas
la
Mère
UBU,
c’est
une
cuillère
!!!
Mais
pas
n’importe
laquelle,
puisqu’il
s’agit
de
la
cuillère
de
première
communion
du
Père
UBU,
quelque
chose
comme
un
classique…
Apparition
d’une
bougie.
Classique
aussi,
la
fameuse
chandelle
verte
et
son
chandelier
:
de
cette
chandelle
à
couleur
printanière
est
né
un
leitmotiv
ubuesque,
le
fameux
«
De
par
ma
chandelle
verte
!
»…
Classique
de
la
littérature
ubuesque
au
même
titre
que
«
Cornegidouille
!
»,
«
Jarnicotonbleu
!
»,
«
Bougre
de
merdre
!
»
ou
tout
simplement…
Père
UBU,
en
off
au
loitain.
Merdre
!!!
Le
Grand
Eugène
Nous
y
reviendrons…
Apparition
d’un
livre
de
cuisine.
Autre
grand
classique
de
la
littérature
ubuesque
:
la
grande
scène
de
l’acte
III
ou
scène
dite
du
décervelage.
Scène
de
répertoire,
mille
fois
jouée
et
rejouée
par
les
plus
grands
interprètes
du
siècle
passé,
qu’il
soit
navet
ou
carotte,
scène
attendue
par
son
fan
club,
scène
mille
fois
vue
et
revue
que
je
vous
propose
de
voir
et
de
revoir
ce
soir…
Au
Théâtre
du
Caniveau,
il
y
en
a
pour
tous
les
goûts,
aussi
Messieurs
Dames,
c’est
à
vous
maintenant
d’accorder
vos
couleurs
et
de
me
dire
si
votre
décervelage
de
ce
soir,
vous
le
préférez
:
«
mijoté
à
feu
doux
»
ou
«
saisi
au
fer
blanc
et
servi
en
pochoir
»
?
Mijotage4
ou
saisissement
?
C’est
à
vous
de
choisir
et
à
moi
de
prendre
la
température
!
Le
Grand
Eugène
tente
de
faire
le
compte
des
voix
en
faveur
de
l’une
ou
l’autre
version.
Attendez,
attendez,
calmons
nous…
j’ai
ici
un
instrument
qui
devrait
nous
permettre
de
réaliser
un
juste
comptage
des
voix.
Il
s’agit
d’un
applaudimètre
à
approximation
relative
hérité
de
mon
vieil
oncle
d’Amérique…
Pour
le
saisissement
?
Comptage
des
voix.
Pour
le
mijotage
?
Comptage
des
voix.
Et
bien
écoutez
ce
soir,
cela
ne
fait
plus
aucun
doute
:
c’est
le
mijotage
qui
l’emporte
haut
la
main
!!!
Le
Grand
Eugène
cuisine
la
Poire
au
rythme
de
:
«
Cocktail
maison
pour
lancer
la
cuisson
Ou
cocktail
frappé
pour
les
plus
habitués
Du
petit
bout
de
bois,
par
les
oneilles,
pénétration
De
la
vessie
natatoire,
ouverture
sans
faux
bonds
De
la
cervelle
par
les
talons,
extraction
Là
attention
danger,
de
la
matière
grise,
conduite
enivrée...
Comptine
:
pour
le
pain
du
matin,
le
moulin
moud
le
grain,
pour
le
pain
de
demain
le
moulin
moud
sans
fin.
De
l’opération
finalisation,
optimalisation
et
conclusion
:
c’est
vraiment
trop
facile
de
cuisiner
les
bonnes
poires...
».
4
néologisme
culinaire.
Ah…
J’en
vois
parmi
vous
qui
restent
sur
leur
faim.
Vous
regrettez
le
saisissement,
n’est‐ce
pas
?
Et
bien
soit,
pour
les
gros
appétits
et
sans
majoration
de
prix,
un
saisissement
en
extra,
un
!!!
Attention
ça
va
aller
très
vite…
Le
Grand
Eugène
coupe
les
restes
de
la
Poire
cuisinée,
en
deux.
C’est
ce
qui
s’appelle
couper
la
poire
en
deux.
Le
Grand
Eugène
découvre
un
petit
livre
posé
sur
la
table.
Oh…
Les
premiers
entrechats
de
nos
deux
gros
pachas…
Sans
interprétation
de
cette
illustration,
vous
les
aurez
reconnus
:
le
Père
et
puis
la
Mère
qui
forment
le
couple
UBU
!!!
Un
son
de
trompette
se
fait
entendre.
Tiens,
ça
c’est
une
trompette…
C’est
un
bel
instrument.
Peut‐être
moins
marrant
mais
tout
aussi
charmant
que
la
boîte
à
Phynance5…
Apparition
de
la
boîte
à
Phynance.
Drôle
d’instrument
que
cette
boîte
à
Phynance.
Vide,
elle
ne
fait
pas
de
bruit.
Vous
y
mettez
une
pièce,
c’est
presque
une
rhapsodie,
deux
pièces
une
vraie
symphonie…
Soyez‐en
assuré,
elle
prendra
toutes
vos
pièces
et
sans
cacophonie.
Reniflant.
Une
fleur
apparaît.
Oh…
La
fleur
des
noces
du
couple
UBU
!!!
La
fleur
fane.
Par
trop
d’années
de
mariage,
flétrie...
5
néologisme
ubuesque.
Le
Grand
Eugène
dépose
la
fleur
dans
le
fond
du
cartable
et
se
prend
un
bâton
à
Physique
de
première
génération
en
pleine
poire.
Et
puis
et
puis,
pour
en
revenir
à
notre
étude
de
la
politique
étrangère
mirlitonne
:
l’incontournable
bâton
à
Physique…
Le
bâton
à
Physique,
Mesdames,
Mesdemoiselles,
Messieurs…
Outil
d’une
précision
extrême
et
d’une
efficacité
remarquable
et
remarquée,
utilisé
par
le
Père
UBU
dans
ses
opérations
de
maintien
de
l’ordre
de
ses
lointaines
colonies.
Celui‐ci
par
exemple,
est
un
bâton
à
Physique
de
première
génération
à
propulsion
aléatoire.
C’est
en
effet
le
pilier
d’une
nouvelle
politique
de
stabilisation
planétaire
unilatérale
menée
par
le
Père
UBU
pour
renouveler
les
MPA
‐
les
Monarchies
Poussiéreuses
Ancestrales,
appelées
aussi
Monarchies
Elitistes
:
ME
‐
en
instaurant
des
RDR
‐
Républiques
Démocratiques
Relatives.
Le
Père
UBU
eut
recours
à
ce
fabuleux
bâton
à
Physique
lors
de
la
campagne
d’Afrique
dans
le
royaume
poussiéreux
du
Vieux
Roi
Lion.
Royaume
que
l’on
peut
aisément
situer
sur
la
carte…
et
que
l’on
situera
tout
aussi
aisément
sur
la
table.
Le
royaume
!
Le
Grand
Eugène
dévoile
le
royaume
du
Vieux
Roi
Lion.
La
cour
!
Même
jeu
avec
les
courtisans.
Sa
Majesté
le
Roi
!
Même
jeu
avec
le
Roi
Lion.
La
cour
du
Vieux
Roi
Lion,
donc…
Au
cours
de
cette
opération,
opération
intitulée
opération
3R
‐
opération
de
Renouvellement
Relatif
Révolutionnaire
‐
le
Père
UBU
introduisit
à
la
cour
un
agent
mirliton
‐
nom
de
code
«
La
Hyène
»
‐
dont
la
mission
était
de
transmettre
aux
services
secrets
ubuesques
l’emplacement
exact
où
rugissait
le
Vieux
Roi
Lion.
Le
Vieux
Roi
localisé,
le
Père
UBU
envoya
par
la
voix
des
airs
et
depuis
la
Pologne,
un
fabuleux
bâton
à
Physique
qui
débarrassa
avec
une
précision
chirurgicale
dit‐
on,
le
peuple
soumis
de
l’infâme
lion
barbu.
Lequel
roi
déchu
fut
remplacé
à
l’unanimité
relative
par
l’Agent
Hyène
qui
prit
les
commandes
de
la
nouvelle
RDR
ainsi
constituée,
avec
la
complicité
précieuse
de
représentants
locaux.
Une
nouvelle
RDR
est
née,
une
nouvelle
démocratie
:
merci
le
Père
UBU
!!!
Une
pause.
Et
comme
vous
l’avez
compris,
Messieurs
Dames,
au
Théâtre
du
Caniveau,
nous
avons
cette
ambition
de
proposer,
de
vous
proposer,
une
image
de
la
marionnette
résolument
inscrite
dans
la
modernité
et
la
mutation
contemporaine
des
arts
de
la
scène,
c’est
pourquoi
je
vous
propose
de
revoir
l’ensemble
de
cette
séquence
avec,
cette
fois‐ci,
un
bâton
à
Physique
de
toute
dernière
génération
!
Le
Grand
Eugène
rejoue
une
seconde
fois
l’opération
3R
avec
un
bâton
à
Physique
de
dernière
génération.
La
démonstration
dégénère.
«
Méchant
et
génial,
visionnaire
et
brutal,
par
la
sottise
lumineuse
qui
le
caractérise,
le
Père
UBU
n’a‐t‐il
pas
atteint
quelque
chose
de
souverain
?
»…
Boris
Croilguy.
Une
pause.
Alors,
je
pourrais
en
rester
là,
et
descendre
le
rideau,
ranger
tout
mon
petit
fatras
et
vous
tirer
mon
chapeau…
Mais
au
Théâtre
du
Caniveau,
on
ne
prend
pas
les
spectateurs
pour
de
simples
blaireaux
!!!
Aussi,
comme
promis
au
début
et
sans
majoration
de
prix
incongrue,
vous
allez
enfin
voir
:
la
terrifiante,
la
scandaleuse,
l'innommable
épopée
du
Père
UBU
!
Drame
mirlitonnesque,
en
trois
actes
et
de
nombreux
tableaux,
avec
au
dernier
acte,
une
apparition
spectrale,
tout
à
fait
spectaculaire…
Ha,
Madame
!
Je
vois
que
l'eau
vous
monte
à
la
bouche,
et
que
votre
regard
pétille...
Mais
avant
que
le
spectacle
ne
commence,
je
tiens
à
informer
notre
aimable
public,
de
la
cruauté
de
certaines
scènes.
Aussi
Monsieur,
veuillez
avoir
l'amabilité
de
prendre
la
main
de
Madame…
Comment
?
Monsieur
n'est
pas
votre
Mari
?
Ah…
Alors
si
j'ai
bien
compris
Madame
n'est
pas
votre
Femme…
Bon…
Et
bien
écoutez,
prenez‐la
quand
même.
Car
il
ne
s'agit
pas
ici
de
vous
rendre
infidèles,
mais
de
vous
protéger
d'un
bougre,
bête,
vil
et
cruel
!
Le
Père
UBU,
indomptable
taureau,
dragon
impétueux,
sa
bedaine
se
recourbe
en
replis
tortueux,
le
ciel
avec
horreur
voit
ce
monstre
sauvage,
ses
longs
rugissements
font
trembler
les
rivages…
Père
UBU,
rugissant.
Merdre
!!
Le
Grand
Eugène
Merdre…
bien
plus
qu’une
vulgarité,
Madame
:
toute
une
philosophie
!!
Mais
patience,
patience,
on
y
est
presque.
Le
décor
est
planté.
Est‐ce
que
les
marionnettes
sont
prêtes
?
Le
Gendarme,
en
off.
Affirmatif,
nous
sommes
prêts.
Le
Grand
Eugène
Bien.
Qu'en
est‐il
du
public
et
de
l'applaudimètre
?
Car
pour
bien
commencer
et
jouer
à
l'instant,
j'ai
besoin
de
vos
cris
et
de
vos
applaudissements
!
Et
voilà,
magnifique,
grandiose,
inespéré,
le
spectacle
devant
vous
va
pouvoir
commencer
!
LE GANT DE
TOINETTE
ou
les Dessous Indiscrets de la
Révolution6
Pièce érotique
d’après les « Fureurs Utérines de
Marie-Antoinette »
(Pamphlet anonyme du XVIIIe Siècle)
6
Cette
pièce
a
été
créée
pour
le
Musée
des
Archives
Nationales
de
la
ville
de
Paris
par
Cyril
Bourgois
et
Philippe
Orivel,
sous
le
regard
amusé
d’Emmanuelle
Lafont.
Marionnettes
de
Francis
Debeyre.
Tutto
a
te
mi
guida.
PERSONNAGES
Le
Bonimenteur
Le
Maestro
Shineleu
Kakelleu
Un
œuf
Polichinelle
Toinette
Le
Père
Hébert
PROLOGUE
Le
public
est
accueilli
par
le
Bonimenteur.
Le
Maestro
improvise
sur
des
thèmes
du
18ème
siècle
et
des
musiques
populaires
révolutionnaires.
Le
Bonimenteur
Mesdames,
Mesdemoiselles,
Messieurs,
de
vous
accueillir
ce
soir,
si
nombreux,
si
resplendissants,
dans
cette
belle
salle
des
archives
nationales,
me
fait,
je
vous
le
dis
sincèrement,
profondément
et
véritablement
chaud
au
cœur.
Non
vraiment,
je
suis
heureux,
heureux
et
fier
à
la
fois
de
pouvoir
vous
présenter
ce
soir,
un
grand
moment
de
culture
française…
Le
récit
scandaleux
mais
non
moins
savoureux
des
fureurs
utérines
de
feu
la
Veuve
Capet
:
le
terrifiant,
le
décadent,
le
succulent…
le
Gant
de
Toinette
!
Le
Maestro
Ou,
les
Dessous
Indiscrets
de
la
Révolution…
Le
Bonimenteur
Pièce
de
caractère,
un
tantinet
vulgaire
qui
nous
vient
tout
droit
des
bas‐fonds
de
Paris…
Le
Maestro
Ah
oui,
Paris…
Le
Maestro
entame
la
complainte
de
la
butte.
Le
Bonimenteur
Ah,
Paris,
Messieurs
Dames
:
Paris
capitale
des
lumières,
Paris,
cité
du
romantisme,
Paris,
rendez‐vous
des
amoureux…
Paris
!
Il
interrompt
la
complainte.
0ù
les
célèbres
marionnettes
à
gaine
de
la
pUnChiSnOtdeAd
Compagnie
se
sont
inspirées
de
pratiques
populaires,
et
notamment
du
couperet
aiguisé
du
pamphlet
révolutionnaire,
pour
vous
concocter
un
petit
amusement
érotique
dont
elles
vont
dans
quelques
instants
échanger
quelques
petites
répliques.
Je
tiens
à
préciser
à
l'adresse
de
ceux‐qui‐font‐comme‐si‐mais‐qui‐ne‐savent‐rien,
que
le
gant
est
la
partie
intime
de
la
marionnette
à
gaine
située
en
dessous
du
costume
de
chaque
personnage,
et
que
la
main
délicate
du
montreur
de
marionnettes
vient,
à
chaque
nouvelle
entrée
en
scène,
vigoureusement
fourrer…
Le
Maestro
Ahhhhhh…
Le
Bonimenteur
Ou
«
ganter7
»
selon
une
nomenclature
plus
usuelle
mais
ô
combien
moins
sensuelle…
Mine
de
rien,
c'est
une
précision
importante
pour
comprendre
toute
la
subtilité
du
titre
de
la
pièce
que
vous
allez
maintenant
voir.
Mais
du
titre
uniquement,
car
comme
vous
allez
très
vite
vous
en
apercevoir,
la
subtilité
n’est
pas
vraiment
ce
qui
peut
caractériser
ce
qui
va
se
dérouler
ce
soir
sous
vos
yeux
ébahis…
Vous
voilà
informés,
vous
avez
encore
le
droit
de
nous
quitter
!!
Un
temps.
Vous
restez
?
Un
temps.
7
A
Lyon,
les
guignolistes
disent
«
chausser
»
à
la
place
de
«
ganter
».
C’est
sans
doute
la
raison
pour
laquelle
Guignol
pue
des
pieds.
Bande
de
coquins…
Et
bien,
cher
public,
vous
que
la
muse
habite,
il
ne
me
reste
plus
qu’à
vous
souhaiter
de
passer
un
joyeux
moment
en
notre
compagnie.
Et
maintenant,
Mesdames
et
Messieurs,
Ladys
and
Gentlemen,
meine
Damen
und
Herren,
Parisien,
Parisiennes,
concitoyens,
concitoyennes
:
Show
must
go’n
!!!
Le
Maestro
se
lance
dans
un
morceau
pop
des
années
80,
bientôt
interrompu
par
le
Bonimenteur.
SCENE 1
TO BE OR NOT TO BE TOINETTE
Le
Bonimenteur,
à
ses
marionnettes.
Bon
maintenant
il
faut
y
aller,
le
public
attend...
Shineleu
Ah
bon,
le
public
attend
?
Apparition.
Ah
oui,
je
confirme,
le
public
attend.
Pas
de
problème.
Je
maîtrise
la
situation...
Disparition.
Puis
réapparition
de
Shineleu
qui
fait
entrer
Kakelleu
en
scène
dans
une
série
de
trois
«
oh
hisse
!
».
Shineleu
Mesdames,
Messieurs…
Ronflements
de
Kakelleu.
LA BROUILLE
D’APRES
( Marivaux )
OU
LE TOUR DE L’ŒUF
EN 4 MAINS / MINUTE
Rien
ne
se
perd,
rien
ne
se
crée,
tout
se
transforme.
Lavoisier
Parodie
bouffonesque8
très
largement
inspirée
de
nombreux
textes
du
répertoire
traditionnel
théâtral
et
marionnettique9
(ou
pas),
parmi
lesquels
:
La
Dispute
de
Marivaux,
Ubu
sur
la
Butte
de
Jarry,
L’Avare
de
Jean‐
Baptiste
Poquelin,
La
Tragédie
comique
ou
Comédie
tragique
de
Mister
Punch,
Les
Fables
de
La
Fontaine,
La
Brouille
et
Le
Déménagement
publié
par
la
société
des
amis
de
Guignol,
Le
Requiem
de
Mozart,
Hamlet,
Macbeth
et
Richard
III
de
Shakespeare,
Faust
de
Goethe,
sans
oublier
Cioran,
Star
Wars
et
Dieu,
ainsi
que
tous
les
autres
textes
moins
classiques,
honteusement,
copiés,
décortiqués
et
recomposés
dans
une
version
vraiment
pas
très
originale
sous
les
conseils
avisés
de
Frau
Professor
Doktor
Lefort…
8
LE
TOUR
DE
L’OEUF
par
le
Théâtre
des
Marionnettes
*
Guignol
de
Lyon.
Mise
en
scène
:
Cyril
Bourgois.
Musique
:
Philippe
Orivel.
Scénographie
:
Christel
Prudent.
Costumes
:
Mélanie
Pinna.
Marionnettistes
:
Edeline
Blangero,
Morjane
Mharak,
Antoine
Truchi.
Assistanat
à
la
mise
en
scène
:
Angèle
Gilliard.
9
Néologisme
vieillissant
qu’il
serait
bon
d’intégrer
enfin
au
dictionnaire
de
la
langue
française.
PERSONNAGES
Guignol
Gnafron
Madelon
Une
poule
Pulcinella
Julietta
Des
Napolitaines
El
Director
Le
Spectre
Le
Docteur
Le
Gendarme
Le
Bourreau
Méphistophélès
Le
Bambino
Deux
Canuts
Laurent
Mourguet
Fripouille
Canezou
Le
Charlatan
Des
Lyonnaises
Une
Fenotte
Monsieur
Alfred,
Directeur
du
Théâtre
des
4‐z’arts
Une
Cantatrice
shakespearienne
PROLOGUE
Gnafron,
Guignol,
puis
Madelon.
Gnafron,
en
coulisses.
Va
donc
te
faire
vacciner,
sampille
!
Guignol,
en
coulisses.
Et
toi
te
faire
empailler,
ganache
!
Gnafron,
entrant.
Te
fais
regret,
claque‐posse
!
Guignol,
entrant.
Te
me
donnes
mal
au
cœur,
vieux
gorille
!
Gnafron
Maintenant,
à
nous
deux
!
Je
vais
te
dire
tes
quatre
vérités,
traîne‐grolles
!
Guignol
Je
te
crains
pas,
et
je
t’attends
de
pied
ferme,
cogne
mou
!
Il
va
pour
frapper
Gnafron
qui
esquive.
Tête
d’ivrogne
!
Gnafron,
se
rapprochant,
furieusement
calme.
Que
donc
que
t’as
osé
dire,
bouffon
?
Guignol
Quoi
!!!!
Pas
un
bouffon,
Guignol
!
Arrête
tes
gognandises
ou
tu
vas
finir
par
la
prendre,
ta
rouste
!!!
Il
saisit
sa
tavelle
et
frappe
sur
la
bande.
Gnafron
Mais
j’ai
pas
peur
d’un
canut
mal
torché,
moi
!!
Jamais
un
regrolleur
m’a
canné
et
c’est
pas
moi
que
je
veux
commencer
à
déshonorer
la
corporation
!!!
Même
jeu.
Bataille.
Guignol
Arrête
donc,
Gnafron
!!!
C’est
des
fois
plus
la
peine
de
se
battre
;
y
a
personne
pour
nous
séparer
!
Gnafron
C’est
ben
vrai,
mon
Chignol.
Aussi
j’aime
mieux
m’en
aller,
vois‐tu,
sinon
je
ferai
un
malheur.
Il
sort.
Guignol,
découvrant
le
public.
Ah
bonjour
les
gones,
vous
étiez
déjà
là
??
Vous
avez
assisté
à
ma
brouille
avec
Gnafron,
alors
?…
Vous
avez
vu
ça,
les
gones
?!
Ça
fait
trois
jours
que
ça
dure
!
Dès
que
je
me
retrouve
bugne
à
bugne
avec
ce
pochtron
de
Gnafron,
y
m’agonise
d’épithètes
malsonnés.
Ça
me
retourne
les
sanques,
ça
me
fait
sortir
de
mon
caractère…
Madelon,
entrant.
Oh
!
Que
donc
que
t’as
à
bajafler
tout
seul,
mon
bon
Guignol,
t’as
l’air
tout
tortillé
?
Guignol
Ah
ma
Madelon,
m’en
parle
pas
!
C’est
z’une
abomination
!
C’est
toujours
à
cause
de
ce
vinophile
de
Gnafron,
que
me
fera
devenir
chèvre.
Te
souviens
la
discussion
qu’on
a
eue
l’aut’
soir,
à
propos
de
nos
origines
originales…
Madelon
Tu
veux
parler
de
votre
dispute
à
propos
de
vos
parents
et
arrières
grands‐parents
?
Qui
ne
s’en
souviendrait
pas
?
Vous
vous
êtes
tellement
chamaillés
à
propos
de
vos
généalogies
familiales,
qu’il
a
fallu
deux
gaillards
taillés
comme
des
armoires
à
glace
pour
parvenir
à
vous
séparer.
Guignol
C’est
que
ce
gougnafier
de
Gnafron
répète
à
qui
veut
bien
l’entendre
que
moi,
Guignol,
je
ne
serais
finalement
qu’un
vulgaire
arrière
petit
cousin
de
la
famille
des
bouffons…
Moi,
Guignol
!
Le
seul,
l’unique
Guignol
Lyonnais,
fils
du
Pipa
Mourguet
et
digne
représentant
des
canuts,
je
ne
serais
que
le
simple
arrière
petit
n’enfant
de
ce
vagabond
mal
dégrossi
qu’on
appelle
Polichinelle
?!
Comment
qu’on
peut
seulement
penser
des
choses
pareilles
?
Moi,
fils
d’un
bouffon
?
Explosant.
Y
faudra
qu’y
me
fasse
des
excuses
extra‐plates
pour
m’avoir
traité
de
la
sorte
!!!!
Pas
un
bouffon,
Guignol
!!
Je
veux
qu’y
s’humilie
devant
moi,
ce
Gnafron‐là,
à
dire
des
gognandises
pareilles
!
J’aime
pas
qu’on
me
manque
de
respect,
à
moi,
au
Père
et
à
tous
les
simples
d’esprit
!!!!
Je
veux
pas
qu’on
traine
mon
Pipa
Mourguet
et
le
peuple
des
canuts
dans
le
déshonneur,
v’s’entendez
les
gones
?
Faut
pas
qu’on
me
prenne
pour
une
fiarde.
En
vérité,
je
vous
le
dis
:
je
ne
suis
pas
un
bouffon
!!!
Je
suis
la
voix
d’un
peuple
qu’en
a
plus
que
marre
de
se
faire
exploiter
!!!
Guignol
entonne
le
Chant
des
Canuts.
Madelon,
l’interrompant
rapidement.
Mais
que
tu
es
colérique,
mon
bon
Guignol
:
faut
pas
te
mettre
dans
des
états
pareils,
ça
te
mangera
les
sanques.
Je
vais
te
donner
le
moyen
de
vous
rabibocher,
toi
et
ton
ami…
Guignol
Jamais
de
la
vie
!
Je
suis
t’un
homme,
moi
!
Faudrait
pas
qu’on
me
traite
comme
un
clown
de
série
B
!!!
Madelon
Deux
vieux
t’amis
comme
vous,
ça
peut
pas
rester
en
brouillaserie…
Suis‐moi
:
c’est
la
nature
elle‐même
que
nous
allons
interroger,
il
n’y
a
qu’elle
qui
puisse
décider
la
question
sans
réplique…
Elle
disparaît.
Guignol
Quoi
que
tu
dis
Madelon
?
Je
comprends
rien
à
ce
que
tu
me
baragouines,
vous
y
comprenez
quequ’
chose,
vous
les
gones
?…
Madelon,
réapparaissant.
Pour
bien
savoir
si
tu
descends
de
la
grande
famille
des
bouffons
comme
le
prétend
Gnafron,
il
faudrait
avoir
assisté
au
commencement
du
monde…
Guignol
T’es
drôle
toi,
mais
j’y
étais
pas,
moi,
au
commencement
du
monde,
ni
ces
gones‐là
non
plus
d’ailleurs
:
c’était
des
escalopes…
Des
escalopes
pas
nées
!
Madelon,
disparaissant
en
coulisses.
Arrête
de
faire
le
pitre,
grande
bugne
!
Nous
allons
y
être,
au
commencement
du
monde.
Je
te
propose
d’assister
à
tes
origines.
Suis‐moi
!
Guignol,
la
suivant.
J’y
comprends
rien…
Madelon
!!
Où
allons
nous
?
Réapparaissant
avec
Madelon
devant
le
castelet.
Qu’est‐ce
que
c’est
que
cette
maison
où
tu
me
fais
entrer
et
qui
forme
un
édifice
si
singulier
?
Où
c’est
que
tu
m’emmènes,
Madelon
?
Madelon
A
un
spectacle
très
curieux
:
le
monde
et
ses
premiers
mystères
vont
réapparaitre
à
nos
yeux
tels
qu’ils
étaient,
ou
du
moins
tels
qu’ils
ont
dû
être.
Nous
allons
nous
retrouver
près
de
la
ville
de
Naples
aux
abords
du
Vésuve…
Guignol
Le
Vésuve
?
C’est
quoi
le
Vésuve
?
Madelon
Un
volcan
du
sud
de
l’Italie...
Guignol
Un
volcan
?!
Madelon,
tu
excites
ma
curiosité,
je
l’avoue…
Pas
vous
les
gones
?
Madelon
Chut…
Taisez‐vous
les
enfants
!!
Ça
commence
!!!
Ou,
pour
être
parfaitement
exacte,
ça
recommence…
Trois
coups
suivis
du
chant
du
coq.
MICHELLE GAURAZ,
AVEC DEUX « L ».
MERCI !
Michelle Gauraz,
Avec deux « L ». Merci !
Notre
amie
Michelle
Gauraz
est
partie
vendredi
4
mars
2011.
Il
a
fallu
attendre
qu’elle
nous
quitte
pour
qu’on
se
décide
à
lui
rendre
hommage…
Depuis
son
départ
de
Cirk’Ubu
où
elle
manipulait
avec
brio
les
personnages,
on
n’entendait
plus
parler
d’elle.
L’oubliée
de
la
Gaine
!
Pourtant
en
marionnette,
Michelle
en
connaissait
un
rayon.
Pour
ceux
qui
ne
voient
pas
qui
est
MicheLLe,
portrait
rapide.
Signes
distinctifs
:
Taches
de
rousseur
délicates
Fume‐cigare
Lunettes
de
soleil
à
volet
rabattable
Et
un
rire
en
cascade
inoubliable.
Côté
boulot,
d’autres
vous
feront
l’éloge,
personnellement,
je
préfère
m’arrêter
là,
et
aller
boire
un
coup
à
sa
santé
en
refaisant
le
monde
avec
les
potes,
comme
à
notre
habitude
!
Allez
MicheLLe,
que
tes
deux
LL
auxquels
tu
tenais
tant
te
trimballent
en
un
lieu
où
le
rire
est
roi,
et
le
bâton
de
guignol
remisé
au
placard
!
Annie
Point
Chère Michelle
En
ce
printemps
2011,
tu
as
pris
la
tangente.
Ce
n’est
pas
pour
autant
qu’il
faut
se
résoudre
à
parler
de
toi
au
passé.
J’ai
envie
de
continuer
à
te
parler
au
présent.
C’est
une
manière
de
continuer
à
te
croiser
et
de
poursuivre
un
dialogue
qui
s’est
installé
entre
nous
au
fil
de
nos
rencontres,
plus
rares
ces
deux
dernières
années.
Mèche
rousse,
regard
interrogateur
ou
rigolard,
c’est
selon.
Grande
gueule
souvent.
C’est
l’image
que
tu
donnes
de
toi
au
premier
contact…
Quand
tu
sors
du
castelet
dans
lequel
tu
as
choisi
de
travailler
et
d’exercer
ton
art.
J’ai
toujours
douté
de
ce
que
tu
donnais
à
voir
de
toi
dans
cette
façon
d’engager
le
contact
avec
les
autres.
Je
t’ai
toujours
devinée
secrète
et
sensible.
Sur
la
défensive
aussi,
une
vieille
habitude
qui
avait
forgé
des
réflexes
bien
rôdés.
En
fin
de
compte,
tu
as
trouvé
une
autre
façon
de
te
protéger
:
cachée,
tu
es
au
service
de
la
marionnette
et
la
grande
gueule
en
l’occurrence,
c’est
Polichinelle
et
comparses.
Le
bon
artisan
s’efface
derrière
la
pièce
qu’il
réalise.
C’est
vrai
aussi
du
marionnettiste,
et
cela
tombe
bien
puisque
c’est
ce
que
tu
pratiques
au
quotidien.
Je
me
souviens
de
ton
enthousiasme
à
ton
retour
d’Afrique
:
pour
toi,
tout
était
bon
dans
le
partage
!
Dans
l’ombre
de
celui
auquel
il
transmet,
le
maître,
le
formateur
:
ce
n’est
donc
pas
par
hasard
que
tu
laisses
aussi
dans
ton
sillage
de
nombreux
héritiers
croisés
au
cours
des
stages
ou
du
travail
en
compagnie.
A
l’Ecole
Nationale
Supérieure
des
Arts
de
la
Marionnette
de
Charleville‐
Mézières
également
où
tu
as
posé
tes
malles
à
plusieurs
occasions
et
toi
qui
fuyais
les
institutions,
tu
as
avec
générosité
et
sérieux
semé
l’essentiel
pour
que
d’autres
se
réalisent
à
leur
tour.
A
la
prochaine,
Michelle
!
Lucile
Bodson
Mama Michelle L’homme,
la
femme
Viennent
en
cette
vie
comme
des
fleurs
Et
broyés,
ils
s’enfuient
comme
l’ombre
Ne
demeurant
jamais
en
un
même
lieu.
Frêles
comme
des
fleurs
Ils
sortent
du
ventre
de
leur
mère
Et
déjà
ils
se
préparent
pour
s’en
aller
Du
printemps
de
la
vie
à
l’automne
Sur
la
terre
les
choses
naissent
et
meurent
tour
à
tour...
Les
fleurs
viennent
tous
les
jours
Et
nous
avertissent
que
la
figure
du
monde
passe...
«
La
vie
est
un
dur
combat,
alors
autant
rigoler
»,
N’est‐ce
pas
Michelle
?
Il
ne
paraît
pas
exagéré
de
dire
que
les
combats
des
vicissitudes
de
la
vie
nous
mènent
à
leurs
façons.
Dans
sa
vie,
Michelle,
autour
d’un
petit
verre,
la
cigarette
au
bec,
livrait
des
tranches
de
vies
coupées
au
couteau
Ou
ensemble,
autour
d’un
petit
café,
broyait
un
peu
de
noir
Avant
de
reprendre
goût
à
la
vie...
«
Avoir
souffert
rend
tellement
plus
perméable
à
la
souffrance
des
autres
».
Avec
sa
verve
elle
menait
les
gens,
petits
et
grands
d’un
point
à
un
autre
pour
qu’au
quotidien
ils
puissent
avancer
dans
leur
vie.
Elle
s’est
souciée
du
bien‐être
des
autres,
Et
Polichinelle
seul
sait
que
quand
le
vent
tourne,
Le
sens
de
la
vie
peut
être
éparpillé
dans
une
spirale
sans
fin...
Elle
savait
bien,
qu’il
ne
faut
pas
attendre
d’être
parfait
pour
commencer
quelque
chose.
Elle
savait
aussi
qu’on
n’est
jamais
heureux
que
dans
le
bonheur
qu’on
donne.
Donner
c’est
recevoir.
«
On
ne
peut
sous
prétexte
qu’il
est
impossible
de
tout
faire
en
un
jour,
ne
rien
faire
du
tout
»,
N’est‐ce
pas
Michelle
?
Ainsi
tous
les
jours,
tel
le
combat
contre
le
dragon,
elle
a
lentement
remonté
les
pentes,
après
des
chutes
et
rechutes
et
elle
était
engagée
là
où
il
y
a
de
vraies
valeurs.
Elle
a
rendu
plus
d’un
service
et
je
pense
ce
ne
serait
pas
raconter
des
bêtises
que
de
dire
qu’elle
a
donné
beaucoup
de
son
temps
de
vie
dans
un
engagement
envers
les
autres.
Elle
savait
que
le
bonheur
est
dans
les
petites
choses
et
ce
n’est
pas
un
maigre
contentement
de
savoir
qu’une
femme
comme
Michelle
s’assortissait
généreusement
à
ce
qui
lui
semblait
bien
et
bon.
A
sa
façon
elle
savait
être
tête
de
mule,
mais
elle
avait
le
cœur
sur
la
main
dans
les
multiples
nappes
brumeuses
des
effluves
de
ces
inlassables
cigarettes.
Il
y
a
dix
ans
nous
nous
sommes
rencontrés
et
je
lui
ai
proposé
d’aller
à
Kinshasa
proposer
son
Art
des
marionnettes
aux
enfants
des
rues.
Elle
en
était
revenue
ravie
et
plusieurs
fois
elle
y
est
retournée.
Un
nouvel
espace
de
vie
s’est
ouvert
pour
elle,
chargé
d’imaginaire
qu’elle
a
partagé
de
bon
cœur
avec
les
enfants
des
rues
et
les
enfants
soldats
démobilisés
accueillis
régulièrement
à
l’Espace
Masolo
(Centre
de
ressource
et
de
solidarité
artistique
et
artisanal).
Au
nom
de
tous
ces
Shégés,
de
tous
ces
mômes
de
la
rue.
Merci
Mama
Michelle…
Voici
un
peu
de
«
zélo
»,
du
sable
de
Kinshasa
de
leur
part
et
de
la
part
de
tout
ceux
de
Tohu
bohu
qui
t’ont
bien
connue
et
beaucoup
appréciée.
Eh
oui
Michelle
avec
deux
ailes,
tout
cela
avait
du
sens,
beaucoup
de
sens.
A
présent
Michelle
tu
es
partie
au
loin,
loin
de
tous
les
tiens
et
de
tes
marionnettes
Rejoindre
Trinquette
ta
chienne.
Polichinelle
n’en
est
pas
encore
revenu
et
parole
de
chien,
ce
n’est
vraiment
pas
le
seul...
La
mort
est
quelque
chose
qui
nous
apparaît
comme
le
bout
d’un
destin.
Et
tu
savais
que
comme
nous
tous,
tu
devais
partir
un
jour.
Et
même
si
tu
disais
de
temps
en
temps
«
En
moi
il
n’y
a
pas
grand
chose
de
recyclable,
je
préfère
être
incinérée
»,
il
ne
me
parait
pas
exagéré
de
dire
qu’avec
ton
départ,
c’est
un
tableau
d’une
valeur
inestimable,
une
mélodie
inoubliable,
qui
quitte
notre
quotidien
et
ce
tableau,
même
s’il
s’écaillait
lentement,
ce
n’était
pas
un
tableau
du
paraître
et
de
la
tromperie,
mais
celui
d’une
femme
au
cœur
large
et
aux
pieds
fermes,
malgré
la
maladie
qui
te
terrassait
lentement.
Michelle
!
«
Un
sourire
coûte
moins
cher
que
l’électricité,
mais
donne
autant
de
lumière
».
Michelle
tu
as
été
brillante
tu
as
été
géante
et
vraiment
tu
resteras
dans
nos
cœurs
et
nos
esprits.
Au
nom
de
tous
ceux
qui
t’ont
connu
:
EZALAKI
MOKOLO
MOKO...
BON
VOYAGE
!
Gilbert
Meyer
Michelle GAURAZ la Comédie tragique
ou Tragédie comique
d’une Montreuse géniale
de Punch and Judy Show.
«
‐
Michelle,
pour
le
prochain
festival
de
marionnettes
de
M.,
j’aimerais
beaucoup
qu’on
assure
un
duo
pour
une
soirée
cabaret
…
».
‐
Penses‐tu
à
une
scène
précise
?
Peut‐être
en
rapport
avec
la
chanson
de
Vian
où
la
chanteuse
aime
à
se
faire
tabasser
?
».
Ce
sont
les
derniers
échanges
que
j’ai
eus
avec
Michelle
peu
de
temps
avant
qu’elle
nous
quitte.
Difficile
de
parler
de
Michelle
Gauraz
sans
parler
de
la
violence
d’une
société
patriarcale
dont
la
marionnette
de
Mister
Punch
est
une
manifestation
tout
aussi
naïve
que
brutale.
Il
me
semble
que
Michelle
a,
tout
au
long
de
sa
vie
artistique,
essayé
de
détourner
cette
réalité
terrible
–
une
société
conçue
pour
répondre
à
la
complaisance
narcissique
et
au
règne
exclusif
de
l’homme
–
en
se
plongeant
dans
l’épicentre
jubilatoire
de
l’archétype
universel
et
misogyne
incarné
par
les
marionnettes
de
Pulcinella
et
consorts.
Avec
toute
l’admiration
que
j’ai
pour
ce
personnage
du
répertoire
classique
du
Théâtre
de
Marionnettes,
il
lui
arrive
un
peu
trop
souvent
d’avoir
la
quéquette
qui
colle
et
les
bonbons
qui
font
des
bonds…
Heureusement,
des
femmes
courageuses
comme
Michelle
se
sont
emparées
de
cette
figure
du
bouffon,
et
ce
souvent
à
son
insu,
pour
lui
insuffler
leur
part
de
féminité
salvatrice
et
pour
participer
ainsi
à
son
renouveau
contemporain.
J’ai
eu
l’immense
bonheur
d’avoir
Michelle
comme
marraine
de
ma
sortie
de
diplôme
de
l’Ecole
Supérieure
Nationale
des
Arts
de
la
Marionnette
de
Charleville‐Mézières
en
1999.
Elle
était
ma
Maîtresse.
De
marionnettes
dois‐je
rajouter.
(Car
là
encore,
c'est
navrant,
mais
autant
on
peut
dire
sans
quiproquo
d’un
homme
qu’il
est
votre
Maître,
autant
d’une
femme,
cela
prête
malheureusement
encore
trop
vite
à
confusion…).
Michelle
m’a
transmis
avec
fougue
sa
pratique
de
la
marionnette
à
gaine.
Michelle
m’a
transmis
un
regard
singulier
sur
notre
société.
Son
regard
sur
les
hommes
m’a
permis
de
comprendre
un
peu
plus
le
monde
grotesque
dans
lequel
nous
vivons.
Michelle
restera,
entre
tradition
artistique
et
volonté
de
modernité
sociale,
un
maillon
incontournable
de
la
transmission
d’une
culture
fondamentale
de
la
marionnette.
A
nous
aujourd’hui
de
faire
de
notre
mieux,
pour
être
à
la
hauteur
de
ses
enseignements.
Cyril
Bourgois
Remerciements
Un
merci
lumineux
à
Anna
pour
sa
patience
et
ses
conseils.
Un
merci
affectueux
à
ma
famille
qui
a
toujours
soutenu
mon
besoin
de
théâtre.
Un
merci
chaleureux
à
Brigitte
Aubonnet,
Angèle
Gilliard,
Annie
Francisci
et
Annie
Point
pour
leur
précieuse
participation
à
la
grande
chasse
aux
coquilles
de
cet
ouvrage.
Un
merci
éternel
à
Michelle
Gauraz
à
qui
je
dédie
ce
recueil.
C.B.