Maladie de Berger

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Maladie de Berger
DOSSIER
Maladie de Berger
La maladie de Berger, également
appelée glomérulonéphrite à dépôts
mésangiaux d'IgA, ou simplement néphropathie à IgA est une maladie autoimmune atteignant les reins.
HISTORIQUE
La néphropathie à Ig A a été découverte
en 1966, par le Professeur Jean Berger,
de l’hôpital Necker à Paris, en utilisant
un sérum anti-IgA, sur des biopsies rénales de patients. Ses travaux (en collaboration avec Nicole Hinglais) ont été
publiés en 19681.
ÉPIDÉMIOLOGIE
La maladie de Berger touche, essentiellement, les jeunes adultes; mais, elle
peut, également, se développer chez les
enfants, ainsi que chez les adultes âgés.
Les hommes sont, plus souvent, atteints
que les femmes. Elle concerne 1 % de la
population mondiale2 et est la cause, la
plus fréquente, de glomérulonéphrite3.
Sa prévalence exacte est, cependant,
très
probablement,
sous-estimée,
puisque le diagnostic requiert une biopsie rénale, geste lourd. Ainsi, un dépôt
rénal d'Ig A est présent dans un rein
sur neuf, lors d'examens systématiques
en vue de transplantation4. L'incidence
semble plus élevée dans certains pays,
dont le Japon5.
MÉCANISMES
L'évolution de cette maladie se fait,
la plupart du temps, très lentement;
c’est-à-dire, sur plusieurs années. Dans
l'histoire du malade, une infection respiratoire haute (angine, pharyngite)
est diagnostiquée quelques jours avant
l'apparition de l'hématurie macroscopique, caractéristique de la maladie.
En cas d'infection, quelle qu'elle soit,
il y a production d'anticorps, censés
participer à la destruction de l'agent
infectieux. Dans la maladie de Berger,
comme dans d'autres maladies auto-immunes, les anticorps de type Ig A, normalement produits pour détruire les
agents infectieux, présentent une glycosylation aberrante6, qui modifie leurs
propriétés physicochimiques. Ils auront
tendance à se fixer aux cellules mésangiales du glomérule rénal. Dans le cas de
la maladie de Berger, le dépôt concerne,
uniquement, en monomères d'Ig A1,
sous classe des Ig A7. L'inflammation ré26
Santé-MAG
N°28 - Mars 2014
nale, qui en résulte, entraîne des lésions
du filtre rénal et une «fuite» des composants du sang vers l'urine, en particulier
des hématies. Le principal signe de la
maladie est, ainsi, l'apparition de sang
dans les urines, quelques jours après le
début d'une infection; que ce sang soit
visible (hématurie macroscopique), ou
non (hématurie microscopique).
Une production, excessive, d’Ig A circulant dans le sang peut entraîner l’agglutination d’Ig A. Elle va, par la suite, se
déposer dans le glomérule rénal, lors
de la filtration du sang par le rein. Cette
production excessive va entraîner une
inflammation du rein, qui va conduire à
la formation de cicatrices dans le rein,
et à une déformation de celui-ci. L’insuffisance rénale s’installe donc avec le
temps, au fur et à mesure.
Il existe des facteurs génétiques avec
des formes familiales. Le défaut de
glycosylation de l'Ig A1 a un caractère
héréditaire, mais le ou les gènes res-
ponsables n'ont pas été identifiés8. Des
mutations sur le chromosome 6, dans la
région codant pour le complexe majeur
d'histocompatibilité, augmenteraient
le risque de survenue de la maladie9,
de même que des délétions dans les
gènes CFHR1 etCFHR310.
ÉVOLUTION DE LA MALADIE
L'évolution est variable. La maladie est
classée en quatre stades:
Stade n°1: glomérulopathie mésangiopathique. Il représente, en France, 20 %
à 40 % des cas.
Stade n°2: glomérulonéphrite segmentaire et focale. Ces lésions touchent
moins de 30 % des cas de glomérules
(stade 2a) ou plus (stade 2b). Ce stade
est le plus fréquent, puisqu’il représente
30 % à 60 % des cas de biopsies.
Stade n°3: glomérulonéphrite proliférative diffuse mésangiale pure. Il représente 5 % à 20 % des cas.
Stade n°4: prolifération endo-extra-
DOSSIER
capillaire avec présence de croissants.
Ces lésions touchent moins de 50 %
des cas avec glomérules avec croissants
inférieur (stade 4a), et supérieur à 50 %
(stade 4b).
Un cinquième des malades atteignent
un stade d'insuffisance rénale avancée,
nécessitant un traitement par hémodialyse. Ces derniers ont, plus souvent, une protéinurie supérieure à 1
g/jour, une hypertension artérielle et
des lésions plus sévères sur la biopsie
rénale11. Le risque de développer une
insuffisance rénale, dans les 10 ans, est
inférieur à 10 %, si la fonction rénale est
normale à la découverte de la maladie5.
MANIFESTATIONS
Chez l'enfant et l'adulte jeune, les trois
quarts des cas se manifestent par
une hématurie macroscopique (urines
rouges, ou brunes), survenant à proximité d'un épisode infectieux ou digestif5. Chez l'adulte plus âgé, la maladie
est, fréquemment, découverte à l'occasion d'une complication (insuffisance
rénale, ou hypertension).
Un syndrome néphrotique est rare. Ce
syndrome se traduit par la présence
de protéines, (essentiellement de l’albumine), dans les urines. Il entraîne une diminution, importante, des protéines circulant dans le sang, une apparition
d’œdème, de troubles de la coagulation,
une augmentation des lipides dans le
sang, une hypertension artérielle et
une insuffisance rénale.
Une insuffisance rénale aiguë est présente dans 5 % des cas. Elle se manifeste par des œdèmes, une hypertension artérielle et une diminution de la
quantité d’urine émise (oligurie). Elle
peut s’accompagner de douleurs lombaires, une asthénie, un goût particulier
dans la bouche, des nausées après l'alimentation.
DIAGNOSTIC
L'histoire du patient et de sa famille est
primordiale. Une hématurie chez les parents et les grands-parents ainsi qu'une
surdité chez de jeunes adultes feront
suspecter un syndrome d'Alport ou une
hématurie familiale bénigne.
Il faut doser les antistreptolysines O
(ASLO) afin d'exclure une glomérulonéphrite post-streptococcique, qui peut
se présenter, également, sous la forme
d'une hématurie, environ dix jours après
l'infection à streptocoques (angine, par
exemple). Malgré tout, de nombreuses
infections, comme la mononucléose
infectieuse, peuvent, également, induire
une atteinte rénale, sans production
d'ASLO. Mais, l'hématurie, due à une
glomérulonéphrite post-infectieuse, finit,
toujours, par disparaître; contrairement
à celle d'une maladie de Berger, et c'est,
souvent, en surveillant l'évolution sur
plusieurs mois, qui permet de faire la différence. Le dosage des composantes C3
et C4 du complément est, aussi, essentiel, pour éliminer ce diagnostic. En effet,
dans les glomérulonéphrites post-infectieuses, le C3 est typiquement très bas,
alors qu'il est normal dans la maladie de
Berger.
Le taux sanguin d'IgA1 déficient en galactose est augmenté chez les patients,
mais ce test a une sensibilité et une spécificité imparfaite12. Une augmentation
de la fraction C3 activée du complément serait un facteur de gravité13, ainsi
qu'une élévation de l'uricémie14.
La biopsie rénale permet de porter le
diagnostic. L'examen en microscopie
optique peut montrer plusieurs types de
lésions, aspécifiques, cependant. L'examen en immunofluorescence montre
des dépôts caractéristiques d'Ig A. La
présence de dépôts de C4d serait de
bon pronostic15. La « classification d'Oxford » des résultats histologiques permet d'aider à évaluer le pronostic16.
Il faut rechercher des complications de
la maladie: recherche d'une protéinurie, d'une hypertension artérielle, d'une
insuffisance rénale.
Un examen cytobactériologique des
urines élimine une infection urinaire (qui
peut, parfois, donner une hématurie).
L'hémogramme permet de rechercher
une anémie, en cas d'hématuries majeures (ce qui est rare).
TRAITEMENT
La Société internationale de néphrologie a publié, en 2012, des recommandations, pour la prise en charge de la
maladie de Berger17.
Aucun traitement n'est nécessaire en
l'absence de protéinurie, d'hypertension
artérielle, ou d'insuffisance rénale.
La mise sous un inhibiteur de l'enzyme
de conversion, ou d'un antagoniste des
récepteurs de l'angiotensine. II est prioritaire pour contrôler l'hypertension artérielle, ainsi qu'une protéinurie17.
Les corticoïdes peuvent entraîner une
réduction des lésions sur la biopsie rénale18 et sont réservés, avec les immunosuppresseurs, aux formes évolutives.
Certaines équipes proposent une amygdalectomie, dans l'hypothèse d'une origine infectieuse mais l'efficacité n'en est
pas démontrée5.
En cas d'insuffisance rénale, la transplantation rénale peut être proposée:
la maladie peut récidiver sur le greffon
dans un tiers des cas; mais, le plus souvent, sans conséquence19, le traitement
par corticoïdes étant susceptible de
diminuer le risque de récidive20.
Notes et références
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