Economie du Développement Références africaines.

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Economie du Développement Références africaines.
Economie du Développement
Références africaines.
Professeur Moustapha Kassé
Tome 2
1
ACRONYMES ET ABREVIATIONS
ACDI :
ACP :
ACR :
AFL :
AGOA :
AID :
AIE :
ALENA :
AOC :
APD :
APE :
ASEAN :
ATTAC :
Agence Canadienne de Développement International
Afrique, Caraïbes et Pacifique
Accords de Coopération Régionale
Acte final de Lagos
African Growth and Opportunity Act.
Association Internationale de Développement
Agence Internationale de l‟Énergie
Accord de Libre Échange Nord-Américain
Afrique de l'Ouest et du Centre
Aide Publique au Développement
Accords de Partenariat Économique
Association des Pays du Sud-Est Asiatique
Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l‟Aide
aux Citoyens
BAD :
Banque Africaine de Développement
BCE :
Banque Centrale Européenne
BCEAO :
Banque Centrale des États de l‟Afrique de l‟Ouest
BEI :
Banque Européenne d‟Investissement
BIRD :
Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement
BM :
Banque Mondiale
BRI :
Banque des Règlements Internationaux
BRVM :
Bourse des Valeurs Mobilières d‟Afrique de l‟Ouest
BVA :
Bourse des Valeurs d‟Abidjan
CAD :
Comité d‟Aide au Développement
CADTM : Comité pour l‟Annulation de la Dette du Tiers-monde
CAPC :
Centre Africain de Politique Commerciale, Projet de la CEA
CARPAS : Cadre de Référence pour les Politiques d‟Ajustement Structurel
CCCI :
Conseil Consultatif International sur le Coton
CEA :
Communauté Économique pour l‟Afrique de l‟Est
CEDEAO : Communauté Économique des Etats de l‟Afrique de l‟Ouest
CEEAC :
Communauté Économique des Etats de l‟Afrique Centrale
CEPAL :
Commission Économique pour l‟Amérique Latine et les Caraïbes
CEMAC : Communauté Économique et Monétaire de l‟Afrique Centrale
CEPGL :
Communauté Économique des Pays des Grands Lacs
CER :
Communautés Économiques Régionales
CN :
Comptabilité Nationale
CNUCED : Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement
CODESRIA : Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences sociales
en Afrique
COMESA : Marché Commun des Etats de l‟Afrique de l‟Est et de l‟Afrique Australe
CPCM :
Comité Consultatif Permanent du Maghreb
DIT :
Division Internationale du Travail
DRT :
Division Régionale du Travail
DSRP :
Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté
DTS :
Droits de Tirage Spéciaux
EBE :
Excédent Brut d‟Exploitation
ECOMOG: Economic Community of West African States Cease-Fire Monitoring
FAO :
Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture
2
FASR :
FBCF :
FCFA :
Facilité d‟Ajustement Structurel Renforcé
Formation Brute de Capital Fixe
Initialement Franc des Colonies Françaises d'Afrique actuellement
Franc de la Communauté Franco-Africaine.
FED :
Fonds Européen de Développement
FMI :
Fonds Monétaire International
FTN:
Firmes Transnationales
GATT:
General Agreement on Tariffs and Trade
GEAO :
Groupe Économique d‟Asie Orientale
IADM :
Initiative d‟Allègement de la Dette Multilatérale
IDE :
Investissement Direct Étranger
IDEP :
Institut Africain de Développement Économique et de Planification
IDH :
Indice du Développement Humain
IES :
Infrastructures Économiques et Sociales
IFAN :
Institut Fondamental d‟Afrique Noire
IFI :
Institutions Financières Internationales
IPE :
Industrialisation par Promotion des Exportations
ISI :
Industrialisation par Substitution aux Importations
MAP:
Millennium Partnership for the African Recovery Programme
MAEP :
Mécanisme Africain d‟Evaluation par les Pairs
MCA :
Millennium Challenge Account
MERCOSUR : Marché Commun Sud-américain
NEP :
Nouvelle Politique Économique
NEPAD : Nouveau Partenariat pour le Développement de l‟Afrique
NPI :
Nouveaux Pays Industrialisés
NOEI :
Nouvel Ordre Économique International
OCDE :
Organisation de Coopération pour le Développement Économique
OIT :
Organisation Internationale du Travail
OMC :
Organisation Mondiale pour le Commerce
OMD :
Objectifs du Millénaire pour le Développement
OGM :
Organismes Génétiques Modifiés
ONG :
Organisation Non Gouvernementale
ONU :
Organisation des Nations Unies
ONUDI :
Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel
OPEP :
Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole
OUA :
Organisation de l'Unité Africaine
PAB :
Plan d'Action de Beijing
PAC :
Politique Agricole Commune
PANPP :
Pays Africains Non Producteurs de Pétrole
PAL :
Plan d‟Action de Lagos
PAS :
Politiques d‟Ajustements Structurels
PAZF :
Pays Africains de la Zone Franc
PDB :
Produit Domestique Brut
PDN :
Produit Domestique Net
PED :
Pays en Développement
PIB :
Produit Intérieur Brut
PIN :
Produit Intérieur Net
PL :
Plus Value
PLOM :
Plan Omega
PMA :
Pays les Moins Avancés
3
PME :
PMI :
PNB :
PNUD :
PPA :
PPTE :
PSD :
PST :
PVD :
RN :
SACU :
SADC :
SEBC :
SFD :
SME :
SMI :
SMR :
SGP :
TCEN :
TCER :
TEE :
TEP :
TIC :
TPE :
TSA :
UA :
UDAA :
UE :
UEM :
UEMOA :
UFM :
UMA :
UNFPA :
USAID :
VAB :
VAN :
ZEP :
ZMO :
Petites et Moyennes Entreprises
Petites et Moyennes Industries
Produit National Brut
Programme des Nations Unies pour le Développement
Parité de Pouvoir d'achat
Pays Pauvres Très Endettés
Pays Sous-développés
Politique Scientifique et Technique
Pays en Voie de Développement
Revenu National
Union douanière d'Afrique Australe
Communauté pour le Développement de l‟Afrique Australe
Système Européen de Banques Centrales
Systèmes Financiers Décentralisés
Système Monétaire Européen
Système Monétaire International
Système Monétaire Régional
Système Généralisé de Préférences
Taux de Change Effectif Nominal
Taux de Change Effectif Réel
Tableau Économique d‟Ensemble
Tonne Équivalent Pétrole
Technologies de l‟Information et de la Communication
Taux de Protection Effective
Tous Sauf les Armes
Union Africaine
Union Douanière de l‟Afrique
Union Européenne
Union Économique et Monétaire
Union Économique et Monétaire Ouest-Africain
Union du Fleuve Mano
Union du Maghreb Arabe
Fonds des Nations Unis pour la Population
United States Aid
Valeur Ajoutée Brute
Valeur Actualisée Nette
Zone d‟Échanges Préférentiels
Zone Monétaire Optimale
4
5
Les difficultés actuelles de la plupart des pays africains dont les
manifestations les plus tangibles résident dans les déséquilibres économiques
et financiers chroniques et l‟accentuation des déficits vivriers, trouvent leur
origine lointaine dans les structures héritées de la colonisation que les
politiques et stratégies de développement post indépendance n‟ont pu modifier
profondément. Parmi les nombreuses caractéristiques économiques échues de
la colonisation qui ont induit des conséquences économiques et sociales trois,
au moins, méritent d‟être soulignées :
D‟abord le système d‟accumulation productive fondé sur la rente agricole et
minière continue d‟entraîner des distorsions structurelles très prononcées qui
se manifestent dans l‟accentuation de la spécialisation en faveur des activités
exportatrices (d‟origine agricole et minière) et le fonctionnement d‟un modèle
industrialisation en faveur de branches et techniques légères peu compétitive
et souvent destinée principalement au marché local;
Ensuite la formation d‟un déficit alimentaire aggravé par une démographie
galopante et une urbanisation accélérée ; ce déficit est la conséquence de la
quasi faillite des politiques agricoles qui ont favorisé les cultures de rente au
détriment des cultures vivrières1 et produit un exode rural massif constituant
la gangrène urbaine ;
L‟accentuation des défaillances de caractère macroéconomique (double déficit
de la balance des paiements et des finances publiques) et macro financiers
(inflation, endettement interne et externe) suite aux faibles performances des
systèmes productifs et à la précarité des bases de l‟accumulation productive
(déficit d‟épargne). Ces déficits se résolvent par recours à l‟endettement et aux
capitaux extérieurs, deux phénomènes qui font de l‟économie mondiale une
réalité ultime.
Les solutions, sous plusieurs angles, passent par la formulation et la mise en
œuvre de politiques économiques d‟accroissement de l‟offre de production
permettant la création d‟un flux abondant de richesses en vue de la réalisation du
bien-être des populations. Faut-il le rappeler, la politique économique est
précisément l‟ensemble des actions délibérées de l‟État qui visent à réaliser un
certain nombre d‟objectifs économiques et sociaux parmi lesquels figurent pour les
PSD, la croissance du PIB et du niveau de vie, l‟utilisation optimale des ressources
naturelles et de la main d‟œuvre, l‟équilibre des échanges et des paiements extérieurs,
la stabilité des prix. Dans cette optique, la politique est dite sectorielle ou encore
structurelle lorsqu‟elle porte sur des secteurs d‟activités comme l‟agriculture,
l‟industrie, les services, le commerce avec pour objectifs de rendre durablement plus
efficient l‟appareil productif sur une période longue qui peuvent modifier à moyen et
long terme le fonctionnement de l‟économie.
Les théories et les analyses, prenant appui sur l‟exemple des pays développés,
où l‟accumulation et la mobilisation du capital physique sont apparues comme les
facteurs décisifs du développement agricole et industriel, proposent des stratégies et
politiques économiques que doivent suivre les États pour élever le niveau de leurs
forces productives matérielles et humaines à partir d‟investissements massifs dans les
secteurs d‟activité porteurs de croissance comme les infrastructures de base,
l‟agriculture, l‟industrie, le tertiaire, la technologie etc.
Parmi les éléments caractéristiques de ces stratégies et politiques de
développement se détachent sans aucun doute, les politiques agricoles, industrielles
Le phénomène est bien connu : les pays produisent essentiellement ce qu‟ils ne consomment pas et
consomment conséquemment ce qu‟ils ne produisent pas.
1
6
et technologiques, la politique commerciale ainsi que la contribution de l‟État à la
création d‟un ensemble d‟externalités positives sans lesquelles ces diverses politiques
seront difficiles et beaucoup trop onéreuses pour les diverses entreprises privées et
publiques. Au demeurant, toutes ces politiques auxquelles s‟ajoutent le maintien
d‟une économie monétaire, bancaire et fiscale qui stimule le développement et élève
substantiellement les taux d‟épargne et d‟investissement, la diversification de la
production et les incitations pour l‟affluence des IDE, devraient permettre d‟asseoir
les bases d‟une économie moderne et d‟augmenter les surplus mobilisables pour le
financement des investissements productifs.
Au seuil du 21ème siècle, la production moyenne africaine était inférieure à ce
qu‟elle était 30 années auparavant. Selon la Banque mondiale, dans certains pays, elle
avait même chuté de plus de 50%. Dans de nombre d‟entre eux, les ressources
financières en chiffres absolus par habitant étaient plus faibles qu‟à la fin des années
60. La part africaine au commerce mondial a reculé et compte pour moins de 2%.
« De plus l‟Afrique est restée à la marge de l‟expansion industrielle et elle risque de
rater la Révolution informatique mondiale avec le creusement du fossé numérique.
Contrairement à d‟autres pays qui ont opté pour la diversification, la plupart des pays
africains demeurent en bonne partie des exportateurs de produits primaires. Ces pays
dépendent aussi de l‟aide et sont extrêmement endettés »2.
La quasi-totalité des pays africains, techniciens comme les décideurs
politiques adhèrent aux orientations et options faisant de l‟agriculture le secteur
prioritaire avec trois objectifs majeurs:
La formation de surplus pour alimenter le fonds d‟accumulation et contribuer
au financement des importations de biens d‟équipement et de consommation
intermédiaire ;
La couverture des besoins vivriers et autres biens destinés à d‟autres secteurs;
L‟élargissement du marché national par les revenus distribués aux producteurs
directs ;
La libération d‟une partie de la main d‟œuvre pour d‟autres activités suite à un
accroissement de la productivité du travail par actif rural et par surface cultivé.
L‟ampleur actuelle du retard des PSD est liée dans une très grande mesure à
des facteurs démographiques qui compliquent considérablement les problèmes avec
un doublement de la population tous les 20 ans. La population augmente et demeure
principalement rurale, l‟intensification de l‟agriculture est extrêmement lente dans la
plupart des PSD. Le retard de l‟agriculture entraîne à son tour une pénurie aiguë de
produits alimentaires que les pays doivent importer en quantités croissantes. Cette
aggravation du problème alimentaire a aussi une incidence négative sur
l‟industrialisation car premièrement, une part toujours plus importante des recettes
en devises est employée à l‟achat de produits alimentaires à l‟extérieur et,
deuxièmement, la nécessité d‟accroître la production agricole nationale restreint les
investissements dans l‟industrie. Le problème alimentaire concerne avant tout le
monde sous-développé où des millions de personnes souffrent de la sousalimentation et de la disette. Certains États disposent de richissimes ressources
minérales et énergétiques et possèdent en même temps une base extrêmement
restreinte de croissance économique avec un niveau scientifique et technique
extrêmement bas. Malgré leurs immenses richesses les populations les États ne
profitent pas des acquis de la Révolution Scientifique et Technique. La dynamique de
la productivité du travail n‟est pas non plus à l‟avantage des PSD. La part de ces pays
dans les dépenses de recherche développement n‟est qu‟un peu plus de 4%.
2
Banque mondiale : L‟Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle p.11
7
L‟agriculture se voit impartir des fonctions socio économique exorbitantes et
pour les réaliser des réformes profondes du secteur s‟avèrent indispensables. Il y a un
peu plus d‟une quarantaine d‟années, la situation alimentaire était catastrophique en
Asie suite à une gestion désastreuse du secteur agricole et largement excédentaire en
Afrique. Aujourd‟hui, elle s‟est totalement inversée avec « des greniers pleins en Asie
et vides en Afrique. Cette nouvelle donne a une triple signification : elle est un cri
d‟alarme, une mise en garde et un massage d‟espoir. En une quarantaine d‟années,
l‟Asie a entrepris d‟immenses réformes agraires et mis en culture 70 millions
d‟hectares, exactement l‟équivalent des terres cultivées en Afrique. Cette production
céréalière a augmenté de 175% dans la période alors que celle de l‟Afrique s‟est accrue
de seulement 17%.
Toutefois, les performances asiatiques apportent la preuve que l‟Afrique qui a
plus de dotations factorielles peut s‟en sortir à condition de mettre en œuvre des
stratégies vigoureuses de développement agricole3. Cela suppose entre autres
mesures : moderniser les méthodes culturales, implanter un régime de prix incitatifs,
conserver dans les zones rurales une offre illimitée de main d‟œuvre qui doit
contribuer à maintenir les salaires à un niveau très bas, créer un module de
développement et une forme de distribution qui permette de transférer une partie des
surplus vers les villes et enfin accélérer la formation et l‟expansion du marché
intérieur, à travers une offre croissante de multiples produits commerciaux.
Qu‟en est-il de l‟industrialisation que la théorie économique désigne comme la
voie royale de création de capacités productives ? Les théories économiques tentent
d‟établir que l‟industrialisation doit être un objectif majeur car elle autorise : la
valorisation des matières premières locales, et partant, l‟accroissement de la valeur
ajoutée pour la quasi-totalité des agents économiques, la résorption du sous emploi,
et une augmentation du savoir faire, du savoir quoi faire des acteurs. Toutefois,
compte tenu du stock limité des capitaux physiques et humains, de la diversification
des tissus industriels et des nouvelles spécialisations, des formes multiples de
délocalisation, la question qui se pose est de savoir quel modèle d‟industrialisation
adopter ?4 La question est d‟autant plus importante que le modèle d‟import
substitution a produit de médiocres résultats avec de faibles liaisons avec les autres
secteurs notamment l‟agriculture. La réponse asiatique a été la réalisation d‟une
transition de l‟Industrialisation de substitution aux importations à l‟industrialisation
par promotion des exportations. Comment réaliser les principales articulations :
Agriculture/industrie, Industries légères/industries lourdes, Techniques fortes
consommatrices de main d‟œuvre /techniques à forts coefficients capitalistiques ?
Un volet important du développement concerne la politique technologique qui
est une question transversale. En fait les innovations technologiques de plus en plus
nombreuses et rapprochées bouleversent complètement les systèmes productifs et
modifient profondément les conditions de la compétitivité. Cela fait dire à
KONDRATIEF et J. SCHUMPETER
que ces révolutions techniques qui
apparaissaient une ou deux fois par siècle engendraient les grands cycles de la vie
économique. Dans cette période de mutations technologiques accélérées avec une
diffusion verticale rapide de la recherche vers l‟application et une diffusion
horizontale également rapide d‟un secteur à l‟autre, la question se pose pour les PSD
Moustapha KASSÉ : L‟État, le technicien et le banquier face aux défis du monde rural, Éditions NEA
Dakar, 1994
4 En voie d‟édition : Moustapha Kassé : l‟industrialisation est-elle encore possible ? Editeur : Presses
Universitaires du Sénégal
3
8
de savoir comment gérer cette nouvelle variable qui peut hâter le développement ou
alors les larguer complètement dans la compétition mondiale.
Cette Partie étudie aussi d‟autres politiques qui soutiennent les politiques
sectorielles à proprement parler comme la politique monétaire, la politique
commerciale et la politique de
recours à l‟endettement Extérieur, aux
Investissements Directs Étrangers et à l‟Aide Publique au Développement pour
combler le déficit de financement interne dû à la faiblesse de l‟épargne domestique.
9
CHAPITRE 15
L’AGRICULTURE PEUT-ELLE ETRE LE MOTEUR DE LA
CROISSANCE ET DU DÉVELOPPEMENT ?
Dans les premières étapes de l‟industrialisation, particulièrement en Europe
au
siècle, l‟agriculture a été le facteur primordial du développement économique
et social. Dans la plupart des pays, plus de la moitié de la population vivait
directement de l‟agriculture qui fournissait la partie essentielle de la production. Il est
donc évident que le développement global suppose et débute souvent avec le
développement de l‟agriculture. La génération d‟un surplus agricole (au-delà de ce
qui est nécessaire pour nourrir les travailleurs du secteur) a permis de financer
l‟industrialisation en lui fournissant les gains de devises. L‟expérience historique
montre d‟ailleurs que toutes les révolutions industrielles en Europe comme en Asie
ont été précédées par d‟importantes révolutions agraires. Plus près de nous, en Asie,
l‟agriculture se trouve à l‟origine de l‟industrialisation. Après avoir réalisé sa réforme
agraire, le Japon a transformé toutes ses colonies d‟Asie en colonies agricoles
productives et prioritairement en greniers à riz. L‟agriculture conditionnait les
investissements dans le secteur industriel naissant et bénéficiait d‟importantes
infrastructures de base : énergie hydro-électrique, infrastructures de transport et de
communication, infrastructures portuaires. Tout cela avait été précédé par une
confiscation des terres des hobereaux locaux par l‟administration coloniale. Après
leur libération, ces pays ont continué de faire de l‟agriculture la clef de leur stratégie
de développement. En définitive, les rendements agricoles ont souvent été supérieurs
au croît démographique, ce qui n‟est pas le cas en Afrique.
Globalement dans les PSD, l‟agriculture occupe une place centrale et exerce
des fonctions importantes. Elle est souvent la principale source d‟activités
économiques et sociales et la plus grande pourvoyeuse d‟emplois grâce à une maind‟œuvre abondante et peu formée. Également, elle est la première source de revenus
dans les zones rurales où vivent encore actuellement la majorité des pauvres. En effet,
malgré cette importance capitale et ses multiples incidences sur le PIB, l‟emploi, et la
balance commerciale, les statistiques établissent d‟une part, que le niveau de vie de la
paysannerie reste encore très faible et qu‟il ne cesse de se détériorer et d‟autre part,
que les niveaux de productivité et le degré d‟utilisation des facteurs modernes de
production reste assez modeste.
En poussant un peu plus le constat, on s‟aperçoit que l‟agriculture africaine est
dans une situation encore plus grave : une crise larvée aussi bien au niveau du secteur
vivrier qu‟à celui des cultures de rente : baisse de la production alimentaire par tête
d‟habitant, diminution des exportations de produits de rente en volume et en valeur,
détérioration du niveau de vie des populations rurales complètement gagnées par la
pauvreté. L‟Afrique a remplacé l‟Asie et l‟Amérique Latine dans le recours à l‟aide
alimentaire. Un Rapport prospectif de la Banque mondiale (1990-2020) est encore
beaucoup plus pessimiste, puisqu‟il prévoit dans l‟intervalle le doublement des
importations alimentaires.
Ce tableau des indicateurs comparés des agricultures d‟Afrique, d‟Asie et
d‟Amérique Latine montre le retard de l‟Afrique par rapport aux deux autres
continents et il révèle surtout le manque de compétitivité de ce secteur dont
dépendent plus de 70% de sa population. La Banque mondiale résume la situation
comme suit : En Afrique, moins de 7 pour cent de la surface cultivée sont irrigués.
L‟achat d‟intrants y est limité de même que la mécanisation, les rendements de
céréales (reflet de la productivité des terres consacrées à la production céréalière
19ème
10
sont inférieur à la moitié de ceux qui sont observés dans d‟autres régions en
développement. Même dans le cas des tubercules et de la banane plantain qui
trouvent de bonnes conditions agro écologiques en Afrique, les rendements sont
inférieurs à ceux obtenus en Asie et en Amérique latine la productivité du travail n‟est
pas très forte en agriculture ; dans le passé, le produit marginal du travail a été à peu
près le même que le produit moyen, tandis qu‟en Asie et en Amérique Latine, le
produit moyen du travail est nettement supérieur au produit.
Encadre 1: Situation comparative de l’agriculture dans les 3 Continents
En Afrique, moins de 7 pour cent de la surface cultivée est irriguée, l‟achat
d‟intrants y est limité de même que la mécanisation, les rendements de céréales
(reflet de la productivité des terres consacrées à la production céréalière sont
inférieur à la moitié de ceux qui sont observés dans d‟autres régions en
développement. Même dans le cas des tubercules et de la banane plantain qui
trouvent de bonnes conditions agro écologiques en Afrique, les rendements sont
inférieurs à ceux obtenus en Asie et en Amérique latine la productivité du travail
n‟est pas très forte en agriculture ; dans le passé, le produit marginal du travail a été
à peu près le même que le produit moyen, tandis qu‟en Asie et en Amérique latine,
le produit moyen du travail est nettement supérieur au produit marginal
(DELGADO ET RANADE 1987). En 1988 Ŕ 92 le stock de capital agricole par
hectare de terre agricole en Afrique représentait environ le sixième de celui d‟Asie
et moins du quart de celui d‟Amérique latine (CNUCED 1998).La sous
capitalisation est liée au manque de compétitivité des produits africains sur les
marchés mondiaux. D‟autres facteurs viennent encore aggraver cette situation ;
coût élevé des transactions (AHMED ET RUSTAGI 1987 ; JAFFEE et MORTON
1995), faiblesse des institutions et des services de soutien (EICHER 1999) manque
de diversification et d‟intégration verticale (Delgado 1998b) en conséquence,
l‟agriculture africaine s‟est trouvée constamment marginalisée dans le commerce
mondial (NG ET YEATS 1996) Histoire et politiques.
L‟agriculture africaine est marquée par des siècles de mauvaises politiques et
d‟échecs sur le plan institutionnel, et elle porte un lourd passé d‟extraction des
ressources et d‟imposition fiscale dans les zones rurales. Les améliorations
apportées aux politiques entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1960
n‟ont pas eu d‟effets durables. Les distorsions ultérieures de ces politiques Ŕ sous la
forme d‟une évaluation des taux.
Source : Banque mondiale
L‟expérience montre que les agricultures des PSD n‟ont pas rempli les rôles
historiques qu‟elles ont tenus ailleurs en Europe, en Asie et même dans certains pays
d‟Amérique Latine. En résumé ce rôle se présente sous les fonctions suivantes :
la couverture des besoins vivriers d‟une population en augmentation rapide
(parfois à un taux supérieur à 2,5%) ;
la formation de surplus substantiels pour l‟élargissement de ses bases sociales
et matérielles, et le financement d‟autres secteurs comme l‟industrie ;
la libération d‟une partie de la main-d‟œuvre pour d‟autres secteurs par suite
d‟une augmentation de la productivité du travail agricole ;
la formation d‟une demande de biens industriels et de services.
11
La première fonction est la plus importante et elle consiste à répondre à la
demande de produits vivriers d‟une population croissante et fortement urbanisée et
disposant d‟un niveau de revenu par tête qui augmente. Dans ce cadre, une
production agricole stagnante entraînerait une hausse des prix alimentaires et pour
le secteur industriel une hausse des salaires, ce qui réduirait d‟autant plus le potentiel
d‟épargne et d‟investissement et accroîtrait les importations alimentaires Dans
pareille situation, les moyens en devises disponibles pour l‟achat par exemple de
biens d‟équipement industriel nécessaire à la poursuite de l‟industrialisation vont
diminuer. Cette situation se présente lorsque les conditions d‟existence et de travail
des paysans sont précaires, du fait de l‟archaïsme des méthodes et moyens de travail,
du faible niveau de mécanisation et d‟irrigation, du bas niveau d‟utilisation des
facteurs modernes de production agricole, de la faible diversification et
prédominance de la monoproduction de rente , de la faiblesse des marchés urbains et
de la faible consommation finale et intermédiaire de produits manufacturiers et de
l‟absence de liens avec l‟industrie.
Dans le cadre des PSD, le secteur vivrier est loin de répondre aux besoins en
biens alimentaires d‟une population en expansion rapide et d‟une urbanisation
accélérée. Ce déséquilibre en Afrique est à la base d‟une crise alimentaire aggravée
par des facteurs liés aux instabilités de la nature (les sécheresses, les inondations, le
péril acridien, et d‟autres calamités) et ceux découlant de la détérioration des espaces
politiques avec les guerres civiles et les divers conflits qui affectent principalement
les populations rurales (déportés et déplacés). À cela viendra s‟ajouter le modèle de
consommation des villes qui porte principalement sur des biens importés et non
produits par les systèmes agraires locaux (riz, blé et autres céréales).
Quant à la deuxième fonction, elle est relative aux surplus provenant des
agricultures. Ils sont déprimés d‟abord par le niveau peu rémunérateur des prix
agricoles souvent fixés par les administrations publiques. Les paysans sont purement
et simplement spoliés par les diverses officines de commercialisation privées ou
publiques.
La différence entre le prix d‟achat aux paysans et le prix de
commercialisation extérieure est souvent importante. Elle se répartit entre les coûts
d‟usinage et de transport, les marges de commercialisation et autres prélèvements
des intermédiaires. Les producteurs directs finissent par ne percevoir qu‟environ les
2/5 du prix d‟achat.
La troisième fonction concerne la libération de l‟excédent de main-d‟œuvre qui
relève d‟une logique toute spécifique car elle n‟est pas commandée par une élévation
de la productivité du travail agricole. En effet dans le cas des pays développés,
l‟agriculture familiale a été modernisée à un moment où l'industrie et l'économie
urbaine étaient en pleine expansion et pouvaient absorber sans difficulté les surplus
de main d'œuvre d‟origine rurale. Également à cette période, il était possible de
protéger le marché national et de subventionner l‟agriculture. Aujourd‟hui, du fait des
accords internationaux signés avec les Institutions Financières Internationales, les
États ne peuvent plus utiliser certains instruments de politique économique, ni
continuer à soutenir et orienter de façon efficace l'agriculture et le monde rural.
Conformément à leurs engagements internationaux, les États suppriment les
subventions sur les intrants, les mécanismes de péréquation et de garantie des prix
agricoles, éliminent les barrières non tarifaires à l'importation et baissent ou
suppriment les droits perçus à l'importation de certains produits. En toute
conséquence, la détérioration des conditions du travail agricole entraîne une
demande de plus en plus forte d'activités et d'emplois non agricoles en milieu rural
pour une population qui continue de croître. Cela crée le chômage endémique qui
12
pousse à un exode rural massif vers les centres urbains, la pauvreté urbaine étant
plus attrayante que la pauvreté rurale.5.
Enfin la quatrième fonction a trait à l‟élargissement du marché intérieur par
les achats provenant de la population rurale. Seulement, la campagne africaine est
aujourd‟hui, le siège de la pauvreté absolue qui fait que la demande rurale de biens de
consommation, au regard de la faiblesse des revenus, est extrêmement étroite. De
plus, on observe dans le monde rural africain un changement des habitudes de
consommation en faveur des biens importés.6 Comme cela a été souvent répété
(peut-être de manière simpliste), le riz et le blé sont en train de chasser, jusque dans
les campagnes, les céréales et tubercules cultivés localement.7 À ce constat, diverses
explications ont été proposées comme les faibles cours mondiaux, l‟insuffisance des
productions céréalières locales, les effets pervers de l‟assistance alimentaire
Toutes ces restrictions observées sont souvent la preuve de l‟échec des
politiques agricoles et ce, malgré de nombreuses réformes structurelles et divers
aménagements entrepris par les États africains : politique d‟ajustement du secteur
agricole, socialisation et collectivisation des campagnes ; peu importe : les résultats
dans les deux cas sont simplement décevants. En effet, ces politiques n‟ont pas réussi
à réduire la pauvreté de masse, le chômage et les inégalités. Il est vrai que des
réformes, si volontaristes et si pertinentes qu‟elles soient, ne sauraient remplacer une
politique agraire assise sur des options claires appuyées par des institutions
pertinentes de mise en œuvre. Quelles sont ces réformes entreprises et quelles sont
leurs limites effectives ?
Section 1 : Les médiocres résultats des réformes du secteur
agricole.
Dans les PSD, la terre représente la principale source de richesse et la source
du pouvoir économique, politique et social. Dans ces conditions, le système de tenure
tend à refléter les rapports de production et les structures de classe. Dès lors, sa
restructuration, sa répartition par des règles et procédures vont impliquer des
changements dans la position économique, politique et sociale des individus ou de
certains des groupes dominants au sein de la société. Dans cette optique, l‟un des
premiers éléments de toute réforme agraire sera d‟apporter des modifications
significatives et substantielles dans le système de tenure, le régime de propriété et de
contrôle des terres ainsi que des ressources en eau. Ces modifications sont posées
comme préalables à la création d‟emploi et à la redistribution du revenu qui sont
devenues des nécessités urgentes.
En effet, deux mesures sont souvent considérées comme les préalables à toute
réforme agraire : d‟une part l‟expropriation des grandes propriétés et la redistribution
des terres aux cultivateurs individuels et d‟autre part la collectivisation des terres
issues de l‟expropriation. Dans le premier cas la réforme est d‟obédience libérale et se
Le cas du Sénégal, assez symptomatique, est analysé dans mon ouvrage : L‟État, le Banquier et le
Technicien face au monde rural sénégalais » (Édit.NEA, 1992). Dans le cas qui nous intéresse,
l‟application des Programmes d‟ajustement Agricole (PASA) a produit deux résultats intangibles et
paradoxaux : un recul net des deux principales cultures d'exportation (l‟arachide et le coton) et une
progression rapide des importations de produits alimentaires pour combler le creusement du déficit
vivrier.
6 En Afrique de l‟Ouest par exemple, la consommation de riz est en train de se généraliser au point de
remplacer les céréales et les féculents locaux.
7 Cette opinion doit être nuancée car ces deux biens alimentaires sont introduits différemment du
point de vue quantitatif selon les pays et les régions.
5
13
propose d‟exploiter toutes les potentialités du capitalisme agraire ; dans l‟autre cas la
réforme est d‟inspiration socialiste et s‟appuie
sur la collectivisation et la
socialisation de l‟agriculture avec une forte intervention de l‟État. Il importe alors
d‟analyser ces deux modes d‟organisation du monde rural et d‟évaluer leurs
performances et surtout leurs capacités à transformer économiquement et
socialement le monde rural africain.
I/ Les modes d’organisation et de transformation inspirés de principes
du libéralisme donnent encore de médiocres résultats.
La vision libérale a pour objectifs majeurs la mise en place d‟une organisation
qui permette l‟établissement dans les campagnes de rapports de production et de
travail capitalistes ainsi que l‟organisation de marchés libres. Ces orientations
devraient se traduire par :
la généralisation de la forme privative d‟appropriation des terres orientée vers
la recherche de la rentabilité de l‟exploitation agricole que celle-ci soit de petite
ou de grande taille ;
l‟introduction de combinaisons de facteurs de production tournées vers
l‟efficacité et le profit : investissements en capital, en technologie et en travail
qualifié ;
la formation d‟un salariat agricole.
Si de telles conditions étaient réunies, le capitalisme s‟instaurerait pour
impulser dans les campagnes son dynamisme propre et son mode de reproduction.
Pour les libéraux, cette forme de développement agricole est mieux à même
d‟exploiter toutes les opportunités et de valoriser les capacités humaines pour rendre
possible la réduction de la pauvreté de masse, du chômage et des inégalités
particulièrement entre villes et campagnes. Si bien que toute réforme dans le secteur
agricole soulève les questions comme : qu‟est-il advenu de la pauvreté, du chômage et
des inégalités ? Le comportement de ces indicateurs (réduction de la pauvreté, du
sous-emploi, et accroissement des revenus), permet de juger positivement ou non les
performances du développement agricole. Ainsi, si un ou deux de ces indicateurs
arrive à s‟aggraver, et tout particulièrement s‟il en est ainsi des trois, alors il paraîtra
hasardeux de qualifier le résultat de positif, même lorsque la croissance économique
du pays (ou son revenu per capita) est appréciable.
Les Réformes libérales introduites dans les campagnes ont presque toutes
comme objectifs principaux l‟amélioration de ces indicateurs de performance. Il est
bien évident que le développement global suppose et doit souvent débuter avec celui
de l‟agriculture qui constitue l‟activité majeure de la plus grande partie de la
population (entre 40 et 70%). Sans la production d‟un surplus agricole (au-delà de ce
qui est nécessaire pour nourrir les travailleurs de l‟agriculture), l‟industrialisation ne
peut continuer en l‟absence de sources alternatives de gains de devises. Il est donc
attendu de l‟agriculture qu‟elle remplisse les fonctions motrices dans le
développement économique et social en répondant, entre autres, aux besoins vivriers
d‟une population en expansion rapide et d‟une urbanisation accélérée.
Les régimes de propriété de la terre et les réformes de ces derniers constituent
un volet important de toute réforme agraire. Alors les systèmes de tenure
comprennent tous les arrangements légaux ou contractuels par lesquels la population
des campagnes a accès aux opportunités de productivité de la terre. Il reflète les
règles et procédures qui gouvernent les droits, devoirs, libertés et positions des
individus et des groupes dans l‟usage et le contrôle des ressources de base de la terre
14
et de l‟eau. En fait, ils commandent aussi bien l‟utilisation des facteurs de production
(capital, travail et technologie), l‟emploi, que la distribution des revenus dans le
secteur agricole. Ils influencent le processus de formation des prix sur les marchés
agricoles et le recours au crédit (sûreté).
Les formes privatives introduites par les changements significatifs et
substantiels dans les systèmes de tenure devraient se traduire en fait, par
l‟amélioration des perspectives d‟augmentation de la production et de la productivité
et pour autant que soient créées les conditions permettant l‟augmentation des
investissements et du travail à travers une distribution plus équitable. Par ailleurs,
cette libéralisation doit être facilitée par les services de support à l‟agriculture : crédit
agricole, commercialisation, recherche, offre d‟inputs, transformation et stockage.
Ainsi, pour réussir, la réforme doit être complétée par la mise en œuvre d‟une
infrastructure importante dans les domaines de l‟énergie hydro-électrique, des
transports, des communications, et des infrastructures routières et portuaires.
Cependant, l‟analyse de la quasi-totalité des agricultures africaines montre un
mauvais comportement des indicateurs de performance, ce qui dénote les insuccès
des réformes introduites : perpétuation du dualisme avec la coexistence d‟un soussecteur dit moderne où évoluent les rapports capitalistes de production et un soussecteur traditionnel archaïque. Les bases du premier sont extrêmement réduites et ne
manifestent aucune tendance à l‟exclusivité, même s‟il arrive parfois que des
propriétaires fonciers se transmutent en capitalistes agraires et utilisent des salariés
agricoles, alors que le second sous-secteur est régénérateur de formes précapitalistes
avec des méthodes et techniques de production peu productives.
II/ Les formes de collectivisation de l’agriculture ne font guère mieux :
inefficacité de l’intervention massive de l’État et du Mouvement
coopératif.
Les pays qui ont appliqué ces réformes avaient pour base doctrinale que
l‟édification d‟une société moderne devait s‟appuyer sur le développement prioritaire
de l‟agriculture qui est le premier foyer de l‟accumulation productive. Pour l‟État, il
s‟agissait d‟extorquer la rente d‟origine agricole et minière par des mécanismes
divers (fiscalité, termes de l‟échange interne, manipulation monétaire et fixation des
prix agricoles).
1°) intervention massive des États par le biais d’un secteur public
rural devant permettre un contrôle total sur la production et la
commercialisation.
Les réformes inspirées des principes des divers socialismes sont largement
minoritaires en Afrique. Progressivement, et à juste titre, les États s‟installent au
cœur du système rural en mettant en place un vaste réseau de sociétés d‟intervention
pour réaliser les axes de la politique agraire. On va alors assister, partout en Afrique,
à la prolifération des sociétés publiques dans les domaines des services de support à
l‟agriculture : crédit agricole, commercialisation, recherche, offre d‟inputs (engrais,
produits phytosanitaires, semences, recherche et vulgarisation), transformation et
stockage, gestion de l‟aide alimentaire. Elles sont chargées de promouvoir le
développement rural, d‟encadrer les paysans et de diffuser les technologies
susceptibles d‟améliorer la productivité du travail et les rendements. Toutefois, au fil
des années, elles vont connaître des problèmes à la fois financiers, techniques et
15
sociaux suite parfois à des gestions bureaucratiques inefficientes. Elles deviendront
des gouffres financiers qui grèveront lourdement les finances publiques. Elles seront
les premières victimes de l‟ajustement structurel. Dans les pays où elles ont été mises
en fonctionnement, la Banque mondiale et le FMI ont exigé systématiquement leur
démantèlement.
Cette option d‟une gestion socialiste de l‟agriculture a toujours été
accompagnée par l‟impulsion d‟un Mouvement Coopératif dont il faut analyser les
grandes lignes, bien qu‟il n‟existe pas en Afrique un modèle unique.
2°) Le mouvement coopératif
Dans la plupart des réformes d‟inspiration socialiste les paysans sont
regroupés dans des coopératives de production ou de commercialisation. La société
coopérative est un moyen par lequel les faibles producteurs cherchent à se défendre
en se groupant. Aussi l‟adhésion à la coopérative doit être libre et la gestion de
l‟organisme démocratique ; il doit y avoir une répartition équitable des fruits mais
aussi des risques de l‟entreprise. L‟édification d‟un système coopératif autonome n‟a
pas été à l‟origine un mouvement spontané des paysans.
Le mouvement a été souvent organisé, structuré et surtout contrôlé par les
États dans le but de se substituer aux anciennes compagnies coloniales qui avaient le
monopole de la distribution, de l‟approvisionnement et de la commercialisation des
produits agricoles. Dans beaucoup de pays, la structure coopérative, dans sa
conception comme dans sa structuration et son fonctionnement s‟apparentait plus à
un rouage de l‟administration publique qu‟à une organisation de solidarité et de
responsabilisation de producteurs librement associés. Le mouvement s‟est largement
étendu à beaucoup de pays quelle que soient leurs options idéologiques. Cela procède
d‟une volonté d‟exercer un contrôle intégral sur toute la production et la
commercialisation des produits agricoles.
Cette intervention massive de l‟État a conduit à l‟affaiblissement du mouvement
coopératif en Afrique. Toutefois, un exemple intéressant de regroupements collectifs
dans l‟agriculture a été celui établi en Tanzanie dans les années 60. La politique de
base est « la villagisation » ou UJAMAA qui a trait au concept traditionnel de
coopération communale et de partage. L‟Ujamaa constitue autant une unité
économique qu‟un mode de vie, ou une entité politique. Les principaux aspects des
orientations sont les suivants :
La technologie moderne, le renforcement de la production, l‟augmentation des
revenus, rendue possible par les nouvelles techniques sont désirables mais un
système d‟organisation s‟impose si l‟on veut éviter l‟aggravation des inégalités
qu‟engendre le processus de modernisation quand il est abandonné aux seules
forces du marché ;
La population doit être distribuée dans l‟espace de façon à assurer les services
et les qualifications nécessaires à une agriculture moderne : éducation, santé,
assistance technique, commercialisation et crédit. Une telle distribution
favoriserait l‟établissement de petites industries dans les zones rurales ;
La « villagisation » avec la réduction des inégalités qu‟elle entraîne, réduit les
migrations rurales-urbaines. Cette politique devrait introduire deux
changements fondamentaux dans le système traditionnel : les mouvements
physiques de population et le fonctionnement communal d‟entreprises.
Pour réussir, la coopération doit reposer sur un des principes clairement
définis qui doivent assurer :
16
une gestion démocratique des unités coopératives qui se manifesterait dans
l‟élection des organes dirigeants, le contrôle du fonctionnement et des
finances ;
une liberté totale et absolue d‟adhésion ou non à la coopérative sans aucune
espèce d‟obligation ou de contrainte ; cela permet l‟instauration d‟une
compétition stimulante entre les coopératives et d‟autres formes
d‟exploitation ; la coopération est condamnée à faire preuve de sa supériorité
d‟organisation et d‟efficience ou disparaître dans le cas contraire ;
un bénéfice mutuel qui permet de régler les intérêts de la coopérative en tant
que personne morale et ceux de ses membres ; il est donc question des
conditions de formation et de répartition du fonds d‟accumulation, mais aussi
de la rémunération de la force du travail. Dans ce domaine aussi, la
coopération doit faire la preuve qu‟elle offre, à court ou moyen terme, des
ressources financières ou matérielles plus importantes.
La coopérative est souhaitée car on estime qu‟elle est une forme d‟organisation
plus efficiente permettant une meilleure valorisation de la production et du travail
agricoles. Les interventions publiques d‟encouragement et d‟assistance au
mouvement coopératif procèdent de la conviction qu‟au plan socioéconomique
l‟exploitation coopérative est supérieure à la petite exploitation individuelle et par
ailleurs, qu‟elle peut rendre ces avantages accessibles à la grande majorité des
paysans. Par sa dimension et la libération du producteur, l‟exploitation coopérative
permet la réalisation plus efficiente des facteurs modernes de production et une
division sociale du travail favorable à une élévation de la productivité. Ce cadre
structurel réalise les meilleures conditions de génération d‟un surplus beaucoup plus
important pouvant être utilisé pour des réinvestissements internes pour améliorer les
instruments de production ou améliorer le niveau de vie des coopérateurs.
En somme, une coopération menée avec clairvoyance et lucidité à partir
d‟objectifs matériels, clairs, accessibles et acceptés par les paysans, constitue le
meilleur moyen, la voie la plus simple pour lever les obstacles et les contraintes
relatifs à l‟instauration d‟une agriculture moderne et efficace capable de répondre à la
demande croissante en produits vivriers et en matières premières pour les agroindustries. Cependant, dans la quasi-totalité des pays sous-développés, les politiques
agraires devront opérer des réorientations de la production agricole dans une double
direction d‟un abandon progressif des monocultures de rente destinées à
l‟exportation et d‟un développement de nouvelles productions permettant de
satisfaire les besoins internes.
III/ Les résultats des réformes
Beaucoup d‟études relatives aux agricultures africaines sous le régime de la
réforme depuis un quart de siècle établissent un bilan assez mitigé. Relativement aux
fonctions attendues de l‟agriculture qui occupe en Afrique entre 40 et 70% de la
population et fournit parfois jusqu‟à 90% du PIB. C‟est aussi le secteur qui offre le
plus d‟emplois.
Des réformes agraires, un ensemble d‟effets sont attendus. D‟abord elles
doivent rendre le secteur capable de couvrir les besoins vivriers en augmentation
rapide, d‟augmenter l‟emploi, d‟influer positivement sur les investissements et la
productivité et d‟accroître les revenus des producteurs ruraux. Malgré les
nombreuses réformes adoptées et appliquées dans la plupart des pays, les résultats
17
globaux dans le domaine de l‟alimentation et de l‟emploi ont été décevants. Beaucoup
d‟indicateurs évoqués se sont détériorés de manière notable.
Au niveau de l‟alimentation par exemple, des études récentes montrent que la
production alimentaire par habitant a augmenté au taux négatif de 0,52% par an
entre 1981 et 1989. Pour l‟ensemble du continent la perte totale de céréales par
rapport à la production a augmenté légèrement, passant de 13,5% en 1983 à 13,8% en
1989 pour atteindre 14% en 20008. En fait, l‟accroissement démographique s‟est
combiné à la stagnation de la production alimentaire et agricole ; il en est résulté une
augmentation de la facture d‟importations céréalières faisant reculer l‟horizon de
l‟autosuffisance alimentaire. Entre 1981 et 1989, les importations alimentaires
africaines ont été en moyenne de 11,8 milliards de dollars et si les tendances actuelles
se poursuivent, elles atteindraient 21 milliards de dollars en 2010 (en prix constants).
Dans la même période les recettes d‟exportations de produits agricoles seraient au
mieux de 12 milliards de dollars. Le moins que l‟on puisse dire est que la production
vivrière s‟accroît moins vite que la population dont la demande alimentaire se
diversifie en faveur des biens alimentaires importés et de l‟aide alimentaire.
En 2002, 2003 et 2004, l‟agriculture africaine a enregistré quelques embellies
avec des taux de croissance respectifs de 2,7%, 3,8% et 5% supérieurs à ceux de la
population. Toutefois, il semble que l‟amélioration des cours mondiaux des produits
agricoles soit l‟une des raisons principales. Sinon, la production a été stagnante avec
des déclins dans certaines régions : Afrique Australe, Centrale et de l‟Ouest suite à la
mauvaise qualité des politiques agraires, aux fléaux naturels (sécheresse, invasion de
criquets) et politiques (afflux de réfugiés et de déportés).
En prenant l‟emploi, l‟exode rural est la meilleure preuve d‟une double
dégradation des revenus et de l‟emploi. La tendance à abandonner les campagnes est
un phénomène cumulatif. Dans la plupart des pays, le système productif est
rudimentaire et repose sur de petites exploitations familiales et paysannes qui
demandent peu de main d‟œuvre pour accomplir les principales tâches de
production. Il va s‟en suivre une réduction de la force de travail des familles
paysannes non compensées par une amélioration et une modernisation des moyens
de production et d‟accroissement de la productivité. C‟est le processus infernal
d‟exode rural aggravé par l‟explosion démographique caractéristique des PSD. À cela
viendra s‟ajouter comme fait aggravant la détérioration des revenus des paysans ce
qu‟exprime de manière significative Louis SANMARCO « Pendant qu‟Abidjan se
transformait à vue d‟œil triomphante dans ses gratte-ciels et ses nombreux
embouteillages tentaculaires dans ses bidonvilles, les villageois dans l‟ensemble ne
changeaient guère, habitant les mêmes paillotes, vivant des mêmes menus, dans les
mêmes habits. À peine paraissaient-ils dans l‟ensemble plus vieux»9. La situation est
la même pour toutes les capitales africaines ?
IV/ les raisons des contre performances des réformes dans l’agriculture
À l‟évidence, les réformes entreprises, quel que soit leur soubassement
doctrinal, ont produit de médiocres performances globales. L‟organisation libérale de
l‟économie rurale basée sur la petite exploitation familiale et la propriété privée de la
En prenant l‟Afrique de l‟Ouest, la production par tête était dans les années de 20 à 25% inférieure à
celle des années 60. Seulement 1% de la production mondiale de céréales est récoltée en Afrique de
l‟Ouest et% pour l‟ensemble du continent.
9 L.SANMARCO : Le monde rural sacrifié : De l‟injustice au risque écologique Afrique Contemporaine
n°164 nov-déc. 1992
8
18
terre n‟a permis ni la diversification et l‟accroissement de la production, ni
l‟augmentation des investissements, ni la réduction substantielle des grandes
inégalités existantes dans la plupart des PSD. Le système collectif, bien que
fournissant une garantie plus grande contre la réapparition des inégalités
susceptibles d‟émerger dans un système où prédominent la propriété privée et les
fermes familiales, présente à son tour certaines difficultés : le processus décisionnel
y est plus complexe et rend difficile la formation de capacités d‟entreprise potentielles
et la libération des initiatives individuelles.
Ces résultats s‟expliquent par plusieurs séries de raison que l‟on peut
regrouper en deux: celles qui sont internes à l‟agriculture et les secondes qui sont
externes.
1°) Les raisons internes
Elles se définissent comme un ensemble de facteurs internes à l‟agriculture qui
bloquent l‟instauration et le développement de rapports de production capitalistes
efficients à savoir :
L’abondance de la terre et les formes traditionnelles de son
appropriation sociale. C‟est un trait important qui explique que le paysan peut
échapper à toute forme de domination et d‟exploitation qui s‟établirait à partir du
contrôle sur le moyen de production que constitue la terre. Cette perspective
d‟autonomie du paysan individuel se renforce par le fait qu‟il a toujours la possibilité
de développer des cultures destinées à sa consommation personnelle. Dans des
économies non intégralement monétarisées, la culture de rente est un «complément
de revenu». L‟Exploitation n‟est donc pas une fatalité.10
L’exploitation familiale dans des formes traditionnelles de
production se fait aux moindres coûts pour le marché mondial. Ce facteur
établit que la production agricole se déroule dans des conditions sociales spécifiques
d‟une reproduction traditionnelle de la force de travail. Une main d‟œuvre nourrie au
mil, maïs et manioc coûte certainement moins chère que celle nourrie au beefsteak.
En conséquence, faisant jouer exclusivement la logique du profit, les consommateurs
externes gagnent au maintien des exploitations familiales archaïques dans lesquelles
la reproduction de la force du travail s‟effectue aux moindres coûts.
L’instabilité des écosystèmes et les contraintes naturelles
accroissent les risques pour l’investissement privé. Les investissements ont
besoin de conditions de valorisation marquées du sceau de la stabilité et du moindre
risque ce qui raccourcissent d‟autant les délais de récupération des capitaux engagés
et garantissent la rentabilité. Cette logique détermine, de façon générale, le choix des
branches d‟intervention. Or, à y réfléchir de près, on s‟aperçoit que les contraintes
naturelles ne permettent pas la réalisation de cette logique. Les instabilités liées aux
phénomènes naturels récurrents et incontrôlables accroissent les risques des
investissements dans le secteur agricole. C‟est dire que l‟ampleur des risques ne
milite pas en faveur d‟une implantation du capitalisme dans un milieu naturel
caractérisé par son extrême fragilité et son instabilité. Même au cas où le capitaliste
voudrait contourner ces difficultés, il se trouverait dans l‟obligation d‟engager de
lourdes charges d‟infrastructures qui augmenteraient ses coûts de production et
partant amoindriraient le niveau global de ses profits sous contrainte d‟un marché
extérieur favorable.
Cette phrase est prêtée à CHE GUEVARA par Amath DANSOKHO lors d‟une rencontre à Alger avec
des Révolutionnaires africains après sa fameuse tournée clandestine en Afrique (1965).
10
19
Incontestablement, ces trois séries de raison expliquent, certainement en
partie, les restrictions et le blocage de l‟expansion des rapports de production
capitaliste dans les campagnes. Il s‟y ajoute d‟autres raisons de nature externe au
secteur agricole.
2°) Les raisons externes
On peut repérer un certain nombre d‟obstacles externes qui s‟opposent à
l‟extension des bases mêmes du capitalisme dans les campagnes :
Les diverses formes d‟extorsion, de mobilisation et d‟utilisation improductive
des surplus issus de la rente agricole ne permettent pas la formation d‟une base
autonome d‟accumulation pour l‟investissement et l‟élévation de la productivité
sectorielle. Tout un arsenal de mesures comme la répartition inégalitaire des revenus
et les diverses ponctions réalisées par différents agents (État, usuriers, marchands)
ne laisse que de faibles surplus aux producteurs agricoles qui ne peuvent disposer de
moyens financiers pour améliorer les conditions matérielles d‟existence et de travail.
Ces surplus ponctionnés se dirigent généralement vers des activités de nature
improductive notamment la spéculation immobilière et commerciale. Ces
mécanismes de ponction doivent être soulignés car certains persistent encore :
impôts, prix administrés, prêts usuraires, termes de l‟échange interne défavorables à
l‟agriculture, etc.
La dégradation des termes de l‟échange interne et la fixation administrative
des prix profitent aux secteurs non agricoles et aux États. Cet aspect est d‟une
importance capitale. Il montre que des ressources financières substantielles sont
extorquées aux producteurs par le rapport de prix des produits industriels et agricoles
défavorables à l‟agriculture. Un exemple : sur 2 ans, nous avons eu une augmentation
du prix du coton de 6% et une augmentation du prix d‟un mètre de tissu de 16%. Le
paysan achetant le tissu subventionne l‟industrie du textile. Le problème est qu‟aucun
capitaliste n‟accepterait de s‟insérer dans un tel rapport inégal qui l‟oblige à
transférer, tout ou partie, de ses profits à un autre agent économique !
Il est bien connu que les monopoles légaux de commercialisation des prix
agricoles, d‟ailleurs n‟obéissent pas toujours à des motifs économiques et participent
presque toujours à l‟exploitation de la paysannerie. Le biais des prix permet aux
États de retirer une bonne partie de leurs ressources financières pour le budget de la
masse salariale. C‟est dire que le caractère irréaliste de la politique des prix est l‟une
des causes fondamentales de l‟échec de la politique agricole et notamment vivrière. À
cause des ponctions, les prix aux producteurs ne sont pas incitateurs. Contrairement
aux idées largement répandues d‟une prétendue incapacité des paysans à répondre
aux « messages » du marché, des études ponctuelles sur l‟Afrique ont révélé une
« très grande élasticité de la production agricole africaine par rapport aux
modifications du système de prix et même par rapport aux variations de prix
relatifs »11. À la suite des travaux de M. Nerlove et de T. W. Schultz12, il est clairement
établi que l‟offre agricole réagit positivement aux augmentations des prix.
Cependant, l‟élasticité-prix de l‟offre étant parfois très élevée, il convient de moduler
dans la pratique les hausses de prix aux producteurs. En effet, un relèvement
substantiel des prix aux producteurs qui serait trop brusque pourrait engendrer une
spéculation extensive par la valorisation du capital financier par de « faux
Banque Mondiale. Le développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara, 1981.
M. Nerlove, The dynamics of supply : estimation of farmers‟s response to price. J. Hopkins, 1958
T.W. Schultzn Transforming traditional agriculture, Yale University, 1964.
11
12
20
agriculteurs », ce qui, au terme, risquerait de peser de façon anormale sur les prix à la
consommation populaire et transformer une grande partie des paysans en ouvriers
agricoles sur leurs propres terres remettant ainsi en cause l‟ensemble de la stratégie.
L‟inexistence d‟institution de financement des opérations liées directement à la
production agricole : le crédit est une nécessité vitale pour toute valorisation de
capital. Or, on peut constater un désintérêt total du capital financier pour le
financement des activités de production agricole qui accusent des taux de rentabilité
moins élevés que les autres secteurs d‟activités économiques.
À l‟époque de la colonisation, le crédit agricole était totalement inexistant,
alors même que les institutions bancaires avaient dégagé des mécanismes parfois
inédits de financement de la commercialisation des productions agricoles. Cette
situation n‟est pas incitatrice pour l‟établissement de rapports capitalistes dans les
campagnes. Les États africains ont voulu corriger cette carence par intervention
directe par l‟intermédiaire de Banques Nationales de Développement créées à côté
du système bancaire commercial, succursale de la métropole. L‟objectif visé était de
mettre en place des institutions spécialisées ou des lignes de crédit pouvant prendre
en charge le financement des opérations agricoles. Bien entendu, les résultats n‟ont
pas toujours été probants.
Au demeurant, la conjugaison de tous ces facteurs établit clairement que les
conditions de fonctionnement d‟une agriculture capitaliste sont loin d‟être réunies
particulièrement dans les sous-secteurs de production des biens destinés au marché
mondial. À l‟évidence, le réaménagement structurel même volontariste entrepris par
l‟État (imposer et élargir les rapports de production capitaliste et étendre leur
domaine d‟évolution) a abouti à un échec. Ces «réformes» en Amérique Latine et au
Maghreb ont eu pour conséquence la paupérisation des masses rurales avec quelques
îlots de prospérité, la crise agricole qui se manifeste dans l‟incapacité de nourrir une
population en expansion et les centres urbains, les faibles productivités et
rendements dans le secteur, etc.
Section 2 : Les axes d’une stratégie de développement pour
faire de l’agriculture le secteur moteur.
Nul doute que la transformation de l‟agriculture africaine sera longue et
pénible. Sans avoir la prétention de proposer les éléments d‟une politique agricole
africaine, la préoccupation essentielle est d‟indiquer les grands axes de réflexions et
de recherches pour faire de l‟agriculture l‟un des moteurs de la croissance et du
développement économique et social. En effet, il est toujours important en analysant
lucidement la situation de l‟Afrique de considérer que le développement global
suppose et doit souvent débuter avec le développement de l‟agriculture car sans la
production d‟un surplus agricole (au-delà de ce qui est nécessaire pour nourrir les
travailleurs de l‟agriculture), l‟industrialisation risque d‟être illusoire. Or, le secteur
agricole abandonné à lui-même reproduit sa crise permanente qui se manifeste dans
l‟archaïsme des moyens et méthodes de production, la stagnation des rendements et
de la production, la baisse de la productivité du travail et la dégradation de la
condition sociale des producteurs. L‟intervention de l‟État dans le sens de
l‟imposition de la propriété et de l‟exploitation privées n‟a pas systématiquement levé
les contraintes et obstacles structurels qui bloquent l‟expansion de l‟agriculture. Bien
au contraire, là où elle s‟est systématisée, elle s‟est accompagnée d‟une grande
souffrance des grandes masses de paysans sans terre et qui n‟ont bénéficié d‟aucune
21
forme d‟assistance publique. Finalement, cette intervention publique a approfondi
objectivement la stratification sociale sans améliorer véritablement la production.
Cette charge de réflexion et de recherche concerne les problèmes qui suivent et
qui doivent être nettement articulés dans une démarche d‟ensemble :
I/ Mettre un État de qualité au cœur du dispositif de transformation des
campagnes africaines
Les PAS ont accrédité l‟idée que l‟État africain est rentré dans une triple crise
économique (déficit chronique des finances publiques), politique (faible
démocratisation) et sociale (incapacité à réguler le chômage et la pauvreté) qui le met
« hors jeu » et le condamne à un désengagement. S‟il en est ainsi, c‟est parce que
l‟État a enflé sur le plan économique en étendant ses tentacules au secteur public ; il
a enflé sur le plan social en se voulant le protecteur de tous contre tous les aléas.
C‟est au niveau de l‟agriculture que l‟État, en l‟absence d‟opérateurs
économiques capables de saisir toutes les opportunités d‟investissement, est
massivement intervenu pour réaliser la modernisation du secteur. Cette intervention,
s‟est traduite par le gonflement de la masse salariale des effectifs de l‟administration,
la démultiplication des entreprises du secteur public rural avec accumulation de
déficits, l‟accroissement du volume de la subvention etc. À y regarder de près, ces
éléments sont les conséquences des facteurs de déséquilibre interne et externe qui
ont amené les bailleurs de fonds à incorporer dans les conditionnalités le retrait de
l‟État de l‟agriculteur. Cette désétatisation se fonde selon ses auteurs sur deux
certitudes : la première postule que le marché est le meilleur instrument de
régulation et d‟allocation de ressources ; il suffit alors de laisser faire, et la seconde
avance que le retrait même précipité de l‟État débridera toutes les initiatives privées
et ramènera les organisations paysannes à occuper la place laissée vacante par l‟État
et ses divers démembrements. Objectivement, ces idées ne découlent ni d‟une théorie
cohérente et infaillible, ni d‟un constat adossé sur le réel à travers les expériences des
Nations. On serait tenté de dire que le néo-libéralisme est une nouvelle théologie.
Trois observations nous amènent sérieusement à douter de la qualité de ces
certitudes sur le désengagement de l‟État.
La première observation est de type théorique et découle des travaux de Garry
BECKER (I)13, Robert BARRO et J. F. MEDARD qui établissent que le marché même
s‟il est reconnu efficace peut connaître des imperfections qui ne peuvent être
corrigées que par une intervention de l‟État.
Dans cette optique, on peut invoquer au moins trois imperfections majeures
révélées par les recherches et que seul l‟État peut résoudre. Il s‟agit :
d‟abord l‟existence d‟externalités positives c‟est-à-dire de situation où la
rentabilité de l‟entreprise découle d‟actions que les seules forces du marché
sont incapables de créer ;
ensuite l‟existence de rendements croissants et d‟économies d‟échelle
découlant d‟une situation de monopole qui prive l‟économie des aspects
positifs de la concurrence. L‟État est seul à même par son intervention de
ramener le refonctionnement du marché ;
(1) Le débat sur le marché et le rôle de l‟État est revenu en force relancé par les travaux de R. BARRO
(Université de Harward) et ceux du prix Nobel d‟économie de 1992 Galy BECKER (Université de
Chicago) autour de la question : quel genre d‟imperfections de marché, l‟État peut-il avoir à corriger ?
13
22
enfin, les imperfections de marché financiers qui empêchent le financement de
projets socialement rentables mais trop risqués pour les opérateurs privés ou
alors des projets économiques indispensables mais à rentabilité différée. Le
secteur agricole offre une parfaite illustration. Là encore l‟intervention de
l‟État est impérative pour corriger ces imperfections en assurant les risques.
Ces trois situations sont couramment observées dans beaucoup de pays et plus
particulièrement dans les pays sous-développés. Dès lors, le désengagement de l‟État
peut parfaitement se traduire par des coûts énormes et nuire en conséquence à la
rentabilité.
Les Nouveaux Pays Industrialisés qui ont réglé le sous-développement en
l‟intervalle d‟une génération offrent une parfaite illustration du rôle moteur joué par
l‟État dans la dynamique au développement. Dans la quasi-totalité de ces pays l‟État
est le principal artisan de la modernisation de l‟agriculture. En prenant les exemples
de la Thaïlande et de l‟Indonésie, on peut mesurer le rôle moteur de l‟État dans la
transformation du secteur agricole. Le fait que la Thaïlande soit aujourd‟hui le
premier exportateur mondial de riz (assurant 32% de la demande mondiale) avec
une production agricole considérablement diversifiée est la conséquence d‟une
politique gouvernementale fortement interventionniste. Le « Greater Chao Phraya
Projet » fondé sur la construction de grands barrages et de canaux d‟irrigation relève
de la pratique des grands travaux agricoles publics avec des effets d‟entraînement et
de multiplication favorables à la croissance. De même pour l‟Indonésie « le régime
militaro technocrate » a impulsé une vigoureuse stratégie de développement ayant
pour base l‟agriculture vivrière. L‟État a mobilisé d‟importants moyens
institutionnels, financiers, technologiques et humains pour moderniser et développer
l‟agriculture. Selon Jean-Luc MAURER, l‟État a indubitablement utilisé ses
pétrodollars (contrairement au Nigeria) à remettre en état le système d‟irrigation, à
soutenir une politique très coûteuse de subventions des engrais, à maintenir une
subtile politique des prix agricoles, à financer un système préventif de constitution
des stocks, un crédit rural et une politique de vulgarisation. C‟est toute cette politique
fortement interventionniste qui a profondément bouleversé les campagnes et a
contribué à redéfinir la place de l‟agriculture dans l‟économie nationale 14.
Globalement dans la majorité des pays asiatiques, l‟État a mis en place
l‟infrastructure créant ainsi des conditions incitatives à l'investissement privé, un
réseau routier de qualité, la scolarisation généralisée et la création d'universités
fonctionnelles.
L'État est même intervenu directement au niveau des prix aux producteurs ou
des taxes sur les produits. En Inde, l‟autosuffisance alimentaire a été atteinte grâce à
l'intervention vigoureuse de l'État qui a soutenu le secteur céréalier par une politique
adéquate de prix.
La deuxième observation est que la délimitation des fonctions de l'État
dépend d'un choix purement national car rien dans les mécanismes de
l'interdépendance mondiale n'oblige les nations à augmenter ou à diminuer le rôle de
la puissance publique. Dans ce sens l'observation de L. STOLERU est très
instructive : que « le Japon a un État très tort et très centralisé, les États Unis un État
moins fort et plus décentralisé et la Suède un Etat assez faible. Or ces trois États ont
d'excellentes performances sur le marché mondial unifié ». Il apparaît alors que le
débat entre « plus d'État » et « moins d'État » est largement trompeur et reste dans le
fond assez superficiel.
Jean-Luc MAURER, « Autonomie d‟un décollage alimentaire : le cas de l‟Indochine », in AsieAfrique : greniers pleins, Éditions Économica, Paris, 1986, p 59-77
14
23
La troisième observation concerne particulièrement les pays africains comme
le Sénégal où l'État est le seul instrument suffisamment fort pour structurer la société
caractérisée par des tendances lourdes à l'hétérogénéité structurelle créant plusieurs
centres autonomes de décision. De plus, si l'on prend en considération la triple crise
des cultures vivrières, des cultures d'exportation et de l'écologie, l‟État est le seul
acteur à même d'opérer les redressements indispensables.
À l'analyse, le monde rural en Afrique, est complètement déstructuré, disloqué
et surtout dévitalisé par les effets conjugués de la crise économique et des diverses
agressions naturelles comme la sécheresse. Peut-on raisonnablement penser dans ce
contexte que les paysans peuvent s'en sortir sans État surtout au moment où ils sont
totalement déconnectés de l'économie de marché avec le développement de
l‟autoconsommation et de beaucoup d'activités non marchandes. En clair, dans cette
situation, les incitations du marché s'avèrent insuffisantes, seul l'État a les moyens
d'une recomposition des structures et d'une revitalisation de la production.
Ces observations indiquent que le choix n'est pas entre « plus d'État et moins
d'État » car les restructurations qu'appellent les PAS de même que la nécessaire
insertion de l'économie nationale dans le marché mondial exigent un État fort.
Le problème fondamental concerne plutôt la nature de l'État qui serait capable de
conduire les transformations structurelles notamment au niveau de l'agriculture en
vue d'amorcer un processus irréversible de modernisation de toute la société rurale et
de changer les comportements et les mentalités des divers acteurs dans les
campagnes.
Au moment des indépendances africaines, il y a environ plus d‟une
quarantaine d‟années, la situation alimentaire en Asie était catastrophique avec une
gestion désastreuse du secteur agricole alors que l‟Afrique ne connaissait point ce
type de problème. Aujourd‟hui, il est caractéristique que « les greniers sont pleins en
Asie et vides en Afrique ». Cette nouvelle donne a une triple signification : elle est un
cri d‟alarme, une mise en garde et un message d‟espoir. Pourquoi le continent africain
qui a toutes les dotations factorielles pour produire des richesses, secrète-t-il la
pauvreté ? Force est de constater qu‟en trente ans, l‟Asie a mis sous céréales 701
millions d‟hectares, exactement l‟équivalent du total des terres africaines cultivées.
Cette production céréalière a augmenté de 175% alors que celle de l‟Afrique s‟est
accrue très peu, de 17%. Pendant une longue période, l‟Asie s‟est transformée en
atelier de sueur et de labeur et l‟Afrique en continent d‟immobilisme.
Les performances en Asie montrent que l‟Afrique peut s‟en sortir à condition
qu‟elle opère les ruptures indispensables comme l‟ont fait les régimes militaro
technocratiques et les élites asiatiques qui ont mis en place de vigoureuses stratégies
de développement basées sur l‟agriculture.
L‟État devra intervenir systématiquement pour apporter l‟assistance
économique, technique et financière, de même qu‟il devra apporter tous les
aménagements structurels en fonction des impératifs de l‟élargissement des bases de
l‟accumulation et de l‟instauration des formes de propriété et d‟exploitation
socialistes. Il s‟agit là d‟un programme volontariste et hardi dont la réalisation sera
forcément très lente et comptera d‟énormes difficultés. Seulement, son
accomplissement dépendra d‟une part du degré d‟adhésion et de participation
enthousiaste des paysans eux-mêmes. D‟autre part, il reviendra à l‟État de veiller
pour que son assistance et son encadrement n‟aboutissent à l‟installation d‟une
bureaucratie lourde, inefficace et paternaliste qui finira par mépriser les capacités de
création et de travail des populations rurales.
24
II/ La réalisation programmée d’une infrastructure de base pour
l’agriculture : l’eau, les routes et l’énergie, la clef de voûte du
développement agricole.
C‟est le second axe de réflexion en direction des politiques agricoles. Il se
traduit par la mise en place progressive d‟une infrastructure matérielle rendant
possible l‟accélération et l‟intensification de la production agricole. Cette
infrastructure tourne autour de l‟exploitation du potentiel hydraulique et
énergétique et de la création d‟un réseau routier permettant une circulation des
productions et des facteurs agricoles.
Le développement agricole passe par la maîtrise de l‟eau et la réalisation de
grands travaux d‟irrigation. Ces deux éléments constituent la condition essentielle
d‟un accroissement de la production et d‟une réduction des calamités naturelles et de
leurs effets. Ces dernières années, le puissant Mouvement Écologiste Européen a
relancé le débat sur les choix alternatifs entre la petite et la grande hydraulique.
Beaucoup d‟arguments ont été développés pour condamner les grands barrages
auxquels, il est reproché :
les effets déstabilisateurs des écosystèmes fragiles,
les effets négatifs sur l‟environnement humain et la santé dans les abords des
régions irrigués,
les coûts excessifs des investissements qui vont accentuer la dépendance
financière,
la dépendance technologique et l‟écoulement de la production découlant de la
délocalisation vers les pays sous-développés des activités industrielles.
Ce sont là quelques arguments plus ou moins raffinés qui sont souvent brandis
à l‟encontre des politiques de grande envergure appliquées pour une agriculture
moins tributaire des aléas de la nature. La solution alternative proposée par les
écologistes tourne autour de la petite hydraulique aux coûts financiers et humains
beaucoup moins excessifs et aux effets sur l‟environnement moins dévastateurs.
Tous ces arguments demeurent totalement légers au niveau économique,
social et scientifique et traduisent profondément les préoccupations de personnes que
la famine et la misère ne menacent guère et qui de surcroît, n‟ont absolument pas les
échéances d‟élever dans les délais les plus brefs, le niveau des forces productives
matérielles et humaines.
Comment peut-on demander aux pays sahéliens de continuer à développer des
politiques agraires aux faibles rendements totalement dépendants des caprices du
climat, de l‟instabilité de l‟environnement. Ces pays ont besoin de contrôler toutes les
composantes de la production depuis l‟irrigation jusqu‟aux facteurs modernes de
production agricoles. Ils doivent utiliser non pas de petites technologies alternatives
très peu performantes mais les techniques les plus progressistes de la révolution
scientifique et technique. Les formations sous-développées doivent se raccorder aux
technologies les plus avancées possibles pour refaire leur retard économique et
accroître particulièrement leur savoir-faire.
Ces visions que l‟on nous offre sous des vocables d‟une apparente innocence
comme technologies appropriées, technologies douces, secteur informel, autodéveloppement à partir des communautés de base, relèvent de conceptions
totalement anesthésiantes et rétrogrades qui veulent maintenir les pays sousdéveloppés dans l‟arriération économico-sociale. Elles émanent toujours de
personnalités scientifiques de pays avancés qui n‟ont donc plus un problème de savoir
faire mais de savoir quoi faire. Que l‟exploitation capitaliste ait entraîné une
25
exploitation bornée et anarchique de l‟environnement, c‟est un fait entièrement
incontestable, comme il est également incontestable qu‟il n‟existe aucune limite
technique à la valorisation de la nature. C‟est cette technique qu‟il faut maîtriser et
mettre au service du développement économique et social.
Les grands barrages quels que soient leur coût, restent une option progressive
d‟une maîtrise de l‟eau. Le problème fondamental ne se situe pas dans les effets
négatifs qu‟ils peuvent produire mais réside dans les orientations de production, les
formes d‟exploitation et en dernière analyse la politique agraire qui est appliquée. Si
celle-ci est réfléchie et reste au service des masses laborieuses, elle doit permettre
l‟exploitation de toutes les perspectives de développement qui s‟ouvrent et dans ce
sens, la petite hydraulique ne saurait être écartée. Il importe aussi de la développer en
la corrigeant car les formes minifundiaires qu‟elle encourage sont souvent tournées
vers l‟exploitation privée aux conséquences sociales qui pourraient être lourdes.
Les pays sous-développés peuvent ne point être concernés par ces luttes
idéologiques des écologistes qui veulent les condamner à être naturalistes, quitte
même à reproduire stagnation et misère du monde rural.
Si la maîtrise de l‟eau est une nécessité impérieuse, elle doit être accompagnée
d‟une politique énergétique cohérente et adéquate. L‟énergie est une variable
essentielle dans le développement agricole. Dans cette direction, un rapport de la
National Academy of Sciences observe que «le processus de la croissance économique
a pris naissance au moment où la machine a remplacé l‟homme pour les travaux
agricoles, industriels et domestiques … La production phénoménale de l‟agriculture
aux États-Unis et dans d‟autres grands pays exportateurs d‟aliments s‟explique en
grande partie par une utilisation massive d‟énergie et d‟engrais, l‟apport de la main
d‟œuvre diminuant très rapidement à mesure que s‟intensifient les pressions exercées
par l‟accroissement des salaires dans les industries secondaires et tertiaires». Il
importe alors d‟élaborer une politique énergétique qui permette d‟obtenir un
accroissement de la production agricole, et qui pourrait s‟organiser autour de
l‟évaluation exhaustive des besoins énergétiques pour une agriculture en expansion et
de l‟exploitation de toutes les ressources énergétiques disponibles, de l‟utilisation des
technologies les plus avancées de l‟énergie pour l‟augmentation de la production et
des rendements.
Il s‟agira là aussi d‟utiliser toutes les sources sans aucune exclusivité. Les
coopératives de production peuvent être aidées pour la réalisation de programmes
d‟utilisation d‟énergies renouvelables pour le développement rural.
Le développement d‟une infrastructure de base passe aussi par la création d‟un
réseau routier qui autorise le désenclavement de toutes les zones de production
agricole et la constitution du marché national, facteur essentiel d‟allocation des
facteurs de production.
L‟État devra par le plan, fixer les objectifs à atteindre, les moyens à mobiliser
pour réaliser le programme et les ressources internes disponibles. Cette
programmation empêchera l‟apparition de distorsions dans l‟utilisation des fonds.
III/ L’utilisation généralisée des facteurs modernes de production et
exploitation des opportunités de la technologie et de Révolution Verte au
service de la transformation de l’agriculture africaine.
C‟est là un des volets extrêmement important des politiques agraires et sur
lequel les insuccès sont notoires. La recherche techno-agronomique n‟est pas encore
un domaine prioritaire comme si la fameuse « Révolution Verte » en Inde n‟était pas
26
partie des universitaires et chercheurs. Pourtant, rien absolument ne justifie ce
traitement. Une agriculture performante a particulièrement besoin d‟une utilisation
systématique de la révolution scientifique et technique pour atteindre des niveaux
élevés d‟investissement et de productivité du travail. Cela est d‟autant plus vrai que
les projections de la demande alimentaire pour les prochaines générations au niveau
des PSD ne peut point être couverte ni par la production interne ni par l‟aide
alimentaire mondiale. Toute projection pousse au développement d‟une agriculture
intensive et productiviste qui ne peut provenir que de la science et de la technologie.
Le modèle IMPACT de l‟IFPRI15 conclut que pour l‟ensemble des pays en voie de
développement et sur une période de 28 ans, les taux de croissance moyens de la
demande se chiffrent à 1,7% pour le blé et 1,2% pour le riz tandis que pour la viande
de poulet le taux projeté est de 3,7%, pour le lait de 3,3%, pour l‟ensemble des huiles
2,8% et pour le manioc 2,2%. Une moyenne de 2% pour l‟ensemble des produits
agricoles destinés à l‟alimentation humaine apparaît plausible à la lumière de ces
résultats. Les taux sont bien en dessous du croît démographique.
C‟est pourquoi selon Michel PETIT « la recherche agronomique doit s‟ouvrir
davantage aux disciplines biologiques (biologie moléculaire, biologie intégrative,
dépasser le modèle de la boîte noire où l‟on s‟intéresse seulement aux « intrants » et
aux produits sans s‟intéresser aux mécanismes internes). Elle doit s‟ouvrir plus
particulièrement à l‟écologie et à la modélisation des systèmes complexes ; elle doit
développer les pratiques pluridisciplinaires, voire transdisciplinaires, pour utiliser la
terminologie très pertinente ici de PIAGET, et engager des recherches sur les
systèmes d‟acteurs avec lesquels elle travaille pour transformer les agricultures. Mais
il faut bien convenir que ces prescriptions sont plus faciles à formuler qu‟à mettre en
œuvre. Elles appellent des partenariats nouveaux ou élargis plus approfondis et plus
réels, que ce que l‟on rencontre le plus souvent sur le terrain. »16 L‟auteur en déduit
avec pertinence que « La recherche est en effet appelée à jouer un rôle stratégique
face au défi alimentaire mondial. Le défi à relever n‟est pas simple car il faut à la fois
fournir une alimentation à bon marché à ceux qui sont des acheteurs nets de
nourriture et assurer un revenu aussi élevé que possible à ceux qui tirent l‟essentiel de
leurs revenus, en argent et en nature, de l‟exercice d‟une activité agricole dans les
zones défavorisées et qui ont intérêt à ce que les prix agricoles soient aussi élevés que
possible. »17
1°) Nécessaire formulation d’un Programme de recherche
Cela pose en premier lieu la nécessité de la formulation d‟une politique
cohérente de recherche pour le secteur agricole et qui viserait :
la modernisation des procédés de culture et la rénovation des instruments de
production,
l‟expérimentation scientifique et la diffusion de nouvelles techniques, ce qui
implique la création d‟unités expérimentales qui ont pour vocation d‟être de
véritables incubateurs du développement agricole,
la formation de cadres compétents au plan techno-agronomique et technoadministratif. Cette question soulève les limites des systèmes universitaires
Les calculs sont réalisés par PETIT Michel à partir du scénario de base du modèle IMPACT pour
l‟année 2002,
16 Michel PETIT Communication au colloque « Enjeux et perspectives de la recherche agronomique
pour les pays en développement » Académie d‟Agriculture de France/CIRAD, Paris, 13 octobre 2004.
17 MICHEL PETIT
15
27
des PSD qui ne s‟intéressent que très marginalement aux activités rurales qui
pourtant fournissent parfois jusqu‟à 30% des ressources nationales. Une
Faculté d‟Agronomie a beaucoup d‟intérêt économiquement et socialement
que les institutions de formation littéraires qui absorbent jusqu‟à plus de la
moitié des universités africaines. Il existe une pensée totalement fausse et qu‟il
faut corriger selon laquelle les paysans feront eux-mêmes la révolution
technique et scientifique. Celle-ci sera le fait des savants et techniciens
évoluant dans les campagnes et y opérant des recherches systématiques. C‟est
pourquoi la connexion entre l‟Université et le monde rural est déterminante.
Ces recherches seront impulsées et organisées par l‟État et cela à trois (03)
niveaux :
celui de l‟identification des produits et systèmes agraires pouvant contribuer à
la croissance économique du pays,
celui de la localisation dans l‟espace et des contraintes sociologiques,
celui des technologies les plus appropriées pour atteindre les niveaux de
production et de productivités les plus élevés.
Un colloque récent réunissant plusieurs spécialistes a tenté de définir un cadre
général servant à identifier les priorités de recherche et les objectifs de
développement technologique18. Les PSD qui connaissent des retards importants et
qui évoluent dans des environnements naturels défavorables à l‟agriculture doivent
accorder une grande importance aux activités de recherche qui auront pour objectifs
d‟éliminer les contraintes et obstacles naturels et technologiques qui empêchent une
expansion soutenue de l‟agriculture.
2°) La révolution verte est-elle encore utile à l’Afrique ?19
Il faut observer que le terme « Révolution » Verte utilisé par certains auteurs
grossit exagérément l‟impact de l‟utilisation des N.V.H.R de blé et de riz. En fait, le
phénomène est plus limité que ne suggère le terme. Les premiers pays à
l'expérimenter dans la décennie 1960 sont le Mexique, l'Inde (État du Panjab) et le
Pakistan. L‟Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande et même la Chine l‟ont réalisé par la
suite. Concernant l‟Afrique, son extension est limitée au Nord du continent (Maroc,
Libye, Egypte et Tunisie) ; elle ne pénètre pas encore en Afrique subsaharienne. Dans
ce sens, A. LOUAT observe que « l'essor de la production agricole sur les différents
continents correspond à l'extension de la révolution verte est fort en Asie, sensible en
Amérique et faible en Afrique. Dans les pays concernés les rendements et les volumes
de productions sont multipliés par 5 à 15 en une trentaine d'années et des pays
comme le Mexique et l'Inde sont devenus auto suffisants. Les variétés de riz mises au
point par l'IRRI en 1965 ont permis une progression du rendement moyen de 40 % et
de la production de 60% en vingt ans en Asie alors que sa population augmente de
55% pendant cette période. La moitié des variétés de riz existant actuellement dans le
monde ont au moins un"géniteur" venu de l'IRRI » 20
D. DANIELS et B. NESTEL : Affection des ressources à la recherche agricole. Colloque tenue à
Singapour du 8 au 10 juin 1981, p. 81.
19 F.BROWN et Vandama SHIVA : L‟Afrique peut-elle se permettre une « Révolution agraire », PNUD
Revue du Développement Humain, Juillet 1993
20 A. LOUAT : Le sous-développement, stratégies et résultats, Éditons Ellipses
18
28
Tableau 1 : Évolution de la production vivrière par habitant entre
1970 et 1993 et révolution verte. (Indice 100 en 1970)
Asie
indice 132
Amérique
indice 119
Océanie
indice 105
Afrique
indice 80
Source : A. LOUAT : Le sous-développement, stratégies et résultats p121
En dépit de ces résultats positifs, la Révolution verte présente des limites bien
évidentes. Tout d‟abord l‟utilisation de nouvelles semences est limitée à deux
cultures vivrières dont on suppose qu‟elle a induit un ensemble d‟effets irréversibles
particulièrement dans l‟agriculture indienne (Penjab). Ensuite, les résultats produits
sont largement inégaux en Asie et ailleurs. Enfin, le potentiel de développement des
semences parait limité et elles n‟ont pas les performances que l‟on bien voulu leur
prêter.
L‟ampleur des pénuries alimentaires et des déficits vivriers en Afrique
aggravés par une démographie galopante et une urbanisation accélérée font que des
menaces graves de famine pèsent sur de nombreux pays africains. Dans un pareil
contexte la révolution verte se présente comme une nécessité impérative pour le
continent. Elle est une stratégie qui, lorsqu‟elle est disponible et possible, peut
contribuer à accroître les réserves alimentaires. Toutefois, sa conception et sa mise en
œuvre doivent être soumises aux chercheurs même s‟il est maintenant prouvé qu‟il
existe d‟autres moyens pour augmenter la production vivrière : amélioration des
systèmes de polyculture, de la qualité des semences, locales et de l‟efficacité de
l‟utilisation des ressources locales.
Les pays doivent chercher à tirer le maximum de profit de la révolution verte
en la systématisant et en l‟adaptant aux conditions de leur environnement physique
et humain. Car, elle a permis de remporter une incontestable victoire dans la lutte
séculaire contre la pénurie alimentaire.
Les pays africains engagés dans ce processus pourront ainsi développer
l‟expérimentation et les recherches au niveau :
des produits chimiques pour étudier les conditions d‟accélération de la
croissance des plantes en vue de l‟amélioration des rendements et les effets de
l‟utilisation des pesticides et engrais sur la production et les sols ;
des manipulations génétiques pour améliorer les espèces et accroître les
rendements ;
de la photosynthèse, de la prévision météorologique.
En dépit de ces avantages, il est généralement reproché, entre autres, aux
technologies de la révolution verte d‟aider le plus souvent les agriculteurs riches des
pays en développement tout en encourageant une sujétion excessive aux engrais
chimiques. Une autre critique est qu‟elle fait une place plus grande aux
considérations économiques au détriment de l‟environnement. C‟est dire qu‟elle
produit une société rurale duale et creuse les inégalités entre la paysannerie
traditionnelle pauvre et une élite technicienne de propriétaires fonciers.
Ces critiques proviennent d‟universitaires qui n‟ont jamais connu les
problèmes réels des PSD. Étant donné les problèmes croissants de sécurité
alimentaire et les progrès constants de la biotechnologie, les scientifiques africains
doivent travailler sur les conditions de réalisation d‟une deuxième « révolution
verte ».
29
3°) Les enjeux et perspectives du développement des OGM
Les techniciens comme les décideurs face à la famine rampante sur le
Continent ont engagé le débat autour de la question de savoir « Si les biotechnologies
constituent une opportunité pour l‟Afrique ». Les prises de position se multiplient
mais beaucoup d‟entre elles restent encore essentiellement idéologique ou alors
inspirées par « les mouvements écologistes ». Dans ce sens, la Zambie confrontée à
une famine qui a affecté 2,4 millions de sa population voit son Président Levy
MWANAWASA refuser catégoriquement l‟aide alimentaire d‟urgence proposée par la
FAO en affirmant avec force conviction que : « Ce n‟est pas parce que mon peuple a
faim qu‟il faut lui donner du poison, lui donner une nourriture qui est
potentiellement et intrinsèquement dangereuse pour sa santé ». Cette opinion est
trop éloignée de celle du Président B. COMPAORÉ du Burkina Faso, de l‟Afrique du
Sud qui a initié des systèmes de culture transgénique, du Kenya et de l‟Égypte qui ont
engagé des Programme de Recherche en partenariat avec des universités américaines.
Quant à la Commission Économique pour l‟Afrique, elle plaide en faveur du
développement des recherches dans le domaine qui ne reçoit que 2% des ressources
allouées à la recherche agricole. Elle recommande, en conséquence, l‟instauration
d‟une politique de recherche qui mette l‟accent sur le manioc, le mil, le sorgho, la
patate douce, l‟igname, le maïs, le riz et le blé.
Comment va progresser la réflexion pour véritablement éclairer les enjeux de
la recherche agronomique ? Malgré l‟âpreté des controverses, il se dégage nettement
deux directions d‟impulsion de la recherche :
La première direction concerne pour les PSD une maîtrise parfaite des TIC
appliquées à l‟agriculture qui seront d‟un apport décisif pour l‟avenir. Comme
l‟observe Hal HELLMAN, dans le futur «non seulement les ordinateurs dirigeront le
matériel agricole, mais encore ils tiendront la comptabilité, surveilleront le progrès
des cultures et de l‟élevage, calculeront les meilleurs mélanges de nourriture et
d‟engrais en fonction des besoins et des prix et même établiront les programmes
d‟irrigation d‟après des prévisions météorologiques enregistrées automatiquement
sur bandes magnétiques»21. Il ne s‟agit pas d‟une option de généralisation mais d‟une
recherche systématique des services que l‟ordinateur peut rendre dans le processus
de révolutionnarisation des campagnes. C‟est dire que l‟agriculture du futur doit se
préparer à une utilisation des équipements et des découvertes scientifiques.
Cela signifie en clair que la mécanisation est un volet essentiel de la politique
agraire et doit contribuer à une modernisation rapide du secteur rural. Elle seule
permet d‟élever la productivité du travail et d‟approfondir la division du travail à
l‟intérieur même du secteur agricole. Il faut bien comprendre que la mécanisation est
un objectif vers lequel on tend par étapes successives passant du perfectionnement
des instruments agricoles traditionnels à la machine fonctionnant sans même
l‟intervention de l‟homme. Tout ce processus nécessite une organisation rigoureuse et
une gestion adéquate. La planification s‟impose pour une gestion rationnelle de la
politique de transformations structurelles radicales des campagnes.
La deuxième direction va concerner les OGM. Dans ce domaine, les avancées
biotechnologiques sont spectaculaires avec les manipulations génétiques qui
permettent d'introduire certains gènes étrangers dans le patrimoine héréditaire des
semences. Les avantages pour les cultures sous pluies sont qu‟ils offrent une
meilleure résistance aux maladies, à la sécheresse et à la salinité des sols et absorbent
plus facilement les nutriments par les racines. La culture devient moins dépendante
21
Hal HELLMAN : Nourrir l‟homme de demain.
30
de la pluviométrie, des pesticides et des engrais azotés et ne dégrade ni les ressources
naturelles ni la biodiversité locale.
Sur cette question, la position de la CEA est sans doute la meilleure : au delà
du principe de précaution, l'agriculture transgénique est une solution indéniable pour
les régions agricoles les plus pauvres du monde. De fait si l‟Afrique devrait se fermer
aux OGM, elle se mettrait à la marge des rapides progrès de la science et de la
technique. Cela d‟autant que plusieurs pays prennent le train en marche. Le risque
est grand pour l‟Afrique de rater le coche des TIC. Comme le souligne M. WEILL « les
pays africains sont insérés dans la mondialisation où se développent des flux de
marchandises. On peut alors se poser la question de la compétitivité de la production
africaine aussi bien à l‟exportation que pour se prémunir d‟autres importations qui
déstructurent leurs propres agricultures. »22 L‟auteur considère que le moratoire sur
les OGM est en train sauter, des autorisations de production de culture transgénique
ont de nouveau été accordées et des mesures de précaution sont mises en avant afin
de rassurer l‟opinion publique. Évidemment, il est incontestable que la monnaie
d‟échange des PSD sera une dépendance accrue vis-à-vis des grandes firmes
multinationales détentrices de brevets, telles Monte-sac ou Novartis.
Ces Firmes Multinationales réalisent des expériences à grande échelle
principalement aux États Unis où sont situés 75 % de la superficie mondiale
consacrée à ce type de culture. Également, elles ont introduit avec succès des plantes
transgéniques dans l'agriculture vivrière en Asie et en Amérique latine et elles
commencent à pénétrer en Afrique (Zimbabwe, Gabon, République démocratique du
Congo ? Burkina Faso). Elles affûtent les stratégies du futur pour un contrôle de
l'alimentation mondiale par la maîtrise du pouvoir technologique. Le potentiel
considérable du domaine végétal donne une idée des enjeux des OGM dans un futur
pas trop éloigné.
22
Prolèmes Économiques : Quelle place pour les OGM n°2786, nov.2002
31
Encadré 2 : OGM, un potentiel considérable du domaine végétal.
Parent pauvre de la génétique (à peine 10%du total des crédits de recherches lui
ont affectés), le domaine végétal offre pourtant un potentiel considérable. Un petit
tour dans les laboratoires de Ciba.
L‟industrie semencière mondiale est à l‟aube d‟un véritable chambardement.
700 expérimentations en plein champ ont été réalisées dans le monde, dont environ
300 aux États-Unis et une centaine en France. Les nouveaux venus mettent le
paquet, persuadés qu‟ils détiennent la clef de la caverne d‟Ali Baba. Dans dix ans, on
ne vendra plus des graines mais des kits complets : Telle plante sera associée à tel
herbicide, à tel pesticide. Difficile de donner une estimation précise des ventes
potentielles, d‟autant que les chiffres avancés dans l‟euphorie du début des années
90 ont été revus sérieusement à la baisse. D‟ici là, une partie serrée va se jouer, entre
semenciers et les chimistes d‟un coté, les autorités, les consommateurs et les
industries de l‟agroalimentaire de l‟autre. Car tout est allé si vite que le public reste
perplexe. Voir carrément hostile.
Les avancées biotechnologiques des années 90 sont spectaculaires depuis que
des manipulations génétiques permettent d'introduire certains gènes étrangers dans
le patrimoine héréditaire des semences. Ces Organismes Génétiques Modifiés
(OGM) offre une meilleure résistance aux maladies, à la sécheresse et à la salinité
des sols et absorbent plus facilement les nutriments par les racines. La culture
devient moins dépendante de la pluviométrie, des pesticides et des engrais azotés et
ne dégrade ni les ressources naturelles ni la biodiversité locale.
Les avantages sont évidents et les FMN détentrices de brevets, telles Montesac ou Novartis, associées dans de redoutables groupes de pression, présentant
l'agriculture transgénique comme une solution miracle pour les régions agricoles les
plus pauvres du monde. Elles l'expérimentent à grande échelle aux États Unis où
sont situés 75 % de la superficie mondiale consacrée à ce type de culture. Elles ont
déjà introduit avec succès des plantes transgéniques dans l'agriculture vivrière en
Asie et en Amérique latine et elles commencent à pénétrer en Afrique (Zimbabwe,
Gabon, République démocratique du Congo). Elles affûtent la technologie, dite
« Terminator » qui stérilise les semences et empêche de les utiliser d'une année sur
l'autre.
En fait, ces FMN déploient une stratégie globale de l'alimentation dont l'enjeu
est l'exercice du pouvoir technologique orienté vers la maîtrise des marchés du Tiers
Monde.
D’après A. LOUAT : Sous-développement, stratégies et résultats
L‟État sera le vecteur de tous les changements, de toutes les modifications,
comme cela été le cas dans un pays ultra libéral comme les États-Unis. Dans ce pays,
comme dans bien d‟autres, l‟État est constamment intervenu en mobilisant des
moyens financiers et technologiques massifs pour permettre aux agriculteurs
d‟affronter l‟environnement national et international diversifié et changeant.
L‟agriculture est le secteur où les principes du libéralisme n‟ont jamais fonctionné
comme l‟annoncent nos manuels et nos théories.
32
IV/ La nécessité d’élaborer et de mettre en place une politique adéquate
de crédit
C‟est le quatrième élément de la réflexion sur l‟agriculture qui devrait rendre
possible le financement des opérations productives qui permettent à l‟agriculteur de
se redresser. Le système bancaire en Afrique garde fortement les stigmates des
structures de financement de l‟économie de traite qui a contribué au renforcement
des distorsions structurelles caractéristiques du sous-développement. Le système
bancaire surtout commercial ne prévoit qu‟accessoirement le financement des
activités agricoles. Malgré l‟énormité des besoins financiers dans le secteur, le
maillon manquant est un système de crédit fonctionnel et approprié au monde rural.
Au niveau citadin, la question est partiellement résolue avec les pratiques des
tontines et de la microfinance. Cette forme de financement se fonde sur des relations
très personnalisées entre les divers acteurs du système. Cette pratique s‟est
maintenant généralisée dans toutes les villes des PSD d‟Afrique, d‟Asie et d‟Amérique
Latine en bousculant les banques primaires qui ont toujours manifesté peu d‟intérêt
pour le secteur informel.
Dans l‟optique d‟une profonde révolution agraire qui exige un recours à la
mécanisation, à l‟utilisation des facteurs modernes de production et même à certains
travaux d‟infrastructures, le problème du crédit doit être impérativement résolu. Le
crédit agricole doit permettre aux producteurs de disposer de ressources diversifiées,
suffisantes et à des taux concessionnels pour le financement de leurs opérations
productives.
La politique de crédit doit être sérieusement étudiée au plan des institutions de
financement, des conditions d‟octroi, des opérations à financier et des taux
applicables. L‟État devra alors élaborer une stratégie de financement du monde rural
car il a capacité à mobiliser des ressources diversifiées pouvant provenir : des
budgets, des bailleurs de fonds, des institutions de crédit en leur offrant garantie et
cadre fiscal motivant, du système bancaire intérieur et de l‟épargne rurale qui est
parfois loin d‟être négligeable. Cette stratégie devrait comprendre deux volets : celui
concernant le système bancaire formel et celui de la microfinance et du microcrédit.
1°) Inciter la finance formelle pour un engagement dans le secteur
agricole
Sur le premier volet concernant le système bancaire formel, les recherches
sont nombreuses et les questions sont mieux maîtrisées. Les problèmes se réduisent à
savoir comment assurer la garantie des prêts pour un secteur à haut risque, quelles
sont les incitations et quelle manipulation des instruments purement monétaires. Ce
dernier aspect touchant les taux d‟intérêt est essentiel car il faut éviter de les mettre à
un niveau très bas, ce qui ferait du crédit une espèce de secours social ou très élevé ce
qui découragerait certains utilisateurs. Il faudra alors appliquer des taux différenciés
selon la nature de l‟opération productive et probablement la durée du crédit.
2°) Aider au développement de la microfinance et au microcrédit
Le second volet est relatif à la microfinance et au microcrédit. De plus en plus
de réflexions sont consacrées à ces structures qui ont proliféré au niveau des PSD et
particulièrement dans les centres urbains. Il faut préciser que la microfinance
concerne l‟ensemble des services financiers (épargne, crédit, assurance, transferts de
33
fonds des émigrés à leurs familles) offerts aux populations pauvres qui sont exclues
du système bancaire traditionnel. Quant au microcrédit, il correspond à des prêts de
faible montant destinés à des personnes à bas revenus exclues des banques parce que
leur solvabilité est considérée comme insuffisante et/ou parce que les coûts de
gestion de tels prêts sont jugés trop élevés. Ces prêts leur permettent de créer ou de
développer des microentreprises ou des activités génératrices de revenus.
Le phénomène a pris tellement de l‟ampleur et tellement bien installé qu‟il fait
l‟objet d‟un intérêt mondial : le premier sommet mondial sur le microcrédit a été
organisé en 1997 à Washington, le dernier à Halifax en 2006, l‟année 2005 a été
dédiée par l‟ONU au microcrédit et en 2007 Mouhammad YUNUS le père du
microcrédit a été honoré par le prix Nobel de la paix. Le bilan est remarquable : la
GRAMEEN BANK est implantée dans 73000 villages du Bangladesh, elle a 7 millions
de clients (dont 97% de femmes) et a prêté 6 milliards de dollars.
L‟Afrique compte 6 millions de bénéficiaires du microcrédit contre 80 millions
en Asie.
V/ La politique des marchés pour des prix incitateurs pour les grands
produits et des prix des intrants.
1°) La détermination des prix par le marché
À la suite des travaux de M. NERLOVE et de T. W. SCHULTZ23, il est
clairement établi que l‟offre agricole réagit positivement aux augmentations des prix.
Les tests économiques réalisés au niveau de quelques pays confirment que la
modification des termes de l‟échange en faveur de l‟agriculture entraîne une hausse
corrélative de la production soit par le biais des emblavures soit par un accroissement
des rendements. La libéralisation des marchés des produits agricoles préconisée par
la Banque mondiale est fondée sur une étude que cette institution a entreprise et qui
montre une « très grande élasticité de la production agricole africaine par rapport aux
modifications du système de prix et même par rapport aux variations de prix
relatifs »24. Les PAS des années 80 ont particulièrement insisté sur les réformes du
système des prix agricoles pour produire des effets positifs sur l‟intégration spatiale,
la fluidité et les coûts des transactions de la commercialisation intérieure. La portée
de cette libéralisation est limitée par certaines contraintes comme l‟insuffisance, voire
l‟absence d‟infrastructures routières de qualité, l‟enclavement en matière de
communication de flux d‟information des marchés, l‟absence de capacité de collecte,
d‟analyse et de diffusion de l‟information sur les comportements des marchés et des
systèmes agricoles et alimentaires.
Certains analystes se fondant sur les élasticités positives en arrivent à soutenir
que les médiocres performances agricoles en Afrique sont la conséquence logique des
politiques inadéquates des prix appliquées par les pouvoirs publics. La désaffectation
des paysans pour certaines cultures peut s‟expliquer par l‟absence d‟une politique
incitatrice de prix. En effet, certains prix, parfois administrativement fixés ne sont
pas assez rémunérateurs pour inciter le producteur à accroître le volume de sa
production et à procéder à des réinvestissements pour améliorer ses instruments de
travail. En clair, la problématique des relations inégales entre villes campagnes à
travers les relations de prix doit être résolue.
M. Nerlove, The dynamics of supply : estimation of farmers‟s response to price. J. Hopkins, 1958
T.W. Schultzn Transforming traditional agriculture, Yale University, 1964.
24 Banque Mondiale. Le développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara, 1981.
23
34
2°) Portée et signification de la fixation administrative des prix
Des économistes marxistes continuent de soutenir que les intérêts
fondamentaux de la classe ouvrière et de la paysannerie sont, quand au fond,
absolument divergents tant qu‟existe le marché et que le mode de production
capitaliste domine25. Par les rapports de prix agricoles et industriels s‟opèrent
toujours des transferts de valeur des campagnes vers les villes, de la paysannerie vers
les autres classes sociales. Cet échange inégal est l‟essence même de l‟accumulation
primitive qui profite aussi à la classe ouvrière. Il est aussi caractéristique de
l‟accumulation socialiste comme l‟avaient établi les travaux de PREOBRAJENSKY
dans la « Nouvelle Économique ». Cette réflexion a éclairé les mécanismes de
financement de l‟industrialisation par la paysannerie. On peut se poser la question de
savoir si le fait d‟avoir fait payer l‟industrialisation principalement par la paysannerie
n‟explique pas en partie les échecs des politiques agraires et la crise de l‟agriculture
des pays socialistes d‟Europe de l‟Est. Beaucoup de travaux de l‟époque établissaient
et insistaient sur la désaffection de la paysannerie des systèmes productifs et rouages
économiques officiels pour créer des structures de production et de
commercialisation parallèles qui fonctionnaient de façon très efficiente. Cette
économie parallèle finit par se structurer très solidement car elle rétablit des termes
de l‟échange favorablement aux activités rurales et corrige en toute conséquence les
déséquilibres des revenus et des conditions d‟existence entre ruraux et citadins.
Ce sont ces objectifs que doivent viser et réaliser la politique des prix
agricoles. Une paysannerie pauvre ne saurait contribuer à transformer les
campagnes. Elle fera même obstacle et s‟alliera plus facilement aux rentiers comme
quoi la pauvreté n‟est pas une condition nécessaire et suffisante de la transformation
des campagnes.
VI/ Les subventions agricoles qui ruinent les agricultures africaines.
Il est temps que les États-Unis et l’Europe réduisent les subventions à
l’agriculture. À l’heure actuelle, ces subventions sont plus élevées que la
totalité de ce que reçoivent les pays d’Afrique en aide au
développement. Ces subsides font baisser les prix et ferment
effectivement la porte aux producteurs des pays en développement.
Jean CHRETIEN
L‟agriculture est le moteur de l‟économie africaine et contribue aux modes de
subsistance de la majorité de la population (entre 40 et 90% selon la FAO, 2004). En
outre, toutes les statistiques établissent que la pauvreté africaine se concentre
principalement dans les zones rurales (entre 60 et 70%). L‟essentiel des revenus
agricoles proviennent de monoproductions destinées au marché mondial : la rente
agricole est alors une composante des surplus financiers dont bénéficient l‟État (par
le biais de la fiscalité) et les autres acteurs entretenant des relations marchandes avec
le secteur rural. Ces quelques éléments campent parfaitement tous les enjeux des
négociations mondiales concernant les agricultures africaines.
Deux grandes questions agitent aujourd‟hui le monde de la recherche et des
décideurs politiques : les subventions agricoles et le protectionnisme agricole dans
les PSD. Dans les faits, ces deux problématiques sont intimement liées car le volume
des subventions élève la compétitivité-prix et peut se comporter comme une sorte de
protection tarifaire. Quel danger la concurrence internationale représente-t-elle pour
25
Michel GUTELMAN, op. cit., p. 198.
35
la production agricole des PSD? Selon M. PETIT « Pour répondre à cette question, il
faut commencer par préciser les ordres de grandeur de quelques variables-clés. En
effet, la pression de la concurrence internationale est souvent présentée comme
irrésistible, risquant de conduire à la ruine des agricultures pauvres, un tel scénario
impliquant une augmentation massive des importations et, par là-même, un
accroissement de la dépendance alimentaire. On constate effectivement que pour
certains pays la part de la consommation totale couverte par la production intérieure,
que l‟on appelle le coefficient d‟autosuffisance, est devenue très faible. Tel est le cas
par exemple de l‟Algérie, où ce taux pour les céréales a oscillé autour de 25% au cours
des années récentes, les céréales jouant dans ce pays comme dans beaucoup d‟autres
un rôle emblématique dans les débats sur cette question. Qu‟en est-il de façon plus
générale ?
Depuis l'Uruguay Round les produits agricoles ont été intégrés dans les
négociations en étendant tout d‟abord au secteur agricole. Il a été admis comme règle
que les droits de douane doivent être la forme privilégiée de protection et que les
subventions à l‟exportation sont interdites. Dans le même temps les possibilités
d‟utiliser les règles sanitaires et phytosanitaires à des fins protectionnistes ont été
limitées. Toutefois, après la formation de l‟OMC, les pays en développement
considèrent qu‟ils ont été floués dans l‟Accord agricole de Marrakech en avril 1994.
En effet, non seulement l‟accès aux marchés des pays développés est resté largement
prohibitif mais les soutiens et subventions internes ont augmenté. Également,
l‟accord agricole institue une forte inégalité de traitement, en leur défaveur, en
matière d‟instruments possibles de politique agricole.26
Ces raisons justifient leur revendication pour une plus grande discipline en
matière de politique agricole dans les pays développés, un meilleur accès à leur
marché et, pour eux, une plus grande flexibilité en matière de politique agricole. En
2005, selon le Premier Ministre canadien J. CHRETIEN, « l‟aide publique au
développement totalise 50 milliards de dollars par an. Les subventions américaines et
européennes sont sept fois plus élevées : elles dépassent le cap des 350 milliards de
dollars. À elle seule, l‟Union européenne représente les deux tiers de ces subventions
à l‟exportation, loin devant les États-Unis »27. La liste des produits agricoles
En dépit de l'échec de la conférence ministérielle de Seattle, en janvier 2000, les deux points
clés qui reviennent concernent l'accès aux marchés et la réduction des subventions à l'agriculture.
• En novembre 2001, la conférence de Doha aborde, dans son communiqué final la
question de la suppression des subventions -notamment européennes- à l'agriculture, mais ne fixe pas
de date butoir.
• En mars 2003, un projet d'accord, dit "Proposition Harbinson", est discuté au sein du
Groupe des négociations agricoles.
• Le 13 août 2003, les États-Unis et l'Union européenne font une proposition commune en
vue de la conférence de Cancun : Cadre pour une approche commune sur des questions
agricoles" (texte en anglais)
• Lors de la Conférence de Cancun, 10-14 septembre 2003, le Groupe des 21, (coalition
de vingt-deux pays en développement constituée pour la conférence, parmi lesquels la Chine, l'Inde et
le Brésil), représentant plus de la moitié de la population mondiale, rejette le projet de déclaration
finale, considérant les efforts des pays du Nord insuffisants.
• Enfin, pour préparer la conférence de Hong-Kong de décembre 2005, les États-Unis le 10
octobre 2005, puis la Commission européenne le 28 octobre 2005 font de nouvelles offres sur les
tarifs douaniers agricoles.
27 La prochaine « Farm bill », votée tous les cinq ans, s'élèverait à 286 milliards de dollars.
Elle comprend les subventions aux agriculteurs américains et le financement des programmes
fédéraux sur l'alimentation et la nutrition. Ce texte de loi est actuellement l'objet de vives discussions
entre le Congrès américain qui reproche à l'administration Bush de ne pas réduire les subventions aux
agriculteurs. Le financement et le montant de ces aides sont d'ailleurs l'objet de tensions permanentes
26
36
subventionnés par l‟Union européenne est longue : bœuf, volaille, sucre, blé, coton,
aubergines… qui sont déversés sur les marchés africains à prix artificiellement bas,
ces exportations désorganisent les filières, ruinent les producteurs28.
Dans son Rapport 2007 sur les politiques agricoles des pays membres, l'OCDE
évalue à 214 milliards d'euros le montant total des subventions versées par les 36
pays membres de l'organisation. L'aide à l'agriculture est tombée désormais à 1,1% du
PIB total des pays membres, contre 2,5% dans les années 1980. L'Union européenne
est restée de loin le grand « subventionneur », avec 110 milliards d'euros versés aux
paysans en 2006, devant le Japon (32 mds), les États-Unis (23 mds) et la Corée du
Sud (20 mds). En proportion du revenu des agriculteurs, les Coréens sont en
revanche les plus subventionnés (63%), devant les Japonais (53%), les Européens
(32%) et les Américains (11%). Le taux de subventionnement est resté stable en Corée
entre 2005 et 2006, mais il a reculé de deux points au Japon comme dans l'UE et de
cinq points aux États-Unis, où les soutiens sont étroitement liés au niveau des prix.
Parmi les pays qui aident le plus leur agriculture, on retrouve l'Islande (66% du
revenu), la Norvège (65%) et la Suisse (63%).29
L‟exemple du coton est symptomatique des incidences négatives des
subventions agricoles sur l‟ensemble des économies africaines concernées. Le coût de
production du coton en Afrique de l‟ouest et du centre (AOC) est inférieur à celui de
la plupart des autres pays. Les producteurs africains sont capables d‟affronter la
concurrence des pays développés sur le marché mondial, pourvu que celle-ci ne soit
pas faussée par des subventions massives. L'Afrique de l'Ouest et du Centre a produit,
en 2001/2002, 991 000 tonnes de coton fibre, ce qui représente environ 5% de la
production mondiale. Les exportations combinées de 9 pays membres de la
CMA/AOC représentaient 15% des échanges mondiaux de coton en 2001/2002, ce
qui fait de la région le troisième exportateur mondial de coton, après les États Unis et
l'Ouzbékistan. Quant à l'Afrique de l'Ouest, avec près d'un million de tonnes de fibres
produites soit 17% du marché mondial en 2002, le coton représente une des
principales sources de revenus de nombreux pays de la sous région. Il contribue pour
50% à 80% des recettes d'exportation du Mali, du Bénin, du Togo et du Burkina Faso.
Actuellement, les filières cotonnières africaines sont en danger mortel du fait du
dumping américain, pratique qui consiste à vendre le coton sur le marché extérieur à
des prix beaucoup plus bas que ceux du marché national pour éliminer des
concurrents.
Les subventions et le dumping américains ont fait subir aux 8 pays
producteurs de l'Afrique de l'Ouest une perte de 191 millions de dollars et en plus
elles encouragent la surproduction et font dégringoler les prix mondiaux qui sont
aujourd‟hui au niveau le plus bas depuis 1930. Les estimations du Conseil Consultatif
International sur le coton (CCCI) font savoir que le retrait des subventions
américaines rehausserait les cours du coton de 26%. Plus concrètement encore le
Mali a perdu 43 millions de dollars, soit 1,7% de son PIB et 8% de ses recettes
d'exportation, le Bénin 33 millions de dollars, soit 1.4% de son PIB et 9% de ses
recettes d'exportation et le Burkina Faso 28 millions de dollars, soit 1% de son PIB et
lors des négociations à l'OMC. Les adversaires des subventions estiment qu'elles permettent aux
agriculteurs des pays riches de déverser leur production subventionnée sur les marchés mondiaux à
des prix très bas, privant leurs homologues des pays pauvres en développement de débouchés lucratifs.
28 . « Comment voulez-vous que la ménagère m‟achète un poulet à 1 800 FCFA pièce quand elle peut se
procurer du congelé à 900 FCFA le kg ? », En Afrique de l‟Ouest, et particulièrement au Burkina Faso,
au Mali et au Niger, les importations européennes ont réduit d‟environ 50 % le prix du bœuf produit
par les éleveurs locaux.
29 OCDE
37
12% de ses recettes d'exportation. Outre l'Afrique, cette crise a affecté le Brésil en lui
infligeant des pertes d'un montant de 640 millions de dollars (en 2001/ 02) dues à la
baisse des cours et à la réduction de la part de ce dernier dans le marché mondial.
Les éleveurs d‟Afrique Australe se plaignent également des effets néfastes de
ces subventions sur leurs ventes. La Namibie, dont le bœuf représente 70 % des
exportations agricoles, subit de plein fouet la concurrence de la viande bovine
européenne sur le marché sud-africain. Déjà, 70 % à 80 % de la viande utilisée dans
les conserveries sud-africaines est importée d‟Europe.
L'objectif avoué de l‟Organisation Mondiale du Commerce dans le cycle des
négociations est l‟élimination de tous les obstacles qui empêchent l'agriculture d‟être
un secteur économique comme les autres, entièrement soumise aux effets de la
libéralisation tous azimuts. Les deux obstacles majeurs à l‟heure actuelle se réduisent
d‟une part au refus « de faire le jeu avec les mêmes règles pour tous » et d‟autre part
au fait que plus de 90 % de la production agricole est consommée dans les pays où
elle est produite et en conséquence les principaux pays exportateurs, l‟Union
européenne et les États-Unis cherchent à écouler leurs surplus de production tout en
continuant à soutenir leur agriculture par de généreuses subventions. On arrive alors
au paradoxe des positions des Grandes Puissances agricoles mondiales au niveau de
l‟OMC : protéger l‟accès à leurs propres marchés tout en obtenant l‟accès aux marchés
des autres. Les exigences africaines ne sont pas la demande de traitement de faveur
mais le respect de la loi du marché en conformité avec les principes fondamentaux de
l‟OMC. Il est donc temps d‟aller vers une réduction effective, voire une suppression
obligatoire de ces subventions, si les pays de l‟OCDE veulent rejoindre leur logique de
lutte contre la pauvreté ou de commerce équitable.
Figure 1 : Estimation du soutien aux producteurs par pays
(moyenne des produits agricoles)
Source : OCDE
38
De quelques directions de conclusion sur les enjeux du développement
agricole africain
À ce niveau de notre réflexion, on peut dire que dans les formations sousdéveloppées, la politique agraire à appliquer doit offrir une alternative à la situation
présente de l‟agriculture qui se caractérise par :
le développement de monoculture de rente destinée à l‟exportation avec des
techniques stagnantes et de faible productivité du travail,
la régression vers des formes archaïques d‟autosubsistance,
la paupérisation absolue de la population entraînant un exode rural massif de
travailleurs que ni l‟industrie, ni le secteur tertiaire ne peuvent absorber par
suite de leur absence totale de qualification professionnelle,
le repli vers des visions et idéologies bornées totalement hostiles au progrès
économique et social favorisant les formes autarciques d‟existence et les
barrières ethno tribales.
Les recherches théoriques et l‟analyse des programmes et des actions de
développement dans le secteur agricole africain, au-delà des grandes diversités,
laissent transparaître la coexistence de deux options qui sans être totalement
incompatibles n‟ont pas la même portée et les mêmes résultats de terrain
Premièrement, une agriculture basée sur l'investissement de détenteurs privés
de capitaux, la privatisation de la terre, le recours aux techniques modernes de
production et l'utilisation d'une main-d'œuvre rémunérée, a été appliquée dans
beaucoup de pays souvent suite aux recommandations des bailleurs de fonds
soucieux d‟instaurer la libéralisation totale du secteur agricole. Ce mode
d‟organisation et de production serait pour certains, la seule option pour une
agriculture productive et compétitive. Les grandes exploitations horticoles et
d'élevage intensif, certaines exploitations irriguées privées des deltas et des surfaces
irriguées préfigurent une telle agriculture. Les réformes foncières, le développement
de l'irrigation et la mise en place d'un crédit adapté permettraient aux investisseurs
privés de développer ce type d'agriculture. Cette agriculture serait plus à même de
rentabiliser les investissements coûteux dans l'irrigation et les chaînes motorisées et
d'accroître les exportations de produits agricoles et l'approvisionnement des
industries locales de transformation. Personne ne défend cette option comme une
vision exclusive ou dominante.
Donner l'exclusivité ou la priorité à cette première option soulève des
questions redoutables. Que faire des paysans ? Va-t-on juste les soutenir pour que la
pauvreté en milieu rural reste acceptable politiquement et socialement ? Que faire,
face à une explosion de l'exode rural qui risque d'en découler ? Les États ont-il les
moyens de soutenir en même temps une agriculture familiale et une agriculture à
base de capitaux ? Cette dernière ne risque-t-elle pas de se développer sur les terres
des paysans et de transformer ceux-ci en ouvriers agricoles peu rémunérés ? En fait,
les détenteurs, de capitaux désireux d'investir dans l'agriculture n'ont pas de
problème d'accès au foncier : les États n'ont jamais refusé d'attribuer des terres à
ceux qui désirent investir dans de grandes exploitations. Si « l'agriculture
entreprenariale » ou « l'agriculture sans paysan » ne s'est pas plus développée, c'est
sans doute pour des problèmes de rentabilité et non d'un environnement
institutionnel qui ne lui serait pas favorable. À moins que ses partisans souhaitent
être subventionnés par les États ou bénéficier d'avantages qui ne seraient pas
conforme aux règles d'une saine concurrence.
Deuxièmement, une option courante en Afrique est la construction d‟une
économie agricole basée sur la transformation et la modernisation de l'exploitation
39
familiale paysanne. Cette option pose aussi beaucoup de problèmes ardus. Comment
éviter le développement d‟exploitations familiales morcelées, sur des terres pauvres et
dégradées, avec pour conséquences l'extension endémique de la pauvreté et de
l'exode rural ?
En définitive la synthèse que l‟on peut retenir est que ces deux options ne sont
pas incompatibles. Elles peuvent être combinées dans une vision qui donne la priorité
à la modernisation des agricultures africaines pour des raisons d'efficacité
économique et d'équité sociale. On ne peut abandonner à son sort à une population
rurale qui, à l'horizon 2015, constituera encore plus de 60% de la population
africaine. Ce serait un handicap insurmontable pour le développement économique et
social des pays. Aucun secteur de l'économie urbaine ne semble pour l'instant en
mesure de les intégrer. En effet, les pays du Nord ont modernisé leur agriculture
familiale à un moment où l'industrie et l'économie urbaine étaient en pleine
expansion et pouvaient absorber sans difficulté les surplus de main d'œuvre rurale,
où la croissance de la population rurale était en baisse et où il était possible de
protéger son marché national et de subventionner son agriculture. Les PSD doivent
réussir cette modernisation dans un contexte où l'industrie et l'économie urbaine
connaissent une faible expansion et donc ne sont pas en mesure d'absorber une main
d'œuvre rurale en très forte croissance et dans un contexte de libéralisation et de
mondialisation de l'économie.
Troisièmement cette synthèse commande de pousser la recherche vers l‟appui
à la formulation d‟une politique cohérente de développement agricole et rural. Les 7
axes de réflexion esquissés constituent parfaitement un programme de Recherche
pour une nouvelle économie rurale qui doit être confrontée aux politiques des Etats
pour en proposer des améliorations éventuelles et pour dégager les orientations et les
stratégies d'une politique de formation agricole et rurale qui les complète et les
renforce. Pour dépasser cette situation, il s‟impose une transformation radicale des
structures à partir d‟un autre modèle et vision du développement économique et
social. Dans cette direction, la politique agraire doit être entièrement repensée et
reformulée pour rendre l‟agriculture apte à dégager un surplus important et à élever
la productivité du travail.
Des mesures ponctuelles, si habiles et appropriées qu‟elles soient ne sauraient
remplacer une politique cohérente qui seule peut permettre à l‟agriculture :
de créer des surplus importants donc d‟alimenter les fonds nationaux
d‟accumulation pour le financement du développement économique et
social30,
d‟accroître et de diversifier la production agricole et de couvrir ainsi les
besoins vivriers en croissance rapide du fait de l‟explosion urbaine,
d‟élever la productivité et l‟efficacité du travail ; ce qui va permettre de libérer
une partie de la main d‟œuvre pour d‟autres activités productives,
d‟élargir et de diversifier les bases de l‟industrialisation.
Si l‟agriculture doit accomplir ces fonctions économiques et sociales, elle doit
être rationnellement réorganisée par l‟État à qui il revient de créer des fermes ou des
exploitations d‟expérimentation et de recherche qui contribueront à lui permettre une
plus grande maîtrise du développement des forces productives dans le secteur.
Michel GUTELMAN observe dans ce sens que dans toute réforme agraire la question essentielle est
de savoir où est passée la rente. Celle-ci peut être utilisée à la consommation somptuaire et personnelle
de celui qui la perçoit ou bien elle peut être transformée en capital technique soit dans le secteur
agricole, lui-même soit dans le secteur industriel. C‟est cette transformation de la rente qui est désigné
par l‟expression «capitalisation de la rente» (p.183).
30
40
Pour dépasser cette situation, il s‟impose une transformation radicale des
structures à partir d‟un autre modèle et vision du développement économique et
social. Dans cette direction, la politique agraire doit être entièrement repensée et
reformulée pour rendre l‟agriculture apte à dégager un surplus important et à élever
la productivité du travail.
Une attention particulière sera attachée au progrès technique, à la recherche
scientifique. Les pays sous-développés n‟ont ni les mêmes échéances, ni les mêmes
exigences que les formations sociales mûres que celles-ci soient capitalistes ou
socialistes ; ils doivent trouver des raccourcis pour combler le retard de leurs forces
productives matérielles et humaines. Ils ne peuvent le faire qu‟en utilisant
systématiquement et de façon généralisée les technologies les plus avancées, les plus
progressives. Le progrès technique est à mettre, quel qu‟en soit le coût, au service du
développement économique car si le progrès technique se tourne contre l‟homme,
cela tient à la nature même des rapports sociaux et de production. La recherche est à
élever au rang des préoccupations fondamentales. Les tâches en la matière se
résument principalement dans les orientations et options suivantes :
élaboration d‟une politique et d‟une administration non bureaucratisée
d‟impulsion et de gestion de la recherche techno-agronomique qui auront
vocation de coordonner, harmoniser toutes les recherches entreprises par des
institutions nationales privées et publiques,
mobilisation des moyens financiers mais aussi humains et matériels en vue de
l‟équipement et du fonctionnement de laboratoires et autres stations
d‟expérimentation,
création de banques de données pour tous les chercheurs et autres
professionnels de l‟agriculture ainsi que l‟institution de puissants moyens de
diffusion et de vulgarisation des résultats obtenus,
réforme radicale des institutions universitaires de formation et de recherche
pour les impliquer davantage au processus de transformation de l‟agriculture.
Ces institutions mettront à la disposition de l‟agriculture des cadres techniques
et en même temps prendront en charge la recherche fondamentale et diffuseront
dans la jeunesse estudiantine des modes de pensée favorable à l‟agriculture.
La politique agricole ne triomphera dans les PSD que si elle réussit à
revaloriser profondément l‟agriculture et à transformer les paysans en une force
sociale dynamique, politiquement et techniquement préparée à assumer un vaste et
profond processus de changement de leur environnement socio-géo-économique. Il
faudra comme le souligne une étude du Club de Dakar considérer les paysans non pas
comme une source d‟alimentation des caisses de l‟État mais comme une force
dynamique, capable de contribuer à la construction nationale. Les promesses faites
par les hommes politiques et les fonctionnaires n‟ont pas été tenues, par conséquent,
le monde rural est retombé dans la prostration et l‟apathie… Les vieux qu‟on trouve
dans les villages sont fatigués et les jeunes des villes ne veulent pas s‟y rendre sans
être assurés de pouvoir profiter de tous les avantages du monde moderne. Il faudrait
alors revaloriser le monde rural, lui redonner ses valeurs culturelles et lui indiquer
des méthodes de production, seules susceptibles de promouvoir un développement
autocentré»31. Ce sont là des tâches que l‟État seul peut entreprendre et réussir s‟il
Club de Dakar : Évolution passée et situation actuelle des pays francophones. Rapport de M. ILLY de
l‟Afrique Équatoriale. Document ronéoté. Il écrit que ce qui manque au niveau des gouvernements,
c‟est une prise de conscience sans réserve et une appréciation approfondie des actions de
développement menée depuis l‟indépendance, une mise en évidence des défaillances humaines
politiques et administratives. Ce qui se produit dans les démocraties à travers les débats
31
41
sait échapper au travers bureaucratique, au paternalisme et au volontarisme, aux
folles prétentions d‟apporter du dehors et d‟en haut les modifications structurelles du
milieu rural. Il doit alors trouver la voie et les formes les plus accessibles et les plus
acceptables aux populations rurales pour réaliser toutes les mutations économiques
et sociales.
parlementaires, les changements de pouvoir et une presse éclairée compétitive, n‟est point possible en
Afrique : on crée et entretient des tabous et des mythes, des terrains sacro-saints et une
communication à la hauteur de radiotrottoir.
42
CHAPITRE 16:
INDUSTRIALISATION ET DEVÉLOPPEMENT :
QUELLES PERSPECTIVES POUR L’AFRIQUE ?
Faut-il encore des politiques industrielles ? 32
« GHANDI et son rouet, MAO et ses hauts fourneaux de
campagne ont cheherché des voies nouvelles. Derrière eux, nombre
d’intellectuels,
partisans
de
la
technologie «intermédiaire»,
« adaptée », appropriée ou « pertinente», restent persuadés que l’on
peut écrire pour chaque situation une histoire industrielle
spécifique…33 »
Henri Rouillé d’ORFEUIL
L‟industrialisation s‟est toujours posée, au niveau des PSD comme une priorité
pour la valorisation des ressources naturelles d‟origine agricole et minière, dans la
recherche des nombreuses externalités positives qu‟elle exerce sur l‟ensemble des
secteurs de l‟activité économique et sociale : création de valeur ajoutée, effets
d‟impulsion sur d‟autres secteurs d‟activités (économiques, agricoles et tertiaires),
nombreux effets induits, création d‟emplois, augmentation des revenus des individus
et des finances publiques, incidences sur l‟organisation sociale et le bien-être des
populations. En toute conséquence, le système industriel contribue d‟une part à une
meilleure exploitation des ressources naturelles et d‟autre part à accroître le savoirfaire et les innovations technologiques.
Pourtant, malgré ces effets positifs attendus, deux idées défavorables sont
véhiculées concernant les politiques industrielles. Selon la première, à l'heure de la
mondialisation, les politiques industrielles ne seraient plus nécessaires ; quant à la
seconde, elle affirme qu‟aujourd‟hui ces politiques ont radicalement changé de nature
car elles intéressent des territoires ayant des attractivités qui les rendent compétitives
comme les infrastructures de base, la qualité de l'environnement institutionnel et des
affaires, la sécurité des biens et des personnes, la disponibilité de pôles de recherche
et d‟innovation et des systèmes pertinents de formation des ressources humaines.
Les débats sur la politique industrielle sont ainsi bien relancés surtout à la
lumière des préoccupations des PSD qui se caractérisent généralement par leurs
faibles bases industrielles. Ce qui avait amené l‟ONUDI à la Conférence de Lima
(1975) à fixer l‟objectif de 25% de la Production industrielle mondiale en 2005 à
atteindre par les Pays du Tiers-Monde. Trente années après, on est trop éloigné de
l‟objectif car ces pays réalisent à peine 10%, même si certains d‟entre eux ont créé des
espaces industriels assez denses notamment en Asie et en Amérique Latine.
Dans cette direction, trois questions se posent et doivent être nettement
élucidées au double plan théorique et pratique:
1°) Quels sont les effets attendus de toute forme d‟industrialisation, autrement
dit, quelles ont été les fonctions essentielles de l‟industrialisation dans les processus
historiques de développement économique et social des pays actuellement
développés?
C‟est le titre d‟un article de Philippe FREMEAUX. À la Session de 2001 de l‟École de Dakar, j‟avais
introduit une question pas très éloignée de celle Ŕlà : L‟industrialisation est-elle encore possible ?
Alors Quel modèle pour le Sénégal ? Cette réflexion sera publiée comme une évaluation concrète d‟un
système industriel africain
33 H.R.d4ORFEUIL : Le Tiers monde, Colletion Repères, La Découverte, Édition de 1997 p58
32
43
2°) Ces fonctions peuvent-elles se reproduire dans les PSD fortement articulés
à la mondialisation par une spécialisation dans l‟exportation des matières premières
agricoles et minières industriellement valorisées à l‟extérieur ? Une stratégie
conséquente d‟industrialisation dans ces pays dépendants et aux structures
productives extraverties est-elle encore possible?
3°) Malgré une présumée inexistence de perspective industrielle au regard de
l‟organisation des nouveaux territoires industriels au Nord, les NPI d‟Asie se sont
ouverts
des
boulevards ;
cette
voie
inédite
appelle
de
nouvelles
questions : « comment ont-ils fait ? Le processus est-il ouvert pour les PSD, y compris
ceux d‟Afrique ? Ou sont-ils irrémédiablement condamnés à être des exportateurs de
matières premières agricoles et minières et importateurs nets de biens industriels ? »
Si ces trois (03) problématiques ne sont pas clairement éclaircies, on ne
saura jamais de quoi on parle en matière d‟industrialisation, et encore moins ce qu‟il
faut réellement faire.
Section 1 : Quelques observations sur les bénéfices produits et
attendus de toute industrialisation.
Si les débats sur les perspectives et modèles d‟industrialisation dans les pays
en voie de développement sont d‟une affligeante pauvreté, cela procède souvent des
obscurités de départ sur le rôle historique de l‟industrialisation dans le processus de
développement économique et social. Faute d‟avoir profondément analysé ces
fonctions industrielles, les théoriciens sont balancés entre deux extrêmes : la
première qu‟on pourrait qualifier d‟industrialisme tente d‟expliquer toutes les
évolutions socio-économiques par la révolution industrielle ; en d‟autres termes, c‟est
elle qui introduit toutes les ruptures dans le système productif et même social pour
installer des mécanismes et un dynamisme nouveau : l‟industrie est une condition
nécessaire et suffisante du développement économique et social. On sert de la
barbarie par transformation des outils. Le second extrême considère
l‟industrialisation comme l‟étape la moins importante. Pour sortir de ces visions
extrémistes, il importe de retracer les fonctions de l‟industrialisation telles qu‟elles se
révèlent dans l‟expérience des pays actuellement industrialisés.
À grands traits, l‟histoire des pays établit que l‟industrie a produit cinq (05)
séries d‟effets qui font qu‟elle est désirée et considérée comme une variable essentielle
du processus de transformation des forces productives matérielles et humaines. Ces
séries d‟effets se résument comme suit :
l‟accroissement de la productivité du travail et de celle des autres sous-secteurs
de l‟activité économique ; en d‟autres termes, l‟industrie en assistant les bras
de l‟homme et les autres secteurs d‟outils fonctionnels, accroît leur niveau
d‟efficacité 34; c‟est ainsi que certains goulots d‟étranglements sont liquidés, ce
qui permet l‟avènement d‟un travail plus efficient ;
la valorisation des ressources naturelles conformément aux besoins des autres
secteurs. De ce fait, l‟industrie devient la source d‟importantes économies
externes. C‟est cela qui permet le fonctionnement d‟un système productif
cohérent au niveau des différentes activités de production ;
L‟industrie, c‟est la possibilité de créer des outils qui améliorent systématiquement les conditions de
travail des producteurs et dans les branches. C‟est ce qui fait écrire à A. EMMANUEL que
« sommairement parlant, la production de richesses est fonction de la quantité d‟outils et de matière
grise dont les bras de l‟homme sont absents dans le travail productif » (Le prix rémunérateur).
34
44
la formation et l‟accroissement du capital productif national. Le processus
d‟industrialisation est largement générateur de surplus financiers qui peuvent
être réinvestis pour accroître les capacités intra-sectorielles de production
(investissement autonome) ou transférés vers d‟autres utilisations productives.
Ainsi, l‟industrie se présente comme une source importante d‟accumulation ;
l‟industrie contribue largement à la création et à l‟affermissement du marché
national, c‟est-à-dire qu‟elle ne peut exister sans élargir la sphère de la
circulation des biens et briser les barrières régionales. De fait, elle contribue
ainsi à la création d‟une infrastructure de base. Comme l‟observe J. E.
RWEYNEMAMU, l‟industrie a «développé les économies en les intégrant et en
les rendant souples et capables d‟engendrer elles-mêmes une croissance
autonome»35 ;
l‟industrie accroît et diffuse la technologie et devient ainsi un vecteur
d‟élargissement du potentiel scientifique et technique, un amplificateur du
savoir faire.
Ces effets attendus justifient la mise en place de politiques industrielles qui en
dernière instance, permettent non seulement une amélioration de la productivité
globale et des aptitudes techniques, mais aussi une valorisation ou une exploitation
conformément aux besoins de l‟activité économique des ressources naturelles.
Cependant, ces effets ne peuvent être produits dans les meilleures conditions
par n‟importe quelle structure industrielle. Si le secteur des biens d‟équipement est
jugé prioritaire, c‟est principalement à cause de sa capacité à optimaliser chacune des
cinq (05) fonctions retenues. On dit alors que la forme industrielle optimum est
l‟industrie industrialisante qui possède la capacité à installer une structure
industrielle ayant d‟importants effets d‟entraînement et de polarisation, possédant les
moyens internes de formation et de diffusion d‟une importante technologie.
Bien entendu, les conditions de création de cette forme d‟industrialisation ne
sont pas toujours présentes. Historiquement dans les pays développés, elles ont été
facilitées par deux facteurs : d‟un côté la nécessité objective de produire ces biens en
l‟absence de toute autre possibilité et de l‟autre, le fait qu‟il n‟y ait pas eu une grande
disparité entre les technologies modernes et les technologies traditionnelles.
Ces deux facteurs sont largement battus en brèche dans les formations sousdéveloppées par d‟une part, les possibilités d‟importation des biens d‟équipement qui
ne rendent plus nécessairement impératif leur production interne et d‟autre part,
l‟important gap technologique qui sépare le secteur moderne et le secteur
traditionnel. Ces spécificités n‟enlèvent rien au fait que l‟industrie qui maximise les
effets est l‟industrie industrialisante.
Cette structure industrielle peut-elle être induite dans les formations sousdéveloppées articulées à la Division Internationale du Travail (DIT) ?
Section 2 : L’industrialisation avortée des PSD insérés dans la
mondialisation
Le processus d‟industrialisation des formations sous-développées insérées à la
DIT se caractérise selon l‟expression de Samir AMIN par une « distorsion en faveur
des branches et techniques légères » qui apparaît, au demeurant, dans les deux
formes dominantes de l‟industrialisation par substitution aux importations et la
J.F. RWEYEMAMU : Le modèle de développement industriel capitaliste perverti Ŕ
IDEP/ET/CS/2367-18.
35
45
délocalisation faisant suite à l‟émergence tendancielle d‟une
alors s‟interroger sur les perspectives qu‟offrent ces
d‟industrialisation
extravertie,
c‟est-à-dire
animée
technologiquement par l‟extérieur, principalement selon la
valorisation internationale du capital.
nouvelle DIT. Il faut
deux (02) modèles
financièrement
et
logique même de la
I/ Les effets de l’industrialisation par substitution aux importations
La littérature sur la question est aujourd‟hui fort variée mais il n‟existe aucun
auteur pour soutenir que le modèle d‟industrialisation a produit des effets
d‟entrainement sur les économies concernées. L‟unanimité semble même se faire
autour de l‟idée que les statistiques confirment, selon laquelle l‟industrie par
substitution aux importations (ISI) part d‟une demande préexistante formée par les
besoins de la minorité fortunée liée aux activités exportatrices, spéculatives d‟origine
commerciale et immobilière ou aux hautes sphères des fonctions publiques et douée
d‟un modèle de consommation similaire à celui des pays capitalistes développés.
Cette demande détermine les techniques à adopter, c‟est-à-dire le coefficient de
capital. Le processus d‟industrialisation sera donc totalement conditionné par ces
préalables et fonctionnera en circuit fermé pour les minorités locales fortunées. La
conséquence comme le souligne M. IKONICOFF est que ni la disponibilité des
facteurs, ni la constellation des ressources à l‟échelle nationale ne sont des données
significatives du choix de la technologie36, autrement dit, le vecteur de
l‟industrialisation est la demande interne à satisfaire, en conséquence les effets
induits par les facteurs de production seront limités. Dans ces conditions, «l‟ISI, loin
de constituer une prolongation de l‟appareil productif traditionnel ou une
transformation de ce dernier, constitue un transfert du centre vers la périphérie
d‟activités productives liées à une clientèle consommatrice conditionnée et
contrôlée»37.
Par ailleurs, ce modèle d‟industrialisation augmente, accentue les
déséquilibres dans le système productif et dans la structure sociale. En effet, il exclut
de la consommation des biens manufacturés de trop larges couches de la population.
C‟est ainsi que va se renforcer l‟hétérogénéité structurelle caractéristique des pays
sous-développés et défavorable au progrès socio-économique.
Toute la littérature sur l‟industrialisation de substitution d‟importation
s‟accorde sur un certain nombre de constatations à savoir :
que le modèle ne contribue ni à la création de biens d‟équipement ni à
l‟accroissement des économies externes des autres secteurs de l‟activité
économique avec lesquels il a du reste des liens très réduits, ni même à
l‟augmentation de la productivité du travail ;
que le modèle accroît la dépendance technique et financière, sans que celle-ci
ne soit quelque peu compensée par des retombées positives sur la technologie,
la productivité et l‟accumulation interne de capital. Dans cette optique, l‟ISI
contrôlée au triple niveau technique, financier et gestionnel est à la fois un
facteur d‟endettement et de déséquilibre extérieur ;
qu‟il consolide, les enclaves industrielles, désarticule l‟économie et favorise la
création de structures oligopolistiques non concurrentielles ;
M. IKONICOFF : « Transfert de technologie et conditions d‟industrialisation ». Revue Coopération
Technique, juin 1973.
37 Abdel Kader S. AHMED : « Sous-développement, industrialisation et dépendance ». Revue
algérienne, sept. 1976.
36
46
qu‟il développe des effets sociaux importants en creusant «la dichotomie entre
d‟une part, la masse marginalisée des ruraux et des populations périurbaines
et d‟autre part, les minorités liées aux secteurs modernes industriel,
administratif et commercial des villes»38.
Pour des pays dont le système des forces productives accuse un retard énorme,
et qui ont par conséquent besoin d‟une industrialisation accélérée augmentant, quel
qu‟en soit le coût, la productivité du travail et des autres secteurs, permettant une
mise en valeur intégrale des ressources naturelles, l‟industrialisation par substitution
d‟importation n‟est pas la voie. Même si l‟ISI est la source d‟une croissance reposant
sur des actions polarisées, elle restera toujours limitée par l‟étroitesse du marché
intérieur circonscrit principalement aux hauts niveaux de revenus urbains 39. C‟est en
cela que l‟ISI est une forme avortée d‟industrialisation, c‟est-à-dire qu‟à terme, elle
connaîtra irrémédiablement un blocage insurmontable qui la ramène à une industrie
fonctionnant en circuit fermé40. Le processus restera bloqué tant que le système
industriel ne s‟élargit pas à la demande des populations rurales et des autres secteurs
décisifs de la vie économique. Seulement, si cette extension s‟opérait, cela signifierait
que l‟industrialisation cessera d‟être de substitution aux importations.
En clair, l‟avenir industriel n‟est pas dans la stratégie d‟industrialisation par
substitution aux importations qui est imposée et non maîtrisée dans ses différentes
composantes par les formations sociales sous-développées. Un tel système fonctionne
par et pour les économies centrales.
Qu‟en est-il de la seconde tendance que l‟on observe dans les pays sousdéveloppés articulés à la division internationale du travail : la délocalisation
industrielle ?
II/ La délocalisation industrielle est- elle industrialisante ?
La crise de l‟économie mondiale sans être aussi spectaculaire que celle de 1929,
n‟en demeure pas moins plus ample, plus étendue, plus profonde et plus longue.
D‟abord, elle est caractéristique par son ampleur car elle affecte toutes les
composantes de la vie économique et tous les pays quels que soient leur taille, leur
poids et leurs options de système. Certains, à la vue de ces faits, ont pensé que l‟on est
arrivé à la phase ultime du libéralisme et qu‟il s‟amorce une nouvelle phase d‟autarcie
ou de multilatéralismes partiels. L‟ordre productif est sérieusement ébranlé, de même
que les échanges et le système monétaire tombé en ruine.
Ensuite, la crise actuelle est caractéristique par sa profondeur et l‟étendue de
ses effets. L‟inflation s‟est généralisée en s‟imposant comme un phénomène
permanent. Elle exprime la crise monétaire internationale et l‟installation de fortes
fluctuations monétaires, une dégradation de toutes les institutions monétaires et les
structures de coopération et de concertation. L‟insécurité est la cause de l‟instabilité
monétaire permanente et générale. Le chômage est l‟autre composante et affecte des
Patrice ROBINEAU : « Impact de l‟industrialisation sur la production agricole et le développement
rural ». Monde en développement, n° 31/32, 1980.
39 MONTASSER fait observer que la phase de substitution n‟est pas toujours caractéristique mais ce
qui est important, c‟est que la production de substitution pourrait être le moteur de la croissance.
Seulement, le niveau de cette production sera toujours fonction de la demande de minorité
possédante. L‟extension ne pourrait venir que d‟une nouvelle distribution des revenus ou d‟une
extension des bases de l‟exportation (sur le marché mondial) de la production interne. Il y a là une
série de problèmes qui se transmettent en facteur de blocage de l‟ISI.
40 Alexandre FAIRE : « Stratégie du Nord et Stratégie du Sud » in. L‟Avenir Industriel de l‟Afrique
Édit. L‟harmattan.
38
47
millions de travailleurs. Jamais l‟armée de réserve n‟a été aussi imposante
quantitativement et qualitativement.
Dans les formations sous-développées terriblement endettées, la famine et la
misère s‟installent et pèsent comme une rude fatalité sur des millions de personnes
condamnées à tendre la main pour survivre et à attendre leur existence de la bonne
volonté et de la générosité internationale.
Enfin, la crise actuelle est caractéristique par sa durée. Elle a démarré vers les
années 1970 et elle dure encore. Les crises passées, quelle que soit leur rigueur, ont
été relativement de courte durée.
Pour en sortir, il faut un bouleversement radical de l‟ordre politique, social et
économique mondial, une restructuration de l‟espace mondial, de la division
internationale du travail. Il semble que la réponse capitaliste tourne autour de
l‟éclatement de la DIT et de la constitution de blocs relativement autonomes
correspondant à une stratégie de division des risques. Il s‟agit donc de créer une
nouvelle hiérarchisation fondée principalement sur la maîtrise de certains éléments
du pool technologique. La délocalisation industrielle procède de cette logique du
monde multipolaire. Quel en est le principe ?
Dans l‟optique de l‟internationalisation, chaque entreprise utilise au mieux de
ses intérêts l‟espace régional de déploiement du capital. Elle essaiera de découvrir le
lieu optimal de production et de commercialisation et en conséquence, décomposera
les processus de production. C‟est la tendance à la création de filiales-relais41,
notamment dans les formations sous-développées où les coûts de la main d‟œuvre
sont faibles.
Selon A. FAIRE, les bases objectives de la délocalisation sont l‟épuisement des
innovations technologiques majeures au Centre et le fait que la concurrence devient
essentiellement une concurrence par les coûts qui pousse les groupes vers des régions
à faibles rémunérations du travail. En effet, les groupes qui ont les coûts les plus
faibles peuvent élargir leurs marchés aux dépens des autres42 .
Ce processus de délocalisation tendant à rejeter vers la périphérie certains
segments de production concerne principalement les secteurs industriels déclinants,
certaines productions technologiquement banalisées ou absorbant une forte quantité
de main-d‟œuvre43. Comme l‟obverse A. FAIRE, «qu‟il s‟agisse d‟unités de production
de produits banalisés contrôlées par les groupes multinationaux … ou appartenant
aux secteurs non monopolistes de l‟industrie du centre (textile, habillement, cuirs et
chaussures, …), la relative stagnation des marchés centraux provoquée par la crise,
rend considérablement plus sévère la concurrence par les coûts ... Dans la mesure où
la crise a déjà réinstauré le leadership américain dans le monde occidental, on
pourrait penser que rien ne s‟oppose plus à un mouvement important de
délocalisation industrielle vers les pays du Tiers-Monde, concernant l‟ensemble des
branches industrielles, à l‟exception des industries de pointe»44.
Ces transferts peuvent être importants et concerner des secteurs décisifs
(sidérurgie, pétrochimie) seulement, au meilleur des cas, ils forment un processus
industriel de contrôle constituant un facteur d‟articulation au marché mondial et
ayant un coût financier et social excessif. En effet, comme l‟observe D. GERMIDIS,
Dimitri GERMIDIS : « Firmes multinationales et transferts technologiques dans les PVD ». Revue
Civilisation, n° 3-4, 1978.
42 Alexandre FAIRE : « l‟Avenir industriel de l‟Afrique », p. 100. Édit. L‟Harmattan.
43 B. MADEUF : « Le transfert de technologie et la nouvelle DIT ». Revue d‟Économie Industrielle, n°
14, 1980.
44 A. FAIRE, op. Cit. pp. 101-103.
41
48
les firmes délocalisées jouent le rôle de sous-traitant à l‟échelle internationale et cela
entraîne une modification du transfert technologique vers le pays d‟accueil.
La délocalisation ne saurait alors présider à une stratégie conséquente
d‟industrialisation. La décision échappe au contrôle des décideurs45.
L‟ISI comme la délocalisation industrielle ne constituent pas des modèles
d‟une politique industrielle conséquente. Elles procèdent de la volonté du capitalisme
mondial de dominer ses marchés extérieurs comme prolongements indispensables
des marchés intérieurs, d‟opérer une installation efficiente au mieux de ses intérêts et
de réaliser ainsi une valorisation internationale du capital. C‟est dire que le
capitalisme périphérique extraverti n‟offre aucune perspective transparente d‟une
industrialisation indépendante et capable de produire d‟importants effets induits sur
l‟emploi, la technologie, la productivité. Quelle est la stratégie d‟industrialisation la
plus progressive ?
Section 3 : Quel modèle alternatif pour l’industrialisation des
PSD ?
Les axes d‟une politique industrielle indépendante et autocentrée se formulent
aisément et se réduisent d‟une part à la définition et a la mise sur pied d‟une
industrialisation rurale qui ne procède d‟aucune accumulation primitive. Cependant,
celle-ci s‟organise pour fournir des moyens de production et de biens de
consommation nécessaires à l‟expansion de l‟agriculture ; d‟une part l‟industrie doit
rendre possible la révolution agricole. Et d‟autre part elle doit participer à
l‟élaboration d‟une politique, de mécanismes d‟appropriation et de diffusion de la
technologie permettant une amélioration de la technique et de la productivité du
travail.
La réalisation de tels objectifs passe par une analyse des articulations
expressives :
agriculture Ŕ industrie,
industries lourdes Ŕ industries légères,
technologie à coefficient capitalistique élevé Ŕ technologie utilisatrice de maind‟œuvre.
Cette analyse permettra de dégager les directions d‟action, donc les
domaines d‟allocation des ressources financières et humaines.
I/ L’industrialisation rurale : l’organisation des relations de production
intersectorielle
Les PSD sont principalement des sociétés où l‟agriculture est dominante par
les ressources qu‟elle procure et la population qu‟elle occupe. Pour cette double
raison et également pour les fonctions qu‟elle a historiquement jouées dans le
développement économique et social, elle est un élément essentiel, une pièce centrale
dans la stratégie des transformations socio-économiques. La crise profonde dans
laquelle elle est placée, qui se matérialise dans la faiblesse de la productivité du
travail, le caractère rudimentaire des outils, le faible volume des surplus formés et la
dégradation permanente de l‟existence des producteurs, trouve sa solution dans deux
Les Zones Franches constituent une parfaite illustration de cette industrialisation d‟enclave. On
installe ainsi dans un pays sous-développé une filiale atelier qui échappe totalement au contrôle des
autorités locales.
45
49
(02) directions : d‟une part les transformations structurelles et d‟autre part, son
articulation en amont comme en aval avec le secteur industriel.
Disons le clairement, les formations sous-développées ne pourront accéder à
une mutation structurelle adéquate et une transformation radicale de leur agriculture
si elles ne constituent pas un système industriel qui satisfasse les besoins en amont et
en aval de l‟agriculture. En amont, ce système industriel doit fournir les instruments
de travail mécanique, les produits phytosanitaires, les fertilisants nécessaires pour
réaliser une expansion régulière de la production. En aval, l‟industrie doit contribuer
à la valorisation de la production agricole ; ce qui commande la promotion des
industries agroalimentaires, textiles, des cuirs et pharmaceutiques.
C‟est de cette manière que l‟industrie, contrairement à l‟expérience historique
européenne, rendra possible et relancera la révolution verte indispensable. Dès lors,
les relations entre l‟agriculture et l‟industrie deviennent déterminantes pour un
développement économique équilibré. Elles vont constituer un ensemble de systèmes
complexes qui sera au cœur des préoccupations des décideurs politiques et des
techniciens du développement.
Comme le recommande Pierre GONOD46, l‟élaboration d‟un modèle entendu
comme la schématisation grossière d‟une réalité riche et complexe est nécessaire pour
représenter les diverses articulations entre les deux (02) secteurs et pour opérer des
choix décisionnels. Les axes pourraient être :
Premièrement, l‟analyse du système rural pour saisir l‟ensemble des éléments
interconnectés et appréhender toutes les contraintes et obstacles qui s‟opposent aux
transformations. Cela concerne l‟écosystème, la force de travail, l‟ethnie, la culture.
Cette analyse revêt toute son importance car elle devra permettre de décrypter toutes
les relations des divers éléments de la structure agraire complexe. On verra alors les
modifications à apporter et la méthode à utiliser.
Deuxièmement, la spécification des moyens de production nécessaires et
adaptés au système rural considéré comme un tout intégré. Pierre GONOD distingue
trois (03) catégories de moyens de production : les moyens de production exogènes,
c‟est-à-dire ceux fournis par l‟industrie (moyens mécaniques, chimiques,
énergétiques). On pourra observer que chaque catégorie de moyens peut donner lieu
à la constitution d‟une industrie. On aurait alors trois (03) sous-secteurs industriels
liés aux activités agricoles :
celui de l‟aménagement des infrastructures de base : réseaux d‟irrigation,
barrages, bâtiments de stockage, etc.,
celui des biens de consommation intermédiaires que l‟on appelle les intrants
agricoles : les machines-outils, les engrais, les produits phytosanitaires,
celui de la valorisation, de la conservation et de la transformation de la
production agricole.
Il apparaît clairement à la simple énumération de ces domaines
d‟action, que le secteur agricole peut et doit en dernière instance, définir le contenu
de l‟industrialisation. En d‟autres termes, la structure industrielle à développer devra
être orientée pour servir principalement l‟expansion soutenue de la production et des
activités agricoles.
Troisièmement, les techniques de production trouveront à articuler de façon
harmonieuse celles qui sont extensives avec celles qui sont intensives.
C‟est à ce niveau que l‟on perçoit tout l‟intérêt de l‟industrialisation rurale.
Selon l‟observation de P. F. GONOD, «les unités agricoles en tant que centre de
Pierre F. GONOD : « Vers un rééquilibrage des relations entre l‟agriculture et l‟industrie ». Revue
«Monde en Développement », n° 31-32, 1980.
46
50
pouvoir réagissent aux perturbations économiques externes». Elles sont obligées
d‟améliorer leur forme d‟organisation et de gestion pour ne point subir de sanctions
économiques négatives qui les condamneraient à la disparition.
Elles vont se trouver ainsi dans l‟obligation d‟épouser une nouvelle rationalité
en cherchant les combinaisons les plus efficientes des intrants industriels pour
maximiser les profits. Ainsi, l‟industrie déclenche au niveau de l‟agriculture non
seulement un esprit productiviste mais aussi de nouvelles normes de décision, de
production et de gestion des unités économiques. De même, la propension à
l‟utilisation de technologie progressive dans le monde rural va s‟élargir. La
paysannerie comprendra toute seule, ou aidée par les divers services de recherches et
de vulgarisation, que l‟obtention d‟une production élevée, donc des revenus
monétaires appréciables est directement fonction d‟une agriculture intensive au
double niveau de la productivité du sol et du travail. Or, ces objectifs de productivité
sont atteints par une utilisation des engrais et de la mécanisation.
Si la socialisation de l‟agriculture est recherchée, c‟est bien pour obtenir des
unités économiques de dimension optimale permettant une utilisation efficiente des
intrants de l‟industrie rurale. C‟est l‟une des raisons pour lesquelles le socialisme doit
d‟une part, lutter mais très démocratiquement contre le principe travailliste de la
terre à ceux qui la travaillent et d‟autre part, mettre sur pied de façon non
bureaucratique des fermes d‟État. Dans un premier cas, le morcellement des terres
installe des formes minifundiaires qui posent plus de problèmes qu‟elles n‟en
résolvent. Comme le note A. BOUZIDI, «saisir les terres puis les redistribuer selon ce
principe ne règle absolument pas la question de savoir dans quel cadre doivent
travailler ceux qui perçoivent la terre, pour quels objectifs précis doivent-ils le faire et
comment les emmener à le faire effectivement»47. Ce problème est important,
seulement il doit être réglé démocratiquement par une persuasion de la petite
paysannerie pauvre et parcellaire pour l‟entraîner vers la coopération. Dans le second
cas, l‟État devra donner l‟exemple en réorganisant l‟agriculture de façon rigoureuse et
conséquente. Il pourra alors créer des unités de dimensions appropriées pour
recevoir la mécanisation et les autres facteurs modernes de production agricole. Il
reste entendu que le travers bureaucratique devra être dépisté et impérativement
éliminé.
Au total, l‟unité de décision qui optimise les intrants de l‟industrie doit être de
grande taille car s‟il n‟en était pas ainsi, les investissements techno-agronomiques
réalisés ne pourraient être rentabilisés. En effet, toute baisse tendancielle des surplus
monétaires de la paysannerie serait un frein au processus recherché de
modernisation de l‟agriculture.
Par l‟industrialisation, les formations sous-développées doivent amorcer dans
les meilleures conditions, une profonde révolution agraire. Il s‟agit de mettre la
science et le savoir-faire technique au service d‟un vaste mouvement de
transformation radicale et profonde des structures et de la base matérielle du secteur
agricole.
Le second aspect de l‟industrialisation concerne la valorisation en aval de la
production agricole. Ces industries d‟aval exercent d‟importants effets sur les
techniques de production. Il s‟agit principalement d‟un feed-back qui «se manifeste
sous forme contractuelle dans le cas d‟intégration verticale par le respect de
programmes de production, de livraison, de standards de qualité, qui sont
directement liés à l‟utilisation de techniques déterminées»48. En plus, de telles
47
48
A. BOUZIDI, op. cit., p. 300
Pierre F. GONOD : op. cit., p.281.
51
industries fournissent aux populations rurales un complexe de biens permettant de
couvrir certains besoins quotidiens. Enfin, elles contribuent dans une large mesure à
la décentralisation industrielle.
Au total, l‟industrialisation rurale permet :
premièrement, le double accroissement de la productivité du sol et du travail,
donc l‟augmentation de la production ;
deuxièmement, le développement conséquent d‟une substitution aux
importations, donc d‟une réduction du déficit extérieur,
troisièmement le transfert et la diffusion technologique,
et quatrièmement, elle augmente l‟efficience de l‟ensemble des structures de
production et même de commercialisation.
La Chine comme l‟Inde ont offert des expériences édifiantes en matière de
politique économique de l‟industrialisation rurale. Par exemple, pour soutenir son
agriculture, la Chine a développé un système diversifié d‟industries en amont et en
aval du secteur, selon le principe de la ligne de masse qui consiste à « prendre les
grandes entreprises comme ossature tout en multipliant les moyennes et les petites
entreprises ». Ce principe apparaît très tôt comme le seul capable de traduire dans les
faits les mots d‟ordre «d‟indépendance et d‟autonomie », « de compter sur ses
propres forces », « de lutter directement et d‟édifier le paysage avec diligence et
économie»49. Ainsi, l‟industrie rurale sera intégralement au service de l‟agriculture et
permettra la constitution d‟un réseau industriel fait de grandes et petites unités
locales. Cette expérience chinoise, comme le note Patrice ROBINEAU, ne peut être
reproduite de façon mimétique. Seulement, elle indique des directions d‟action pour
valoriser économiquement et socialement le monde rural d‟une part en s‟appuyant
sur les acquis séculaires de la paysannerie et d‟autre part, en offrant aux paysans
pauvres de profondes motivations pour le travail créateur en le libérant des pires
formes d‟inégalité et d‟exploitation50.
Le Vietnam développe la même expérience et cette politique industrielle
d‟envergure commence à produire un ensemble d‟effets bénéfiques sur la production
agricole et les structures agraires.
Cette industrialisation au service du monde rural a permis aux pays socialistes
d‟Asie d‟atteindre un niveau minimal de sécurité alimentaire. C‟est là un acquis de
taille comparée aux situations désastreuses des pays du Sahel où les dirigeants
tendent la main pour nourrir les populations rurales. L‟instabilité de l‟environnement
ne saurait cacher les énormes erreurs des politiques agraires.
Tous les développements établissent en conclusion que les relations entre
l‟agriculture et l‟industrie sont déterminantes pour l‟amorce d‟un processus de
croissance et d‟expansion économique et sociale. L‟industrialisation, pour être
effective, doit prendre en charge tous les besoins du secteur agricole. Celui-ci
connaîtra alors des niveaux élevés de productivité et les populations rurales auront
des revenus monétaires plus importants permettant la formation d‟une demande de
biens de production et de services à l‟industrie qui, à son tour, va se consolider,
améliorer ses performances techniques et élargir progressivement ses bases.
Patrick TISSIER : La Chine : transformations rurales et développement socialiste. Édit.
F.MASPERO.
50 Patrice ROBINEAU : « L‟impact de l‟industrialisation sur la production agricole et le développement
rural ; une analyse des effets économiques et socioculturels ». Monde en Développement, n° 31-32,
1980.
49
52
L‟industrialisation rurale permet de résoudre les distorsions sectorielles
caractéristiques des formations sous-développées ainsi que la dichotomie croissante
et socialement dangereuse entre villes et campagnes.
II/ Le modèle asiatique
d’industralisation par Promotion des
Exportations (IPE)
Ce modèle est apparu dans les années 80 en Asie quand l‟ISI s‟est
complètement essoufflée. Il est à la base de la caractérisation de ces pays comme les
Nouveaux Pays Industriels (NPI) certainement pour montrer, qu‟ils ont en quelque
sorte, renouvelé les processus d‟industrialisation dans le contexte actuel de
mondialisation. Cela leur a permis de refaire leur retard sur les pays industrialisés.
Le modèle se présente sous des formes différentes selon les pays, du Japon qui en a
été l‟inspirateur jusqu‟ à la Chine qui l‟a porté à une échelle lui ayant permis de
devenir, aujourd‟hui, la Grande Usine du Monde. En faisant la synthèse des
différentes politiques des divers NPI, les enchainements constitutifs du modèle se
résument dans la mise en synergie de 4 éléments :
Le tissu industriel produit des biens destinés à l‟exportation par utilisation de
la main d‟œuvre abondante et très bon marché (du fait de l‟offre illimitée de la
force de travail) ;
Les industries développées sont fortement intensives en main-d‟œuvre
Elles sont localisées dans les campagnes ou à la périphérie des villes et
utilisent la main d‟œuvre féminine qui va bénéficier de l‟apport de revenus
complémentaires ce qui les fixe dans leur espace où elle peut développer
d‟autres activités. 51
L‟État joue un rôle déterminant de soutien aux industriels en leur permettant
de s‟endetter et d‟exploiter tous leurs avantages comparatifs.
Cette stratégie d‟industrialisation passe par la création de Zones franches
industrielles valorisant la main d‟œuvre et fortement intégrée au marché mondial. Ce
qui permet d‟avoir des produits extrêmement compétitifs (jusqu‟à parfois 50 à 100
fois moins chers) destinés aux meilleurs marchés (les plus solvables, États-Unis et
Europe).
Les conséquences de cette stratégie sont de trois ordres
Une amélioration de la résorption de l‟emploi productif
Un accroissement des revenues pour les Individus comme pour l‟État
Une augmentation de l‟épargne
Bien évidemment les conditions de travail et de production sont très dures et
rappellent curieusement les conditions ouvrières de l‟industrialisation naissante en
Europe au 19ème siècle. C‟est pourquoi, les zones franches en Asie sont encore
appelées des « sweats shops » (ateliers à sueur) avec l‟utilisation abusive de la main
d‟œuvre féminine et juvénile.
Cette utilisation abusive de la main-d‟œuvre féminine s‟est traduite par un double mouvement
l‟accélération de l‟émancipation de la femme et la baisse de la fécondité : deux phénomènes positifs
pour le développement.
51
53
Figure 2: Industrialisation par la promotion des Exportations
EFFETS PRIMAIRES
EFFETS SECONDAIRES
(3)
(3)
Effets
multiplicateurs
des dépenses
accrues
(1)
Création
d‟emplois
Production
additionnelle
(2)
Création
indirect
d‟emplois
Effet
multiplicateur
sur l‟emploi
Hausse du PIB
Production
supplémentaire
dans les
secteurs liés
Hausse
de E et I
Expansion
des
exportations
des produits
manufacturés - - -
Effets sur
l‟emploi et
la
production
liés aux
devises
Fuites dues aux importations- - - - - - - - - - Importation
de biens de
capital et
intermédiaire
s
Hausse des
importations
liées aux
exportations
Hausse des
importations
pour l‟offre
interne
Recettes en
devises
accrues
Gains nets en
devises
Hausse de la
consommation
de produits
importés
Bilan en
devises
Source : D‟après Verbruggen, in Van Dijck.
III/ Le dilemme industrie lourdeŔindustrie légère : la nécessité de
l’élaboration d’une politique cohérente de filières industrielles valorisant
les ressources de base
Dans les développements antérieurs, il a été établi qu‟historiquement
l‟industrie lourde a été à la base du développement de tous les systèmes sociaux
54
(capitaliste comme socialiste.) Tous les processus d‟industrialisation véritable sont
partis de tendances lourdes qui ont amené des mécaniques nouvelles qui vont
détruire et remplacer systématiquement toutes les vieilles techniques. Ainsi, le
capitalisme a vaincu tous les autres systèmes sociaux antérieurs en révolutionnant
systématiquement les moyens de production. C‟est ce constat qui faisait dire à MARX
que la bourgeoisie a joué un rôle historique éminemment progressiste qui a été de
tirer l‟humanité de la stagnation, de la barbarie. Et depuis, le pays qui a le plus
développé les tendances lourdes a dominé la division internationale du travail et s‟est
soumis les autres systèmes productifs. Conformément aux schémas de la
reproduction élargie et dans ses versions européennes, le socialisme réel a développé
prioritairement l‟industrie lourde c‟est-à-dire le développement prioritaire du secteur
des biens de production.52
Les PSD qui visent la réalisation d‟un développement rapide de leurs forces
productives doivent avoir une politique industrielle comportant deux composantes :
d‟une part, le développement prioritaire des industries rurales et d‟autre part, la
constitution simultanée de secteurs de valorisation des ressources naturelles
existantes. Bien entendu, cette politique d‟industrialisation doit articuler, comme le
note S. AMIN, «un secteur moderne de l‟industrie rénové dans ses orientations au
secteur des petites industries rurales qui permettent de mobiliser les forces latentes
du progrès»53.
Ce développement industriel, essentiellement au service des besoins internes,
s‟appuie sur les secteurs suivants :
La production des biens d‟équipements industriels permettant de valoriser les
matières premières locales, de production de machines-outils et d‟instruments
qui peuvent être destinés au secteur rural,
L‟industrie chimique : industrie chimique minérale (électrochimie, souffre),
engrais, produits phytosanitaires, produits pharmaceutiques, produits de la
chimie organique,
L‟énergie, car ce secteur est vital en ce qu‟il accompagne et conditionne le
développement industriel.
Dans ce sens, l‟élaboration d‟une structure industrielle cohérente et
autocentrée s‟impose inévitablement aux décideurs des formations sous-développées.
Ces pays ayant besoin de faire leur retard, l‟industrie industrialisante s‟impose à eux
comme l‟alternative unique.
Dans cette optique, l‟État est appelé à jouer des fonctions importantes au triple
niveau de la définition des secteurs prioritaires, de l‟allocation intersectorielle des
ressources et de la socialisation. Cela se traduira surtout par le fait que l‟État sera
l‟initiateur et le réalisateur (à titre principal) du programme industriel qui devra être
très fortement concentré. Il faudra bien sûr éviter d‟écraser les initiatives privées,
mêmes externes, qui exploitent dans de meilleures conditions certains secteurs
industriels et satisfont aux moindres coûts certaines demandes de bien manufacturés.
C‟est souvent le cas dans les industries de transformation.
Voir sur ce point l‟article de G. DEBERNIS : le Sous-développement, analyses ou représentation. In
Revue Tiers-Monde, n° 57, janvier-mars 1974. L‟auteur y observe avec pertinence qu‟il faut se méfier
cependant des similitudes qui dissimulent des différences essentielles. De même, il faut se méfier des
recettes que l‟on prétend tirer de l‟expérience européenne. Elles n‟ont de sens que si elles ne
proviennent pas d‟une réduction du processus européen d‟industrialisation à des phénomènes tout à
fait secondaires : le textile non la mécanique, le taux d‟épargne et non le modèle de consommation.
53 Samir AMIN : Développement autocentré, autonomie collective et nouvel ordre économique
international. L‟Avenir Industriel de l‟Afrique, p.30.
52
55
L‟État devra éviter une intervention directe et massive dans ce secteur des
industries de transformation qui doivent être partiellement ou totalement
abandonnées à l‟initiative privée. Il faudra l‟aider et l‟encadrer pour que d‟une part,
elle utilise au maximum et de façon efficiente les matières premières locales
existantes et d‟autre part, qu‟elle satisfasse les besoins prioritaires de consommation.
Certains États se sont énormément distraits à vouloir contrôler tous les
compartiments du secteur industriel. Dans ces cas d‟espèce, ils ont souvent installé
des bureaucraties lourdes gérant parfois un vaste secteur industriel composé pour
l‟essentiel d‟unités de production déficitaires et maintenues grâce à des subventions
financières. Il y a là un énorme gaspillage de ressources rares qu‟il faut éviter en
circonscrivant l‟intervention de l‟État dans les unités véritablement décisives de
l‟industrie de base. De telles unités nécessitent de lourdes immobilisations
financières qui ne sont pas à la portée des entrepreneurs privés nationaux ou
étrangers. Ceux-ci ne pourraient point s‟intéresser à de telles entreprises si la
rentabilité économique et financière est lointaine ou simplement douteuse.
La création de complexes industriels qui ont un caractère industrialisant
entraîne trois séries de conséquences qu‟il faut entièrement assumer, à savoir :
une dépendance souvent très forte vis-à-vis de l‟engineering international,
une dépendance financière à l‟égard des institutions financières externes,
une dépendance vis-à-vis des marchés internationaux sur lesquels il faut
écouler les surplus de production du système industriel.
Cette triple dépendance est souvent dénoncée particulièrement par les forces
politiques dites progressistes, comme si elle était évitable. Dans le fond, il faut savoir
avec exactitude ce que l‟on veut dans une politique économique. Si la finalité reste la
construction d‟un système industriel, il faut chercher les moyens partout où ceux-ci
peuvent se trouver et accepter les conséquences en essayant cependant de les
atténuer.
Il en est ainsi parce que les pays ne contrôlent pas les éléments essentiels de
l‟industrialisation. Ils doivent accepter cette triple dépendance pour s‟en libérer
progressivement avec d‟une part, l‟émergence d‟un engineering national et d‟autre
part, la création de surplus financiers importants. Si les formations sous-développées
refusent l‟alternative de l‟autarcie et de la stagnation, leur processus
d‟industrialisation passera par une période de dépendance externe. Seulement, elle
est voulue contrôlée et surtout transitoire.
Le « raccourci de rattrapage » passe par l‟acceptation de cette dépendance.
Dans cette optique, même MAO-TSE-TOUNG admettait que « sans aide étrangère, en
prétendant ne compter que sur nos propres forces, nous n‟y arriverons pas ». Le
« forcing » industriel est donc à ce prix. Il est certain qu‟il comptera des gaspillages,
des retards et des pannes mais comme l‟observe A. EMMANUEL, si on veut le
développement accéléré, c‟est à ce prix.
C‟est de la sorte que le Japon, l‟Union Soviétique et la Chine se sont
industrialisés. Analysons rapidement ces trois expériences de pays qui se sont
industrialisés par une ouverture très grande sur l‟extérieur et l‟acceptation
momentanée de la dépendance.
Pour le Japon, il faut dire d‟après A. EMMANUEL que «ce pays, loin de
s‟opposer à l‟afflux de la technologie occidentale est allé la chercher. Il l‟a imitée,
copiée, plagiée, contrefait à tour de bras et à la limite de la légalité. Résultat, loin
d‟aggraver sa dépendance, il a ce faisant forgé les instruments de sa libération et mis
en place les moyens qui lui ont permis ensuite d‟entreprendre ses propres recherches
56
scientifiques et techniques»54. Il en va autrement pour l‟Union Soviétique qui, depuis
LENINE a systématiquement accepté la dépendance extérieure contrôlée pour
maîtriser la révolution scientifique et technique. On peut se souvenir de la loi de
LENINE du 23/11/1920 sur les concessions qui offrait des avantages et concessions
sérieusement exorbitants pour obtenir un afflux de capitaux et de technologie. Dans
ce sens, la NEP n‟était pas un recul. De même, la Chine est aussi un exemple édifiant
d‟acceptation d‟une dépendance externe dans le domaine de l‟industrialisation et de
la technologie. Les importations massives venaient d‟Union Soviétique et maintenant
du Japon.
À la Conférence sur la question des intellectuels55, les Dirigeants Chinois
reconnaissaient l‟indispensable nécessité du recours aux technologies étrangères.
C‟est bien cela qui se passe actuellement en Algérie où le processus d‟industrialisation
s‟accompagne d‟une dépendance externe et d‟un endettement très lourd56. Il s‟agit de
contraintes avec lesquelles il faut donc compter. L‟essentiel ne se situe donc pas à ce
niveau mais il réside dans la définition d‟objectifs réalistes, dans la mise en place
d‟une structure institutionnelle pour gérer adéquatement et rigoureusement le
modèle industriel et dans la spécification de l‟ensemble des moyens à mobiliser.
Au total et au sein même de la division internationale du travail,
l‟industrialisation lourde passe par la recherche de compromis, de formules
nouvelles, de collaboration capables de permettre aux PSD d‟accéder dans les délais
les plus brefs aux technologies et industries de pointe. C‟est de la sorte que
s‟établiront les bases d‟une économie nationale homogène et autodynamique. Bien
entendu, la politique appliquée accepte l‟insertion à la mondialisation, même si celleci est soumise aux nécessités du développement dont les objectifs et finalités sont
nettement fixés.
IV/ Définition des domaines d’action industrielle dans le cadre des États
africains
1°) Une méthode de spécification des domaines : les grappes
industrielles.
La littérature économique s‟intéresse depuis quelque temps à la recherche de
méthodes et techniques de structuration ou d‟organisation du tissu productif qui
tranchent avec la notion traditionnelle de secteur. Dans cette optique, la notion de
grappe est consacrée pour désigner les producteurs de biens ou de services orientés
vers l‟exportation (secteurs en tête ou secteurs locomotives), ainsi que toutes les
activités annexes contribuant à la compétitivité de ces industries. Les activités
annexes sont souvent contrôlées par des petites et moyennes entreprises privées
appelées industries de support telles que les fournisseurs de biens intermédiaires. La
notion de grappe met l‟accent sur les complémentarités et les interrelations qui
existent entre différents acteurs. Ce type d‟approche a fait l‟objet de nombreux
développements théoriques et a donné lieu dans plusieurs régions du monde à la
mise en œuvre de stratégies visant à exploiter les potentialités. Ainsi apparaissent
A. EMMANUEL : Technologie appropriée ou technologie sous-développée, p. 40, Édit. PUF.
le 20/1/1956
56 G. DEBERNIS :
« L‟Algérie à la recherche de son indépendance : nationalisation et industrialisation ». In
l‟Afrique de l‟indépendance politique à l‟indépendance économique, Édit. François MASPERO.
« Les industries industrialisantes et les options algériennes ». Revue Tiers-Monde, n°47, juilletseptembre 1979.
54
55
57
quelques notions (grappes, clusters, maillages, districts, filières) regroupées sous
l‟appellation de grappes industrielles dans les résultats des recherches théoriques et
empiriques57.
Le concept de grappes industrielles a fait l‟objet de multiples définitions, de
sorte qu‟il est difficile d‟identifier une approche universelle de ce type. En combinant
les résultats des différentes recherches théoriques et empiriques consacrées à ce
thème on peut stipuler qu‟une grappe regroupe des entreprises de tailles diverses
unies par une communauté d‟intérêt (besoins et contraintes communs), des
complémentarités ou interdépendances et développant volontairement des relations
de coopération dans plusieurs domaines.
2°) Définition des filières industrielles au niveau africain par le
Plan de Lagos
Les réflexions sur le devenir industriel du continent ont été élaborées dans
deux documents : « le Plan de Lagos » et la « Décennie du développement
industriel ». C‟est particulièrement à l‟échelle de l‟Afrique que l‟OUA et la CEA
avaient défini des Programmes de développement industriel58. Les objectifs étaient
consignés dans le Plan de Lagos qui proposait la réalisation rapide d‟une croissance
industrielle autoentretenue ; une industrialisation qui devait permettre de satisfaire
les besoins nationaux. Le plan préconisait entre autres, les stratégies suivantes qu‟il
est important de rappeler en vue d‟une relance du débat sur la question industrielle :
création d‟une structure de production industrielle permettant de faire face
aux besoins locaux ;
exécution d‟activités de production, de commercialisation, de recherches
propres à promouvoir la croissance économique d‟ensemble ;
expansion et restructuration des marchés nationaux en intégrant l‟économie
rurale au secteur industriel ;
une intégration économique sous-régionale visant à développer les industries
de base et l‟industrie des biens d‟équipement sur des marchés intégrés.
Le document élaboré par la Commission Économique pour l‟Afrique,
l‟Organisation de l‟Unité Africaine et l‟Organisation des Nations-Unies pour le
Développement Industriel apportait en complément au Plan de Lagos un schéma
directeur solide et cohérent d‟une industrialisation de l‟Afrique. Les projets
industriels intégrés dans les sous-secteurs prioritaires ont été identifiés. Ils
concernent l‟alimentation, le textile, les matériaux de construction, l‟énergie, les
forêts, les métaux, les produits chimiques, l‟ingénierie et les petites industries. Les
projets, selon le document, ont été choisis sur la base d‟un ou plusieurs des éléments
suivants :
priorités accordées dans le Plan d‟Action de Lagos,
fourniture de facteurs à d‟autres industries et activités économiques,
principalement l‟agriculture,
utilisation optimale des ressources nationales surtout pour la consommation
africaine suivant l‟objectif de l‟autosuffisance,
remplacement des facteurs essentiels importés dans les États membres dont la
capacité d‟importation ne cesse de diminuer,
Dominique Graiton, économiste au CESRW : Rapport présenté lors de la conférence wallonne de
l‟innovation grappes industrielles : concept et méthodologie 2000
58 OUA : Plan de Lagos pour le Développement économique de l‟Afrique 1980-2000.
CEA : Un programme pour la décennie du développement industriel, New-York, 1983, ID/287.
57
58
exploitation de l‟effet multiplicateur des industries de base59.
Dans cette direction, il a été recensé les variables qui sont à la base de
l‟autonomie et de l‟autosuffisance d‟un développement intégré, à savoir les ressources
naturelles, les matières premières et l‟énergie. À partir de ces variables alors vont
s‟élaborer des projets industriels. Deux (02) catégories de projets sont alors
distinguées : les projets de sous-secteurs industriels hautement prioritaires, le facteur
principal et intrants connexes.
Le point de départ de l‟analyse du contenu de ces sous-secteurs est hautement
significatif et consiste en un rejet systématique de la stratégie de substitution aux
importations suivie par les États africains. Il est alors affirmé que «les pays africains
ne peuvent et ne devront plus continuer dans ce chemin de substitution aux
importations qui les mène vers le désastre»60. Ils devront alors changer radicalement
la structure existante et se diriger vers l‟autonomie collective et le développement de
l‟autosuffisance qui ne peuvent se réaliser qu‟à partir d‟un développement
systématique de priorités fondées sur des ressources et des industries de base, avec
des effets multiplicateurs et des relations optimales avec d‟autres secteurs
économiques. Les activités retenues dans cette direction sont :
Les industries de transformations alimentaires : elles sont appelées à
jouer des fonctions économiques extrêmement importantes surtout dans l‟optique de
la recherche systématique de l‟autosuffisance alimentaire. Elles sont à la base d‟un
approvisionnement régulier en vivres et produits alimentaires, d‟une sécurité
alimentaire et d‟une réduction progressive des importations. Par ailleurs, elles
permettent aussi la stimulation de la production rurale en offrant à celle-ci des
débouchés préalables et sûrs pour l‟accroissement des investissements agricoles, le
développement des secteurs connexes et l‟élévation du niveau général de la
productivité du travail. Bien entendu pour que ces effets se produisent, il faudra
élaborer une politique claire en la matière qui intègre à la fois les activités de
production, de transformation et de commercialisation61. Dans cette optique, les
projets suivants peuvent parfaitement être réalisés, s‟ils ne fonctionnent déjà de façon
dispersée en Afrique :
transformation des céréales, racines et tubercules, produits localement pour la
production de farine,
transformation des huiles comestibles,
transformation de fruits et légumes,
production d‟aliments pour bétail,
industrie de la viande, du lait et produits laitiers,
produits marins.
De telles unités permettent d‟une part une réduction importante des
importations62 et d‟autre part, des capacités supplémentaires d‟emplois63. Seulement,
CEA-OUA-ONUDI : Un programme pour la décennie du développement industriel de l‟Afrique.
Nations-Unies, New-York 1983, ID/287.
60 CEA-OUA-ONUDI : op. cit, p. 117.
Par ailleurs, clarté rare dans le document de l‟ONU, il est porté justement une évaluation radicale de
l‟ISI qui devient une lourde charge avec l‟épuisement rapide des devises étrangères disponibles.
61 Le Plan de Lagos avait une dizaine d‟objectifs pour atteindre l‟objectif d‟autosuffisance alimentaire et
le fonctionnement d‟une agriculture efficiente.
62 Les économies sur les importations peuvent être énormes et permettre le financement ou le
remboursement des prêts contractés pour monter ces industries de transformation. En prenant le blé,
les simples accroissements de la demande ont été de 26% entre 1970-1978 en valeur. L‟investissement
annuel de transformation des céréales d‟importation est de 221 millions de dollars en Afrique (1978).
59
59
la réalisation de cette industrie doit s‟accompagner positivement de l‟imposition
généralisée d‟un modèle de consommation fondé sur l‟utilisation des produits locaux
et négativement de mesures protectionnistes permettant aux entrepreneurs privés ou
publics, de saisir toutes les situations de pénurie pour réaliser des investissements
productifs.
Une politique sérieusement volontariste s‟impose dans ce domaine stratégique.
Elle va se fonder sur la définition des objectifs d‟alimentation, la spécification du
volume de la demande globale, la formulation d‟un programme intégré de
développement d‟une industrie alimentaire et la définition d‟une politique de prix, de
subvention et de stimulation. Tout cela devra être accompagné d‟un train de mesures
législatives protégeant la jeune industrie et la production locale. Ensuite, il faudra
utiliser tous les moyens de persuasion et toutes les structures institutionnelles pour
créer des habitudes consommatrices de la production locale.
L’industrie textile et l’habillement : elle constitue un domaine où il est
possible de réaliser assez rapidement l‟autosuffisance, d‟autant plus qu‟il est l‟objet
d‟une très importante délocalisation industrielle. Cela accroît les chances d‟un
développement des productions locales (tissus et fibres artificiels) et d‟une baisse des
importations. Le secteur absorbe beaucoup de main-d‟œuvre souvent non qualifiée.
Dans un pays comme la France, la main-d‟œuvre immigrée est en grande partie,
utilisée dans ce sous-secteur.
Les industries à base forestière : il s‟agit d‟un sous-secteur dont
l‟importance n‟a nullement échappé au Plan de Lagos. C‟est une industrie qui peut
satisfaire certains besoins dans le domaine du logement, de l‟habillement, du papier,
de l‟ameublement et surtout de l‟énergie. Les analyses de l‟ONUDI révèlent que pour
ce secteur, «les importations régionales de produits forestiers ont quintuplé passant
de 221 millions de dollars en 1967 à 1,74 milliards en 1978, tandis que les chiffres
correspondants pour les exportations ont triplé passant de 266 millions à 837
pendant la même période»64. Ces chiffres sont révélateurs des perspectives d‟une
industrie forestière. Ils montrent en effet qu‟il existe bel et bien une demande
solvable. Les interventions industrielles pourraient se situer dans la création :
de scieries et d‟usines de panneaux : sous-secteurs pour lesquels
l‟investissement total nécessaire serait d‟environ 3 milliards de dollars pour
une création de 30.000 emplois,
meubles dont le marché est très vaste : usines de pâte à papier et de papier, de
charbon de bois.
Là comme ailleurs, les décideurs doivent élaborer des politiques de
développement des industries forestières qui permettent une exploitation rationnelle
de ces ressources qui ont d‟importants effets sur l‟environnement et le milieu
physique. En effet, pour éviter un épuisement grave des ressources forestières,
préjudiciable aux générations futures, la valorisation industrielle doit être
systématiquement accompagnée de vastes et sérieux programmes de reboisement.
De même, cette industrie est créatrice de main d‟œuvre : le rapport de l‟ONUDI établit que :
une boulangerie de dimension moyenne 340 kg/24 emploie 2 ingénieurs et 4 ouvriers qualifiés,
une usine de jus d‟orange de 800 kg (en 8h) : 5 ingénieurs et 10 ouvriers qualifiés,
une usine de transformation de lait d‟une capacité de 6.000 litres en 6 heures : 3 ingénieurs et 1
ouvrier qualifié.
64 CEA-OUA-ONUDI, op. cit., p. 134.
63
60
Les industries du bâtiment et des matériaux de construction : les
fortes tendances de l‟urbanisation (plus de 5%) commandent qu‟un grand intérêt soit
porté à ce sous-secteur. À cela s‟ajoute le fait que, même dans les formations sousdéveloppées, la croissance économique et sociale est grandement tributaire des
activités industrielles de la construction. Elles contribuent entre 40 et 60% à la
formation brute du capital en Afrique et apportent entre 4 et 10% du PIB. Par
ailleurs, l‟industrie de la construction est très grande consommatrice de maind‟œuvre. Toutes ces raisons sont parfaitement saisies par le Plan de Lagos (§.56) qui
recommande la création rapide d‟une base industrielle axée sur une valorisation des
ressources locales. Toutes les études et analyses mettent l‟accent sur les matériaux de
construction car ils constituent la composante essentielle et la résultante de
l‟industrialisation dans le sous-secteur. Ils procurent la valeur ajoutée la plus
importante. Cependant, ils exigent d‟importantes recherches pour trouver la
technologie la plus efficiente pour l‟utilisation systématique des matériaux locaux.
C‟est cela qui permet un abaissement notable des coûts de production et de rendre en
conséquence l‟habitat (par exemple) à la portée des titulaires de revenus moyens.
Les industries métallurgiques et mécaniques, électriques et
électroniques : Le développement de ces secteurs constitue la clef de
l‟industrialisation. Ils permettent la production d‟équipements de base et les
machines-outils nécessaires à l‟expression du secteur agricole. «La sidérurgie est
généralement considérée par les formations sous-développées comme l‟industrie de
base, industrialisante au premier chef par l‟utilisation des matières premières locales,
ses effets sur l‟emploi, la distribution des salaires, la hausse du niveau de vie et les
échanges commerciaux qu‟elle entraîne»65. Ce secteur immobilisant des capitaux
extrêmement importants, il importe d‟étudier très rigoureusement les conditions de
sa création, ses modalités de fonctionnement et de gestion. À cause des dimensions
excessivement réduites des marchés nationaux (isolés de surcroît), il s‟avère
nécessaire de rentabiliser les investissements lourds dans l‟industrie de la sidérurgie
et dans celle du cuivre ou de l‟aluminium. À cet effet, la politique à élaborer devra
systématiquement s‟opérer dans le cadre d‟une coopération intra-africaine, régionale
ou sous régionale. Il s‟agira principalement de définir des projets multinationaux
prioritaires comme :
des unités d‟aciérie et de sidérurgie sur la base des ressources existantes et
utilisant les procédés de réduction directe et des fours électriques ou de hauts
fourneaux classiques ;
des unités industrielles d‟aluminium. À ce niveau, la CEA observe que l‟Afrique
possède environ 43% des ressources mondiales de bauxite, mais ne fournit
qu‟environ 15% de la production mondiale et convertit environ 2,6% de la
production mondiale de bauxite en alumine et aluminium primaire ;
des unités industrielles de cuivre : là encore, les ressources naturelles existent
il s‟agit de les valoriser ;
les autres industries devant aussi être exploitées sont : le plomb, le zinc,
l‟étain. Pour chacun de ces minéraux, la création d‟unités industrielles
s‟impose.
D‟une façon générale, on peut observer que le développement de ces
sous-secteurs a des effets industrialisants très puissants ; seulement, ce sont des
industries très coûteuses par les capitaux qu‟elles immobilisent, les facteurs
technologiques qu‟elles concernent. En conséquence, la politique à entreprendre doit
65
Pierre CHAULEUR : l‟Afrique industrielle, p. 125.
61
être extrêmement hardie, dûment planifiée pour éviter des erreurs fatales. Pour ce
faire, la collaboration avec les multinationales et autres sociétés minières s‟avère
indispensable.
Les industries chimiques : Pierre CHAULEUR observe que c‟est «une
industrie qui a pris en Afrique depuis un demi-siècle, un essor impressionnant, tant
sur le plan de la chimie minérale que sur celui de la chimie organique. La grande
industrie chimique fournit aux pays africains suivant leur degré de modernisation,
l‟air liquide, l‟acide sulfurique, l‟acide nitrique, la soude caustique, l‟ammoniac, le
chlore et les engrais minéraux dont ils ont besoin»66. Le Plan de Lagos a parfaitement
saisi l‟importance liée à ce secteur (§.56.a) qui contient des effets de liaison
appréciables en aval comme en amont et peut permettre le remplacement de certains
produits manufacturés souvent importés.
Les principaux projets industriels pourraient graviter autour :
des unités de production des produits destinés à l‟agriculture ; c‟est le cas des
engrais et pesticides qui contribuent d‟une part à augmenter la production et
d‟autre part à réduire les pertes alimentaires et de production 67
des unités de production pharmaceutique qui sont indispensables pour réduire
et liquider les importations qui se sont élevées à 1,326 milliards de dollars en
1978. Par ailleurs, de telles unités devront contribuer à produire des produits à
base de plantes médicinales traditionnelles68 ;
des unités de production de pesticides, notamment à base d‟oxyde de cuivre,
des insecticides chlorés à base de phosphore. Des efforts gigantesques sont à
faire dans ce sous-secteur où les africains sont presque totalement tributaires
des importations.
3°) Le cadre particulier des petites et moyennes industries (PMI) :
Elles jouent des fonctions essentielles dans le développement économique et
social et prennent des formes de plus en plus modernes. Dans cette direction E.
STALEY et R. MORSE notent que lorsqu‟un pays «traverse la phase de transition qui
le fait passer du stade d‟une économie où les structures traditionnelles prédominent à
celui d‟une économie plus moderne, le caractère de sa petite industrie se modifie …
son industrie artisanale se transformera, son industrie à domicile sera remplacée et
que ses usines petites mais modernes se développent» 69. La PMI présente des
avantages importants dont quelques-uns méritent d‟être soulignés :
elle complète la grande industrie par la sous-traitance, le traitement ou la
production de certains biens indispensables à la grande entreprise et le
traitement des déchets,
elle permet la décentralisation industrielle et la valorisation de la petite
production locale. C‟est ainsi que les villages et les petites villes rurales vont
présenter certains avantages naturels favorables à l‟implantation de la PMI,
notamment de traitement de produits d‟origine agricole,
Pierre CHAULEUR : op. cit., p. 161.
Il faut dire que la dotation africaine est particulièrement importante pour le phosphate (47,2
milliards de tonnes, soit 70% des réserves mondiales). Ce sont ces engrais qu‟il faut développer
prioritairement.
68 Ph. ENGELHARD et Dr I. LO :
69 Eugnène STALEy et R. MORSE : La petite industrie moderne et le développement, T.1, p.57.
Éditions «Tendances Actuelles».
66
67
62
elle permet la centralisation et la transformation productive de l‟épargne
locale,
elle contribue, plus que la grande entreprise, à la création de l‟emploi et
procède facilement à la formation de la main-d‟œuvre,
elle favorise la naissance et la consolidation de l‟esprit d‟entreprise comme
l‟observent E. STALEY et R. MORSE «la puissance de la PMI réside surtout
dans sa souplesse, ses possibilités d‟adaptation, ses étroites relations
personnelles et la faculté qu‟elle possède, dans une certaine mesure, de
s‟émanciper de l‟administration bureaucratique et de tous les frais généraux
qui en résultent» 70 ;
elle contribue à la recherche et à la diffusion technologique71. Par ailleurs, elle
atteint rapidement le seuil optimum de rentabilisation de la technologie.
La PMI est véritablement une entreprise à la mesure de la capacité créatrice et
imaginative de l‟homme. Structure assez souple, elle s‟adapte sans grande difficulté
aux situations les plus fluctuantes et satisfait certains besoins sociaux aux meilleures
conditions de prix et de qualité.
Enfin, la petite
et moyenne industrie est un vecteur essentiel du
développement équilibré car elle est le cadre de production le plus approprié qui
s‟adapte le mieux au secteur traditionnel en redonnant des conditions nouvelles de
travail et d‟efficience à l‟artisanat. Dans cette optique, elle catalysera l‟exode rural qui
comprend principalement les artisans ruinés.
Tous ces effets positifs justifient obligatoirement un recours systématique aux
PME et PMI dans la politique d‟industrialisation. Elles doivent occuper une place
centrale et remplir des fonctions socio-économiques décisives dans la stratégie
d‟industrialisation. Cette importance n‟a pas échappé au Plan de Lagos qui
recommande aux États la création d‟un réseau dense et diversifié de petites et
moyennes industries qui peuvent constituer le principal facteur de modernisation de
l‟économie rurale. En effet, la PMI peut réaliser d‟une part l‟intégration sans
encombre de l‟agriculture à l‟économie monétaire et d‟autre part, sortir le secteur
rural du traditionalisme par le développement des industries agricoles.
Pour que la PMI exerce toutes ces fonctions dans le processus
d‟industrialisation, il faut élaborer une politique systématique et rigoureuse de sa
promotion. Cela nécessite les actions suivantes :
élaboration d‟un programme complet et cohérent de développement des PMI ;
il s‟agit de situer toutes les opportunités de production, d‟élaborer des projets
de réalisation englobant tous les aspects financiers, technologiques et
institutionnels. Ainsi, les opérateurs économiques disposeront d‟une Banque
de Projets et seront mieux édifiés sur les occasions d‟investissement qui
s‟offrent ;
la définition d‟une politique globale de promotion spécifiant avec clarté d‟une
part les avantages et concessions accordés aux PMI, les diverses protections
vis-à-vis d‟une concurrence inégale et déloyale et d‟autre part, toutes les
obligations qui pèsent sur elles en matière de valorisation des productions
E. STALEY et R. MORSE : La PMI et le développement, Tome 2, p. 216.
Sur ce point, KENNEDY et THIRWELL (1972) affirment que depuis l‟origine du changement
technologique jusqu‟à l‟application commerciale, il n‟apparaît pas que les grandes entreprises ou les
industries monopolistiques soient nécessairement plus dynamiques ou progressives, ou produisent des
changements technologiques fondamentaux. Dans le même sens, Alexis JACQUEMIN observe en
conclusion générale l‟absence d‟effets positifs de la taille sur la profitabilité, sur la croissance et sur la
recherche industrielle.
70
71
63
locales, de diffusion technologique, et d‟utilisation et de formation de la main
d‟œuvre ;
la définition d‟une politique de prix qui protège les intérêts divergents des
producteurs, travailleurs et consommateurs ou tente de le faire. La structure
flexible des coûts de production permet la réalisation de cette mécanique
d‟économie concertée ;
la définition de cadres appropriés de sous-traitance industrielle (qu‟elle soit
nationale ou internationale.) Il s‟agit de délimiter les forces de la soustraitance : la sous-traitance de capacité et de complément, la sous-traitance de
spécialité, la sous-traitance marginale lorsque la grande entreprise reçoit trop
de commandes et la sous-traitance d‟économie. Le cadre juridique à définir
devra protéger les intérêts des différentes parties et encourager la promotion
de la sous-traitance acceptée comme un des instruments du développement
industriel72 ;
la définition d‟une politique de financement avec l‟appui à la création
d‟institutions financières spécialisées dans le financement des opérations
productives propres aux PMI et PME ;
l‟élaboration d‟une politique de formations de cadres capables de répondre aux
exigences de production et de gestion de la PMI. Il s‟agit d‟une formation
strictement professionnelle pour disposer d‟une main-d‟œuvre qualifié, des
cadres et un personnel compétent.
4°) Les propositions du NEPAD dans le cadre des options
prioritaires des TIC et de l’énergie
V/ Cette stratégie d’industrialisation complexe doit être menée de façon
volontariste permanente par l’État.
Toutes les analyses établissent que si l‟industrialisation est une nécessité
impérieuse pour combler le retard, elle n‟est pas une voie facile ni une solution simple
par suite d‟une part des intérêts fort complexes qui sont en jeu et d‟autre part de la
pluralité des variables qui sont combinées. Analysant les expériences historiques
d‟industrialisation dans le bassin méditerranéen, René GENDARME tire trois
enseignements significatifs qu‟il faut avoir souvent à l‟esprit dans toute réflexion sur
l‟industrialisation dans les formations sous-développées :
d‟abord, que l‟industrialisation n‟est qu‟un des moyens de parvenir au
développement et elle ne saurait exclure les autres moyens ; elle doit même les
articuler, les rendre plus urgents et plus nécessaires ;
ensuite, qu‟autant que des usines, l‟industrialisation exige une transformation
des hommes ; ce qui veut dire qu‟industrialiser c‟est aussi changer les
structures, le contenu et le système d‟éducation ; enfin, que le succès d‟une
industrialisation dépend aussi des politiques des autres États du système
mondial73.
S. ZAMETTI : « La sous-traitance industrielle internationale et les pays en voie de développement ».
Revue Reflets et Perspectives, n° 1, 1973.
La sous-traitance (surtout internationale) a permis l‟industrialisation rapide et profonde de
certains pays d‟Asie. Mais aussi elle a donné à des pays comme le Japon le moyen de présenter une
structure de coûts de production extrêmement compétitifs.
73 René GENDARME : « L‟industrialisation des PVD a-t-elle toujours été bien comprise ? Réflexions à
propos de quelques expériences méditerranéennes ». Revue « Monde en Développement » n° 2, 1973.
72
64
Plus que jamais l‟État est indispensable. L'évolution des techniques et des
organisations se traduit par un appel croissant, de la part des entreprises, à des
ressources externes, qu'elles soient marchandes ou non marchandes que seul l‟État
peut mobiliser. En plus, la mondialisation de l'économie avec les multiples
interdépendances qu‟elle crée ainsi que l'élargissement des marchés et l'accélération
des mouvements de restructuration-concentration des entreprises qu‟elle engendre,
met impérativement l'État au cœur du processus de développement économique. Il se
présente comme un acteur majeur de la construction de la compétitivité des
territoires. Toute la question concerne son champ d‟intervention et les instruments
qu‟il peut mettre en œuvre pour la réussite de son action, car la réussite de toute
politique industrielle qui organise la compétitivité des territoires dépend de la qualité
des politiques publiques. Cette intervention concerne prioritairement les aspects
fondamentaux de la stratégie d‟industrialisation, à savoir :
la définition des orientations et des options claires fixant les domaines
d‟intervention publique, les moyens nécessaires à mobiliser et la durée de
réalisation des objectifs considérés comme prioritaires ;
la fixation d‟une structure non bureaucratique d‟administration et de gestion
de la totalité organique de la politique industrielle ;
la détermination d‟un vaste cadre juridique fixant toutes les règles de
fonctionnement, toute la législation de stimulation, d‟intéressement et de
promotion de l‟initiative privée nationale et étrangère ;
la détermination de politiques financières, technologiques et de formation de
cadres techniques et administratifs pour le secteur industriel.
II faut bien préciser au départ que l‟État doit se concentrer principalement sur
la création d'un environnement favorable plutôt que de vouloir se substituer aux
entreprises, bien qu‟il doive disposer de moyens sûrs d‟une intervention directe pour
amener les impulsions nécessaires et les transformations permettant l‟avènement
d‟une rationalité industrielle.
Dès lors, le domaine d‟intervention de l‟État se situe en premier lieu dans les
industries de base qui permettent la valorisation des matières premières. Ainsi, le
développement et la croissance vont pouvoir désormais s‟amorcer sur la base d‟une
exploitation des ressources internes. Le second aspect de l‟intervention publique
consiste en la création d‟une infrastructure institutionnelle adéquate et fonctionnelle
de gestion et d‟administration.
Le dynamisme des grandes économies est fondé sur la diversité de leur
portefeuille d'activités. Cette diversité est non seulement nécessaire à l'attractivité des
territoires, mais elle est à l'origine de la création de nouveaux produits et
d'innovations dans les procédés de fabrication. Un processus qui ne peut être
organisé et pensé d'en haut.
La planification s‟avérera comme indispensable pour une gestion effective et
efficace de l‟ensemble de la politique industrielle. Elle doit spécifier les grands
projets, maîtriser les besoins de financement et fixer un délai de réalisation. Elle doit
encourager l‟innovation et l‟efficacité des PMI et PME.
1°) Les modalités de réalisation de la stratégie d’industrialisation
Ayant esquissé les domaines et formes d‟intervention qui constituent les axes
d‟ancrage de la politique industrielle, il reste à spécifier les moyens et ressources à
mobiliser. Ces questions constituent toujours les côtés faibles des stratégies
d‟industrialisation.
65
Notre point de départ est que la réalisation d‟un vaste programme
d‟industrialisation essentielle pour le développement économique et social est
l‟objectif central à atteindre. Cela exige des ressources financières, humaines et
technologiques qui ne sont pas totalement disponibles au niveau interne. Que faire
pour surmonter cette situation ? Plusieurs approches se sont toujours confrontées,
allant de la mobilisation interne des ressources à celle d‟un recours systématique aux
IDE c‟est-à-dire le recours à la concertation et à la coopération avec des partenaires
privés individuels ou relevant de firmes multinationales.
Les décideurs dans les PSD doivent exploiter toutes les opportunités qu‟ouvre
la mondialisation avec le redéploiement du capital à l‟échelle internationale qui est un
facteur positif pour conduire une bonne politique industrielle. Les NPI offrent une
parfaite illustration de la recherche systématique d‟une insertion réussie dans la
mondialisation à partir d‟un partenariat avec tous les secteurs privés, notamment les
firmes multinationales.
2°) Rendre l’Afrique attractive et rentable pour les FM et les IDE
Il faut définir les conditions qui rendent l‟Afrique attractive et motivante. Il est
rare de voir des pays dénoncer les codes des investissements des pays d‟Asie, y
compris la Chine, qui font de larges concessions fiscales et douanières pour attirer les
capitaux privés étrangers. Tous ces rapports avec les firmes multinationales, les
secteurs privés nationaux ou étrangers doivent être exploités dans le sens d‟un
partenariat privé-public solide et structuré. C‟est de cette façon que l‟on se
débarrassera du fétichisme économique dominant dans certains secteurs de pensée.
Ces principes devaient être réaffirmés pour consolider l‟idée que le
développement et la croissance, qui sont les objectifs majeurs, nécessitent un appel
aux capitaux extérieurs et aux acquis de la révolution scientifique et technique. La
politique industrielle doit bénéficier de toutes ces ressources pour réaliser les
raccourcis nécessaires. Il nous faut donc spécifier les politiques de mobilisation des
ressources pour la réalisation de l‟industrialisation.
Cette question revêt une importance particulière et comporte deux (02)
aspects : d‟une part la mobilisation des disponibilités financières internes et d‟autre
part, le recours au financement extérieur, au besoin à l‟endettement extérieur. Sur le
premier aspect : le financement du développement industriel doit d‟abord compter
sur les ressources financières internes qui dépendent de la valorisation de certaines
richesses naturelles, et des exportations les plus diverses et de la politique
d‟accumulation. Cet aspect de la question va poser d‟énormes problèmes et
contradictions entre l‟objectif d‟industrialisation et celui de la transformation radicale
des campagnes. Il s‟agira principalement de voir comment concilier une politique
agraire visant tout à la fois le développement des forces productives et l‟amélioration
des conditions d‟existence et de travail des agriculteurs et le nécessaire financement
de l‟industrialisation devant s‟effectuer par des transferts de surplus de l‟agriculture
vers l‟industrie. Il y a là un problème délicat d‟accumulation et d‟allocation de
ressources rares. Ces questions doivent être réglées dans le cadre des priorités
sectorielles retenues et de la politique de génération et d‟absorption des surplus qui
sera développée plus loin.
Le second volet de la politique de financement est le recours aux ressources
externes, à l‟endettement extérieur. Sur ce point également, il s‟avère indispensable
d‟apporter quelque lumière pour replacer les problèmes dans leur véritable contexte.
La question principale n‟est ni le niveau de l‟endettement, ni son origine ; elle réside
66
essentiellement dans l‟utilisation productive ou non des ressources empruntées. Bien
entendu, le capital emprunté n‟a pas la même incidence sur l‟économie interne selon
qu‟il est utilisé pour construire des monuments ou des aéroports modernes ou
employé productivement pour créer des usines. Sur le second point, il n‟existe aucune
objection de réaliser un endettement si l‟opération d‟investissement est rentable. Ici,
l‟endettement permet le développement. Dans ce sens, A. EMMANUEL observe que
«les grands banquiers prêteurs constituent un groupe international de pression en
faveur de tout ce qui renforce la solvabilité et partant l‟économie nationale de leurs
débiteurs … Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le pouvoir de marchandage des
pays en voie de développement qui a dépassé cette borne s‟en trouve
considérablement renforcé. En fait, c‟est le seul motif que les PVD ont aujourd‟hui de
continuer aussi à s‟endetter davantage»74. À cela, il convient d‟ajouter le fait que tous
les pays qui ont résolu le problème du financement du développement sont passés
par une phase de grand débiteur. Une fois encore, il faut savoir ce que l‟on veut.
Comme l‟écrit avec clairvoyance A. EMMANUEL, «on a le droit de considérer le label
national comme une fin en soi et le recours à l‟étranger comme le mal suprême. Il
faut savoir de quoi l‟on parle. Si l‟on parle de prestige et de satisfaction morale ou
d‟un problème économique. Dans le second cas, il faut savoir que l‟indépendance
d‟un pays, quel que soit le sens du mot, est fonction croissante du niveau de son
développement et de son potentiel économique. C‟est avant tout la faim et la misère
qui rendent dépendant».
En clair, dans un processus d‟industrialisation et de développement accéléré, il
faut exploiter toutes les possibilités offertes par le financement extérieur sur toutes
les places et institutions financières du monde. L‟endettement n‟est pas
nécessairement un handicap totalement insurmontable comme le laisse entrevoir les
bilans terriblement sombres de l‟endettement du Tiers Monde 75. Cet alarmisme se
fonde essentiellement d‟une part sur le fait que le processus de développement
économique et social implique des besoins de financement que ne peut couvrir la
faible épargne intérieure ; cela rend l‟endettement presque obligatoire et d‟autre part,
par le fait que l‟aggravation de l‟endettement à des taux mercantiles a amené les pays
du Tiers-monde à emprunter pour payer leur dette76. Ce mécanisme bloqué ne
pouvait pas ne pas déclencher l‟alarme générale. Mais il ne faut pas faire de
l‟amalgame, car ce qui gène profondément, c‟est la restriction des possibilités de
crédit que pose le blocage des mécanismes financiers. Seulement, les menaces d‟un
effondrement financier que fait peser l‟endettement sur l‟ordre économique mondial
peuvent faire espérer qu‟une solution sera trouvée77. Pour revenir au propos de
A. EMMANUEL, op. cit., pp.53-55.
Ce qui a inquiété, c‟est l‟évolution rapide de l‟endettement au rythme annuel de 20% avec des taux
d‟intérêt usuriers dus au recours de plus en plus grand au système bancaire privé. Ces prêts publics des
organisations internationales ont baissé de 61 à moins de 50%. Ainsi, de 1970 à 1979, la Dette Globale
est passée, selon les estimations de la Banque Mondiale, de 114 milliards de dollars à 369 et selon le
Comité d‟Aide au Développement de 119 milliards à 388.
76 On peut observer avec ANGELOPULOS que de 1973 à 1980, les pays sous-développés non pétroliers
ont emprunté environ 332 milliards et ont dû payer pour le service de cette dette 338 milliards, soit 6
milliards de plus. Cette situation dans laquelle les pays empruntent pour payer leur dette est grave car
on est dans un système totalement stérile et sans issue. À ce pas, les créanciers se feront des jeux
d‟écriture favorable et les débiteurs ne pourront jamais liquider leur dette. Belle mécanique bloquée
qui conduira tôt ou tard à une table de négociation.
77 La Revue Fortune du 17 novembre 1980 soulignait le risque que font courir au monde la Dette du
Tiers-Monde. En prenant le cas du Mexique avec sa dette de 81 milliards, sa banqueroute aurait
entraîné celle de certaines banques américaines (Bank of America, City Corporation, Chase
74
75
67
départ, l‟endettement pour des pays qui connaissent des déficits importants
d‟épargne est presque une nécessité impérieuse. Beaucoup d‟arguments
établissement qu‟il faut y recourir comme le montre de façon édifiante les pays
socialistes d‟Europe de l‟Est78. Le premier argument est que si les ressources
financières empruntées à des coûts excessifs ne sont pas productivement utilisées
comme dans le cas de la construction de «monuments aux morts», elles permettront
d‟accroître le potentiel productif et de rendre possible le remboursement sans grand
dommage pour l‟économie. Un second argument est qu‟il n‟existe pas une parfaite et
rigoureuse corrélation entre échéancier de remboursement et délai de récupération,
surtout si l‟investissement sur fonds empruntés est réalisé par l‟État dont la
bureaucratie est lente à démarrer les projets. En conséquence le remboursement de
la dette peut poser conjoncturellement des problèmes. Le troisième argument est que
l‟endettement a permis à certains pays de sortir systématiquement du sousdéveloppement et d‟amorcer un processus irréversible d‟expansion économique. Mais
il a surtout permis d‟éviter l‟avènement d‟une crise profonde de surproduction.
N‟oublions pas que les pays les plus fortement endettés du Tiers-Monde sont les
grands clients, les débouchés des systèmes industriels des pays capitalistes
développés. Toutes ces raisons expliquent que les pays les plus endettés du Tiersmonde sont systématiquement renfloués par leurs créanciers qui ont besoin de les
mettre dans les conditions les meilleures qui rendent le remboursement possible.
Comme les pays socialistes, comme les pays capitalistes79, le Tiers-Monde devra
continuer de chercher partout les financements à ses projets prioritaires
d‟industrialisation et de développement. C‟est une forme de réalisation d‟une
péréquation des liquidités et des ressources. Cette péréquation s‟effectue
normalement entre pays capitalistes développés par des biais divers : les institutions
financières internationales, les mécanismes des marchés financiers, les institutions
nationales spécialisées. Cette mobilité financière doit être réalisée en faveur des pays
du Tiers-Monde.
Pour l‟Afrique, dans la recherche des moyens de financement de
l‟industrialisation, deux possibilités s‟offrent et qu‟il importe d‟exploiter : les
emprunts aux institutions financières régionales et la co-production80. La première
voie concernant les emprunts régionaux est généralement insuffisamment utilisée.
Dans le cadre d‟une industrialisation, les possibilités de la banque Africaine de
Développement et des autres institutions financières et bancaires doivent être
mobilisées. En plus, les États devront s‟orienter vers la création de mécanismes
Manhattan) et les entreprises avec elles ont d‟étroites liaisons. Tous ces enjeux montrent que les pays
endettés ne seront jamais abandonnés ; on finit toujours par leur trouver un traitement.
78 L‟endettement des pays socialistes est aussi caractéristique. La dette globale de ces pays a évolué
comme suit :
1971 :
8 357 millions de dollars
1973 : 14 965 millions de dollars
1976 : 47 661 millions de dollars
1979 : 77 130 millions de dollars
En moins de 10 ans, les crédits ont été multipliés presque par 10, alors qu‟ils ne l‟ont été pour le même
délai, que par 5 pour les pays du Tiers-Monde. Dans ce groupe de pays, l‟endettement est passé de 97
milliards de dollars à 425 milliards. Pourtant, on n‟a paniqué pour les pays socialistes que pour le cas
polonais, plus pour les questions politiques que pour les problèmes strictement économiques.
79 Les plus endettés en dernière analyse, sont bel et bien les États capitalistes développés, ce qui fait
dire que les riches vivent de crédits. En prenant le cas des États-Unis, on peut observer que les prêts
contractés par les entreprises, les collectivités locales et les États sont passés de 3 000 et 5 000
milliards de dollars avec des déficits budgétaires qui varient entre 150 et 250 milliards de dollars.
80 Moustapha KASSE : ordre économique communautaire : une nouvelle stratégie du développement.
68
financiers appropriés et de Fonds Spécialisés dans le financement des activités
industrielles. De tels fonds seront alimentés par des ressources internes mais aussi
externes en ouvrant leur capital à des organismes, institutions, opérateurs
économiques et États non africains. La philosophie est de mobiliser toute ressource,
tout excédent financier disponible dans le monde. La seconde voie à exploiter est la
coproduction. Le Plan d‟Action de Lagos recommande particulièrement le
développement d‟une coopération industrielle dans le cadre d‟un processus
intégrateur.
3°) Les Propositions récentes de l’ONUDI sur l’industrialisation du
Continent
Encadré 3 : Les défis d’une industrialisation concurrentielle
dans les pays africains à faible revenu.
L‟avantage comparatif de l‟Afrique réside dans ses faibles coûts de mains
d‟œuvre (et parfois, de matières premières et d‟énergie). Mais dans un
contexte de compétitivité planétaire, ces avantages comparatifs d‟ordre
inférieur perdent de l‟importance.
La principale position compétitive de l‟Afrique se situe dans les industries ou
la croissance de la demande est la plus faible et où la concurrence
internationale venant surtout des fournisseurs asiatiques à faibles coûts est
intense.
Les économies de la région ne font pas partie d‟une zone dynamique de sorte
qu‟il y‟a pas d‟investisseurs pour injecter chez elles des investissements
étrangers directs à l‟échelle de ce qui s‟est fait en Asie de l‟Est ou du Sud Ŕ
Est.
Les pays africains sont gravement désavantagés sur le plan des coûts
d‟infrastructure, surtout pour le transport.
Ces pays se situent au plus bas de l‟échelle mondiale quand à la technologie
et au perfectionnement industriel.
Le secteur privé est faible et dominé par quelques grandes multinationales à
un extrême, et une nuée de petites entreprises à l‟autre. La couche
intermédiaire, normalement formée d‟entreprises nationales de taille
moyenne, est absente.
Les « termes technologiques de l‟échange » pénalisent les retardataires. Le
coût d‟acquisition des nouvelles technologies a monté, tant sur la plan
monétaire que, ce qui est plus important encore, sur celui des compétences
(opérateurs, techniciens et gestionnaires).
L‟importance de la qualité de la main d‟œuvre pour attirer
les
investissements étrangers directs dessert l‟Afrique.
La région est devenue extrêmement dépendante de l‟aide extérieure (par
exemple, technologie étrangère et compétences d‟expatriés) mais cela ne
peut plus durer.
Source : ONUDI, Rapport de 1996
69
CHAPITRE 17 :
LA POLITIQUE TECHNOLOGIQUE ET SON ROLE DANS
LE DÉVELOPPEMENT
Pour les pays développés, technologiquement avancés, la
principale source de création de richesses réside désormais dans
les savoirs et les compétences, davantage que dans les
ressources matérielles. La compétitivité des entreprises et,
au-delà, celle des nations reposent fondamentalement sur les
capacités à créer et à utiliser les connaissances. Ces capacités
conditionnent donc largement les performances en termes de
croissance, de revenus et de création d’emplois.
Jean Michel CHARPIN81
L‟évolution actuelle de la science et de la technologie en relation avec la
croissance économique qui est l‟objectif premier des PSD donne lieu à de nombreux
débats tout en faisant émerger de nouveaux questionnements sur la technologie et le
développement. Le monde a vécu quatre révolutions techniques qui ont été des
facteurs déterminants dans l‟amorce et l‟approfondissement de l‟industrialisation : la
machine à vapeur, l‟électricité, le moteur à explosion et les nouvelles technologies de
l‟information et de la communication. Les trois premières révolutions scientifiques et
techniques ont ouvert l‟ère de la mécanisation de l‟outil industriel ce qui a permis
l‟avènement de la société de consommation de masse, et par la suite l‟amorce des
« Trente Glorieuse années de croissance » (1945-1975).
Manifestement, toutes les politiques d‟industrialisation ont eu pour support la
triptyque interactive recherche scientifique, processus d‟innovation et technologie.
Historiquement la science et la technique ont fortement contribué au développement
et à la croissance économique. Ils ont surtout concouru, combiné avec le capital, à la
maximisation de la quantité de produits améliorant partant le bien-être social. Que
doivent faire les PSD caractérisés par le faible niveau de leurs forces productives
pour bénéficier des avantages liés à la technologie ? Opérer un transfert massif des
techniques les plus performantes, répondent certains auteurs, alors que pour
d‟autres auteurs l‟importation de techniques sans discernement peut s‟avérer
inopérant et inefficace. La technologie et incidemment sa relation au développement
va se trouver au cœur de controverses autour de questions essentielles :
Quels sont les besoins technologiques des PSD pour leur industrialisation et
l‟amélioration de leurs performances macroéconomiques? La question posée
autrement : Quelle technologie pour quel développement ?
Quelles sont les modalités des transferts et à quels coûts ?
Quels sont les mécanismes d‟absorption-appropriation et leurs modes de
diffusion au niveau des utilisateurs?
Quelles sont les conséquences attendues sur l‟ensemble du tissu social ?
Les réponses à ces questions, telles qu‟elles ressortent des publications et des
programmes de recherche dans les PSD, sont quantitativement et qualitativement
insuffisantes car elles ne montrent pas clairement comment la science et la
81
Le Commissariat général du Plan (France) a réalisé un travail de réflexion et de concertation sur le thème de
l’économie du savoir. Ce groupe a rassemblé, entre octobre 2001 et juin 2002, des responsables d’entreprises,
des partenaires sociaux, des représentants des ministères concernés et de collectivités territoriales, ainsi que
quelques personnalités universitaires.
70
technologie peuvent contribuer au processus d‟industrialisation, à l‟augmentation de
la quantité de biens disponibles, à la création de richesses et à l‟amélioration du bienêtre des populations. Parmi les nombreuses raisons qui expliquent ces déficiences,
deux au moins méritent d‟être soulignées. D‟abord, il a manqué une réflexion globale
sur les stratégies et les actions à mener pour une politique de maîtrise de la
technologie en vue du développement des PSD et ensuite, il s‟est structuré un
discours culturaliste et environnementaliste de virulente contestation des transferts
technologiques au nom d‟un refus de l‟ethnocentrisme occidental.
Sur le premier point, il faut remarquer que dans la pensée économique, la
question de la « technique » est demeurée à la fois familière et énigmatique et
apparaît comme une «boîte noire » qui explique tout ou une partie des progrès
économiques et sociaux mais reste elle-même inexpliquée : tantôt facteur exogène,
tantôt facteur endogène à la fonction de production, les économistes n‟ont pas
souvent élucidé le lien direct qu‟elle entretient avec la croissance économique. De fait,
les réflexions et recherches sur le rôle des innovations technologiques dans le
développement sont très peu nombreuses. Elles seront imposées par la suite par
l‟ampleur, la profondeur et la rapidité des innovations de la quatrième révolution
technologique, celle des Technologies de l‟Information et de la Communication 82 qui
sont non seulement des outils de performances, de productivité mais aussi des
vecteurs de création de richesse. Aujourd‟hui, les PSD sont complètement au pied du
mur condamnés à rentrer dans les TIC qui structurent les processus productifs et le
fonctionnement de l‟économie mondiale.
Sur le second point, les idéologies culturalistes ont pendant longtemps obstrué
et obscurci le débat sur la technologie et le développement en essayant d‟évacuer, au
nom de la culture, l‟importance stratégique des investissements dans la technologie et
la recherche scientifique. Les auteurs mettent en avant le biais de l‟accroissement de
la dépendance vis-à-vis de l‟Occident producteur exclusif de la science et de la
technologie et fondent dans une même démarche ethnocentrique la théorie
universaliste de l‟histoire des sciences (du développement de la science) et la théorie
dominante du développement (approche « scientifique » du développement, science
du développement, développement par la science). Tout se passe comme si la
technologie et la science n‟ont d‟incidence notable que sur la sphère culturelle.
Au début des grandes mutations introduites par les NTIC, le « Club de
Dakar »83 avait initié, lors de sa 8e Assemblée Générale, une grande Rencontre de
l‟intelligentsia mondiale autour du thème les « Nouvelles technologies,
développement et identité culturelle ». Le débat avait laissé apparaître deux attitudes
contradictoirement troublantes : selon la première «la technologie ne saurait faire
l‟objet d‟un transfert … Leur placage, leur calque béat, la transformation sans relais ni
nuance dans les sociétés africaines ne peuvent qu‟entraîner perturbations et
désorganisations. Elles vont davantage s‟aliéner. Il faut, et c‟est l‟évidence, concevoir
autre chose, faire autre chose»84. En somme, n‟importe quelle culture, n‟est pas en
mesure d‟utiliser n‟importe quel outil sans adaptation nécessaire. Cela d‟autant que
Il est communément admis que le monde développé a traversé trois grandes révolutions
industrielles celle de la machine à vapeur, celle de l‟électricité et celle du moteur à explosion. Les
travaux de KONDRATIEF et J. SCHUMPETER ont montré que ces révolutions ont structuré et rythmé
les grands cycles de la vie économique
83Le Club de Dakar était le pendant du Club de Rome. Cette réunion s‟est déroulée à Vienne les 12/14
octobre 1981.
84 Cette phrase est du
Professeur Pascal LISSOUBA
dans sa communication intitulée
« Développement et identité culturelle » faite au Club de Dakar
82
71
l‟outil lui même n‟est pas neutre et exprime une relation de cause à effet. 85 La
deuxième attitude est soutenue par le Professeur YOSHIMORI 86 qui déclare «les
japonais voyaient de plus en plus les pays asiatiques colonisés par les puissances
occidentales, et ceci était ressenti par eux comme une réelle menace à l‟intégrité
nationale du Japon. La seule solution pour les japonais, face à ce défi technologique
tout à fait énorme, est de concurrencer les occidentaux sur leur propre terrain, c‟està-dire en empruntant, en assimilant systématiquement les technologies
occidentales».
Cette controverse est bien caractéristique des débats des années 70 et 80 sur la
technologie et son transfert au niveau des PSD. L‟attitude culturaliste défendue par
certains philosophes, sociologues et ethnologues était visiblement à côté de
l‟impérative nécessité de trouver un « raccourci d‟accès »87 pour bénéficier des effets
positifs de la révolution des technologies et de l‟innovation qui accélèrent le progrès
économique et social. En effet, la technologique est avant tout un vecteur de
transformation radicale du système des forces productives, en tant que processus de
modification de la base matérielle de la société, elle agit indubitablement, entre autre,
sur le travail productif, la division sociale interne, sur l‟enseignement, la culture et
même la psychologie humaine. Alors la pieuse utopie serait de croire qu‟une
technologie pourrait être socialement, culturellement et politiquement neutre.
Ces débats théoriques, malgré leur ampleur, n‟ont pas débouché sur des
propositions de programme de recherche d‟une politique technologique cohérente et
capable d‟élargir le développement de la production. Les insatisfactions théoriques et
pratiques poussent à éclaircir les véritables enjeux de la problématique de la
technologie, au demeurant, à tirer les enseignements essentiels en vue d‟élaborer un
pool technologique disponible pour les PSD et de définir les bases d‟une stratégie de
maîtrise des innovations technologiques²
Section 1 : Les controverses sur le rôle de la technologie dans
le développement.
La technologie a fait l‟objet de réflexion et de recherche théorique à la suite de
la revendication par les pays du Tiers-Monde d‟un transfert sans entrave. Quels sont
les points de vue défendus ? Quels enseignements en tirer en direction de
l‟élaboration d‟une politique d‟innovations technologiques et de la science comme
outils opératoires du développement économique et social.
Sur la question du transfert des innovations technologiques, deux opinions se
sont affrontées et continuent encore de le faire autour de deux questions majeures
que ce transfert soulève à savoir : les effets économiques, sociaux sur l‟environnement
humain et physique et le coût financier sur la balance des paiements.
Pour un premier courant, la technologie est un impératif pour la
transformation qualitative et quantitative du système industriel ; elle permet en outre
Cette opinion de P. BUNGENER est symptomatique de cette attitude « En réalité la
question devrait être moins de savoir ce qu‟on transmet et comment on le transmet, que de savoir
quelle société on aura, quel pouvoir on lui donne, et à qui celui-ci profitera, de voir quels seront les
niveaux de résistance ou de passivité auxquels la transmission se heurtera et les raisons de ceux-ci. »
La pluralité des mondes : Théories et pratiques du développement, Cahiers de l‟IED, Genève, 1975
86 Il est venu de l‟Université de Tokyo et sa communication a porté sur « Développement et
réalités culturelles ». Il a présenté un texte d‟anthologie sur le rôle des valeurs dans le développement0
87 La formule et l‟idée sont de MAO-TSÉ-TOUNG qui reprenait autrement une idée de
LENINE qui condamnait les attitudes archaïques et rétrogrades des « moujiks » hermétiques au
progrès.
85
72
une exploitation efficiente des ressources naturelles, élève le niveau de productivité
du travail, accroît les connaissances scientifiques et techniques. Ces conséquences
positives la rendent indispensable pour des pays caractérisés par le retard
appréciable des forces productives matérielles et humaines ; l‟archaïsme et
l‟inefficience des moyens de production et de travail ; la faible productivité du travail
qui explique à la fois le volume réduit de la production et des revenus. La révolution
technologique est seule à même de rompre d‟avec cette situation d‟arriération
généralisée, de permettre de dépasser l‟économie traditionnelle, régressive, en circuit
fermé et la production artisanale, de modifier les conditions de production et
d‟instaurer une autre rationalité économique favorable à l‟avènement d‟un processus
soutenu et irréversible de croissance et d‟expansion économique. Dès lors, la
technologie, quel que soit son incidence financière et socioculturelle, doit être
systématiquement recherchée. Elle est profondément un facteur privilégié
d‟indépendance économique d‟émancipation scientifique.
Le second courant d‟opinion rejette en totalité ces conclusions et montre que si
la technologie peut s‟avérer être une variable nécessaire, elle demeure un moyen de
perpétuer la domination extérieure. Les pays du Tiers-Monde seront encore pour une
période des importateurs nets de technologie, il reste entendu que ceux qui possèdent
ce facteur contrôle l‟utilisateur. Par ailleurs, à ce premier aspect défavorable, s‟ajoute
deux autres qui concernent d‟une part les coûts excessifs de la technologie qui auront
une incidence hautement négative sur les ressources en devises et d‟autre part,
l‟aliénation culturelle qui finira par rendre la technologie inopérante. Ce dernier point
a été notablement développé : la technologie importée qui véhicule un mode de vie,
une vision du monde et une division du travail contraires à ceux du pays récepteur, en
conséquence, elle doit être rejetée.
En définitive, pour des raisons liées à la dépendance et aux conséquences
socioculturelles et mêmes économiques, il est recommandé aux PSD une extrême
prudence en matière technologique. L‟innovation nécessaire au développement doit
être assumée par des recherches appropriées au plan interne. S‟il n‟en était pas ainsi,
l‟importation massive de technologie pourrait être à l‟origine d‟un vaste mouvement
de déculturation et de perte d‟identité, tout en échouant dans ce qui est son objectif
principal à savoir la transformation des forces productives et l‟accélération de la
croissance économique et social. Bien entendu, pour des pays qui viennent d‟accéder
à l‟indépendance, qui restent attachés à certaines valeurs culturelles, seul ciment
d‟une nuitée nationale fragile, un tel discours porte. C‟est sans doute pour cette raison
que ce courant de pensée est dominant au point d‟imposer et d‟imprimer aux
recherches et réflexions des références et des normes d‟appréciation. Au nom de la
culture et d‟une certaine indépendance qu‟introduirait la technologie, on prône
l‟immobilisme, le passéisme et l‟autarcie. Ces idées sont non seulement rétrogrades et
dangereuses en ce qu‟elles s‟opposent indûment aux conséquences de la révolution
scientifique et technologique mais scientifiquement non fondées.
En effet, la problématique de la technologie ne relève d‟aucune ambiguïté. Il
s‟agit pour des pays en retard de trouver à l‟intérieur ou à l‟extérieur, les meilleures
réponses techniques aux problèmes que soulève la production industrielle. Il faut
donc trouver un pays émetteur qui commercialise sa technologie (à partir de ses
coûts-bénéfices) dans le cas d‟espèce, aucune considération morale ou autre ne
devrait interférer dans le choix technologique. Faut-il remarquer que l‟on n‟a jamais
demandé aux pays sous-développés de renoncer à l‟importation de biens et services
ou d‟autres commodités parce qu‟elles véhiculent des valeurs aliénantes ou
déculturantes. Par ailleurs, l‟argumentaire avancé n‟a qu‟une pertinence limitée et
73
certains éléments comme les effets sociaux négatifs sont scientifiquement et
historiquement infondés88. C‟est d‟abord le cas des conséquences culturellement
négatives de la technologie importée. Une telle idée est partiellement fausse car si la
technologie est un facteur de développent, elle l‟est en ce qu‟elle affecte positivement
la base matérielle de la production sociale, la teneur et la forme du travail humain, la
division sociale, elle favorise l‟accumulation de connaissances et élève le niveau
intellectuel du travailleur. Elle peut même aplanir l‟écart entre travail manuel et
travail intellectuel. On n‟en voit pas très clairement où peuvent se situer les aspects
négatifs qui justifieraient une opposition à la technologie. L‟argumentation n‟est pas
historiquement vérifiée. Il sera établi, plus loin, que la technique n‟étant jamais
neutre, elle produit des perturbations culturelles. Seulement, la culture n‟est pas une
donnée fixe immuable et elle progresse en fonction du développement des forces
productives et du niveau général des connaissances, donc de la technologie. L‟histoire
du Japon, de la Chine et de beaucoup d‟autres pays ayant opéré des mutations
technologiques par transfert, le montre de façon édifiante.
En définitive, pour s‟industrialiser, il n‟existe, pour les PSD que deux
alternatives : l‟autarcie et le transfert. Il faut alors opérer des choix clairs. Dans le
premier cas, il ne faut se fixer aucune échéance. On postule implicitement ou
explicitement que le développement est un vaste processus nécessairement long et
lent qui doit cependant se dérouler de façon indépendante par mobilisation
exclusivement du potentiel scientifique et technique interne. Le pays se barricade et
recommence par ses moyens propres tout le cheminement technologique de
l‟humanité. Bien entendu, cette orientation va conduire à l‟élargissement du cap
technologique. Au demeurant, le pays sera par rapport au reste du monde dans une
permanente retard technologique.
Le rejet de ce choix irrationnel ramène en discussion, comme l‟observe A.
EMMANUEL, les conditions qui doivent accompagner la seule voie restante à savoir
celle du transfert et de l‟utilisation des acquis technologiques des pays développés 89.
La technologie est essentiellement liée aux objectifs de développement économique et
social qu‟une société se donne.
Une fois encore, il peut être attendu de la technologie et de la science un
parachèvement rapide de l‟industrialisation, un accroissement considérable de la
productivité du travail, l‟industrialisation de l‟agriculture, le dépassement des
différences socioéconomiques entre villes et campagnes et l‟égalisation progressive de
la base matérielle et technique. Les expériences du Japon, de l‟Union Soviétique et de
la Chine sont, de ce point de vue, extrêmement édifiantes car les technologies les plus
progressives, les innovations techniques les plus avancées ont été importées et mises
au service du développement économique. Elles ont participé à combler le retard
économique de ces pays.
Aujourd‟hui, la mondialisation de la production et du capital ouvrent des
conditions meilleures de transferts technologiques. Les PSD doivent exploiter toutes
les opportunités qu‟offre la division internationale du travail. Seulement, elles
doivent éviter les innovations scientifiques et techniques de nature ponctuelle, par
foyer et enclave qui entraînent un accroissement des disproportions sectorielles sans
augmentation appréciable de la productivité. Ils doivent puiser dans le potentiel
Faut-il se rappeler qu‟il y a deux siècles les ouvriers de Lyon détruisaient les premiers métiers à
tisser sous prétexte qu‟ils leur enlevaient l‟emploi. L‟outil s‟est imposé et s‟est profondément
transformé pour devenir plus performant et plus exclusif du travail simple.
89 A. EMMANUEL : op. cit. p 34.
88
74
scientifico-technique, les technologies qui contribuent à la restructuration de la
production en vue d‟une croissance économique accélérée.
C‟est seulement après avoir réglé ces fonctions de technologie dans le
développement économique et social, qu‟il faut s‟interroger sur son impact culturel
car il ne saurait être question de sous-estimer cette incidence que pourrait entraîner
un recours massif à la technologie pour introduire des ruptures dans les cadences de
la croissance et de l‟expansion économiques. Partant de l‟observation que la culture
n‟est pas une donnée immuable, il s‟agit d‟analyser la nature des effets négatifs que la
technologie induit au niveau culturel pour ensuite apporter les corrections au besoin.
A. EMMANUEL, dans cette direction, fait observer que les peuples ont toujours la
culture de leur technologie et qu‟il serait illusoire de prétendre à l‟inverse 90.Or, dans
cette époque de forte accélération de la révolution scientifique et technique, de la
division internationale du travail et de mondialisation des phénomènes de production
et de consommation, les valeurs culturelles nationales s‟homogénéisent
tendanciellement.
Ici comme ailleurs, l‟économie mondiale fait reculer les barrières nationales
étroites et organise une extrême mobilité des modèles culturels et de consommation.
Elle impose à tous les peuples, avec des vitesses de pénétration différentes, la culture
scientifique comme dominante.
Au demeurant, la microélectronique caractéristique de la quatrième révolution
technologique transformera définitivement les cultures nationales même dans les
pays les moins avancés. Les valeurs sociales, musicales, architecturales et autres
seront gérées de façon optimale et efficiente par les ordinateurs. Il ne sert à rien
d‟être passéiste et de vouloir engager des combats d‟arrière garde perdus à l‟avance
mais il faut plutôt procéder à une rigoureuse organisation qui assure les conditions
les plus favorables à l‟utilisation de la technologie dans l‟intérêt du progrès
économique et social. Le sens de l‟histoire est de comprendre que désormais, le point
de départ obligé de tout acte culturel passera par le clavier du microordinateur.
Dans cette direction, on peut observer que les changements induits par la
révolution scientifique et technique posent de manière aigue le problème de la
recherche-développement, de l‟enseignement et de la formation, de l‟assimilation, de
la diffusion et de la maîtrise de ces concepts. L‟ampleur des questions soulève d‟abord
un problème politique par suite de l‟accroissement du pouvoir technique entre les
mains de quelques hommes qui vont ainsi disposer d‟une information et d‟une
organisation terrifiante ; ensuite, un problème pédagogique, car si la masse des
connaissances a doublé en huit ou dix ans, il ne suffit pas d‟ajouter un chapitre au
programme des enseignements pour donner aux enfants une connaissance, même
sommaire, de ce qui se crée.
Dès lors, la révolution technologique exige de repenser fondamentalement le
problème de la culture, surtout pour les formations sous-développées. On est renvoyé
à nouveau à l‟opportunité d‟élaborer une politique qui parte d‟une claire conscience
De ce point de vue, l‟expérience japonaise est réellement très édifiante, elle montre l‟incidence de la
technologie occidentale importée sur la culture. Le Professeur YOSHIMORI note que «même si on
assimile au Japon les technologies occidentales, c‟est par le biais de l‟âme japonaise. C‟est ainsi que
l‟âme japonaise et la technologie occidentale étaient devenues une espèce de slogan pour les japonais
… Les japonais ont plutôt absorbé les autres civilisations pour les assimiler avec leur propre
civilisation. Donc les japonais n‟ont pas cette attitude qu‟on peut qualifier d‟ethnocentrique qu‟ont
manifesté les chinois au moment de leur rencontre avec les occidentaux. Même aujourd‟hui, les
japonais sont fiers de leur civilisation, de leur acquis économique et culturel, mais la modestie est
considérée comme l‟attitude la plus importante».
90
75
que la technologie est une nécessité impérieuse et que les pays sous-développés
doivent organisationnellement se préparer pour un meilleur usage.
Parallèlement, une lutte plus ferme et sans concession doit être engagée contre
les publicités entreprises par les écologistes et environnementalistes qui s‟opposent à
l‟utilisation des technologies appropriées, notamment dans l‟agriculture. La
chimisation et la motorisation dénoncées sans rigueur ne conduiront nullement aux
catastrophes annoncées à grands renforts de publicité. Ces opinions répandues à
grandes doses dans les pays sous-développés sont scientifiquement mal fondées et
n‟ont le moindre souci de ce qu‟il faut faire pour les ventres creux91. Les catastrophes
et les problèmes sont ailleurs, ils résident dans la misère et la famine que les
politiques agraires ont charge de faire reculer dans les délais les plus brefs possibles.
Les grands enjeux sont dans l‟utilisation incontournable des biotechnologies pour
réussir la « révolution verte ». La question la plus pressante n‟est certainement ni les
précautions à observer, ni la mise en coupe réglée de l‟agriculture mondiale par les
multinationales. Cette main mise planétaire concerne des domaines aussi importants
que la production des biens et services, les échanges internationaux, la sphère
financière et les TIC.
Toutes ces réflexions, malgré leur extrême diversité, ainsi que les recherches
qui les sous-tendent, s‟accordent unanimement sur le fait que la technologie agit
comme accélérateur de l‟industrialisation du développement économique et affecte
positivement le travail social en élevant la productivité. Ce sont ces aspects que les
politiques doivent rendre optimum tout en minimisant les effets négatifs qui
pourraient apparaître, qu‟ils soient de nature sociale, culturelle ou autre. Tout cela est
à relier à la fois avec les politiques de développement et les options sociales dont les
lois, les catégories économiques et les leviers administratifs favorisent
l‟intensification et l‟éclosion de la technologie. En dernière analyse, cette variable
peut contribuer à l‟élimination rapide du retard économique par une expansion
soutenue des forces productives, condition véritable d‟une amélioration de la
rémunération du travail et de la répartition des revenus.
Encadré 4 : L'émergence des NTIC comme expression d'une
mutation fondamentale dans la production de richesse
En juillet 1978, on pouvait lire dans la New York Times Book Review l'article
de Solow, que le débat en économie figera sous l'appellation de « Paradoxe de
Solow » : les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de la productivité.
L'une des réponses apportées (Freeman & Perez) consistait à considérer qu'une
nouvelle révolution technologique se préparait, et qu'elle ne pouvait pas épanouir son
potentiel de croissance du fait d'une « incohérence », d'un « décalage » entre
technologies et institutions. Plus fondamentalement, ce sont l'éclatement de l'usine,
la diffusion de formes inédites de coopération dans les interstices de l'espace
construit par la firme fordiste, et le fait enfin que l'innovation échappe au contrôle de
la grande entreprise, qui court-circuitent tous les principes de ce qui se voulait une
« science dure » s'appuyant sur la puissance de l'outil mathématique. Comme le
montre Philippe Breton dans son Histoire de l'informatique (1987) « Le microordinateur est né d'un projet social formulé au début des années 1970 par un groupe
radical américain, qui avait surtout comme souci la démocratisation de l'accès à
Pierre JUDET : Les transferts technologiques. Revue des Échanges, n° 155.
Cet auteur, comme d‟autres, dénonce le modèle technologique déformant le mimétisme découlant des
systèmes de formation. Ainsi, il est affirmé que «la marche forcée vers la chimisation et la motorisation
conduirait à des catastrophes». L‟obstacle, le vrai, à vaincre est la misère et la famine.
91
76
l'information plutôt qu'un désir d'innovation technique. Toute l'affaire semble avoir
commencé en 1970 à Berkeley, en Californie, en plein milieu de la crise du
Cambodge… »
La révolution technologique des NTIC oppose la puissance créatrice et
coopérative des forces sociales à la cohérence du modèle fordiste d'organisation du
travail, qui se voulait scientifique et universel, et qui misait sur la massificationstandardisation des besoins et des désirs, ainsi que sur la coopération entre les seules
grandes firmes et l'État. Cette révolution fait émerger la culture, la communication, la
production langagière, la production sociale de savoir, comme moyens de production
et comme produits, tout ce que l'économie avait exclu de son champ d'investigation.
Comment l'économie politique peut-elle concevoir que cette révolution
technologique ne soit pas née dans les départements de R & D des grandes
entreprises informatiques et, de plus, le fait qu'elle ne soit pas née dans la perspective
d'une innovation technique ? Ce n'est pas non plus l'entrepreneur-innovateur
schumpeterien, mu par la logique d'un profit différentiel par rapport à ses
concurrents, qui est à l'origine d'une innovation technologique majeure, telles les
NTIC qui vont instrumenter des nouvelles formes de coopération sociale.
Comment un économiste pourrait-il admettre que la diffusion de
l'informatique ne suive pas les lignes des pouvoirs hiérarchiques de la grande
entreprise ou de l'État ? En fait, l'émergence des NTIC révèle une mutation profonde
qui est sociale avant d'être technologique, et qui dépasse largement le champ
technique pour concerner de manière bien plus globale la production sociale de
richesse. Depuis les années 1980, la science économique a entrepris de se renouveler
en combinant de manière originale des idées et des concepts jusque-là émiettés dans
des champs séparés. Deux directions de recherche sont particulièrement
intéressantes :
La macroéconomie de la croissance endogène qui traite du capital humain et
des externalités ;
L'approche évolutionniste du changement technique qui conçoit l'innovation
comme un processus social d'apprentissage créateur ;
Pour pouvoir mesurer la portée du renouveau, il est important de rappeler quel
était l'état de la science, et plus particulièrement, comment la croissance avait été
traitée jusque-là.
Section 2 : La nouvelle donne technologique, l’économie du
savoir.
Les évolutions technologiques rapides nous mettent à l‟aube d‟un monde
nouveau ou l‟interconnexion entre la connaissance et le savoir avec la création des
richesses est devenue extrêmement forte. Cette nouvelle révolution technique et
industrielle est caractérisée par son fort contenu de service : plus de matière grise que
de matière première. Comme l‟observe L. STOLERU, non seulement la part du
software (logiciels, prologiciels) est plus grande que celle du hardware (matériels), et
même au sein du software, les coûts de maintenance et de mise à jour sont désormais
supérieurs au coût de mise au point. En effet, les TIC sont en train d‟introduire au
moins trois mutations de grande envergure dans l‟ensemble du système économique
et social.
La première mutation concerne la modification des systèmes productifs ainsi
que les perspectives de la croissance et de l‟emploi. Les activités économiques et
77
financières se réorganisent autour d‟elles et au détriment des savoirs faire et des
métiers traditionnels qui avaient structuré le système industriel devenu maintenant
quasi obsolète. P. CHAPIGNAC remarque trois ruptures essentielles qui affectent la
totalité des activités productives : d‟abord la production de richesse déplace son
centre de gravité de l‟activité productive (la dialectique entre la machine et l‟action
humaine) à la création (la conception et le pilotage intellectuel), le travail n‟est plus
capable de concurrencer les formes de production nouvelles (chaînes, robotisation,
réseaux) alors, il se réfugie dans les pays à faible coût de la main-d‟œuvre. Ensuite,
les transactions de toutes natures et les liens qui en résultent ont tendance à
s‟imposer comme principaux générateurs de la valeur ajoutée. Dans la structure des
entreprises les fonctions commerciales, marketing et conception prennent une
importance grandissante au détriment des fonctions de production ou des fonctions
industrielles classiques. Enfin, le renversement de la hiérarchie des actifs au sein de
l‟entreprise : les actifs déterminants sont immatériels. Les actifs matériels avaient une
valeur intrinsèque dûment mesurée par la technique comptable et validée par les
échanges de capitaux (transaction boursière). Aujourd‟hui les actifs immatériels sont
déterminants (connaissances, culture, capacité de traitement de l‟information). Le
capital matériel est subordonné aux actifs immatériels.92
La deuxième mutation est relative à l‟enclenchement et surtout l‟explosion des
activités économiques, la recomposition des territoires industriels et l‟interconnexion
des marchés de la planète. Les nouveaux territoires mettent en réseau entreprises,
universités, communautés scientifiques autour de programmes de recherche
innovants. Ces acteurs ont la même motivation : chercher, trouver, créer et arracher
les marchés. La meilleure illustration est certainement « La Californie Sirricon
Valley » transformée en premier pôle mondial de l‟innovation. L‟UE suit le
mouvement depuis la Conférence de Madrid. En effet, elle consacre environ 2 % de
son PIB à la recherche-développement (cette proportion est variable selon les États
membres entre 0,5 % à 4 % du PIB). Le niveau des dépenses publiques par poste de
chercheur a atteint 171 000 € en 2001 se situant bien en-dessous des financements
identiques accordés par les États-Unis (182 000 €) et le Japon (212 000 €). Le
nombre de chercheurs (employés à temps plein) par 1000 actifs s‟élève à 5,7 pour
l‟UE alors qu‟il se situe à 9,14 au Japon et 8,08 aux Etats-Unis.
La troisième mutation concerne l‟entreprise qui est placée au cœur de toutes
les transformations. Elle doit savoir concevoir et produire dans des conditions très
contraignantes de flexibilité, de qualité, de coûts et de délai pour tenir la
compétitivité structurelle et produire les meilleurs produits, aux moindres coûts pour
atteindre les meilleurs marchés. Ces objectifs de l‟entreprise impliquent quatre types
de flexibilité financière, fonctionnelle, organisationnelle et d‟adaptation au marché
du travail. En fait, pour « transformer en innovation les opportunités nées de la
technologie et de la demande, l‟entreprise doit procéder à des investissements en
recherche, en apprentissage, en innovation en général. L‟efficacité de ces
investissements est conditionnée par les caractéristiques de la firme parmi lesquelles
la littérature a identifié l‟organisation interne et la taille comme étant les plus
importantes. »93
La rapidité de l‟évolution des TIC commande d‟avoir une vision, une politique
structurante qui permet d‟intégrer la numérisation pour en tirer tous les avantages.
P.CHAPIGNAC Communication au 12ème Congrès IDT-Marchés et Industries de l‟information 1995
in Revue Problèmes Économiques n°2464/2465, Mars 1996
93 Dominique GUELLEC : Économie de l‟innovation, p35 Collection Repères, Paris 1999
92
78
Dans ce nouveau secteur, il ne faut justement pas baisser les bras car les PSD ne
partent pas battus malgré la longueur du gap numérique.
La théorie économique des classiques à LUCAS, ROMER et BARRO en passant
par J. SCHUMPETER a toujours montré que les innovations et le progrès technique
sont des facteurs déterminants du développement et de la croissance et les nouvelles
théories économiques de la croissance endogène établissent que la croissance est
désormais commandée par l‟économie de l‟immatériel à savoir la recherche, la
connaissance, les ressources humaines converties en valeur ajoutée. Ce sont ces
facteurs qui différencieront les performances économiques et la compétitivité.
Plusieurs Études et Rapports confirment ce constat : la richesse d‟une nation dépend
de sa capacité à transformer les connaissances.94 Plus précisément, les modèles de
croissance élaborés mettent l‟accent sur les externalités engendrées par
l‟investissement en capital physique qui est finalement la source du progrès
technique.
La conséquence est que les États réalisent des investissements massifs dans la
Recherche-développement: 330 milliards de dollars aux États-unis, 240 en Europe.
La Chine suit le mouvement et met l'accent à son tour et prioritairement sur la
recherche pour passer du statut « d'atelier du monde » à celui d'une économie du
savoir avec un volume d‟investissements de l‟ordre 136 milliards de dollars. Elle passe
ainsi devant le Japon.
Tableau 2 : Pourcentage du PIB alloué à la Recherche et Développement
(1984 et 1990)
Continent
e
Amériqu
Asie
Europe
Océanie
Afrique
% du PIB
(1984)
1,94
1,08
1,79
1,11
0,36
% du PIB
(1990)
2,87
2,05
2,21
1,38
0,25
source : Unesco, Annuaire Statistique, 1984 et 1990 Paris
L‟Afrique, sur la quasi-totalité des segments, est totalement larguée pour un
secteur aussi décisif et sur lequel il est possible, pourtant, de s‟aménager des
raccourcis dans la production et l‟utilisation des savoirs.
1) Le constat est désarmant : faible capacité de recherche et de production
scientifique et inégale répartition du potentiel. En effet, ce potentiel représente à
peine 3% de l‟ensemble mondial et il est très inégalement réparti : l‟Afrique du Sud,
le Kenya et le Nigeria représentent près de 70% du potentiel de chercheurs. Les
raisons tiennent au maigre volume d‟investissement dans les infrastructures, à la
médiocre qualité des institutions de gestion et d‟encadrement de la recherche etc.
Pour ces raisons le savoir et la science engendrent fort peu d‟effets externes positifs
sur l‟économique, le social et le politique.
2) La recherche est impulsée partiellement par des donateurs qui ne
s‟intéressent qu‟aux projets répondant à leurs objectifs. L‟exemple des PAS sous ce
On peut en citer au moins deux de ces Rapports : le Rapport de l‟UNESCO sur les sociétés du savoir
et celui de l‟OCDE sur les Perspectives de la science, de la technologie et de l‟industrie et certainement
celui du Ministère français du Plan.
94
79
rapport est édifiant. Les économistes africains ont été totalement exclus du débat et
lorsqu‟il fallait les associer, les Bailleurs ont préféré recruter leurs propres experts
locaux. On a mis plus de 20 ans pour enfin reconnaître les réserves techniques émises
par les économistes africains dans le CARPAS.
3) Sept raisons expliquent les handicaps majeurs du Continent:
Faible volonté politique : dépenses de recherche souvent considérées comme
improductives.
Faiblesse des structures publiques d‟encadrement de la recherche confirmant
le désintérêt des gouvernements.
Absence de crédits qui limite considérablement l‟efficacité quelle que soit la
bonne volonté des acteurs impliqués.
Caractère insignifiant de l‟effort du secteur privé en faveur de la recherche.
Faible productivité théorique et médiocres résultats opérationnels de la
recherche.
Absence de cadres adéquats et d‟un environnement propice à l‟investigation.
Mauvaise articulation de la recherche aux réalités culturelles, économiques et
politiques.
Dans le contexte de mondialisation les TIC constituent l‟un des enjeux les plus
importants et appellent l‟élaboration d‟une politique technologique à l‟échelle des
organisations régionales africaines : CEDEAO, SADC, COMESA ou même UA qui
constituent des cadres opératoires qui permettent de disposer de masse critique et de
bénéficier des effets d‟échelle. Seuls de tels espaces peuvent rentabiliser les
investissements massifs que requièrent la R & D, la mise en œuvre de nouveaux
territoires, de nouvelles universités, de nouvelles communautés scientifiques autour
de nouveaux programmes de recherche.
Section 3 : Le pilotage d’une politique technologique : faire en
sorte que la science et la technologie deviennent les clés de
l’avenir du continent.
Dans ses travaux sur « La technologie et le développement », Abdelkader
DJEFLAT observe qu‟ « Au plan des mises en œuvre, un nombre limité de pays ont
réellement tenté d‟intégrer leur politique Scientifique et Technique dans leur
politique économique de développement. Quand c‟était le cas, ils l‟ont fait au niveau
institutionnel plutôt qu‟au niveau économique et toujours avec beaucoup de
difficultés. »
Quelques exemples peuvent illustrer cela : en Égypte, le premier plan
scientifique et technologique fut produit parallèlement au plan quinquennal de
développement économique de 1982-1987 et dans les plans produits postérieurement
mais les relations opérationnelles entre les deux étaient souvent peu claires. Au
Ghana, un Groupe d‟Analyse et de Planification fut mis en place pour aider le CSIR
(Council for Scientific and Industrial Research) et le Ministre de l‟industrie. Ceci a
conduit à l‟inclusion d‟une section Science et Technique dans le Plan national
développement en 1980 et à la création de 5 comités techniques pour conseiller le
comité national pour la formulation d‟une politique Scientifique et Technique
adéquate. Les résultats obtenus n‟ont pas été probants. Le Kenya a mis en place un
Conseil National pour la Science et la Technique (NCST) afin de conseiller le
gouvernement en matière d‟intégration de la Science et de la Technique dans les
plans de développement. La Tanzanie a pu élaborer une PST explicite intégrée dans
sa politique économique, sans toutefois que les relations entre l‟organe de
80
planification et l‟organe chargé de la S&T ne soient clairement spécifiées. En RDC, le
plan quinquennal de développement (1986-1990) constitue le cadre principal pour la
PST. Le Ministère de la recherche scientifique, assisté par le Conseil National de la
Science, coordonne les activités de plusieurs institutions de recherche mais pas
suffisamment pour réellement appliquer une véritable planification de la S & T. Au
Zimbabwe, le National Council for Research fut créé en 1985, mais c‟est au sein du
ministère de l‟industrie et de la technologie qu‟existe un département chargé de
promouvoir le développement technologique et de tracer une politique scientifique et
technologique liée au plan de développement économique. Au Sénégal, un Ministère
de la Recherche Scientifique et Technique a toujours existé dans l‟organigramme
gouvernemental mais avec des moyens financiers et humains dérisoires. Le Tableau
qui suit est assez édifiant pour montrer le caractère largement insuffisant de
l‟organisation de structures institutionnelles de gestion de la Science et de la
Technique.95
Tableau 3 : Répartition des pays africains selon l’importance des
structures institutionnelles de gestion de la politique scientifique et
technologique
Catégorie de pays
Nbre de pays
Pays ayant un organisme chargé spécialement de
l‟élaboration et du suivi des politiques
scientifiques et technologiques doté de termes de
références et de ressources
Pourcentages
14
26%
Pays ayant un organisme de haut niveau
(ministère ou conseil national) chargé de la S&T
doté de termes de référence mais pas de
ressources
25
46%
Pays n‟ayant aucune institution chargée de la
politique scientifique et technologique
15
28%
4
100%
Total
Source : estimé par Abdelkader Djeflat à partir des données de CASATAFRICA II
À l‟échelle régionale comme nationale, le principal problème à résoudre
concerne les choix de la technologie à partir d‟un panier technologique à l‟intérieur
duquel les organismes publics définissent les options et les objectifs et évaluent les
différentes contraintes déterminées de tous ordres.
La faiblesse des acteurs et celle de leurs ressources humaines et financières
doivent mener l‟État à jouer un rôle capital d‟impulsion de la recherche, de réformes
du système de formation et d‟aide aux entreprises privées à innover et à tirer parti des
nouvelles technologies. Ces actions publiques peuvent revêtir diverses formes :
mobilisation des ressources financières internes et externes, aides fiscales aux
entreprises innovantes, prise en charge des dépenses de R & D, gestion fonctionnelle
de la recherche publique.
Abdelkader DJEFLAT : La vision standard du progrès technique dans les économies africaines et ses
conséquences : essai d‟analyse
95
81
I/ Le pool technologique et le choix de techniques
L‟analyse des technologies et des innovations montre qu‟il existe un pool
technologique comprenant au moins quatre composantes :
Les technologies modernes de pointe dans toutes les sphères des TIC et qui
sont importables à partir du marché des brevets ou incorporées dans la
production d‟une firme multinationale,
Les technologies occidentales modernes mais désuètes sur les marchés des
pays industrialisés qui peuvent être délocalisées par voie directe des
entreprises ou indirecte d‟achat de brevet.
Les technologies artisanales locales ou importées d‟autres pays du TiersMonde comme la Chine, l‟Inde, le Brésil etc.
Les technologies locales adaptées issues de la modernisation des techniques
artisanales.
Cette distinction permet d‟appréhender les différentes options et combinaisons
possibles pour les agents directement concernés par l‟utilisation de la technologie.
Les choix procéderont d‟une part, des objectifs visés par le producteur et qui
pourraient être l‟accroissement de la production, l‟amélioration de la qualité ou de
l‟efficacité, l‟élévation du volume du profit et d‟autre part, des contraintes techniques,
de revenu ou sociales. C‟est dire que le choix procède toujours d‟une certaine
rationalité conforme à la politique qui est poursuivie. Donc le déterminisme
technologique n‟existe pas, les choix correspondent à des objectifs nettement
spécifiés comme l‟apparition de nouveaux produits, une exploitation et valorisation
des facteurs naturels, la réduction du temps de travail, l‟augmentation de la
productivité, etc. On ne peut finalement exclure ou même privilégier telle ou telle
composante technologique. Les critères de choix seront fonction des politiques
appliquées. Il y a seulement une réserve de principe à opérer sur les technologies
occidentales modernes en désuétude. L‟analyse de W. ROSTOW et de tous les tenants
de la thèse du retard s‟était évertuée à montrer que les PSD disposant de faibles
capitaux n‟avaient d‟autre choix que l‟industrialisation en faveur des branches et
techniques légères. Ils pourraient acquérir les équipements vétustes des pays
développés. Toutefois des décennies n‟ont pas permis à ces modèles
d‟industrialisation de produire des effets positifs sur le développement économique et
social des pays sous-développés. Ils continuent de connaître les mêmes retards et
d‟évoluer sur des lignes de sous-développement. La version actualisée de cette
politique qui est la délocalisation industrielle n‟a encore produit nulle part un
processus véritable d‟industrialisation. C‟est dire que cette composante
technologique, sauf exception, doit être abandonnée. Pour le reste du pool, le
fonctionnement de la politique donnera des indications sur les choix à opérer.
II/ Les éléments de la politique technologique
À partir de ces considérations, le problème qui suit concerne l‟élaboration
d‟une politique technologique cohérente et intégrale qui définit avec clarté les critères
qui président aux choix technologiques, l‟appropriation et la diffusion des
technologies importées, la promotion de la recherche scientifique et technique, la
spécification des moyens et canaux de vulgarisation des innovations technologiques.
Cette stratégie technologique dépasse la simple problématique du transfert qui n‟est
82
qu‟une composante. Les axes de la politique s‟articulent autour des cinq volets qui
suivent :
1°) Le premier volet réside dans l’élaboration d’une stratégie
globale, durable et planifiée du développement scientifique et
technique ; ce qui suppose :
la spécification des besoins technologiques à moyen et long terme en fonction
des options sectorielles du développement économique et social,
la quantification des moyens et leur répartition fonctionnelle,
l‟établissement des priorités,
la définition d‟un système de formation des chercheurs hautement qualifiés et
d‟un personnel auxiliaire adaptés au développement de la science et de la
technique.
Cette stratégie doit être partie intégrante de la politique socioéconomique et
culturelle d‟ensemble dont les objectifs demeurent l‟élévation des forces productives
par une industrialisation conséquente, la construction d‟une économie nationale
capable d‟autonomie, la satisfaction des besoins matériels, l‟amélioration du niveau
de vie et l‟élévation du niveau culturel et spirituel des producteurs. La science et la
technique deviennent ainsi des outils indispensables de réalisation des tâches de
développement et de transformation dans le sens de l‟édification d‟une société
socialiste dont il est dans l‟essence et la nature, de créer les conditions les plus
favorables à l‟accélération de l‟utilisation de la science, de la technique au bénéfice de
la société.
2°) Le second volet de la stratégie concerne la création et la
mobilisation de tous les moyens qui peuvent concourir à une maîtrise
par les agents économiques et les scientifiques des anciennes
technologies et l’ouverture sur celles de la troisième révolution
industrielle.
Il faut donc combler le gap par un transfert contrôlé et aux moindres coûts.
Car, si celui-ci a été apprécié comme une « pieuse utopie », c‟est probablement pour
souligner le fait qu‟il n‟avait aucun caractère automatique et non onéreux. Deux
moyens peuvent s‟offrir : le premier consisterait à encourager l‟implantation de
filiales de sociétés productrices de technologie et le second serait l‟importation
directe. Pour le premier moyen, on sait qu‟en règle générale, les sociétés-mères
transfèrent nécessairement leurs techniques de production, leur savoir faire et cela
quel que soit le niveau de développement du pays d‟installation de la filiale. C‟est cela
qui fait observer à Dimitri GERMIDIS « une tendance à l‟homogénéisation des
techniques de production dans chacune des branches industrielles indépendamment
des caractéristiques socioéconomiques et culturelles des pays d‟accueil. » La
réduction de la sophistication et de la mécanisation des techniques observables dans
les formations sous-développées ne procède que des faibles dimensions des marchés
internes. L‟installation de filiales ou d‟autres formes du genre contribue au transfert
technologique.
Le second moyen disponible est l‟importation directe par l‟opérateur
économique interne de la technologie appropriée. L‟État pourrait encourager cette
politique par des subventions financières ou des concessions fiscales et douanières
vers donc l‟objectif d‟alléger les charges de l‟entreprise importatrice de technologie.
Dans ces deux (02) cas, le transfert est encouragé pour combler tout gap
technologique ou empêcher qu‟il ne se constitue un autre de plus important dans
l‟avenir. Bien entendu, les technologies à transférer sont celles qui contribuent à
forcer l‟allure de l‟industrialisation qui permette une valorisation des matières
83
premières de base, une absorption de la main-d‟œuvre, un accroissement de la
productivité des secteurs économiques et du travail et l‟augmentation des revenus.
Les pays sous-développés doivent mobiliser les ressources financières et
humaines pour s‟ouvrir systématiquement sur les nouvelles technologies
caractéristiques des mutations fondamentales en cours, s‟effectuant à partir de la
filière électronique qui approfondira le développement des bio-industries.
Selon Michel RICHONNIER, en dernière analyse, les nouvelles technologies
de la quatrième révolution industrielle (elles ne sont pas toujours aussi nouvelles)
sont principalement :
les énergies renouvelables qui datent de plusieurs millénaires,
les énergies nucléaires de fusion dont les filières sont scientifiquement
maîtrisées depuis quelques décennies,
les nouvelles technologies de l‟information et de la communication amorcées
au milieu des années 1960 qui constituent la plus grande révolution de tous les
temps
les biotechnologies qui amènent de prodigieuses découvertes de processus
nouveaux de production.
En effet, les pays sous-développés doivent être extrêmement attentifs sur ces
nouvelles technologies qui transforment radicalement les conditions de production
dans tous les secteurs d‟activité.
Au niveau de l’agriculture,
Dans le cadre de l‟agriculture les technologies qui contribueront à élever la
productivité agricole et à améliorer les bases de la production sont celles qui
produiront les impacts qui suivent : être plus économe en énergie et d‟autres intrants
grâce à un double progrès : la bioconversion et la microbiologie. Cela est important
quand on sait que la révolution verte était fondée sur un modèle à profil énergétique
élevé96 ; et être plus productif par suite d‟une utilisation systématique de la
mécanisation et le recours à la télédétection qui permettra d‟une part une meilleure
connaissance des sols et des climats et d‟autre part, un choix plus approprié des
cultures.
Au niveau du secteur industriel, l‟automatisation, la robotisation et la
microélectronique entraîneront des révolutions dont on est loin de soupçonner
présentement toutes les conséquences socioéconomiques. Dans les branches
productives où ces technologiques sont introduites les grains de productivité sont
particulièrement exceptionnels.
Dans cette optique il faut insister particulièrement sur deux (02) aspects : la
robotisation qui développera des ateliers flexibles pouvant opérer les assemblages
mais aussi capables de reconnaître des formes (robots palpens) et la fabrication
assistée par ordinateur qui procédera à la production dans des industries de série
commandées directement à partir d‟une salle de contrôle, avec une optimisation en
temps réel pour réduire au maximum les stocks et répondre à la demande flexible.
Au niveau du secteur tertiaire également, les nouvelles technologies
apportent une autre dimension, une autre efficience par le recours de plus en plus
généralisé à l‟informatique et à la bureaucratie. Ces facteurs modifient complètement
le système décisionnel et entraînent des gains de productivité et de temps.
Au total, une stratégie crédible de développement technologique ne saurait se
désintéresser de ces mutations en cours qui modifieront dans un futur proche les
Ainsi la bioconversion permettra une récupération et ventilation systématique des déchets, la
microbiologie permettra une fixation de l‟azote ce qui va faire baisser le recours à l‟engrais et la
génétique mettra au point de nouvelles variétés végétales et animales plus productives
96
84
systèmes et conditions de production, qui bouleverseront radicalement les modes de
vie et de pensée et qui feront reculer les prévisions d‟épuisement des ressources
naturelles. Que ces technologies impliquent des coûts financiers qui peuvent être
considérables et des incidences socioculturelles importantes, ces facteurs ne
sauraient être des prétextes pour ne point les importer et contribuer à leur maîtrise.
Cela d‟autant plus qu‟elles s‟imposent tendanciellement dans les pays développés
comme facteurs de sortie de crise. Les pays sous-développés qui ont raté toutes les
révolutions industrielles et technologiques doivent s‟organiser sous l‟impulsion des
pouvoirs publics et des opérateurs économiques pour rentrer dans cette troisième
révolution capable d‟accélérer le progrès et la croissance économique.
3°) Le troisième volet de la politique technologique concerne la
création d’instituts de recherche pourvus de moyens financiers,
d’équipements, de cadres, d’ingénieurs et de chercheurs adaptés aux
besoins de développement de la science et de la technique.
Ces structures devront permettre une coordination de la recherche avec la
production ; ce qui va amener l‟utilisation des acquis scientifiques dans la production
matérielle. Comme l‟observe une étude monographique de l‟Académie des Sciences
«l‟achèvement des recherches et, parfois, leur réalisation nécessitent des
équipements spéciaux sophistiqués, des appareils et des matériaux dont la fabrication
n‟est possible que dans des conditions industrielles et exigent la création d‟industries
nouvelles et d‟installations dépassant par leur envergure et leur complexité, les usines
les plus modernes»97. Les instituts de recherche ont alors pour fonction d‟orienter et
de réaliser les politiques de recherche-développement. Pour cela ils doivent disposer
d‟un potentiel appréciable de scientifiques, d‟ingénieurs et de chercheurs. Or ce
tableau montre à souhait l‟énorme retard accumulé par l‟Afrique à ce niveau
Tableau 4 : Nombre de scientifiques et ingénieurs impliqués dans la R&D
Régions du globe
Nombre
Europe
2 206
33,6
Océanie
1 610
24,5
Amérique
1 509
23
Asie
401
6,1
364
5,5
Pays Arabes
363
5,5
Afrique
117
1,8
Total
6570
100
Amérique Latine et Caraïbes
(*)
Pourcentages
Source : Unesco, Annuaire Statistique 1994 et nos propres calculs
4°) Le quatrième volet concerne la planification de la recherche
ainsi que son organisation pour une diffusion dans le corps de métier, et chez les
utilisateurs potentiels des acquis technologiques. L‟efficacité de la recherche
s‟apprécie par le volume de brevets formalisés, diffusés, commercialisés.
97
Académie des Sciences de l‟URSS : Les fonctions sociales de la Science. Revue Sociale n°4, 1982.
85
5°) Le cinquième volet intéresse une réforme fondamentale de
l’Université et du système de formation technique et professionnelle.
L‟intensification des financements publics et des réformes des systèmes
universitaires et de formation permettait de produire un impact positif sur la
productivité, la compétitivité et la croissance. Cela s‟explique par le fait que
l‟université crée un impact direct sur la productivité en formant du capital humain
pouvant être utilisé pour réaliser des innovations technologiques.
Le Professeur Djeflat opère une analyse comparative de la formation
scientifique et technique en Asie et en Afrique et souligne 4 carences des systèmes
universitaires de formation :
- La première est que l‟on mette l‟accent mis sur la formation théorique au
détriment des formations pratiques, techniques et manuelles qui ont été la plupart du
temps une préoccupation secondaire du système éducatif.
- La seconde est la faveur accordée aux formations longues au détriment des
formations courtes. À cet effet, le poids de l‟héritage colonial surtout dans les pays
francophones n‟est pas à négliger. La conséquence est le mépris du travail manuel
qui va se développer dans les sociétés africaines avec l‟oubli que, paradoxalement,
c‟est par ses travaux manuels, son artisanat et son ingéniosité que l‟homme africain
s‟est développé par le passé.
-La troisième est le détournement des ingénieurs du terrain de la pratique : la
plupart ne reçoivent pas le type de formation qui les rende pleinement opérationnels
quand ils sont intégrés dans le circuit de production. On explique ceci en partie par le
fait qu‟ils ne possèdent pas de terrain de travaux pratiques adéquats à cause de la
faiblesse de l‟industrie dans la plupart des pays africains. Par ailleurs, une proportion
non négligeable, parmi eux, est nommée à des postes administratifs et souvent au
niveau ministériel98.
-La quatrième est que l‟enseignement de la Science et de la Technique est
conçue pour la formation de spécialistes malheureusement, l‟accent est mis, surtout,
sur l‟accumulation des connaissances plutôt que sur le développement de la créativité
et du savoir-faire.
Au demeurant, des préjugés persistants ont relégué la formation technique et
la formation professionnelle au rang de parent pauvre du système éducatif. L‟Afrique
a ainsi progressivement glissé derrière les autres régions du monde
C‟est pourquoi, les universités doivent être réformées dans leurs structures,
comme dans leur contenu pour les rendre capables de gérer les mutations
scientifiques et technologiques rapides99. La refonte du système universitaire,
scolaire, de formation et recherche s‟impose et passe par la redéfinition des trois (03)
missions de l‟Université à savoir :
La redéfinition des missions des universités autour de quatre idées maîtresses :
modernité et excellence, développement de la culture technologique, formation
professionnelle et formation permanente, ouverture et partenariat. À l'évidence,
les appareils productifs et de formation manquent encore de performance car
À la fin des Années 90, le Président Blaise COMPAORÉ avait constaté que plus de 60% des
ingénieurs agronomes étaient dans les bureaux administratifs pour un pays qui regorgent de terres
inutilisées. Il aida à les recycler dans les campagnes du Burkina et cela a révolutionné les secteurs
d‟accueil.
99 De ce point de vue, Ivan ILUCH observe que «les étudiants ont perdu leur foi et leur respect dans
l‟institution … l‟Université doit les aider à formuler d‟une façon cohérente et rationnelle l‟angoisse
qu‟ils éprouvent».
98
86
le premier n'arrive pas à absorber le produit du second. Les explications sont
différentes selon le côté auquel on se trouve. Pour les entrepreneurs, les
étudiants ont certainement "la tête bien pleine" mais, ils n'ont aucune
qualification professionnelle permettant leur insertion. Le problème de
l‟adéquation entre formation et emploi n‟est évidemment pas nouveau ; mais
son approche a considérablement évolué dans l‟ensemble des pays africains,
depuis une vingtaine d‟années.
La deuxième mission est la recherche de ressources financières suffisantes,
diversifiées, stables avec une allocation optimale pour les différentes
composantes du système. Les crédits de l'Université sont principalement
d'origine publique. Cette subvention de l'État à l'université va sans nul doute se
poursuivre mais, il est indispensable d'en repenser à la fois le volume et les
modalités d'attribution, de gestion et de contrôle.
La troisième mission est celle de l‟organisation et la gestion de la recherche. La
recherche est le domaine de la production du savoir, de la création et de
l‟innovation. C'est un domaine stratégique car non seulement elle détermine le
progrès de la science, mais aussi la compétitivité dans les secteurs-clés, surtout
des nouvelles technologies. Les pays industrialisés investissent considérablement
à travers leurs institutions d'enseignement supérieur et leurs centres de recherche.
Mais actuellement en Afrique, la recherche est le parent pauvre de la plupart des
institutions universitaires. Les budgets alloués par les gouvernements ont
considérablement baissé (ou ont tout simplement disparu dans certains pays) à la suite
de la crise économique et des mesures d‟ajustement mises en place dans la plupart des
pays. Or, aucun système d'enseignement supérieur ne saurait remplir sa mission et être
un partenaire utile de la société si son personnel enseignant et ses institutions ne font
pas des travaux de recherche. Car une des missions essentielles de l'université est d'être
un centre actif de créativité, d'élaboration de connaissances et de savoir pour la
promotion de la science et de la technologie. En conséquence, il faut mobiliser tous les
cerveaux africains afin que les universités contribuent pleinement et efficacement à
la réalisation des politiques de R&D et de technologie à l‟échelle nationale et
continentale.
Il importe alors d'avoir une politique de recherche qui, pour être opérationnelle
et répondre aux objectifs du développement économique et social, suppose la
mobilisation de moyens matériels importants et des ressources humaines de qualité,
c'est-à-dire des hommes de science créatifs, des chercheurs productifs et travaillant en
réseaux.
La compétition internationale nécessite actuellement beaucoup d'innovations et
de créativité sur le plan technologique. Aujourd'hui, la recherche universitaire doit
s'imposer, tant au niveau appliqué que fondamentale. Les universités doivent
développer et créer des structures de recherche modernes, tout en mettant l'accent sur
l'initiation et la formation des chercheurs, la publication et la diffusion de leurs
résultats.
Si nul ne peut contester l'importance de la recherche-développement dans les
pays industrialisés, l'université africaine est désormais appelée à s'y impliquer afin
d'assurer les nouvelles missions qui lui sont assignées. Mais il ne faut pas seulement
faire de la recherche pour de la recherche, celle-ci doit aussi se faire en partenariat avec
l'industrie, les entreprises et tous les acteurs de la vie socio-économique de la nation.
Pour ce faire, la recherche doit être de bonne qualité afin de bénéficier davantage de
87
financement, et savoir s'imposer face aux autres pôles de recherches extra-universitaires
qui demeurent des concurrents potentiels.
88
CHAPITRE 18
POLITIQUE COMMERCIALE ET INSERTION DANS LES
ÉCHANGES INTERNATIONAUX
Dans les développements antérieurs, il a été souligné que l‟une des
caractéristiques de la mondialisation est sans conteste l‟accélération spectaculaire et
le surdéveloppement des échanges internationaux de biens, de services et des
technologies. Depuis la sortie de la deuxième guerre mondiale le commerce
international a connu des évolutions marquantes : les flux commerciaux s‟accroissent
deux fois plus vite que la production et dans le même temps, les exportations ont été
multipliées par 126 si bien que les échanges commerciaux sont devenus l‟une des
composantes les plus déterminantes de la mondialisation. Toutefois, plus de 70% des
échanges s‟effectuent entre les pays de la triade : Europe occidentale, Amérique du
Nord et Asie, même si également on observe une progression rapide du commerce
Sud-Sud100. Les évaluations prospectives prédisent une amplification des échanges
internationaux : la Chine devrait être la première puissance commerciale mondiale
aux alentours de 2010 si elle arrive à éviter une crise financière majeure. Cette
expansion est le fait des multinationales qui organisent la production à l‟échelle
mondiale.101
Cet essor des flux commerciaux est la conséquence de la conjugaison de
facteurs relatifs à
l‟amélioration des divers moyens de transport et de
communication, au développement des TIC et enfin aux avantages que les pays
retirent des échanges commerciaux. Dans ce contexte, les PSD élaborent des
politiques commerciales actives pour accroître leurs exportations en vue de prolonger
leurs marchés intérieurs trop étroits et de se procurer les biens d‟équipement et les
technologies nécessaires à leur production et aux progrès techniques qui favorisent
leur modernisation. Certaines statistiques montrent que si les PVD arrivent à
augmenter de seulement 1% leur part de marché dans les exportations mondiales,
cela représenterait environ 70 milliards de dollars soit le quintuple du montant
cumulé de l‟Aide Publique et de l‟annulation de la dette. Ce chiffre est assez
significatif dans cette période marquée par des restrictions budgétaires, une
stagnation voire une réduction de l‟APD, l‟accès aux marchés et surtout les
préférences commerciales vont alors prendre une place centrale comme un moyen et
un complément nécessaire aux efforts de développement et de diversification des
économies en développement.
La quasi-totalité de ces PVD présente une balance commerciale déficitaire du
fait de la configuration des importations et des exportations : les premières sont
composées des biens de consommation intermédiaire pour le fonctionnement du
système productif (les machines outils, les autres biens d‟équipement lourds et les
technologies de l‟information et de la communication) et les secondes comprennent
principalement des produits primaires aléatoires dont
le commerce n‟obéît
qu‟exceptionnellement aux lois du marché. Ces produits primaires représentent 25%
du commerce mondial des marchandises et fournissent souvent plus de 50% des
recettes d‟exportation pour les PS. Ils comprennent :
100
Il faut relativiser quelque peu car la part des PED dans les exportations mondiales a nettement
reculé passant de 30% dans les années 50 à environ 2% aujourd‟hui. Cette chute est entrain de
s‟améliorer mais reste encore une tendance marquante.
101 Le CNUCED dénombre 65.000 entreprises multinationales qui comptent 850.000 filiales et
deviennent le moteur de la mondialisation de la production et des échanges.
89
les produits agricoles de consommation finale : café, cacao, fruits, arachide,
viande,…;
matières premières d‟origine agricole, coton, laine,… ;
matières premières d‟origine minière : phosphate, cuivre, bauxite, fer,
pétrole….
Malgré le déficit chronique de la balance commerciale, sa structure montre la
grande dépendance de ces pays à l‟économie mondiale ce qui dément totalement
l‟affirmation courante de leur faible insertion dans l‟économie mondiale. Par ailleurs,
les politiques de croissance accélérée conduites dans la plupart des pays en
développement entraînent un accroissement des importations de biens
d‟équipement. Dans ce sens, selon C. FURTADO102, ces importations augmentent
plus vite que le taux de croissance économique et J.BOURRINET103 fait la même
observation lorsqu‟il souligne que « Toute intensification du rythme de croissance au
niveau des PVD se traduit par un accroissement de la pression sur la balance des
paiements ».
La politique commerciale soulève alors trois questions : d‟abord, quelles sont
les théories économiques qui la portent ? Ensuite, en quoi les échanges commerciaux
sont-ils avantageux ou non aux différents partenaires? Peut-on arriver à équilibrer ou
harmoniser les échanges internationaux ? Et subsidiairement quels rôles doivent
jouer les Etats ? Le schéma qui suit montre les différentes articulations de ces
questions.
Figure 3
102.
103
C.FURTADO : Théories du développement
Cité par G. CAZES. J.DOMINGO : Le sous-développement et ses critères ; Ed Bréal ; 206p
90
Actuellement, la littérature et les recherches économiques ainsi que les
expériences accumulées établissent plus clairement la corrélation entre libéralisation
commerciale, croissance et développement. Au cours de ces dernières décennies,
certains pays d‟Asie et d‟Amérique Latine ont fait du commerce extérieur le moteur
de leur croissance économique. La mise en œuvre de bonnes politiques commerciales
a engendré un ensemble d‟effets bénéfiques sur les stratégies de développement et
l‟amélioration de la compétitivité des économies. Le contraire est aussi vrai.
Multilatéralisme et mondialisation
Versus
OMC
Régionalisme aux multiples formes
Etape ou rempart
A la
Mondialisation
Conditions
Manifestement, l‟Afrique, contrairement à ces pays, n‟a point tiré grand profit
de son ouverture sur l‟extérieur. C‟est pourquoi, la question de l‟accès aux marchés y
revêt un caractère crucial. Depuis l‟avènement de l‟OMC, les pays africains en font
une revendication primordiale, une préoccupation centrale pour leur développement
économique et social. Dans le cadre du NEPAD, « l‟accès aux marchés » est érigé au
rang de secteur prioritaire. L‟étroitesse des marchés commande de se tourner vers les
marchés d‟exportation afin d‟appuyer les dynamiques de croissance et les efforts en
matière de diversification des structures productives. Dans cette optique, en 2001,
l‟OMC, 28 initiatives d‟accès aux marchés en faveur des pays les moins avancés dont
19 avaient été accordés par des pays en développement ou des pays en transition, et 9
par des pays développés notamment les pays du quadrilatérale (Canada, Union
Européenne, Japon et Etats-Unis ; étant donné que sur l‟ensemble des PMA 33 sont
africains, ces initiatives revêtent une importance particulière pour le développement
de l‟Afrique104.
Ces nouveaux enjeux appellent le traitement dans ce chapitre de deux aspects
essentiels de la politique commerciale à savoir d‟une part le un rappel des théories
qui sous-tendent les échanges extérieurs en relation avec la croissance et le
développement et d‟autre part les négociations commerciales et les avantages
revendiqués par l‟Afrique dans le Cycle de DOHA de l‟OMC à une période de remise
en question du SPG dont les principaux mécanismes sont en voie de
démantèlement105.
Andrew MOID : L‟Afrique et les préférences commerciales-état des lieux et enjeux, Doc. de travail
du CAPC, nov .2005
105 Les deux mécanismes de compensation a posteriori les pertes de recettes d‟exportation, ont été
liquidés notamment le financement compensatoire du F.M.I. et le STABEX/SYSMIN des Conventions
de Lomé.
104
91
Section 1 : Les théories du commerce international et le
développement : des approches traditionnelles aux analyses
de la « nouvelle théorie du commerce international »
Les fondements du commerce international ont depuis le XIXème siècle
préoccupé la science économique qui, à travers diverses écoles de pensée, tente de
répondre à la question de savoir ce que gagnent à l‟échange les divers partenaires
présentant des différences de possibilités et de coûts de production. Les différentes
théories ont dégagé une corrélation quasi parfaite entre croissance de la production et
développement du commerce mondial. En effet, des mercantilistes, jusqu‟aux tenants
de la « nouvelle théorie contemporaine du commerce international » en passant par
l‟École classique, la littérature économique a accrédité l‟idée unanime que le
commerce extérieur est aussi source de richesses, dès lors que les divers partenaires
aux échanges internationaux sont susceptibles de se procurer des bénéfices.
Les mercantilistes ont, les premiers, consacré l‟essentiel de leurs analyses à la
dimension commerciale avec la recherche, par tous les moyens de l‟excédent de
balance commerciale. C‟est beaucoup plus tard que les courants les plus orthodoxes
ont avancé l‟idée que tout le monde gagne au libre-échange : il suffit tout simplement
de se spécialiser dans les productions pour lesquelles le pays possède les meilleures
dotations factorielles. A partir de ce moment et jusqu‟à nos jours les deux Ecoles du
protectionnisme et du libre échangisme vont s‟affronter sur les mécanismes de
génération des bénéfices du commerce extérieur et ceux de leur répartition entre les
participants. Les mercantilistes bâtisseurs du protectionnisme et des spécificités du
développement européen se présentent comme les défenseurs d‟une doctrine de
l‟interventionnisme du souverain au service des acteurs qui contribuent à la
formation de l‟excédent commercial générateur de puissance politique, militaire et de
prospérité nationale. Au vu de cette importance, les approches mercantilistes
prennent en compte les relations qu‟entretiennent le souverain (l‟Etat) et les
négociants (les firmes), les liens entre la politique commerciale et la politique
industrielle. C‟est dire que ces convergences d‟intérêts, vont amener les souverains à
contribuer, au besoin militairement, à la construction d‟un avantage comparatif de la
nation dans un environnement international conflictuel. Dans ce sens, P.KRUGMAN
a qualifié le GATT de « mercantilisme éclairé » car il est centré sur les exportations
tout en prônant l‟ouverture des marchés condition pour le développement des
exportations.106
En ce qui concerne les théories du libre-échange, elles se référent toutes aux
théories des Classiques (Théories des avantages absolus de SMITH, des avantages
comparatifs de RICARDO références fondamentales du fameux théorème HOS), et
tentent de démontrer, sous certaines hypothèses, l‟optimalité du libre échange
comme source de bien-être économique global.
Si les analyses classique et néo-classique ont constitué les bases essentielles
des références de la théorie du commerce international, aujourd‟hui, elles sont
fortement contestées par les tenants des approches de la détérioration des termes de
l‟échange et de l‟échange inégal et ceux de la « nouvelle théorie du commerce
international ». Ces deux tendances se démarquent des anciennes formulations
désormais dénommées « théorie traditionnelle des échanges internationaux» et
Dans la même direction de réflexion Patrick MESSERLIN estime que le GATT est une
« mécanique mercantiliste au service de la libéralisation ».
106
92
inscrivent leurs différences en termes d‟analyses et de recommandations de politique
commerciale.
I/ La théorie traditionnelle du commerce international : Les analyses
classique et néo-classique.
Depuis les classiques, les liens entre les questions de croissance économique
et celles du commerce international ont été clairement établis par A. SMITH et D.
RICARDO qui se tenaient sur des positions scientifiques et luttaient contre le régime
féodal périmé. Pour cette raison, ils ont été à juste titre appelés par Marx les
fondateurs de l‟économie politique classique. En même temps, dans une analyse
approfondie, MARX a mis en relief l‟esprit scientifique de leurs conceptions. A la
différence des mercantilistes qui s‟intéressaient exclusivement à la sphère de la
circulation, les représentants de l‟économie politique classique considèrent le
commerce extérieur en étroite liaison avec la division internationale du travail qui
joue en général un très grand rôle dans le système conceptuel d‟A. SMITH. C‟est par
ce problème qu‟il commence son ouvrage. « Si un pays étranger peut nous fournir des
marchandises, dont le prix serait plus bas que celui des produits fabriqués par nousmêmes, il vaut mieux les lui acheter contre une partie de la production de notre
propre travail industriel appliqué dans un domaine où nous avons certains
avantages. » Ce commerce international permet d‟éviter la réduction du marché
intérieur et favorise son extension tout en améliorant la production par le double
biais des innovations technologiques et de l‟accumulation du capital.
D.RICARDO partage le même avis en ce qui concerne la division internationale
du travail et le commerce international qui empêchent l‟avènement de l‟état
stationnaire, pouvant retarder la chute du taux de profit. Cette réflexion débouche sur
les fondements de la question des avantages comparatifs qui accroissent le taux de
croissance économique et sa tendance à long terme. Finalement, parmi les
classiques, MILL (1848) a aussi reconnu que la force capable de retarder la
progression vers l‟état stationnaire est le progrès technique et l‟élargissement de la
taille du marché par le commerce international. Toutefois, les disciples de Ricardo
ont ignoré le fondement de la question des avantages comparatifs et n‟ont pas
identifié les facteurs résultant du commerce international et pouvant accroître le taux
de croissance économique. Les changements introduits par la théorie ricardienne
n‟ont été repris que tardivement dans un contexte d‟équilibre général néo-classique
par le modèle de HECKSCHER (1919) et OHLIN (1933). Ce modèle a préconisé
l‟ouverture des pays au commerce international qui est mutuellement avantageux et
bénéfique pour tous les partenaires. Des auteurs comme J. VINER affirment que la
théorie de la division internationale du travail et du commerce international de A.
SMITH et de D. RICARDO aurait mieux résisté à l‟épreuve du temps que les autres
aspects de leur doctrine. G. HABERLER considère aussi qu‟en comparaison avec les
autres éléments de la doctrine classique, cette théorie a conservé sa valeur d‟une
manière étonnante. Elle a survécu à la révolution marginaliste et keynésienne sans
grand dommage pour ses thèses essentielles. Dans le même sens, G. MEIER note que
« la théorie classique du commerce international a fait preuve qu‟elle était capable
d‟assimiler les modifications apportées par le progrès de la théorie économique
générale ».
Les variantes actuelles de cette théorie qui prédominent de nos jours dans la
littérature économique ont été élaborées de la façon la plus détaillée par une pluralité
d‟auteurs comme E. HECKSCHER et B. OHLIN, A. MARSHALL, F. TAUSSIG, G.
HABERLER, J. VINER, P. SAMUELSON pour les plus éminents. D‟ailleurs, G.
93
HABERLER emploie le même procédé dans son livre « Théorie du commerce
international » où il note que dans l‟exposé du principe des coûts comparatifs, il
n‟emploie la théorie de la valeur travail que comme « hypothèse provisoire facilitant
l‟analyse. « Cette hypothèse facilite considérablement l‟analyse, et nous avons la
chance de pouvoir montrer que les conclusions obtenues grâce à elle n‟en dépendent
pas en fait. En définitive nous rejetterons cette théorie avec toutes ses prémisses sans
rejeter toutefois les résultats obtenus, ces derniers restant valables. C‟est ainsi que se
comporte le bâtiment lorsqu‟on a enlevé les échafaudages qui avaient servi à sa
construction.
HECKSCHER et OHLIN ont appliqué l‟analyse du commerce extérieur au cas
de la Suède qui comptait parmi les pays les plus « commerçants » du monde avec à
l‟époque un volume d‟exportation de l‟industrie de l‟ordre de 55 à 60% de la
production du pays. Cette grande dépendance à l‟égard du marché extérieur explique
le grand intérêt que les économistes suédois avaient porté aux problèmes du
commerce extérieur. Il est significatif que ce soit en Suède qu‟a été conçue l‟idée des
stocks régulateurs en liaison avec les évolutions de la conjoncture et la « théorie de
l‟équilibre général » fort répandue dans la littérature économique libérale. Les
enchainements des théories libérales du commerce international peuvent être
schématisés comme suit :
Figure 4 : Le commerce international comme moyen d’assurer le
développement
Théorie ricardienne des
avantages comparatifs
Les inégales dotations de
facteurs de production
Spécialisation des PSD
dans les productions où
ils possèdent une grande
Spécialisation des PSD
dans les productions où
ils possèdent des facteurs
de production en
supériorité relative
abondance
Produits primaires et produits
manufacturés à faible valeur
ajoutée
Les multiples recherches qui ont continué la théorie d‟HECKSCHER-OHLIN,
ont consacré la place prépondérante des relations économiques internationales dans
les politiques économiques. Il est alors recommandé que chaque pays se spécialise
dans la fabrication et l‟exportation de marchandises exigeant de nombreux facteurs
de production qui y sont relativement abondants et, de ce fait, relativement bon
marché. OHLIN souligne que la division internationale du travail est également
influencée par les conditions de la demande à l‟intérieur de chaque pays, mais selon
94
la plupart des auteurs contemporains, ce facteur ne revêt habituellement pas une
importance décisive et ne porte pas atteinte au principe susmentionné. De ce fait, il
est affirmé que le commerce international est avantageux pour tous ceux qui y
participent, car les ressources productives de tous les pays sont utilisées de la
manière la plus efficace et grâce à la division du travail et du commerce, chaque pays
reçoit avec un minimum de frais plus de marchandises qu‟il n‟en aurait pu fabriquer
lui-même. Selon cette théorie, le marché capitaliste mondial serait une sphère
d‟échanges « réciproquement avantageux » et les intérêts de tous les pays sont réglés
par l‟harmonie naturelle. »
Ce fonds doctrinal est un des maîtres-piliers du référentiel de la libéralisation
particulièrement au niveau des PSD auxquels il est demandé de s‟ouvrir à la
mondialisation en brisant toutes les entraves au commerce, ce qui confère les mêmes
chances aux différents partenaires. Cette doctrine est à la base des politiques libres
échangistes qui recommandent aux PSD de briser toutes les barrières
protectionnistes pour bénéficier des avantages du commerce mondial. Toutefois, il
apparaît que dans la théorie de l'avantage comparatif, l'ouverture permet, dès lors
que les coûts relatifs de production sont différents, une réorientation des ressources
rares vers les secteurs les plus efficients et une amélioration du bien-être de la
population. Le prolongement de «HOS» a confirmé ces gains et en a rajouté d'autres
liés à la rémunération des facteurs de production.
Les thèses de la détérioration des termes de l‟échange et de l‟échange inégal
prennent le contre-pied de ces formulations libérales et tentent de prouver que le
commerce international participe plutôt à la ruine des pays dits périphériques par les
divers transferts de ressources de ceux-ci vers les pays du centre : dans la division
internationale capitaliste du travail, le développement des partenaires les plus riches
entraîne le sous-développement des plus pauvres.107
II/ Détérioration des termes de l’échange et échange inégal
comme antithèse de la théorie des avantages comparatifs.
Un certain nombre d‟auteurs ont fortement remis en cause la thèse ricardienne
des avantages comparatifs ainsi que ses formulations contemporaines. Les travaux de
R. PREBISCH, A. EMMANUEL et Samir AMIN, SAIGAL sur les termes de l‟échange
et l‟échange inégal apportent l‟infrastructure théorique pour établir que le commerce
international participe plutôt à la ruine de la Périphérie (PSD) du fait des multiples
transferts de cette dernière vers le Centre (Pays capitalistes développés). Pour R.
PREBISCH108 qui est le premier économiste a analysé les relations Nord-Sud en
termes de « Centre » et de « Périphérie », les traits distinctifs suivants caractérisent
les États industriels (« Centre ») et les pays producteurs de denrées agricoles et de
matières premières (« Périphérie ») :
détérioration des termes de l‟échange pour la périphérie et leur amélioration
pour les principaux centres de l‟économie mondiale ;
économie intégrée au centre ; à la périphérie, économie productrice de denrées
alimentaires et de matières premières, de préférence monoculture, reposant
sur des méthodes de production précapitalistes ;
Cette thèse est formulée par tous les marxistes tiers-mondistes : Accumulation à l‟échelle
internationale (S.AMIR) et Gunder FRANK : le développement du sous-développement
108 R. PREBISCH: Towards a new global strategy for development, 1958. Il est le premier dirigeant de
la CEPAL et devient en 1964 le premier Secrétaire Général de la CNUCED.
107
95
impulsions de la conjoncture au centre ; intenses transpositions de ces
impulsions des centres à la périphérie ;
accumulation rapide du capital et intense progrès technique avec
accroissement de la productivité et des revenus au centre ; faible accumulation
du capital, progrès technique insignifiant, faible productivité et faibles revenus
réels à la périphérie ;
à la périphérie, part considérable du commerce extérieur dans le revenu
national exerçant une influence décisive sur la conjoncture ; faible part au
centre où les investissements intérieurs et non le commerce extérieur exercent
une influence décisive sur la conjoncture ;
tendance chronique à la dépression au centre et à l‟inflation chronique à la
périphérie ;
chômage au centre ; sous-emploi des ouvriers et faible productivité du travail à
la périphérie.
Comment se présentent les deux thèses de la détérioration des termes de
l‟échange et de l‟échange inégal ? A grands traits les raisons avancées par R.
PREBISCH et H.SINGER s‟articulent comme suit :
Figure 5 : Le commerce international : facteur d’appauvrissement
Les raisons de la dégradation des termes de l’échange
Thèses de Prebish, Singer
La hausse des prix des
produits des PD
La baisse des prix des
exportations des PSD
Les marchés mondiaux sont
contrôlés par des opérateurs
originaires des PD qui peuvent
imposer les prix et les quantités
aux PSD
Les produits exportés par les PSD
incorporent peu de VA et sont
l’objet d’une concurrence
importante qui fait baisser les
prix
Le haut niveau des salaires dans
les PD contribue à élever le coût
de revient des produits, et par là
même des prix
Les produits sophistiqués
incorporant des techniques
élaborées sont coûteux.
L’offre des biens est non
concurrentielle
1°) Détérioration des termes de l'échange.
Il existe plusieurs définitions des termes de l'échange et cela mène souvent à
la confusion dans la compréhension du phénomène et dans son évaluation
quantitative. Généralement on distingue trois notions : les termes de l'échange
revenus, les termes de l'échange marchandises et les termes de l'échange factoriels
doubles. Les arguments qui démontreraient, du point de vue des pays pauvres, une
96
baisse tendancielle dans les termes de l'échange revenus et dans les termes de
l'échange marchandises ont été formulés originellement par RAOUL PREBISCH, et
sont repris par S. AMIN.
Les termes de l'échange revenus se définissent comme étant le revenu
gagné par les exportations divisé par le revenu dépensé pour les importations. Soit :
PxQx
PmQm
où
Px = indice des prix à l’exportation
Qx = indice des quantités exportées
Pm = indice des prix à l’importation
Qx = indice des quantités importées
Les PSD exportent des produits agricoles et importent des produits industriels.
Historiquement, le taux d'accroissement de la productivité dans le secteur industriel
a été beaucoup plus élevé (à peu près deux fois plus élevé) que le taux
d'accroissement de la productivité dans le secteur agricole. En l‟absence de
changement dans le rapport de prix Px/Pm, les revenus provenant de l'exportation ne
dépendent que de la quantité exportée Qx, et un pays pauvre pourrait augmenter le
taux d'accroissement de Qx en produisant et en exportant des produits industriels, au
lieu de produire et d'exporter des produits agricoles.
Pour ce qui concerne les termes de l‟échange marchandises, ils se définissent
plus communément :
Px
C‟est-à-dire un indice des prix à l‟exportation divisé par un indice des
Pm
prix à l‟importation.
Vu la monopolisation des firmes au Centre, après un accroissement de
productivité, les bénéfices se répartissent comme suit :
- une réduction du prix du produit (bénéfice aux acheteurs),
- une augmentation des salaires (bénéfice aux ouvriers),
- une augmentation des profits (bénéfices aux capitalistes).
En ce qui concerne les produits industriels exportés du Centre, les monopoles
parmi les fabricants et les syndicats assurent que l'augmentation de productivité
devrait se traduire par des augmentations des profits et des salaires, sans réduction
du prix du produit. Pour les matières brutes et agricoles exportées par les PSD, le
manque de monopolisme et la compétition parmi les pays pauvres assurent que
l'augmentation de productivité se traduit par une réduction du prix, bénéficiant aux
acheteurs des pays riches.
Il importe de souligner l‟incidence de l‟élasticité de la demande définie comme
la valeur absolue (sans tenir compte du signe) du rapport :
% de changement de A
% de changement de B
97
Or, l'élasticité de la demande pour les
Prix de
produits agricoles est faible (moins que 1,0)
vente
tandis que celle des produits industriels est
élevée (plus que 1,0). Par exemple, si la
production du blé augmente, il faut une
énorme réduction du prix du blé pour
a
Pa
persuader les gens à acheter plus de pain.
(A titre d'illustration, si on vend 2 fois plus
de blé à 1/4 du prix ancien, notre revenu est
réduit de moitié quand on double la
quantité de blé commercialisé.
En général :
quand l'élasticité de la demande est
inférieure à 1,0, à une augmentation
b
Pb
de la quantité vendue est associée
une baisse du prix suffisante pour
Quantité de
réduire le revenu provenant des
ventes ;
Qb blé vendue
Qa
quand l'élasticité de la demande est
supérieure à 1, à une augmentation
de la quantité vendue est associée une petite baisse du prix et une
augmentation du revenu provenant des ventes ;
quand l'élasticité de la demande est égale à 1,0, une hausse de la quantité
vendue est exactement compensée par une baisse du prix et le revenu
provenant des ventes reste constant.
La faible élasticité de la demande pour les produits du secteur agricole
implique que le faible taux d'accroissement de la productivité de ce secteur est
bénéfique pour l'état de la balance des payements des pays exportateurs. En effet, si
la production avait augmenté plus vite, les prix seraient tombés beaucoup plus
rapidement, et le revenu provenant des exportations aurait été encore plus faible.
Observons qu‟il existe des monopoles parmi les PSD (par exemple le Maroc
avait déjà 60% des exportations mondiales de phosphates juste avant l‟annexion du
Sahara à ce pays) à défaut, plusieurs pays pauvres peuvent se réunir pour former un
monopole entre eux (exemple : OPEP) ; dans ces cas, la faible élasticité de la
demande devient un avantage : on peut obtenir une forte augmentation du prix avec
une petite réduction de la quantité vendue, et donc augmenter son revenu (voir
graphique ci-dessus, où le monopole peut réduire la quantité vendue de Qb à Qa pour
quadrupler le prix de Pb à Pa doublant ainsi le revenu provenant des ventes). C‟est
l‟élasticité de demande inférieure à 1,0 qui rend le monopole rentable.
98
Si l‟analyse technique des termes
Px
de l‟échange soulève peu de problèmes il
n‟en va pas de même
pour les
statistiques qui font l‟objet de plusieurs
controverses. Elles varient avec les
Prix
auteurs, particulièrement concernant les
termes de l'échange marchandises entre
pays pauvres et pays riches. Certains
rapports tentent d‟établir qu'on n‟a pas
constaté une tendance significative Ŕ ni
à la hausse, ni à la baisse Ŕ dans les
termes de l'échange marchandises des
pays pauvres pendant les 25 dernières
Année
années alors que R. PREBISCH et
a
b
c
d
d‟autres auteurs soutiennent qu'il y a eu
une baisse à long terme. Sans entrer
dans le détail des controverses, le Professeur Abdoulaye WADE (dans une étude du
Conseil Économique et Social) montre que la conclusion dépend de l'année du
commencement des statistiques et l'année de la fin, puisqu'il y a une grosse variation
dans les prix des exportations de pays pauvres d'une année à l'autre. Dans le
graphique qui suit, un statisticien qui mesure la tendance des prix des exportations
de l'année "a" à l'année "c" aurait une conclusion très différente de celle d'un collègue
qui mesure la tendance de l'année "b" à l‟année "d". En clair, il est préférable
d'examiner la situation pour chaque pays et pour chaque produit.
Manquant de statistiques fiables sur les prix des exportations et des
importations dans les PSD, PREBISCH a pris les prix en Angleterre pour les produits
importés des pays pauvres et exportés envers les pays pauvres, en raisonnant comme
suit :
Px
Pm
en pays pauvre =
en pays riche puisque les exportations des uns sont
Pm
Px
les importations des autres.
Mais les prix des exportations sont mesurés hors-fret (f.o.b), et les prix des
importations sont mesurés fret-inclus (c.a.f.) donc on a :
Pm + F
Pm
en Angleterre, où « F » est le prix de transport.
Dans la période de l'étude, il y a eu une réduction importante des prix du
transport, qui ferait apparaître une "réduction" dans les termes de l'échange
marchandise, même si Pm/Px en Angleterre (Px/Pm en pays pauvre) n'avait pas
changé. Il existe aussi un désaccord sur le niveau de correction à faire pour tenir
compte de l'augmentation de la qualité.
La qualité des produits agricoles varie peu (l'arachide de 1900 a une forte
ressemblance avec l'arachide de 1975), tandis que la qualité des produits industriels
augmente (voiture de 1900 et voiture de 1975). Supposons par exemple :
99
Année
Prix d‟une
Ampoule
Durée de
l‟ampoule
Prix pour
Mille heures
1925
100
500 heures
200
1975
150
1000 heures
150
Une augmentation de 50% du prix de l'ampoule devient, après correction pour
le changement de sa qualité, une réduction de 25% dans le prix par heure de lumière.
Le problème ici est que les augmentations de qualité sont généralement très difficiles
à estimer.
La troisième catégorie concerne les termes de l'échange factoriels
doubles qui tentent de déterminer quel nombre d'heures de travail en pays riche
s'échangent contre quel nombre d'heures de travail en pays pauvre, c'est-à-dire :
Heures de travail incorporées dans les produits importés
Heures de travail incorporées dans les produits exportés
Dans L'Afrique de l'Ouest bloqué, Amin a essayé de calculer les termes de l'échange
factoriels doubles pour le Sénégal, utilisant des chiffres tirés d‟une étude d‟André
VANHAEVERBEKE.109
Période
1890-99
1965-69
Indice de termes de
l‟échange marchandises
(1938 = 100)
125
Indice de termes de
l‟échange factoriel
Doubles (1938 = 100)
295
105
40
Dans ce travail S.AMIN arrive à une très forte détérioration de ces termes de
l‟échange. Quelle est l'importance liée à cette approche des termes de l‟échange
factoriels doubles ? C‟est surtout pour mieux approcher et évaluer l‟échange inégal à
la lumière de l‟analyse marxiste.
2°) L’échange inégal comme expression du transfert de
richesse engendré par l’ordre commercial mondial : un
justificatif des politiques protectionnistes des PSD.
EMMANUEL observe qu‟ « En présence de certains aspects dramatiques de
l‟écart de niveau de développement entre les peuples, la question est de savoir si les
facteurs historiques qui déterminent ces niveaux sont internes ou externes.
Sommairement parlant, la production de richesses est fonction de la quantité d‟outils
et de matière grise dont les bras de l‟homme sont « assistés » dans le travail
productif. Or, nous naissons tous nus et incultes. Nous passons tous par un âge de la
pierre. Comment se fait-il alors que, dans un monde qui est un, on se trouve un jour
109
Samir AMIN : L‟Afrique de l‟Ouest bloquée, Éditions du Seuil
100
avec un revenu, les uns de 42000 dollars, les autres avec 150 dollars, avec une
espérance de vie, les uns de 70 ans, les autres de 50ans, avec une alphabétisation, les
uns à 100%, les autres à 25% ?»110 Comme facteurs internes possibles de dernière
instance d‟un tel clivage, on ne peut guère imaginer que deux : des différences
raciales et l‟environnement géo-climatique. Or, un consensus scientifique semble
exister pour les récuser tous les deux. Il ne reste alors que les facteurs externes c‟està-dire l‟ordre international existant et le transfert de richesses qu‟il engendre. Or en
faisant abstraction du pillage direct, il n‟existe matériellement, pour un tel transfert
entre pays, aucun autre véhicule qu‟un déséquilibre de leur balance commerciale,
qu‟il soit formel, c‟est-à-dire comptabilisé comme une absence d‟équivalence des
volumes en termes de prix courants, ou informel, c‟est-à-dire dissimulé à l‟intérieur
da la structure de ces prix courants comme une absence d‟équivalence de leurs
éléments. La théorie de l‟échange inégal dans ses diverses versions veut donner une
infrastructure théorique explicative de ces transferts.
Le concept fondamental de l‟échange inégal tente de mesurer le commerce
international non en termes de prix, mais en termes de valeur, et donc d'y appliquer
la théorie de la valeur de MARX (lui-même est mort avant d'achever son vœu d'écrire
une section du Capital sur le commerce international). Si la valeur des exportations
n'est pas égale à la valeur des importations pour lesquelles elles s'échangent, alors on
dit qu'il y a un échange inégal, et que le pays recevant plus de valeur exploite le pays
qui en reçoit moins.
Il existe plusieurs variantes de la théorie de l'échange inégal, les plus connues
étant la version originale d‟Arghiri EMMANUEL et celle de Samir AMIN. Ces deux
versions partagent les conclusions qui suivent :
Figure 6 : Les conclusions de l’analyse de l’échange inégal
Sur le plan
économique
Sur le plan social
Les pays à bas salaires vendent leurs
marchandises à des prix inférieurs à
leur valeur d‟usage au plan
international.
Un pays n‟est pas pauvre parce qu‟il
vend bon marché, mais
paradoxalement, il vend bon marché
parce qu‟il est pauvre ; de ce fait, il
s‟appauvrit sans cesse davantage
110
Le mécanisme de transfert de
valeur au niveau international
aboutit à une exploitation de la
classe ouvrière des pays
périphériques
A. Émmanuel : le « prix rémunérateur »
101
a) La première version de l’échange inégal selon Arghiri Emmanuel
conduit à des politiques protectionnistes.
La première version de l'échange inégal est due à Arghiri EMMANUEL ; elle
est publiée en 1969.111 Son point de départ est que la valeur d'une heure de travail est
égale à la valeur d'une heure de travail, n'importe où dans le monde. Bien entendu, on
parle de travail simple (non-qualifié), ou de travail également qualifié (un maçon en
France et un maçon au Sénégal, par exemple). Puisque la valeur est proportionnelle
aux heures de travail, il y a échange inégal si les termes de l'échange factoriels
doubles ne sont pas égaux à 1,0. Pour bien mesurer les termes de l'échange factoriels
doubles, il faut observer deux nuances : les heures de travail complexe doivent être
converties en heures de travail simple, et il faut inclure les heures de travail
matérialisées dans les machines et dans les matières premières. Puisqu'il est
extrêmement difficile de mesurer les termes de l'échange factoriels doubles en
observant les nuances, Emmanuel propose une deuxième façon de déterminer
l'échange inégal : si le salaire réel (pour la main-d‟œuvre non qualifiée, c'est-à-dire
pour le travail simple) n'est pas le même en deux pays, il y a échange inégal dans le
commerce entre eux. Selon la théorie Marxiste112 sur la transformation de la valeur en
prix, les deux manières de déterminer l'inégalité de l'échange sont équivalentes : les
termes de l'échange factoriels doubles seront égaux à 1,0 si et seulement si le niveau
du salaire est égal dans les deux pays.
b) La seconde version de l'échange inégal selon Samir Amin.
L‟auteur démarre sa réflexion à partir d‟une critique du critère des termes de
l‟échange factoriels doubles. En effet, il est apparu à S. AMIN qu‟un niveau des
termes de l'échange factoriels doubles différent de 1,0 n'implique pas, en soi-même,
une exploitation : les ouvriers en pays riches sont payés plus, mais ils ont une plus
haute productivité. Il faut alors trouver le lien entre l'échange inégal et l‟exploitation
des ouvriers en pays pauvres.
Dès lors, il y a un échange inégal entre deux pays quand l'écart des
rémunérations du travail est supérieur à celui des productivités. Cependant, par
"productivité" AMIN se réfère au produit moyen par ouvrier, et non au produit
marginal du dernier ouvrier. On voit que pour EMMANUEL, il y a échange inégal du
moment qu'il y a un écart quelconque entre les rémunérations du travail dans deux
pays participant au commerce international ; tandis que pour AMIN, il n'y a échange
inégal que si l'écart des rémunérations du travail est supérieur à l'écart des
productivités du travail.
Quelles sont les hypothèses sous-jacentes aux théories de l'échange inégal ?
Pour simplifier nous retenons les éléments suivants :
Premièrement, il est supposé que les coûts de transport et les tarifs douaniers
sont négligeables. L'inclusion de ces coûts compliquerait l'analyse sans changer les
conclusions.
Deuxièmement les produits s'échangent entre pays et de ce fait, les prix relatifs
des produits sont les mêmes en tous pays. Par exemple, si le blé coûte 2,17 fois autant
111Arghiri
112
EMMANUEL : L'Échange inégal, Éditions F. Maspéro 1969.
La théorie Marxiste de prix a été présentée - et critiquée.
102
que le riz aux États-Unis (mesuré en dollars) alors le blé coûtera 2,17 fois autant que
le riz au Sénégal
Troisièmement les techniques sont les mêmes dans les pays riches et dans les
pays pauvres pour certaines industries (par exemple raffinage du pétrole) en
conséquence, cette identité des techniques entraîne celle de l‟égalité de la productivité
par travailleur alors même que le salaire dans les pays pauvres reste plus bas à cause
de la forte pression des chômeurs et l‟état d‟organisation des syndicats.
Quatrièmement, le capital s'échange et circule librement, permettant la
péréquation du taux de profit. Par exemple, si le taux de profit était plus élevé au
Sénégal qu'en France, tous les capitalistes français investiraient leurs fonds au
Sénégal. Finalement, après le financement de tous les projets les plus rentables au
Sénégal, il ne resterait que des projets dont la rentabilité était égale ou inférieure à la
rentabilité de projets en France. La mobilité internationale du capital assure une
péréquation du taux de profit international.
Cinquièmement la main-d'œuvre n'est pas mobile internationalement. De ce
fait le salaire est différent selon les pays. On suppose que le nombre de travailleurs
migrants est négligeable par rapport à la force de travail totale ; essentiellement tous
les ouvriers restent dans leur pays. Par contre, on suppose qu'à l'intérieur d‟un pays le
travail est mobile entre industries. En conséquence, le salaire (à qualification égale)
est le même dans toutes les industries du pays. Ceci implique que tous les ouvriers du
pays peuvent participer aux bénéfices de l'accroissement de la productivité de
n'importe quelle industrie du pays.
Moyennant ces hypothèses, la participation au commerce international
effectuée dans les conditions d‟échange inégal (version Amin) est nuisible aux pays
pauvres selon le modèle de Jagdish SAIGAL. S. AMIN veut démontrer non
seulement que les pays pauvres sont exploités par l'échange inégal, mais aussi qu'en
participant au commerce international les pays pauvres perdent par rapport à une
situation d'autarcie (non-participation au commerce international). Il serait à leur
avantage de cesser de commercer avec le monde développé.
Avec la Loi de l'avantage comparatif, Ricardo avait prouvé que comparés à une
situation d'autarcie, deux pays tirent toujours chacun bénéfice de l'ouverture du
commerce entre eux, mais Amin échappe aux conditions de cette loi, car il a changé
une des hypothèses de D.RICARDO : celui-ci avait supposé que le capital n'était pas
mobile entre les deux pays, et que par conséquent il n'y avait pas de péréquation du
taux de profit entre les deux pays. Est-ce que le changement de cette hypothèse
change la conclusion de l'analyse de Ricardo ? Amin prétend que oui, et il cite une
étude de Jagdish SAIGAL comme preuve.
Ces diverses formulations théoriques (les avantages comparatifs et l‟échange
inégal) constituent le référentiel des politiques commerciales libre-échangistes et
protectionnistes.
c) La synthèse des deux approches et les politiques préconisées
S'il est difficile de démontrer que l'échange inégal est pire que l'autarcie pour
les pays pauvres, il est facile de démontrer que l'échange inégal est avantageux aux
pays riches. Prenons par exemple Taiwan, la Corée dans le domaine de chemises. Si
un producteur américain s'installe en Corée, il obtiendra une rente : car il paye à un
prix très bas ses ouvriers (comparés aux ouvriers américains) mais il vend ses
chemises au prix élevé des fabriques américaines. (Petit à petit, le déluge de chemises
importées fait baisser leur prix sur le marché américain et ruine l‟industrie de
103
chemises aux États-Unis, sauf si celle-ci est protégée par des tarifs douaniers ou par
des contingents sur l'importation).
Les propositions de S. AMIN peuvent être synthétisées en cinq points. Dans
les pays pauvres d'aujourd'hui, au contraire des modèles de Smith et de Ricardo, il y a
tout un nœud de "cercles vicieux" qui bloquent le développement.
Un manque d’investissement : les riches nationaux dépensent leurs
revenus en biens de luxe ou en "investissements" improductifs (par exemple, l'achat
de terrain).
Un manque de profit : l'accroissement de la productivité, qui dans une
économie fermée au commerce international mène à un accroissement de profits qui
pourraient être réinvestis et dans une économie ouverte de pays pauvres mène à une
baisse des termes de l'échange : les bénéfices de l'accroissement de productivité vont
aux acheteurs des pays riches. À cause de la faible taille du marché dans les pays
pauvres, les usines travaillent à une petite échelle qui réduit leur rentabilité.
Un manque de liens entre industries (désarticulation) : une industrie
ne conduit pas à une autre industrie, parce qu‟il est facile d'importer de l'équipement
et des matières premières fabriquées (en contraste par exemple avec l'Angleterre
dans les années 1780-1850). La faible échelle du marché est insuffisante pour
rentabiliser l'industrie lourde, où les coûts par unité de produit sont beaucoup élevés
si on produit un peu plus.
Un manque d'emploi : causé par le manque d'investissement, qui limite le
nombre de fabriques, et par ... des technologies importées qui emploient une faible
quantité de main d‟œuvre dans les fabriques existantes, …. tandis que la compétition
des produits manufacturés fabriqués localement ou importés conduit au chômage un
grand nombre d'artisans. La faible masse de salaires implique peu de consommation
et partant, une restriction de la taille du marché. Cela complète alors plusieurs
"cercles vicieux".
Quelles sont les politiques proposées par S. AMIN ? Elles se résument
principalement à deux : l‟introversion dans le cadre d‟un marché commun et
l‟édification du socialisme. Il est vrai que l‟auteur à une aversion très forte pour la
définition des politiques : ce n‟est pas le rôle du théoricien, d‟ailleurs Marx se refusait
aussi à définir « les gargotes de l‟avenir ».
Samir AMIN considère que l‟insuffisance de la demande intérieure est l‟un des
facteurs limitants du développement. Elle peut être résolue par intégration dans le
cadre d'un processus de formation d‟un marché commun qui facilite l‟introversion
des politiques. Les pays pauvres doivent essayer d'être autosuffisants. Le libre accès
aux importations des pays riches ne permet pas aux nouvelles industries des pays
pauvres de démarrer, tandis que les exportations traditionnelles souffrent d'une
baisse tendancielle des termes de l'échange. Le libre accès (voir l'encouragement !)
donné au capital étranger signifie une exploitation du pays, avec l'exportation des
profits.
Cette introversion ne peut se réaliser pratiquement que dans le cadre d'une
communauté économique créée entre pays pauvres, cause de la faible échelle du
marché dans chaque pays individuel.
Le socialisme : le gouvernement ne doit pas laisser le marché libre décider les
prix et la répartition des revenus. Dans une société capitaliste, la croissance ne porte
bénéfice qu‟à un petit nombre de bourgeois nationaux.
Le niveau d‟investissement doit être promu par l‟État. Le pays doit activement
décider le taux d‟investissement, au lieu de permettre que cette décision soit prise
104
passivement en fonction de la répartition des revenus entre les capitalistes et le reste
de la société.
III/ La « nouvelle théorie du commerce international »
Ce courant de pensée tire son origine d‟un double constat d‟une part, l‟extrême
fragilité des hypothèses et d‟autre part la constatation de l‟écart considérable entre les
prédictions de la théorie et la réalité empirique. En effet, les thèses classiques
admettent que les économies sont définies par des rendements d‟échelle constants et
par une concurrence pure et parfaite. Dans ce cadre le modèle ricardien met l‟accent
sur les différences technologiques comme cause des échanges alors que le modèle
HOS s‟appuie sur la diversité des dotations en facteurs. D‟autres modèles sont
concevables en faisant varier les hypothèses relatives au nombre de biens et de
facteurs, en apportant des restrictions à la technologie. Au sein de la recherche
économique s‟est développée, selon le mot de P.KRUGMAN, « une contre culture »
qui a mis l‟accent sur d‟autres arguments sur des sources possibles d‟échanges. C‟est
ainsi que des auteurs comme BURENSTAM-LINDER (1961) et R. VERNON (1966)
vont mettre l‟accent sur l‟évolution technologique endogène, tandis que beaucoup
d‟autres discutent du rôle possible des économies d‟échelle comme cause des
échanges, distincts des avantages comparatifs.113 C‟est dans ce cadre qu‟il faut
« repenser la théorie du commerce international ». En effet, E.HELPMAN,
P.KRUGMAN considèrent que le commerce international contemporain est
caractérisé par trois traits qui sont largement inexpliqués par la théorie
traditionnelle :
D‟abord, les échanges internationaux constatés se développent le plus
rapidement entre les pays les plus développés qui présentent des dotations
factorielles très voisines, contrairement aux attentes de la théorie HOS. Il s‟agit
en fait, d‟un commerce Nord-Nord, entre pays à niveau de développement
proche ;
Ensuite, le commerce international est principalement de type intra-branche
où chaque firme se spécialise sur un segment de demande et exploite les
rendements croissants. Ce commerce intra branche ne peut être expliqué ni
par la théorie ricardienne des avantages comparatifs ni par la théorie HOS de
la différence des dotations factorielles base de la spécialisation des différents
partenaires ;
Enfin, au sein de la théorie traditionnelle, les firmes multinationales ne
peuvent exister, alors même qu‟elles sont à l‟origine de la part la plus
importante des échanges entre nations. C‟est pourquoi, selon P.KRUGMAN, il
est paradoxal de traiter le commerce international avec une théorie reposant
exclusivement sur des hypothèses de concurrence, alors que les secteurs
industriels qui sont à l‟origine de l‟essentiel de ce commerce sont des
oligopoles comme en atteste les analyses de l‟économie industrielle.114
En définitive, l‟incapacité des théories traditionnelles à expliquer les échanges entre
des pays identiques, les échanges intra-branches et le rôle des firmes multinationales
va être à la base de la formulation de la « nouvelle théorie du commerce
113Paul
R. KRUGMAN : La mondialisation n‟est pas coupable, vertus et limites du libre échange, Edit.
La Découverte, 1998.
114 Les modèles de concurrence imparfaite sont connus depuis les travaux de CHAMBERLAIN poursuivis et
approfondis par M. SPENCE (1976), A.DIXIT, J.STIGLITZ, P. KRUGMAN, K. LANCASTER etc.
105
international » qui essaie de prendre en compte ces éléments en se fondant sur les
principes de la concurrence imparfaite et les rendements d'échelle. Et M. RAINELLI
note que « contrairement à d‟autres domaines de l‟analyse économique où un auteur
cherche à comprendre l‟évolution des idées introduit lui-même une coupure entre des
théories « anciennes » et des théories « modernes », le label « nouvelle théorie du
commerce international»ou nouvelle économie internationale est déposé et
revendiqué par un groupe important d‟auteurs. De surcroît, les chercheurs se
réclamant de la nouvelle théorie se sont vigoureusement différenciés des conceptions
défendues par les auteurs attachés à l‟ancienne. Ils proclament ainsi que leurs
résultats et leurs recommandations s‟éloignent considérablement des propositions de
l‟ « ancienne » théorie »115. C‟est dire que la « nouvelle théorie » du commerce
international ne correspond pas à un corps d‟analyse unifié, mais plutôt à un
ensemble de travaux développés par différents auteurs qui ne sont fédérés que par le
rejet des fondements classique et néoclassique de l‟échange.
Face à l‟extrême variété des auteurs, à la diversité de leurs approches et à
l‟âpreté de leurs controverses, il est difficile (peut-être sans intérêt) de rentrer dans
les querelles d‟école et les apories théoriques. En tirant les enseignements de toutes
ces analyses, deux interrogations paraissent intéressantes : d‟une part les apports
effectifs de ce nouveau courant de pensée et de recherche à la relation commerce
international et développement et d‟autre part les propositions de politique
commerciale, à l‟échelle normative.
1°) Sur la première interrogation
Après avoir constaté que les tentatives de vérification empirique de la théorie
dite traditionnelle ont été généralement décevantes, les nouvelles approches
proposent des explications des échanges internationaux qui remettent en question les
hypothèses qui sous-tendent la théorie des avantages comparatifs : hypothèses de
concurrence pure et parfaite, de mobilité des facteurs, de l‟écart des coûts relatifs
fondement de la spécialisation des pays en fonction de leur dotation factorielle. La
nouvelle théorie se focalise sur deux phénomènes qui peuvent produire des
imperfections de marché : la différenciation des biens et les économies d‟échelle.
Dans ce sens M.RAINELLI notera que « Parmi les voies de recherche explorées, les
plus importantes sont relatives au rôle joué par la technologie, la différenciation des
produits ou encore les rendements croissants d‟échelle ».116
Encadré 5 : Les deux approches de la nouvelle théorie du commerce
international
L’approche où les biens sont différenciés
Les consommateurs expriment une demande de variétés et les firmes y
répondent par une segmentation (horizontale ou verticale) conduisant à un marché
de type concurrence monopolistique. La demande de différence va dans le sens d‟une
multiplication des segments, d‟un élargissement des gammes. La solution consiste
au développement d‟un commerce international de type intra-branche où chaque
firme (pays) se spécialise sur un segment de demande et exploite les rendements
croissants. Ce commerce est aujourd‟hui dominant dans les échanges internationaux
et concerne pour l‟essentiel les relations Nord-Nord. C‟est un commerce de
Michel RAINELLI : La nouvelle théorie du commerce international, Collection Repères, La
Découverte, 1997.
116 M.RAINELLI : op.cit p.11.
115
106
similitude entre pays à niveau de développement proche.
L’analyse spécifique des économies d’échelle externes
Les économies d'échelle externes entraînent la baisse du coût moyen associé
non plus à la taille de chaque firme mais à celle de la branche d‟activité dans son
ensemble.
a) Les économies d’échelle externes statiques apparaissent lorsque des
équipements communs, des infrastructures publiques, des systèmes de recherche et
de formation sont conjointement exploités par un plus grand nombre d‟entreprises.
Ceci en réduit le coût unitaire d‟utilisation. Les nouvelles firmes et industries
tendront à s‟installer là où existe déjà un noyau d‟activités. Un pays qui dispose d‟une
industrie de grande dimension bénéficie de fait d‟un coût moyen de production plus
faible, quelle que soit la taille de chaque entreprise qui le compose.
b) Les économies d’échelle externes dynamiques, il s‟agit d‟intégrer les effets
associés à l‟apprentissage, à l‟accumulation de la recherche-développement ou du
capital humain. Les trajectoires de développement seront différentes selon que l‟on
se spécialise ou pas dans des branches d‟activité génératrices d‟externalités
dynamiques.
Thierry MONTALIEU : Economie du Développement p142
Pour ce qui concerne la prise en compte du facteur technologique, l‟idée
consiste à étendre au niveau du commerce international les incidences des activités
de R&D des firmes : une firme innovatrice bénéficie pendant une période plus ou
moins longue d‟un monopole dans la production du bien nouveau. Si ce bien est
consommé à la fois par des résidents du pays d‟origine et par des consommateurs
localisés à l‟étranger, un flux d‟exportations est créé qui ne disparaîtra que lorsque les
firmes étrangères auront réussi à mettre au point un produit concurrent. Le
déterminant de ce commerce est l‟ »écart technologique ». Raoul VERNON a
notablement enrichi cette analyse avec la théorie du cycle de vie du produit de où
l‟auteur distingue 4 phases dans la vie d‟un produit comme l‟indique le tableau qui
suit :
Phase de la
nouveauté (1)
L‟intensité
technologique du
produit est forte.
Les coûts son élevés
à cause de
l‟amortissement de
la R &D. Les prix
sont élevés.
Phase de la
croissance (2)
La firme bénéfice
d‟une situation de
monopole
technologique. Elle
maintient des prix
élevés.
Phase de la
maturité (3)
Les techniques de
production sont
copiées et les prix
élevés permettent
aux concurrents
d‟entrer sur le
marché
La production en
petites quantités se
fait uniquement
dans les PD. Le
marché s‟appuie sur
l‟effet de snobisme
Le volume de la
production augmente
les coûts diminuent.
Les profits sont
importants. Le
marché des PCD
La production
commence à être
délocalisée dans
les PND pour
réduire les coûts
et maintenir les
107
Phase de la
sénescence (4)
Les techniques de
production sont
banalisées. Des
entreprises sont
créées dans les
PVD qui cassent
les prix. La FTN
abandonne la
fabrication de ce
produit
La plus grande
partie de la
production est
réalisée dans les
PND. Les firmes
intensifient leur
des classes aisées
car les prix sont
encore prohibitifs
pour le grand
public. Les profits
n‟existent pas
encore.
s‟élargit grâce à l‟effet
d‟imitation.
profits. Le
produit est
proposé aux
catégories
sociales les plus
favorisées des
PND.
R-D dans leur
pays d‟origine
pour amorcer un
nouveau cycle sur
un autre produit.
Dans les deux premières phases, la production et la vente d‟un produit se fait
dans les pays industrialisés où existe une main d‟œuvre hautement qualifiée. Dans les
phases suivantes si le produit est banalisé, elle est susceptible d‟être délocalisé dans
des espaces de meilleure valorisation. Il en va ainsi de la phase de sénescence qui
verra le segment industriel se délocaliser dans des pays où le coût de la main d‟œuvre
est bon marché. La firme multinationale est alors obligée d‟amorcer un second cycle
d‟innovation technologique.
2°) Sur la deuxième interrogation pour la nouvelle théorie
En situation de concurrence imparfaite, l‟intervention de l‟Etat se justifie par le
biais des politiques industrielle et commerciale. A ses débuts, la nouvelle théorie a
donné de nouveaux arguments contre le libre échange et des justificatifs du
protectionnisme et de l‟intervention de l‟Etat dans les relations économiques
internationales. Dans ce sens, note P. KRUGMAN, « la nouvelle théorie du commerce
international affirme que les échanges sont dans une large mesure tirés par les
économies d‟échelle plutôt que par les avantages comparatifs et que les marchés
internationaux sont normalement en situation de concurrence imparfaite. Cette
nouvelle théorie soulève deux arguments à l‟encontre du libre échange, l‟un
totalement neuf, l‟autre plus ancien qui se voit donner une nouvelle impulsion. L‟idée
neuve est celle de l‟argument en faveur d‟une politique commerciale volontariste qui
voudrait que l‟action étatique soit en mesure de renverser les termes de la
concurrence oligopolistique de façon que ce ne soient plus les firmes étrangères qui
bénéficient des surprofits, mais des entreprises nationales. L‟idée ancienne est celle
qui veut que la politique de l‟Etat devrait favoriser les branches produisant des effets
externes, surtout celles qui provoquent un accroissement des connaissances,
lesquelles ne peuvent être entièrement appropriées par les entreprises.117 Toutefois,
P. KRUGMAN reviendra sur certains arguments pour monter que le libre-échange
demeure une politique optimale. Mais, démontrer que le libre-échange est meilleur
que l‟autarcie n‟équivaut pas démontrer que le libre-échange est meilleur qu‟une
intervention bien ciblée de l‟Etat.
Section 2 : Politique commerciale et insertion dans l’économie
mondialisée : le triomphe du libre-échangisme.
Une abondante littérature théorique s'est développée autour de l‟analyse de la
relation ouverture-croissance économique. La question posée par les analystes
marxistes et la version néo-classique de l‟analyse ricardienne forment les deux faces
d‟une même médaille : le commerce international est-il facteur de croissance ou
d‟appauvrissement des PSD ? Le commerce international confère-t-il les mêmes
117
P.KRUGMAN : op. cit. 201
108
chances aux différents partenaires ? À l‟évidence ces questions ont reçu des réponses
différentes selon les auteurs et la qualité de leurs études. La réponse libre échangiste
est largement dominante à travers les zones de libre-échange dont l‟objectif majeur
était de créer des espaces au sein desquels l‟essentiel des échanges commerciaux sont
libéralisés. Ces zones de libre-échange sont fondées sur l‟article 24 du GATT relatif
aux dérogations à la Clause de la Nation la plus favorisée (NPF) qui recommandent
qu‟elles soient mises en place dans un «délai raisonnable».
Encadré 6 : L’article XXIV du GATT (General Agreement on Tariff and
Trade) fondement des Accords de libre échange.
Les accords de libre-échange concernent des pays ou régions qui décident de
créer une zone de libre-échange, au sein de laquelle «l’essentiel des échanges
commerciaux» est libéralisé, où les biens, les capitaux et les technologies doivent
circuler sans obstacles tarifaires ou non tarifaires. L‟achèvement des dispositifs de
fonctionnement de la zone de libre-échange doit intervenir dans un «délai
raisonnable». Les deux éléments (libre circulation et le délai) constituent les points
fondamentaux du fameux ‟article XXIV du GATT qui traite des dérogations à la
Clause de la Nation la plus favorisée (NPF), dans le cadre des accords commerciaux
régionaux qui sont aujourd‟hui plus de 130 agrées par l‟OMC.
Le caractère flou de cet article fait qu’il permet toutes les
interprétations. Notamment, il est évoqué pour expliquer le choix de l‟UE pour
créer une ZLE avec les pays ACP pour conserver des relations commerciales
préférentielles avec ces pays (et donc discriminatoires pour les autres États) sans
déroger aux règles de l‟OMC. Il peut aussi être utilisé, en vertu du «délai
raisonnable», pour justifier une dérogation sur l‟agenda.
I/ Apport du Libre-échange à la croissance économique
Bien que les réflexions théoriques n'ont pas réussi à trancher la question des
effets bénéfiques ou non de l‟ouverture sur la croissance économique, les travaux
empiriques, en revanche, ont aboutit à des résultats homogènes qui précisent les
effets positifs de l'ouverture sur la croissance. Il reste parfois que la robustesse de ces
travaux est remise en cause. En effet, les études comparatives réalisées par LITTLE,
SCITOVSKY et SCOTT M. (1970) et BALASSA (1971), ont apporté des indications
empiriques solides sur le lien entre ouverture commerciale et croissance économique.
Dans leurs études, ils ont fait une analyse détaillée des politiques commerciales en
vue de découvrir leurs impacts sur les économies des pays d‟Argentine, du Brésil, du
Mexique, de l‟Inde, du Pakistan, des Philippines et de Taiwan.
Ces études ont permis de constater l‟impact de la protection des biens
intermédiaires et des produits finis sur la profitabilité au niveau sectoriel. Le niveau
de protection est mesuré par le taux de protection effective (TPE). Ce dernier vise à
capturer la protection accordée à la valeur ajoutée réalisée dans les pays, relativement
aux normes internationales.
Vad  Va int
TPE=
*100 où Vad= valeur ajoutée au prix domestique après
Va int
l‟application du tarif et Van = valeur ajoutée en l‟absence de tarif, c'est-à-dire la
valeur ajoutée évaluée au prix international.
Les conclusions de ces études ont porté essentiellement sur le niveau élevé du
TPE. En effet, le TPE est plus élevé que ne le laisse supposer le taux de protection
nominal (TPN). La protection nominale sur un produit est le rapport entre la
109
production relative évaluée au prix domestique et la même production évaluée au
prix international. Soit :
OD
OP=
OW
La nouvelle théorie du commerce international et la théorie de la croissance
endogène ont conduit à concentrer les recherches empiriques sur les canaux par
lesquels l'ouverture peut influencer le taux de croissance. Il est apparu dans ces
études que l'effet de l'ouverture sur la croissance passe par trois voies : la formation
du capital physique (croissance tirée par l'investissement et induite par l'ouverture),
du capital humain (croissance tirée par les compétences et induite par l'ouverture) et
du savoir (croissance tirée par la technologie et induite par l'ouverture). Cela est
confirmé par la libéralisation du commerce international (élimination des barrières
non tarifaires et forte réduction des taxes) qui s‟est accélérée dans plusieurs pays en
développement depuis le milieu des années 1980. Les travaux de J. SACHS et A.
WARNER montrent que les PSD ouverts sur le commerce international ont des taux
de croissance plus élevés que ceux qui sont fermés.
Figure 7
%
Libre-échange et croissance 1970-1990
(source: Jeffrey Sachs, Andrew
Warner, 1995)
5
4
3
2
1
0
4,49
2,29
0,74
PI fermés
0,69
PI ouverts PVD fermés
PVD
ouverts
Ces gains de l'ouverture en termes de croissance sont beaucoup plus
importants lorsqu'il existe une coordination des politiques économiques entre les
pays, c'est-à-dire une intervention publique recherchant l'optimum non pas dans le
cadre des économies prises séparément, mais dans le cadre de l'union de ces
économies. Dans ce sens, l'intégration des marchés ne suffit pas pour obtenir une
croissance optimale et doit être accompagnée d'une intégration des politiques
économiques (RIVERA-BATIZ et ROMER (1991), AUBIN (1994).
L‟Afrique est complètement absente du commerce mondial dans les branches
les plus dynamiques des produits manufacturés et des services. En analysant les
110
paramètres que pose la mondialisation, on s‟aperçoit que cette mondialisation ignore
le continent. Ni les investissements croisés, ni les échanges internationaux sur la base
de la croissance de la production mondiale, ni la globalisation financière, ni les
réseaux transnationaux, ni les firmes globales ne trouvent place en Afrique.
Dans ce contexte, parler d‟une déconnection de l‟Afrique de l‟économie
mondiale n‟a absolument aucun sens. Le problème qui se pose alors, est un problème
de spécialisation internationale des pays sous-développés. Nous avons vu que leur
spécialisation actuelle était régressive en termes d‟accumulation productive. Il faut
alors envisager d‟autres lignes de spécialisation plus appropriées aux besoins de la
mondialisation. Dans ce sens, on peut parfaitement contester la théorie de la
spécialisation d'une manière plus efficace en mettant en relief son caractère statique :
cette théorie explique le commerce international par des dotations données et
constantes; les mouvements internationaux d‟hommes, des technologies et de
capitaux sont exclus du raisonnement. Or, de tels mouvements peuvent bouleverser
complètement les dotations initiales de facteurs; de plus, le commerce international
lui-même, dans la mesure où il porte sur des biens de capital, est un facteur de
transformation des économies. À un moment donné les dotations en facteurs peuvent
expliquer les spécialisations et, par suite, le commerce international; mais, dans le
temps, c'est le commerce international qui explique les dotations en facteurs et, par
suite, les spécialisations.
Face aux médiocres résultats des stratégies de développement économique
tournées vers l‟intérieur et au succès réalisé par les expériences d‟ouverture comme
les NPI, il devient douteux théoriquement et pratiquement que les PSD puissent
rester à l'écart du système mondial d'échanges et de paiements : il leur faut obtenir
par des exportations les recettes indispensables au financement de leurs importations
d‟équipements ; l‟aide financière extérieure ne saurait être que temporaire; elle doit
permettre seulement d'atteindre le point où l'équilibre international des pays pourra
être assuré de façon normale.
Depuis le GATT jusqu‟à l‟OMC, les PSD doivent exploiter toutes les
opportunités qu‟offrent les négociations et l‟ouverture commerciales internationales.
Cette ouverture à la concurrence internationale commande la valorisation des facteurs
dont chaque pays est le mieux doté et la spécialisation dans les productions pour
lesquelles le pays est comparativement le mieux placé. Elle exige l‟amélioration de la
productivité des facteurs et leur rémunération homogène, et en même temps une
parfaite maîtrise des taux de change. Elle implique encore une réciprocité complète et
une symétrie parfaite dans la manière de traiter les échanges internationaux dans les
différents pays partenaires. Or, en matière d‟échanges agricoles en tout cas, les pays
développés, conduits par les États-Unis et l‟Union européenne, continuent de protéger
activement leurs marchés. De ce point de vue, le nouvel accord de l‟OMC, bien
qu‟induisant les changements importants dans la distribution des soutiens agricoles, ne
modifie pas de manière déterminante l‟avantage considérable que confère aux
agriculteurs des pays industriels le maintien d‟importants transferts publics à leur profit
(voir K. ANDERSON).
111
Tableau 5 : Les grands cycles de négociation depuis 1947
Cycle
Dillon
Kennedy
Tokyo
Uruguay
Doha
Durée
Participants
Flux
commerciaux
(milliards
dollars)
1960-1961
1962-1967
1973-1979
1986-1994
2001-( ?)
30
50
99
119
145
4,9
40
190
1122
5000
Droits de
douanes
moyens avant
le cycle
16,5%
15 ,2%
9,9%
6,5%
4%
Réduction
moyenne des
droits
(moyenne
simple)
7%
35%
34%
39%
-
II/ Les techniques commerciales
Les deux principales techniques du commerce international restent encore le
protectionnisme et le libre échange. Le protectionnisme sous ses différentes formes
de droits douane, de contingentements, d‟application de normes sanitaires, de
marchés publics réservés est certainement la technique la plus ancienne et la plus
couramment utilisée. La seconde technique est le libre échange qui est plus
contemporaine. Elle est généralement considérée comme une technique qui,
favorisant le commerce sans entrave, devrait selon la théorie néo-classique permettre
une meilleure allocation des ressources suivant les avantages comparatifs et les
dotations factorielles.
1°) Le protectionnisme
Il désigne l‟ensemble des politiques adoptées pour protéger l‟économie nationale de
la concurrence étrangère. La justification de la protection des industries naissantes
remonte à un passé bien lointain avec des auteurs comme Alexandre HAMILTON ou
Frédéric LIST (1841). Selon cette thèse, un pays doit protéger ses industries
naissantes pour qu‟elles deviennent adultes, c‟est-à-dire suffisamment fortes pour
affronter la concurrence étrangère. Bien évidemment, ce protectionnisme doit être
temporaire et modéré. Cette modération permettra aux industries protégées de
goûter un peu des fruits de la concurrence. Il faut dire que les libre-échangistes ne
contestent point le bien-fondé de cette protection. Ils soulèvent à son propos deux
questions ; Quelles sont les industries qui doivent être protégées ? Quand doit cesser
la protection ? Un autre argument favorable à la protection est qu‟elle exerce un effet
d‟attraction sur les capitaux en général, notamment sur le capital étranger. Cet
argumentaire a été développé par Richard SCHULLER (1905) et par ASHLEY (1920).
Il repose sur l‟idée qu‟en taxant lourdement les produits importés, on pousse les
entreprises étrangères qui exportaient vers le pays à venir s‟y installer en créant
notamment des unités de production pour ne pas perdre les marchés.
La protection est aussi expliquée par deux autres séries de raisons de nature
sécuritaire et sociale. La protection est aussi évoquée pour des motifs sécuritaires,
lorsqu‟il s‟agit de préserver les entreprises nationales, surtout en période de guerre
ou de conflit, ou alors de conserver ou de préserver des ressources naturelles
112
menacées d‟épuisement. Enfin, la protection peut être effectuée pour des raisons
purement sociales : défense du niveau de vie, protection de l‟emploi et des catégories
sociales. L‟amélioration par la protection du niveau de l‟emploi a été le principal
argument avancé par J. M. Keynes en matière de politique commerciale. Selon lui, la
protection douanière faciliterait la reprise de l‟activité économique pour trois
raisons :
- elle sauvegarderait l‟équilibre de la balance des paiements pendant que
serait réalisé le programme d‟expansion interne ;
-elle permettrait par les recettes de financer en partie ce programme
d‟expansion interne ;
- dans la mesure où elle provoquerait une substitution de la production
intérieure aux produits étrangers, elle accroîtrait l‟emploi : cependant, ceci est admis
à la condition que l‟emploi accru dans les industries protégées ne soit pas
contrebalancé par une réduction correspondante de l‟emploi dans les industries
d‟expansion.
Si l‟on admet avec KEYNES que le système économique ne tend pas
automatiquement au plein emploi, on considérera que l‟encouragement des
exportations par des subventions ou la réduction des importations par la protection
exerceront une influence sur l‟emploi. Un accroissement des exportations ne
correspond plus alors, comme le pensaient les classiques, à une réduction des biens
disponibles pour la consommation domestique. Il déclenche au contraire le
mécanisme de multiplication du revenu global.
Les techniques de protection utilisées sont de trois ordres : l‟instauration des
droits de douane, les subventions et les contingentements. Les droits de douane sont
des taxes prélevées par l‟État sur les marchandises lorsque celles-ci franchissent sa
frontière. Plus que tout autre objectif, c‟est le souci de protéger certaines branches
d‟activités qui motivent l‟établissement des droits de douane. Cependant, ils peuvent
être utilisés pour la réalisation d‟autres objectifs de politique économique. En
premier lieu, les doits de douane sont supposés avoir des effets bénéfiques sur la
production et l‟emploi et sur la balance commerciale. Cependant, ils pourraient
aussi être utilisés dans la recherche d‟une stabilité des prix. De fait, la baisse des
droits de douane sur les matières premières et les biens d‟équipement entraîne une
baisse des coûts de production et donc une baisse des prix ; les droits de douane
permettent de lutter contre l‟inflation par action sur les coûts. Le maniement des
droits de douane peut être réalisé pour d‟autres objectifs : augmentation des produits
locaux, ce qui entraîne une augmentation de la production et donc de l‟emploi ;
augmentation des droits de douane induisant une hausse des prix des produits
importés, ce qui produirait une baisse des importations entraînant un équilibre de la
balance commerciale.
Le taux de protection effectif est un indicateur qui permet de mesurer la
protection assurée par les droits de douane et plus concrètement, le taux mesure la
protection dont bénéficie la valeur ajoutée d‟une industrie nationale par rapport au
marché mondial grâce aux droits de douane sur les produits finis et sur les
consommations intermédiaires. En effet, les droits de douane exercent une influence
sur la valeur ajoutée et donc sur les revenus des secteurs protégés. Cependant, le taux
de protection effective varie en sens inverse des droits de douane sur les
consommations intermédiaires, mais en fonction croissante avec les droits de douane
sur les produits finis.
113
En fait, lorsque l‟État instaure les droits de douane, le taux de protection
effective représente le pourcentage d‟augmentation de la valeur ajoutée du secteur
protégé par unité de produit.
Actuellement les barrières tarifaires « traditionnelles » sont peu à peu
remplacées par des barrières non tarifaires, plus opaques et plus discrétionnaires
comme nouveaux instruments du protectionnisme et qui sont résumés dans
l‟encadré qui suit :
Encadré 7 : Les instruments protectionnistes en pratique
Les tarifs douaniers peuvent être ad valorem, c'est-à-dire exprimé en
pourcentage du prix ou spécifiques, c'est-à-dire en unité monétaire par unité
physique (euro par tonne, ou par litre). En pratique les tarifs peuvent être composés
(sommes d‟éléments ad valorem ou spécifiques) ou mixtes (application d‟opérateurs
logiques entre les éléments tarifaires : 4 euro/kg, maximum de 13 %, etc.).
Les tarifs appliqués sont soit les tarifs applicables aux membres de l‟OMC (tarifs
NPF, Nation la Plus Favorisée), soit les tarifs préférentiels inférieurs aux précédents
(comme un exemple, la suppression des droits sur les produits provenant des pays
les pays les moins avancés dans l‟Union européenne au sein de l‟initiative « Tout sauf
les Armes » (TSA).
Notons aussi l‟existence de droits de caractère exceptionnel comme les droits
anti-dumping, les droits compensateurs et les mesures de sauvegarde.
Il convient de noter que les tarifs discutés à l‟OMC et lors des cycles de négociations,
comme celui de DOHA, sont les tarifs consolidés qui ne constituent qu‟une borne
supérieure pour les tarifs appliqués. Ces derniers peuvent donc évoluer librement
sous cette contrainte. On remarque même une forte volatilité intra- annuelle du taux
de protection sur les produits saisonniers comme les fruits et légumes. L‟écart entre
tarifs appliqués et consolidés, le binding-overhang, est un élément très important
puisqu‟il détermine en grande partie la marge de manœuvre des négociateurs.
Les mesures quantitatives. Traditionnellement, il s‟agit des quotas : le pays
importateur accorde des licences d‟importation permettant de faire pénétrer sur le
territoire national une certaine quantité de marchandises. L‟attribution des licences
est importante puisqu‟elle détermine qui percevra la rente. Plusieurs modes
d‟administration existent : vente aux enchères, fournisseurs historiques, premiers
servis….
Les quotas tarifaires ont remplacés les quotas traditionnels et sont très
fréquents dans l‟agriculture. Ils autorisent un certain montant d‟importation à un
tarif préférentiel (tarif intra quota) et les importations excédentaires seront imposées
au tarif hors Ŕquota (supérieur au précèdent).
Les restrictions volontaires aux exportations (RVE) sont des accords
négociés où le pays exportateur à un niveau prédéfini. Symétriquement, les
expansions volontaires d‟importation définissent la quantité minimale qu‟un pays
s‟engage à importer.
Les subventions aux exportations .Il s‟agit d‟un pourcentage de la valeur
du bien exporté ou d‟un montant par unité de bien s (égal à la différence entre le
cours mondial et le prix inférieur). Elles peuvent être aussi indirectes : crédit à
l‟exportation à taux bonifié, assurances et garanties diverses financées par l‟Etat ou
une agence gouvernementale.
Les taxes aux exportations permettent à un pays ou à un groupe de pays en
monopole sur certains produits d‟améliorer ses termes de l‟échange.
Les subventions à la production font partie de la politique industrielle
114
d‟un pays et peuvent jouer un rôle distorsif sur les échanges internationaux.
Les normes sanitaires, environnementales, techniques et sociales
jouent un rôle grandissant dans les barrières non tarifaires aux échanges.
Enfin, les monopoles d’Etat à l‟export ou à l‟import peuvent, par leur
pouvoir de marché, devenir de puissants outils de politiques commerciales de même
que les aides conditionnelles au développement.
David Laborde : Les instruments du protectionnisme en pratique,
Cahiers Français n°325
2°) Du bilan du protectionnisme à l’élaboration des thèses libreéchangistes.
Les libre-échangistes adressent trois critiques essentiels aux thèses
protectionnistes : protectionnisme est désavantageux du point de vue de la
production nationale ; la protection nuit aux consommateurs nationaux : le produit
protégé connaît une hausse de son prix de vente à l‟intérieur des frontières
douanières ; le consommateur en pâtit et enfin la protection ne contribue pas à
améliorer la qualité des produits.
Ces critiques sont formulées dans l‟analyse des effets des importations dans le
cadre d‟un marché concurrentiel
Figure 8 : Effets des importations sur un marché concurrentiel
Figure 3 :Effet des importations sur un marché concurrentiel
Supposons que l‟industrie nationale soit concurrentielle avec une courbe de
demande domestique D (p) et une courbe d‟offre O (p). En l‟absence de commerce
international, le prix d‟équilibre est alors po et la quantité consommée Qo.
Supposons que l‟offre du reste du monde soit concurrentielle, ce qui donne une
courbe d‟offre horizontale, par exemple en F1 (inférieur à F0). Dans ce cas, s‟il y a
commerce international, le prix d‟équilibre domestique devient F1 et la quantité
consommée passe à Q1 (supérieur à Q0). La production domestique baisse alors de Qo
à Q2 et les importations comblent la différence entre la consommation, Q1 et la
production domestique Q2.
115
Le commerce international améliore le bien-être des consommateurs car ils
consomment davantage à un prix inférieur. Le pays économise des ressources
puisqu‟il ne dépense que F1 pour la partie de la consommation qu‟ils importent
comme pour la partie qu‟il produit, au lieu de F0. Les ressources ainsi économisées
peuvent être affectées à d‟autres usages productifs. Le gain net du commerce
international pour le pays est égal à la somme des triangles A et B.
Supposons maintenant que les entreprises parviennent à convaincre le
gouvernement qu‟il faut instaurer un droit de douane (c'est-à-dire une taxe sur les
importations) t, égal ou supérieur à F0 − F1. S‟ils doivent payer un droit de douane
aussi élevé, les producteurs étrangers cesseront d‟exporter vers ce pays et l‟on sera
ramené à l‟équilibre antérieur (F0 , Q0). Les producteurs domestiques y gagneront la
surface C et les consommateurs y perdront la surface A + B + C. La perte sociale nette
est donc égale au triangle A + B. L‟interdiction directe de toutes les importations
aboutirait au même résultat.
Le bilan des politiques de protection menées jusque dans les années 80 montre
que celles-ci possèdent trois caractéristiques :
D‟abord, c‟est une protection tarifaire élevée qui incite à la production d'un bien
alors que le pays peut souffrir d'un désavantage absolu pour cette production,
Ensuite, une multiplication des exonérations qui sont des dérogations au régime
de droit commun,
Enfin, on procède à un recourt important aux restrictions quantitatives destinées
à compenser les désavantages relatifs ;
Ces caractéristiques ont entraîné, dans le cadre de la libéralisation entreprise par
les PAS, des réformes qui se situent à quatre niveaux :
un système de protection uniquement tarifaire,
une réforme du tarif lui-même,
une réforme de la réglementation du commerce extérieur,
des mesures d'accompagnement.
La doctrine du libre échange prône la suppression de toutes les entraves du
commerce international. Car le libre échange comporte deux avantages bien
évidents. D‟abord, il facilite le développement de la concurrence et entretient en toute
conséquence l‟esprit d‟innovation. Ensuite, il permet un agrandissement du marché
entraînant en même temps le développement de la production de masse et les
avantages qui y sont attachés. La baisse des prix (par étalement des coûts de
production) profitera aussi aux consommateurs. De plus, on évite le risque de pénurie
que comporte la stricte localisation des productions et des marchandises. Ces idées
sont la traduction parfaite de la théorie des avantages qui postule qu‟un pays, une
communauté, se spécialisent dans le domaine de production où ils détiennent un
avantage comparatif et se procurent à l‟extérieur des biens qui leur reviendraient plus
cher de produire eux-mêmes.
Enfin, à la suite des travaux de Sébastian EDWARDS, les libres échangistes
démontrent l‟existence d‟une corrélation positive entre le libre-échange et la
croissance. En fonction de critères qui déterminent le degré d‟ouverture d‟une
économie, ils estiment que la croissance a été deux fois plus élevée dans les pays en
voie de développement libre-échangistes que dans ceux qui pratiquent le
protectionnisme.
116
III/ Négociations commerciales et insertion des pays en voie de
développement dans l’économie mondiale :
L‟achèvement de l‟Uruguay Round en 1994 par la création d‟un organisme de
régulation des échanges, l'Organisation Mondiale du Commerce, a fait faire aux
négociations commerciales internationales des progrès sensibles ces dernières
années. Toutefois, le cycle « du millénaire » qui devrait être lancé à Seattle
(novembre 1999) a finalement été reporté à Doha (novembre 2001) dont
malheureusement le cycle semble rentrer dans l‟impasse. Les raisons tiennent d‟une
part à l‟accroissement impressionnant du nombre de partenaires engagés réellement
dans les négociations (plus de 150) et d‟autre part l‟extrême diversité des sujets et
des préoccupations qui relèvent des politiques publiques (les subventions à
l'agriculture), des questions de droits de propriété (l'accès des pauvres aux
médicaments) et de la problématique des externalités (environnement). Ces
complexités ont rendu les négociations extrêmement difficiles avec l'opposition
manifestée par les pays en développement au processus de libéralisation
des échanges. Ces pays qui sont les plus nombreux dans l‟OMC revendiquent la
mise en œuvre des accords de Marrakech.
1°) La structure actuelle du commerce mondial
L‟analyse de la mondialisation des échanges au cours des cinquante dernières
années montre l‟intégration croissante de l‟économie mondiale même si les
évolutions sont assez contrastées et très différentes. Le contraste le plus saisissant
apparaît au niveau des PVD entre « les pays émergents » et « les pays les moins
avancés » (PMA).En nous fondant sur les statistiques de la CNUCED, entre 1950 et
1998, huit pays en développement classés parmi les principaux exportateurs
d‟articles manufacturés ont presque doublé leur part des exportations mondiales,
alors que dans la même période, la part des 48 PMA était divisée par sept. Comment
expliquer ce contraste spectaculaire ?
Les pays émergents ont réussi à s‟insérer dans cette nouvelle dynamique par
des politiques de diversification de leur tissu économique, d‟attraction des firmes
transnationales procédant à la délocalisation de leur production et par la promotion
des exportations. D‟autres pays du tiers-monde en sont restés à l‟ancienne division
internationale du travail (échange de matières premières contre produits
manufacturés notamment). Pour le cas des PMA, l‟insertion croissante dans le
commerce mondial s‟est manifestée principalement par l‟augmentation des
importations. Il n‟est donc pas surprenant que les pays en développement cherchant
à accroître leurs exportations et à attirer davantage les investissements soient
déterminés à instaurer un commerce mondial plus équilibré. Par ailleurs, la course
aux subventions Union Européenne / USA a eu des conséquences encore plus graves
pour les pays en voie de développement exportateurs de denrées agricoles en
concurrence directe avec les productions typiques des zones tempérées.
Dans ces pays, l‟agriculture reste la principale activité économique. La plupart
sont largement tributaires de leurs exportations agricoles, celles-ci constituant la
source première de recettes en devises. Les pays en voie de développement qui, la
plupart du temps produisent à meilleur prix que les pays développés, se trouvent
concurrencés sur les marchés tiers d‟exportations par les ventes subventionnées
117
américaines ou européennes, sans oublier les exportations à bas prix d‟autres pays
industrialisés contraints d‟entrer dans cette compétition sans merci.
L‟intensification de la guerre de subventions directes à l‟exportation entre pays
riches exportateurs de produits agricoles s‟est traduite pour les pays en voie de
développement par une contraction sensible des volumes exportés, et surtout des
recettes d‟exportations suite à l‟affaiblissement des cours mondiaux. Dans la plupart
des cas, ils ont été amenés à limiter leur production (par exemple les agriculteurs
burkinabé sont démotivés par la faiblesse des prix à la production de coton).
Il est aujourd‟hui largement reconnu que le commerce contribue, de manière
générale, à l‟augmentation du bien être matériel, aux échanges culturels et à la
coexistence pacifique. On observe depuis des décennies un accroissement des
échanges commerciaux qui s‟est accéléré avec les développements technologiques et
la tendance récente vers une plus grande libéralisation. Cette libéralisation a un
aspect principal : les privatisations et déréglementations de l‟économie qui ont fait
tache d‟huile dans un grand nombre de pays en développement. D‟autre part, le
commerce, les produits échangés et leur mode de production sont soumis à de
nombreuses règles en partie entièrement nouvelles au niveau national, régional,
continental ou mondial.
Cette situation suscite les craintes des pays en développement.
De fait, ce qui caractérise les pays en développement, c‟est précisément leur
très faible participation au commerce mondial. Ainsi le continent africain a souffert
d‟une marginalisation progressive ces deux dernières décennies. Avec une économie
fondée exclusivement sur l‟exportation de matières premières et de produits agricoles
dont les prix n‟ont cessé de chuter et une politique économique défavorable au
secteur privé, l‟Afrique est restée en marge du développement technologique et, de ce
défaut, n‟a pu développer des échanges commerciaux de produits à forte valeur
ajoutée.
Face à ces défis, les gouvernements doivent mettre en place un ensemble de
mesures et d‟instruments afin de répondre aux besoins de chaque pays et d‟œuvrer de
la manière la plus adéquate en faveur du développement durable de leur tissu
économique.
Dans cette optique, une approche a été dégagée. Elle concerne le
développement commercial par le renforcement des capacités en matière de politique
commerciale. Il s‟agit, entre autres, d‟apporter un appui technique aux pays pour
l‟adaptation aux règles de l‟OMC, afin qu‟ils puissent défendre leurs intérêts
commerciaux dans les enceintes internationales.
2°) Négociations commerciales et actions en faveur des pays en voie
de développement : du SGP à la nécessité d’élaborer une formule de
négociation pour l’Afrique
Les pays en développement ont donc de formidables défis à relever. Ces pays
ont joué un rôle important dans les négociations de l‟Organisation Mondiale du
Commerce (OMC), réuni à Doha en novembre 2001. Ils ont, à juste titre, demandé
aux grandes puissances commerciales d‟être cohérentes avec leur discours sur le
libre-échange et de les laisser accéder à leurs secteurs protégés (agriculture, textile,
etc.). A côté, il est également souhaité, à défaut d‟un élargissement, tout au moins le
maintien du Système Généralisé de Préférence qui permet un accès plus important
aux marchés des produits exportés par les PSD. Toutefois, certains économistes
libéraux (NELSON, ROSE 2002 ET CLINE, 2004) ainsi que la Banque mondiale
118
estiment que les Préférences non réciproques comme le SGP s‟apparentent à un
marché à la «Faust » dans la mesure où il contrarie le commerce et freine les efforts
que déploient les PSD pour libéraliser leurs économies. Le dispositif de l‟UE est
illustratif du SGP comme le montre l‟encadré qui suit:
Encadré 8 : Le Système de Préférences Généralisées
1)
Le Système de Préférence à l’origine
Initié en 1974 par la CNUCED, le Système de Préférences Généralisées (SPG)
assure des préférences commerciales à l‟ensemble des pays en développement. Il a été
appliqué aux Etats Africains et Malgaches nouvellement indépendants et Associés à la
Communauté Economique Européenne (EAMA). L‟entrée du Royaume-Uni dans la
CEE, e n 1973, ouvre ces avantages aux États du Commonwealth anciennes colonies
de ce royaume.
Il a été appuyé par deux mécanismes de compensation des variations des prix
des produits de base : le STABEX (en 1973) et le SYSMIN (1980).
2) L’extension du SPG
Le SPG va s‟élargir, en fonction des besoins commerciaux de l‟UE, avec les
accords d‟association avec la Méditerranée, les accords de libre-échange avec
l‟Afrique du Sud, le Mexique, les pays du Mercosur, etc. La plupart de ces nouveaux
bénéficiaires exportent les mêmes produits que les ACP. C‟est dire que l‟UE facilite
aussi l‟accès de son marché à des concurrents des ACP. Ce sera la principale source
d‟érosion des préférences commerciales accordées aux ACP.
3) L’initiative «Tout Sauf les Armes» : TSA
Cette initiative de l‟UE «Tout sauf les armes» accorde un libre accès à son
marché à tous les Pays les Moins Avancés, qu‟ils soient du groupe ACP ou non sont
au nombre de 40.
4) Le programme SPG+ ou «Arrangement incitatif spécial pour le
développement durable et la bonne gouvernance»
Le SPG+ est une sorte de prime pour 15 pays en développement d‟Amérique
Latine qui mettent en œuvre des politiques dites de Bonne Gouvernance
(observations de normes démocratiques, respect des droits de l‟homme, de lutte
contre les stupéfiants).
L‟une des tâches essentielles des négociateurs commerciaux et des
responsables politiques est de libéraliser des secteurs-clés dans un sens favorable aux
pays en développement, mais la volonté d‟y parvenir est moins évidente aujourd‟hui.
La réticence de l‟Union européenne à réformer sa politique agricole commune en est
une preuve. D‟ailleurs, elle a obtenu de l‟OMC de différer la réforme en 2013.
Aujourd‟hui, les politiques commerciales s‟intéressent de plus en plus aux
problèmes posés par l‟environnement international, deux raisons au moins
expliquent cet intérêt grandissant : la première est que les thèmes de l‟économie
internationale, qu‟il s‟agisse de la différenciation des produits, du dumping, des
politiques tarifaires, des subventions ou des quotas, sont tous étroitement liés aux
politiques commerciales et la deuxième raison concerne les groupes de pression qui
réclament une protection contre la concurrence étrangère ou qui cherchent à capter
l‟argent des contribuables sous forme de subventions, eux aussi se réfèrent souvent
aux théories du commerce international pour donner une apparence de rigueur à
leurs arguments. Dans cette optique les objectifs et les actions spécifiques poursuivis
par la politique commerciale des PSD vont alors viser entre autres : l‟augmentation
des capacités d‟exportations à travers une politique de diversification des produits à
119
l‟exportation, l‟amélioration de l‟accès aux marchés pour les produits, et le respect des
engagements pris dans le cadre du commerce multilatéral. En effet, il n‟est que juste
de donner aux PSD les moyens de jouer un rôle plus important dans les négociations
multilatérales.
C‟est pourquoi, dans les négociations actuelles du Cycle de DOHA, les pays
africains mettent l‟accent sur une plus grande ouverture des pays des développés à
travers une réduction des tarifs appliqués et surtout l‟abandon des crêtes tarifaires et
de la progressivité des droits. En fait, ces mesures doivent favoriser l‟effort de
diversification des structures productives entamé par ces pays qui cherchent dans le
cadre des négociations internationales à maintenir leur marge de liberté et certaines
protections pour poursuivre leurs efforts de développement. Selon Hakim
BENHAMMOUDA, « Les préoccupations des pays africains ont trouvé un écho
favorable dans la Déclaration de DOHA sur la question de l‟accès aux marchés pour
les produits industriels. Cette déclaration invite les pays membres « à réduire ou,
selon qu‟il sera approprié, à éliminer les droits de douane, y compris à réduire ou
éliminer les crêtes tarifaires, les droits élevés et la progressivité des droits, ainsi que
les obstacles non tarifaires, en particulier pour les produits dont l‟exportation
présente un intérêt pour les pays en développement ». Par ailleurs, la Déclaration de
DOHA a pris en compte les revendications des pays africains de maintenir une
protection afin de poursuivre leur développement industriel. Ainsi, elle souligne que
« les négociations tiendront pleinement compte des besoins et des intérêts spéciaux
des pays en développement et des pays les moins avancés participants, y compris au
moyen d‟une réciprocité qui ne soit pas totale pour ce qui est des engagements de
réduction ».118
Aujourd‟hui, dans les négociations entre pays pour l‟accès à leurs marchés des
formules sont utilisées et qui sont de deux types : les formules dites indépendantes
des droits et les formules dites dépendantes des droits. La caractéristique principale
des formules indépendantes de droits est qu‟elles réduisent les taux de droits
applicables du même pourcentage, quel que soit le niveau du taux initial. Pour les
formules dépendantes de droits, le pourcentage de réduction des taux de droits
dépend du taux de droits initial visé par les négociations.
Encadré 9 : La structure des deux formules de négociation
1°) Les formules indépendantes de droits
De par leur définition les formules indépendantes de droits sont conçues de sorte
qu‟elles ne soient liées d‟aucune manière au taux de droit initial. Formellement
elles sont définies de la façon suivante :
t1  c  t0
où t1 = le taux de droit final issu des négociations,
c = un paramètre
constant, t0  le taux de droit initial visé par les négociations.
D‟après cette formule, le taux de réduction est indépendant du taux de
droit et dépend uniquement du paramètre c . Ainsi cette formule engendre t-elle
une réduction des taux moyen et maximal généraux et de l‟écart type. Cette
Ben HAMMOUDA, Moustapha SADNI-JALAB, Nassim OULMAN : Exclure l‟Afrique des marchés ?
Evaluation de l‟accès aux marchés pour les pays africains. CAPC : Centre Africain des Politiques
Commerciales projet de la CEA
Idem
118
120
formule n‟a pas d‟effet sur le coefficient de variation, ni sur le taux de
progressivité des droits prédéfini.
2°) Les formules dépendantes de droits
Ces formules sont fonction du droit initial. L‟élément important de ces
formules est qu‟elles visent à obtenir des réductions plus importantes pour les
droits les plus élevés. Elles sont aussi appelées formules « d‟harmonisation » car
la dispersion générale du profil tarifaire est alors réduite. Il existe deux types de
formules dépendantes. Les formules dépendantes de droit peuvent être linéaires
ou non.
Les formules de réduction linéaire
Les formules de réduction linéaire s‟écrivent comme suit :
t1  a  c  t0
où t1 , c et t0 sont définis comme précédemment et a = l‟ordonnée à
l‟origine
Cette formule conduit à une réduction proportionnelle de l‟ensemble des
tarifs.
Les formules de réduction non linéaire
Les formules de réduction non linaire s‟écrivent de la manière ci-dessous :
t1 
a  t0
a  t0
où t1 et t0 sont définis comment précédemment et a est un coefficient.
Cette formule a la propriété d‟être à la fois fonction du taux de droit initial et du
coefficient a, lequel peut être négocié. La valeur du coefficient est décisive pour
l‟efficacité de la formule quant à la réduction des taux de droits
Source : Hakim BENHAMMOUDA
Les parties prenantes aux négociations ont présenté chacune une formule qui
permet de déterminer le niveau des concessions.
Au moment où l‟Afrique cherche à élaborer sa formule, il importe de présenter
brièvement celle de l‟OMC proposée par l‟ambassadeur Girard. Les droits de douane
pour les produits non agricoles seront réduits ligne par ligne au moyen de la formule
appliquée au taux de base :
t1 
B  t a  t0
B  t a  t0
Où
t1 est le taux final , à consolider en termes ad valorem
t0 est le taux de base
ta est la moyenne des taux de base
B est un coefficient ayant une valeur unique à déter min er par les participants
Dans le débat sur la technique sur les formules, les pays africains veulent la
définition d‟une formule capable de prendre en compte trois préoccupations
principales :
Cette formule doit assurer une plus grande ouverture des marchés des pays
développés pour les produits en provenance des pays africains à travers une
121
baisse des tarifs élevés et la disparition des crêtes tarifaires et la progressivité
des droits de douane
Cette formule doit comporter une large part de traitement spécifique et
différencié et favoriser une certaine protection des économies des pays en
développement afin de leur permettre de poursuivre et renforcer leurs
dynamiques de croissance
Cette formule doit maintenir les avantages acquis par les pays africains dans
le cadre des différents traitements préférentiels et renverser en conséquence
cette tendance à l‟érosion des préférences qui accompagnent la libéralisation
des échanges.119
Les politiques ont toujours évolué entre un certain degré d‟ouverture et un
certain degré de protectionnisme. Toutefois, la période apparue après la deuxième
Guerre mondiale a été nettement dominée par une phase de libéralisation des
échanges réalisés sous l‟impulsion des USA et un accès fondamental autour du GATT.
Cette libéralisation a coïncidé avec une grande expansion du commerce mondial
d‟une part, et d‟autre part une croissance économique soutenue.
La globalisation se manifeste par une intensification de la division
internationale du travail, particulièrement au niveau des régions, des branches
économiques et des firmes.
Les pays émergents bénéficient de ce dynamisme en fonction de leur potentiel
de production, de la taille de leur marché intérieur, ainsi que leur aptitude à
l‟innovation technologique et à la diversification des produits.
Beaucoup de pays en développement sont encore faiblement intégrés sur le
plan régional. Ils sont spécialisés dans des productions primaires mal rémunérées et
leur secteur manufacturier n‟attire guère les investissements. Ils sont mal insérés
dans le nouvel ordre mondial.
Il n‟est donc pas surprenant que les pays en développement cherchant à
accroître leurs exportations et à attirer davantage d‟investissements soient
déterminés à poursuivre des politiques commerciales qui visent (entre autres) à
l‟amélioration de l‟accès aux marchés pour les produits et au respect des engagements
pris dans le cadre du commerce multilatéral, dans le but d‟instaurer un commerce
mondial plus équilibré. Le devoir qui nous est soumis va dans ce sens.
119
122
123
Domaine souvent mal exploré, sous-analysé, les problèmes monétaires et
financiers ont un rôle primordial dans les politiques de développement. Que les
politiques essentiellement macroéconomiques soient les plus déterminantes en
dernière instance, cela ne fait pas de doute. Toutefois, les interactions et diverses
corrélations entre les données réelles et nominales sont telles qu‟il est pratiquement
impossible d‟évacuer les questions financières et monétaires sans risque de rester
partiel. C‟est pourquoi, cette partie de l‟ouvrage reprend le débat sur le financement
du développement. En effet, face au déficit d‟épargne caractéristique des PSD surtout
africains, la question se pose de savoir sur quelles ressources ces pays peuvent
compter pour soutenir le financement de leur développement ? Les quatre sources
principales
de
financement entrevues sont : le système financier interne,
l‟endettement, l‟Aide Publique au Développement et les Investissements Directs
Etrangers. Trois sources sur quatre sont d‟origine externe. Quels sont les modes les
plus efficients pour combler la pénurie de capitaux propres aux PSD ?
Dans la déclaration de MONTERREY sur le financement du développement il
est noté que l‟action commune en faveur de la croissance, de l‟élimination de la
pauvreté et du développement durable impose une mission essentielle : instaurer
dans chaque pays les conditions requises pour mobiliser l‟épargne publique et privée
qui servira à financer l‟investissement nécessaire dans les biens productifs et le
développement humain. Pour cela, il est impératif de disposer d‟un cadre national
favorable et indispensable pour mobiliser les ressources nationales, accroître la
productivité, réduire la fuite des capitaux, stimuler le secteur privé et attirer
l‟investissement étranger et l‟aide internationale et les employer à bon escient.
Comment s‟organisent au niveau interne particulièrement des PSD, les
politiques de mobilisation des ressources financières nationales au service du
développement économique et social ? La question est d‟autant plus pertinente que
les politiques monétaires, aujourd‟hui, face à la mondialisation toujours plus poussée,
se trouvent de plus en plus biaisées et confrontées à des contraintes quant à leur mise
en œuvre. En plus, elles traversent une grave crise d‟efficacité avec la globalisation
financière. Les banques centrales ont moins de contrôle sur les banques de second
rang car elles ont perdu l‟exclusivité relative et leur pouvoir d‟action qui obéit
désormais à des règles régionales et parfois internationales.
Dans cette optique, la libéralisation financière est préconisée sinon imposée
par les institutions financières internationales comme la politique incontournable
pour le financement du développement par mobilisation de l‟épargne intérieure.
La pensée économique sur une quantité impressionnante de recherches a
clairement établi la corrélation entre les conditions financières et la croissance bien
que les économistes aient eu des opinions différentes en ce qui concerne
l‟importance de ce lien. Dans ce sens, W.BAGEHOT (1873) et J.HICK (1969) avaient
soutenu que le système financier a initié l‟industrialisation en Angleterre en facilitant
la mobilisation du capital pour d‟immenses travaux » d‟infrastructures,
J.SCHUMPETER (1912) avait soutenu que le bon fonctionnement des banques a
imposé l‟innovation technologique en identifiant et en finançant ceux des
entrepreneurs qui ont de meilleures chances d‟innover les produits et les processus de
production. Et plus récemment, Mc KINNON et SHAW ont développé des modèles
économiques dans lesquels la libéralisation et le développement financier accélèrent
la croissance. Cette libéralisation trouve ses fondements au niveau de deux
principaux axes :
D‟une part, le rejet des politiques monétaires de M. FRIEDMAN fondées sur
des règles fixes de décélération de la croissance de l‟offre de monnaie. Ces
124
politiques ne favorisent pas la production et affaiblissent la croissance : un
système flexible de taux d‟intérêt bancaires peut permettre l‟augmentation des
taux d‟intérêts nominaux ce qui va entraîner une hausse de l‟épargne, puis des
marges bancaires. Il devrait s‟en suivre une augmentation de l‟investissement
en volume et conséquemment la croissance de la production en volume.
D‟autre part, la libéralisation financière est portée par une volonté de réprimer
le « marché noir » du crédit (économie souterraine ou marché informel). En
effet, la différence entre les taux d‟intérêt débiteurs informels et créditeurs
aussi bien dans le secteur informel, que dans le secteur officiel. Ce qui a pour
effet une réduction des fonds prêtables dans l‟économie aura pour
conséquence la dépendance de la décision d‟investissement ex-ante au niveau
de l‟épargne préalable. C‟est le principe de la monnaie relais au capital de Mc
KINNON selon lequel, il existe une complémentarité entre capital physique et
capital financier en l‟absence de marché boursier et d‟intermédiation
financière.
En somme, Mc KINNON et SCHAW concluent les PSD souffrent moins d‟un
manque de ressources financières que d‟une intermédiation essentiellement bancaire
devenue inefficace du fait des distorsions liées à l‟administration des taux d‟intérêt.
Cela représente les symptômes de la répression monétaire terme que MC KINNON a
employé en 1973 pour montrer tout simplement que le système financier des PSD
est réprimé, c‟est-à-dire contraint à rester petit à cause des nombreuses interventions
de l‟État. La conséquence de ces interventions est le maintien des taux d‟intérêt réels
à un niveau très bas, voire négatifs. Généralement, le gouvernement se sert du
système financier pour financer ses projets prioritaires de deux façons :
Imposition des réserves obligatoires et manipulation des ratios de liquidité au
sein du système bancaire et ce faisant, l‟État attire le public vers ses propres
instruments (bons du Trésor).
La dépréciation du taux d‟intérêt par le mécanisme du plafonnement sur les
prêts, ce qui crée un excès de demande de crédit avec comme conséquence
l‟obligation du système bancaire d‟appliquer un système de crédit sélectif.
Dès lors, les éléments de la répression financière matérialisés dans le
plafonnement du taux d‟intérêt, le taux élevé de réserves obligatoires, la politique
directe de crédit et la taxation discriminatoire des intermédiaires financiers vont
exercer des effets dévastateurs dans les politiques de financement du développement
au niveau des PSD.
Ainsi la répression financière conduit à une allocation inefficiente des
ressources. Analytiquement, il existe une incidence négative sur la fonction
d‟investissement. Si dans les pays développés cette fonction dépend positivement de
la variation de la production et négativement du taux d‟intérêt dans les PED avec
système financier réprimé, cette fonction ne dépend pas du taux d‟intérêt mais plutôt
de la demande d‟encaisses réelles et de façon positive. Ceci signifie que désormais la
demande de monnaie et la demande d‟investissement augmentent parallèlement du
moins tant que la trappe d‟investissement n‟est pas atteinte. Au-delà de cette trappe,
l‟investissement devrait être sensible au taux d‟intérêt car dans ce cas toute hausse du
taux d‟intérêt créditeur par exemple supérieur au taux de rendement réel du capital
incitera l‟investisseur à préférer les placements d‟épargne au détriment de
l‟accumulation physique du capital. Ceci constitue l‟effet de substitution entre capital
liquide, capital financier et capital physique qui domine désormais. La
complémentarité monnaie capitale est de ce fait interrompue au-delà de la trappe
d‟investissement. Rappelons que la trappe d‟investissement constitue le seuil
125
maximum à autofinancer à partir duquel l‟investissement devient sensible au taux
d‟intérêt. Dans une économie financièrement réprimée, cette trappe est trop élevée.
En outre le fait de bloquer les taux d‟intérêt bancaires, c‟est-à-dire ix = i0 (taux de la
trappe à la liquidité) a comme effet de réduire l‟incitation à l‟épargne financière et à
l‟épargne liquide placée auprès des banques. Il en résulte un niveau d‟encaisses
constituées par les ménages très faible mais aussi par les investisseurs épargnants de
sorte que l‟autofinancement nécessaire à l‟accumulation du capital est réduit. C‟est
ainsi qu‟une politique de répression financière contraignante à la baisse des taux
d‟intérêt bancaires limite la croissance des investissements ainsi que la croissance
économique voire même le développement dans son ensemble.
Ces références d‟analyses financières constituent les fondements mêmes des
politiques de libéralisation financière prônées par les Institutions Financières
Internationales dans le cadre des Programmes d‟Ajustement Structurel. En prenant
l‟expérience de l‟Afrique de l‟Ouest, une forme de répression financière sévit toujours
dans la sous-région avec un taux élevé de réserve obligatoire auprès de la Banque
Centrale. Même si KAPUR (1992) reconnaît qu‟elle assure la stabilité à l‟ensemble du
système financier, force est de constater que ces réserves sont particulièrement
élevées au sein de l‟UEMOA, Ary TANIMOUNE (2001) rapporte le niveau des
réserves obligatoires constituées par les banques auprès de la BCEAO représente sept
(7) fois le niveau requis en juin 1999. Une politique adéquate visant à utiliser, ne
serait- ce qu‟une partie de ces ressources à des fins d‟investissement ne pourra que
promouvoir la croissance et le développement.
La volatilité du taux de change réel ou une surestimation irrégulière de la
monnaie domestique ne sont pas en faveur de la croissance du ratio d‟épargne. Ce
type de politique cause du tort à la croissance à cause de leurs impacts négatifs sur
l‟épargne et l‟irréversibilité de l‟investissement. Dans ces conditions, il serait de
l‟intérêt de la BCEAO d‟opter pour une politique de change flexible capable d‟amortir
des chocs externes et d‟assurer la compétitivité des produits des entreprises de la
sous-région face à une concurrence internationale assez sévère.
Dans ce sens, les réformes entreprises par l‟UEMOA à partir de 1989 et 1993
l‟étaient en référence directe aux mesures préconisées par les institutions financières
internationales dans le cadre des programmes d‟ajustement structurels. Ces réformes
portaient sur la libéralisation des taux d‟intérêt et la mise en place des programmes
de restructuration bancaires (instauration de dispositif de régulation prudentielle,
renforcement de la capacité de surveillance des banques centrales, apurement des
arriérés de l‟État, recouvrement des créances douteuses, fermeture des banques
insolvables) et la création d‟un marché monétaire.
Les principales mesures intervenues ont été prises pour l‟essentiel en 1989 et
1993. La Banque Centrale des États de l‟Afrique de l‟Ouest (BCEAO) a
significativement modifié sa politique de gestion des taux directeurs en 1989 avec le
remplacement du taux d‟escompte préférentiel et du taux d‟escompte normal par un
taux d‟escompte unique. En 1993, il est mis en place le taux de prise en pension, un
nouveau taux directeur intermédiaire entre le taux du marché monétaire et le taux
d‟escompte. Quant au marché monétaire, il a été créé en 1975, avec un compartiment
au comptant et deux à terme (à un et trois mois depuis 1978) avec un taux fixé par la
BCEAO selon l‟adjudication mixte. Toutefois les nouvelles options de libéralisation
ont conduit aux mesures qui suivent :
création d‟un marché interbancaire ;
création d‟un guichet d‟appel d‟offres et la fusion des trois compartiments en
un seul guichet hebdomadaire en 1993 ;
126
mise en œuvre d‟une politique d‟open market et en 1998 ;
suppression en 1998 de l‟adjudication à la hollandaise de la BCEAO qui était
adoptée en 1996.
Cependant, en ce qui concerne les conditions des banques applicables à la
clientèle, les taux débiteurs planchers ont été supprimés en 1989 et la libéralisation
totale des taux débiteurs est intervenue en 1993 avec la suppression des taux
plafonds. Toutefois les banques ne doivent pas charger des taux d‟intérêt supérieurs
au taux d‟usure fixé par les autorités monétaires. Les banques ont été autorisées à
rémunérer librement les dépôts privés à vue et les placements privés à terme de
moins de 500 000fcfa à partir de1989. À l‟exception de la rémunération minimale
pour placements contractuels (principalement les comptes d‟épargne sur livret),
toutes les autres conditions créditrices ont été libéralisées en 1993.
Enfin, les institutions de Brettons Woods ont très fortement recommandé le
développement des marchés boursiers qui constituent un élément important de la
libéralisation financière dans les années 1980. En effet, la libéralisation du secteur
bancaire doit contribuer à l‟amélioration de la croissance économique, dés lors, il
importe de définir le rôle des bourses dans le développement économique des pays.
À cet effet, la création du marché financier régional de l‟UEMOA visait trois
objectifs : la contribution à l‟augmentation du taux d‟épargne et à l‟accroissement de
l‟offre de capitaux à long terme, la diversification des moyens de financement des
entreprises et la modification de leur structure financière en vue du renforcement des
fonds propres et la réduction des coûts d‟intermédiation financière.
C‟est ainsi que la bourse des valeurs mobilières d‟Afrique de l‟Ouest (BRVM)
initialement prévu pour le 18 Décembre 1997 a été lancé avant fin 1998 en Côte
d‟Ivoire. Elle remplace la bourse de valeurs d‟Abidjan (BVA) de la Côte d‟Ivoire, et
sous la direction de la BCEAO, elle est devenue une bourse régionale. Elle regroupe
les huit pays membres de l‟Union et constitue un seul et même marché financier, et
elle est conçue comme devant être un marché de placement pour les opérateurs
locaux.
Pour accompagner la libéralisation du système bancaire, il était indispensable
de redynamiser le marché financier de l‟Union à travers les défis suivants à relever :
la poursuite des efforts de stabilisation du cadre macroéconomique dans les
pays de l‟UEMOA , avec la mise en œuvre de politiques économiques saines au
niveau national et coordonnées à l‟échelle régionale de manière à préserver les
conditions d‟une croissance durable et forte ;
l‟‟intégration de la réalité du marché financier de l‟Union dans les plans de
financements des États ;
l‟accompagnement de la dynamique du marché par une fiscalité harmonisée et
incitative sur les valeurs mobilières et les entreprises accédant au marché, afin
de garantir notamment la compétitivité des opérations :
le renforcement de la surveillance et le contrôle des opérations de marché et
adopter la réglementation en vigueur aux impératifs de transparence de
compétitivité et de sécurité des investissements grâce à une rationalisation
accrue des missions et des activités de l‟organe de régulation ;
la consolidation du professionnalisme des acteurs.
L‟expérience du Sénégal est assez édifiante en matière de libéralisation
financière. Les difficultés financières auxquelles se trouvaient confrontée la plupart
des établissements de crédits du pays ont été aggravées par une crise du système
bancaire qui a touché la plupart des secteurs économiques de ce pays. En effet, le
système bancaire connaissait des problèmes de rentabilité et de solvabilité et pour
127
résoudre ce problème la BCEAO et les Institutions Financières Internationales ont
recommandé un vaste programme de réforme avec pour objectif la libéralisation
financière seule à même de créer un environnement propice aux affaires capable de
mobiliser et distribuer l‟épargne intérieure, d‟attirer les capitaux étrangers et de
faciliter les transactions commerciales afin d‟avoir une croissance économique dans
la stabilité des prix et la sauvegarde de la valeur de la monnaie commune. Cependant
des objectifs intermédiaires ont été définis comme l‟assainissement financier des
banques : cet assainissement financier visait à rétablir les équilibres fonctionnels et
réglementaires applicables aux institutions de crédit, la réduction de l’intervention de
l’État dans la gestion des banques et à ramener à moins de 25% la participation de ce dernier aux
fonds propres et le démantèlement de la Banque Nationale de Développement.
Une étude théorique et empirique de l‟impact de la libéralisation financière
sur la croissance économique au Sénégal a abouti aux recommandations de politique
économique qui suivent „(en encadrées) :
Encadré 10 : Exemple de politique de libéralisation financière au Sénégal
→ Puisque le système bancaire est dominant dans le système financier, il
convient de veiller à sa solidité par une application stricte et sans condition des
règles de supervision et de réglementation prudentielles adaptées afin de pouvoir
repérer les maladresses et trouver les remèdes appropriés.
→ Revoir d‟avantage les mécanismes de transmission notamment les taux
d‟intérêt réels par son relèvement qui permettra une amélioration du taux d‟épargne
domestique et par ricocher un relèvement de la croissance économique. Cependant
une bonne politique de distribution des fruits de la croissance est nécessaire pour ne
pas favoriser certaines couches sociales au détriment des autres mais aussi inculquer
une bonne culture d‟épargne à la population.
→ Revoir les politiques de crédit pour l‟élargir à toutes les couches de la
population. Ceci pourrait se réaliser par une bonne suivie des systèmes financiers
décentralisés (SFD) pour une plus grande mobilisation de l‟épargne et
l‟élargissement des gammes de crédits octroyés.
→ S‟assurer toujours de la stabilité macroéconomique, mais aussi tenir
compte de l‟efficience des marchés financiers et de la stabilité du système financier
mondial.
→ Développer des institutions financières non bancaires et des marchés
monétaires et financiers. En effet l‟amélioration et l‟éventuelle privatisation des
banques, le développement des institutions financières non bancaires et des marchés
monétaires et financiers permettront de diversifier les systèmes financiers. Les fonds
de pension et les compagnies d‟assurances, une fois correctement réglementés et
gérés pourraient jouer un rôle de plus en plus important dans la mobilisation de
l‟épargne et le financement de l‟investissement à long terme.
Dans la quasi-totalité des PSD, la capacité de financement interne est limitée
suite au déficit global d‟épargne et à l‟énormité des besoins de financement. Le déficit
d‟épargne procède de deux éléments qui déterminent son niveau à savoir le revenu
national est la consommation.
L‟épargne intérieure est un résidu et se définit comme la partie non
consommée des revenus ce qui permet d‟écrire dans une conception keynésienne
Y-C=S
et lorsque l‟économie est ouverte on peut écrire que :
128
Y = C + I + E Ŕ M d‟où il découle que Y Ŕ C = I + E Ŕ M
Cela Fait apparaître les facteurs E et M qui, dans un pays en développement,
sont importants. En effet, les importations sont nécessaires à la réalisation de bons
nombres de projets et, de façon générale, pour l‟équipement de base et surtout sa
partie liée à industrialisation.
Face aux dépenses de consommations toujours croissantes, l‟apport de l‟État,
des entreprises et des ménages dans la formation de l‟épargne reste faible. En effet,
les fortes tendances à la consommation et surtout celles de l‟hyperconsommation
urbaine ne favorisent pas la formation de l‟épargne subséquente. Au niveau de l‟État,
dans la quasi-totalité des PSD, en dehors des pays pétroliers, les excédents de
recettes sur les dépenses publiques sont souvent nuls ou de très faible niveau. La
caractéristique commune des PSD est le déficit des finances publiques par suite de la
surcharge des États. Du coté des entreprises privées d‟origine nationale comme celles
issues des IDE, le volume d‟épargne dégagé peut être appréciable mais sa
mobilisation et sa transformation en investissements se heurtent à plusieurs
contraintes qui pèsent sur elles comme le retour d‟investissement, l‟amplification des
risques et des instabilités qui amoindrissent la confiance, les coûts élevés de
transaction. Quant aux ménages, confrontés à une augmentation constante du coût
de la vie et poussés à dépenser au-delà de leurs revenus, notamment par le jeu de
l‟effet de démonstration, les propensions à épargner demeurent très peu
significatives.
Dans une analyse globale de l‟épargne dans les PSD, Elias GANNAGE 120121
chiffre entre 1 et 2% du PNB de l‟ensemble des pays en développement l‟épargne
publique, alors que cette dernière évolue entre 5 et 7% dans les pays développés
d‟après le même auteur qui, par ailleurs conclut à un recul de l‟épargne des ménages.
Dans ces conditions, il semble que la source dont l‟apport est le plus important
demeure l‟épargne des sociétés constitué par les provisions pour dépréciation et par
les bénéfices non distribués. Mais le problème est de savoir si cette composante de
l‟épargne intérieure atteint un volume pouvant compenser la baisse constatée au
niveau de l‟État et des ménages et si elle est susceptible de porter le taux d‟épargne à
un niveau suffisant pour la couverture des investissements.
À cet égard, si on se réfère à la corrélation entre la croissance du PIB et celle
de l‟épargne, selon laquelle « dans un pays où le taux de croissance du PIB est faible,
généralement inférieur à 5%, le taux d‟épargne interne baisse, on peut conclure à un
taux d‟épargne faible dans les pays en développement.
Dans ce contexte, le financement du développement dépendra principalement
de l‟extérieur sous les formes traditionnelles d‟endettement, d‟Aide au
développement et des IDE. On peu alors se demander si ces ressources sont
suffisantes pour combler l‟écart entre les niveaux des investissements projetés et de
l‟épargne intérieure ?
Pour la moyenne africaine l‟épargne était d‟environ 16% du PIB en 2003 alors qu‟elle atteignait la
même année 42% en Asie Orientale.
121 Elias GANNAGE : Le Financement du développement
120
129
Encadré 11 : Déclaration de la Conférence mondiale de Monterrey sur le
financement du développement
1. Nous, chefs d‟État et de gouvernement, réunis à Monterrey (Mexique) les 21
et 22 mars 2002, sommes résolus à résoudre le problème du financement du
Développement dans le monde, en particulier dans les pays en développement.
Notre Objectif est d‟éliminer la pauvreté, d‟atteindre une croissance économique
soutenue et de promouvoir le développement durable à mesure que nous
progressons vers un système économique mondial véritablement ouvert à tous et
équitable.
2. Nous notons avec inquiétude que selon les estimations les plus récentes, les
ressources mobilisées sont tout à fait insuffisantes pour réaliser les objectifs de la
communauté internationale en matière de développement, notamment ceux énoncés
dans la Déclaration du Millénaire1.
3. Afin que le XXIe siècle soit le siècle du développement pour tous, notre
première démarche consistera à mobiliser et utiliser plus efficacement les ressources
financières et à réunir les conditions économiques nationales et internationales
requises pour atteindre les objectifs de développement de la communauté
internationale, notamment ceux énoncés dans la Déclaration du Millénaire, pour
éliminer la pauvreté, améliorer la situation sociale et élever le niveau de vie, et
protéger l‟environnement.
4. La réalisation des objectifs de développement de la communauté
internationale, notamment ceux énoncés dans la Déclaration du Millénaire, appelle
un nouveau partenariat entre les pays développés et les pays en développement.
Nous nous engageons à appliquer des politiques rationnelles, à instaurer une bonne
gouvernance à tous les niveaux et à assurer la primauté du droit. Nous nous
engageons également à mobiliser les ressources nationales, à attirer les flux
internationaux, à promouvoir le commerce international en tant que moteur du
développement, à intensifier la coopération financière et technique internationale
pour le développement, le financement viable de la dette et l‟allègement de la dette
extérieure et à renforcer la cohérence des systèmes monétaires, financiers et
commerciaux internationaux
Cette partie de l‟ouvrage réactualise les analyses sur la politique de
financement du développement au niveau des PSD et qui se ramène principalement
à trouver les mécanismes de mobilisation des ressources internes et externes pour le
financement des investissements. C‟est dans ce sens que la Conférence des Nations
Unies sur le Financement du développement de MONTERREY recommande la mise
en œuvre de politiques de mobilisation et d‟utilisation efficiente des ressources
financières et la prise de mesures pour attirer les investissements directs, intensifier
la coopération financière et technique internationale pour le développement, le
financement viable de la dette et l‟allègement de la dette extérieure.
Le premier chapitre de cette quatrième partie traite de la politique monétaire
composante essentielle des politiques de régulation. La politique monétaire interne
comprise comme
l‟ensemble des actions visant à influencer les variables
économiques ou objectifs finals (prix, niveau d‟activité, emploi, équilibre externe) par
le biais d‟une double action sur les taux (coût de la monnaie) et sur la liquidité
(volume) est diversement conduite dans les différents pays. Si nous avons une bonne
connaissance des principes généraux, il est pratiquement impossible de passer en
revue la manière dont les appareils financiers ont été structurés, l‟usage qui en est fait
et la manière dont ils influent sur le développement. La diversité des situations, les
130
divergences dans l‟organisation des systèmes financiers, les différences des modes de
connexion avec les appareils économiques ne facilitent pas l‟analyse des politiques
monétaires internes. Ayant déjà étudié les deux formes d‟action de la politique
monétaire à savoir l‟action sur les taux et l‟action sur les liquidités, il reste à voir ce
qu‟apporte l‟appartenance à une zone monétaire dans les deux objectifs de
financement du développement et de la lutte contre l‟inflation. Également, quel est
son apport à la gestion monétaire et financière ?
Le deuxième chapitre traite de l‟endettement qui est considéré par la théorie
économique comme un moyen de financer les investissements dans le cadre d‟un
déficit d‟épargne. Or, dans la plupart des PSD, la dette traduit un déséquilibre
structurel pouvant mener à de graves crises d‟insolvabilité. Indiscutablement,
l‟endettement extérieur des PSD, surtout africains, n‟a pas servi à financer son
développement, notamment son industrialisation qui, s‟appuyant sur une agriculture
modernisée et performante et bénéficiant de la surabondance des capitaux, aurait pu
se réaliser. Quel est le profil de la dette ? Comment résoudre l‟endettement des PSD ?
Le troisième
et le quatrième chapitre traitent respectivement des
Investissements Directs Étrangers (IDE) et de l‟Aide publique au Développement
(APD). Les IDE sont considérés aujourd‟hui comme indispensables pour le
financement du développement ce qui amène les États à opérer beaucoup
d‟aménagement de leurs espaces pour les rendre attractifs à ces ressources. Malgré
tous les efforts ces capitaux n‟empruntent pas encore le chemin des pays africains.
Quelles en sont les raisons ? La question est d‟autant plus importante que malgré les
nombreuses conférences internationales l‟APD baisse quantitativement et
qualitativement.
131
CHAPITRE 19
POLITIQUE MONÉTAIRE, APPARTENANCE A UNE
ZONE
MONÉTAIRE ET FETICHISME DE L’INFLATION.
Les mécanismes monétaires ne sont pas créés pour eux-mêmes. Ce sont des
instruments qui facilitent la production et les échanges. En conséquence, comme
dirait R. NURSKE, les instruments monétaires doivent refléter les mécanismes
productifs et s‟y conformer. D‟ailleurs, TCHUANDJANG POUEMI s‟érige contre ces
préjugés aussi difficiles à détruire qu‟un atome. En effet, de son point de vue, les
préjugés sur l‟inefficacité des politiques monétaires conduisent souvent à se
dispenser même de toute tentative. On sait à priori que l‟épargne est nulle parce que
le revenu est faible, on ne cherche donc pas à mobiliser celle qui existe. On sait aussi
que la planche à billets est inflationniste, on s‟interdit de façon rigide tout déficit
budgétaire, ou bien, à l‟opposé, on ne mesure pas les limites du déficit et on dérègle
les mécanismes avec les dépenses de l‟État.
C‟est pourquoi l‟aspect monétaire de la politique économique est d‟une
importance capitale dans la mesure où la politique monétaire a pour principal
objectif l‟adaptation de l‟offre de monnaie de l‟ensemble du système bancaire aux
besoins des agents qui réalisent les activités économiques et financières internes et
externes. Ainsi par le biais de ses moyens d‟action que sont le maniement du taux
d‟intérêt et le contrôle du crédit, la politique monétaire régule l‟activité économique
dans le sens des objectifs projetés par la politique économique comme par exemple
l‟accélération de la croissance, la création d‟emplois, la stabilité de la valeur de la
monnaie elle-même. La Banque Centrale Ŕ qui est la banque des banques et de l‟État,
en même temps qu‟elle est émettrice de la monnaie Ŕ est chargée de la fixation et du
contrôle des objectifs de la politique monétaire. Pour ce faire, elle détermine le
volume des agrégats monétaires et leur limite de progression, fixe et contrôle le
niveau du taux d‟intérêt, surveille et régule la monnaie sur le marché des changes.
Par les instruments d‟action comme le maniement du taux d‟intérêt et l‟encadrement
du crédit, les autorités monétaires agissent directement sur la liquidité des banques.
Et une mauvaise politique monétaire peut être à la base de perturbations
préjudiciables au développement. La politique monétaire est dite indépendante
lorsque tous les attributs de la création et de la gestion monétaire relèvent d‟un
exercice totalement souverain avec des moyens diversifiés de contrôle du système
bancaire et de crédit. Elle est dite dépendante lorsque son élaboration est
abandonnée à des autorités externes ou en cas d‟adhésion à une union monétaire avec
une monnaie satellite et des monnaies dépendantes.
Dans les PSD, la politique monétaire soulève beaucoup de problèmes
particuliers qui tiennent, d'une part, à la nature et à la structure des institutions
monétaires, d'autre part, aux objectifs de cette politique. En effet, dans les PSD la
politique monétaire se heurte à de sérieux handicaps structurels, tant et si bien que
l‟on peut se demander s'il est possible d'entrevoir une bonne politique monétaire
dans une économie où les milieux de propagation monétaire n'existent pas, où la
banque centrale n‟est pas parfaitement adaptée au fonctionnement réel de toute
l‟économie du pays sous-développé, où le système bancaire intégré ne fonctionne pas
et où il n'existe ni marché monétaire, ni marché financier.
Dans la plupart des pays, l‟infrastructure bancaire, bien qu‟inadaptée aux
besoins des économies fortement clivées, reste encore insuffisante et très peu
spécialisée. Le renforcement des banques de dépôt, ou d'affaires, la création
d'organismes de crédit agricole, l'établissement d'un réseau d'institutions d'épargne
132
sont indispensables à la promotion et à l‟orientation de l'investissement ainsi qu'à la
mobilisation et à la distribution des ressources financières disponibles. Les banques
spécialisées comme le crédit maritime, hôtelier, immobilier, industriel sont soient
inexistantes, soient dépourvues de ressources suffisantes et appropriées. Pendant ce
temps, le réseau bancaire commercial est surdéveloppé.
Il reviendra à la Banque Centrale d‟assumer des tâches importantes de
contribution à la création et au fonctionnement de structures bancaires solides. Sa
fonction de banque des banques va revêtir une portée exceptionnelle, car elle doit
substituer aux techniques relativement strictes et rigides, des règles plus souples de
soutien d‟un système bancaire auquel se posent principalement des problèmes de
crédit à moyen terme et à long terme, des tâches de financement de l‟ investissement
plus encore que de financement commercial122. Elle peut rendre aussi d'éminents
services dans le domaine des échanges extérieurs et des changes. C'est dire qu‟elle ne
peut se limiter à ses missions strictement techniques conventionnelles de contrôle
de la liquidité et du taux d‟intérêt. Elle doit y ajouter des missions de promotion des
institutions monétaires et d'organisation d'un milieu de propagation monétaire. Il
s‟impose une diversification et une spécialisation des établissements ayant une
vocation financière. De telles actions permettent l‟élaboration d‟une politique
monétaire au service du financement du développement, qui n‟exclut pas l‟utilisation
de processus inflationnistes contrôlés. En somme «les banquiers peuvent faire
beaucoup, et plus encore avec une banque centrale que sans elle.123 »
Les observations qui précèdent permettent de mieux envisager les objectifs de
la politique monétaire et le principal débat auquel leur discussion donne lieu : le
débat sur l‟inflation dans ses rapports avec le développement économique.
L‟inflation est toujours présentée comme un phénomène ruineux et
perturbateur. Les Institutions Financières finissent par établir un véritable fétichisme
du phénomène inflationniste érigé au rang de grande malédiction de la gestion
monétaire. Contrairement à cette assertion, A. LEWIS et, plus systématiquement
encore Earl J. HAMILTON124, se fondant sur une expérience historique, soutiennent
qu‟il n‟y a pas de développement sans inflation et même mieux, l‟inflation doit être
utilisée par les PSD pour élever les profits, transférer au groupe social qui épargne et
investit des ressources qui seraient autrement consommées et par conséquent, pour
stimuler l‟investissement. Dans le même sens Maurice DOBB estime qu‟une dose
modérée d‟inflation est souhaitable pour favoriser des mouvements de travailleurs
sur une large échelle et pour accroître les fournitures de denrées alimentaires et de
matières premières par les villages aux villes125. Les effets pervers de l‟inflation sont
parfaitement maîtrisables126.
El BENISSAD essaie d‟apporter la preuve, à partir d‟un système économique
que l‟on pourrait qualifier de semi-libéral. Il formule un ensemble de cinq hypothèses
pour défendre rigoureusement sa position127 à l‟égard de l‟inflation :
La première hypothèse porte sur le postulat de l‟existence d‟une pénurie
d‟épargne eu égard aux besoins énormes d‟accumulation de capital. Cette hypothèse
est expressive de la situation actuelle des PSD où les salariés ont une forte propension
à consommer et où les titulaires de hauts revenus ont tendance à ajuster leur
122 Cf. l'intéressant essai de R.S. SAYERS: Central Banking in Underdeveloped Areas, dans
Central Banking after Bagehot, (Londres, 1957).
123 SAYERS, op. cit. p. .133.
124
126
127
Voir à ce sujet, D. SEERS: Inflation and Growth: a summary experience in Latin America.
Voir R. PREBISCH: Economic development in Latin America and its economic problems.
133
consommation sur celle des pays développés si bien que le volume d‟épargne
disponible est relativement faible.
La deuxième hypothèse porte sur l‟existence d‟une classe d‟entrepreneurs
publics ou privés, dynamique et capable de saisir les diverses occasions
d‟investissement qui peuvent se présenter et profiter d‟éventuelles hausses des prix.
La troisième hypothèse concerne l‟existence d‟une illusion monétaire dont
seraient victimes les salariés qui se trouvent de fait dans l‟impossibilité d‟élever le
niveau de leur salaire réel en l‟absence d‟une hausse de la productivité du travail.
La quatrième hypothèse est l‟existence d‟une économie ouverte caractérisée
par une diminution ou une stagnation du secteur de l‟exportation « par suite de la
faiblesse des élasticités prix et revenus de la demande internationale ». E. BENISSAD
utilise cette hypothèse d‟une limitation effective des importations pour placer
l‟économie dans une situation de pénurie sans recours à l‟achat de biens importés.
La cinquième hypothèse est relative à l‟existence d‟un système protectionniste
qui évite aux entrepreneurs nationaux le risque d‟une concurrence inégale de
l‟étranger.
À ces cinq (05) hypothèses on pourrait ajouter une sixième : le respect strict
des règles rigides de l‟étalon-or qui fixent des limites très étroites aux variations des
prix.
Dans une économie réunissant de telles conditions, tout accroissement de la
masse monétaire décidé par l‟État déclenche un processus d‟inflation qui opère quasi
automatiquement une redistribution du revenu national en faveur de la classe des
entrepreneurs nationaux. En effet, il se crée à partir des moyens supplémentaires de
paiement, une demande additionnelle qui ne peut être résorbée que par un
accroissement des prix étant donné que les importations sont rigoureusement
réglementées. Cette demande est révélatrice d‟une situation de pénurie que les
entrepreneurs nationaux, disposant d‟une situation de rente, ont intérêt à exploiter.
L‟inflation augmente l‟épargne des classes qui ont une propension à épargner
élevée. De fait, la rigidité de l‟offre de capitaux qui était formulée dans la première
hypothèse est levée et le financement du développement est rendu possible. En effet,
le modèle de consommation étant défini et contrôlé, les entrepreneurs se trouvent
dans l‟obligation d‟investir leur épargne, donc d‟accroître le niveau des forces
productives. Le processus d‟expansion ainsi déclenché peut aboutir à une correction
des inégalités et amoindrir le coût social du processus inflationniste.
On perçoit que dans le cadre tracé, l‟inflation n‟est pas stérile et perturbatrice
de l‟expansion. Au contraire, elle a permis de libérer les ressources qui bloquaient le
financement du développement.
Toutes les hypothèses de travail mentionnées représentent autant de formes
d‟action que l‟État peut concevoir structurellement dans sa politique économique. Il
s‟agit pour l‟essentiel d‟abord d‟assurer une indépendance monétaire réelle, ensuite
de prendre des mesures adéquates de contrôle systématique des relations extérieures
tant au plan des importations qu‟à celui des exportations, et enfin de convaincre la
classe ouvrière que l‟élévation du salaire réel est au prix d‟une amélioration de la
productivité. Ce sont là des mesures courantes, des tâches économiques et politiques
que certains États ont assumé dans certaines phases de leur développement
économique et social (Union Soviétique, Chine, certains pays latino-américains). Il
restera alors les problèmes liés à l‟existence d‟une classe dynamique d‟entrepreneurs
nationaux. Dans certaines expériences historiques, cette place est dévolue
principalement à l‟État qui a été doté des moyens d‟une gestion efficiente de
l‟économie qui évitent systématiquement le travers bureaucratique.
134
Au total, l‟inflation n‟est pas impérativement ce danger qui doit justifier une
orthodoxie monétaire paralysante. Au contraire, elle peut se présenter comme un
moyen essentiel au service de l‟accumulation productive. Cependant, elle exige une
connaissance et une maîtrise des rouages essentiels de l‟économie nationale et un
contrôle de ses principaux paramètres.
Le paysage monétaire dans les PSD et en Afrique est particulièrement éclaté,
hétérogène, avec des pays qui exercent une pleine souveraineté monétaire et d‟autres
qui appartiennent à des zones monétaires.
Globalement, l‟appartenance à une zone monétaire est souvent présentée
comme ayant un ensemble d‟avantages qui sont au nombre de cinq :
meilleure stabilité monétaire,
libre convertibilité,
diversification des partenaires,
plus grande rigueur dans la gestion des politiques économiques en référence
aux critères de convergence, à savoir : une politique budgétaire saine, une
politique monétaire de haute qualité et une maîtrise de l‟inflation en vue de
préserver la stabilité du cadre macro-économique
solidarité et garanties de financement des déficits,
Comment évaluer les avantages et désavantages liés à l‟appartenance à une
zone monétaire ? La réponse peut être apportée à partir de l étude de la plus ancienne
zone monétaire en fonctionnement depuis les années 40 : la zone franc. Cette étude
est d‟autant plus nécessaire que l‟Union monétaire et certaines organisations
d‟intégration régionale comme la CEDEAO inscrivent à leur agenda la création d‟une
monnaie unique. En termes de crédibilité, c‟est l‟existence d‟une monnaie unique et
stable qui réduit les coûts d‟information et de transactions. Elle est liée à la fermeté
des engagements institutionnels (à moyen terme) permettant d‟éviter les
déséquilibres macro-économiques, et à la pertinence de l‟ajustement en cas de besoin
(à court terme).
Section 1 : L’appartenance à une Zone monétaire : le cas de la
zone franc
Fruit de l‟histoire coloniale, la zone franc africaine a été avant tout un
instrument de coopération entre la France et ses colonies. Officiellement mise en
place en 1939, elle se définissait alors comme étant un espace où circulait le franc
français, de même que le Franc des Colonies Françaises d'Afrique (FCFA). A
l'intérieur de cet espace géographique, les activités économiques pouvaient se
développer, protégées par des règles dissuasives vis-à-vis de l'extérieur. La
coopération était donc centrée sur les unions commerciales naissantes et la
protection autour de territoires dépendants de la métropole. Depuis sa création, à
quelques nuances près, le fonctionnement de la zone monétaire CFA est fondé sur
quatre principes :
La parité fixe entre les différentes monnaies et le franc français, convertibles
entre elles à des parités fixes et sans limitation de montants128.
Notons que La valeur du franc CFA est en rapport constant avec le franc français, inchangé entre
Octobre 1948 et Janvier 1994 (1Franc Français équivalait 50FCFA). À partir de cette date, la cotation
devient 1Franc Français pour 100FCFA. Depuis l‟avènement de l‟euro, elle est demeurée à
655,957FCFA.
128
135
La convertibilité des monnaies CFA garantie sans limite par le trésor public
français.
La liberté des transferts à l‟intérieur de la zone CFA, aussi bien pour les
transactions courantes que pour les mouvements de capitaux.
La centralisation des réserves de change des deux unions sur un compte
d‟opérations ouvert auprès du trésor français129.
Elle a été souvent présentée comme un instrument de puissance de la
métropole (Godeau, 1995), une zone de repli pour son industrie sinistrée. Ainsi pour
GODEAU, « elle fournit à une économie française peu compétitive des débouchés
faciles et des matières premières à bon prix ». Cette vision est certainement assez
caricaturale des avantages et inconvénients de la zone franc pour ses pays membres
africains. Il est vrai que la dimension économique du pacte colonial reposait sur un
certain nombre de principes dont les grandes lignes traduisaient explicitement une
coopération centrée sur des unions commerciales naissantes et la protection autour
de territoires dépendants de la métropole. Le pacte colonial réunissait ainsi
(N‟GUESSAN, 2001) les conditions suffisantes pour assurer à cette dernière un solde
positif de son commerce extérieur. Dans ce cas, il ne fait plus aucun doute que la
coopération monétaire a bénéficié principalement à la Métropole comme il a été
souligné par GODEAU.
Incontestablement, après une série de réformes, la zone Franc est devenue,
depuis les années 1960, un outil de coopération sans équivalent dans les relations
Nord-Sud. En effet, les règles communes appliquées ont permis aux pays membres, à
majorité dépendants des produits primaires d‟exportation, d‟être protégés des chocs
externes (grâce à l‟application des surprix sur les produits primaires) et de disposer
d‟un cadre macroéconomique stable130 au moins pendant près de deux décennies.
Dans les années 1970, les secteurs exportateurs ont connu un développement
important basé sur des produits primaires dont les cours ont évolué de manière
favorable aux pays africains en général et ceux appartenant à la zone franc en
particulier. En effet, après les hausses de 1973 et 1974 qui ont multiplié l'indice des
prix pétroliers par cinq, les prix des matières premières hors pétrole ont connu
jusqu'en 1976 une augmentation de 100%. Les prix agricoles et les prix alimentaires
ont augmenté respectivement de 106% et 120%131. Le second choc pétrolier de 1979 a
entraîné de nouveau une hausse des prix des matières premières : les matières hors
pétrole ont augmenté de 180%, en particulier le caoutchouc et la bauxite tandis que
les produits agricoles ont subi une hausse de 182%132, surtout le cacao, le café et le
coton. Cette évolution positive peut être imputée à des facteurs exogènes.
Cependant, la comparaison des agrégats macroéconomiques montre que les PAZF
ont connu de meilleures performances économiques que d'autres pays hors zone
franc (tableau 1). Quelques exemples illustrent parfaitement ce propos : le produit
intérieur brut réel a augmenté de 4,6% par an sur la période 1975 à 1985 contre
seulement 1,4% dans le reste des pays d'Afrique subsaharienne hors zone franc, le
produit intérieur brut par habitant a été en moyenne de 1,7% contre Ŕ1,3% pour les
pays hors zone franc et l‟inflation a été mieux maîtrisée (11,2% contre 17, 8%).
Les Banques Centrales de la zone franc africaine sont tenues de déposer 65% de leurs réserves en
devises.
130 Pour un bilan institutionnel de la zone franc africaine, voir N‟GUESSAN (1998, 2000).
131 A. BECART (1997), P. 150-151.
132 A. BECART (1997), OP. CIT.
129
136
Tableau 6 : Performances économiques : comparaison zone CFA/Afrique
subsaharienne hors zone CFA
Périodes
1975 à 1985
Zone
Franc
Taux de croissance réel du PIB
4,6
(% annuel moyen)
Taux de croissance réel du
1,7
PIB/habitant (% annuel moyen)
Taux d'inflation (% annuel
11,2
moyen)
Solde budgétaire (% PIB,
-5
moyenne)
Compte courant extérieur (%
-6,5
PIB, moyenne)
Exportations de marchandises
28
(% PIB, moyenne)
Importations de marchandises
23,8
(% PIB, moyenne)
Dette extérieure (% PIB,
38,2
moyenne)
Source: Semedo et Villieu (1997), p. 96-97.
Hors Zone
Franc
1986 à 1993
Hors
Zone
Zone
Franc
Franc
1,4
0,1
2,5
-1,3
-2,8
-0,3
17,8
1,1
22
-6,1
-7,6
-5,6
-1,9
-7,4
-0,8
20,7
22,3
24
18,9
18,7
20,9
25,2
73,7
57
Certaines recherches (SEMEDO et VILLIER, NGUESSAN et ONDO OSSA)
introduisent des nuances à cet argumentaire avec une sorte de retournement de
conjoncture à la fin des années 80 et l‟apparition de contre-performances
caractérisées par la montée des déséquilibres macroéconomiques et macrofinanciers
et un endettement devenu insoutenable posant, par moment les signes d‟une crise
d‟insolvabilité. Alors la question de l‟origine véritable des nouveaux déséquilibres se
pose. En d‟autres termes, les contre performances apparues sont-elles le fait de la
faiblesse des arrangements monétaires de la zone franc? À l‟analyse, la crise
économique qui affecte les PAZF dans les années 80 est la conséquence de plusieurs
types de chocs notamment celui des termes de l‟échange (voir graphique) et pour
N‟GUESSAN (2001) elle doit être attribuée à la perte de la politique de change
comme instrument de la politique économique. La perte de l‟autonomie monétaire
due au triangle d‟incompatibilité de MUNDELL contraint la zone franc africaine dans
ses marges de manœuvres.
137
Figure 9 : Termes de l'échange
Base 100: 1985
Pays à change fixe: Zone Franc Africaine sauf Tchad et Guinée Equatorial..Pays à change flexible:
17 pays subsahariens.
Source: La zone Franc, Rapport annuel 1993.
I/- Le début de remise en question du principe de parité fixe suite à la
dévaluation de 1994.
Plusieurs auteurs ont tenté, en référence au triangle d‟incompatibilité de
MUNDELL, de justifier la préférence des PAZF pour les changes fixes. Cette attitude
qui reflète une exception à l‟époque où de nombreux pays ont abandonné le
rattachement à une seule monnaie, ne pourrait a priori nuire aux économies en
présence. La flexibilité risquerait en ce moment (SEMEDO et VILLIEU, 1997) de
provoquer des effets prix déséquilibrants sur la balance des paiements étant donné la
relative insensibilité du volume du commerce extérieur face aux variations du taux de
change.
S‟il semble que le régime de change fixe a été de quelque secours pour les
PAZF, la dévaluation de janvier 1994 a cependant montré les signes réels d‟une
inadaptation du principe de parité fixe. Même si la valeur du franc CFA a été réduite
de moitié, passant de deux à un centime français133, il reste que cette mesure met
pour la première fois en évidence la réelle nécessité de l‟ajustement par le taux de
change. Cette politique d‟ajustement par le taux de change trouve sa justification
outre la dégradation des termes de l‟échange, dans la perte de compétitivité aggravée
par la forte appréciation du franc français par rapport aux monnaies des principaux
concurrents commerciaux de la zone franc. Avant 1985, on assistait souvent à des
mouvements de hausse du taux de change effectif réel des PAZF. Mais cette évolution
était en partie masquée par celle favorable des termes de l‟échange. L‟appréciation du
133
La fixité étant toujours maintenue.
138
taux de change réel qu‟ils ont subi depuis la deuxième moitié des années 1980
témoigne de l'insuffisante flexibilité de ces derniers (graphique 2).
Figure 10 :
Graphique 2 : Taux de change effectif réel et termes de l’échange des pays de la zone
franc, 1980-1994 (pondérés par les PIB de 1994, 1985 = 100)
(1) Un mouvement à la hausse indique une appréciation des taux de change effectifs réels.
(2) Un mouvement à la baisse indique une dépréciation des termes de l’échange.
Source : Semedo et Villieu (1997), p. 101.
II/ L’ancrage à l’euro et la problématique du régime de change
En mai 1998, la création de la monnaie unique européenne, l‟euro, est
consacrée. Dans la zone franc africaine, il était question des conséquences de
l'intégration du franc français dans une monnaie jugée a priori plus forte. En janvier
1999, l'ancrage nominal des francs CFA s'en est suivi. Cette politique de change
comporte selon certains auteurs, des contraintes et des risques malgré les avantages
qui en découlent.
En dehors des contraintes plus fortes en matière de gestion monétaire,
d‟équilibres budgétaire et extérieur, les interrogations expriment en général la peur
d'une seconde dévaluation au regard de l'expérience passée. Cependant, la possibilité
offerte aux économies africaines d‟accéder librement au large marché européen n'est
pas négligeable. Cette possibilité apparaît d‟autant plus probable qu‟actuellement, les
pays de l‟union européenne constituent le premier marché et les principaux
fournisseurs de la zone franc africaine (MONGA, 1998).
Dans le cadre de l‟avènement de l‟euro, plusieurs auteurs africains 134 ont
proposé et analysé le réalisme des scénarios possibles d‟évolution de la zone franc
africaine. Il ressort de leur réflexion des points de vue plus ou moins divergents.
Notamment D‟ALMEIDA (1998). Voir également l‟ouvrage édité par M.KASSE et B.HAMMOUDA
à l‟issue du symposium international sur l'avenir du FCFA, organisé par le CODESRIA à Dakar, en
novembre 1998.
134
139
Néanmoins les propositions qui s‟accordent peuvent être résumées en trois
composantes : l‟éclatement de la zone monétaire africaine et la création d‟une
monnaie nationale dans chaque ancien pays membre ; le maintien de la zone CFA
sans arrimage à l‟euro et enfin l‟élargissement de la zone CFA à d‟autres pays. Le
premier scénario est unanimement rejeté par tous. Au-delà du fait que le second
scénario traduit déjà “ la dose de flexibilité ” souhaitée par des auteurs, le maintien du
change fixe pourrait être souhaitable si des mécanismes rapides d‟ajustement aux
fluctuations économiques des agrégats macro-économiques existaient. D'une part, les
PAZF sont soumis à des chocs exogènes. D'autre part, ce sont des pays dont la
majorité des échanges est effectuée avec l'Union européenne. C‟est pour cette raison
qu‟il faut s‟intéresser au régime de change des PAZF en référence à l‟euro, dans un
cadre beaucoup plus analytique : le critère d‟asymétrie des chocs.
1°) L’ancrage et l’asymétrie des chocs
L‟analyse de la théorie des ZMO s‟intéresse en général aux coûts et bénéfices
qu‟implique la perte de la souveraineté monétaire. Cette analyse pose le problème en
termes de sacrifices que consent un pays lorsqu‟il renonce à une devise spécifique
comme variable d‟ajustement face à un choc extérieur. La théorie des ZMO a
développé progressivement un certain nombre de critères relatifs à la structure des
économies permettant de délimiter dans la mesure du possible les chances de succès
dont jouit une union monétaire dans la manière de gérer ses chocs économiques.
Les études qui ont examiné ces différents critères, bien qu‟elles ne soient pas
restées unanimes sur la forme, font ressortir l‟échec inévitable d‟une union monétaire
en Afrique de l‟ouest. Malgré la faible volatilité du franc CFA par rapport à l‟euro,
comparée au yen et au dollar (ONDO OSSA, 2001), la zone franc africaine n‟en
demeure pas moins une zone monétaire optimale au regard des critères jugés
traditionnels (EBOUE, 1998 et BENASSY-QUERE ET COUPET, 2003). Dans ce cas,
on réalise déjà le besoin de recourir à l‟ajustement par le taux de change si les chocs
affectant les PAZF sont asymétriques. Qu‟en est-il exactement ?
2°) Considérations pratiques
Les résultats de l‟utilisation des critères traditionnels dénotent un manque
d‟unanimité quant à la conclusion sur l‟optimalité de la zone monétaire africaine.
Mais plus qu‟une question d‟optimalité, c‟est du moins l‟examen de quelques
mécanismes d‟ajustement dans la zone monétaire africaine dont il est question dans
ces études. Par ailleurs, les chocs touchant les PAZF seraient de nature symétrique
que l‟examen des critères traditionnels serait sans aucune importance majeure.
L‟étude des chocs touchant la zone CFA était donc nécessaire en de pareilles
circonstances. En poussant plus loin l‟analyse, DEDEHOUANOU (2002) a procédé à
une décomposition des chocs en composantes spécifique et commune, africaine et
européenne. La décomposition des chocs d‟offre laisse suggérer que la Côte d‟Ivoire,
la Centrafrique, le Tchad, le Sénégal et le Togo pourraient former le noyau d‟une
union monétaire. Cependant, chaque pays africain de la zone franc semble être
affecté par des chocs d‟offre ayant davantage de caractéristiques communes avec le
reste des PAZF qu‟avec l‟Union européenne. Le fait d'aboutir à des regroupements de
pays différents autres que ceux existant au sein de la zone franc africaine renforce
non seulement les conclusions des études antérieures sur l‟optimalité de la zone mais
également soulève des doutes quant au régime de change fixe par rapport à l‟euro.
140
D‟une manière générale, en nous basant sur les résultats de DEDEHOUANOU
(2002), deux possibilités s'offrent aux PAZF. D'un côté, pour peu qu‟ils acceptent Ŕ
tout en maintenant les sous-zones monétaires respectives Ŕ de garder le régime de
change fixe135, et que les chocs soient d‟origine européenne, il existerait des
mécanismes qui faciliteraient l‟ajustement rapide des économies vers leur nouvel
équilibre136. Des études approfondies dans ce sens seraient alors plus indiquées. En
nous restreignant à l‟UMOA, puisque l‟instrument de la Banque Centrale, en
occurrence le taux d‟intérêt, a un effet sur la dispersion entre pays (KAMGA,
1999)137, la substitution de la politique budgétaire à la politique monétaire doit
requérir une certaine coordination budgétaire dans la mesure où elle évite par-là
même l‟indétermination globale du « Policy-mix ». Une possibilité (Artus, 2000)
serait alors de modifier la fonction objective de la Banque Centrale, de façon à ce
qu‟elle soit définie comme moyenne pondérée des fonctions objectives nationales.
D'un autre côté, les PAZF devraient réfléchir à l'avenir à une zone franc intégrale qui
s'affranchirait d'une fixité de change. Etant donné que les chocs subis par ces pays
ont une composante commune africaine dans leur ensemble plus importante que
celle européenne, une politique monétaire indépendante semble être plus adaptée
qu‟une relation de fixité. Cette préoccupation est remise à l‟ordre du jour dans la
perspective d‟intégration régionale à l‟échelle de la CEDEAO138
III/ Implications, pour la zone franc africaine, au processus d’intégration
régionale : les perspectives de mutation
Les dysfonctionnements observés au sein de la zone franc depuis sa création
l‟ont amené à modifier plus d‟une fois ses pratiques. Le projet de création d‟une
Seconde Union monétaire pour les pays de la Communauté Économique des États de
l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO) non membres de la zone franc appelle à l‟avenir des
mutations qu‟il importe de préparer pour arriver à la monnaie unique en Afrique de
l‟Ouest. C‟est dire que des réformes au sein de la zone deviennent indispensables. Les
changements projetés dans l‟espace monétaire qui se dessine, appellent une
éventuelle redéfinition des mécanismes de coopération aussi bien régionale
qu‟internationale. Les évolutions obligatoires doivent donc être examinées suivant les
relations monétaires entre les pays africains d‟une part et d‟autre part entre ces pays
et l‟extérieur.
1°) La zone franc face au processus d’intégration régionale
En 2000, six pays de la CEDEAO non-membres de la zone CFA139 lancent le
projet de création d‟une union monétaire. L‟ambitieuse initiative était d‟œuvrer vers
la fusion de cette union avec l‟UMOA afin d‟adopter une monnaie commune régionale
au sein des deux groupes constituant la CEDEAO. Ce projet impliquerait de fait la
suppression de certains aspects des accords de la zone franc, un découplage et une
Et dans ce cas, garantir désormais la crédibilité de ce choix.
On pourrait voir par là le critère de solidarité tant invoqué par certains auteurs africains,
notamment Ondo Ossa (2000). Il est à souligner quand même que ce critère n‟est pas de nature à
s‟identifier au fédéralisme budgétaire (AIDARA, 2001).
137 Cité par AIDARA (2001), op.cit
138 Voir l‟excellente réflexion d‟Ousmane OUEDRAGO : une monnaie unique pour toute l‟Afrique de
l‟Ouest ? Editions Karthala 2003
139 Il s‟agit du Nigéria, du Ghana, de la République de Guinée, du Libéria, de la Sierra Léone, de la
Gambie.
135
136
141
autonomie des deux sous-zones franc. Dans le cadre des relations monétaires entre
ces dernières, le problème ne se pose guère de la zone franc (Afrique de l‟ouest et
Afrique Centrale) dans la mesure où depuis 1993 les deux zones observent la
suspension du rachat de leurs billets respectifs. Chaque sous-zone peut donc définir
les modalités de coopération monétaire avec le reste du monde.
À cet effet et en ce qui concerne le projet d‟intégration monétaire régionale
pour la CEDEAO, plusieurs dispositifs institutionnels peuvent être envisagés. La
deuxième zone monétaire (tout comme la fusion des deux sous-zones) pourrait
prendre différentes formes notamment celle de la création d‟une nouvelle monnaie
commune ou la désignation d‟une monnaie existante à cet effet ; la création d‟une
banque centrale unique ou sa coexistence avec les banques centrales nationales ; et
un arrimage (à l‟euro ou à un panier de monnaies par exemple) ou un taux de change
souple pour la convertibilité externe de la monnaie commune.
La création d‟une nouvelle monnaie commune tout comme l‟arrimage ou la
souplesse en matière de convertibilité externe suppose que les critères de la théorie
des ZMO soient observés au sein de la communauté. Bien qu‟elles ne soient pas
restées unanimes sur la forme, les études qui ont examiné ces différents critères font
ressortir les difficultés inévitables d‟une union monétaire en Afrique de l‟ouest.
La création d‟une banque centrale unique ou la coexistence des banques
centrales suppose pour la première l‟établissement d‟une crédibilité en un temps
record et pour les secondes, de solides réputations en matière de responsabilité et de
transparence. Une union monétaire demande que l‟on investisse dans des institutions
garantes de l‟irrévocabilité des parités et de la politique monétaire commune. La mise
en place de telles institutions engendrait à terme des coûts lorsque l‟option de
coexistence des deux banques est choisie, sinon une source de discorde s‟il s‟avérait
que l‟une soit appelée à disparaître (ASANTE et MASSON, 2001). De plus, le pays ou
la zone dont le manque de crédibilité est relativement peu élevé sera peu réticent à
entrer dans la nouvelle union monétaire intégrale. Or, contrairement à leurs
homologues d‟Afrique de l‟ouest, les pays de la CEDEAO non-membres de l‟UMOA ne
jouissent pas d‟antécédents ni de réputation en matière de convertibilité et de
stabilité. Aussi il serait difficile pour la deuxième zone d‟acquérir 140 dans un bref
délai une certaine crédibilité même si elle devrait choisir parmi les deux repères de
politique monétaire à savoir un ancrage extérieur ou un objectif nominal interne
(ciblage de l‟inflation). Ces différentes options de fond demeurent toujours, même en
supposant que la première étape soit franchie.
Certes le fait d‟appartenir désormais à une zone intégrale regroupant ses
voisins de l‟est met à l‟abri la zone UMOA d‟éventuelles dévaluations compétitives.
Quel que soit le mode de critère adopté, il va sans dire que les principes de
fonctionnement de la zone franc subiront des modifications. Ces principes sont
appelés soit à disparaître, soit à être modifiés.
2°) Les directions des modifications
L‟architecture qui se dessine au sein de la CEDEAO laisse entrevoir
l‟éventualité d‟une double modification tenant d‟une part de l‟euro et d‟autre part de
la zone dollar et du yen.
La première série de modifications tient compte de l‟euro. En effet avec
l‟avènement de l‟euro et en ce qui concerne la zone franc, de nouvelles opportunités
en termes de commerce et de garantie de stabilité monétaire ont été mises en avant.
140
Malgré les divers critères de convergence qu‟elle s‟est imposés
142
Étant ainsi lié à une monnaie utilisée dans la facturation d‟une part croissante des
échanges internationaux, le franc CFA serait adossé à un grand marché de 290
millions de consommateurs. Les exportateurs africains gagnent, de ce fait, en
sécurité. S‟il doit être tenu compte du seul avantage résultant de l‟élimination du
risque de change entre monnaies européennes, les pays de la CEDEAO hors UEMOA,
dont les monnaies sont dans la majorité non convertibles, pourraient trouver en
l‟euro un refuge sûr. Dans ce cas, ils doivent donc définir, au même titre que
l‟UEMOA, des accords de coopération141 avec la zone euro ; ce qui faciliterait à moyen
terme l‟intégration monétaire au sein de la CEDEAO, tant du point de vue de la
convertibilité interne qu‟externe. Les deux sous-zones pourront sans difficulté142
fusionner en une seule, leurs monnaies uniques respectives étant déjà liées à l‟euro.
Le raisonnement ci-dessous est mené seulement sous l‟hypothèse de la
pratique du régime de change fixe. La modification qui sera intervenue dans ce cadre
privilégiera alors la poursuite de la coopération monétaire franco-africaine dans le
cadre de l‟arrimage à l‟euro. On se place tout juste dans la dynamique d‟élargissement
de la zone franc. Pourtant il serait plus que logique de considérer, en plus de l‟Union
européenne, les pays émetteurs du dollar et du yen dans l‟analyse, si tant est que la
dette africaine est en grande partie libellée en cette première devise et que la
deuxième demeure quand même une monnaie véhiculaire.
La seconde modification tient compte du dollar et du yen. Dans ce cas de
figure, on ne doit pas ignorer le risque de perte de compétitivité résultant d‟une
appréciation de l‟euro par rapport au dollar. La surévaluation des monnaies des deux
sous-zones ou finalement de la monnaie unique CEDEAO qu‟elle pourrait induire
devrait conduire inévitablement à leur dévaluation renouvelant celui de janvier 1994.
Les modifications qui doivent intervenir ici en appellent au préalable à une définition
du régime de change au sein des deux sous-zones composant la CEDEAO. Si la
CEDEAO opte pour la flexibilité comme le suggèrent plusieurs auteurs, il va sans dire
que les accords de coopération définis entre l‟UEMOA et la France et donc l‟Union
Européenne n‟ont plus leur raison d‟être, les pays hors UEMOA étant déjà en régime
flexible. Le problème qui reste néanmoins posé est celui du sacrifice de la garantie de
stabilité monétaire dont jouit cette zone. Comme le soulignent P. GUILLAUMONT et
S. GUILLAUMONT (2002), « les États de l‟UEMOA ne sauraient abandonner la proie
pour l‟ombre […]. Pour stabiliser leur taux de change […], [les autres pays de la
communauté] ont besoin d‟une garantie du même type que la zone franc ».
Enfin un troisième schéma est celui des parités ajustables au sein de la
CEDEAO, un régime à la fois ni trop fixe, ni trop flexible143 et qui pourrait arranger
les deux sous zones composant la communauté. Dans ce cas, les modifications qui
interviendront doivent impliquer tous les partenaires en présence. La France (ou
l‟union européenne) doit donc rendre plus souple ses accords de change vis-à-vis de
l‟UEMOA.
Cette analyse des relations monétaires à l‟intérieur et entre les sous-ensembles
de la CEDEAO rappelle que la mise en séquences de l‟intégration monétaire a été peu
coordonnée. Aujourd‟hui les questions qui demeurent concernent non seulement la
coopération entre les pays de la communauté mais également la coopération entre ces
derniers et l‟extérieur. L‟objectif d‟intégration monétaire pour la CEDEAO implique
l‟adoption d‟un nouveau régime monétaire commun différent des régimes existants.
Cela revient à dire que dans cette perspective, chaque pays de la communauté doit
Ces accords doivent tenir compte des régimes de change existant
Sinon qu‟il faudrait bien définir les modalités de la fusion.
143 Tenant compte des trois devises clés à savoir le dollar, l‟euro et le yen.
141
142
143
rechercher en fonction de sa spécificité, la stratégie la plus optimale possible
d‟abandon de son régime de change de façon à converger vers une stratégie
«optimale» commune définissant ainsi l‟unique régime de change approprié.
IV/ L’alternative à une zone monétaire : une politique monétaire
indépendante.
La meilleure façon d‟apprécier sommairement la Zone Franc est de la
comparer à l‟alternative que constitue l‟exercice d‟une politique monétaire
indépendante.
1°) Les politiques que peuvent suivre les pays qui ne sont pas
membres d’une zone monétaire.
Les autorités monétaires et la Banque Centrale peuvent imprimer de la
monnaie, pour financer un déficit budgétaire ou pour le transmettre aux banques qui
pourront accomplir leur politique de crédit aux investisseurs.
Elles peuvent également maintenir un taux de change pour la monnaie en
achetant et en vendant des devises étrangères. Toutefois si elles ne disposent pas du
matelas de devises étrangères à vendre, elles ne peuvent s‟empêcher une réduction
du taux de change de la monnaie ou alors laisser « flotter » sa monnaie sur les vagues
du commerce international, sans intervenir pour maintenir un taux fixe.
Enfin ; les restrictions sur les politiques du commerce international font
souvent partie des règles d‟une zone monétaire. Sans ces restrictions, l‟État peut
imposer des taxes douanières, des contingents, etc.
2°) Les implications économiques de la gestion d’une politique
monétaire indépendante
Cette politique monétaire présente trois avantages bien évidents :
Les autorités monétaires peuvent stimuler le développement par le
financement en imprimant des billets comme le préconisent les modèles d‟A.
LEWIS et A. BENISSAD par exemple.
Les manipulations du taux de change effectif réel constituent un élément de
compétitivité
La politique monétaire peut contribuer à l‟organisation d‟une plus grande
fluidité de la circulation de la monnaie et à la création d‟une infrastructure
bancaire plus adaptée aux besoins des économies fortement clivées.
Au titre des désavantages, on peut souligner certains aspects comme :
Pour les investisseurs, le manque de confiance à la monnaie au regard de
beaucoup de critères : niveau des déficits, endettement, instabilité des recettes
et même de l‟environnement politique : ce qui entraîne une fuite de devises. Et
en raison de l‟incertitude au sujet du futur taux de change, il faut payer un taux
d‟intérêt plus élevé pour emprunter du capital à l‟étranger.
Si les autorités monétaires veulent stimuler le développement par création
monétaire cela peut entraîner un processus inflationniste ruineux et en
l‟‟absence d‟une dévaluation, il peut en résulter une crise de la balance des
paiements.
Une autre tentation est celle relative à la surévaluation de la monnaie. Cela
intervient quand on ne veut pas admettre une valeur moindre à sa monnaie
144
par rapport aux devises étrangères. Les prix trop bas des importations et des
exportations (mesurés en monnaie locale) mènent à une crise de la balance des
paiements. Puisque le pays n‟est pas dans une zone monétaire, il doit venir à
bout de la crise par ses propres moyens en imposant des contrôles sévères sur
l‟exportation, souvent sous forme de contingents.
Ces crises des balances de paiements sont assez courantes avec leurs cortèges
de contingentements qui pénalisent les secteurs industriels et agricoles et plus
particulièrement leurs PME et PMI qui sont rarement contrôlées par les étrangers et
qui sont souvent plus efficaces que les grandes firmes.
Ces crises monétaires amènent souvent les gouvernements à se polariser sur
les problèmes d‟ajustement de court terme au détriment des visions de long terme :
les ministres et les hauts fonctionnaires sont tellement préoccupés par l‟élaboration
de tactiques en vue d‟aménager la crise chronique de la balance des paiements, qu‟ils
n‟ont presque pas de temps pour étudier une stratégie de développement.
Section 2 : Les enjeux de la création d'un espace monétaire
optimal en Afrique comme accélérateur de l'intégration.
L‟étude de l‟optimalité et de la convergence économique en Afrique est arrivée
à l‟heure de la mondialisation marquée par une turbulence extrême des marchés
financiers dominants et l‟achèvement en Europe de la monnaie unique (l‟euro),
particulièrement avec l‟harmonisation des politiques budgétaires. La démarche de
l‟Union Européenne va nécessairement influencer en général l‟avenir monétaire de
l‟Afrique ainsi que ses perspectives de développement. L‟évolution de l‟économie
africaine s‟est illustrée à travers des performances économiques et sociales
globalement modestes. Plus de deux décennies d‟application des PAS n‟ont point
modifié fondamentalement le contexte d‟un espace économique et monétaire africain
non optimal marqué par de profondes disparités.
I/ Les critères de convergence, l’harmonisation des politiques et le
système de surveillance multilatérale : les nouveaux déterminants de
l’intégration.
La mise en place des organisations d‟intégration a pour but d‟éliminer ces
dissemblances, avec une plus grande mise en cohérence des politiques économiques
entre les États membres afin de promouvoir le processus d‟intégration économique
sur la base, d‟une part, des acquis importants du continent, et d‟autre part, du respect
d‟un certain nombre de critères de convergence économique d‟ordre monétaire,
budgétaire et financier. Même si les pays membres des unions économiques et
monétaires africaines de la Zone Franc ne connaissent pas encore les efficiences
attendues de l‟intégration économique et monétaire, ils ont tout de même entamé un
processus de convergence de leurs économies de part et d‟autre des deux sous-régions
d‟Afrique francophone avec l‟UEMOA et la CEMAC. Le processus de convergence
connaît des avancées plus prononcées dans la zone UEMOA que dans celle de la
CEMAC, même si cette dernière réalise de bien meilleures performances (mais non
les meilleures harmonisations de politique économique) en terme de respect des
critères de convergence économique retenus dans le cadre de la Surveillance
multilatérale. Toutefois, ce processus de convergence demeure relativement lent ce
qui nécessite de la part des pays membres, de gros efforts non seulement pour
consolider les acquis favorisés par l‟ajustement de la parité de 1994, mais aussi
145
œuvrer dans le sens du respect des critères de convergence et de l‟harmonisation des
politiques économiques. Cette double recommandation rentre dans le cadre d'un
processus d‟intégration économique et monétaire stable et durable. C‟est dans cette
perspective que s‟inscrit la nouvelle dynamique d‟intégration en Afrique de l‟Ouest,
en Afrique centrale et tout récemment au niveau du Continent.
L‟objectif visé à tous égards est de permettre aux pays africains de développer
des avantages comparatifs et d‟améliorer leur compétitivité dans un environnement
de mondialisation. Ceci traduit la nécessité de faire évoluer la question monétaire
vers une stratégie de développement dont les Africains eux-mêmes auront à tenir les
leviers. C‟est là le fondement de la création d‟un espace monétaire africain restructuré
et guidé par des idées novatrices qui seraient empreintes d‟un esprit de responsabilité
individuelle, impliquant profondément tous les acteurs.
II/ Quels sont les enjeux liés à la création d'un espace monétaire africain
restructuré ?
S‟il apparaît que la croissance soutenue et régionalement équilibrée est
l‟objectif majeur, ni les pays, ni les organisations d‟intégration ne pourraient
continuer d‟accorder à la monnaie une place marginale. Dans un processus
d‟intégration qui restructure les divers systèmes de production, le volet monétaire
sous la forme d‟un système techniquement approprié aura au moins trois fonctions
principales : de financement des opérations productives communautaires, de
compensation multilatérale des soldes financiers entre partenaires, et de financement
des difficultés de trésorerie d‟un pays membre.
À cela s‟ajoute que dans une conjoncture de turbulence monétaire, comme
c‟est le cas actuellement, les unions monétaires quelles que soient leurs formes,
constituent un excellent moyen de maintenir ou même d‟élargir les échanges
commerciaux. C‟est précisément la leçon que l‟on peut tirer de l‟organisation du
Système Monétaire Européen (SME) institué depuis 1979 après les expériences du
« Serpent Monétaire » qui s‟est achevé par la mise en place de la monnaie unique.
La nouvelle institution, malgré ses imperfections, ses difficultés de
fonctionnement parfois même ses blocages, est généralement admise et acceptée
comme indispensable à travers les objectifs :
de création d‟une zone de stabilité dans un ordre monétaire international en
déconfiture, fluctuant et incertain ;
de changement de contexte de la lutte contre l‟inflation dans l‟ensemble de la
communauté ;
d‟établissement des bases et fondements d‟une coopération monétaire, donc
d‟un développement solidaire sous la double forme de l‟instauration des
conditions de mise en commun des réserves de change et d‟accroissement des
concours aux États membres ayant des problèmes de financement.
L‟extrême poussiérisassions des zones et des statuts monétaires actuels face à
l‟accentuation des déséquilibres macrofinanciers facilitent la satellisation à des zones
monétaires extérieures au détriment de la recherche obstinée d‟une formule
d‟intégration monétaire. Dès lors, le problème n‟est point pour les pays d‟Afrique de
savoir si le SME ou un tout autre système est une bonne ou mauvaise affaire, mais
plutôt de savoir plus exactement ce qu‟il faut faire pour établir les conditions de
création et de fonctionnement d‟un Système Monétaire Régional (SMR). En effet,
selon le mot de R. NURSKE, le capital doit être généré localement pour être un
instrument qui facilite la production et l‟échange des biens et services. Personne
aujourd‟hui ne met en doute ce principe, pas plus que ses implications dont la plus
146
importante est la nécessité de créer des institutions et des instruments financiers
efficaces et diversifiés.
L‟Afrique, en la matière, est caractérisée par l‟existence de plus d‟une trentaine
de monnaies nationales différentes et d‟une pluralité de politiques et de régimes
monétaires. Ces monnaies sont souvent rattachées à des monnaies étrangères sans
possibilités de liens réciproques à cause des contrôles de change rendus obligatoires
par l‟inconvertibilité. Ce cloisonnement est donc un obstacle au développement des
échanges, mais aussi à l‟instauration d‟une politique monétaire et de crédit. Par
ailleurs, l‟extrême variété des systèmes financiers n‟autorise pas encore
l‟harmonisation des législations bancaires et celle des politiques de taux d‟intérêt.
Quel système monétaire mettre en place ? Quelles en seraient les étapes de
réalisation? Ces deux questions ont fait l‟objet de plusieurs réflexions et
propositions(3) dont il faut rendre compte pour mieux avancer vers l‟établissement
d‟institutions monétaires et financières qui centralisent les ressources et les
traduisent en investissements productifs.
L‟idée consiste à concevoir les conditions possibles de création en Afrique
d'une zone monétaire (optimale) et stable. En effet, l'enjeu est de concevoir dans le
continent, à partir de l'expérience institutionnelle des différentes tentatives
d‟intégration économique, un réaménagement monétaire fondé sur des moyens et des
orientations prioritairement africains en définissant les conditions préalables de
respect de certains critères de convergence macro-économique, d'une part, mais aussi
en redéfinissant nécessairement les espaces économiques à intégrer, d'autre part.
La création dans les États africains de conditions de gestion optimale de la
monnaie constitue le premier jalon de la souveraineté et de la responsabilisation des
Africains dans la construction de leur société. Ceci est un préalable à la relance des
économies par le rétablissement de la compétitivité et de la crédibilité extérieure,
avec une autonomie d'initiative et une maîtrise des décisions et actions.
Pour que ce projet puisse se réaliser, il faut commencer, dès à présent à
apprendre aux africains à se démarquer de toute idée relative au maintien de ces
multiples États (et monnaies). L'avènement de l'Euro dans la construction de
l'Europe est une occasion (pour ne pas dire une chance) pour les africains en général,
de réfléchir sur la manière de développer l‟Afrique.
De ce fait, les africains ne sont-ils pas en train de "repousser à demain ce qu'il
est opportun de faire aujourd'hui"? C'est-à-dire prendre leurs responsabilités dans la
gestion de leur société.
Toutefois, nous précisons que la volonté de prendre des responsabilités
essentiellement africaines dans la gestion de leur monnaie est moins une rupture
avec l'Europe ou les États-Unis d‟Amérique, qu'une nécessaire reformulation des
accords de coopération qui deviendraient, désormais, réellement bilatéraux en
permettant aux Africains de prendre conscience de l'opportunité que leur continent
représente pour l'Europe et le monde en général.
La peur de cette "rupture" (réarrangement) provient du fait que dans le cadre
des relations entre l'Afrique et les autres pays développés en général, les opportunités
(3)
On peut citer les travaux de :
S. AMIN : « Propositions pour une association monétaire des États de l‟Afrique de l‟Ouest »
Colloque, Faculté de Droit Dakar, 25 mars Ŕ 2 Avril 1978.
P. DESNEUF : « La chambre de compensation » Revue Africa n°89, Janvier 1977.
« Afrique de l‟Ouest : la fin de la zone sterling », Africa n°89, Mars 1977.
Problèmes monétaires en Afrique de l‟Ouest Mois en Afrique, Février, Mars 1980.
O. BERTE : Contribution à la recherche d‟une stratégie d‟intégration en Afrique de l‟Ouest. Thèse
de Doctorat, soutenue en Nov. 1985. Faculté des Sciences Économiques de Dakar, 713 p.
147
qu'offre le continent africain sont souvent passées sous silence, voire négligées par les
africains eux-mêmes, contrairement à celles que présente le partenaire concerné.
Cela crée et renforce la situation et l'esprit de dépendance qui freinent toute ambition
de relance économique et de développement.
III/ Les conditions de réussite d’une intégration monétaire en Afrique.
La réussite d‟un espace monétaire africain dépendra nécessairement d'un
certain nombre de mesures de politique économique. Il s'agira pour les futurs pays
membres de respecter au préalable un certain nombre de critères de convergence
macro-économique qui seront vigoureusement étudiés et suivis par tous les pays
africains.
Ces harmonisations préalables préconisées ont pour objectif l'assainissement
du cadre macro-économique de l'espace à intégrer, l'accélération de l'intégration
économique, politique et sociale du continent et la création de conditions appropriées
permettant à l'Afrique de jouer le rôle qui est le sien dans l'économie mondiale et
dans les négociations internationales.
La réalité actuelle de l'espace africain est que le continent est constitué d'une
multitude de micro-États hérités de la fameuse Conférence de Berlin (fin 1884 début 1885). Ceux-ci sont, de toute évidence, incapables d'atteindre séparément un
niveau important de développement économique, culturel, social et politique. Très
peu d'États disposent en Afrique de seuils considérables en termes d'espace
géopolitique, de dimension de population, de ressources naturelles, de débouchés,
etc., indispensables au développement socio-économique. De ce fait, l'incitation à la
coopération régionale est le meilleur moyen pour contrebalancer les effets néfastes du
partage de l'Afrique à Berlin et faire bénéficier au continent des complémentarités
naturelles qui permettront aux pays africains de profiter des avantages de
spécialisation et d'économie d'échelle.
Cependant, le processus d'intégration régionale en Afrique a été souvent mal
posé au départ. Le véritable problème repose sur le fait que l'espace économique
intégré (ou à intégrer) des sous-régions ou régions du continent a été mal défini. De
ce fait, les intégrations (ou tentatives d'intégration), sans fondements économiques
majeurs et basées sur des modèles de développement copiés de l'extérieur, et donc
inadaptés au contexte africain, sont vite vouées à l'échec ou au plus, enregistrent de
maigres résultats.
La problématique de la définition de l'espace à intégrer est moins une
question de regroupement d'un maximum ou de la totalité des entités économiques
existantes (plusieurs micro-États) qu'un souci de retrouver un "ensemble optimal".
Ainsi, la dimension d'un vaste marché regroupant un maximum d'entités
économiques n'est-elle pas moins importante que les conditions stables et
appropriées permettant aux forces de ce marché de jouer pleinement dans le sens
d'une relance des activités économiques et du développement? Cette question est
d'autant plus fondée qu'aujourd'hui, nul ne doute que tout processus d'unification
économique et monétaire nécessite un certain nombre d'étapes successives qu'il
serait dangereux d'inverser, au risque de conduire l'intégration à l'inefficience ou à
l'échec. Et cela, que l'on passe par des intégrations sous-régionales (Afrique de
l'Ouest, Afrique de l'Est, Afrique centrale, Afrique du Nord et Afrique Australe, par
exemple) ou régionales.
Cette voie ainsi préconisée a l'avantage de mieux responsabiliser les
participants à l'union économique et monétaire face à la gestion de leur monnaie et à
148
leur développement économique. Toutefois, c'est dans cette perspective que la vraie
solidarité africaine, cette fois-ci différente de celle héritée des arrangements
traditionnels post-coloniaux, devra faire preuve d'effectivité dans un esprit
panafricaniste.
La dynamique susceptible d'effet de stimulation et amplifiée à terme par le jeu
de l'effet de groupe (ou de la dynamique de groupe) dépendra de la coopération
renforcée (dans l'autonomie) entre les États africains.
Cette dynamique (que nous qualifions de "prudente"), vise la réalisation d'une
coopération monétaire intra-africaine suivant une gestion autonome et responsable,
par les africains, de leur monnaie et donc des intérêts du développement de leur
continent unifié. Cela nécessite de la part des dirigeants africains une souscription
forte à la volonté de construction de l'Union Africaine (U.A.), et de leurs peuples une
adhésion forte et confiante dans un esprit de nationalité africaine.
IV/ Le schéma d’intégration monétaire de l’Union Africaine
L‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine (UA) prévoit opportunément un
ensemble d‟institutions monétaires et financières. Sans conteste, c‟est une notable
avancée par rapport à la Charte de l‟OUA. Cependant, l‟intérêt et la faisabilité de ces
institutions soulèvent beaucoup d‟interrogations. En effet, dans le contexte actuel de
globalisation financière, le continent est confronté à une double contrainte :
financière et monétaire. Toutes les économies africaines sont sous la coupe d‟un
ajustement structurel dont l‟objectif principal est de garantir le remboursement de
leur dette extérieure par les États majoritairement débiteurs (51 sur 53). Dans
nombre d‟entre eux, le service de la dette absorbe plus d‟un tiers des ressources
budgétaires. À cette contrainte s‟ajoute une seconde de nature monétaire. Les
monnaies africaines appartiennent à une fresque de zones monétaires dont la plupart
ne sont pas interconnectées par des systèmes de change. Autre situation : ces zones
monétaires peuvent être arrimées à des monnaies fortes, ce qui implique des
politiques monétaires et financières dépendantes. Dans un espace soumis à cette
double contrainte financière et monétaire, et surtout composé d‟une telle mosaïque
de zones monétaires et qui de surcroît, n‟ont défini entre elles aucun système de
change, aucune règle de convertibilité et d‟émission monétaire, il est techniquement
illusoire de parler de Banque Centrale.
Une Banque Centrale est toujours au cœur d‟un dispositif de gestion d‟un actif
financier émis en contrepartie des avoirs extérieurs et des créances sur les États et sur
les économies. Cet actif, accepté comme équivalent général, repose d‟un côté sur les
fondamentaux des économies et de l‟autre sur la confiance que K. ARROW considère
comme une importante institution invisible. Aucun élément ne vient corroborer
aujourd‟hui la moindre amorce d‟un processus de création d‟une Banque Centrale à
l‟échelle africaine.
Pourtant sur cette question, on dispose d‟une expérience édifiante qui est celle
de l‟Union Européenne. Elle est pleine d‟enseignements sur les différentes étapes
caractéristiques de la création d‟une monnaie unique et du dispositif technique qui
peut y mener. L‟Europe monétaire a démarré en 1979 (écu) et s‟est accomplie en
2002 avec l‟émission de la monnaie commune. En réalité, l‟Écu n‟était pas une
monnaie comme les autres : elle servait à mesurer la valeur des biens produits et
échangés (fonction d‟étalon de valeur), ensuite, elle était peu utilisée comme moyen
de paiement dans les transactions (fonction d‟intermédiaire) enfin, elle est une
monnaie-panier dont la valeur est déterminée par les valeurs pondérées des
149
différentes monnaies de la Communauté. Avec le Traité de Maastricht, les modalités
de mise en place d‟une monnaie commune sont entrevues à partir du Rapport Delors.
L‟Euro sera émis par un organisme bancaire : la Banque centrale européenne. Sa
valeur sera fonction des performances européennes ainsi que de la confiance qui lui
sera accordée. C‟est dire que le processus de création d‟une Banque centrale est passé
de l‟expérience difficile du «serpent monétaire», avec ses parités ajustables à la
coordination des politiques monétaires nationales marquée par une gestion vigilante
et rigoureuse de l‟inflation et des taux d‟intérêt. La première phase qui s‟est achevée
le 31 décembre 1993 a consacré la fin des financements des déficits publics générés
par la création monétaire dans les États membres. La seconde a débuté en janvier
1994 et s‟est achevé le 1er janvier 1999 avec l‟établissement de l‟interdépendance des
Banques Centrales et la création de l‟Institut Monétaire Européen composé des
gouverneurs des Banques Centrales des États membres. La troisième phase qui a
démarré en janvier 1999 dans le respect des critères de convergence, du calendrier et
des procédures établis par le Traité de Maastricht sera aussi marquée par la fixation
irrévocable des parités entre les monnaies des pays adhérents, la définition et la mise
en œuvre de la politique monétaire unique, la conduite d‟une politique de change et
l‟utilisation de l‟euro sur les marchés de change, l‟émission par les États membres des
nouveaux titres négociables de la dette publique en euro et la disparition de l‟écupanier officiel.
Cette expérience de l‟Union Européenne montre que si l‟objectif est de réaliser
une monnaie unique africaine, ce que préfigure la création d‟une Banque Centrale,
cela devrait passer impérativement par une rigoureuse harmonisation des politiques
économiques, monétaires et financières et établie à partir de critères de convergence.
Au demeurant, la monnaie est à la fois un excellent facteur d‟accélération de la
croissance et des échanges au sein de l‟Union, et de clarification des conditions de la
compétition. Elle est aussi un facteur de rayonnement et de puissance sur la scène
internationale. Toutefois, mal gérée, elle devient un facteur de désintégration et de
rupture. Elle est donc trop importante pour être évoquée de façon aussi laconique
qu‟elle l‟a été dans l‟Acte Constitutif (Article 19). Si la volonté politique existe de créer
effectivement une Banque Centrale, des réponses claires sous forme d‟orientations,
de dispositifs, de procédures et de chronologie de mise en œuvre devraient être
apportées aux questions fondamentales suivantes : pourquoi une Banque Centrale ?
Quelle sera l‟architecture financière d‟ensemble ? Quels seront les fonctions, les
principes et les règles de l‟émission monétaire et les déterminants de la politique
monétaire? Quel sera le degré d‟indépendance de la Banque Centrale Africaine par
rapport aux autorités monétaires nationales? La Banque Centrale étant le prêteur en
dernier ressort, quelle politique de crédit sera appliquée? Quel est le chronogramme
préparatoire à la phase opérationnelle ?
Ces questions techniques et bien d‟autres appellent des préalables politiques
sur lesquels les décideurs doivent au moins se prononcer avec clarté. Il est vrai que la
Nouvelle Initiative Africaine souligne et insiste sur la nouvelle volonté politique des
décideurs qui veulent ramener l‟économie et le partenariat au rang des urgences
prioritaires.
150
CHAPITRE 20:
DU RECOURS À LA DETTE AU PIÈGE
DE L’ENDETTEMENT
« Si on prend une position trop laxiste comme l’ont fait
les banques privées pendant la décennie 1974-1984, en prêtant aux
pays endettés ce qu’il leur fallait pour rembourser leurs emprunts
précédents, on crée une spirale infernale d’augmentation de la
dette qui, un jour ou l’autre fera exploser le système, aussi bien au
niveau des pays endettés que des pays créanciers.
On est donc contraint de cheminer sur une ligne de crête en
essayant de ne pas basculer dans l’une ou l’autre de ces deux
précipices :
 accorder trop peu de crédits au Tiers-Monde, c’est
l’étrangler à court terme dans son développement ;
 accorder trop de crédits au Tiers-Monde, c’est l’étouffer à
long terme dans son endettement ».
L. STOLERU144
Tous les Pays en voie de développement (PVD) font de la croissance
économique un objectif à la fois majeur et prioritaire. Encore convient-t-il de préciser
qu'ils veulent une croissance rapide. Le taux doit être le plus élevé possible compte
tenu des ressources dont ils peuvent disposer. Cette croissance doit en outre être
continue, régulière et indemne autant que possible des fluctuations excessives en
baisse comme en hausse. Enfin, elle doit être équilibrée. Le moyen qui s'impose pour
atteindre ces objectifs est l'investissement. En effet, le taux de croissance est une
fonction du taux d'accumulation du capital ou encore du taux d'investissement. Plus
l'investissement sera élevé, plus la croissance sera forte. En plus, elle ne sera
équilibrée que si le volume d'investissement est le même que celui de l'épargne. Par
conséquent, une croissance rapide et équilibrée nécessite un volume suffisant
d'épargne pour financer l'investissement.
En clair, le problème de la croissance dans les PVD devient avant tout un
problème d'épargne. En se référant à la corrélation entre la croissance du PIB et celle
de l‟épargne, selon laquelle « dans un pays où le taux de croissance du PIB est faible,
généralement inférieur à 5%, le taux d‟épargne interne baisse », on peut conclure à un
taux d‟épargne faible dans les pays en développement.
Dans ces conditions, les énormes besoins de ressources complémentaires
nécessaires pour le financement des investissements, doivent donc être recherchés à
l‟extérieur sous trois sources
les emprunts, les aide et dons (APD), les
investissements directs étrangers (IDE). La conclusion qui vient d‟être dégagée
amène à examiner ces trois formes de financement du développement mobilisées
pour combler l‟important fossé qui existe entre les niveaux des investissements
projetés et de l‟épargne intérieure.
144
L.STOLERU : L‟ambition internationale, Édit. du Seuil, 1987, p 174
151
Section 1 : Dette et développement : Corrélation endettement
et croissance
L‟emprunt extérieur a pendant longtemps été considéré comme une source de
financement des déficits internes et externes (modèles à doubles déficits de
CHENERY et STROUT, 1966). Au niveau interne, le déficit renvoie à l‟insuffisance de
l‟épargne intérieure qui doit financer les besoins d‟investissement. Au niveau externe,
il s‟agit de trouver les ressources nécessaires au financement du solde déficitaire de la
balance courante.
Certains économistes ont montré que l‟exportation de capital et l‟endettement
rythment le développement des pays qui passent selon l‟étapisme dégagé par
KINDELBERGER « de pays emprunteurs à une situation de pays débiteurs mûrs »
Dans cette ligne d‟analyse, avec de l‟exportation du capital, les « étapes naturelles
du développement » s‟établissent comme suit :
Pays importateur de capital est le stade premier de tout pays qui commence à
se développer avec l‟aide du capital étranger, la production des matières
premières et de denrées agricoles
Pays devenu grand importateur de capital, après une augmentation du volume
des capitaux empruntés, ceux-ci commencent à diminuer graduellement alors
qu‟augmentent les exportations ce qui va permettre l‟amortissement du
capital et le paiement des intérêts. À ce stade les importations de biens
d‟équipements, les investissements dans les infrastructures de base et les
exportations de matières premières sont équilibrées. Le pays entreprend alors
à développer son industrie
Pays qui devient exportateur de capital. À ce stade le pays présente un
caractère industriel et l‟importance de son agriculture diminue. Il développe
alors les exportations de biens industriels et commence à exporter des
capitaux.
Pays à nouveau importateur mûr de capitaux
Nombre de pays ont donc recours à l‟épargne externe pour couvrir leurs
besoins de consommation et d‟investissement. De ce fait, le financement extérieur
vient s‟ajouter aux recettes d‟exportations pour autoriser des niveaux de dépenses
supérieurs aux revenus réels permanents des économies endettées. Ainsi, le boom des
recettes d‟exportations tirées du pétrole a dirigé au delà même de ces recettes
d‟importants flux de capitaux vers les pays qui en ont bénéficié. Comme le dit l‟adage,
“ on ne prête qu‟aux riches !” JARRET et MAHIEU [1991] montrent, à travers
l‟exemple de la Côte-d‟Ivoire, que ces apports de capitaux bénéficient également à des
pays rentiers non pétroliers. Les mouvements de capitaux sont en effet guidés par les
variations de taux d‟intérêt, qui découlent elles-mêmes de la rareté relative du capital.
Depuis le début des années 1980, à la suite notamment des chocs pétroliers de
la décennie précédente, nombre de pays africains ont été confrontés à divers
problèmes d‟ordre macro-économique : déficits budgétaires, déficits de la balance des
paiements, inflation. Ceci a conduit à l'élaboration de programmes d'ajustement
structurel avec les institutions de Bretton Woods. Ces programmes, qui avaient sans
doute sous-estimé l'amplitude du problème, partaient de l'idée que l'équilibre macroéconomique constituait un objectif structurel de base en dehors duquel aucune action
de développement n'était possible. Par ailleurs, l'ampleur des déficits impliquait des
actions vigoureuses : si les partenaires financiers acceptaient de contribuer sur le
court terme, ils souhaitaient en contrepartie que des politiques économiques
rigoureuses soient adoptées par les États car le financement extérieur ne pouvait être
152
assuré de manière durable. Cette formule procurait aux pays pauvres une aide de
trésorerie substantielle et des financements pour leurs programmes de réforme, mais
le stock de leur dette ne cessait de croître. En conséquence, les paiements au titre du
service de la dette des pays pauvres très endettés sont passés en moyenne de
l‟équivalent d‟environ 17% des recettes d‟exportation en 1980 à un sommet d‟environ
30% en 1996 (R. POWELL, 2000).
C'est dans ce contexte que la première initiative de réduction de la dette a été
prise en 1996 par les pays développés ; l'initiative devait ensuite prendre davantage
d'envergure en juin 1999 à la réunion du G7 de Cologne. En septembre de cette même
année, a pris corps et s'est structurée l'idée que les ressources dégagées annuellement
par les pays du fait de la réduction de leur dette devaient être investies dans des
actions et programmes visant à une réduction substantielle de la pauvreté dans les
pays concernés. Il a été décidé que le cadre stratégique pour la réduction de la
pauvreté serait le document de référence pour toutes les actions en faveur des pays en
voie de développement et que ce document serait un produit national élaboré par les
gouvernements de ces pays, mais en large concertation avec les acteurs concernés et
la société civile.
Pour certains, l'initiative PPTE a déjà eu un impact positif sur les pays pauvres
lourdement endettés. 24 pays avaient atteint le point de décision et pouvaient
bénéficier d'un allégement intérimaire. Quelques-uns seulement d'entre eux avaient
atteint le point d'achèvement. La plupart de ces pays se situent en Afrique
subsaharienne. Pour d‟autres par contre, des efforts restent à faire eu égard aux
objectifs même de croissance et de réduction de la pauvreté. À cet effet, il existe une
grande diversité de thèmes relatifs au problème d‟endettement africain, et mieux à la
gestion de la dette africaine dans le cadre PPTE. La présente réflexion s‟inscrit sous
cet angle.
L‟emprunt extérieur permet ainsi de desserrer certaines contraintes
intérieures. Il donne la possibilité de différer des mesures de politique économique
impopulaires, comme l‟augmentation de la pression fiscale. Les mouvements de
capitaux sont également considérés comme des mécanismes de transmission de la
croissance à travers la substitution progressive de l‟épargne locale aux flux extérieurs
de capitaux. En fait, de tels modèles nous incitent à nous interroger sur le niveau
d‟endettement extérieur compatible avec le taux de croissance de la production. En
d‟autres termes, il s‟agit de déterminer les conséquences du financement extérieur sur
la croissance et l‟équilibre de la balance des paiements. La réponse la plus ancienne à
cette question constitue la “ théorie des stades de la balance des paiements ”
[CAIRNES, 1874 ; BASTABLE, 1899]. Selon elle, les économies passent par quatre
phases successives qui marquent la transformation à terme des pays nouvellement
emprunteurs en pays prêteurs évolués.
153
Tableau 7 : Les quatre stades de la balance des paiements
Situation du pays
Pays
Pays
Pays
Pays prêteur
Stades de la balance des nouvellement emprunteur nouvellemen Evolué
paiements
emprunteur évolué
t prêteur
Balance commerciale
Négative
Positive
Positive
Négative
Balance des revenus
Négative
Fortement
Négative
Fortement
négative
puis positive positive
Balance des capitaux
Positive
Positive
Négative
Négative
Balance interne (S - I)
Négative
Positive
Positive
Négative
Note : La balance interne ne comprend que l‟épargne domestique sur le revenu
intérieur. Les signes de la balance commerciale et de la balance interne sont
identiques, puisque S - I = X - M.
Les modèles tirés de cette théorie reposent donc sur l‟hypothèse que le
financement extérieur est destiné à l‟investissement productif. En vertu des modèles
de croissance HARROD-DOMAR, il n‟y a pas de substitution entre les facteurs de
production : l‟offre de travail est parfaitement élastique, la croissance ne dépend donc
que de la croissance du stock de capital. Le financement extérieur vient combler le
déficit extérieur (déficit de la balance courante, auquel s‟ajoute le service de la dette
extérieure). Ainsi, les épargnes internes et externes sont considérées comme
complémentaires. Or, dans de nombreux cas, la relation négative entre l‟épargne
interne et les flux financiers internationaux est démontrée.
Par ailleurs, on suppose que les capitaux extérieurs financent l‟investissement
interne. Cette dernière hypothèse ne se vérifie pas toujours. Dans bien des cas, le
financement extérieur est venu combler le déficit budgétaire ; il en est ainsi dans bien
de pays africains. Aussi bien, cela peut signifier qu‟il existe des niveaux d‟endettement
plus ou moins soutenables. Au-delà d‟un certain seuil, les emprunts nouveaux
permettent seulement, dans le meilleur des cas, de rembourser les emprunts passés.
Au pire, ils ne permettent même plus d‟assurer le service de la dette. C‟est l‟effet
“ boule de neige ”. Quand le taux d‟intérêt de l‟emprunt est supérieur au taux de
croissance de l‟économie, le poids de la dette dans le PNB s‟accroît indéfiniment. Dès
lors, il devient essentiel d‟évaluer le niveau d‟endettement que peut supporter une
économie. Pour cela, on peut utiliser des critères simples, tels que les ratios suivants :
Endettement total sur PNB. Si le ratio est inférieur à 30 %, alors Ŕ selon le
FMI Ŕ le pays est faiblement endetté.
Endettement sur recettes d’exportations de biens et services. Si ce
ratio est inférieur à 165 % Ŕ toujours selon le FMI Ŕ, le pays n‟a pas atteint un
niveau d‟endettement inquiétant.
Service de la dette sur recettes d’exportations de biens et services.
Si le pays consacre annuellement plus de 30 % de ses recettes d‟exportations
de biens et services à rembourser le capital et les intérêts, il est dans une
situation financière difficile. Si le service de la dette absorbe moins de 18 % des
recettes d‟exportations, la situation financière a toutes les chances d‟être saine.
Service de la dette sur PNB. Ce ratio mesure la part des richesses
produites par un pays qui sera prélevée pour être versée à l‟extérieur. Ainsi
lorsque le service de la dette dépasse 4 % du PNB et 18 % des recettes
d‟exportations, l‟emprunteur aura des difficultés à remplir ses obligations.
Charge des intérêts sur recettes d’exportations de biens et services.
Ce ratio n‟a de sens que lorsque les pays emprunteurs ne remboursent plus ou
partiellement le capital emprunté. Du fait des rééchelonnements, le service de
154
la dette se limite aux versements des intérêts ; et si ces versements dépassent
20 % des recettes d‟exportation, le pays se trouve dans une situation financière
difficile.
Encadré 12 : S’endetter pour décoller : l’exemple Corée du Sud.
Le décollage économique de la Corée du Sud est considéré comme un succès, le
PNB passant de 300 $ par habitant dans les années 60 à 2 000 vers 1978. Ce résultat
est du en grande partie aux capitaux étrangers et à leur mise en œuvre dans les plans
de développement successifs. En 1962, le premier plan quinquennal a été orienté vers
les objectifs suivants :
Augmenter massivement le PNB par le développement des activités
exportatrices ;
Recourir aux capitaux étrangers et contenir l‟évolution des salaires pour
affûter la compétitivité Ŕ prix ;
Equilibrer l‟investissement dans les industries de biens d‟équipement et dans
les industries de biens de consommation ;
Donner un rôle important à l‟État dans la conception et l‟application de ce
programme sans subir de contrainte d‟aucun organisme international.
La Corée du Sud s‟est donc trouvée parmi les pays les plus endettés du monde
au début de la décennie 1980 mais la croissance du PIB atteignait 5 à 10% par an,
l‟inflation était maîtrisée, l‟épargne intérieure se développait et les excédents
commerciaux se consolidaient.
Source : André LOUAT : Le Sous-développement, stratégies et résultats
Section 2 : Endettement africain : processus de formation et
historique de sa gestion.
Le problème de l'endettement des pays en voie de développement trouve ses
racines dans la fin des années 1960. Ces pays ont connu dans cette période des taux
de croissance élevés compris entre 4 et 8% s‟expliquant par la conjoncture mondiale
favorable d‟alors (M. MASSE, 1992). Encouragés par un tel contexte, la plupart des
pays se sont endettés pour financer leurs investissements. La dette permettait de
réaliser des taux de croissance élevés. Elle soutenait aussi le commerce mondial,
fortement déprimé.
Quand, vers la fin des années 1970, la situation favorable à une croissance
rapide s'est détériorée, les pays en voie de développement ont continué de s'endetter;
les capitaux empruntés servaient de moins en moins à financer les investissements,
mais couvraient principalement les déficits de la balance des paiements courants et
les déficits budgétaires. Le cercle vicieux de l'endettement s'était installé. La
diminution rapide des recettes d'exportation des pays endettés et l'élévation des taux
d'intérêt réels ont fini par rendre patent l'échec de ce système d‟endettement.
Après avoir connu un vent de panique en 1982, à la suite de la défaillance du
Mexique, les créanciers occidentaux ont développé plusieurs systèmes pour
augmenter la sécurité de leurs créances. Parmi ces mesures, la première fut un quasiarrêt des flux de prêt, notamment privés, à destination des pays en voie de
développement. Ainsi, depuis le milieu des années 1980, la somme des flux financiers
en provenance des pays en voie de développement à destination des pays occidentaux
155
est devenue supérieure à la somme des flux dans le sens inverse. Le tableau 1 résume
en général l‟évolution de la situation d‟endettement des pays Africains.
Tableau 8 : Évolution des ratios d’endettement
1°) La gestion de la dette : les mesures classiques
Les ressources empruntées n‟ont pas toujours servi à des investissements
productifs, mais plutôt soit à financer des consommations ou des projets
impertinents parfois sans réelle utilité, soit à alimenter la corruption. Une part non
négligeable des recettes d‟exportations des pays endettés est transférée tous les ans
vers les pays du Nord. Il semble difficile voire inacceptable que les pays du TiersMonde continuent à payer les intérêts alors que ce prélèvement sur leurs ressources
pèse lourdement sur leur capacité à investir et sur leurs niveaux de vie. Par ailleurs,
cet endettement excessif a pour conséquence de créer un climat d‟incertitude qui
encourage les sorties de capitaux et décourage les arrivées d‟investissements directs
étrangers ou le retour des capitaux enfuis. Enfin, l‟endettement pose un problème
d‟équité et de justice, car ceux qui remboursent (les populations rurales et urbaines)
ne sont pas les principaux bénéficiaires des projets financés par la dette.
Face au surendettement de certains pays et à leur incapacité à faire face aux
échéances, différents mécanismes ont été mis en place :
Les PAS se manifestent par une déflation de la demande intérieure (publique
et privée), une réduction des déficits budgétaires, une amélioration de
l‟équilibre de la balance des paiements courants. Pour cela, il faut freiner la
156
progression des salaires de la fonction publique et assainir la situation
financière des entreprises publiques et parallèlement, par des mesures fiscales
et/ou monétaires, encourager l‟épargne intérieure et limiter la consommation
de biens de luxe généralement importés. Si les PAS ont connu beaucoup de
revers, elles ont permis quand même à l‟Afrique d‟avoir un meilleur contrôle
de sa dette qui l‟entrainait dans un cercle vicieux. Entre 1993 et 2003, cette
dernière n‟a augmenté que de 0,3 % contre 6,4 % entre 1982 et 1992. En outre,
la progression du service de la dette a baissé. Son taux de croissance moyen
entre 1993 et 2003 est même négatif (-0,5 %).145
Tableau 9 : Dette extérieure de l’Afrique de 1982 à 2003
Année
1982
Montant de
la dette en 162.942
millions de
$
1992
1998
2002
2003
Taux de
croissance
moyen en %
entre 82-92
Taux de
croissance
moyen en %
entre 93-03
287.639
309.040
293.318
296.844
6,4%
0,3%
Source : BAD, Rapport sur le développement en Afrique, année 2004
Le Club de Paris regroupe la plupart des créanciers bilatéraux au sein des pays
industrialisés. Les réunions du Club de Paris ont commencé en 1956 ; elles
consistent en des négociations sur les restructurations de dette entre les
créanciers et les débiteurs. Jusqu‟à la fin des années 1980, le problème de la
dette était considéré comme une crise de liquidité, et les mesures adoptées
consistaient en un rééchelonnement des échéances. À partir de la fin des
années 1980, devant l‟enlisement de nombreux pays dans la crise de la dette,
les objectifs du Club de Paris ont évolué : il ne s‟agit plus uniquement de
rééchelonner la dette, mais aussi de la réduire et d‟apporter de l‟aide aux pays
les plus pauvres. Les créanciers du Club de Paris ont donc adopté des
programmes de réduction de dette : termes de Toronto (1988), de Londres
(1991), de Naples (1994) et de Lyon (1996) ;
Les rééchelonnements sont des aménagements négociés des échéances de
remboursement. Des délais de grâce sont alors accordés sans que les intérêts
ne continuent de courir.
Le Club de Londres regroupe les créanciers privés (principalement les
banques) engagés envers les pays endettés. Au sein de ces pays, la part de la
dette bancaire est assez faible. Les principaux mécanismes de réduction de la
dette bancaire consistent en un rachat de créances ou en des réductions de
l‟encours et du service de la dette, ces opérations étant appuyées par des
crédits spéciaux de l‟Association internationale de développement (AID);
Les créanciers multilatéraux ont, d‟une part, élaboré des programmes
d‟ajustement structurel et, d‟autre part, augmenté leurs financements
concessionnels aux pays en développement par l‟intermédiaire des organismes
spécialisés : la Facilité d‟ajustement structurel renforcé (FASR), mise en place
par le FMI, et l‟AID, mise en place par la Banque mondiale.
Les rachats de dettes “ debt buy backs ”. L‟emprunteur rachète la dette en
profitant d‟une décote qu‟elle subit sur le marché secondaire des dettes. Il évite
145
BAD, Rapport sur le développement en Afrique, année 2004
157
à l‟avenir d‟avoir à verser les intérêts afférents à la dette et à rembourser la
totalité du capital emprunté. En revanche, cet achat s‟opère en devises car le
prêteur souhaite que le remboursement se fasse dans la monnaie d‟emprunt ou
tout au moins en monnaie convertible. C‟est l‟importance du coût en devises
pour le pays endetté qui limite le nombre de ces rachats. Plus la décote est
élevée, moins l‟effort demandé à l‟emprunteur est grand. Ainsi, la banque
créancière qui récupère de “ l‟argent frais ” assainit son bilan mais subit une
perte d‟actifs équivalant à la décote.
Le rachat-conversion en actifs réels “ debt equity swap ”. L‟emprunteur
échange une créance contre une participation dans une entreprise publique ou,
plus généralement, il rachète en monnaie locale et, avec la somme reçue, la
banque investit dans le pays ou prend des participations dans des
établissements financiers locaux. Cette opération met en relation une banque,
un pays emprunteur et un investisseur.
Les conversions en obligations “ exit bonds ”. Ce sont des obligations
échangées sur la base d‟une décote contre un titre généralement libellé dans la
même devise que la dette. Leur durée est longue, de l‟ordre d‟une vingtaine
d‟années. Ces titres sont souvent négociables c‟est-à-dire qu‟ils peuvent être
vendus librement sans l‟accord de l‟émetteur à toute personne morale ou
physique désireuse de les acquérir.
La réduction des intérêts ne s‟applique en général qu‟aux dettes non
concessionnelles. Elle s‟opère si les pays du Nord consentent à octroyer des
subventions aux banques qui acceptent de réduire leurs intérêts.
L‟annulation des créances.
2°) Les initiatives pré-PPTE d’allégement de la dette
Dans un premier temps les stratégies de sortie de crise mises en œuvre ont pris
la forme de rééchelonnement de la dette appliqué au cas par cas. La démarche
adoptée reposait sur l‟hypothèse selon laquelle les difficultés auxquelles les pays
africains étaient confrontés étaient assimilables à une crise passagère de liquidité.
Par la suite un cadre harmonisé a été mis en place pour accorder le même traitement
aux pays débiteurs ayant la même nature de problèmes d‟endettement. Ainsi il y a eu
une évolution dans les termes appliqués aux pays débiteurs à faibles revenus.
En 1987, les termes dits de Venise furent institués et plusieurs pays
africains bénéficièrent ainsi de rééchelonnements avec des périodes de paiement plus
longues assorties de délais de grâce à des taux d‟intérêt relativement bas par rapport
aux taux originaux.
Les termes de Toronto qui ont été définis ensuite en 1988 furent appliqués
aux pays à faibles revenus éligibles aux crédits IDA. En plus des termes appliqués
selon les termes de Venise, des annulations partielles à hauteur de 33% du service de
la dette furent accordées.
En 1990, les termes de Houston ont été mis en place pour les pays africains
à revenu intermédiaire. Ces conditions leur ont permis de bénéficier de différé de
paiement en lieu et place de réduction de dette. La dette du Nigeria fut ainsi
rééchelonnée sur la base de ces termes à plusieurs reprises.
En 1991, les termes de Londres ont été formulés. Ils permettent de
bénéficier d‟une réduction de 50% du service de la dette ainsi que d‟autres
traitements assurant un étalement des paiements au titre du service de la dette.
158
Les termes de Naples furent adoptés en 1994 pour les pays pauvres
lourdement endettés. Ces termes permettent une annulation de 67% de la valeur
actualisée applicable aussi bien sur les stocks que sur les flux, en fonction de la
situation de la balance des paiements de chaque pays.
Par ailleurs, la crise de la dette n‟a pas épargné les pays à revenu intermédiaire
parmi lesquels on retrouve en particulier la Côte-d‟Ivoire et le Nigéria. En ce qui
concerne cette catégorie de pays, les États-Unis ont proposé des solutions de sortie de
crise, à travers le Plan Baker et le Plan BRADY.
Le Plan BAKER, proposé en 1985 par le Secrétaire d‟État américain au
Trésor, James BAKER, avait pour but de réduire le service de la dette des pays à
revenu intermédiaire. Ce plan comportait trois éléments essentiels :
la mise en œuvre d‟un programme d‟ajustement par le pays débiteur ;
une augmentation substantielle des crédits bancaires accordés à ces pays pour
accompagner les efforts d‟ajustement ;
une surveillance permanente par le FMI couplée avec des volumes importants
de nouveaux emprunts provenant des banques multilatérales de
développement.
Devant les limites du Plan Baker, un nouvel instrument fut mis en place : le
Plan Brady, du Secrétaire d‟État américain au Trésor à l‟époque, Mr Nicholas F.
Brady. Cette nouvelle stratégie visait à réduire le service de la dette commerciale des
pays ayant accepté d‟appliquer des réformes économiques importantes. Le Plan en
question préconisait surtout des méthodes de réduction du service de la dette basées
sur le marché financier et a servi de catalyseur pour une forte croissance économique
dans les pays dits émergents. Parmi les pays africains, seul le Nigéria a eu à en
bénéficier.
L‟application de tous les mécanismes de réduction de la dette ci-dessus
évoqués est faite parallèlement avec l‟adoption de programmes d‟ajustement
structurel et de stabilisation macro-économique en collaboration avec les institutions
de Bretton Woods.
159
Tableau 10
Dans l‟ensemble, ces différentes stratégies n‟ont pas permis aux pays africains
de sortir de la crise de la dette extérieure. Selon le Fonds Monétaire International
(FMI), le service de la dette extérieure des pays africains représentait 23,9% et 26,6%
de leurs recettes d‟exportations de biens et services non facteurs, respectivement en
1988 et en 1995. Le niveau élevé du service de la dette a engendré, dans certains cas,
une situation d‟insolvabilité.
160
En outre, ces différentes initiatives excluaient la dette multilatérale contractée
à l‟égard des institutions financières internationales telles que le FMI et la Banques
mondiale. Leur portée s‟en est trouvée limitée, la dette multilatérale ayant, au fil du
temps, représenté une part croissante de la dette des pays africains.
Ce qui était considéré comme un problème de liquidité se révéla être un
problème de solvabilité, voire un problème de développement global. C‟est ainsi qu‟au
milieu des années 1990 précisément en 1996, un nouveau dispositif a été mis en place
par le FMI et la Banque Mondiale : il s‟agit de l‟initiative en faveur des Pays Pauvres
Très Endettés (PPTE).
Section 3 : L’initiative en faveur des PPTE
La persistance des difficultés de remboursement de la dette extérieure des pays
à faible revenu a conduit en 1996 la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire
International, suite aux propositions du G7 au sommet de Lyon, à créer un nouveau
mécanisme pour alléger l‟endettement des pays les plus pauvres, intitulé “ Initiative
en faveur des pays pauvres très endettés ”, qui vient s‟ajouter aux mécanismes
traditionnels de retraitement de dette. En juin 1999, le sommet du G7 à Cologne, a
élaboré les grandes lignes d‟une amélioration de ce dispositif dont certains aspects,
comme la sévérité de ses critères d‟éligibilité, sa lenteur d‟exécution ou sa trop faible
ampleur, étaient critiqués.
I/ Présentation de l’initiative
Il est largement reconnu que l'endettement extérieur d'un certain nombre de
pays à faible revenu, africains pour la plupart, est devenu extrêmement difficile à
gérer. Même les mécanismes classiques de rééchelonnement et de réduction de la
dette, alliés à des apports continus de financement concessionnel et à la poursuite de
politiques économiques saines, n‟ont pas suffit pour ramener l'endettement extérieur
de ces pays à un niveau supportable dans des délais raisonnables.
En septembre 1996, le FMI et la Banque mondiale ont lancé un programme
pour remédier à cette situation : l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés
(PPTE). Cette initiative vise à fournir une assistance exceptionnelle aux pays
admissibles mettant en oeuvre des politiques économiques saines pour les aider à
ramener la charge de leur dette extérieure à un niveau tolérable. Le but de l‟initiative
PPTE est d‟encourager les politiques sociales en vue de réduire la pauvreté et de sortir
définitivement les pays des rééchelonnements successifs de dette. Pour atteindre un
niveau de dette soutenable, l‟initiative PPTE envisage une réduction de la dette des
créanciers multilatéraux, ce qui rompt avec les mécanismes dits traditionnels où les
annulations ne concernaient que la dette bilatérale.
L'initiative constitue un dispositif global de réduction de la dette des pays
pauvres qui requiert la participation de tous les créanciers. Elle vise à garantir
qu'aucun pays ne soit confronté à une charge d'endettement intolérable. Pour
bénéficier de l'initiative, les pays doivent s'engager à poursuive leurs efforts
d'ajustement macroéconomique et de réforme des politiques sociales. Il s'agit en
outre d'obtenir des financements supplémentaires pour les programmes sociaux,
surtout en matière de santé et d'éducation de base.
161
II/ Fonctionnement et éligibilité
Tous les pays qui sollicitent une aide au titre de l'initiative PPTE
doivent passer par deux étapes:
Première étape Pour pouvoir bénéficier d'une assistance, un pays doit
adopter des programmes d'ajustement et de réformes appuyés par le FMI et la
Banque mondiale et établir des antécédents satisfaisants. Durant cette période, il
continuera à recevoir l'aide concessionnelle classique de tous les bailleurs de fonds
intéressés, y compris les institutions multilatérales, ainsi qu'un allégement de dette
de la part des créanciers bilatéraux (dont le Club de Paris). Au terme de la première
étape, on procède à une analyse du degré d'endettement du pays pour déterminer s'il
est ou non tolérable (point de décision). Si le ratio valeur actualisée nette146 de la
dette extérieure/exportations dépasse 150 %, après application des mécanismes
classiques d'allégement de dette, le pays peut être admis à recevoir une aide au titre
de l'initiative. Dans le cas particulier des économies très ouvertes (ratio
exportations/PIB supérieur à 30 %) ayant une charge d'endettement très élevée par
rapport aux recettes budgétaires, le ratio valeur actualisée nette de la
dette/exportations retenu comme objectif peut être fixé en dessous de 150 %. Dans ce
cas, l'objectif retenu pour le ratio valeur actualisée nette de la dette/recettes
budgétaires est de 250 % au point de décision.
Deuxième étape Une fois déclaré admissible à une aide au titre de
l'initiative, le pays doit continuer de donner la preuve qu'il exécute comme il convient
les programmes soutenus par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette
seconde période n'est pas limitée, mais dépend de la mise en œuvre satisfaisante des
réformes structurelles clés convenues au point de décision et du maintien de la
stabilité macroéconomique, ainsi que de l'adoption et de l'exécution d'une stratégie
de réduction de la pauvreté élaborée selon un vaste processus participatif. L'emploi
de dates «flottantes» pour le point d'achèvement permettrait aux pays performants
de parvenir plus rapidement à ce stade. Durant la deuxième étape, les créanciers
bilatéraux et les banques commerciales sont généralement censés rééchelonner les
obligations venant à échéance en accordant une réduction atteignant 90 % de la VAN.
III/ Les limites de l’initiative PPTE.
L‟initiative PPTE permettra, selon les estimations du FMI, de réduire la dette
des 26 pays éligibles de 12.5 milliards de dollars en VAN de 1998 au point
d‟achèvement (voir tableau 2). Ce chiffre représente (toutes choses étant égales par
ailleurs) 9.1% de la VAN des 41 PPTE (en excluant le Liberia, la Somalie et le Soudan)
en 1997. Sur ce montant, la part des créanciers multilatéraux a été estimée à 6.2
milliards de dollars (4.5% de la VAN) dont 2.4 milliards pour la Banque mondiale
(1.7% de la VAN), 1.2 milliard pour le FMI (0.9% de la VAN) et le reste pour les autres
institutions multilatérales. Les créanciers bilatéraux et commerciaux participeront à
hauteur de 6.3 milliards de dollars (4.6% de la VAN).
La valeur nominale du stock de la dette ne donne pas une idée exacte de la charge de l'endettement
extérieur d'un pays si une fraction non négligeable est concessionnelle, c'est-à-dire assortie de taux
inférieurs à ceux du marché. La valeur actualisée nette (VAN) de la dette rend compte de son degré de
concessionnalité. Elle est égale à la somme de toutes les obligations futures au titre du service de la
dette existante (principal et intérêts), à laquelle on applique un taux d'actualisation égal au taux
d'intérêt du marché. Lorsqu'un prêt est assorti d'un taux d'intérêt inférieur à celui du marché, la VAN
de la dette qui en résulte est inférieure à sa valeur nominale, l'écart représentant l'élément de don.
146
162
Tableau 11 : Estimation des coûts de l’initiative PPTE
Tableau 2 : Coûta de l’initiative PPTE en milliards de dollars, en VAN de 1998 pour les
PPTE (le Libéria, la Somalie et le Soudan sont exclus)
L‟initiative PPTE devrait permettre, selon les estimations du FMI, de réduire la
dette des 26 pays éligibles de 12,5 milliards de dollars en VAN (valeur actuelle nette)
de 1998 au point d‟achèvement. La VAN se présente comme une méthode de calcul de
ce que valent aujourd‟hui, les remboursements futurs dus au titre de la dette.
Encadré 13 : La VAN de la dette
Les institutions internationales analysent l‟endettement des pays pauvres sur
la base de la valeur actuelle (ou actualisée) nette (VAN), et non sur celle de leur valeur
nominale (le véritable montant des prêts). La VAN est un moyen de calculer ce que
valent, aujourd‟hui, les remboursements futurs dus au titre de la dette. Le lien entre
le présent et le futur est le taux d‟intérêt. Le calcul de la VAN consiste à chercher le
montant actuel de la dette de telle sorte que, si on lui applique le taux d‟intérêt du
marché aujourd‟hui, on obtient le montant total des remboursements futurs.
Comme les pays les plus pauvres bénéficient de prêts à taux d‟intérêt bien plus
faibles que ceux du marché, la VAN de leur dette est très inférieure à sa valeur
nominale. Ce qui permet d‟avoir une idée plus juste du coût des réductions de la
dette.
En général, les principales critiques adressées à l‟égard de l‟Initiative PPTE se
résument à son insuffisance, un service de la dette important qui risque d‟absorber
une bonne partie des dépenses sociales, la restriction des critères d‟admissibilité
excluant certains pays très endettés, la longue période durant laquelle le pays doit
appliquer des mesures avant de pouvoir bénéficier d‟une réduction de dette (A.
Joseph, 2000).
L‟initiative PPTE devrait permettre, selon les estimations du FMI, de réduire la
dette des 26 pays éligibles de 12,5 milliards de dollars en VAN (valeur actuelle nette)
de 1998 au point d‟achèvement. La VAN se présente comme une méthode de calcul de
ce que valent aujourd‟hui, les remboursements futurs dus au titre de la dette.
163
1°) Beaucoup d’appelés et peu d’élus
L‟initiative devait concerner 42 PPTE pour une dette globale d‟environ 210
milliards de dollars mais au départ, une première sélection avait écarté 6 pays :
l'Angola la Guinée équatoriale, le Kenya, le Nigeria, le Vietnam et le Yémen. Ces pays
sont estimés ni trop pauvres ni trop endettés pour bénéficier de l'initiative. La dette
globale des 36 pays restants se monte à 130 milliards de dollars avec une annulation
projetée de 70 milliards ce qui représente environ 54% du stock de la dette totale.
Une étude effectuée pour l‟OCDE, en septembre 1999, sur les pays éligibles selon la
première version de l‟Initiative PPTE, révèle que les Conseils de la Banque et du FMI
ont étudié 14 cas parmi les quels deux ont un degré d‟endettement soutenable (le
Sénégal et le Bénin), trois ont passé le point de décision (Burkina Faso, Côte d‟Ivoire,
Mali), et quatre sont entrés dans la deuxième phase d‟achèvement (Ouganda, Bolivie,
Guyana, Mozambique). En bout de course, seul l'Ouganda après deux phases de
dures et coûteuses réformes a bénéficié d‟un allégement de 2 milliards de dollars soit
0,1% de la dette du Tiers Monde.
2°) L’arbre qui
surendettement massif
cache
la
forêt :
allégements
modestes
et
L‟étalement des allégements sur une trop longue période, a conduit à des
diminutions minimes du service de la dette, voire même paradoxalement à une
augmentation. Le Mali par exemple, selon les estimations du FMI, devra rembourser
16,1 millions de dollars en 2010 pour 19,7 millions actuellement. La Tanzanie ne
verrait son service de la dette diminuer que de 7%. Les quelques allégements assez
partiels obtenus sont étalés sur une durée trop longue en moyenne une trentaine
d‟années. En conséquence, les divers chocs externes auront le temps de ravager et
d‟amplifier les déséquilibres et de maintenir les PPTE l‟étau de l‟endettement.
3°) Les aveux d’impuissance et d’échec de l’initiative PPTE : impacts
limités sur l’envol de la dette et les performances macroéconomiques.
Les diverses remises de dette opérées au titre de l‟initiative non seulement sont
restées modestes mais leur impact sur les pays bénéficiaires est modeste. S‟il reste
vrai qu‟il est prématuré de faire une évaluation exhaustive à cause de l‟étalement sur
une longue durée de l‟initiative PPTE, du caractère restrictif des conditions
d‟éligibilité et de la rigueur des ajustements à réaliser, les incidences à court terme
sont mitigés.
Au demeurant, ces pays sont loin d‟être définitivement sortis de la spirale de
l‟endettement. Dans ce sens, selon le Rapport 2000 de la CNUCED, «Les espoirs que
l‟on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l‟initiative renforcée en faveur des
PPTE ne sont pas réalistes. L‟allégement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre
celle-ci supportable à moyen terme, par ailleurs, l‟ampleur de l‟allégement de la dette
et la manière dont il interviendra n‟auront pas d‟effets directs majeurs sur la
réduction de la pauvreté ». Le Rapport du PNUD (2000) aboutit à peu prés à la
même conclusion en notant que «La dette continue d‟être un frein au développement
humain et à la réalisation des droits de l‟homme. L‟initiative d‟annuler le service de la
dette en faveur des PPTE n‟a jusqu‟ici eu qu‟un impact limité. L‟allégement de la
dette reste toujours loin derrière les intentions et les promesses».
164
4°) Les allégements n’ont pas enrayé l’envol de la dette et rendu
celle-ci soutenable.
Si l'allégement du stock de la dette lié à l‟initiative PPTE peut paraître
important, il ne se traduit que par une faible baisse du service de la dette des pays
bénéficiaires. En effet, la majeure partie de ces allégements consiste à opérer un
simple jeu d‟écriture comptable régularisant de vieilles créances qui n‟auraient jamais
été remboursées.
L‟allégement de la dette se traduit, de ce fait, par un impact financier réduit à
court terme car régularisant une situation de fait. En effet, l‟allégement a deux faces :
l‟annulation des créances APD (20 milliards de $) et l‟allégement des créances
commerciales et multilatérales (50 milliards de $), soit un total de 70 milliards pour
une dette globale de 130 milliards de dollars, c‟est-à-dire 54%. Or, la plupart des pays
ne payaient, avant l‟initiative, pas plus de 50% du service de la dette. Ainsi,
l‟allégement a une portée relativement limitée. Cependant, pour certains pays bons
payeurs comme l‟Ouganda, l‟allégement est significatif.
L‟allégement de la dette n‟a permis en réalité, pour bon nombre de pays, que
de voir leur dette devenir soutenable c‟est-à-dire qu‟ils peuvent de nouveau contracter
des dettes sur les marchés financiers afin de rembourser le reste de la dette qui n‟a
pas été annulé. Ainsi, le risque de surendettement est de nouveau d‟autant plus réel
pour ces pays qu‟ils ne s‟affranchissent pas de structures économiques vulnérables
qui les exposent aux aléas des chocs d‟environnement international.
Un observateur avisé tel que l‟économiste Daniel Cohen considère que "le gros
de la dette est une fiction qui ne correspond pas aux remboursements effectifs qui
sont faits par ces pays". Il estime qu'en réduisant des 2/3 la valeur faciale de la dette,
les créanciers "réduisent de bien moins le fardeau réel supporté par les pays
endettés", et conservent une grande part des "créances effectives dont ils disposent
sur les pays pauvres". En incluant ainsi les « dettes fantômes », c‟est-à-dire
impayables, les chiffres officiels surévaluent donc largement le coût des allégements
de dette.
En outre, les montants de réduction de dette qui sont annoncés sont des
montants globaux. La réduction signifie concrètement que pendant une durée plus ou
moins longue selon les bailleurs de fonds (d‟une dizaine à une quarantaine d‟années)
des versements qui auraient dû être effectués au titre du service de la dette ne le
seront pas. Ce qui répartit d‟autant le coût réel des allégements.
Par ailleurs, la répartition des allégements effectifs sur de nombreuses années
réduit considérablement le coût annuel de ces plans.
Les conditionnalités de l‟initiative PPTE consistent pour l‟essentiel à définir et
mettre en œuvre une stratégie de réduction de la pauvreté qui se traduit par une
modification de la structure des dépenses publiques au profit des secteurs sociaux
notamment l‟éducation et la santé. Cette tendance a été effectivement constatée chez
les pays bénéficiaires de l‟initiative.
Cependant, les progrès dans le domaine de la lutte contre la pauvreté sont très
limités. La prévalence de la pauvreté demeure relativement forte et s‟est même
accentuée dans beaucoup de pays africains. En outre, peu de pays africains sont en
mesure d‟atteindre les objectifs du millénaire pour le développement si les tendances
observées durant la période récente sont extrapolées.
165
Tableau 12 : Poids des dépenses sociales dans les pays africains
bénéficiaires de l’initiative PPTE renforcée (Moyenne 1999 Ŕ 2002)
(%)
Indicateurs de dépenses sociales
Dépenses moyennes en % du PIB
Avant allégement PPTE
Après allégement PPTE
Dépenses moyennes en % des recettes publiques
Avant allégement PPTE
Après allégement PPTE
4,3
5,1
29,9
32,7
Sources : Documents PPTE et estimations des services de la Banque et du FMI
5°) Impact limité de l’initiative sur les performances économiques
des pays bénéficiaires.
Les stratégies de désendettement des pays africains appliquées durant les
décennies 1980 et 1990 n‟ont pas permis de booster les économies africaines et de
réduire de manière significative la pauvreté. Ainsi le taux de croissance des pays
d‟Afrique au sud du Sahara s‟est élevé à 1,6% entre 1981 et 1990 et 2,3 au cours de la
décennie suivante, soit un niveau nettement inférieur au croît démographique qui est
de l‟ordre de 3%.
Tableau 13 : Performances économiques des pays africains au Sud du
Sahara
Économie réelle
(% de variation
annuelle)
Croissance du
PIB réel
Croissance de la
consommation
privée par tête
Croissance du
PIB par tête
Croissance de la
Population
Investissements
réels Intérieurs
bruts/PIB
Taux d’Inflation
Déficit
budgétaire/PIB
Croissance de la
part de marché à
l’exportation
1981
1990
1991- 1999
2000
2000
2001
2002
2003
1,6
2,3
2,5
3,6
3,1
2,8
3,4
4,1
-1,0
-0,4
0,1
-2,2
3,8
5,9
-2,5
2,0
-1,3
-0,3
-0,1
0,8
0,8
0,7
1,2
2,1
3,0
19,0
2,6
17,1
2,6
17,9
2,7
18,1
2,3
18,1
2,2
19,4
2,1
19,4
2,0
20,2
9,6
-4,5
9,5
-4,6
5,8
-3,0
7,5
-2,7
6,0
-2,4
6,5
-2,7
8,2
-2,7
4,0
-3,0
3,2
7,0
6,8
11,1
0,4
3,2
6,9
6,8
166
2005
prévision
Si le taux de croissance du PIB par tête s‟améliore à partir du début des années
2000, (il varie entre 0,7 et 1,2) il demeure relativement modeste par rapport au
niveau requis pour atteindre les objectifs du millénaire (7%). En outre, le taux de
croissance économique des pays africains au sud du Sahara, hors Afrique du Sud, suit
une tendance à la baisse de 2001 à 2003 quoique resté positif mais toujours inférieur
au croît démographique.
Ces modestes résultats procèdent de plusieurs facteurs dont le plus important
est sans doute la logique de la «soutenabilité financière» qui concerne
essentiellement les dettes «impayables». Cette logique est tout à fait à l‟avantage des
créanciers, qui cherchent à limiter au maximum leur effort et à se débarrasser de
mauvaises créances. À l‟expérience, le service de la dette des 24 premiers pays qui ont
commencé à bénéficier de l‟Initiative ne diminue que très faiblement (-27% en
moyenne). D'après les projections de la Banque mondiale, les remboursements
effectués par ces pays devraient d'ailleurs repartir rapidement à la hausse, et n'être
plus, en 2007-2009, que de 14% inférieur à leur niveau d'avant initiative PPTE.
Tableau 14: Indicateurs d’endettement des pays africains au sud du
Sahara ayant atteint le point d’achèvement, moyenne 2001-2003 (en %)
Pays
Dette
totale/XBS*
VA Dette**/XBS
Dette/PNB
Bénin
347
151
65
Éthiopie
621
135
112
Madagascar
466
138
105
Mauritanie
459
153
218
Niger
542
148
93
Tanzanie
457
132
77
Burkina-Faso
497
178
54
Ghana
285
85
128
Mali
282
124
97
Mozambique
430
118
139
Sénégal
222
96
84
Ouganda
408
170
78
Ces raisons ont amené E. TOUSSAINT (2001) à qualifier de «faux»
allègement l‟initiative PPTE car remarque t-il, le stock des dettes des pays concernés
a augmenté de 10 milliards de dollars passant de 205 milliards de dollars en 1996 à
215 milliards de dollars en 2001. En 1999. En termes de remboursement, les pays
167
bénéficiaires ont payé 1.680 millions de dollars de plus que ce qu'ils ont reçu sous
forme de nouveaux prêts.
Cela signifie que, non seulement les ressources libérées par les allégements de
dette sont marginales, mais qu'aucune perspective de sortie durable du
surendettement n'est possible.
En définitive, les diverses remises de dette opérées au titre de l‟initiative non
seulement sont restées modestes mais leur impact sur les pays bénéficiaires l‟est
autant bien que l‟évaluation exhaustive soit difficile à réaliser à cause de la longueur
de l‟initiative PPTE, des conditions d‟éligibilité trop restrictives et de la rigueur des
ajustements exigés. C‟est dire que l‟engagement des pays dans le processus PPTE est
loin de les sortir de la spirale de l‟endettement. Dans ce sens, le Rapport 2000 de la
CNUCED, note que «Les espoirs que l‟on fonde actuellement sur la mise en œuvre de
l‟initiative renforcée en faveur des PPTE ne sont pas réalistes». Comme pour faire
échos, le Rapport du PNUD 2000 aboutit à la même conclusion en observant que «La
dette continue d‟être un frein au développement humain et à la réalisation des droits
de l‟homme».
Cet échec procède de plusieurs facteurs dont le plus important est sans doute
la logique de la «soutenabilité financière» façonnée à l‟avantage des créanciers, qui
cherchent à limiter au maximum leurs efforts et à se débarrasser de mauvaises
créances. À l‟expérience, le service de la dette des 24 premiers pays bénéficiaires de
l‟Initiative ne diminue que très faiblement (-27% en moyenne). D'après les
projections de la Banque mondiale, les remboursements effectués par ces pays
devraient d'ailleurs repartir rapidement à la hausse, et n'être plus, en 2007-2009, que
de 14% inférieur à leur niveau d'avant initiative PPTE. Il s‟agit selon Toussaint (2001)
d‟un «faux» allègement puisque le stock des dettes PPTE a augmenté de 10 milliards
de dollars. En 1999, les pays bénéficiaires ont remboursé 1.680 millions de dollars
de plus que ce qu'ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts. Cela signifie qu'aucune
perspective de sortie durable du surendettement n'est en vue.
Face à cette réalité, on peut alors s‟interroger sur « les lendemains » de
l‟initiative PPTE.
Section 4 : Les perspectives de l’après PPTE.
L‟après PPTE repose toujours la problématique de la gestion de la dette
africaine. Ce problème peut être vu sous deux angles : du point de vue de la dette
elle-même (stratégies de financement) et du point de vue des objectifs visés. D‟une
part, les gouvernements africains ont exprimé leur ferme intention de mobiliser des
ressources intérieures. Ils ont cependant toujours besoin d‟une aide financière
extérieure considérable. D‟autre part, L'aide publique au développement est
essentielle pour appuyer et encourager les efforts des pays démunis en matière de
réduction de la pauvreté et de développement économique. Par ailleurs, les
différentes mesures entrant dans le cadre de la gestion de la dette sont liées aux
objectifs de réduction de la pauvreté et de croissance, lesquels sont eux-mêmes liés.
S‟agissant de la gestion de la dette, si au cours des vingt dernières années, le
système international d‟aide au développement n‟a pas atteint son objectif d‟accroître
la croissance et d‟améliorer le bien-être des pays pauvres, c‟est en parti dû à
l‟existence de carences aussi profondes que systémiques dans la façon dont la
coopération au développement est mise en œuvre (A. K. OLECHE, 2001). Les progrès
en vue de réduire le stock de la dette officielle ont été lents, pour des raisons
comptables et budgétaires qui préoccupaient les pays créanciers et parce qu‟il fallait
168
que tous les principaux organismes créanciers parviennent à un consensus. Les
différents créanciers ne voient pas tous de la même façon leurs relations avec les pays
à faible revenu, et ces différences se reflètent dans l‟approche qu‟ils adoptent pour
parvenir au juste dosage d‟allègement de la dette, de nouveaux prêts concessionnels
et de dons, ainsi que dans l‟importance qu‟ils accordent à la conditionnalité.
En outre, les mécanismes par lesquels les différents créanciers financent
l‟allègement de la dette sont d‟une importance cruciale, car cet allègement ne peut
apporter de ressources additionnelles nettes que si son financement n‟évince pas les
formes d‟aide plus traditionnelles (R. Powell, 2000). Bien que le stock de la dette de
nombreux pays ait de beaucoup dépassé le niveau soutenable, les créanciers du club
de Paris ont pu utiliser des techniques de rééchelonnement concessionnel pour
contenir l‟augmentation des paiements effectivement demandés souligne l‟auteur. Il
est donc nécessaire de repenser totalement la conception, les relations et les
conditions qui régissent l‟organisation de l‟assistance au développement dans les pays
les moins avancés (et pas seulement dans les PPTE). Les donateurs doivent alors
accroître l'efficacité de leur aide en coordonnant plus efficacement les mesures d'aide
axées sur les programmes bien pensés et mis en œuvre par les bénéficiaires et dans la
mesure du possible, en harmonisant ces mesures. Ce faisant, la réflexion doit être
faite par rapport aux objectifs.
S‟agissant de ces derniers, l‟expérience démontre que l'aide économique aux
pays appliquant une saine gestion permet d'intensifier la croissance et d'améliorer la
situation sociale. Les donateurs peuvent intervenir en dirigeant l'aide de façon plus
efficace vers les pays démunis qui font la preuve d'efforts sérieux en vue d'apporter
des réformes économiques et de réduire la pauvreté. Sur cette question, il fait peu de
doutes que l'allégement des dettes pourrait grandement stimuler les efforts visant à
réduire la pauvreté et à favoriser le développement humain. Mais comme le
remarquent J. SERIEUX et Y. SAMY (2001) la majorité des PPTE ont seulement pu
assurer le service de moins de 50% de leurs dettes en moyenne, et alors toute
réduction des dettes actuelles qui n'est pas importante et concentrée au début ne va
pas aider à réduire la pauvreté. Aussi pour ces auteurs, la réduction des dettes devrait
être nettement plus élevée que 60% pour qu'il y ait des progrès dans la réduction de
la pauvreté et dans le développement humain. Le taux de remise de l‟initiative
renforcée en faveur des PPTE (54%) est presque certainement insuffisant pour
éliminer le surendettement.
En ce qui concerne la croissance économique, il faudrait identifier au-delà de
quel seuil la dette extérieure compromet les performances économiques et si l‟effet
d‟un alourdissement de la dette dépend de son encours. Il apparaît que la dette aurait
une relation en forme de courbe en U inversée (voir graphique) avec la croissance (C.
PATTILLO, H. POIRSON et L. RICCI, 2002). À mesure que les ratios de la dette
augmentent au-delà du point A, tout nouvel emprunt ralentit la croissance, même si
l‟encours global de la dette continue d‟exercer un effet positif sur la croissance. Le
point A peut donc être considéré comme le niveau de dette qui maximise la
croissance. Mais, lorsque la dette atteint le point B, sa contribution devient
globalement négative sur la croissance lorsque la dette représente de 160 à 170 % des
exportations, et de 35 à 40 % du PIB (en valeur actuelle nette). L‟impact marginal
devient négatif (point A) dès qu‟elle atteint environ la moitié de ces taux.
169
Figure 11
Graphique : Seuils d’endettement
En chiffrant les dividendes de croissance attendus de l‟allégement de la dette,
la diminution de la dette de moitié pour la ramener de 200 % des exportations
(chiffre proche du ratio dettes/exportations moyen des pays de l‟échantillon147 au
cours des trente dernières années) à 100 % des exportations permettrait d‟enregistrer
un gain de croissance par habitant de l‟ordre de 1/2 à 1 point. Quant aux pays
susceptibles de bénéficier de l‟initiative PPTE, la majorité de ceux qui sont sur le
point d‟obtenir un allégement de leur dette affichent un ratio dettes/ exportations de
l‟ordre de 300 %. Si leur dette est ramenée à l‟objectif de 150 %, l‟étude montre que
leur croissance s‟accélérera d‟environ 1 point. Cette accélération pourrait amorcer un
cercle vertueux qui, en l‟absence d‟un nouvel accroissement de la dette, abaissera
encore le ratio d‟endettement. Il est clair, cependant, que ce dividende de croissance
risque de ne pas se matérialiser si le pays enregistre fréquemment des distorsions
macroéconomiques et structurelles brutales.
En rapportant ces données aux taux de croissance et d‟investissement
nécessaires (voir tableau) afin de diminuer la pauvreté en Afrique de 50% d‟ici à
2015, on pourrait logiquement déduire (moyennant quelques simulations) l‟objectif
cible auquel pourrait être ramené la dette dans le cadre en particulier de l‟initiative
PPTE et dans le cadre de la dette africaine en général. On pourrait ainsi calculer
l‟augmentation de croissance espérée par rapport à l‟objectif de 2015 laquelle
augmentation qui, comparée à la référence ci-dessus, permettrait de déduire cet
objectif cible.
147
93 pays en développement.
170
Tableau 15 : Croissance du PIB et investissement requis en Afrique
Tableau 3 : Taux de croissance et d’investissement nécessaires afin de diminuer la
pauvreté en Afrique de 50% d’ici à 2015
Section 5 : Comment
l’hypothèque de la dette ?
désendetter
l’Afrique
et
lever
Au Sommet de l‟OUA tenu à Lomé en 1999, le Président Abdoulaye Wade avait
très solidement plaidé pour une relance du débat sur la dette africaine et avait
sollicité de ses pairs l‟inscription de la question dans l‟agenda international des IFI et
du G8. Cette position est aujourd‟hui largement confortée par les médiocres résultats
de l‟initiative PPTE et les nombreuses crises chaotiques d‟endettement qui ont secoué
de façon dramatique les pays du Tiers-Monde.
I/ L’impérative du désendettement pour accélérer la croissance et
réduire la pauvreté rampante en Afrique.
Le désendettement du continent est exigence reconnue et affirmée par tous les
partenaires. Il est l‟un des objectifs majeurs du Plan du Millénaire de l‟ONU et du
NEPAD. Ces programmes admettent que pour réduire la pauvreté en Afrique de 50%
d‟ici 2015, il faut une croissance forte et régulière au taux de 7%. Ce qui impose des
investissements massifs de l‟ordre de 40% du PIB et le ravalement de la dette à un
niveau soutenable avec la réallocation des ressources provenant des allégements
effectifs.
Depuis une vingtaine d‟années, les principales initiatives et réformes se sont
avérées insuffisantes pour diminuer de façon substantielle la valeur actuelle nette de
la dette. Un endettement excessif engendre toujours un climat d‟incertitude qui
pousse à la sortie des capitaux et décourage les Investissements Directs Étrangers et
le retour des capitaux enfuis. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les emprunts
extérieurs aident les pays à accélérer leur croissance en finançant des investissements
productifs et atténuent les effets des turbulences économiques et financières. Alors se
pose la question de savoir comment naviguer entre deux écueils : ne pas prêter assez
ou prêter trop ? En effet, accorder trop peu de crédits c‟est étrangler l‟Afrique à court
terme dans le financement de son développement au moment où elle veut accélérer
sa croissance économique et lui accorder trop de crédits, c‟est l‟étouffer à long terme
dans son endettement.
171
Comment enclencher un processus vertueux d‟endettement au service de la
croissance et de l‟amélioration de la solvabilité ?
II/ Les nouvelles propositions en débats.
Quelques propositions de programmes d‟allégement ou d‟annulation, de
nouvelles mesures ainsi que de nouveaux mécanismes sont actuellement en
discussions pour une solution durable au problème de la dette du continent Quatre
propositions sortent du lot.
La première proposition émane de Maître Abdoulaye Wade qui propose la
création d’un Fonds Régional de Désendettement qui ramènerait dans son
portefeuille, selon des modalités qui seront fixées, toutes les dettes des pays africains.
Celles-ci pourrait être rétrocédées selon des techniques comme le rachat-conversion
en actifs réels ou encore le »debt equity swap», les conversions en obligations ou
«exit bonds». Cette proposition issue du Plan Oméga pourrait être mise en synergie
avec d‟autres projets ou plans comme «l‟organisation de la procédure d‟insolvabilité
internationale» aujourd‟hui acceptée par le FMI ou à des techniques comme les
Swaps
. Le Fonds serait organiquement relié à tous les acteurs concernés par la dette.
La deuxième proposition concerne la mise en place d‟un mécanisme
d’arbitrage juste et transparent chargé de restructurer la dette des États qui
sont dans l'incapacité de rembourser et qui veulent disposer d‟un plan de règlement
efficace au double plan économique et social. Ce dispositif pourrait être raccordé aux
orientations et dispositifs des «Documents stratégiques de réduction de la
pauvreté (DRSP)».
La troisième proposition découlerait d‟un remodelage de l‟initiative PPTE pour
en faire un mécanisme d’allégement et d’affectation des ressources
dégagées à des programmes comme ceux du développement humain. Il faudra alors
résoudre les effets pervers de l‟initiative comme par exemple la logique de
soutenabilité financière, la longue période qui sépare le point de décision et le «point
d‟achèvement» (date à laquelle le pays reçoit les allégements de dette), le nombre
limité des bénéficiaires, le financement aléatoire.
La quatrième proposition serait la recherche d‟un Plan consensuel
d’annulation pure et simple du stock de la dette. Cette «remise à zéro des
compteurs» est justifiée par le fait que les pays ont plusieurs fois remboursé et qu‟ils
ne doivent donc plus rien.
172
CHAPITRE 21
LES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS
ET LE FINANCEMENT DU SECTEUR PRIVÉ
Les mouvements de capitaux et en particulier les Investissements Directs
Etrangers (IDE), constituent la voie privilégiée pour les PSD pour résorber leur
déficit important d‟épargne. Ces IDE se présentent sous deux formes dominantes :
celle des flux financiers qui cherchent à se rentabiliser dans un système monétaire
globalisé complètement décloisonné et déréglementé et celle des Firmes
Multinationales qui visent à augmenter leurs profits, leur rentabilité, leur
compétitivité par le contrôle de leurs espaces de valorisation ce qui leur permet
d‟échapper aux contraintes et législations nationales dans le domaine productif.
L‟aboutissement des deux formes est le transfert de flux financiers et la
délocalisation de la production qui accroissent leur rentabilité et améliorent les
conditions de leur valorisation.
Section 1 : Configuration des IDE dans le monde : une
tendance à la hausse
En termes de stocks, les montants sont passés de 513 milliards de $ en 1980 à
417 milliards de $ en 1998 et en termes de flux, les flux annuels sont passés de 59
milliards de dollars en 1982 à 209 milliards en 1990, avant d‟atteindre 560 milliards
en 2003. Mais, plus que le volume, c‟est surtout le rythme de croissance qui montre
l‟ampleur de ces mouvements durant les deux dernières décennies. À ce niveau, il
faut indiquer que la croissance annuelle des flux des IDE a été de 22,9 % entre 1986
et 1990 et de 21,5 % entre 1991 et 1995. Mais c‟est surtout durant la seconde moitié
des années 90 que les IDE vont connaître une explosion sans précédent avec une
croissance annuelle de 39,7 %. Pour bien saisir l‟ampleur de cette croissance, il faut la
comparer à celle de la production et du commerce international. À ce niveau, il faut
observer que les mouvements de capitaux ont joué un rôle majeur dans la
globalisation des marchés financiers. C‟est pourquoi, leurs rythmes de progression
ont dépassé ceux du commerce international et de la production. Par ailleurs, la
croissance des flux d‟IDE a été plus de 12 fois supérieure à celle du PIB.
Tableau 16 : Évolution des flux d’IDE (en milliards de $)
1998
1999
2000
2001
2002
Monde
686,0
1 079,0
1 392,9
823,8
651,2
Pays en développement
191,2
229,2
246,0
209,4
162,1
Afrique du Nord
2,8
3,6
3,1
5,4
3,5
Afrique subsaharienne
6,0
8,6
5,4
13,3
7,4
Afrique
8,9
12,2
8,4
18,7
10,9
Part Afrique/Monde (%)
1,3%
1,1%
0,6%
2,3%
1,7%
Source : CNUCED, World Investment Report 2003.
173
Cette tendance à la hausse des mouvements de capitaux dans les années 80
et 90 trouve son explication dans les logiques des firmes transnationales (FTN)
visant à délocaliser une partie de leurs activités intensives en travail dans les PSD qui
ont de faibles coûts de main-d‟œuvre permettant d‟améliorer leur rentabilité. À cela
viennent s‟ajouter les investissements croisés entre pays développés qui renforcent
leurs positions monopolistiques. Une grande partie des IDE a servi à des opérations
de fusion Ŕ acquisition dans les secteurs comme la banque, l‟assurance, l‟industrie
chimique, l‟industrie pharmaceutique et les télécommunications. Ces opérations
internationales de fusion - acquisition ont mobilisé près de 297 milliards de dollars
en 2003, soit plus de la moitié du total. Elles constituent selon la CNUCED « une
composante majeure des flux d‟IDE pour les pays développés tout en reflétant la
stratégie suivie par les entreprises transnationales, c'est-à-dire se retirer de leurs
secteurs d‟activité secondaires et renforcer, par le biais d‟acquisitions, leur avantage
concurrentiel dans leur secteur d‟activité principal.
Cette stratégie a été rendue possible par la libéralisation (notamment l‟accord
de l‟OMC sur les services financiers de 1997) et la déréglementation (par exemple
dans les télécommunications) ». Ce repli des mouvements de capitaux et sa
concentration dans les pays développés se sont traduits par une concurrence sans
précèdent entre les pays afin de libéraliser les conditions d‟accueil des firmes
étrangères. Ainsi en 2003, les dispositions réglementaires et législatives relatives à
l‟IDE ont connu d‟importantes modifications, renforçant pour l‟essentiel les
processus d‟une plus grande libéralisation. Par ailleurs, au cours de cette même
année, on a enregistré la conclusion de 86 accords bilatéraux d‟investissement
portant le total à 2265, et 60 accords cherchent à attirer le plus d‟investissements
étrangers en créant des cadres propices aux FTN.
Les pays développés ont cherché à introduire la question de l‟investissement
dans le programme de négociation du cycle de Doha, ce qui a rencontré une vive
opposition des PVD qui ont réussi à réduire les questions de Singapour à la
facilitation du commerce. L‟échec des pays développés à proposer un cadre
multilatéral aux investissements n‟a point empêché la multiplication des accords
bilatéraux et régionaux.
Les PSD africains doivent mobiliser tout leur potentiel pour relancer ce levier
essentiel de la croissance qu'est l'investissement. Cependant, la faiblesse des systèmes
financiers africains ne permet pas de canaliser le faible volume d'épargne disponible en
vue de sa transformation en investissement productif. Dès lors, ces pays (les PVD) ont
entrepris des actions multiformes pour attirer les IDE. Il est apparu que les succès
des programmes de développement économique et social doivent dépendre d‟une
correcte fixation des fondamentaux macroéconomiques et d‟une intervention de l‟État
en harmonie avec le marché.
174
Tableau 17 : Les principaux indicateurs économiques et financiers des
pays de l’Afrique au sud du Sahara (1971-2003)
Indicateurs
1971-1980 1981-1990 1991-2000 2001-2003
Taux de croissance du PIB (%)
3,0
3,1
1,9
3,4
Croissance sectorielle
(moyenne annuelle)
Agriculture
Industrie
Exportation
Importation
2,6
7,8
5,3
6,5
2,9
6,1
1,8
7,3
2,5
0,7
2,2
5,8
1,6
1,3
2,8
5,9
Epargne intérieure brute
(% du PIB)
8,9
7,1
6,8
8,6
Investissement intérieur brut
(% du PIB)
13,5
15,0
12,5
14,3
Source : FMI, Statistiques Financières Internationales, Washington, FMI, 19932003 ; Nations-Unies, Département des affaires économiques sociales, Annuaires
statistiques, 1980-2002 et Banque Mondiale, rapport sur le développement dans le
monde 1988, 1996 et 2003.
L'alternative est alors le recours aux Investissements Directs Étrangers (IDE) qui
permettent de drainer des capitaux et d'accéder en même temps aux nouvelles
technologies. Ce tableau offre une idée des ordres de grandeur concernant les IDE : le
constat qu'on peut faire est que, même si on note un retour des IDE dans les pays du
Sud depuis le début des années quatre-vingt, leur flux vers les pays en développement
(PVD) demeure relativement faible et atteint moins d'un tiers du flux des IDE. Par
ailleurs, l'analyse de la répartition de ce volume d'investissement dans les pays nonmembres de l'OCDE fait apparaître d'importantes disparités entre les régions
bénéficiaires. Si les pays d'Amérique Latine et d'Asie s'inscrivent dans cette dynamique,
l'Afrique en est presque exclue. Ainsi, la part de l'Afrique passe de 6,8% en 1990 à 4,6%
en 1995. En regardant de plus près, on s'aperçoit que les pays exportateurs de pétrole
(148) sont évidemment les principaux récipiendaires de ces capitaux : Angola, Gabon,
Nigeria. Au demeurant, 60% des IDE se sont orientés vers le Nigeria.
Selon la CNUCED, il y a investissement direct étranger « lorsqu'un investisseur basé dans un pays (le
pays d'origine) acquiert un actif dans un autre pays (pays d'accueil) avec l'intention de le gérer ». Il y a
trois types d'IDE : la participation au capital (fusions, acquisitions et créations de nouvelles installations
dites green fieds réinvestissement des bénéfices et autres flux de capitaux (emprunts et prêts à court ou
long terme réalisés entre la société mère et sa filiale).
148.
175
Figure 12 : Répartition de l‟IDE dans le monde en 2005
En 2005, l‟Afrique ne recueillait que 3,3% des IDE contre 21,8% pour les pays en
développement d‟Asie.149
Cette marginalisation de l'Afrique dans l'orientation des IDE concerne aussi les
investissements français dont les flux globaux sont passés de 3,727 milliards de FF
en 1993 à 1,156 milliards de FF en 1994, c'est dire que la dévaluation du franc CFA n'a
point provoqué l'afflux de capitaux attendus. Pour les grandes entreprises françaises,
elles ne comptent en Afrique sub-saharienne (ASS) que 1030 filiales dont 720 en zone
franc soit 12,6% du total (3,3% pour le Maghreb et 5,5% dans la Zone Franc). Elles
sont accompagnées par des PME-PMI indépendantes attirées par l'Afrique pour
25,3% de leurs effectifs à l'étranger.
L'Afrique continue à recevoir principalement des ressources publiques qui
forment l'essentiel des flux globaux de capitaux, bien que ces derniers commencent
également à manifester une nette tendance à la baisse. En effet, l'ASS a reçu en 1995,
plus du tiers de l'aide publique qui y représente maintenant près de 5% du PNB, soit
sept à quinze fois plus qu'en Asie ou en Amérique Latine.
En définitive, la corrélation étant bien établie entre niveau d'investissement et
taux de croissance, l'objectif de cette réflexion va tourner autour de deux
interrogations majeures :
- Quels sont les facteurs explicatifs de la faiblesse des flux
d'investissement
direct étranger vers l'Afrique sub-saharienne ?
-Que faire pour renforcer les capacités nationales à attirer les
investissements privés en général et les IDE en particulier ?
Section 2 : Les entraves à l'afflux des Investissements Directs
Étrangers en Afrique
La faiblesse de l'investissement en Afrique ne saurait être expliquée par les
simples facteurs classiques tels les contraintes à l'importation et le taux d'intérêt,
149
CNUCED, Manuel de Statistiques 2006.
176
mais le "problème repose sur l'environnement tout entier, à partir duquel se prennent
les décisions d'investissement et la perception d'un risque aggravés par des signaux
flous conflictuels de la politique économique"(150). Celle-ci repose plutôt sur une
pluralité de facteurs que l'on peut regrouper en deux catégories : les facteurs d'ordre
strictement économique (cadre macroéconomique, etc.) et les facteurs
institutionnels, politiques et sociaux.
I/ Les facteurs strictement économiques
Depuis les Années 80, l'ASS est dans une crise économique et sociale à la fois
débilitante et profonde qui se manifeste sous trois formes : d'abord la détérioration
des principaux indicateurs macroéconomiques et macro-financiers, ensuite la
désintégration des structures de production et des infrastructures de base et enfin la
dégradation du bien-être social notamment la santé, l'éducation, le logement et
l'écologie. Ceci a entraîné une chute profonde de l'espace politique : processus
démocratique limité, par moment confisqué, guerres civiles, conflits ethniques. Il est
clair qu'un tel cadre global comporte trop de risques et d'incertitudes pour l'afflux et
la rentabilité des investissements.
L'analyse de l'environnement économique qui est, en dernière instance, la
sphère la plus déterminante a révélé au moins quatre foyers de distorsions qui,
incontestablement, peuvent limiter ou dissuader la poussée des IDE à savoir :
l'environnement macroéconomique défavorable avec l'inefficience des
politiques sectorielles et les distorsions de la structure des incitations
économiques ;
la très faible efficacité du capital humain par suite de la crise permanente des
systèmes éducatifs et de formation ;
la dégradation et l'inadéquation des infrastructures de base ;
coûts défavorables des facteurs techniques.
1°) Un environnement macro-économique défavorable
Depuis la fin des Années 70, les pays d'Afrique confrontés à la stagnation de la
production, aux déséquilibres financiers, à la massification de l'endettement ont mis
en place des politiques de stabilisation et d'ajustement dont l'un des objectifs
importants est de permettre l'accroissement de l'investissement privé (151). En réalité,
ce sont les investissements d'aujourd'hui qui font les profits de demain et les emplois
d'après-demain. Les Nouveaux Pays Industrialisés et le Japon en ont fait une variable
déterminante. C'est ainsi qu'un pays comme le Japon consacre 30% de son PIB à
l‟investissement152. Au Sénégal, ce taux d'investissement, de l'ordre de 12% dans les
années 80, est estimé en 1996 à 16,6%.
CHIBBER & al.: Reviving private investment in developing countries : empirical studies and policy lessons,
North Holland, Amsterdam, 1992, p. 10.
150.
BIGSTEN A. : Constraints on african growth in New directions in development economics by LUNDAHL M.
& NDULU B., Rouledge, London, 1996, p. 60.
152. BOISSONNAT J. : « Une crise de l'argent », L'Expansion, 4/17 Mars 1993, p. 79
151.
177
Toutefois, plus de deux décennies d'application des PAS n'ont pas encore
permis de sortir de la crise et d'amorcer un processus irréversible, ce qui s'explique
aisément à travers la fonction d'investissement d‟IBARRA (1995)(153) :
It
It-1
wkt
+ k2 + Et1 [Δln(yt)] + k3 Et Δln ── + k4 [θt]
[ Kt-2]
[ Pt ]
── = k0 + k1 ──
Kt-1
La variable dépendante est ici le taux d'investissement et ses différents
arguments sont respectivement : le taux d'investissement à l'année t-1, la variation
anticipée de l'output global si la réforme macroéconomique est durable, le coût
anticipé des services du capital et enfin, la globalité (θt) que l'environnement
macroéconomique se dégrade du fait de l'abandon de la réforme liée à l'application
des PAS. Cette probabilité est le point nodal et elle est négativement liée à
l'investissement privé et peut être affectée par plusieurs facteurs. D'abord par des
facteurs politiques ; c'est le cas lorsqu'il y a risque que le gouvernement reporte des
mesures annoncées ex ante, c'est également le cas lorsqu'il y a incertitude quant à
l'avenir du régime politique en place. En second lieu, cette probabilité s'accroît s'il y a
risque de crise de la balance des paiements dû à une politique monétaire ou fiscale
expansionniste, une appréciation du taux de change réel, une baisse non anticipée
des secteurs d'exportation. Toutes choses qui sont caractéristiques à des degrés divers
-il est vrai- de l'environnement économique des pays africains.
En effet, les indicateurs d'augmentation de l'investissement privé du cadre
macro-économique sont, en général, défavorables avec un double déficit des finances
publiques et de la balance des paiements, un taux de change surévalué, une inflation
rampante, un encours de la dette insupportable et un taux de croissance inférieur à
celui de la croissance démographique. Et ces distorsions sont assez dissuasives pour
l'investissement.
Concernant le déficit budgétaire l'étude économétrique réalisée par
EASTERLY & REBELO en 1993 et portant sur une centaine de PVD arrive à la
conclusion qu'un déficit budgétaire énorme exerce un effet d'éviction sur le secteur
privé résultant d'un faible accès de celui-ci au crédit bancaire, d'un taux d'intérêt réel
élevé et d'un taux de change réel s'appréciant de plus en plus et donc un impact
défavorable sur la croissance(154). En effet, le taux d'épargne, l'allocation des
ressources réelles et financières et les incitations à l'innovation rencontrés par le
secteur privé sont affectés à la fois par la fiscalité et les dépenses publiques.
Le niveau d'endettement exerce à son tour un effet négatif sur l'investissement.
Dans une étude sur le comportement de l'investissement privé dans les PED,
CHIBBER & al. (1992)(155) ont établi que dans les pays où les politiques sont volatiles
et le poids de la dette élevé, l'investissement a souvent tendance à baisser. En effet,
un niveau appréciable de l'encours de la dette accroît la vulnérabilité de l'économie
aux "chocs externes" et en même temps, il devient un indicateur du risque de
volatilité de la politique économique pour les investisseurs potentiels. Allant encore
plus loin, FAINI & DE MELO (1992) (156) ont établi que l'accès aux flux d'IDE est
souvent retardé dans les pays à dettes élevées. Le montant de la dette de l'Afrique
Luiz Alberto IBARRA: “Credibility of trade policy reform and investment = the mexican case.” Journal of
Development Economics, vol. 47, pp. 39-60.
154.
DIAGNE A., Op. Cit.,1998, p. 11
155.
CHIBBER & al., op. cit., 1992
156.
FAINI & DE MELO : Adjustment investment and the real exchange rate in developing countries, in CHIBBER & al.,
op. cit., 1992
153.
178
sub-saharienne est estimé en 1995 à 223 milliards de dollars, soit l'équivalent de
265% des recettes d'exportations des pays concernés (157). Au Sénégal, l'encours de la
dette s'élève à environ 67,1% du PIB en 1996. De surcroît, une part importante de
cette dette est le fait de l'État qui l'a souvent utilisée comme un moyen pour résoudre
la crise des finances publiques.
Enfin, le système bancaire et financier est un instrument essentiel de
mobilisation de l'épargne et de sa transformation en investissement. Cependant, suite
aux faillites bancaires des années 80, le système bancaire affiche désormais une
méfiance vis-à-vis des opérateurs privés; cela va induire des difficultés plus grandes
pour obtenir des prêts à long terme en raison de la crainte des mauvais prêteurs.
Dans ce contexte va fonctionner l'effet d'AKERLOFF par lequel les mauvais prêteurs
chassent les bons d'où la disparition, à terme, du marché du crédit.
Par ailleurs, la maîtrise de facteurs tels que les infrastructures et les facteurs
techniques s'avèrent indispensables au bon fonctionnement d'un cadre macroéconomique adéquat.
2°) L'inadéquation des infrastructures
Compte tenu de leur contribution à l‟efficience du marché, J. W. MELLOR & A.
RAISUDDIN (1988)(158) attribuent aux infrastructures un rôle important dans la
mobilité de la population, des biens et de l'information permettant la réalisation du
potentiel de production. En effet, lorsque les coûts d'utilisation du marché à des fins
de transaction sont relativement élevés par rapport aux bénéfices qu'en tirent les
acteurs, les marchés ont tendance à échouer. La faiblesse de la densité routière, de la
couverture en moyens de télécommunications, de la couverture sanitaire peuvent
favoriser un processus de "sélection adverse". En d'autres termes, l'augmentation des
coûts de transactions (coûts de transport, coûts d'obtention de l'information, etc.) a
pour effet de dissuader les investisseurs potentiels voire d'éliminer les
investisseurs du marché en raison de l'ampleur des coûts de transactions ; ce qui se
traduit, en définitive, par la baisse du taux d'investissement.
3°) Coût défavorable des facteurs techniques
Pour les facteurs techniques tels que l'eau, l'électricité, la main-d'œuvre
qualifiée, leurs coûts se comparent défavorablement à ceux des pays de l'OCDE et à
ceux des NPI. Par exemple, le coût de l'eau et de l'électricité au Sénégal est 2,5 à 3 fois
plus élevé que dans les pays comme l'Inde, la Corée du Sud et le Brésil. Quant à l'eau,
son m3 d'eau coûte 31% plus cher par rapport aux USA, 96% par rapport aux pays
concurrents tels le Kenya, l'Éthiopie, etc.
157.
ALIBERT J. : L'évolution de la dette africaine, Afrique Contemporaine, n.178, p. 41
MELLOR J. W & RAISUDDIN A. : "Agricultural price policy for developing countries", IFPRI, John Hopkins
University press, London, 1988, p.24
158.
179
Tableau 18 : Éléments de comparaison des coûts de facteurs techniques
Coûts
de
l'électricité Coût
industrielle de
en km/h
l'eau
m3
Coût
des
télécom. Avec
les principaux
partenaires
commerciaux Ŕ
Mn
Taux de
fret
maritime
Conteneur
Taux de Pétrole
fret
litre
Aérien
Kg
Concurrents
médians
0,07
0,52
1,60
1400
1,80
-
Sénégal
0,13
0,46
1,57
850
1,25
0,65
Ghana
0,03
0,70
1,61
1500
0,85
0,51
Madagascar
0,08
0,15
3,49
1100
1,45
0,52
-
2,81
2,81
2100
3,33
0,53
Côte d'Ivoire
0,9
0,57
1,64
1125
125
0,61
Maurice
0,9
0,46
0,83
1890
2,20
0,74
Nigéria
Source : Banque Mondiale, Sénégal : Ajustement structurel du secteur privé, juin
1994
C'est dire que le coût élevé des facteurs de production constitue une entrave à
l'afflux d'IDE.
En tous les cas, une des priorités au plan macro-économique devrait être de
réhabiliter le profit par rapport à la rente. De stimuler l'investissement (qui agit sur
l'offre en la modernisant, et sur la demande en distribuant un supplément de revenus
dans les industries d'équipement) de préférence à la consommation.
II/ Les facteurs institutionnels, politiques et sociaux.
Au chapitre de ceux-ci, on distingue essentiellement les facteurs d'ordre
institutionnel, politique et social.
1°) Les facteurs d'ordre institutionnel et politique
En réalité, les avatars de l'État et de son administration en Afrique tirent leur
source des rapports qu'ont entretenu les pays africains, essentiellement les pays
francophones, avec l'ancienne métropole (la France) et qui a fait d'eux des otages de
leurs difficultés. Selon ABWA D. (1997)159, «La France a développé des rapports de
maître à collaborateur au détriment du partenariat qui aurait consisté à s'associer à
159.
ABWA D. : « De la collaboration au partenariat : le défi du 2ème siècle des relations France-Afrique », African Journal
of International Affairs, Vol.1, 1997, p.1
180
des indigènes qui, tout en cherchant à satisfaire les intérêts de la France,
sauvegarderaient en même temps les intérêts de l'Afrique». La collaboration dictée
par la France aux Africains a laissé chez ces derniers de nombreuses séquelles dont
deux semblent les plus pernicieuses : la mentalité d'assisté et le règne de la
médiocrité. Cette mentalité d'assisté est la caractéristique essentielle de tout
collaborateur qui est en fait un individu qui répugne à prendre des initiatives ou qui
n'en prend que lorsqu'il est convaincu qu'elles vont plaire au maître. En effet, cette
mentalité d'assisté par rapport à leur maître (l'ancienne métropole), ils vont
également l'imposer à leurs concitoyens réduisant au minimum la propension de ces
derniers à l'initiative. Il est ainsi généralement admis en Afrique francophone que
l'initiative ne doit venir que du supérieur hiérarchique et comme chacun dispose d'un
supérieur, même au niveau le plus élevé de l'État, c'est la paralysie quasi-généralisée.
On a là une explication plausible de l'incapacité de la bureaucratie en Afrique Ŕ plus
particulièrement en Afrique francophone Ŕ à servir d'interface crédible aux
investisseurs.
Il est de plus en plus admis qu'une économie efficiente requiert un
environnement d'institutions efficientes.
2°) Les facteurs d'ordre social
Au chapitre des facteurs sociaux, le constat que l'on peut faire est la précarité
dans laquelle est confinée une grande partie de la population dans beaucoup de pays
africains. En prenant l‟exemple du Sénégal, le nombre de ménages vivant en dessous
du seuil de pauvreté est estimé à 30%. En effet, les 60% des sénégalais vivants en
milieu rural ont vu leur revenu par tête baisser de 4,6% en moyenne au cours des
deux dernières décennies. Dans la période 1979-1995, les revenus en milieu rural
atteignent à peine 16% des revenus réels urbains qui, eux-mêmes connaissent une
tendance à la baisse (source : DPS, MEF). Comme dans la plupart des pays africains,
la mise en place des PAS a eu des conséquences négatives sur le pouvoir d'achat des
ménages sénégalais. D'où l'émergence de groupes vulnérables confrontés à des
problèmes sérieux d'insécurité alimentaire. La Banque mondiale a répertorié trois
groupes ayant un accès inadéquat à l'alimentation : les pauvres des villes, les ruraux
sans terre et les petits producteurs.
Si en milieu rural, l'insécurité alimentaire tire sa source de politiques agricoles
inadéquates, en milieu urbain, par contre, la mise en œuvre, dans le cadre des PAS,
de la politique d'absorption qui a précédé l'ajustement du taux de change en est la
principale cause. En raison de la contradiction des objectifs qui caractérisait cette
politique : d'une part, stabiliser l'économie puis relancer l'activité, d'autre part,
réduire les dépenses. Cette dernière consistait à comprimer la demande globale en
réduisant les revenus, or ce faisant, on rétrécit le marché d'où, par enchaînement, une
baisse de l'activité économique et des revenus et donc l'augmentation des groupes
vulnérables. L'accès au surplus alimentaire dégagé par les zones rurales et aux
produits de première nécessité importés devient dès lors difficile pour tous ces
groupes vulnérables.
L'investissement est un objectif intermédiaire de la croissance qui ne peut être
atteint que si les conditions de vie de la population permettent de libérer une maind'œuvre en bonne santé pour produire et être rémunérée afin de participer à la
demande.
181
III/ Bonne gouvernance et renforcement des capacités nationales pour
attirer les investissements privés en vue de la croissance
Malgré les efforts importants de réforme entrepris sur au moins trois
décennies, les résultats restent encore très peu probants, particulièrement en matière
de rétablissement des conditions de reprise de la croissance.
L‟expérience n‟a pas tardé à montrer néanmoins qu‟il ne suffit pas que de
bonnes politiques économiques soient élaborées, que le secteur public soit
considérablement réduit, pour qu‟une croissance forte et durable s‟installe. On a fini
par comprendre que l‟État ne va pas disparaître même dans les pays en
développement où l‟économie de marché s‟est le mieux implantée. Il a un rôle crucial
à jouer dans l‟élaboration et la mise en œuvre des réformes favorables au marché. De
la qualité de l‟action étatique va alors dépendre la réussite des réformes à
promouvoir. Un constat a amené les institutions internationales et les autres acteurs
du développement à mettre l‟accent sur la bonne gouvernance et à élargir leur vision
des réformes à entreprendre pour accélérer la croissance et promouvoir l‟équité.
L'objectif est clair : créer un environnement favorable et rendre
l'investissement privé plus attractif et de sorte à attirer plus particulièrement l'IDE.
1) Au niveau économique
Il faut mettre en œuvre, voire consolider un environnement macroéconomique stable. Un environnement macroéconomique est dit stable s'il se
caractérise par un niveau faible et constant de l'inflation, un déficit budgétaire
soutenable, un taux de change adéquat, un encours de la dette supportable et un
système bancaire efficace. Par ailleurs, la levée des restrictions quantitatives sur le
commerce, la baisse voire l'élimination du contrôle des prix, la réduction et la
simplification des barrières tarifaires au commerce, des facteurs de production plus
compétitifs Ŕ après des études en amont sur les mesures d'accompagnement
minimales Ŕ participeraient à donner de bons signaux aux investisseurs. Cet
environnement entretenu dans le temps constitue le gage d'une crédibilité et d'une
meilleure lisibilité de la politique économique sur la base de laquelle les agents
formulent leurs anticipations. Il facilite les décisions d'investissement et de
planification, encourage l'épargne et l'accumulation privée du capital et sécurise les
investisseurs étrangers. Il s'agit, en réalité, de créer les conditions d'une nouvelle
efficience. Cela passe nécessairement par un train de mesures pour corriger les
distorsions qui caractérisent les économies africaines. Et c'est ce à quoi s'attellent les
PAS et on a pu noter quelques résultats, même s'ils sont faibles.
Il s'est agi de procéder à la libéralisation et à l'ouverture des économies de
sorte à favoriser une dynamique d'efficacité grâce à la valorisation des avantages
comparatifs, à la construction d'avantages compétitifs, à une allocation plus efficiente
des ressources ; soit, en définitive, la promotion du développement à travers la
croissance du secteur privé.
a) La libéralisation des économies
Le souci d'une allocation optimale des ressources suggère la privatisation des
entreprises paraétatiques et étatiques qui constituaient la source majeure des crises
financières de l'État. Une opinion répandue veut que la faiblesse des résultats des
Etats ne s‟explique que par l'inefficacité des réformes. Mais si le rapport publié par la
182
Banque mondiale en 1989 constate la faiblesse des résultats enregistrés dans le cadre
des PAS, il reconnaît, en définitive, la nécessité d'avoir au-delà de l'ajustement une
vision de développement à long terme à la fois crédible et cohérente. L‟absence de
prise en compte de cette dernière explique, en grande partie, le tassement voire la
régression de l'investissement, de la production et de l'emploi qui ont accompagné la
mise en place de la Nouvelle Politique Industrielle (NPI) dans certains pays comme le
Sénégal. Dans ce pays, la rapidité de la mise en œuvre de la NPI n'a pas permis les
adaptations nécessaires : il aura fallu moins de deux ans après le 14 avril 1986 Ŕ date
de libéralisation des produits de la mécanique et de la métallurgie Ŕ pour que tous les
secteurs jusque-là protégés de la concurrence extérieure Ŕ à l'exception du ciment et
du sucre- soient libéralisés. Ce qui fit assimiler cette cure à un « remède de cheval »
par certains industriels. Par contre, en Côte d'Ivoire, le processus s'est étalé sur cinq
ans avec des études minutieuses qui ont permis la mise en place d'une surtaxe
dégressive qui s'est appliquée à différents produits étrangers en vue d'amortir le choc
d'une ouverture sur des secteurs sensibles. De plus, les révisions fréquentes de la
fiscalité de porte, la hausse continue des impôts et leur complexité dans le cadre de
cette NPI n'ont pas manqué de perturber les industriels.
La création de zones franches décloisonnées (combinant en même temps la
zone franche industrielle, la zone franche commerciale et la zone franche de services ;
toutes ces zones ayant comme dénominateur commun : l'entreprise exportatrice
bénéficiant d'un statut d'entreprise franche) sur l'ensemble du territoire et à la
lumière des expériences passées (dispositions fiscales volatiles(160), procédures
lourdes, coût prohibitif des facteurs de production) et des exemples de l‟extérieur,
chinois(161)notamment, seraient un moyen de cristalliser et de rendre plus saillants les
signaux d'incitations envoyés aux investisseurs étrangers.
b) L'amélioration des infrastructures
Néanmoins, en dépit des changements significatifs dans leur environnement
macro-économique, les firmes et/ou les entreprises peuvent éprouver des difficultés
à profiter de ces nouvelles opportunités si une meilleure attention n'est pas apportée
à l'amélioration des infrastructures et au développement du capital humain qui
constituent des externalités positives souvent recherchées par les investisseurs d'où le
rôle prépondérant des investissements publics. Du reste, l'accumulation du capital
physique permet d'accéder à la technologie tandis que l'investissement en capital
humain facilite l'absorption et le développement des nouvelles technologies. Les
investissements publics constituent, par ailleurs, le seul moyen d'irradier l'économie
d'infrastructures qui constituent en réalité le socle de la croissance.
2) Au niveau juridique et institutionnel
Il n'existe pas de modèle standard d'un environnement juridique,
réglementaire et judiciaire propice à l'investissement et donc à la croissance, mais
l'expérience des pays développés suggère que cet environnement doit comprendre :
160.
Entre février 93 et février 91, le syndicat patronal des industriels sénégalais (SPIDS) avait noté une progression de
66,7% des impôts prélevés sous différentes formes. Par contre dans le même temps, l'impôt sur les propriétés bâties avait
baissé de 20%.
161.
En Chine, l'astuce pour attirer les capitaux étrangers – ceux de la diaspora chinoise, en particulier – a consisté à
permettre l'implantation d'entreprises bénéficiant d’un statut d’entreprise franche sur l'ensemble du pays.
183
des mécanismes justes et prévisibles veillant à l'application des contrats
dans les cours de justice de première instance et de premier appel ;
des mécanismes administratifs et des entités d'arbitrage ainsi que tout
un ensemble de moyens de résolutions des litiges moins formels ;
un système bien défini de lois et réglementations économiques adaptées
aux besoins du marché, notamment les droits de propriétés, le code du travail et le
nantissement ;
la transparence, la responsabilisation et le caractère ouvert de
l'information relative à la gouvernance qui reposent sur une séparation claire des
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ainsi que des lois à l'appui de cette séparation
du pouvoir.
L'harmonisation du droit des affaires dans tout l'espace de l'Union
Économique et Monétaire Ouest-Africain (UEMOA), de par la mise en place de
l'Organisation pour l‟Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA)
participe ainsi à cette volonté d'offrir à l'investissement et aux entreprises un cadre
juridique favorable au climat des affaires.
C'est qu'en réalité, l'absence de démocratie et des libertés individuelles
affectent le taux d'accumulation et l'efficacité des facteurs de production. Pour
MICHAILOFF S. «l'État doit demeurer l'arbitre et le responsable de l'élaboration des
règles du jeu et de leur respect ; règles du jeu qui s'imposent à tous et à lui-même au
premier chef».
Pour travailler, les entreprises ont besoin d'un environnement adéquat et
stable où les règles connues et comprises de tous s'appliquent à tous sans passe-droit
ou dérogation. En d'autres termes, les entreprises souhaitent un État de droit, en
rupture avec le système de "gestion par l'exception". C'est que l'investissement direct,
domestique ou étranger, par nature irréversible, est fortement influencé par la
crédibilité des gouvernements qui mettent en œuvre les réformes. Ainsi, dans la
situation d'incertitude née du manque de confiance des investisseurs dans les États
africains et de la réputation entachée des institutions internationales (suite aux
échecs répétés des PAS qui, en outre, ne semblaient pas avoir d'horizon temporel
défini), on a assisté, excepté dans le secteur pétrolier et les investissements de la
France Ŕ dont les motivations s'inscrivent dans une dynamique de coopération
particulière Ŕ à un arrêt puis, à un retrait des firmes étrangères, animées, en
définitive, par une certitude négative. Ce mouvement s'est d'autant plus accentué que
les firmes ont substitué au marché de l'Afrique, les "marchés de développement"
émergents de l'Asie du Sud-est et de l'Amérique Latine où se développent des
opportunités d'investissement.
Dès lors, la restauration d'institutions crédibles devrait constituer le credo des
États africains dans la quête d'une reprise de l'afflux d'IDE.
Il est clair que pour le cas de l'Afrique sub-saharienne on note, hormis le
secteur pétrolier et les investissements préférentiels de la France, une forte
désaffection des IDE. En effet, des travaux ont pu révéler que les IDE n'y sont pas
déterminés par leurs arguments classiques (taux de croissance du PIB, taux de
croissance anticipé du PIB, taux de croissance démographique, revenu par tête,
encours de la dette, taux d'investissement, coefficient de variation des exportations).
En fait l'inconstance et le flou qui caractérisent les politiques économiques et, en
conséquence, les institutions africaines, ont fini par créer un désintérêt des
investisseurs étrangers.
C'est dire qu'en définitive, la reprise de la croissance Ŕ donc des
investissements en Afrique Ŕ dépend de la restauration de ce qu'ARROW appelle les
184
"institutions invisibles" : la confiance et la réputation. Et seule la bonne gouvernance
peut y contribuer. Cela requiert des préalables économiques et institutionnels qui ne
peuvent être mis en œuvre que par l‟État.
185
CHAPITRE 22 :
L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT OU L’ALTRUISME
À BOUT DE SOUFFLE.
L‟aide publique au Développement est un concept couramment utilisé mais
très rarement explicité par les auteurs. Aujourd‟hui, le concept est revenu en force
dans la littérature et suscite de vives controverses relatives à son contenu, son
évaluation quantitative et surtout sa relation avec le développement économique et
social. La définition la plus élaborée est celle de l‟OCDE qui considère l‟APD comme
«constituée par la totalité des ressources que le gouvernement d‟un pays donateur
consacre aux pays dits pauvres et qui vise le développement : le transfert de
ressources doit comprendre un élément de don donc de libéralité».
Cette définition exclut l‟aide militaire, les prêts et les divers transferts réalisés
aux conditions du marché (comme par exemple les IDE) et les crédits à l‟exportation.
En revanche, elle inclut l‟assistance technique et financière assurée par les pays
donateurs, l‟aide alimentaire et l‟annulation de la dette. Selon le Rapport BRANDT,
l‟aide peut être considérée comme un complément de ressources drainées vers les
PSD pour financer leurs besoins d‟investissement. D‟autres auteurs qualifient l‟aide
comme « dons » ou encore des transferts de ressources sans compensation. C‟est
pourquoi, Monique DUPUIS invite à faire des distinctions claires qui doivent par la
suite faciliter les comptes véritables de l‟APD.
Dans cette optique, on peut distinguer l‟aide extérieure qui est un transfert de
ressources se manifestant en général sous trois formes principales (des emprunts, des
subventions ou des dons) et qui se réalise par trois voies : elle peut être bilatérale,
c‟est-à-dire entre deux pays amis ; multilatérale, dans ce cas elle est consentie par des
organisations internationales (BIRD, AID, UE, OCDE, etc.) et en fin, des entreprises
peuvent décider d‟investir en dehors de leur pays d‟origine, dans ce cas on parle de
l‟aide privée. Ces voies sont d‟une part les canaux par lesquels transitent, ou
pourraient transiter, les ressources qui financent les projets et programmes de
développement et, d‟autre part, les modalités de mise à disposition des ressources.
L‟aide est dite officielle quand elle se présente comme un transfert de ressources
réelles qui ne se serait pas produite sans l‟action d‟un gouvernement ou d‟un
organisme officiel (Banque mondiale, PNUD, BAD etc.) Également, les apports
financiers constitutifs de l‟APD se présentent aussi « sous forme d‟aide par projets, ou
aide par programme.162 L‟APD peut être ou non liée ; elle est liée quand elle comporte
un certain nombre d‟obligations que le receveur doit remplir totalement ou
partiellement pour utiliser les sommes mises à sa disposition. Ces obligations
prennent la forme de conditionnalité.
Quatre analyses et évaluations faites à des périodes différentes convergent
pour établir toute la complexité et les polémiques soulevées par l‟aide au
développement :
La première est de l‟économiste ghanéen, ancien Directeur de l‟IDEP, GAKwamé AMOA163 qui note que « Les ressources financières reçues par l‟Afrique sont
loin d‟être négligeables ; elles tiennent la comparaison quantitative avec celles reçues
par l‟Europe au titre du Plan Marshal. Pourtant les résultats sont insignifiants. Si les
Monique DUPUIS : Crise mondiale et aide internationale : Stratégie canadienne et développement
du Tiers-Monde, Éditions Silex 1984 p79. Le Rapport de la Commission PERASON évaluait à 20% les
coûts supplémentaires imputables au caractère lié de l‟Aide.
163 Ga-Kwamé AMOA : Échanges internationaux et sous-développement, Éditions Anthropos- IDEP,
1974 p.64
162
186
programmes élaborés et financés étaient fondés sur une théorie valable, ils auraient
certainement permis de réaliser des progrès plus substantiels »
La seconde idée est émise par Tobor MENDE164 qui observe que « Pendant
quelques années, les États-Unis ont consacré prés de 3% de leur PNB à aider
l‟Europe. Il s‟agissait de remettre en état des sociétés modernes et hautement
productives temporairement endommagées par la guerre…Paradoxalement, la
justification et le but originel de l‟aide, qui était d‟alléger le coût humain et social et
l‟effort de développement, sont remis en question et supposés avoir fait exactement
le contraire »
La troisième idée émane d‟une ONG indépendante qui estime que
« Historiquement, l‟aide a trop souvent servi les intérêts stratégiques et de politique
étrangère des donateurs, sans tenir compte des droits et des besoins des pauvres, et
allant parfois jusqu‟à leur nuire. La communauté des donateurs a fait certains progrès
ces dernières années, reconnaissant le besoin d‟améliorer l‟efficacité de l‟aide de
façon à ce qu‟elle produise le maximum d‟avantages pour les pauvres. Cependant, le
Bilan de l‟aide 2006 révèle que depuis 2001 les donateurs ont consacré une bonne
partie des budgets de l‟aide à leurs priorités de politique étrangère dont la guerre
mondiale contre le terrorisme ».165.
Enfin, la quatrième idée est celle de la Déclaration de Paris faite par toutes les
Agences donateurs d‟aide qui récusent fortement l‟inefficacité de l‟aide en
recommandant que « Les donneurs doivent être guidés dans leur choix des modalités
de l‟aide les plus efficaces par les stratégies et les priorités de développement définies
par les pays partenaires. Nous nous efforcerons, à titre individuel et collectif, de
choisir et de concevoir des modalités appropriées et complémentaires dans le but
d‟optimiser leur efficacité globale »166
Section 1 : Caractéristiques générales de l’Aide Publique au
développement.
Normalement, l‟aide apporte des bénéfices à la fois au pays donateur et au
pays destinataire. L‟aide est souvent assimilée au financement du développement,
mais en réalité une grande partie est accordée à d‟autres fins. Ainsi, les pays de
l‟OCDE considèrent une large gamme de financements comme faisant partie de
l‟APD, notamment des dons à objectifs spécifiques tels que les coûts d‟administration
des programmes, l‟aide alimentaire et l‟aide d‟urgence, la coopération technique et les
allégements de dette. Le reste est formé des «dons à objectifs non spécifiques» et
constitue ce que les contribuables considèrent généralement comme l‟aide extérieure
: le financement de projets dans les domaines de l‟éducation, de l‟infrastructure et de
la santé, ainsi que l‟aide au budget général.
Tobor MENDE : De l‟aide à la recolonisation, les leçons d‟un échec, Éditions du Seuil, 1972, p173
Reality of Aid
166 Déclaration de Paris des Donateurs sur l‟Efficacité de l‟aide, Paris Février-Mars 2005
164
165
187
Tableau 19 : Répartition de l’APD (en %) suivant le motif
1990-96
1997-00
2001-04
Programme et
79,0
72,4
57,2
projet d‟aide
Aide
d‟urgence et
4,1
6,7
9,1
reconstruction
Allègement de
16,9
20,9
33,7
dette
Source : Comité d‟Aide au Développement (OCDE)
À travers ce tableau, on peut remarquer que l‟allégement et l‟aide d‟urgence
augmentent lorsqu‟on se procure des ressources qui auraient financé des projets et
programmes. Alors, est ce que dans ces conditions l‟allégement de la dette est une
solution absolue ?
De manière générale, les pays donateurs ventilent leurs ressources
excédentaires vers des pays suscitant un intérêt géostratégique, commercial ou
économique. «À titre d'exemple, lorsque la Guerre du Golfe éclate, les États-Unis
annulent près de la moitié de la dette égyptienne en échange de son ralliement au
bloc occidental, et comptabilisent cette réduction dans leur budget d'aide publique au
développement. Plus récemment, la hausse de l'APD américaine constatée en 2001
résulte pour l'essentiel du soutien financier de plus de 600 millions de dollars
accordé en un temps record au Pakistan à la suite des événements du 11 septembre.
Similairement, la guerre déclenchée en Irak au printemps 2003 a donné lieu à une
augmentation massive des crédits de l'agence de coopération USAID, pour la
reconstruction du pays, profitant quasi exclusivement aux entreprises américaines. »
En 1998, a été créée la Zone de Solidarité Prioritaire evec une liste des 60 pays les
plus pauvres devant bénéficier de l‟APD française. En réalité, la France octroie
davantage d'aide aux pays à revenu intermédiaire ou aux pays exportateurs de
matières premières Ŕ commercialement plus intéressants. La partie « don » de l‟aide
n‟est pas octroyée au hasard, les orientations sont fixées à l‟avance comme en
témoigne l‟exemple de l‟aide de la France aux pays bénéficiaires et qui se résume
comme suit :
188
Tableau 20 : L’aide de la France aux pays bénéficiaires
Destination
Opération sur
la dette
Coopérants
Promotion de
la
Francophonie
Description
%
APD
bilatérale
Rééchelonnement de la dette. Parfois annulation
30-40 %
de dette ou révision des taux d‟intérêt.
Envoi de coopérants pour des projets
techniques, scientifiques ou culturels. On recensait 3
250 coopérants en 2001. Les salaires de ces coopérants 20-25 %
sont généralement élevés, de l‟ordre de 4 500 à 23 000
€ par mois.
Projets culturels francophones, enseignement du
français.
15-25 %
Financement pour l'étude et la réalisation
d'équipements,
d‟infrastructures
(ex
:
eau/assainissement), de programmes d‟actions (ex :
Aide-projet
santé, éducation). Jusqu'en 2002, un tiers de cette aide
était « liée » : les dons ou prêts étaient conditionnés
par l‟octroi des travaux à une entreprise française.
Envoi de professionnels français pour former
Armée
l‟armée locale, la gendarmerie, etc.
Dons versés directement à un État. Le parlement
français n‟est pas informé. La nature de ces dons est
Aide
inaccessible au public. Cette somme a fortement
budgétaire
diminué ces dernières années, suite aux soupçons de
détournement notoire dont elle faisait l'objet.
Aide à
Il s‟agit essentiellement de soutien aux
l‟ajustement
programmes d‟ajustement structurel de la Banque
structurel
Mondiale et du FMI dans certains pays.
Sources : OCDE, Politis.
5 à 10 %
3%
1%
1%
De nombreux facteurs ont contribué au déclin de l‟aide-projets. La baisse de
plus d‟un tiers de la part de l‟aide allouée aux projets et programmes dans le total de
l‟APD de 63 % à 41 % a coïncidé avec une augmentation des coûts administratifs, des
allégements de dette et de l‟aide d‟urgence. La coopération technique, qui sert pour
l‟essentiel à rémunérer des conseillers étrangers, est traditionnellement la deuxième
composante de l‟aide. Il arrive même que le financement de programmes de
formation, de rapports d‟analyse et de conseils d‟experts ne franchisse jamais les
frontières du pays donateur. La part de la coopération technique a diminué, mais
représente toujours environ un cinquième de l‟APD, qu‟on évalue à 4,5 milliards de
dollars en 2004 pour l‟Afrique. Les coûts d’administration de l‟aide bilatérale sont
passés en moyenne de 5 % à près de 8 %, en partie à cause de la multiplication des
agences et des pays intervenant dans la fourniture de l‟aide : alors que 2 agences et 10
pays aidaient l‟Afrique en 1960, ils étaient 16 agences et 31 pays à rendre compte au
CAD en 2004.
Les mesures des coûts administratifs des donneurs ne tiennent pas compte de
la charge administrative énorme supportée par les pays bénéficiaires. Selon une
estimation informelle basée sur une enquête réalisée auprès de responsables
politiques de haut niveau, les contraintes administratives et les visites de délégations
189
des donateurs bilatéraux et multilatéraux absorbent jusqu‟à la moitié du temps des
hauts fonctionnaires dans les pays africains (Banque mondiale, 2000). L‟allégement
de la dette a été multiplié par cinq depuis la fin des années 80 et représente
aujourd‟hui 20 % de l‟APD. Il est comptabilisé comme «don à objectifs spécifiques»
dans le système CAD/OCDE, ce qui traduit la volonté de faire en sorte que, pour
l‟essentiel, l‟allégement de la dette s’ajoute aux nouveaux engagements au titre de
l‟APD. Il est très difficile d‟évaluer l‟allégement de la dette et il convient d‟affiner les
méthodes de mesure. Les allégements portant sur des dettes dont le service n‟est plus
(et souvent ne peut être) assuré ne dégagent pas de nouvelles ressources pour le
développement, même s‟ils réduisent le surendettement.
Néanmoins, pour les dettes en cours de remboursement qui, indéniablement,
hypothèquent les ressources futures, l‟allégement peut fournir un montant équivalent
de liquidité. L‟aide d’urgence et l’aide alimentaire ont elles aussi fortement
augmenté, puisque, globalement elles ont presque doublé depuis 1980, passant de 7
% à 13 % de l‟APD. Ce type d‟aide est opportun en situation de crise, mais ne
contribue pas à financer le développement à long terme. Enfin, le fait de lier l‟aide
aux exportations ou aux entreprises du pays donateur est une autre pratique qui
réduit la valeur de l‟aide publique. On estime que l‟aide liée est de 11 % à 30 % moins
efficace que l‟aide non liée en raison des écarts de prix entre ce que facturent les
entreprises du pays donateur et les prix du marché (ONU, 2005). Au cours des
années 80, plus de la moitié de l‟aide était liée. Il semblerait que la part de l‟aide liée
soit en baisse, mais comme plusieurs donateurs ne la distinguent plus de l‟aide non
liée dans leurs statistiques, cela est difficile à confirmer. Toutefois, en se fondant sur
les données connues, l‟ONU estime que l‟aide liée a réduit la valeur de l‟aide bilatérale
à l‟Afrique de 1,6 à 2,3 milliards de dollars (sur un total de 17 milliards de dollars) en
2003 en résumé, moins d‟un quart de l‟aide bilatérale et 38 % de l‟aide totale sont
fournis sous forme de crédits visant à financer directement la construction
d‟infrastructures, l‟éducation des enfants ou la lutte contre les maladies infectieuses.
Ces chiffres excluent l‟allégement de la dette, dont une partie dégage des ressources
supplémentaires. Autrement dit, le financement du développement au sens
traditionnel du terme est de très loin inférieur à l‟aide déclarée comme telle.
On évalue la quantité d‟aide reçue en comparant les ressources disponibles
dans le pays, aides incluses, aux ressources dont il disposerait en l‟absence de l‟aide :
la différence est la valeur de l‟aide. L‟aide doit être évaluée aux prix mondiaux, c‟està-dire sur le marché libre. Les coûts et les bénéfices qui se réaliseront dans le futur
doivent être évalués en valeur actualisée (valeur actuelle). Celle-ci prend la forme
suivante :
«Valeur actuelle» (ou valeur actualisée) : pour un projet avec des coûts et des
bénéfices étalés sur plusieurs années, soit,
C = coût pendant une certaine année ; B = bénéfice pendant une certaine
année
R = taux d‟escompte pour le futur (R s‟appelle aussi : «taux d‟actualisation »).
Les indices indiquent l‟année : O indique l‟année du départ, l indique un an
après ; 2 indique 2 ans après ; … n indique n années après le départ (date ou le projet
se termine). Alors :
Valeur actuelle = VA = BO - CO +
B -C
B1 - C1
B -C
B - Cn
+ 2 22 + 3 33 + ….. + n
1 R
(1  R)
(1  R)
(1  R) n
190
Le cas d’un don «lié» :
Souvent l‟aide (surtout si elle se présente sous la forme d‟un don) est liée, c‟està-dire qu‟il faut la penser en achetant des produits du pays qui l‟octroie. Supposons
que les états de l‟union donnent une locomotive au Mali. L‟évaluation de la valeur de
l‟aide par le pays émetteur de l‟aide est ainsi : locomotive du pays pour une valeur de :
$ 90.000, frais de transport au Mali sur le bateau du pays $ 10.000, valeur totale : $
100.000. Quelle est la valeur de cette aide du point de vue du Mali ? Si le Mali avait
acheté une locomotive avec ses propres ressources, il aurait cherché le vendeur le
moins cher. Supposons que le Mali aurait pu acheter une locomotive similaire
fabriquée en Chine pour $ 50.000, avec transport sur un bateau grec pour $ 5.000.
Donc la valeur de la locomotive du point de vue malien serait en fait de $55.000.
L‟aide est parfois liée aux poids des exportations de matières premières du
pays bénéficiaire vers le pays donateur : plus le pays exporte des matières premières,
plus il reçoit. En effet, on peut remarquer une corrélation (proche de 80%) entre le
volume d‟exportation du pays (pétrole, bois, cacao, minerais, etc.) et l‟APD bilatérale
reçue.
Tableau 21 : Comparaison APD/Exportations
Moyenne entre 1992-1997, en € / habitant
Pays
APD France Exportations
Gabon
68
2460
Congo Ŕ
62
488
Brazza
Côte d‟Ivoire
25
258
Mauritanie
23
228
Sénégal
21
105
Cameroun
19
150
Centrafrique
15
50
Tchad
9,5
32,5
Togo
9
59
Niger
8,5
32
Madagascar
8
27
Guinée
8
79,5
Bénin
7
76
Mali
6,5
38,5
Burkina Faso
6
51
Source : PNUD 1999, CNUCED, bilans annuels globaux des services de la
coopération française.
Section 2 : La petite histoire de l’aide
Ses premières manifestations remontent à la colonisation Les bénéfices
économiques du colonialisme sont liés à l‟introduction de nouveaux produits,
exemple : nouvelles cultures, mines, l‟établissement de ports, chemins de fer, autres
voies de communication, l‟éducation, mais aussi a monétarisation de l‟économie.
Pour tous ces domaines, il y a une compensation des apports et des désavantages.
191
Évidemment, les politiques économiques avaient surtout pour objectif d‟aider la
métropole.
Ensuite on a l‟aide technique que le Bureau International du Travail accorde
depuis 1919. Aussi, après la 2ème Guerre mondiale, toute une série d‟institutions de
l‟ONU et d‟autres organismes internationaux fournissent de l‟aide technique.
Dans les années 1950 :
L‟aide est constituée par des projets ; non seulement, il faut transférer de la
technologie, mais également des capitaux. Il n‟est pas suffisant de dire
comment faire, mais il faut encore donner les moyens. Ex. : Centrale
d‟Électricité, on dit non seulement comment faire, mais on donne les moyens.
On se concentre sur les Industries de Substitution d‟Importation (ISI) :
boissons, chaussures, allumettes.
Beaucoup d‟investissements dans le capital social, l‟infrastructure : voies de
communication, électricité, projets d‟irrigation, barrages.
Dans les années 1960
Les programmes constituent la base de l‟aide : on veut coordonner les divers
projets évitant les gaspillages, dans des programmes couvrant l‟économie au
niveau national. Les organismes fournissant l‟aide (surtout les Etats-Unis, la
BIRD) insisteront sur l‟élaboration d‟un Plan du Développement. Mais les
résultats n‟ont pas trop répondu aux espérances : ainsi, certains pays font des
plans uniquement pour avoir de l‟aide, mais qui ne seront jamais exécutés.
On se concentre sur les industries d‟exportations : il ne suffit pas de réduire les
importations (surtout que les ISI importent une large partie de leurs matières
premières), il faut également augmenter les exportations.
Les années 1970
Depuis le milieu des années 60, on met d‟avantage l‟accent sur le secteur
agricole : par exemple, la «révolution verte» de nouvelles semences de blé et
de riz. On s‟aperçoit que le développement a apporté le moins d‟avantages aux
couches sociales les plus pauvres, qui ont largement été laissées en arrière.
Dans les années 70, un objectif principal de la BIRD est «d‟aider les 40% de la
population les plus pauvres ». Puisque le secteur rural est plus pauvre que le
secteur urbain, on continue à se concentrer sur l‟agriculture.
Il y a un retour vers l‟aide basée sur les projets (plutôt que les programmes).
Il y a un accroissement graduel de l‟aide multilatérale (qui reste néanmoins
une minorité de l‟aide totale). L‟aide bilatérale est faite d‟un État à un autre ;
l‟aide multilatérale, entre plusieurs États à la fois (ex. ONU, Banque mondiale,
Fonds Européen de Développement). L‟aide multilatérale est moins liée aux
conditions politico-économiques que l‟aide bilatérale. Statistiques de l‟ONU
sur la part du total de l‟aide publique au développement fournie aux
organismes multilatéraux.
Tableau 22 : Part du total de l’aide publique au développement
fourni aux organismes multilatéraux
Année
% du total
1969
16%
1970
17%
1971
18%
192
1972
23%
1973
25%
Section 3 : Les motivations de l’aide
L‟aide est orientée d‟abord vers les pays plus respectueux des libertés civiles et
des droits politiques. Cela s‟explique à la fois par la plus grande sélectivité de l‟aide et
par la diffusion des institutions démocratiques et des élections pluralistes en Afrique.
La part de l‟aide aux pays où aucune contrainte ne s‟exerce sur le pouvoir exécutif est
passée de près de la moitié à 18 %, et l‟aide aux pays plus démocratiques dotés d‟un
système de contrepouvoirs limitant le pouvoir de l‟exécutif a presque triplé.
Deuxièmement, la sélectivité en fonction de critères politiques et de la pauvreté s‟est
considérablement accrue. Cette tendance est plus marquée pour les bailleurs de fonds
multilatéraux, mais les donateurs bilatéraux accordent aujourd‟hui beaucoup plus
d‟importance à la qualité de la gouvernance et des politiques d‟ensemble dans leurs
décisions en matière d‟aide. Ces considérations sont explicitement formulées dans les
systèmes d‟attribution fondés sur les résultats qu‟utilisent les banques multilatérales
de développement et plusieurs donateurs bilatéraux. Troisièmement, il est désormais
admis qu‟il faut améliorer la qualité de l‟aide en réduisant le nombre d‟agences
intervenant dans sa fourniture, en harmonisant les procédures de manière à réduire
les coûts de conformité pour les bénéficiaires, en supprimant l‟aide liée et en alignant
l‟aide sur les priorités définies par les pays bénéficiaires eux-mêmes. La Déclaration
de Paris de l‟OCDE sur l‟efficacité de l‟aide, adoptée en 2005, est un pas décisif dans
cette direction. Le Rapport de suivi mondial 2006 (Banque mondiale et FMI, 2006),
qui rend compte de l‟action des donateurs, des pays en développement et des
institutions financières internationales au regard de leurs principales responsabilités
aux termes de l‟Accord de Monterrey constitue une autre étape vers la reconnaissance
d‟une responsabilité partagée. Quatrièmement, d‟après les indicateurs de la
gouvernance, de nombreux pays améliorent la gestion de leurs ressources publiques
en renforçant le contrôle fiduciaire. Dans les pays qui bénéficient d‟un allégement de
dette au titre de l‟initiative en faveur des pays pauvres très endettés, les indicateurs
concernant la gestion des finances publiques révèlent que de nombreux pays ont
réalisé des progrès dans ce domaine depuis 1999, et de nouveaux indicateurs sont mis
au point pour apprécier les résultats dans d‟autres domaines de la gouvernance.
Il est difficile de savoir quelle est la motivation réelle de l‟aide, les
gouvernements, encore plus que les personnes physiques, ne révèlent leurs
motivations (hypocrisie). Par moment, même un organisme fournisseur d‟aide cite
différentes motivations selon celui qui écoute son message. On peut retenir comme
motivations possibles :
Humanisme et désintéressement (plutôt rare).
Paternalisme envers des anciennes colonies. Il s‟agit d‟un humanisme avec des
restrictions géographiques.
Obligation morale pour se racheter de l‟exploitation passée (une motivation
citée par les pays pauvres). Comme les motivations (1) et (2), c‟est une
obligation morale, mais l‟obligation (3) est remplie avec honte plutôt qu‟avec
fierté.
Motivations politiques et militaires (ex. : pour influencer des votes à l‟ONU,
aide des États-Unis à la partie sud du Vietnam, aide de la Russie et de la Chine
à la partie nord du Vietnam).
Création ou élargissement du marché pour les exportations des pays riches
envers les pays pauvres.
Stimulation des exportations des pays pauvres envers les pays riches. Ex :
produits minéraux, cultures de rente.
193
Intérêt des individus : il y a toute une bureaucratie qui travaille pour l‟aide,
dans les pays riches et dans les pays pauvres : ils veulent que l‟aide continue.
Au lieu d‟essayer de deviner les motivations pour une offre d‟aide, il importe d‟
évaluer l‟aide cas par cas, et décider si elle convient au pays.
dans le cas de l‟aide liée : quelle est sa valeur réelle ?
dans le cas d‟un emprunt : le pays aurait-il des difficultés à rembourser la
dette ?
si l‟aide augmente par le biais des investissements étrangers dans
l‟économie du pays, cette augmentation de l‟influence étrangère est elle
acceptable ?
Il est difficile d‟accepter toute aide aveuglément, en pensant que les donateurs
ne sont pas de fins calculateurs. Toutefois, il est tout aussi est inconcevable de refuser
toute aide, en pensant que les donateurs sont de purs diables (Cas des militaires
Birmans rejetant toute aide extérieure pour conjurer une catastrophe nationale).
Section 4 : L’Exemple de l’aide dans les Accords de Lomé
La Convention de Lomé, qui organise aujourd‟hui les relations de coopération
entre les 15 pays de l‟Union Européenne et 71 pays d‟Afrique, Caraïbes et du
Pacifique, a symbolisé une vision positive de la coopération au développement, en
voulant rompre avec la période coloniale et instaurer des relations paritaires entre les
pays du Nord et du Sud. La réflexion est engagée depuis plusieurs années pour savoir
quelles seront les modalités de coopération souhaitables depuis la 4è Convention de
Lomé, c‟est à dire l‟an 2000. L‟instrument financier principal de cette coopération est
le Fonds Européen de Développement (FED), dont le financement est assuré par les
contributions directes des États Européens en fonction de leur capacité contributive.
Celle-ci est définie lors de l‟accord qui préside à la naissance du FED, puisque chaque
Convention est à l‟origine d‟un nouveau FED : accord conclu entre les seuls Etats
européens. Au FED s‟ajoutent des prêts à des conditions spéciales accordés par la
Banque Européenne d‟Investissement (BEI) et les aides bilatérales accordées
individuellement par les Etats membres.
Dans le cadre des Programmes Indicatifs Nationaux (PIN) et des Programmes
Indicatifs Régionaux (PIR), une aide importante est accordée, auparavant sous forme
de financement de projets spécifiques, de plus en plus comme appui technique et
financier aux politiques sectorielles. Cette aide concerne aujourd‟hui principalement
les infrastructures et services économiques (transports et communications, services
bancaires et financiers, énergie), les infrastructures et services sociaux (éducation,
santé et démographie, eau). À ceci s‟ajoutent des dispositifs de soutien aux politiques
d‟industrialisation et de transferts de technologie, en particulier à travers la création
du Centre pour le développement industriel établi à Bruxelles. L‟aide humanitaire,
aide d‟urgence (faire face à des situations catastrophiques comme la guerre ou la
sécheresse), aide aux réfugiés (aider les pays ACP à intégrer dans leur population des
réfugiés étrangers ou permettre le retour de nationaux réfugiés à l‟étranger, ne
représente qu‟une partie relativement faible des ressources du FED, mais complétée
par l‟aide alimentaire gérée par la Commission, elle fait de l‟UE un des premiers
contributeurs de l‟aide internationale.
À partir de la seconde Convention de Yaoundé (1969) et tout au long des
années 70, s‟est affirmée l‟idée de répondre aux demandes d‟aide au développement
provenant de pays engagés dans des programmes de coopération et d‟intégration
194
régionale. La petite dimension moyenne des pays ACP plaide en effet pour le
renforcement du soutien aux efforts d‟intégration commerciale régionale, de façon à
accroître la dimension des marchés. La Convention de Lomé IV permet d‟affecter
certains crédits exclusivement à des projets régionaux (exemples de la CEMAC ou de
l‟UEMOA).
Section 5 : L’APD chiffres et débats : L’aide au développement
revient au devant de la scène
En juillet 2005, le sommet du G8, organisé par le Royaume-Uni, avait fait de
l‟aide un de ses thèmes centraux de discussion et certains pays participant, sans plus
attendre, ont multipliés des prises de positions allant dans le sens de l‟effort
supplémentaire qu‟appelle l‟Afrique, ou les voies et moyens d‟accroître les flux d‟aide
publique allant dans le monde en développement. En septembre de la même année,
les États-Unis convient à une conférence sur les objectifs du millénaire pour le
développement afin de faire le point sur l‟état de progression des objectifs à atteindre.
C‟est dire que le développement est aujourd‟hui au carrefour d‟une prise de
conscience réaffirmée que Nord et Sud ont des intérêts commun et partagés. Ce
retour de l‟aide au premier plan des préoccupations de la communauté
internationale, qui contraste avec le moindre intérêt et la remise en cause des années
1990, est du à deux événement majeurs :
Le premier est le sommet du millénaire en septembre 2000. Les états
membres des Nations Unis y ont pris l‟engagement solennel et unanime de
réduire la pauvreté en se fixant un certain nombre d‟objectifs quantifiés et un
calendrier de réalisations. L‟engagement en question réaffirmait ainsi l‟une des
missions dévolues à l‟aide, qui est d‟être une expression de la solidarité des
pays riches avec les pays pauvres.
Le second événement a trait aux attentas du 11 septembre 2002 de New York
et Washington qui, en réactivant dramatiquement la conscience des relations
qu‟entretiennent sécurité et développement, rappelle que l‟aide constitue, pour
les pays riches, un élément stabilisateur de leur environnement géopolitique.
Les conséquences de ce retour de l‟aide sont de deux ordres : d‟une part les
montant financiers qui lui sont consacrés sont repartis à la hausse et divers
propositions visent à les accroître encore, d‟autre part on assiste à une vigoureuse
reprise des débats d‟idées.
I/ Les nouveaux fondements de l’aide
Au début, l‟aide était un gage de stabilité géopolitique pour les pays riches et
une question de solidarité pour les pays pauvres. Ces deux finalités traditionnelles
restent aujourd‟hui ses fondements les plus solides du fait qu‟elles s‟inscrivent dans le
processus de mondialisation dont elles essaient de corriger certaines conséquences
dommageables.
Cela étant, ce même processus de mondialisation a propulsé au premier plan
d‟autres catégories de problèmes dont les solutions pourraient provenir de l‟aide au
développement puisqu‟elle est l‟un des vecteurs des transferts de fonds du Nord vers
le Sud et de l‟affectation de ces ressources à la couvertures des besoins collectifs qui
ne sont pas spontanément pris en compte par les marchés.
De ce point de vue, l‟environnement est la première de ces nouvelles finalités.
Le sommet de Rio est le point de départ de politiques visant à préserver la
195
nature (l‟eau, l‟air et la biodiversité notamment), mais aussi à introduire des
pratiques d‟exploitation qui ne dégradent pas le stock de capital que
constituent ces ressources ou qui en permettent la reproduction.
L‟environnement ne mobilise encore qu‟une faible partie de l‟aide, mais le
concept de développement durable lui confère un double rôle : le premier est
d‟asseoir dans le présent le développement sur des fondements fiables et donc
de ne pas créer simultanément des déséquilibres environnementaux, sociaux
ou autres, qui le fragilisent. Le second consiste à préserver le stock de capital
dont auront besoin les générations futures pour ne pas entraver leur propre
développement.
Un autre concept, celui de biens publics mondiaux (qui d‟ailleurs est un autre
aspect des préoccupations environnementales), devient une nouvelle raison
d‟être de l‟aide. Ces biens publics, dont la sous-production entraîne des
externalités négatives, sont pour certains d‟entre eux communs à l‟humanité
entière. Cependant, leur production (ou la réduction desdites externalités) ne
peut faire l‟économie des efforts de tous. C‟est le cas des guerres, de la
destruction de certaines ressources naturelles, des grandes pandémies etc. La
problématique est alors la mobilisation et l‟allocation de ressources publiques
par tous les pays, qu‟ils soient développés ou non, ce qui soulève une réticence
chez les derniers. La fraction de l‟aide dont on peut estimer qu‟elle va
aujourd‟hui au financement des biens publics mondiaux ne représente que
15% des montants qu‟elle mobilise, mais elle est vraisemblablement appelée à
accroître, sauf si des mécanismes spécifiques dédiés à la gestion et au
financement de ces biens sont mis en place.
II/ Les outils de mise en œuvre : de nouveaux canaux
de l’aide ?
d’acheminement
Ces outils sont les canaux par lesquels transitent, ou pourraient transiter, les
ressources qui financent le développement et les modalités de mise à disposition de
ces ressources.
Pourtant, même après avoir écarté les échanges commerciaux, l‟aide n‟est
qu‟un acteur de second rang dans la mobilisation des ressources qui financent les
investissements des pays en développement. Pour cause, les IDE sont la principale
source extérieure de financement de la formation de capital fixe (135 milliards de
dollars en 2003, soit le double de l‟aide). De plus le gros des ressources, soit les 85%
provient de l‟épargne domestique, publique et privée, des pays en questions.
Cependant, l‟aide publique au développement reste une source irremplaçable
de financement du développement, bien que certaines de ses caractéristiques posent
problème et suggèrent une réflexion sur la création de canaux alternatifs.
L‟aide publique classique (celle qui est dispensée par les agences d‟aide tant
bilatérales que multilatérales) est sujette à beaucoup de controverses. Son
inconvénient la plus mis en avant relative aux montants qui sont appréciés en valeur
absolue et, de ce point de vue, tenus pour insuffisants, comparés aux objectifs du
millénaire. Cette insuffisance quantitative de l‟aide est également appréciée par
rapport aux efforts que les pays développés sont priés de faire (seulement 0,25% de
leur PIB y est consacré alors qu‟ils y a trois décennies, l‟objectif était fixé à 0,7% par
les Nations Unies), mais aussi soulignée par l‟inégalité des efforts (0,83% pour le
Danemark en 2003 contre 0,15% pour les États-Unis.)
196
Aussi, plusieurs pistes sont envisagés pour trouver ces nouveaux canaux
par le biais de l‟ingénierie financière.
La première est la mise en place de l‟International Finance Facility (IFF), une
initiative de la Grande Bretagne qui a pour ambition d‟accroître
immédiatement les transferts en anticipant l‟augmentation future des
ressources budgétaires consacrées à l‟aide et en recourant au marché financier.
Ainsi, l‟IFF se présente comme une plate-forme de financement recueillant
l‟engagement irrévocable des pays membres, puis procédant à intervalles
réguliers à des émissions obligataires dont le remboursement serait garanti
par lesdits engagements.
La seconde piste est l‟institution d‟une fiscalité internationale. L‟idée est partie
du constat qu‟il existe des biens mondiaux, mais qu‟il n‟existe aucune autorité
capable d‟en tarifer l‟usage et d‟en récupérer le produit. Pour certains de ces
biens publics, la fiscalité serait non seulement susceptible d‟en financer la
production, mais aussi de dissuader les externalités négatives. Cette fiscalité
internationale serait donc par la suite élargie au financement des objectifs du
millénaire au nom de la solidarité entre pays pauvres et pays riches.
La dernière piste concerne l‟émission de droits de tirage spéciaux (DTS) par le
FMI. Mais cette dernière solution se heurte à la peur d‟un nouvel effet
inflationniste et aussi de la recherche de mécanisme de mise à disposition.
Les autres débats sur l‟aide concernent l‟annulation de la dette et autres
aménagements, mais aussi la place du prêt et du don dans le financement du
développement.
Section 6 : Bilan et limite du modèle de développement fondé
sur l’APD
Parce que les solutions de marché n‟ont pas permis aux pays africains de peser
plus de 2% des échanges internationaux et de sortir automatiquement de l‟état de
crise et de pauvreté, on avait pensé que le financement de la transition de ces
économies pourrait reposer davantage sur la solidarité des économies développées.
Pour atteindre par exemple les objectifs du Millénaire d‟ici 2015, les pays
industrialisés devraient porter à 175 milliards de dollars leur aide aux PVD, soit le
triple de la somme actuelle (HELLER et GUPTA, 2002). Qu‟en est-il réellement ?
I/ Bilan de l’APD
1°) Un désenchantement affiché
En progression dans les années 80, les montants alloués à l‟aide n‟ont cessé de
se réduire pendant les années 90, même si ce mouvement s‟est stabilisé au début des
années 2000, mais à un niveau bas. Cette baisse qui a coïncidé avec l‟effondrement
du mur de Berlin, trouve des explications divergentes selon la nature du pays, c‟est à
dire selon qu‟il est donateur ou bénéficiaire. Dans les pays donateurs, on l‟accuse
d‟être inefficace et d‟alimenter la corruption et pour ces raisons, une certaine opinion
demande sa suppression ou tout au moins sa réduction. Dans les pays pauvres
bénéficiaires, la baisse de l‟aide s‟explique par le fait que son octroi est de plus en plus
soumis à un nombre impressionnant de contraintes et d‟exigences «égoïstes» des
bailleurs qui les insupportent et les poussent à en réduire la demande.
197
Toutefois, une réelle inflexion dans l‟évolution de l‟APD semble actuellement
en cours. Les intentions annoncées d‟un côté, de porter la part de l‟aide à 0,7% du PIB
et de produire davantage des biens publics internationaux sur la base des besoins
définis par les pauvres eux mêmes, et de l‟autre de recourir de façon prépondérante
plus que par le passé aux dons, laisse entrevoir une amélioration quantitative voire
qualitative de l‟aide publique au développement.
Le renforcement de la solidarité internationale, conditionné à la mise en
application dans les pays bénéficiaires des programmes d‟ajustement et au souci
prioritaire de résoudre les crises humanitaires récurrentes, et s‟inscrivant dans la
ligne obsessionnelle d‟accroissement de la somme totale d‟argent mobilisée pour
l‟aide, ressemble davantage à l‟expression chez les États donateurs en général et leur
opinion publique relativement sensible en particulier, à une activité plus charitable
qu‟économique. On peut d‟ailleurs se demander si l‟accroissement annoncé de l‟aide
reflète selon les cas, la prédominance respective des motivations économiques Ŕ
atteindre un taux de croissance requis Ŕ ou altruistes, d‟arguments de justice ou
d‟équité, militaires ou stratégiques? En clair, on est en droit de savoir d‟une part,
quelle est la nature actuelle du devoir d‟aide qui sous-tend la solidarité internationale
à l‟endroit des pays pauvres et d‟autre part quelle est, par rapport aux motivations qui
la guident, la meilleure manière de la gérer dans la perspective de l‟amélioration
effective de son efficacité dans un système de plus en plus global.
L‟observation des résultats économiques et financiers des pays africains
bénéficiaires d‟aide laisse transparaître un caractère pernicieux de la solidarité
internationale. Bien que la structure des transferts financiers vers l‟Afrique ait été
modifiée et leur volume maintenu voire nettement accru certaines années pour
compenser une épargne locale faible et inconsistante (8%) (OCDE, 2000), le résultat
en matière de développement a été extrêmement décevant. La croissance des
économies africaines bénéficiant de cette importante aide, a baissé en moyenne,
malgré l‟augmentation constante du pourcentage des aides par rapport à leur revenu
et n‟a donc pas par conséquent, contribué à réduire la pauvreté de manière
significative (BOONE, 1996 ; SVENSSON, 1997). Entre 1990 et 1998, elles ont
enregistré un taux de croissance moyen annuel négatif (- 4.3%) contre 3.6% obtenu
par l‟Asie et font face à la fois, à un chômage «wicksellien» et à une amplification des
cycles économiques de la crise et de la pauvreté. Si on considère uniquement les PMA
dans les années 80 et 90, leur situation s‟est dégradée nettement puisque leurs
revenus par habitant ont cru moins vite que la moyenne mondiale. Pour beaucoup
d‟analystes, ils ont même fortement diminué au point d‟entraîner ces pays dans «une
trappe de pauvreté» (GIRAUD, 2002).
L‟occurrence de ces mauvais résultats économiques coïncide avec trois
mutations importantes des relations économiques internationales notamment, une
baisse tendancielle des budgets attribués par l‟OCDE à l‟aide publique aux PMA après
plusieurs décennies de hausse ininterrompue, la prédominance des flux privés et des
dons et un déplacement du consensus idéologique parmi un bon nombre d‟acteurs du
développement dans les pays riches qui pensent de plus en plus que, l‟aide n‟est utile
et efficace que dans les pays qui pratiquent de bonnes politiques économiques et
disposent des institutions de qualité et irréprochables.
198
2°) L’APD une charité bien ordonnée : l’exemple de l’Irak
Depuis les années 2000, suite aux événements du 11 septembre, les critères
d‟allocation de l‟APD obéissent aux préoccupations politiques des donateurs. L‟Irak
en donne une parfaite illustration comme en attestent les statistiques suivantes:
Selon le Rapport mondial sur le développement humain 2005, la seule
augmentation des dépenses militaires depuis 2000 aurait été plus que
suffisante pour que tous les donateurs atteignent l‟objectif de 0,7 p. 100 pour
l‟enveloppe de l‟aide
Depuis 2001, les budgets de l‟aide des États-Unis. et du Royaume-Uni
combinés ont augmenté de 22 milliards de dollars. Le tiers de cette
augmentation a été affectée à l‟Afghanistan et à l‟Irak.
Les donateurs se sont engagés à verser 40,2 milliards de dollars pour les
secours et le relèvement de l‟Afghanistan et de l‟Irak; en novembre 2005, ils
avaient dépensé 16,7 milliards de dollars. Outre les décaissements au titre de
l‟aide, les donateurs avaient accepté, en novembre 2004, d‟annuler jusqu‟à 80
p. 100 de la dette de l‟Irak, qui atteignait près de 40 milliards de dollars.
L‟aide publique au développement (APD) des États-Unis (É.-U.) n‟équivalait
qu‟à 4 p. 100 des dépenses militaires en 2004, tandis que celle du RoyaumeUni représentait 17% des dépenses militaires du pays.
À ce jour, les affectations budgétaires pour la guerre en Irak ont atteint 320
milliards de dollars aux États-Unis. L‟ «Opération Enduring Freedom » des
États-Unis en Afghanistan a coûté bien au-delà de 100 milliards de dollars et
ce pays dépense maintenant près de 10 milliards de dollars par mois en Irak et
en Afghanistan.
Les États-Unis. consacrent 76 fois plus de fonds à leur guerre en Irak que le
total de l‟APD affectée à la santé, 196 fois plus que pour l‟APD en éducation et
480 fois plus que les normes allouées aux services d‟eau et d‟hygiène publique
à l‟échelle mondiale.
3°) Qu’en est-il pour l’Afrique subsaharienne
Les économies africaines au cours des années 80 font face à des déficits
jumeaux qui ont conduit à une perte de compétitivité, une réduction du niveau de
l‟emploi dans certains secteurs, une réduction du pouvoir de négociation des
travailleurs dans un contexte de concurrence généralisée et une accentuation des
inégalités. La sortie d‟un tel processus passe à moyen et long terme par une
restructuration de la société et de l‟État et à court terme par un appel à la solidarité
internationale. Cette dernière alternative bien qu‟accompagnée de commentaires
plutôt sombres (DAUDIN et VENTOLU, 2003) est d‟autant indispensable qu‟on a
observé au cours de cette période dans les pays africains, une chute des recettes
publiques en ratio par rapport au PIB: le prélèvement public des pays africains de la
zone franc est passé de 21,4% en 1980/81 à 16,7% en 1988/89.
L‟aide publique des pays du Comité d‟Aide au Développement (CAD) de
l‟OCDE qui se présente sous forme soit des dons, soit des prêts avec facilités de
paiement, représente la majeure partie des flux en direction des PVD. S‟élevant
pourtant à 0.22% de leur revenu national brut (RNB), elle est en baisse depuis la fin
des années 90. Ainsi, sur la période 1989/1998, l‟aide publique au développement
totale des pays membres du CAD, exprimée aux prix et au taux de change de 1997, a
199
diminué de 0,7% par an en moyenne. Son montant n‟était plus que de 53 milliards en
1998, 50 milliards en 2000 alors qu‟il atteignait 56,5 milliards USD en 1989.
Cette évolution n‟a donc pas été linéaire; après une augmentation entre 1989 et
1992, l‟aide publique au développement a diminué de manière continue entre 1992 et
1997, avant d‟amorcer un mouvement de hausse à nouveau en 1998. Cependant, une
décrue s‟est enclenchée dès 1999, traduite par une réduction progressive des
montants alloués aux PVD.
Ce mouvement s‟est d‟ailleurs stabilisé récemment à un niveau historiquement
bas par rapport à l‟objectif fixé en 1970 par les Nations Unies d‟une APD s‟élevant à
0.7% du RNB des pays donateurs. On note que les donateurs ont transféré seulement
50milliards de dollars d‟APD en l‟an 2000 soit 0,22% de leur revenu national contre
0,35% en 1997, 0,25 % en 1996 et 0,33% en 1993/94).
La diminution importante du volume de l‟ADP (20% en 2001 par rapport à
1999), résultant du désengagement des plus gros donateurs dont les USA (0.1% de
leur PNB), l‟Allemagne (0.28%) et le Japon (0.27%) et de la baisse des décaissements
des organisations multilatérales, a coïncidé avec d‟une part, la baisse des taux de
croissance et l‟accroissement des difficultés notamment les dysfonctionnements des
institutions, rencontrées dans les pays africains, et d‟autre part, l‟émergence d‟une
nouvelle philosophie qui assigne désormais à l‟aide publique des objectifs de long
terme ambitieux, dont la lutte contre la pauvreté et le soutien au développement
durable.
L‟observation des données provenant du Rapport sur le Développement dans
le Monde de la Banque Mondiale (1999) révèle que malgré la diminution en valeur
absolue et relative du volume global des transferts, l‟Afrique Subsaharienne continue
à recevoir davantage d‟APD en termes de % de son PNB que le reste du monde.
La croissance des pays africains bénéficiant d‟aides importantes et orientées
pourtant prioritairement vers le développement du capital humain, a baissé, en
moyenne, malgré l‟augmentation constante du pourcentage des aides par rapport à
leur revenu, contredisant ainsi les conclusions du Rapport de la CNUCED de 2000
qui établissait une corrélation forte entre le niveau des dépenses de santé et
d‟éducation et le niveau de l‟investissement. Plus précisément, les taux de croissance
des économies africaines subsahariennes en recul de 0.2% par an en moyenne depuis
1965/66, sont restés les plus faibles entre 1990 et 1998.
Figure 13 : L’aide extérieure et la croissance économique en Afrique
Source : Banque mondiale
200
Le Rapport du PNUD (1999) et des travaux de A.SEN (1983) suggèrent que
l‟aide serve, en amont du jeu économique, à la production des biens marchands ou
non qui bénéficient à toute la société. Il s‟agit de biens de type particuliers de réseaux
qui ont pour fonctions, l‟insertion politique et social et l‟intégration du plus grand
nombre de personnes à l‟échange commercial et de façon globale, promouvoir un
développement durable.
C‟est dans cette nouvelle perspective logique que l‟on peut mettre les objectifs
de développement du Millénaire, les initiatives régionales du NEPAD et la répartition
géographique ou sectorielle de l‟APD. En effet, tant en Afrique du Nord, principale
bénéficiaire de la réorientation de l‟APD opérée depuis 1996 que l‟Afrique au Sud du
Sahara, l‟aide sert de plus en plus non seulement au financement des infrastructures
de base mais aussi et prioritairement à la production des biens publics au sens large,
c‟est à dire tous ceux qui contribuent au développement tant national
qu‟international. Ainsi, on remarque qu‟entre le début des années 90 et l‟année
1997/98, l‟éducation a attiré 10% de l‟APD bilatérale totale et non 8.7%, la santé 6%
au lieu de 3.2%, l‟approvisionnement en eau et services d‟hygiène 6.6% contre 2.7%),
la paix et sécurité 3% contre 0.5%, l‟environnement et patrimoine culturel 4% contre
2.1%, l‟équité et justice 2.9% contre 1.2%, la connaissance et information et efficacité
du marché2,1% contre 1%.
II/ Les limites de l’APD
1°) Aide au développement et intérêts géopolitiques
Tout ce qui porte le nom d‟aide n‟a pas pour but de servir au développement.
Une part considérable de l‟aide officielle n‟arrive pas dans les pays en développement
ou en repart vers le Nord, via des prestations excessivement chères. Élément presque
plus important encore, une grande partie de l‟aide a, ces cinquante dernières années,
été accordée pour des raisons liées à des politiques de pouvoir. L‟Afrique a été et reste
le lieu par excellence de la « pseudo aide » motivée par des intérêts géopolitiques.
Jusqu‟à aujourd‟hui, la France a essayé par tous les moyens de maintenir des
relations politiques et économiques étroites avec ses anciennes colonies ainsi qu‟avec
d‟autres pays francophones d‟Afrique comme le Zaïre. La soi-disant aide au
développement ne fournit souvent que le lubrifiant nécessaire permettant de
maintenir en vie les « amitiés ». Les États-Unis et l‟Angleterre n‟agissent pas
autrement. Même l‟aide de l‟Union Européenne est souvent plus orientée vers les
besoins d‟influence de ses principaux membres que vers les besoins de
développement des pays africains.
2°) Une efficacité remise en cause
Depuis Monterrey (2002), les mutations ont conduit à une prise de conscience
de la nécessité de réformer à la fois le fonctionnement et la gestion de l‟APD et de
repenser la question du développement dans la perspective de rééquilibrer le
processus actuel de mondialisation et du programme politique international qui
l‟accompagne. Certaines interrogations relatives à la nature du devoir d‟aide, c‟est à
dire aider selon les mérites ou selon les besoins, et à son ineffectivité réelle sur les
économies bénéficiaires témoignent d‟un souci de réflexion davantage sur d‟un côté,
201
son efficacité effective sur les pays candidats bénéficiaires de plus en plus nombreux
pour des montants d‟aide en régression que sur ceux qui contrôlent les performances
des organismes d‟aide dans les pays riches, et de l‟autre le souci de réorienter son
utilisation vers des activités peu visibles mais indispensables pour le bien-être des
pauvres et l‟édification d‟un véritable programme social international. D‟ailleurs, la
volonté d‟améliorer l‟efficacité des programmes n‟est envisageable que si l‟on accepte
l‟idée structuraliste selon laquelle, le développement ne peut venir que du dedans
(SUNKEL, 1993). Accepter cela suppose d‟abord, une remise en cause profonde des
relations Nord/Sud, façonnées davantage aujourd‟hui par une libéralisation des
échanges reproduisant les anciennes asymétries et créant de nouvelles, ensuite une
débilatéralisation de l‟aide au profit d‟une meilleure coordination respectivement des
différentes institutions financières internationales et des PVD, et enfin une
reformulation dans les pays bénéficiaires de l‟État, acteur social supposé bienveillant
et confronté ces dernières années, à l‟émergence de multiples acteurs
socioéconomiques rivaux/associés(Société civile, ONG), qui demandent une véritable
«révolution démocratique» en matière de gestion de l‟APD. Or, promouvoir la
démocratie dans ces États exige l‟exploration de deux types de solutions. D‟une part,
mettre en place des incitations appropriées pour limiter l‟utilisation abusive par les
agents de l‟État, principaux gestionnaires de l‟APD. Si cette solution de marché n‟est
pas possible, encourager d‟autre part, le développement des contre-pouvoirs et des
systèmes de checks/balances notamment, en promouvant la participation effective
des populations bénéficiaires à la gestion et/ou au contrôle de l‟APD.
3°) L’APD : altruisme ou intérêt propre
Comme toujours, le processus de recherche d'un nouveau compromis au sein
d'une société d'abondance est déterminé à la fois par l'intérêt propre et l'altruisme.
Trois grandes tendances se dessinent néanmoins.
La première, qui est la plus idéaliste, implique le rétablissement de l'altruisme.
Cette approche, qui vise à "purger" l'aide de ses contradictions et compromis
politiques et économiques pervers, issus de plusieurs dizaines d'années d'intérêts
égoïstes dictés par le néocolonialisme et la Guerre froide, a déjà eu plusieurs
répercussions sur l'aide : premièrement, elle a donné un nouvel élan à l'aide
humanitaire, qui en est la forme la plus altruiste, aux dépens de l'aide au
développement ; deuxièmement, elle a conduit à une "décentralisation" de l'aide en
favorisant son acheminement au travers d'organismes tels que les ONG dont le profil
altruiste n'a fait l'objet d'aucun compromis ; troisièmement, elle a entraîné le
démantèlement de l'aide au développement en termes de structures idéalistesaltruistes : "les femmes et le développement", "la santé des enfants",
"l'environnement" et "la lutte contre la pauvreté" sont autant d'exemples de
désignations démantelées autour desquelles s'organise et se justifie désormais l'octroi
de l'aide ; enfin, elle a suscité une "intellectualisation" de l'aide au développement
dans le but spécifique d'un resserrement de ses objectifs altruistes : l'approche du
cadre logique, le concept de développement durable, l'indice de développement
humain du PNUD.
La deuxième stratégie de recherche d'un nouveau compromis, qui peut être
résumée par le slogan "gérez l'aide comme une entreprise", aborde la coopération au
développement avec beaucoup plus de scepticisme. L'aide, affirme-t-elle, ne se
justifie qu'à partir du moment où elle assure le progrès et le développement Ŕ et tel
n'est assurément pas le cas aujourd'hui. Cette approche est étayée par la volonté
202
obsessionnelle de mesurer le progrès à l'aide d'outils d'entreprise tels que "la
production", "l'impact", "l'efficacité", "les taux de rendement", etc. C'est ainsi qu'est
née "l'évaluation" de l'aide. Cette approche a probablement contribué à la mise en
évidence de certaines carences de l'aide qui ont, à leur tour, suscité des critiques de
plus en plus vives à l'encontre des organismes et des opérateurs œuvrant dans ce
domaine.
La troisième tendance, à savoir le régionalisme, est liée au processus de
mondialisation. Ancrée dans l'instinct de survie de l'homme, cette approche incite les
nations géographiquement proches à former des coalitions "stratégiques". Depuis la
fin de la Guerre froide, l'aide au développement constitue l'un des instruments
privilégiés des régions riches pour affermir leur position dans le contexte global.
Cette stratégie implique l'encouragement d'un régionalisme "ouvert" ailleurs dans le
monde et d'en tirer parti pour établir des liens et des interactions favorisant ses
propres influences ou hégémonies
Section 7 : Efficacité et refondation de l’APD
Depuis la Déclaration de Paris, l‟opinion des donateurs est la question de
l‟efficacité de l‟Aide Publique au Développement qui devrait être conditionnée
l‟imposition d‟un modèle unique de développement axé sur des préceptes
macroéconomiques devant servir au développement et non par des considérations
politiques ou stratégiques.
I/ Les principes énoncés par la Déclaration de Paris
La Déclaration de Paris sur l‟efficacité de l‟aide, entérinée en mars 2005, est un
accord international conclu entre donateurs et bénéficiaires de l‟APD. L‟objectif
principal de ce texte est de réformer les modalités d‟acheminement et de gestion de
l‟aide pour augmenter son efficacité, notamment en matière de réduction de la
pauvreté et des inégalités, de consolidation de la croissance, de renforcement des
capacités et de progression vers les OMD (article 2). Cette déclaration repose sur 5
principes :
- Appropriation : Les pays bénéficiaires de l‟APD exercent une réelle
maîtrise sur leurs politiques et stratégies de développement et assurent la
coordination de l‟action à l‟appui du développement. Cette appropriation des
politiques de développement par les pays bénéficiaires entend prendre le contre-pied
de la logique d‟imposition d‟un modèle exogène de développement dont les Plans
d‟ajustement structurel assortis de conditionnalités constituaient le type le plus
accompli;
- Alignement : Les donateurs font reposer l‟ensemble de leur soutien sur les
stratégies nationales de développement, les institutions et les procédures des pays
bénéficiaires de l‟APD. Dans la continuité du principe d‟appropriation, l‟alignement
suggère que les pays bénéficiaires soient les véritables acteurs de leur développement
puisque dans cette perspective, il revient aux bailleurs de fonds de se conformer à
leurs politiques stratégiques de développement, et non l‟inverse;
- Harmonisation : Les programmes des donateurs sont mieux harmonisés et
plus transparents, et permettent une plus grande efficacité collective. Il s‟agit ici de
réduire la complexité des procédures d‟octroie et de gestion de l‟APD grâce à une
convergence à la source. Cette mesure a pour but affiché de faciliter le travail des
administrations publiques des pays bénéficiaires en ce qui a trait à la gestion de l‟APD
203
de manière à leur permettre de se consacrer à des activités de développement plutôt
que de gestion;
- Gestion axée sur les résultats : Gérer les ressources et améliorer le
processus de décision en vue d‟obtenir des résultats. Cette méthode de contrôle de
l‟efficacité du processus grâce à l‟identification d‟un certains nombre d‟indicateurs (12
indicateurs figurent dans la Déclaration de Paris) permet d‟élaborer des cadres
d‟évaluation de manière à rendre compte de la progression des stratégies nationales
et sectorielles de développement;
- Responsabilité mutuelle : Les donateurs et les pays bénéficiaires sont
responsables des résultats obtenus en matière de développement. Ce dernier principe
entend concrétiser un lien réel de partenariat entre les deux acteurs du
développement identifiés par la Déclaration de Paris, soit les bailleurs de fonds et les
pays bénéficiaires.
De ces principes se dégage la pyramide de l‟efficacité de l‟APD selon le schéma
qui suit :
Figure 14 : L’efficacité de l’APD
II/ Refondation de l’APD
Désormais, tous les partenaires semblent prendre conscience de la
nécessité d‟une véritable refondation de l‟APD afin de la rendre efficace et plus
conforme aux priorités du développement des pays bénéficiaires. Cette refondation
est la conséquence de la critique interne de la mondialisation libérale qui, dans ses
dimensions Nord-Sud, est révélatrice de très profondes inégalités sociales. Dans le
monde de l‟après guerre froide, elle repose sur trois motivations fortes :
204
La compensation d‟un passé qui engage la responsabilité des pays développés
dans le développement des pays pauvres ; notons que cette inspiration de la
politique publique d‟aide s‟appuie naturellement sur une composante
bilatérale significative
L‟altruisme et la solidarité internationale, sentiment très réel et très partagé
dans les sociétés civiles du Nord, et qui renvoie en partie, mais en partie
seulement, à l‟aide humanitaire.
Et une vision réaliste des intérêts partagés du Nord et du Sud ; l‟APD doit être
aussi conçue comme un instrument pour défendre les intérêts des donneurs
tout en avançant ceux des pays en développement. A l‟inspiration
géostratégique de la Guerre Froide doit succéder le souci d‟assurer la légitimité
d‟une gouvernance globale essentielle pour le Nord comme pour le Sud, en
améliorant aussi bien l‟efficacité que l‟équité du système actuel de
gouvernance.
Les deux premières motivations font de l‟aide publique au développement un
simple accompagnement de la gestion de la mondialisation. La troisième motivation,
au contraire, place l‟APD au cœur de la gouvernance globale, comme véritable
composante d‟une politique publique globale décentralisée, à laquelle participent les
donneurs bilatéraux et multilatéraux, et dont l‟organisation doit s‟appuyer sur
quelques principes directeurs, que l‟on peut organiser autour de trois piliers. Le
premier renvoie à la bonne gestion de l‟ouverture et de la libéralisation ; le second
aux actions sectorielles et thématiques à entreprendre pour répondre aux
imperfections des différents marchés ; le troisième à l‟architecture d‟ensemble de la
gouvernance globale.
III/ Quelques propositions pour l’amélioration qualitative de l’APD.
Dans cette période de l‟après-11 septembre, les questions relatives à la sécurité
nationale de certains pays donateurs dominent les relations internationales, ce qui a
de graves conséquences pour les populations qui sont en proie à la violence et à la
pauvreté. Les personnes pauvres et marginalisées qui vivent dans les États qu‟on
qualifie de « fragiles et en déroute » sont de plus en plus considérées comme des
menaces potentielles contre le Nord. Dès lors, il importe, selon beaucoup d‟auteurs et
surtout d‟organisations non gouvernementales, l‟intégrité de l‟aide au développement
destinée à mettre fin à la pauvreté est menacée. Dans cette direction les propositions
de Reality of Aid méritent une grande attention. Elles consistent à :
Accorder la prépondérance aux droits de la personne
Les droits fondamentaux des citoyens les plus pauvres doivent primer. Les
instruments et les accords internationaux relatifs aux droits de la personne doivent
guider les démarches d‟aide au développement des donateurs, y compris les activités
liées aux urgences humanitaires et à la prévention des conflits ainsi qu‟à
l‟intervention et au relèvement en cas de conflit. L‟universalité, l‟indivisibilité,
l‟interdépendance, l‟égalité et la non-discrimination des normes relatives aux droits
de la personne ne doivent pas être compromises.
Mettre l’accent sur les acteurs locaux de la paix
Les personnes touchées par les conflits et la pauvreté ne sont pas les pions
d‟un jeu mondial visant à protéger les puissants des menaces qu‟ils perçoivent à leur
sécurité. La paix ne devrait pas et ne peut pas être imposée de l‟extérieur. Le rôle des
donateurs dans les situations de conflit devrait être d‟appuyer des actions
205
démocratiques locales (par l‟entremise des citoyens, en particulier les femmes, et les
organisations de la société civile) afin d‟établir une juste paix.
Protéger l’intégrité de l’aide destinée à l’élimination de la
pauvreté
Les donateurs ne doivent pas être détournés de leurs engagements à l‟égard de
l‟aide, déjà échus depuis longtemps, à cause d‟une action étroite et intéressée de
guerre contre le terrorisme.
Renforcer les approches de la sécurité axées sur les
personnes
L‟attention portée à la sécurité après le 11 septembre a permis à certains
dirigeants politiques d‟associer des conflits nationaux complexes (Colombie,
Philippines, etc.) à la guerre contre le terrorisme, et de chercher un soutien pour
renforcer les secteurs répressifs de l‟armée et de la sécurité.
Accroître la cohérence des donateurs, conformément à leurs
obligations en matière de droits de la personne
Les interventions internationales visant à résoudre les conflits violents ont
souvent été répressives, militaristes, et axées sur un impact rapide et des solutions à
court terme. Souvent, on ne tient pas compte des principes de base de l‟action
humanitaire, et les collectivités locales, y compris les travailleurs humanitaires et les
spécialistes du développement sur le terrain, sont mises en danger.
Épuiser toutes les possibilités de promouvoir la paix
Les donateurs doivent investir dans les activités de détection rapide et de
prévention des conflits, de manière à réduire le coût élevé du relèvement de
sociétés dévastées par des conflits armés. Tous les pays doivent travailler à la
signature d‟un traité international sur le commerce des armes.
Les pays donateurs devraient élaborer des lignes directrices claires, complètes
et ayant force obligatoire pour les entreprises qui sont actives dans des régions
menacées par des conflits violents.
Les donateurs doivent annuler sans conditions 100 p. 100 de la dette des pays
les plus pauvres du monde.
Tous les pays doivent ratifier et mettre en œuvre la Convention des Nations
Unies contre la corruption signée en 2005.
Réformer les Nations Unies et les institutions financières internationales (IFI)
Des IFI non imputables et antidémocratiques jouent un rôle de premier plan
au sein des sociétés qui se relèvent d‟un conflit.
Jusqu‟à ce que les IFI mettent en œuvre des réformes en profondeur, y
compris la démocratisation de la gouvernance des institutions, elles devraient
jouer un rôle limité dans le relèvement à la suite de conflits.
Il faut réformer et renforcer l‟organisation des Nations unies et lui procurer les
ressources nécessaires pour lui permettre de jouer le rôle principal dans les
engagements internationaux dans les situations de conflit.
L‟aide ne doit pas être un incitatif à l‟imposition de mesures visant à résoudre
des conflits. Les conditions imposées sont incompatibles avec la gouvernance
démocratique et la prise en charge locale des processus de paix. Les relations
d‟aide doivent être négociées de façon juste et transparente, en assurant la
participation des populations qui vivent dans la pauvreté et l‟obligation de leur
rendre des comptes, et en vertu des principes du droit international en matière
de droits de la personne et d‟aide humanitaire.
206
207
« Au commencement de la construction européenne, deux
éléments ont concouru à modifier profondément les relations
internationales entre les pays européens : d’une part, une
volonté politique et, d’autre part, une vision géopolitique qui,
l’une et l’autre, ont consisté à vouloir mettre définitivement fin
aux conflits intra européens. Pour ce faire, une idée somme toute
simple sur le papier mais beaucoup plus compliquée en
pratique, fut avancée : il s’agissait de lier les États Européens de
l’Ouest les uns aux autres, en leur imposant des structures
économiques et des politiques communes. L’interdépendance
économique crée les incitations à poursuivre les échanges dans
un cadre politique ».
J. CREEL ET E. FARFARVAQUE167.
Le processus d‟intégration le plus achevé est certainement celui de l‟Union
Européenne qui a traversé au bout d‟un demi siècle les étapes marquantes qui ont
abouti à l‟Union Economique et Monétaire : Union Douanière, Zone de Libre
Échange, Marché Commun. À grands traits, l‟ampleur et la progression de
l‟intégration européenne fait de l‟Union Européenne un laboratoire qui va largement
inspirer les Etats africains qui n‟ont aucune autre issue dans un monde configuré en
blocs de haute compétition. En effet, ces pays africains atomisés en ÉtatsŔnations et
en micro-marchés de très faible dimension ne devront leur survie qu‟en mettant en
marche un jeu coopératif positif pouvant leur procurer des gains nets par les
économies d‟échelle, la promotion de la spécialisation et de l‟exploitation des
avantages comparatifs, les externalités positives nées des investissements
communautaires dans plusieurs secteurs comme les infrastructures de base. 168
Toutefois, l‟expérience montre que la construction de l‟intégration est une
marche complexe qui repose principalement sur la volonté politique de chacun des
pays participants et la mise en place d‟institutions solides capables d‟élaborer le
programme et les projets intégrateurs (notamment les grands travaux
d‟infrastructure qui dépassent les possibilités d‟un seul pays en isolement), de fixer
les séquences et les délais d‟exécution. Également, à l‟intégration est aussi liée la
recherche de solution à l‟instabilité politique conséquence de l‟extrême balkanisation
du continent et des multiples conflits en découlant, du nombre élevé de pays
enclavés, des trop longues frontières communes et du sous-développement
économique et social (surtout en infrastructures physiques de base).
Au total, le processus d‟intégration apparaît comme une stratégie de
développement durable en Afrique, en somme
un moyen de réaliser une économie d‟envergure et compétitive dans un
processus de partenariat,
un moyen d‟insertion dans une mondialisation multipolaire et de haute
compétition en vue d‟en tirer le maximum d‟avantages pour accélérer
croissance et développement,
Jérôme CREEL Etienne FARVAQUE : La construction européenne et politique économique,
Éditions Vuibert 2004 p.3
168 Sur les 53 pays que compte le continent, 39 ont une population inférieure à 15 millions d‟habitants,
et 21 ont une population inférieure à 5 millions. Les faibles populations et les revenus bas limitent la
taille des marchés nationaux africains. Malgré la croissance observée ces dernières années, les revenus
demeurent modestes et la majorité de la population vit dans la pauvreté. Trente-deux pays
enregistrent des revenus par habitant de moins de $500 par an Ŕ soit 10% de la moyenne mondiale,
qui est de $5 000.
167
208
un moyen d‟une gestion collective de la sécurité et de la stabilité pour des
territoires aux contours encore flous.
Pendant longtemps, les problèmes d‟intégration et d‟unité africaine ont
constitué les préoccupations majeures de la pensée et de la pratique des théoriciens et
chercheurs du panafricanisme169. Tous les dirigeants africains ainsi que les
intellectuels ont toujours fait de l‟intégration continentale « la mère des vertus » au
point d‟avoir formulé une foule de schémas et modèles pour la réaliser, Les analyses
théoriques se divisent en deux positions qui se sont souvent heurtées au sein de l‟élite
africaine : les théories du continentalisme intégral défendu principalement par
Kwamé NKRUMAH et C. Anta DIOP et les théories régionalistes des « cercles
concentriques » développées par L. S. SENGHOR. Pour les premiers, il faut une
« Nation africaine forte et unie capable d‟exercer une autorité pour mobiliser l‟effort
national et coordonner la reconstruction et le Progrès »170
L‟approche de C. Anta DIOP est plus structurée et plus rigoureuse. D‟abord, il
démontre que l‟indépendance nationale et le développement sont impossibles sans
industrialisation. Or, cette industrialisation n‟est opératoire que dans une Afrique
unie. Ensuite, il fait le bilan du potentiel énergétique et dégage 8 zones naturelles à
vocation industrielle. Enfin, il débouche, en toute conséquence, sur la proposition
selon laquelle « les africains doivent eux-mêmes, créer des industries non
complémentaires à celles de l‟Europe, mais pour transformer les matières premières
que recèle le continent. Cela ferait de l‟Afrique unie un paradis terrestre ».171 L‟auteur
insiste, contrairement à NKRUMAH, sur le caractère déterminant des variables
culturelles qui conditionnent les visions et les motivations des africains. Dans
« L‟unité culturelle de l‟Afrique Noire », il observe que « les intellectuels africains
doivent étudier le passé, non pour s‟y complaire, mais pour y puiser des leçons, ou
s‟en écarter en toute connaissance de cause, si cela est nécessaire. Seule une véritable
compréhension du passé peut entretenir dans la conscience le sentiment d‟une
continuité historique indispensable à la consolidation d‟un État multinational… Or,
la connaissance du passé révèle l‟existence d‟une véritable unité culturelle qui,
combinée à certaines données techniques et industrielles, seront le fondement de
l‟État fédéral africain ».172
Les thèses régionalistes insistent sur l‟idée que l‟intégration n‟est qu‟une
question technique et de recherche de voies et moyens pour neutraliser les obstacles
existants. Des auteurs comme L. S. SENGHOR défendent la thèse des « cercles
concentriques » assez proche de la théorie de l‟exploitation de la proximité
géographique comme source d‟approfondissement des échanges. Concrètement, ces
auteurs recommandent de commencer l‟intégration par touches successives à partir
de la région qui est une notion politico-économique assez élastique. Elle rappelle « les
poupées gigogne ». Ainsi, chaque région doit être saisie dans un contexte concret en
se référant à des données politiques, économiques, sociales, culturelles et
géographiques, liées à la solution des problèmes socio-économiques et politiques qui
se posent à un groupe de pays à un moment donné. Dans la pratique, les deux
conceptions vont s‟affronter : la théorie régionaliste propose par« réalisme » de
De Kwamé NKRUMAH à Abdoulaye Wade en passant par Modibo KEÏTA, L. S. SENGHOR, Sékou
TOURE, J. NYÉRÉRÉ et C.Anta DIOP.
170 NKRUMAH : L‟Afrique doit s‟unir p.248
171 C.A.DIOP : Les fondements culturels, techniques, et industriels d‟un futur État Fédéral d‟Afrique
Noire, Édit. Présence Africaine 1960, p.66
172 C.A.Diop : Dans « L‟Unité Culturelle de l‟Afrique Noire ». L‟État multinational africain pourra
regrouper tous les États négro-africains mais uniquement ceux-là donc à l‟exclusion des arabes.
169
209
s‟appuyer sur le legs colonial pour bâtir un espace homogène partageant une langue,
une monnaie et des traditions administratives communes. Contrairement à cette
conception, les partisans
du continentalisme plus « volontaristes » veulent
construire un espace à l‟échelle du continent avec d‟autres ambitions.
Aujourd‟hui, plus que par le passé, les dirigeants africains reconnaissent
l‟urgence d‟accélérer l‟intégration, compte tenu, en particulier, des problèmes que
posent les nouvelles règles relatives au système commercial international de l‟OMC.
Celles-ci vont, de plus en plus, exacerber la concurrence à l‟échelle mondiale et
accroître les risques d‟une exclusion de l‟Afrique des échanges internationaux.
À cet effet, la coopération régionale, l‟intégration économique et le
panafricanisme vont constituer comme par le passé des idées forces, des mythes
mobilisateurs pour l‟Afrique subsaharienne toujours confrontée à une triple crise
économique, politique et sociale qui se manifeste dans la persistance des
déséquilibres macroéconomiques, l‟approfondissement du couple infernal pauvretéchômage, l‟insécurité alimentaire, la faillite des systèmes éducatifs et de formation et
les énormes déficiences des services publics et de santé.
C‟est dans ce cadre que la Charte de l‟Organisation de l‟Unité Africaine (OUA)
en 1963 et l‟Acte constitutif de l‟Union Africaine en 2000 définissent l‟intégration
régionale comme l‟un des grands idéaux de l‟unité africaine et le moyen de dépasser
les limites trop étroites des États-nations. Les approches pluralistes ont déçu dans
leur objectif prioritaire : l‟intégration politique et économique de l‟Afrique. Le Plan
d‟Action de Lagos et le Traité d‟Abuja instituant la Communauté Economique
Africaine proposaient déjà des mécanismes économiques, politiques
et
institutionnels permettant d‟atteindre cet idéal n‟ont jamais vu des débuts sérieux
d‟application. Et aujourd‟hui, le Nouveau Partenariat pour le Développement de
l‟Afrique (NEPAD) qui fixe les grandes priorités capables d‟enclencher un processus
de croissance en vue de l‟éradication de la pauvreté traîne encore. Au regard de
toutes ces déceptions avec l‟approche régionaliste, la seule alternative non encore
bien explorée est alors la voie fédéraliste avec la proposition d‟un gouvernement
continental africain qui puisse établir le lien entre les processus d‟intégration en
cours (intégration régionale) et l‟objectif ultime (le développement économique et la
croissance).
Manifestement, à la suite de la réévaluation des perspectives du Continent à
l‟aube du 3ème millénaire, on observe un nouveau souffle des Communautés
Économiques Régionales avec des avancées significatives au niveau des secteurs, du
commerce, des communications, des transports et de la politique macroéconomique.
« Certaines Communautés Économiques Régionales ont réalisé des progrès
remarquables dans les domaines de la libéralisation et de la facilitation des échanges
(Union Économique et Monétaire Ouest Africaine et Marché Commun de l‟Afrique de
l‟Est et de l‟Afrique Australe), de la libre circulation des personnes (Communauté
Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest), des infrastructures (Communauté de
Développement de l‟Afrique Australe et Communauté de l‟Afrique de l‟Est), de la paix
et de la sécurité (Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest et
Communauté de Développement de l‟Afrique Australe).
Cependant, il existe toujours d‟énormes écarts entre les objectifs et les
réalisations de la plupart des Communautés Économiques Régionales, notamment en
ce qui concerne le développement du commerce intérieur, la convergence
macroéconomique, la production et les connexions physiques ».173
173
CEA : Étude sur « État de l‟Intégration Régionale en Afrique », Addis Abéba, 2004
210
Cette cinquième partie de l‟ouvrage s‟organise autour des cinq dimensions de
l‟intégration et de la coopération régionale qui peuvent aider l‟Afrique à surmonter
certaines contraintes et handicaps à son développement et à son insertion dans la
mondialisation.
Dans ce cadre, le premier chapitre de cette partie traite de l‟évaluation de
l‟apport de l‟intégration au développement. C‟est le fameux pourquoi les pays
rejoignent-ils des mécanismes d’intégration régionale ? Quels avantages qu’ils
en tirent de ces coopérations ? Si importants qu‟ils soient ces résultats tardent à
apparaître si bien que depuis quelques années, des doutes commencent à s‟emparer
des esprits naguère entièrement acquis à l‟intégration. En dépit de l‟abondance des
recherches et réflexions et la multiplicité des expériences, les réalisations restent
encore extrêmement modestes : faibles résultats des organisations d‟intégration,
échecs de certaines politiques, succès mitigés de certains programmes. Pourtant,
malgré tout, l'expérience montre suffisamment qu‟en matière de politique de
développement, aucun des micro-États africains en isolement n‟a pu amorcer un
processus durable de croissance permettant d‟éradiquer la pauvreté, la misère et la
famine.
En dépit des multiples stratégies mises en œuvre aucun État africain tout seul
n‟a pu échapper au cercle vicieux infernal de reproduction du sous-développement,
face à un environnement économique dominé par la mondialisation multipolaire
composée de blocs régionaux de haute compétition. L'intégration régionale, grâce à la
création de marchés homogènes de taille critique et la libéralisation commerciale
dont elle s'accompagne traditionnellement, permet de bénéficier d'avantages
économiques directs liés à une meilleure insertion dans les échanges internationaux.
La poursuite de bonnes politiques macro-économiques renforcées par la convergence
économique, la création d'un environnement économique stable, prévisible,
harmonisé sont également des éléments déterminants pour attirer l'investissement
privé extérieur et garantir une croissance soutenable.
Comme l‟observe Aimé Césaire « le plus court chemin qui mène vers l‟avenir
passe par le passé ». L‟Afrique a expérimenté beaucoup d‟approches en imitant
certaines expériences qui se sont déroulées ailleurs en Amérique et en Europe. Il faut
alors avoir un regard sans complaisance sur les pratiques concrètes en matière de
régionalisme pour savoir avec précision pourquoi nous réussissons si mal. En effet,
historiquement, plusieurs tentatives de regroupements politiques et économiques ont
été opérées au début des années 60 parfois sous la conduite même des pères
fondateurs de l‟unité africaine : K. NKRUMAH, Sékou TOURE, Modibo KEITA,
L. SENGHOR, J. NYERERE. Sous ce rapport, 5 tentatives de regroupement ont été
conduites. Il s‟agit principalement de :
l‟Organisation de l‟Unité Africaine : 1963-2000 et du Traité d‟Abuja 1991 ;
la Fédération du Mali créée entre le Sénégal et le Mali : 1960 ;
l‟Union Ghana-Guinée-Mali : 1960-1962 ;
l‟East African Community, 1967-1977 ;
la Confédération Sénégambienne : 1982-1987.
Il faut tirer toutes les leçons de ces expériences pour réussir l‟intégration que la
configuration de la mondialisation comme la seule chance pour le continent de
s‟insérer dans le système international de production et d‟échange.
Le deuxième chapitre étudie le cadre légal et institutionnel de gestion du
processus d‟intégration de la Commission à la proposition de formation d‟un
gouvernement continental. Il soulève la question de savoir quelles sont alors les
causes de la non-opérationnalité des modèles d‟intégration ? Dans ce sens, le
211
gouvernement continental est innovateur car c‟est une première dans un schéma
d‟intégration qui peut véritablement créer la rupture avec toutes les praxis
antérieures. La grande question est alors comment le faire ? En d‟autres termes,
quelles sont les transitions à respecter pour arriver aux objectifs ultimes ? En effet, S.
SAMEN et T. MKANDAWIRE, ont montré la nécessité d'éviter un deuxième piège
classique, qui consiste à traiter l'intégration comme un problème exclusivement
technique ou économique. Elle est éminemment un problème politique et il convient
d'en débattre comme tel au niveau national et dans les cercles de la recherche. Cela
devait conduire à s'interroger sur la légitimité des traités signés par des régimes
autoritaires (militaires ou civils) qui déclarent leur adhésion à l'intégration régionale,
tout en minant cette même intégration par leurs actions. Aussi, la recherche doit-elle
identifier les moyens d'ancrer l'intégration et la coopération régionales dans la société
civile afin de leur assurer une adhésion des masses et leur enlever leur caractère
élitiste et antidémocratique.
Le troisième chapitre est relatif au NEPAD qui est un Programme de l‟Union
Africaine élaboré en toute responsabilité par les Dirigeants africains qui s‟engagent à
relever individuellement et collectivement tous les défis du développement et de la
croissance. Ce programme qui a bénéficié, au départ, de solides soutiens de la
communauté internationale est dévoyé et semble amorcer une descente inexorable
dans « le cimetière des grands projets africains ».
Le quatrième chapitre analyse les enjeux de l‟Union Monétaire à la lumière de
l‟expérience européenne. La leçon principale à tirer de l'expérience européenne est
qu‟une Union Monétaire convenablement élaborée et gérée pourrait offrir à ses
membres des avantages considérables tels qu'une politique monétaire stable et
apolitique, la stabilité financière et la baisse du coût des opérations. C‟est le cas
notamment de la Zone Franc où la Banque Centrale est réellement supranationale.
Ensuite, une bonne gestion commune des politiques budgétaires et fiscales se
présente également comme une condition de succès. L'expérience de l'UEMOA
montre que le rattachement à une monnaie de référence étrangère telle que le franc
français ou l'Euro est un facteur de stabilité et de confiance en la monnaie. Toutefois,
il ne faudrait pas pour autant écarter les avantages offerts par un système de
flottement dirigé ou de parités mobiles en termes de flexibilité.
Le dernier chapitre étudie les multiples partenariats proposés à l‟Afrique
comme les DSRP, les OMD, l‟AGOA, Le Partenariat «win-win » avec la Chine, les
différents accords de Lomé, le Plan d‟Action pour l‟Afrique etc. partagent des objectifs
communs comme la lutte contre la pauvreté, la mobilisation de ressources pour le
financement du développement, la résolution de l‟endettement et l‟accès aux
marchés. Ne convient-il pas de les faire converger vers un Contrat Mondial de
Développement de l‟Afrique ?
212
CHAPITRE 24:
L’INTÉGRATION AFRICAINE POUR LE DÉVELOPPEMENT
ET L’INSERTION DANS LA MONDIALISATION
Il n’est pas d’actes sporadiques, il n’est pas d’intentions pieuses qui
puissent résoudre nos problèmes actuels. Rien ne pourra nous servir,
en dehors d’une action commune exécutée par une Afrique unie. Nous
sommes parvenus au stade où nous devons nous unir ou sombrer.
Kwamé NKRUMAH174
A-t-on-vraiment besoin de calculs compliqués et de théories savantes pour
démontrer l‟impérative nécessité de l‟intégration pour une Afrique comptant 800
millions d‟habitants disséminés en 53 États pour la majorité de très petites
dimensions, composés de plus de 1.000 ethnies, vivant dans des frontières souvent
arbitrairement délimitées et évoluant dans des systèmes économiques et monétaires
trop fortement différenciés ? Depuis les années 60 marquant les indépendances
africaines, les dirigeants et les chercheurs du continent ont invariablement répété que
si l‟Afrique veut survivre et prospérer, elle n‟a pas d‟autre alternative que la
coopération et l‟intégration régionale et sous-régionale.175. C‟est pourquoi la Charte
de l'Organisation de l'unité africaine (OUA, 1963) reprise par l'Acte Constitutif de
l'Union Africaine (UA, 2000) définit l'intégration régionale comme l'un des piliers de
l'unité africaine.
Déjà, à la fin des années 70, il existait environ 75 organisations
intergouvernementales en Afrique, allant des accords de coopération multilatérale
portant sur un secteur à des organisations plus formalisées d‟intégration. Il est vrai
que l„intégration, en tant que terme polysémique, peut avoir plusieurs significations
mais globalement, elle peut être comprise comme
l‟ensemble de règles
d‟harmonisation ou d‟unification des politiques économiques et financières en vue
d‟intensifier la circulation des flux réels et monétaires dans un espace géographique
normé et borné176. En ce sens, elle est à la fois un instrument de politique
économique et le résultat de tout un processus de gestion d‟un ordre régional. Elle se
présente sous trois formes: l‟intégration par les marchés, par la production et par les
règles. Elle est un élément caractéristique de la mondialisation.
BEITONE et Al. (1991) conçoivent l‟intégration économique comme « un
processus qui conduit plusieurs économies distinctes à former un seul espace
économique (…). Elle peut se faire par les mécanismes de marché (…) et elle peut se
concevoir dans le cadre d‟une planification ». Pour d‟autres auteurs comme LACOUR
et CÉLIMÈNE (1997) l‟intégration peut également se réaliser Ŕ en termes d‟objectifs
Ŕ soit pour homogénéiser, harmoniser, banaliser ou créer des règles du jeu répondant
fondamentalement aux mêmes impératifs d‟efficacité, de productivité et
d‟optimalisation. En fait, le principal intérêt est la mise en œuvre d‟une stratégie
Kwamé NKRUMAH, Président de la République du Ghana, Déclaration au Sommet Constitutif de
l‟Organisation de l‟Unité Africaine, 1963. Cela fait suite à ses réflexions contenues dans son ouvrage de
1956 « L‟Afrqiue doit s‟unir » Éditions Présence Africaine, 1956
175 Lors de divers rencontres intergouvernementales les pays africains nouvellement indépendants ont
adopté de multiples résolutions pour promouvoir la coopération et l‟intégration économique. Trois
Sessions de l‟ONU, en 1963, 1967 et 1986 ont toujours recommandé ce processus. La Déclaration sur la
coopération et l‟indépendance (1973) des Chefs d‟État puis diverses autres rencontres ont abouti en
1980 à l‟élaboration du Plan de Lagos et l‟adoption de la Charte créant la Communauté Économique
Africaine (Abuja 1992)
176 Moustapha KASSÉ : Le développement par l‟intégration ; NEA ; Dakar, 1991
174
213
cohérente et coordonnée qui normalise et balise les différences et les écarts pour
mieux les gérer ou les faire disparaître. Le processus d‟intégration peut alors
constituer une chance pour ces pays « à la périphérie », à la fois pour surmonter les
difficultés de conjoncture liées aux programmes d‟ajustement et aussi pour
augmenter la compétitivité respective en créant des synergies et en dépassant les
limites des modèles protectionnistes du passé. Car en effet, la mise en œuvre d‟un
marché unique ouvert au monde extérieur leur impose un effort de rationalisation sur
la base de critères de performance, d‟avantages comparatifs et d‟économies d‟échelle,
tant au sein de la zone que vis-à-vis des pays tiers (BERTRAND et HILLCOAT, 1994).
Plusieurs facteurs imposent l‟intégration comme une politique obligée du
développement : les facteurs naturels et historiques qui ont façonné les petits Étatsnations, les facteurs externes liés à l‟architecture de la mondialisation multipolaire,
les facteurs économiques découlant de l‟exigence de la concurrence par les prix, la
qualité et l‟innovation qui commandent les spécialisations et facilitent l‟insertion à
l‟économie mondiale et l‟indispensable nécessité de mobiliser des ressources et
d‟attirer les IDE177.
La recomposition de l‟espace africain par l‟intégration permettrait, tout au
moins pour les économies du continent, d‟être mieux présentes sur le marché
mondial, de profiter des débouchés de proximité et d‟offrir un meilleur cadre
d‟exploitation des avantages comparatifs, de mettre en commun des ressources pour
l‟investissement, d‟élargir les marchés locaux et de mener un processus
d‟industrialisation efficace en exploitant les économies d‟échelle et en tirant parti des
possibilités d‟intégration verticale transfrontalière et de partage de la production. En
élargissant les marchés, en facilitant l‟accès aux intrants et en accroissant le volume
potentiel de production des entreprises, l‟intégration contribuera à attirer les
investissements directs étrangers (IDE) privés et à atténuer certains effets
défavorables de l‟environnement économique et monétaire international. Enfin
l‟intégration contribuerait à une meilleure insertion des systèmes productifs dans la
mondialisation si elle s‟accompagne de mesures de promotion de la concurrence et de
la compétitivité des produits sur les marchés internes et externes.
La configuration de la mondialisation actuelle révèle une tendance très lourde
à la régionalisation qui prend deux formes : la régionalisation de facto, résultat de la
croissance du commerce et des investissements intra-régionaux et la régionalisation
de jure qui relève de la coopération étatique issue d‟accords contraignants liant
certains partenaires. Avec la libéralisation, du GATT à l‟OMC, les Accords de
Coopération Régionale (ACR) se généralisent et intéressent potentiellement plus du
tiers du commerce mondial. Ils ont été signés pour accélérer les échanges entraînant
une véritable fragmentation du système mondial en « blocs de haute compétition » à
l‟intérieur desquels s‟opère une intensification des échanges préférentiels de produits,
de capitaux et de technologie, suite à des facilités d‟accès aux marchés intérieurs.
L‟OMC compte plus de 130 accords actifs et depuis 1995, il y a eu une véritable
explosion avec 100 accords notifiés. Les PSD et particulièrement l‟Afrique ne font pas
exception. On peut même observer que les ACR Sud-Sud prédominent en nombre
mais pas du point de vue du volume commercial couvert. Ces ACR sont-ils
antinomiques avec le multilatéralisme : principe de discrimination et Clause de la
Nation la plus favorisée ? Les tolérances de l‟OMC sont justifiées par un commerce
Moustapha KASSÉ : Développement par l‟intégration, Nouvelles Éditions du Sénégal, 1992 et
d‟autres auteurs ont publié des travaux remarquables sur l‟intégration notamment Kamandini OUALI,
Makhtar DIOUF et Abdoulaye WADE.
177
214
plus libre avec une baisse des tarifs de tous ordres, suite à la substitution (politique
de second rang) des ACR au multilatéralisme.
Les expériences réussies de régionalisation montrent que pour atteindre ces
objectifs, le schéma tourne autour de l‟organisation d‟espaces économiques mis en
cohérence par une économie «locomotive» ou un pouvoir «hégémonique » qui
exploite les complémentarités internes. Ce mode d‟organisation du fait de son
efficacité est le plus usuel dans la nouvelle configuration de la régionalisation :
mondialisation tirée par la triade (États-Unis, Union Européenne et Japon), Union
Européenne entraînée par la double locomotive allemande et française, Organisation
Nord Américaine (ALENA) pilotée par l‟économie américaine. Le schéma ci-dessous
montre le volume des échanges intraŔrégions en % du commerce mondial :
Figure 15 : Volume des échanges intraŔrégions en % du commerce
mondial
Source : J. Marc SIROEN : La régionalisation de l‟économie mondiale
Il apparaît alors une certaine simultanéité entre la régionalisation et la
mondialisation, ce qui permet à P. HUGON (2003) de relever que de manière
factuelle, l‟espace régional est une des échelles de régulation de l‟économie mondiale
dans la mesure où son renouveau, celui de la régionalisation, ne saurait être dissocié
du processus de la globalisation même si des débats subsistent quant aux liens
éventuels entre les deux processus. Aujourd‟hui, avec le phénomène de la
mondialisation, l‟intégration apparaît aussi comme un facteur essentiel de
développement. En effet, ne pouvant se soustraire à l‟hégémonie de « l‟économie
mondialisée » pour utiliser l‟expression de Robert REICH, l‟intégration peut servir de
marchepied pour y accéder.
D‟après BRADA et MENDEZ (1993), il existe incontestablement un socle de
cohérence régionale fondée sur la proximité spatiale des civilisations, les bonnes
215
relations politiques entre régimes en place, des échanges préexistants entre
communautés voisines, un potentiel de rationalisation qui favorise la création d‟une
Union Régionale quelle qu‟elle soit. FOUQUIN M. (1993) n‟écrit pas autre chose
quand il affirme que « le régionalisme est d‟abord un phénomène naturel (…). C‟est
enfin un moyen d‟intégrer les économies périphériques à l‟économie mondiale ».
En théorie, les Accords de Coopération Régionaux (ACR) limitent les mesures
discriminatoires des gouvernements ainsi que les pouvoirs des lobbies et sont de ce
fait des révélateurs des préférences des décideurs politiques d‟un pays. En effet, les
liens entre l‟économique et le politique (HUGON P., BRIAND V. et BLANC M.-O.,
2003) peuvent être repérés au niveau des groupes de pression et des lobbies.
Consommateurs, contribuables et commerçants sont souvent perdants dans un
processus d‟intégration régionale du fait du détour de trafic et de la compensation de
la baisse des recettes douanières, tandis que les investisseurs et les producteurs
peuvent être gagnants. Ces auteurs suggèrent alors que les gains et les pertes soient
calculés en référence avec une situation.
D‟une manière générale, les pays sont en situation asymétrique quant à leur
taille et à leur potentiel économique. D'après POUILLEUTE (2000) et HUGON P.,
BRIAND V. et BLANC M.-O. (2003), un pays (à peine plus) émerge du bloc principal
pour se positionner comme leader dans la plupart des ensembles régionaux. Le fait
que le pays dominant soit le principal bénéficiaire de l‟ouverture pose la question des
compensations des pertes générées par l‟intégration.
Comme instrument de la politique économique, l'intégration économique
désigne tout accord de coopération ayant une portée économique entre États
indépendants d'une région donnée. Ces accords visent, la plupart du temps,
l'intégration des marchés à l'intérieur de la région, autrement dit la réalisation de
l'intégration au sens premier du terme. Les accords entre États peuvent également
avoir comme objectifs, la stabilité macroéconomique ou le développement d'un
secteur particulier comme les infrastructures ou les marchés financiers. Ces accords
peuvent être regroupés sous le terme de « coopération institutionnelle ».
L'intégration économique comme résultat signifie une intensification des
échanges de biens et de services, de circulation des personnes et de capitaux à
l'intérieur d'une zone géographique composée de plusieurs États indépendants.
L'intégration économique selon BALASSA (1961) peut être appréhendée comme un
processus ou un état. Comme un processus, elle comprend les mesures visant à abolir
les discriminations entre unités économiques appartenant à des nations différentes ;
vue comme un état, elle peut être représentée comme l'absence de diverses formes de
discriminations entre des économies nationales. Ainsi donc pour Balassa,
l'intégration peut prendre diverses formes qui correspondent à des degrés
d'intégration de plus en plus poussés. Il distingue :
la Zone de Libre-Échange dans laquelle les tarifs et les restrictions
quantitatives sont supprimés entre les États membres, chaque pays
maintenant ses tarifs à l'endroit de pays tiers ;
l'Union Douanière qui, en plus des caractéristiques de la Zone de LibreÉchange consiste en l'institution d'un Tarif extérieur Commun à l'endroit des
pays non membres ;
le Marché Commun, caractéristique d'une Union douanière dans laquelle est
maintenue la libre circulation des biens, des services, des personnes et des
capitaux ;
l'Union Économique et Monétaire qui est un Marché Commun avec une
harmonisation des politiques économiques et monétaires.
216
le processus s‟achève par l‟Union Politique.
Encadré 14
Le modèle d‟intégration économique en vigueur en Afrique, comme dans la
plupart des PSD, est un modèle d‟intégration par les marchés qui trouve ses
fondements théoriques dans l‟économie politique néo-classique avec les travaux de J.
VINER et Bela BALASSA178. Ce modèle impose le parcours des 5 étapes mentionnées
plus haut. C‟est souvent l‟Union Européenne qui est donné en référence179. Comment
fonctionne théoriquement et pratiquement les Unions Douanières ?
J.VINER : The theory of custom Unions : Carnégie Endowment For International Peace, 1950
Moustapha KASSÉ : Intégration et partenariat en Afrique : de l’UEMOA au NEPAD, Édit. Nouvelles du Sud,
2003
178
179
217
Tableau 23 : Les principaux accords d'intégration dans le monde
Dénomination
Pays participants Degré d'intégration
ALENA
(Accord de libre
Échange Nord
Américain).
États-Unis,
Canada, Mexique
MERCOSUR
Brésil, Argentine,
Uruguay et
(Marché commun Paraguay
Sud-américain).
ASEAN
(Association des
Pays du Sud-est
Asiatique).
UE
Indonésie, Brunei,
Singapour,
Philippines,
Malaisie et
Thaïlande
Allemagne,
Autriche, Belgique,
Luxembourg,
Finlande, Italie,
Irlande, Espagne,
Portugal, Pays-Bas,
France.
Conclu en 1992, il regroupe trois pays d'Amérique du Nord
qui ont décidé de mettre en place une zone de libreéchange. Mais, à l'inverse du processus européen, cet
accord n'inclut aucun élément de fédéralisme (ni politique
commune, ni tarif extérieur douanier commun), c'est à dire
que chaque pays reste maître de la politique qu'il souhaite
développer vis à vis des autres pays du Monde. De plus, cet
ensemble économique regroupe des pays au niveau de
développement très varié (le PIB/habitant est de 29340 $
aux États-Unis et de 3970$ au Mexique)
Union douanière entre des pays d'Amérique du Sud de taille
très variable dans le but de favoriser l'émergence d'un pôle
économique plus intégré. Mais, ses membres sont dans une
situation économique fragile qui se traduit par de
nombreuses crises financières et économiques qui freinent
le processus d'intégration régionale (crise brésilienne en
1999, crise Argentine en 2002...).
Regroupant des pays en forte croissance économique, la
constitution de l'ASEAN a pour but premier de favoriser le
développement des échanges entre les pays-membres de la
zone afin entre autre de favoriser une division du travail
entre les pays participants. Ces pays, qui ont axé leur
stratégie de croissance sur les exportations vers les pays
développés, cherchent ainsi à réduire leur dépendance à
l'égard de ces pays en trouvant des relais de croissances
chez leurs voisins.
11 pays membres de l'EEE ont décidé d'aller plus loin dans
la construction européenne en adoptant une monnaie
unique, l'Euro, qui s'est substitué aux différentes monnaies
nationales. Les pays membres de l'EEE n'ayant pas adhéré à
ce projet (Danemark, Grèce, Royaume-Uni) conservent
leurs monnaies nationales.
Section1 : Schéma de fonctionnement de l’Union Douanière
À partir d‟une zone de libre échange, il y a une tendance à une intégration
croissante (au risque que l‟union éclate en morceaux si le renforcement de
l‟intégration est politiquement impossible). Dans la zone de libre échange sans tarifs
extérieurs communs, les fabricants dans le pays avec les tarifs les plus faibles peuvent
importer des matières premières à bon marché, et exporter les produits finals vers les
pays où les fabricants doivent payer cher leurs matières premières. Cela mène à une
harmonisation des tarifs extérieurs. La compétition intensifiée parmi les membres
d‟une union douanière cause des pertes et du chômage dans certaines industries de
chaque pays membre, et le désir que leurs ouvriers et le capital puissent aller
n‟importe où dans l‟union pour trouver leur meilleur emploi. À cause de la mobilité
des facteurs dans un marché commun, on a des problèmes s‟il n‟y a pas une étroite
coordination des politiques économiques.
218
I/ Les raisons pour entrer dans une union douanière : Les bénéfices et
les pertes à travers les concepts de «création du commerce» et de
«détournement du commerce»
C‟est un compromis équilibré qu‟il importe de trouver entre d‟une part, le rejet
du régime de libre-échange avec tout le monde parce qu‟on veut s‟industrialiser et
protéger ses industries naissantes et d‟autre part le fait qu‟il revient trop cher de tout
produire soi-même. En effet, sur ce dernier point, à travers le commerce
international, les pays peuvent tirer profit les uns les autres de leur inégalité en
ressources et en capital et ensuite, l‟union douanière permet aussi de bénéficier des
économies d‟échelle dans la production.
Libre échange avec tout le monde
Autarcie
Union Douanière
Tous les pays qui sont au début d‟un processus d‟industrialisation veulent le
faire en protégeant leurs industries naissantes avec des tarifs douaniers. Rares sont
les pays qui acceptent de s‟accommoder au régime de libre-échange avec le monde.
Les tarifs entraînent une élévation des prix locaux comparés aux prix d‟importations
hors tarif (le pays est prêt à payer la surcharge, soit dans l‟espoir de prix réduits au
futur, une fois la nouvelle industrie devenue «adulte», soit pour le simple plaisir de
posséder un belle usine que l‟on peut montrer aux visiteurs). Cette protection peut se
faire dans le cadre d‟une union douanière, en coordination avec des partenaires, ou
dans le cadre d‟une autarcie (limitée), sans coordination avec d‟autres pays.
Il est clair que si un pays initialement dans une situation d‟autarcie abolit tous
les tarifs pour entrer dans une situation de libre-échange avec le monde, il y aurait
une réduction des prix dans le pays en question. Mais si un pays passe de la situation
d‟«autarcie» à la situation d‟«union douanière» en abolissant seulement une partie
de ses tarifs (c‟est-à-dire sur les importations des partenaires, mais non sur celles du
reste du monde), il est possible que les coûts de certains produits augmentent, en
dépit de la réduction partielle des tarifs. Pour comprendre ce résultat paradoxal,
découvert avec l‟analyse de Jacob VINER, il faut savoir exactement quel contenu
donner à la notion de «coûts». Ils sont de deux ordres : le Coût à la société et le coût à
l‟individu. Le coût à la société d‟un bien peut se définir comme la valeur des
ressources employées à le créer, c‟est-à-dire ce que l‟on pourrait faire avec ces
ressources en les utilisant autrement. Pour une industrie compétitive, le prix de
vente (hors taxe) est égal aux coûts, car une firme ne peut pas élever le prix de vente
au-delà du prix minimum d‟un concurrent vendant la même chose, et aucune firme
ne peut vendre à un prix en dessous de ses coûts. En ce qui concerne le coût à
l‟individu, il est le prix toutes taxes comprises (TTC). Pour le produit d‟une industrie
compétitive, le coût à l‟individu est normalement égal au coût social, augmenté par
les taxes.
219
1°) Création du commerce et détournement du commerce
Les combinaisons équivoques sont :
Création
du commerce
d‟échanges
de la traite
du trafic
détournement
diversion
du commerce
d‟échanges
de la traite
du trafic
Il y a création du commerce dans le cas du remplacement d‟une source de production
domestique chère (en termes de coût social) par une source meilleur marché trouvée
auprès d‟un pays partenaire de l‟union douanière. Alors que le détournement du
commerce signifie que la formation de l‟union douanière entraîne la substitution en
tant que fournisseur d‟un pays partenaire cher à un pays étranger meilleur marché
(en termes de coût social).
Dans les deux définitions ci-dessus, on compare le coût à la société avant et
après la formation de l‟union douanière. Évidemment, une création du commerce,
qui entraîne une réduction du coût, est une bonne chose, tandis qu‟un détournement
du commerce qui entraîne une augmentation du coût est une mauvaise chose.
Exemple : (utilisant des données fictives). Un pays «A» (que l‟on peut appeler
«Sénégal») pense à former une union douanière avec un pays «B» (« Mali»). Pour
une certaine qualité de chemises, un pays «C» («Burkina») les vend meilleur marché.
La table ci-dessous indique les prix unitaires, frais de transport inclus, hors tarifs
douaniers, avec un tarif de 25% et avec un tarif de 50%. Naturellement, les tarifs ne
s‟appliquent pas aux produits du pays même.
Pays
Prix hors tarif
Prix avec tarif de 25%
Prix avec tarif de 50%
A
2200
2200
2200
B
1800
2250
2700
C
1600
2000
2400
Premier cas : Le pays A passe d‟un régime de tarif à 25% à un régime d‟union
douanière avec le pays B (et un tarif de 25% pour le reste du monde). Dans la
situation d‟autarcie avant la formation de l‟union douanière, le Sénégal importait ces
chemises du Burkina, puisque le coût à l‟individu (2000) était moins que le coût de la
même qualité de chemise fabriquée localement. Pour cette raison, ce modèle de
chemise n‟était pas fabriqué au Sénégal. Quel est le coût à la société sénégalaise d‟une
chemise? Les Burkinabé reçoivent 1600 en devises qu‟ils utilisent pour acheter des
produits sénégalais (de l‟huile par exemple) avec une valeur de 1600. Les 400 payés
en taxes douanières au gouvernement sénégalais sont dépensés pour acheter des
bonnes choses (écoles, etc.) pour les citoyens sénégalais. Ils ne causent pas une
diminution de la consommation totale des sénégalais. Donc le seul coût à la société de
l‟importation d‟une chemise est la valeur de devises exportées. Après la formation de
l‟union douanière, le coût à l‟individu d‟une chemise importée du Mali sans tarif
(1800) est moins que le coût à l‟individu d‟une chemise importée du Burkina (2000,
avec tarif, parce que le Burkina n‟est pas membre de l‟union douanière). Le maliens
utilisent les devises provenant de la vente des chemises pour acheter des produits
sénégalais ayant une valeur de 1800 (le coût à la société sénégalaise). Le
220
détournement du commerce du Burkina vers le Mali a causé une augmentation de
1800 Ŕ 1600, soit 200, dans le coût social d‟une chemise.
Noter bien que la «perte» des impôts douaniers n‟est point un coût social. Le
gouvernement a le droit d‟imposer des nouveaux impôts de 400, auquel cas la
réduction du pouvoir d‟achat des individus (-400) serait exactement compensé par
l‟augmentation du pouvoir d‟achat du gouvernement (+400) ; la société ne perd pas
globalement avec une augmentation des impôts, balancée par une augmentation des
dépenses du gouvernement. La perte à la société provient de la perte de devises, qui
seront utilisées par les étrangers pour enlever des biens et des services du pays, en
forme d‟exploitations.
Deuxième cas : Le pays «A» passe d‟un régime de tarifs à 50% à un régime
d‟union douanière avec le pays «B» (et un tarif de 50% pour le reste du monde).
Avant l‟union, le prix individuel d‟une voiture importée était au moins 2400 ; donc les
gens achetaient des voitures produites localement, pour 2200. Supposant que la
production d‟automobiles était une industrie compétitive, le coût social était
également 2200. Après la formation de l‟union douanière, les chemises seraient
importées du Mali, au prix de 1800. Les maliens utiliseraient leurs recettes de 1800
pour acheter des produits sénégalais. Entre temps, il ne serait plus rentable de
produire ce modèle de chemise au Sénégal, mais avec les ouvriers et le capital qui
produisaient une chemise, les sénégalais pourraient fabriquer d‟autres produits avec
une valeur de 2200. Après les exportations de 1800 envers le Mali, il resterait aux
sénégalais 400 de plus de produits que pendant la période dans laquelle ils
persistaient à fabriquer des chemises chères. La création du commerce avec le Mali
où il n‟y avait pas de commerce international, auparavant, incite la société allemande
à opérer la réduction du coût d‟une voiture.
Utilisant des flèches pour indiquer la direction du commerce, et cerclant les
membres d‟une union douanière, on peut représenter la création du commerce et le
détournement du commerce avec les graphiques ci-dessous :
Création du commerce
Avant
Détournement du commerce
Après
Avant
Après
On peut noter quelques hypothèses sous-jacentes dans l‟exemple numérique
ci-dessus. L‟offre est parfaitement élastique, c‟est-à-dire, le coût d‟une chemise dans
chaque pays n‟augmente pas et ne diminue pas avec le volume de chemises produites.
La demande est parfaitement inélastique, c‟est-à-dire le nombre de voitures achetées
ne varie pas avec le prix payé par les individus. Dans ce sens, le changement global du
coût à la société causé par la formation d‟une union douanière est simplement le
changement de coût social unitaire multiplié par le nombre (constant) de chemises
vendues. Avec l‟adoption d‟hypothèses plus réalistes, l‟analyse devient énormément
plus compliquée, mais les principes fondamentaux restent inchangés.
221
II/ Les conditions qui maximisent les bénéfices d’une union douanière
Avant l‟union douanière, les industries des futurs membres sont similaires et
compétitives et après l‟union, il y a une plus grande spécialisation et une plus grande
complémentarité. Exemple : avant l‟union douanière, chaque pays fabriquait
plusieurs types de chemises. Après l‟union douanière, l‟un des pays membres
fabrique des chemises de luxe, tandis qu‟une autre fabrique des chemises d‟un
modèle plus simple et moins cher.
 Remarque (1) : il est plus facile de faire des petits aménagements dans une
industrie (fabriquer plus de chemises de luxe et moins de chemises simples) que de
faire de grands changements (fabriquer plus d‟huile et moins de chemises).
 Remarque (2) : pour les PSD, on doit considérer souvent non pas les
industries actuelles, mais les industries potentielles, parce que les industries
n‟existent pas avant la formation de l‟union. Par exemple, trois PSD pensent qu‟au
lieu de construire trois petites usines de boissons, trois petites usines de pneus, et
trois petites usines de ciment, mieux vaut construire une grande usine de boissons,
une grande usine de pneus, et une grande usine de ciment, dans le cadre d‟une union
douanière.
 Remarque (3) : hormis l‟épargne de coûts, l‟autre raison d‟être d‟une union
douanière est la protection des industries naissantes de ses membres. Or, si les
membres de l‟union douanière sont inégaux, il est probable que l‟usine de boissons,
l‟usine de pneus et l‟usine de ciment seront toutes localisées dans le pays membre le
plus riche (voir C.PALLOIX : modèle «pôles de croissance»). Pareille situation ne
donnera certainement pas satisfaction aux membres les moins fortunés de l‟union.
Il y a des tarifs élevés sur les produits que le partenaire fabrique à bon marché
(implication : c‟est probable que l‟on manufacturait ces produits soi-même à l‟abri
d‟un grand mur de protection, et que l‟on aura des grosses réductions des prix après
une création du commerce avec le partenaire). Par contre, sur les produits chers du
partenaire, il y a un tarif à niveau faible (implication : limite les pertes possibles
provenant du détournement du commerce, car si le partenaire a des prix très hauts,
on continuera à importer des pays hors de l‟union, moyennant le paiement d‟un petit
tarif).
Lorsque l‟offre est élastique : chaque pays peut augmenter les volumes de
production de ses spécialités pour satisfaire la demande dans toute l‟union sans
grandes augmentations des prix. Si c‟est la demande qui est élastique : les citoyens de
l‟union douanière profiteront des réductions des prix suivant l‟abolition des tarifs à
l‟intérieur de l‟union douanière, en achetant beaucoup plus les uns des autres).
Il y a des grandes «économies d‟échelle», c‟est-à-dire plus l‟usine est
importante, plus le coût par unité produite est faible. En effet, un sac de ciment
produit dans une grande usine peut coûter 40% de moins qu‟un sac de ciment produit
dans une petite usine. En somme, ceci est Ŕ relativement aux unions douanières Ŕ
l‟avantage le plus important pour les pays pauvres. Plus vaste est l‟union douanière,
plus grand sont les épargnes de coût social. À la limite, tout le monde serait dans
l‟union douanière. Toutefois, si tout le monde est dans l‟union douanière, le régime
de libre-échange va prévaloir, dès lors les industries naissantes ne pourront plus être
protégées.
222
III/ Les politiques pour compenser les inégalités
On peut dédommager les pays pour leurs pertes de revenu provenant des
tarifs sur les importations détournées envers leurs partenaires de l‟union douanière.
Il est souvent mis en place des caisses de compensation qui peuvent être alimentées
par des impôts sur les nouvelles industries implantées dans l‟union douanière, par
exemple.
Une autre politique pourrait être une répartition géographique judicieuse des
industries parmi les pays membres de l‟union douanière. Il reste que ces règles sont
cruciales mais difficiles à formuler.
Une politique astucieuse a été adoptée par l‟union douanière associant
l‟Ouganda, le Kenya et la Tanzanie : des tarifs internes sans réciprocité. Si le pays «A»
a une balance commerciale négative avec le pays «B», «A» a le droit d‟imposer des
tarifs sur les importations provenant de «B», mais «B» ne peut pas imposer des tarifs
sur les importations de «A». Toutefois, cette politique n‟a pas été suffisante pour
sauver l‟union douanière en question.
En conclusion ; puisque un des objectifs d‟une union douanière est la
promotion des industries naissantes, une compensation pour les pertes (en coût
social) provoquées par le détournement du commerce n‟est pas en elle-même une
récompense suffisante pour un pays qui voit toute l‟industrie s‟établir dans les autres
pays de l‟union douanière.
Section 2 : Les premières orientations pour l’organisation de
l’intégration africaine
Dans les années 80, le Plan d‟Action de Lagos (PAL) pour le développement
économique de l‟Afrique 1980-2000 cherchait à résoudre au niveau continental,
régional, sous-régional et national, les grands problèmes du développement de
l‟Afrique. Cette politique initiée par l‟OUA a été consignée dans le PAL lors de la
XVIème session ordinaire de la Conférence des Chefs d‟ État et de Gouvernement
(Monrovia en juillet 1979). Elle a été précédée par des travaux d‟experts économistes
et des directeurs des offices de planification. À la clôture de la session, une
déclaration a été adoptée sur les principes directeurs à respecter et les mesures à
prendre pour réaliser l‟autosuffisance nationale et collective dans le domaine
économique et social, en vue de l‟instauration d‟un nouvel ordre économique
international.
Également, les Chefs d‟État et de Gouvernement de l‟OUA «s‟engageaient, au
nom de leurs gouvernements et de leurs peuples à promouvoir le développement
économique et social et l‟intégration de leurs économies en vue d‟accroître l‟autodépendance et favoriser un développement endogène et auto-entretenu pour faciliter
et renforcer leurs rapports sociaux et économiques ; pour l‟édification au niveau
national, sous-régional et régional d‟une économie africaine dynamique et
interdépendante, pour l‟établissement, chaque année, de programmes spécifiques
pour matérialiser cette coopération économique sous-régionale, régionale et
continentale ».
La mise en œuvre de cette déclaration a été consignée dans le Plan d‟Action de
Lagos dont l‟ambition était à la mesure du retard économique du continent. Le
contenu était très large et concernait des domaines aussi variés que :
l‟agriculture et l‟alimentation dont le plan de développement a été approuvé à
Arusha et adopté dans la déclaration de Monrovia de juillet 1979 ;
223
l‟industrialisation du continent par la poursuite d‟objectifs à long, moyen et
court terme, visant à atteindre en l‟an 2000 au moins 2% de la production
industrielle du monde, conformément aux objectifs de la conférence de Lima ;
l‟exercice de la souveraineté totale des pays africains sur leurs ressources
naturelles, en s‟appuyant sur la formation des hommes capables de maîtriser
les technologies appropriées ;
le développement et l‟utilisation rationnelle des ressources humaines
nécessaires à ce plan d‟action ;
la mise de la science et de la technologie au service du développement du
continent aux niveaux national, sous-régional et régional ;
l‟adoption et la mise en œuvre d‟une stratégie générale en matière de
transports et de communications ;
la promotion et l‟intensification des échanges commerciaux et financiers sur le
plan national inter-africain.
Cette énumération non exhaustive montre toute l‟importance accordée au
PAL, ainsi que les grands espoirs qu‟il a suscités lors de son adoption et de sa
promulgation. Malgré cela, les années 90 vont montrer de très faibles taux de
réalisation des objectifs du programme.
En définitive, les résultats ont été assez décevants et bien en-deçà des
espérances. Cela explique l‟extrême sévérité des évaluations : «la décennie gâchée»,
«la décennie des espoirs déçus» ou plus fréquemment «la décennie perdue». En effet,
qu‟il s‟agisse de la croissance économique, de la résorption du double déficit
structurel de la balance commerciale et des finances publiques, de la dette extérieure
et intérieure, des niveaux de pauvreté, de la nutrition, de la santé, de l‟éducation en
un mot de l‟amélioration du bien-être social, les performances sont restées dans
l‟ensemble très médiocres.
Cependant, à l‟heure de la globalisation inéluctable, l‟objectif n‟est plus,
certainement pour un pays ou un groupe de pays, de rechercher une autonomie
collective sur la base d‟un modèle de substitution aux importations et un
développement autarcique ou auto centré. Ces options sont devenues des illusions
balayées par les nouvelles perspectives offertes par l‟intensification des échanges qui
font que chaque pays cherche à tirer profit de la croissance tirée par les exportations.
C‟est pourquoi, depuis au moins une vingtaine d‟années, les économistes tentent de
déterminer les coûts et les avantages de la participation à une union économique et
monétaire efficiente. Car ce n‟est pas en additionnant des marchés étroits et mal
constitués, souvent soumis à de multiples barrières qu‟on aboutit inéluctablement à
l‟intégration et bénéficier de ses avantages. Il y a toute une dynamique à enclencher
dans un schéma organisationnel pertinent au double plan technique et institutionnel.
Dans cette optique, on peut se demander comment tenir le pari de l‟intégration
africaine.
La question revêt une importance capitale au regard des résultats médiocres
observés dans les processus amorcés depuis les années 60. Les nombreuses
organisations mises en place au cours de cette période ont connu ou connaissent des
difficultés et des dysfonctionnements qui constituent des contraintes majeures pour
leur efficacité. C‟est dans ce contexte qu‟il faut s‟interroger pour savoir si l‟Union
Africaine soutenue par l‟ensemble des décideurs africains, les sociétés civiles et
certains secteurs extérieurs constituera une exception.
224
Section3 : Les Unions Douanières en Afrique : le poids
économique des cinq régions.
L‟intégration africaine est de la forme du « moyeu de la roue et de ses rayons »
et privilégie les relations commerciales de proximité qui allient de façon subtile la
clause de « la nation la plus favorisée » et celle de la « nation la moins discriminée ».
Elle est aussi celle du pouvoir hégémonique qui exprime la capacité d‟un État à
imposer à d‟autres États environnants une coopération globalement efficace.
Ces blocs sous-régionaux fonctionnent bien que de façon assez inégale et
réalisent, par moments, des résultats appréciables dans les domaines respectifs du
commerce intra-régional, de la coordination des politiques économiques et
monétaires, de la mobilité des facteurs comme la main-d‟œuvre et les capitaux. Le
maillon manquant est un mécanisme institutionnel qui les interconnecte pour
constituer une entité plus large comme l‟Union Africaine. C‟est dans ce sens que le
Président B.COMPAORE dans son discours d‟ouverture de la 36ème Conférence de
l‟OUA à Ouagadougou proposait à ses pairs et aux experts de «s‟en tenir à l‟Afrique
du possible et de chercher un mécanisme fonctionnel et efficace de coordination des
organisations sous-régionales. Ce n‟est point par manque d‟ambition mais par
réalisme ».
Quels sont alors les régions retenues et leurs potentialités économiques et
quelles sont leurs perspectives et trajectoires en relation avec la réalisation de
l‟Union Africaine ?
I/ En Afrique de l’Ouest
Au niveau économique, elle réalise 13% du PIB africain avec un revenu per
capita de 339 dollars soit la moitié de celui continent. C‟est dans cette sous-région
que la régionalisation est la plus ancienne et les expériences plus diversifiées. La
Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO) est la plus
importante organisation sous-régionale réunissant tous les 15 Etats de l‟Afrique de
l‟Ouest. Elle a été crée en mai 1975 avec la ratification du Traité à Lagos. La sousrégion ouest-africaine se compose des économies des zones CFA et non-CFA. Près de
la moitié des pays de la sous-région à savoir ceux de l‟UEMOA sont membres de la
zone Franc CFA et utilisent la même monnaie, le franc CFA qui, depuis le 1 er janvier
1999 est rattaché à l‟euro. Ils représentent environ 30% de la population et 40% du
PIB sous-régional. Cette Zone CFA est dominée par la Côte d‟Ivoire qui contribue à
hauteur de 18% à la formation du PIB de la sous-région ouest-africaine. La zone non
CFA est dominée par le Nigeria et le Ghana. Le Nigeria se taille la part du lion du PIB
de l‟ensemble de la sous-région ouest-africaine (environ 46%). Les autres pays de la
zone non CFA sont le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée et le Libéria.
Dans la sous-région de l‟Ouest africain, le Nigéria avec sa centaine de millions
d‟habitants et son énorme potentiel énergétique (pétrole et gaz) et ses effets de
polarisation sur les autres pays frontaliers, se présente comme la véritable locomotive
économique et financière. Malgré les convulsions de son front intérieur, en toute
logique, l‟organisation de l‟intégration sous-régionale doit tourner autour de ce pôle.
Cependant, les échanges commerciaux intra-régionaux sont encore assez faibles, ce
qui commande à la CEDEAO l‟accélération de l‟harmonisation des politiques macroéconomiques et des stratégies commerciales.
En effet, ces États ont défini des critères de convergence macro-économiques
en vue d‟une coopération plus étroite. Ces critères comportent la limitation du déficit
225
budgétaire à un niveau ne dépassant pas 5% du PIB ; la fixation du crédit alloué à
l‟État par la Banque Centrale à 10% au moins des recettes publiques; la réduction et la
maîtrise du taux de l‟inflation; l‟harmonisation des taux de change et la suppression
de la surévaluation d‟ici fin 1998 ; la levée des restrictions des paiements sur les
opérations commerciales quotidiennes et la stabilisation du taux de change d‟ici 1998.
Il a été également décidé de remplacer tous les autres impôts indirects sur le chiffre
d‟affaires par la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
À ce jour, sur les 16 États membres de la CEDEAO, le critère relatif au déficit
budgétaire a été satisfait par 12 pays, le taux d‟inflation à un chiffre a été atteint par
13 pays, la marge de fluctuation du taux de change de 5% ou moins a été réalisée par
12 pays, la TVA a été adoptée par 9 pays et la réduction du crédit alloué à l‟État par la
Banque Centrale à 10% des recettes publiques (ou moins) a été respectée par 4 pays.
Des efforts sont en cours tendant à promouvoir le commerce notamment la mise en
circulation des certificats d‟origine, la levée des barrières tarifaires sur les produits
non transformés, la suppression des barrières non tarifaires à caractère monétaire et
la suppression des visas d‟entrée par tous les pays de la CEDEAO pour favoriser la
libre circulation de la main-d‟œuvre.
Dans la zone CFA, la mission de l‟UEMOA consiste en particulier à réaliser une
meilleure harmonisation intra-régionale des politiques macro-économiques. Elle vise
également à intensifier la coopération économique dans les opérations relatives aux
secteurs clés tels que la production d‟électricité, le transport et la communication.
Des efforts ont été entrepris pour harmoniser le cadre juridique et réglementaire de
l‟ensemble de la zone franc, pour créer et faire fonctionner des institutions chargées
de promouvoir la mise en œuvre des programmes régionaux au sein des États
membres. Enfin, avec l‟amélioration de la gouvernance et la transition démocratique
actuelle au Nigéria, qui connaît maintenant une relative stabilité, les chances de
renforcement des liens économiques au sein de la région seront plus grandes. De
même, dans le domaine de la résolution des conflits, ECOMOG est parvenue, avec un
engagement fort du Nigeria, à mettre un terme à la guerre civile au Libéria et à la
Sierra-Léone.
II/ En Afrique centrale
À l‟image de l‟Afrique de l‟Ouest, l‟Afrique Centrale regroupe des pays de la
zone CFA (Cameroun, Congo, Tchad, Gabon, Guinée Equatoriale et République
Centrafricaine) et des pays de la zone non CFA (Congo ŔRDC-, le Rwanda, Sao-Tomé
et Principe et le Burundi).
Il s‟agit d‟une région offrant de nombreux contrastes. Certains pays renferment
d‟abondantes richesses naturelles : de l‟or et des diamants au Congo (RDC) et du
pétrole au Cameroun, au Gabon et en Guinée Equatoriale. D‟autres, comme la
République Centrafricaine, n‟ont pas de gisements miniers importants. Néanmoins, à
l‟exception du Tchad, tous ces pays disposent d‟une vaste superficie de terres arables
qui n‟ont pas été exploitées à leur potentiel maximal.
Dans cette sous-région, le Cameroun se présente comme l‟économie forte avec
32,6% environ du PIB. Sachant que l‟économie de la sous-région n‟est guère
diversifiée et compte tenu de son potentiel énorme, la croissance économique
pourrait décoller rapidement et atteindre les niveaux observés en Asie avec le krach
de 1997. Cependant, des réformes sérieuses et cohérentes devront être engagées si
l‟on veut que ce scénario se réalise. En outre, les troubles civils et militaires devront
cesser afin que les ressources tant humaines que naturelles, puissent être consacrées
226
à une cause plus noble : le développement économique. Lorsque les conflits armés
qui dévastent la région cesseront, le Congo (RDC), souvent qualifié de merveille
géologique, pourrait constituer le moteur qui tirera toute la région vers la prospérité.
L‟inflation devrait rester sous le contrôle dans la majorité des pays, surtout
ceux appartenant à l‟union monétaire. Pour les autres, tels que le Burundi, un sérieux
tour de vis est nécessaire pour ramener l‟inflation sous la barre des 10%. Dans le cas
de la RDC, en plus de la lutte contre l‟inflation, le règlement du conflit interne s‟avère
imminent. Les progrès accomplis récemment donne l‟espoir que l‟inflation sera
maîtrisée d‟ici peu au Congo (RDC).
Ainsi, l‟intégration dans cette sous-région pourrait être propulsée par la
CEMAC qui a défini, à l‟image de l‟UEMOA, les orientations nécessaires à la
réalisation d‟un espace économiquement intégré notamment en termes
d‟harmonisation des politiques macro-économiques et d‟assainissement des finances
publiques.
III/ En Afrique Australe
L‟Afrique Australe comprend l‟Angola, le Botswana, le Lesotho, le Malawi, le
Mozambique, la Namibie, l‟Afrique du Sud, le Swaziland, la Zambie et le Zimbabwe.
Une grande partie de l‟activité économique de cette région repose sur l‟exploitation
minière et l‟agriculture.
Elle est riche en pétrole, diamants, or, cuivre et autres minerais. L‟agriculture y
est favorisée par l‟abondance des terres arables et un climat propice à la variété des
cultures de l‟élevage et des pêcheries. Enfin, le potentiel hydroélectrique et
d‟irrigation de la région est considérable. Elle assure plus de 35% du PIB de l‟Afrique
avec un revenu per capita de 1500 dollars qui est le plus élevé du continent. Elle est
dominée par l‟Afrique du Sud qui contribue à hauteur de 74,6% du PIB. Cependant,
l‟expérience récente de l‟Afrique Australe concernant l‟intégration régionale illustre le
changement de cap en faveur d‟une approche privilégiant la production.
La sous-région redouble donc d‟efforts pour mettre en œuvre des projets
régionaux et assurer une exploitation conjointe des ressources naturelles.
Reconnaissant que le transport routier et les communications sont essentiels pour
éliminer les obstacles pratiques et faciliter la circulation transfrontalière des
personnes et des biens, les pays membres de la Communauté pour le Développement
de l‟Afrique Australe (SADC) se sont lancés dans la réalisation de couloirs de
développement. Les principaux axes de transport entre les ports maritimes et
l‟intérieur des terres sont considérés comme des couloirs économiques qui
concentrent des activités liées à l‟agriculture, à l‟industrie, au commerce, aux
communications et au tourisme, notamment. La SADC a adopté un protocole sur les
transports, les télécommunications et la météorologie qui est entré en vigueur en
1998 et par lequel la région s‟engage à se lancer dans une grande réforme à l‟échelon
national et régional.
IV/ En Afrique du Nord
L‟Afrique du Nord comprend l‟Algérie, l‟Égypte, la Libye, la Mauritanie, le
Maroc, le Soudan et la Tunisie. En 1964, l‟Algérie, la Lybie, le Maroc et la Tunisie
établissaient les principes de coopération économique entre les pays du Maghreb. Le
Comité Consultatif Permanent du Maghreb (CPCM) était crée à cette fin ainsi que
227
divers autres Comités et Commissions spécialisés dans les domaines de l‟éducation,
de l‟enseignement supérieur, des études et de la recherche, des postes et
télécommunication, de l‟emploi et du travail, de la normalisation des assurances et de
la réassurance.. Le CPCM élaborait un vaste programme quinquennal de coopération
économique pour un espace économique qui a d‟énormes potentialités en matières
premières, en agriculture, en industrie et en tourisme lui permettant de sortir
facilement du retard de développement. On y traitait de la promotion des échanges
commerciaux intra-régionaux grâce à la réduction des barrières tarifaires et non
tarifaires, de la promotion des industries, de la création d‟une banque de
développement, de la coopération en matière de tourisme et de coordination des
services de transports. Malgré quelques réalisations positives ; la répartition des
coûts et des avantages fut cause des problèmes accentués par des conflits d‟ordre
politique.
Bien que les différentes institutions de l‟UMA soient mises en veilleuse, la
sous-région compte actuellement 170 millions d‟habitants et réalise environ 39% du
PIB du continent. Avec un revenu par tête de 1354 dollars soit prés de deux fois celui
du continent.
V/ En Afrique de l’Est
Composé des Comores, de Djibouti, de l‟Éthiopie, de l‟Érythrée, du Kenya, de
l‟Ouganda et de la Tanzanie, son poids économique est de 7% du PIB du continent
avec un revenu per capita d‟environ 222 dollars. Si l‟on exclut l‟hypothèse de
mauvaises conditions météorologiques et d‟une nouvelle dégringolade des prix des
principaux produits d‟exportation de la région, l‟économie régionale devrait
continuer de progresser au rythme de 5 à 6% par an. L‟impulsion sera donnée par
l‟essor du secteur manufacturier et l‟expression rapide du tourisme.
La poursuite des réformes économiques et la transparence accrue de la vie
politique accentueront les incitations pour les producteurs et atténueront la
corruption. Par ailleurs, les pouvoirs publics devront de plus en plus rendre des
comptes aux citoyens concernant l‟affectation des précieux deniers publics à
l‟amélioration de l‟infrastructure régionale, à la lutte contre pauvreté et au
développement du capital humain.
Section 4 : Les organisations régionales d’intégration les plus
importantes et les plus pertinentes.
La création des blocs régionaux a été consignée dans les objectifs du Plan
d'Action de Lagos (PAL) et de l'Acte Final de Lagos (AFL) de l'Organisation de l'Unité
Africaine (OUA). Le PAL et l'AFL prévoyaient tous les deux un processus évolutif
dans l'intégration économique du continent dans le quel les communautés
économiques régionales devraient constituer les piliers sur lesquels va en fin de
compte s'ériger la communauté économique africaine. Cette option a été confirmée
par le NEPAD qui travaille avec les cinq principales organisations régionales
représentatives de leur espace. Quelles sont les plus importantes organisations en
fonctionnement ?
228
I/ La CEDEAO et l’UEMOA en Afrique de l’Ouest.
Le processus d‟intégration est plus avancé en Afrique de l‟Ouest qui dispose de
plusieurs organisations qui fonctionnent effectivement : la CEDEAO, l‟UEMOA180, la
Mano River Union, le CILSS, Organisation de la Mise en Valeur du fleuve Sénégal,
l‟ADRAO etc. Les deux premières organisations sont les plus performantes d‟Afrique
car elles ont en passe de réaliser des Zones de libre Echange avec une libre circulation
des hommes et des biens. L‟unification monétaire est en bonne perspective. En toute
conséquence, les échanges intracommunautaires y sont les plus développés que dans
toutes les autres organisations d‟intégration.
Dans le cadre de ce travail, nous présenterons d'abord dans le tableau ci
dessous les deux communautés, ensuite les avantages et les coûts de l'intégration et
enfin les mesures prises pour remédier aux conséquences négatives de l'intégration
Tableau 24: Présentation de deux organisations d'intégration économique
1_ Date et lieu de
création
Communauté
Économique des États
de l'Afrique de l'Ouest
Union Économique et
Monétaire Ouest africaine
28 Mai 1975 à Lagos
(Nigeria)
10 Janvier 1994 à Dakar (Sénégal)
Bénin, Burkina, Cap vert,
Côte d'ivoire, Gambie,
Ghana, Guinée, Guinée
2- États membres
Bissau, Mali, Mauritanie,
Niger, Nigeria, Sénégal,
Sierra Léone, Togo
Bénin, Burkina, côte d'ivoire,
Guinée Bissau (,12 Mai 1997)
Mali, Niger, Sénégal, Togo
3- population/
Superficie
240 Millions d'hts - 6 194
000km2
67 Millions d'hts - 3 509 125 km2
4- Principaux
objectifs
Promouvoir
la Renforcer la compétitivité des
économiques
et
coopération et l'intégration activités
financières
des
États
membres
afin d'améliorer le niveau
dans le cadre d'un marché ouvert
de vie de ses populations
concurrentiel
et
d'un
Maintenir et renforcer la et
stabilité économique
environnement
juridique
Favoriser
les
relations rationalisé et harmonisé
entre
ses
membres,
contribuer au progrès et au
développement du continent
africain
Harmoniser et coordonner
180
Assurer la convergence des
performances et des politiques
économiques des États membres par
l'institution
d'une
surveillance
multilatérale
L‟UEMOA prend son origine dans l‟AOF qui était une union économique, avec une politique
commune pour tous les pays anciennement colonisés par la France. Après l‟indépendance, chaque pays
pouvait avoir une politique économique libre. Mais comme ils ne voulaient pas perdre tous les
avantages d‟une union, ils ont formé l‟Union Douanière des États de l‟Afrique Occidentale (UDAO) en
décembre 1959. D‟autres organisations lui ont succédé : UDEAO (1966), CEAO (1973) et un
regroupement avec les anglophones : CEDEAO (1975). Les membres de la filière UDAO-UDEAOCEAO sont : la Côte d‟Ivoire, le Dahomey (Bénin), la Haute-Volta (Burkina), le Mali, la Mauritanie, le
Niger et le Sénégal ; le Togo une sorte de demi-membre, n‟y a pas effectivement participé.
229
les politiques nationales
Créer un marché commun
et une union économique
Participer à la création de
la communauté économique
africaine
La conférence des chefs
d'État et de Gouvernement
5- Instances
dirigeantes
Créer entre les États membres un
marché commun basé sur la libre
circulation des personnes et des
biens, des services et des capitaux et
sur le droit d'établissement des
personnes exerçant une activité
indépendante ou salariée ainsi que
sur un tarif extérieur commun et une
politique commerciale commune
Harmoniser les législations des
Etats membres et particulièrement le
régime de la fiscalité
Instituer une coordination des
politiques sectorielles nationales par
la mise en œuvre d'actions
communes et éventuellement de
politiques communes, notamment
dans les domaines des ressources
humaines de l'aménagement du
territoire,
des
transports
et
télécommunication,
de
l'environnement, de l'agriculture, de
l'énergie, de l'industrie et des mines.
La conférence des chefs d'État
Le conseil des ministres
et de Gouvernement
La cour de Justice
Le conseil des Ministres
Les
commissions
La commission
techniques spécialisées
La cour de justice
Le secrétariat exécutif
La cour des comptes
Le conseil économique et
Le comité inter-parlementaire
social
La chambre consulaire régionale
Le
parlement
de
la
communauté
Le Secrétaire Exécutif
est assisté de deux adjoints;
(S.E.A)
Le secrétaire exécutif
adjoint chargé de
l'administration et des
finances est responsable des
sections suivantes :
Affaires juridiques
6- Organigramme
Affaires sociales et
culturelles
Administration et finance
L'autre chargé des
affaires économiques est
responsable des sections
Commerce, Douane,
Immigration, Questions
monétaires et paiements
Transport, communication,
230
La Commission comprend huit
membres et est dirigée par un
président élu pour quatre ans.
La présidence qui est renouvelable
est assurée par chaque État membre
à tour de rôle. Les commissaires sont
chargés de la direction des
départements ci-dessous :
Le département de l'aménagement
du territoire et des infrastructures,
des transports et des
communications ;
Le département des ressources ;
Le département de l'énergie, des
mines, de l'industrie et de l'artisanat
;
Le département des politiques
commerciales et douanières ;
Le département des politiques
énergie
Industrie, Agriculture et
ressources naturelles
Recherche et statistiques
7-Institutions
spécialisées
Agence monétaire de
l'Afrique de l'Ouest
(AMAO)
Fonds de Coopération, de
Compensation et de
Développement
économiques ;
Le département du développement
rural et de l'environnement ;
Le département des politiques
financières
Banque Centrale des Etats de
l'Afrique de l'Ouest (BCEAO)
Banque Ouest Africaine de
Développement (BOAD)
1°) Les avantages
Les principaux avantages découlant de l'intégration sont :
La baisse des coûts de production à l'intérieur de la région grâce aux
économies d'échelle dues à la réduction des barrières tarifaires et non
tarifaires,
La substitution du commerce légal au commerce transfrontalier illégal
généralement associé aux activités improductives et onéreuses encouragées
par des différences de prix découlant des politiques diverses ;
L'accélération du rythme des investissements attirés par un marché élargi et
un code communautaire des investissements plus libéral.
La baisse des prix due à la réduction des tarifs et à la concurrence et
l'élargissement de la gamme de choix pour les consommateurs.
Au delà de ces avantages considérés comme globalement positifs pour la zone,
l'intégration, entraîne des coûts.
2°) Les coûts
Le schéma de libéralisation préconisé dans le cadre de l'UEMOA et de la
CEDEAO entraîne, au moins dans l'immédiat, des moins-values budgétaires, et une
inégalité dans la répartition des avantages et des coûts de l'intégration pour les
différents pays.
Les moins values budgétaires
La fiscalité de l'ensemble des pays de la sous-région se caractérise
essentiellement par l'importance de la fiscalité de porte dans le montant total des
recettes budgétaires des États.
Dans un tel contexte, toute diminution ou suppression des droits de douane
entraîne des moins-values budgétaires importantes pour les différents pays. Surtout
pour des pays en proie à de graves difficultés financières, toute perte de recettes est
lourde de conséquences.
Mais au-delà de ces moins-values budgétaires, on note une inégalité des
avantages et des coûts pour les pays.
Une inégalité des avantages et des coûts
Celle-ci résulte des écarts de développement existant entre les différents pays,
en particulier sur le plan industriel.
Les pays dotés de tissus industriels plus développés et de circuits de
distribution plus élaborés profitent plus des effets de l'intégration que les pays moins
231
avancés à tissus industriels peu étoffés. Ceci s'explique par le jeu des .avantages
comparatifs généralement défavorables à ces derniers.
À l'intérieur de l'UEMOA, la Côte d'Ivoire constitue l'économie dominante
avec 34,7%, du PIB de l'Union. Elle est suivie du Sénégal (22,1% du PIB) et ensuite les
autres pays qui représentent chacun environ 8,5% du PIB de l'Union.
C'est la disparité des niveaux de développement des économies que semble
attester la liste des produits et des entreprises agréées à la taxe préférentielle
communautaire ; À la date du 1er septembre 1997, sur les 211 entreprises dont les
produits sont agréés, on note la répartition suivante :
98 pour la Côte d'Ivoire
56 pour le Sénégal
18 pour le Mali
15 pour le Burkina Faso
9 pour le Togo
8 pour le Niger
6 pour le Bénin
D'autre part, l'hétérogénéité des mesures tarifaires et non tarifaires,
notamment sur le plan du droit des affaires, sur le plan de la fiscalité et dans le
domaine des règles de concurrence fausse le jeu de la libre concurrence. De telles
hétérogénéités viennent le plus souvent aggraver l'inégalité dans la répartition des
avantages et des coûts entre les pays.
Face à toutes ces conséquences, on note un effort de mise en place de
d‟importants mécanismes de compensation pour remédier aux disparités entre pays
côtiers et pays enclavés.
3°) Les mécanismes de compensation aux moins-values budgétaires
et aux inégalités et disparités
Ces compensations peuvent être regroupées en deux catégories :
la compensation par les fonds
la compensation par le droit
La compensation par les fonds comprend :
Le fonds de compensation financière provisoire pour pertes de recettes de
l‟UEMOA,
Le fonds de coopération, de compensation et de développement (FCCD) de la
CEDEAO;
Les fonds structurels pour l'aménagement équilibré du territoire
communautaire
La compensation des disparités par le droit comprend d'une part
l'harmonisation des fiscalités et des législations et, d'autre part, l'adoption de règles
garantissant la libre-concurrence.
II/ Le COMESA
Le Marché Commun de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique Australe ou COMESA
de son acronyme anglais, regroupe une vingtaine (20) de pays de cette partie du
continent africain. La genèse du Marché commun de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique
Australe remonte au milieu des années 1960 à un moment où l‟Afrique entière faisait
de l‟idéal de solidarité panafricaine et d'autosuffisance collective un destin commun.
C‟est en 1965 que démarre le processus en vue de la création d'une communauté
232
économique des États de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique Australe qui venaient
d‟accéder à l‟indépendance. Un Conseil Provisoire des ministres, assisté par un
Comité Economique intérimaire, fut ultérieurement constitué pour négocier le traité
et initier des programmes de coopération économique en attendant la fin des
négociations du traité. Et en 1978, fut recommandée la création d'une communauté
économique sous-régionale, en commençant par une zone d'échanges préférentiels
sous-régionale qui devait graduellement se transformer en marché commun et
finalement en communauté économique. À cette fin, la réunion a adopté la
Déclaration d'intention de Lusaka et l'engagement pour la création d'une Zone
d'Échanges Préférentiels de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique australe (ZEP). Elle a
constitué par ailleurs un groupe intergouvernemental chargé de négocier le Traité
portant création de la ZEP. La réunion a également convenu d'un calendrier de travail
du groupe intergouvernemental.181 Le Traité entre en vigueur en 1982 après sa
ratification par plus de sept États signataires conformément à l'Article 50 du Traité.
La ZEP fut créée en vue de tirer profit d'un marché plus étendu, de partager le
patrimoine et le destin communs de la région et de permettre une plus grande
coopération socio-économique, l'objectif ultime étant la création d'une communauté
économique.
Le Traité de la ZEP prévoyait sa transformation en un marché commun.
Conformément à cette disposition, le Traité portant création du Marché commun de
l'Afrique de l'Est et de l'Afrique Australe (COMESA) fut signé le 5 novembre 1993 à
Kampala en Ouganda. Il fut ratifié une année plus tard à Lilongwe (Malawi) le 8
décembre 1994.
Le COMESA a choisi de se concentrer sur les domaines d'intégration suivants :
Commerce des biens et des services, y compris les mécanismes de paiement et
de règlement ;
Promotion et facilitation de l'investissement ;
Développement des infrastructures ;
Commerce électronique ;
Paix et sécurité.
1°) Les principaux objectifs du COMESA
avec :
Le COMESA dispose du potentiel de ressources le plus important d‟Afrique
Les plus larges fleuves du monde (Zambèze, Congo, Limpopo) et les plus longs
du monde (Nil) se trouvent dans la région, avec un énorme potentiel
d'exploitation (transport par voie d'eaux, énergie hydroélectrique avec un
potentiel de 700 milliards de KW, dont 96% sont inexploités, l'irrigation et la
pêche).
La plus grande réserve d‟eau douce (Victoria) et certains des plus larges faits
par l'homme (Owen Falls, Kariba, Aswan)
La région compte des sites et des merveilles naturelles uniques au monde et
qui présentent un potentiel touristique: Great Pyramids, Great African Rift
Valley, serengeti Plains, Great Zimbabwe, Cradle of Mankind (Kobi Fora, lac
Turkana, etc.)
Le COMESA dispose de ressources minérales estimées à environ 300
milliards de tonnes de phosphate, 105 milliards de tonnes de minerai de fer,
À l'issue des travaux préparatoires, une réunion des chefs d'État et de gouvernement fut organisée à
Lusaka le 21 décembre 1981 au cours de laquelle le Traité portant création de la ZEP fut signé.
181
233
200 milliards de tonnes de pétrole et de grandes quantités d'uranium, de
cuivre et de cobalt.
La région a 60% du cheptel africain (estimé à 300 millions de têtes en 1997).
90% des terres arables potentielles du COMESA sont encore à exploiter
Le COMESA vise à s‟intégrer pleinement à l‟économie mondiale en vue
d‟apporter la prospérité économique, d‟élever le niveau de vie de ses populations,
avec une stabilité politique et sociale. L‟organisation doit assurer la libre circulation
des biens, des services, des capitaux et de la main-d'œuvre entre les États membres.
La réalisation de ces objectifs du COMESA est inscrite dans le long terme.
Cependant, afin de garantir une plus grande efficacité à sa mission en tant
qu'institution, le COMESA a défini dans le cadre de son mandat sa priorité qui est la
promotion, à moyen terme, l'intégration régionale par le commerce et
l'investissement. Il a été élaboré un Programme qui couvre un grand nombre de
secteurs et d'activités, l'introduction d'un Tarif Extérieur Commun (en 2004) et un
accord sur les taxes de 0% sur les biens de production, de 5% sur les matières
premières, de 15% sur les biens intermédiaires et 30% sur les biens finals. Le
COMESA doit faciliter la suppression des faiblesses structurelles et institutionnelles
des Etats membres, afin qu'ils soient à même d'atteindre le développement collectif et
soutenu. Le Secrétariat est chargé de les appuyer à réaliser les ajustements
nécessaires pour pouvoir entrer dans l'économie mondiale dans le cadre des
réglementations de l'OMC et des autres accords internationaux.
2°) De l’insistance particulière pour une exploitation commune des
opportunités offertes par les technologies de l'information et des
communications (TIC) pour valoriser le potentiel de ressources
Le COMESA a mis en place un programme qui mise sur l‟exploitation des
progrès des technologies de l'information et des communications par satellite et sans
fil qui évitent d'investir dans de coûteuses infrastructures des télécommunications
conventionnelles. Également le COMESA veut exploiter les technologies numériques
et les réseaux de communications qui créent des économies sans frontières dans des
secteurs-clés.
Ces technologies représentent à la fois un défi et une opportunité pour un
espace géographique trop large et ayant des ressources naturelles assez importantes.
III/ La Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).
La SADC a décidé dès 1992 de se transformer en une communauté régionale
d‟intégration par le commerce et le développement. Elle a accompli jusqu'à présent
des progrès importants dans cette direction : accueil de nouveaux membres plus
fortement orientés vers l'économie de marché; signature de protocoles; ouverture au
secteur privé. Il lui reste néanmoins à prendre des décisions infiniment plus lourdes
de conséquences qui détermineront dans une large mesure sa capacité à affronter la
dynamique d'une intégration économique centrée sur le commerce. L‟Organisation
doit faire le choix entre deux options : la première consisterait à conserver la même
forme de coopération, avec des compétences sectorielles par pays, mais elle la
rationaliserait conformément à la volonté de privilégier l'intégration sur une
coopération strictement fonctionnelle et la seconde consisterait en une concentration
encore plus forte de ses activités et mettrait en place de nouvelles structures de
compétences purement régionales. On semble se diriger vers la première option car
234
elle modifie le moins les structures traditionnelles ; elle est donc la plus facile à
imposer.
Le problème majeur qui se pose à cette organisation est relatif à la juste
répartition des coûts et bénéfices entre les Etats membres afin qu‟aucun État n‟exerce
une position trop asymétrique par rapport aux autres. Le développement économique
et politique des différents pays fait apparaître d'énormes disparités. D'un côté le
Mozambique, le Malawi et la Tanzanie font partie des sept pays les plus pauvres du
monde (avec un revenu moyen par habitant inférieur à 170$ par an); de l'autre l'Ile
Maurice et l'Afrique du Sud sont en passe d'entrer dans la catégorie des pays
industriels. La controverse porte tout spécialement sur le poids de l'Afrique du Sud
qui, du fait de sa puissance politique et économique, exerce déjà aux yeux de ses
voisins une domination excessive. De plus, l'Afrique du Sud dispose d'un marché
intérieur suffisamment grand, et d‟un pouvoir d'achat assez élevé, deux phénomènes
qui exercent un effet d‟attraction pour les investissements directs dans les secteurs
des biens de consommation et d'investissement. Tous les autres pays membres
présentent pour les IDE un intérêt circonscrit à la production de matières premières
(minérales et agricoles) et à la production pour l'exportation.
Cette trop forte disparité pose la nécessité de disposer d'un mécanisme de
compensation économique qui garantisse aux États les plus faibles de tirer
également un avantage à leur participation à l‟intégration. La difficulté à mesurer les
coûts et les bénéfices rend leur perception particulièrement problématique. La mise
en place d'un Fonds de Compensation, calqué sur le modèle du budget de l'UE
s‟impose.
Malgré un bon fonctionnement de l‟organisation, les gouvernements
rechignent à déléguer des compétences supranationales à la SADC particulièrement
pour la mise en valeur de certains secteurs économiques bien que, dans le cadre de
l'intégration par le commerce, une telle renonciation soit nécessaire. En effet, cela
faciliterait l‟harmonisation des législations, les réglementations et les modalités de
leur application, l‟uniformisation des tarifs et des taxes et la simplification des
contrôles douaniers. La SADC ne peut échapper à prendre de telles mesures si elle
veut approfondir le processus d‟intégration économique.
1°) La locomotive sud-africaine et l’hétérogénéité économique de la
SADC.
Sur les 14 pays de la SADC, seule l'Afrique du Sud et le Zimbabwe, disposent
de structures industrielles diversifiées. Les autres pays membres (à l'exception de
Maurice) exportent principalement des matières premières et importent des produits
finis. Cela conduit non seulement à des relations commerciales inégales mais aussi à
des économies nationales présentant de très grandes différences structurelles dans
leur développement. Cela confère aussi aux économies de la SADC un attrait très
contrasté. Le Botswana, suivi de près par l'Afrique du Sud, possède en Afrique
australe le meilleur climat d'investissement, les places suivantes étant occupées par le
Mozambique et la Zambie. L‟un des pôles industriels et surtout agricole est
immobilisé par son front politique intérieur.
Depuis l'ouverture de l'Afrique du Sud à ses voisins, les exportations sudafricaines vers le Zimbabwe, la Zambie et le Mozambique, de même que les
investissements sud-africains dans ces trois pays, ont très fortement augmenté, alors
qu'aucune extension notoire des exportations des autres pays de la SADC vers
l'Afrique du Sud n'a été observée. Des pays comme le Mozambique ou la Zambie font
235
venir jusqu'à 30% de leurs importations d'Afrique du Sud, mais ne trouvent
pratiquement pas de débouchés pour leurs produits en Afrique du Sud. Ce
déséquilibre commercial assez marqué a déjà provoqué de vives tensions au sein de
l‟organisation, les pays déficitaires reprochant à la locomotive de fermer ses marchés
à leurs rares produits concurrentiels par des barrières douanières élevées et des
obstacles non-tarifaires. C'est le cas pour le textile et certains produits agricoles.
En résumé, les problèmes commerciaux au sein de la SADC se posent dans les
termes suivants:
à l'exception de l'Afrique du Sud et du Zimbabwe, aucun pays pratiquement ne
produit des biens compétitifs qui rencontrent aussi une demande dans les
autres pays de la SADC;
beaucoup d'États de la SADC ont une gamme de produits trop semblables pour
jeter les bases d'une imbrication commerciale intracommunautaire et d'une
zone de libre-échange qui fonctionne;
jusqu'à présent seuls l'Afrique du Sud et le Zimbabwe ont réalisé des excédents
notables dans les échanges commerciaux à l'intérieur de la SADC;
l'Afrique du Sud et le Zimbabwe ferment leurs marchés aux importations en
provenance d'autres pays de la SADC par des barrières douanières élevées et
une série d'obstacles commerciaux non-tarifaires. En revanche l'Afrique du
Sud en particulier pratique une politique commerciale agressive et conquiert
des parts de marché de plus en plus grandes dans de nombreux pays de la
SADC.
Une communauté économique régionale suppose une harmonisation des lois
et des règlements dans les États membres de ladite communauté. L'extension des
échanges commerciaux passe par la suppression, non seulement des droits de
douane, mais aussi des obstacles commerciaux non-tarifaires ainsi que par
l'harmonisation des textes régissant la circulation routière et les investissements. Le
renforcement des contacts sociaux exige une simplification des procédures de
franchissement des frontières et une suppression de l'obligation de visa. De telles
harmonisations et simplifications sont un préalable indispensable à l'application des
décisions de politique économique prises au niveau ministériel ou présidentiel. Les
lenteurs observées dans l'harmonisation et la simplification des modalités
d'application tiennent pour une part à la faiblesse des structures administratives de la
SADC et des réticences politiques des Etats membres.
2°) La question des mouvements migratoires
Un débat sur une nouvelle politique d'immigration est actuellement en cours
en Afrique du Sud. Depuis l'époque coloniale, la région de l'Afrique Australe est
marquée par de forts mouvements migratoires commandés principalement par les
exploitations minières ainsi que les plantations en Afrique du Sud, en Zambie, au
Zimbabwe, à la Namibie et au Botswana, qui avaient besoin d'une main d'œuvre bon
marché. Il y a actuellement en Afrique du Sud entre 2,5 et 4,1 millions de travailleurs
migrants clandestins. Ce mouvement s‟est renforcé avec des flux en provenance de
l'Angola, du Mozambique, du Zimbabwe, de la Zambie, de la République
démocratique du Congo, du Malawi ainsi que de pays n'appartenant pas à la SADC
(Rwanda, Burundi, Nigéria, etc.).Toutefois, les Etats commencent à vouloir
réglementer les mouvements migratoires contrairement à ce qui se passe en Afrique
de l‟Ouest.
236
Le sommet de la SADC réuni en septembre 1997 à Lilongwe, au Malawi, a
donc recommandé, sur cette question des mouvements migratoires, l'élaboration
d'une politique commune qui tienne compte à la fois des intérêts des pays
d'immigration et des pays d'émigration. Un protocole de la SADC sur la « Libre
mobilité des personnes dans la région » est actuellement en discussion mais ne
pourra entrer en vigueur que s'il est ratifié par deux tiers au moins des membres de la
SADC.
3°) Les perspectives d’une organisation leader
La réussite, d'ici au milieu du siècle prochain, de la transition visée dans le
protocole commercial dépend essentiellement du succès des réformes allant dans le
sens de la création de la zone de libre-échange. Ces réformes attendues portent
notamment sur le leadership économique et politique sud-africain, la juste
répartition des coûts et des bénéfices de l'intégration commerciale (migration de
main d'œuvre, mécanisme compensatoire) ainsi que l'harmonisation des lois,
directives et réglementations (transports, régimes frontaliers, code d'investissement).
Section 5 : La convergence des politiques économiques et
financières au niveau CER: quelques illustrations chiffrées.
La situation économique en Afrique a été marquée ces dernières années par
une baisse du taux de croissance du PIB de la région qui est passé de 5,5% en 1996 à
3,2% en 1998. Ce taux n‟a été que légèrement supérieur au taux de croissance
démographique, et a été inférieur au taux de croissance annuel moyen de 4%
enregistré depuis 1995. Cette performance faible s‟explique d‟une part par la chute
brutale des cours du pétrole et de certains produits de base, provoquée par la crise
financière et économique mondiale, et d‟autre part par les conditions climatiques
défavorables à l‟agriculture et les problèmes engendrés par l‟instabilité et les conflits
qui ont affecté certains pays.
Les économies africaines ont souvent réagi différemment à ces chocs externes.
En d‟autres termes, les effets sur le déficit budgétaire, le taux d‟inflation, la croissance
du PIB, l‟endettement et le taux de change sont très différents d‟un pays à l‟autre.
Pourtant, le Traité sur l‟Union Européenne signé à Maastricht en Février 1992
conditionne la création d‟une Union Économique et Monétaire (UEM) à la réalisation
par chaque État de 4 critères de convergence définis par l‟article 109J ainsi que par
un protocole annexé au Traité. Cette batterie de critères est une innovation car, pour
la première fois dans l‟histoire, une expérience d‟UEM se fera ou ne se fera pas selon
que ces critères auront ou n‟auront pas été atteints. La reconnaissance de la pleine
réalisation de ces critères comme prélude à l‟Union tranche un débat récurrent entre
deux doctrines de l‟intégration : la doctrine du gradualisme et de la convergence
opposée à la doctrine du big bang et de la marche forcée. Quels sont les critères et
comment sont-ils reliés ?
Les critères les plus usuellement retenus sont : les taux d‟inflation, le niveau
des déficits budgétaires, le taux de croissance du PIB, le volume d‟endettement
extérieur et le taux de change réel. Il est possible de reconstituer l‟origine de ces
critères afin de révéler les hypothèses qui ont servi explicitement ou implicitement
aux choix politiques. Sans entrer dans le détail, observons que des critères trop stricts
retardent la convergence donc l‟intégration alors que des critères trop souples
accélèrent artificiellement la convergence et l‟intégration s‟autodétruira au prochain
237
choc. De plus, tous ces critères sont reliés entre eux par des relations simples au sein
d‟un système dynamique. Analysons-les de plus près pour en apprécier le niveau
effectif.
I/ Taux d’inflation fortement différenciés
De manière générale, l‟inflation connaît une baisse continue depuis 1995. Elle
passe de 17% en 1990 à 12% en 1998 après avoir atteint 33% en 1995, alors qu‟elle
s‟établissait à pas moins de 42% en 1994. Dans plus de la moitié des pays, le taux
d‟inflation a été inférieur à la moyenne régionale, même si l‟on note un important
dérapage au Zimbabwe, au Malawi, où les prix à la consommation ont augmenté de
31,7% et 18% respectivement. Au Congo (RDC) l‟inflation a chuté vertigineusement
entre 1997 et 1998. En Afrique du Sud, malgré un rand (la monnaie nationale) faible,
l‟inflation est restée limitée à 6,1%. Les performances enregistrées avec la baisse de
l‟inflation sont principalement dues au renforcement de la discipline budgétaire et à
l‟adoption de politiques monétaires plus rigoureuses, combinées à une stabilisation
des taux de change. Ainsi, les divergences des taux d‟inflation sont extrêmement
contrastées. En effet, le taux d‟inflation annuel moyen en Afrique, sur la période 19911998, varie entre 4178% en RDC au début des années 90 et 1,2% aux Seychelles, soit
un différentiel de 4176,9%. Ce chiffre montre les divergences prenant leur source
dans les politiques économiques et monétaires. Il nuit à la compétitivité du continent
et constitue en conséquence un obstacle de taille à l‟union économique africaine.
II/ Déficits budgétaires trop contrastés
Le solde budgétaire du continent baisse continuellement entre 1990 et 1997
avec respectivement des taux de 4,3% et 1,8% du PIB, même s‟il a atteint le niveau de
2,7% en 1998. Ces faibles performances s‟expliquent essentiellement par une
politique budgétaire relativement restrictive, surtout en 1998, et ce malgré les fortes
pressions exercées sur les finances publiques par la chute des recettes à l‟exportation
qui, dans la plupart des pays, constituent une importante source de revenus pour
l‟État. La position budgétaire de plusieurs pays a connu de fortes fluctuations en
raison de la baisse brutale des prix des produits d‟exportations (notamment le pétrole
dans le cas de certains pays d‟Afrique de l‟Ouest), mais aussi à cause de l‟impact
budgétaire des troubles civils en Angola et au Congo (RDC). Seuls le Botswana
(5,6%), le Gabon (2,8%), la Guinée Équatoriale (0,7%), la Mauritanie (4,4%), le
Sénégal (1%) et la Tanzanie (0,3%) on enregistré ainsi des excédents de leur solde
budgétaire.
L‟amélioration du solde budgétaire dans presque tous les pays s‟explique plus
par une réduction considérable des dépenses publiques que par une hausse des
recettes. Toutefois, ici aussi, les divergences sont notoires. En 1998, le solde
budgétaire varie du déficit de 32% au Sao -Tomé et Principe à l‟excédent de 5,6% du
PIB au Botswana.
Ces différences de performance dans la réduction et même le rythme de la
réduction du déficit budgétaire confirment l‟absence d‟harmonisation des politiques
budgétaires et donc de convergence à l‟égard de cet indicateur, ce qui complique
davantage le processus d‟union économique africaine.
238
III/ Taux de croissance différenciés du PIB
La croissance de l‟économie africaine connaît un ralentissement depuis 1997
avec un taux de 3,4% qui persiste en 1998 ( 3,2%) alors qu‟elle avait atteint son taux
le plus élevé de la période 90-93 en 1996 avec 5,5%. Ce ralentissement de la
croissance économique en Afrique s‟explique essentiellement par la mauvaise
conjoncture de l‟économie mondiale, qui trouve son origine dans la crise financière
asiatique de 1997, la baisse des volumes d‟exportations, mais aussi et surtout la baisse
des prix des matières premières.
En outre, la croissance du PIB réel par tête d‟habitant a connu aussi un recul
mais elle demeure positive depuis 1995 où elle était de 0,2% avant d‟augmenter
substantiellement jusqu‟à 2,7% en 1996. Les baisses sont intervenues entre 1997 et
1998 avec respectivement 0,7% et 0,6%. Toutefois, le rythme de la croissance
économique diffère fortement d‟un pays à l‟autre. En effet, le taux de croissance
annuel moyen sur la période de 1991-1998 varie de 19,4% en Guinée Équatoriale à
-6% au Congo (RDC). Ainsi, en dehors du Burundi (-1,7%), des Comores (-0,6%), de
la RDC (-6%), de Djibouti (-1,5%) et de la Sierra Leone (-4,8%), tous les autres pays
ont enregistré des taux positifs de croissance du PIB réel sur la période.
IV/ Endettement extérieur massif et insoutenable
L‟encours total de la dette extérieure africaine a légèrement diminué, passant
de 330,2 à 314,7 milliards de dollars EU de 1996 à 1997. En 1998, il connaît une
légère hausse à un niveau de 319,9 milliards de dollars EU. La dette à long terme
constitue l‟essentiel de l‟encours total. Le poids de l‟endettement extérieur reste élevé
puisqu‟il représente en moyenne la moitié du PIB soit 56,7% en 1998 et presque deux
fois et demi la valeur des exportations soit 215,2%, la même année.
Un quart environ du total des recettes à l‟exportation a été consacré au service
de la dette extérieure. Par ailleurs, l‟endettement de certains pays africains à faible
revenu pourrait augmenter en raison de la dégradation des termes de l‟échange et de
la perte éventuelle des parts de marché pour les exportations de certains produits de
base, due à des ajustements compétitifs du taux de change de la part des pays estasiatiques.
Toutefois, la dette extérieure est assez contrastée en Afrique. Elle varie par
exemple en 1997, entre 30 milliards de dollars EU (en Algérie) et 189,7 millions de
dollars EU (aux Comores). Pour la plupart des pays africains, l‟endettement ne cesse
de s‟alourdir d‟année en année. L‟accroissement annuel moyen de la dette extérieure
sur la période 1991-1997 est de 1,8%.
V/ Dépréciation monétaire et taux de change réel différents
Le contraste caractérise aussi bien le niveau que l‟évolution du taux de change.
Dans ce sens, le taux de dépréciation monétaire a varié d‟un peu moins de 9% en
Algérie à plus de 64% au Malawi. Du reste, les monnaies des pays nord-africains et le
franc CFA n‟accusent qu‟une baisse marginale. En plus du Malawi, le Zimbabwe
(46%), le Malawi (47%), la Sierra Leone (52%) et le Burundi (27%) ont enregistré de
fortes baisses de leur taux de change. Bien que le Rand, monnaie nationale sudafricaine, ait fait l‟objet d‟attaques féroces en milieu d‟année suite à la crise des
marchés émergents, la monnaie n‟a perdu que 10% de sa valeur par rapport au dollar
en 1998, mais a reperdu le terrain au début de 1999. Le Naïra nigérian est resté stable
239
pendant la majeure partie de la période 1996-1998. Enfin, le lancement de l‟Euro
aura une incidence sur les marchés des changes et sur les transactions commerciales
et financières, en particulier dans la zone CFA et en Afrique du Nord qui
entretiennent des liens économiques et commerciaux plus étroits avec l‟Union
Européenne.
Au total, les disparités et les divergences enregistrées dans les performances
des économies africaines laissent entrevoir des obstacles sérieux à la réalisation de
l‟union économique de l‟Afrique. Cependant, l‟ampleur de ces divergences est moins
importante au sein des espaces économiques sous-régionaux déjà constitués. En
termes de stratégie, l‟intégration économique africaine organisée autour du profil
économique régional est à la fois plus pertinente et plus efficace. L‟espace
économique du continent est subdivisé en cinq régions qui développent chacune en
son sein une ou plusieurs initiatives d‟intégration: en Afrique Centrale avec la
Communauté Économique et Monétaire de l‟Afrique Centrale (CEMAC), la
Communauté Économique des États de l‟Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté
Economique des Pays des Grands Lacs (CEPLG), en Afrique de l‟Est avec la
Communauté Économique de l‟Afrique de l‟Est (CEA), en Afrique du Nord avec
l‟Union du Maghreb Arabe (UMA), en Afrique Australe avec l‟Union Douanière de
l‟Afrique Australe (UDAA), la Communauté pour le Développement de l‟Afrique
Australe (SADC), la Zone d‟Échanges Préférentiels (ZEP), le Marché Commun des
Etats de l‟Afrique de l‟Est et de l‟Afrique Australe (COMESA) et en Afrique de l‟Ouest
avec La Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO),
l‟Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), l‟Union du Fleuve
Mano (UFM).
240
CHAPITRE 25
LES INSTITUTIONS DE L’UNION AFRICAINE : DE LA
COMMISSION AU GOUVERNEMENT CONTINENTAL.
«Unir l’Europe… c’est la placer sous une autorité commune
capable d’émettre des décisions majoritaires. Exiger en toute chose un
accord unanime, c’est supposer d’avance le problème résolu ; c’est
présumer qu’il existe entre les pays coalisés une adhésion suffisante,
une sorte d’harmonie préalable qui les prédispose à des appréciations
concordantes».
Robert Schumann (182)
Le début du 3ème millénaire a vu les grands décideurs d‟Afrique élaborer de
nouvelles visions de l‟unité africaine par deux initiatives majeures : la création de
l‟Union Africaine (UA) à la place de l‟Organisation de l‟Unité Africaine (OUA) et
l‟élaboration d‟une nouvelle initiative économique pour un partenariat avec le monde
industrialisé et les institutions financières internationales (NEPAD). L‟Acte
Constitutif de l‟Union Africaine s‟inscrit ainsi dans une logique de réactualisation de
la Charte de l‟OUA visant à doter le continent d‟une ambition éclairée et des objectifs
réalisables pour un nouveau départ de l‟intégration africaine. C‟est dire que les
leaders africains ont désormais une réelle vision historique et une véritable
conscience des défis nationaux et continentaux. Conscients des énormes potentialités
du continent, ils prennent l‟initiative d‟élaborer des stratégies qui placent celui-ci au
cœur des enjeux du nouveau millénaire. Ce sont alors les nouvelles voies de l‟afrorenaissance pour reprendre le mot de Jean Marc ELA. Pour ce faire, tous les
dirigeants africains redécouvrent l‟appel de NKRUMAH : l‟Afrique doit s‟unir.
Cette idéologie d‟une renaissance africaine renoue avec les visions
prophétiques des pères fondateurs de l‟unité africaine (de K. N‟KRUMAH183 à J.
NYÉRÉRÉ, en passant par L.S.SENGHOR). Les rédacteurs de l‟Acte Constitutif de
l‟Union Africaine affichent la conviction et la volonté d‟ouvrir, «Les voies de
l‟espérance pour l‟Afrique du 21ème siècle»184.
Cette option s‟impose comme un préalable pour sortir le continent de
l‟immobilisme et de la marginalité. Il faut toujours avoir à l‟esprit que l‟Afrique est
aujourd‟hui la région du monde la plus pauvre et que son PNB dépasse à peine celui
de la Belgique.
À l‟aube du millénaire, les discours de tous les décideurs africains face à la
situation catastrophique et l‟état de précarisation sociale insistent sur l‟impérieuse
nécessité de réinventer de nouvelles façons de penser et d‟agir propres au
régionalisme africain, principale planche de salut dans ce monde configuré en grands
blocs économiques et financiers en situation concurrents.
182..
Écrits de Paris, avril 1955, un État d’esprit européen est-il possible ?
O. Dr. Nkwamé NKRUMAH : Africa must be united, 1950
184 B. COMPAORÉ : La Voie de l’espérance est une évaluation positive de la trajectoire africaine
183
241
Section 1 : L’OUA : de l’idéal d’unité politique et économique de
l’Afrique aux défaillances organiques et institutionnelles.
La question de l‟Unité politique et économique de l‟Afrique a été soulevée très
tôt, juste après les indépendances des années 60, par les pères de l‟indépendance
africaine. Dans ce contexte l‟OUA sera créée par un compromis initialement
équivoque entre deux groupes d‟États africains : les modérés et les radicaux. En effet,
on trouvait d‟un coté les panafricanistes maximalistes comme K. NKRUMAH185, Ben
BELLA, Modibo KEITA, Sékou TOURE préconisant déjà une union africaine
fédéraliste à mettre en place immédiatement à partir d‟institutions politiques ayant
pour missions la réalisation de l‟intégration économique et financière. De l‟autre se
trouvent les gradualistesŔinstitutionnalistes, avec comme têtes de file Julius
NYERERE, L.S. SENGHOR et Houphouet BOIGNY qui plaidaient plutôt pour une
approche régionale graduelle et « par cercles concentriques »186 rappelant ainsi les
« poupées russes » dont l‟ensemble constitue une entité, mais chacune prise
individuellement représente l‟image réduite de l‟entité décomposée.
Pendant plus d‟une trentaine d‟années, l‟OUA initialement formée de 36
membres s‟est élargie par la suite à 53 États en 1994. Sans aucun doute, elle a
activement contribué par son Comité de Libération à l‟indépendance de certain pays,
à la liquidation de l‟Apartheid et à la fin du régime Rhodésien au Zimbabwe.
Toutefois, c‟est au niveau économique que les réalisations ont été dans l‟ensemble
très maigres. Si l‟OUA a encouragé le développement des Communautés
Économiques Régionales (CER) dans différents espaces, elle n‟a pas réussi à faire
appliquer le Plan d‟Action de Lagos (1980-2000) ni à démarrer le Traité d‟Abuja
instituant la Communauté Économique Africaine (1991). Globalement les objectifs
économiques ont été systématiquement gelés y compris la Commission Économique
et Sociale chargée de leur mise en œuvre. Pourtant la Charte mettait en première
place la coopération et l‟intégration économique du continent. Beaucoup d‟autres
commissions spécialisées et organes techniques n‟ont pratiquement jamais
fonctionné.
À ces faiblesses organiques et fonctionnelles viendra s‟ajouter une lacune de
taille de la Charte : l‟absence de supranationalité qui finira par obliger la recherche de
compromis comme unique système décisionnel. La conséquence est alors la paralysie.
En prenant l‟exemple de la Conférence des Chefs d‟États et de gouvernement, elle ne
dispose d‟aucun pouvoir de décision ; celui-ci est laissé au Sommet, c‟est-à-dire à
l‟appréciation des États souverains qui ne peuvent prendre les décisions que par
consensus.
Vers la fin des années 90, il était apparu que les conditions du monde avaient
profondément changé. Ensuite, les organes de l‟OUA avaient crée une série
d‟organismes subsidiaires et d‟institutions spécialisées, adopté un ensemble de
décisions et de règles et forgé une stratégie pour l‟action qui ne seront suivi d‟aucun
effet tangible. Avec l‟avènement de la mondialisation multipolaire et la montée de la
pauvreté de masse, les dirigeants africains commencent à appréhender la nécessité de
modifier la structure de l‟OUA et de faire avancer l‟intégration.
Lors de différentes rencontres, les décideurs africains vont prendre une claire
conscience de la nécessité de repenser profondément la Charte de l‟OUA qui, après
K. NKRUMAH avait déjà lancé au Congrès Panafricain de Manchester en 1950, l‟idée des États-Unis
d‟Afrique qui fut reprise et systématisée dans son ouvrage « L‟Afrique doit s‟unir » publié en 1956 par
Présence africaine
186 La formule est de Léopold SENGHOR
185
242
plus de trois décennies de fonctionnement, appelait des modifications et des
amendements relatifs à ses principes directeurs, ses orientations d‟ensemble, ses
objectifs, son fonctionnement, ses structures d‟encadrement et d‟administration.
C‟est ainsi qu‟au 4ème Sommet extraordinaire de l‟Organisation de l‟Unité
Africaine (OUA), organisé en septembre 1999 à Syrte, en Libye, sur le thème
« Renforcement de la capacité de l‟OUA à faire face aux défis du nouveau
millénaire », il a été adopté la déclaration de Syrte qui appelle notamment à :
la création d‟une « Union Africaine en conformité des objectifs suprêmes de la
charte de notre Organisation continentale et des dispositions du Traité portant
création de la communauté économique africaine »,
et l‟accélération du « processus de mise en œuvre du Traité portant sur la
création de la Communauté économique africaine ». Il s‟agit de la Charte
instituant la dite Communauté et qui a été adoptée à ABUJA en 1991.
Le 36ème Sommet de l‟OUA tenu en Juillet 2000 à Lomé (Togo) va alors
décider de la création de l‟Union Africaine dont l‟acte constitutif a été adopté lors du
37ème et dernier Sommet de l‟OUA en Juillet 2001 à Lusaka (Zambie).
Cet Acte Constitutif de l‟Union Africaine s‟inscrit ainsi dans une logique de
réactualisation de la Charte de l‟OUA visant à doter le continent d‟une ambition
éclairée et d‟objectifs réalisables pour un nouveau départ de l‟unité africaine. Avec les
deux documents de l‟Union Africaine et plus tard, celui du NEPAD, les décideurs
politiques ont pris l‟initiative d‟élaborer des stratégies qui tentent de placer le
continent au cœur des enjeux d‟un nouveau développement, de nouvelles voies
d‟une afro-renaissance. Dans cette perspective, l‟Acte unique est une innovation
majeure qui exprime bien une volonté d‟aller plus vite et plus loin dans le processus
d‟intégration.
Toutefois, à y regarder de près, on peut constater que le nouveau dispositif
législatif et institutionnel comporte encore des limites de fond qui restreignent
notablement sa fonction d‟instrument de réalisation de l‟unité politique et
économique du continent. C‟est cela qui a suscité le Grand débat sur le
Gouvernement continental comme moyen d‟accélérer la marche vers les États-Unis
d‟Afrique.
Section 2 : Portée et limites de l’Acte constitutif de l’UA
Sans nul doute, sur certains aspects, l‟Acte Unique trace des voies de l‟avenir
en s‟inspirant beaucoup de l‟Union Européenne et aussi de l‟Union Économique et
Monétaire Ouest-Africain (UEMOA) qui sont des modèles de régionalisme ouvert
fondé sur 2 piliers : des institutions unifiées de gouvernance (Commission, Conseil
Exécutif, Parlement, Cour de Justice, Conseil Économique et Social) et des critères de
convergence (déficits internes et externes, inflation, endettement, budget etc.). Ces
deux éléments rendent possible l‟élaboration de politiques économiques et
monétaires communes. Dans ce contexte, il importe d‟opérer une évaluation pour
apprécier la portée et les limites de l‟Acte Unique, afin de dépasser les modestes
résultats qui caractérisent généralement le régionalisme africain.
243
Encadré 15 : Dispositif institutionnel de l’Union Européenne
Consultation
PARLEMENT
Contrôle
Budget
Consultation
Consultation
CONSEIL
ECONOMIQUE ET
SOCIAL
COMITE
CONSULTATIF
Avis
Initiative
COMMISSION
EUROPENNE
CONSEIL DES MINISTRES
Exécution
Arrêts
Recours
PARTICULIERS
COUR DE JUSTICE
Arrêts
Recours
GOUVERNEMENTS
Recours
Arrêts
I/ Forces et faiblesses de l’Acte Unique comme instrument d’accélération
de l’unité africaine.
A travers l‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine les Chefs d‟État et de
Gouvernement semblent s‟être donné comme objectif majeur l‟accélération du
processus d‟édification de l‟unité africaine en prenant toutes les mesures destinées à
établir l‟unité organique du continent. Étant donné que les traités internationaux
tiennent souvent lieu de loi constitutionnelle pour les communautés ou unions qui les
ratifient, on est en droit d‟attendre de l‟Acte Constitutif qu‟il ait un caractère formel
qui lui permette d‟identifier, de définir et de légitimer une nouvelle union d‟une
cinquantaine d‟États. Il devrait notamment comporter des règles détaillées qui
244
aideraient à la réalisation des objectifs et à la définition des obligations des diverses
institutions de l‟Union et des États membres.
On est en droit d‟attendre de l‟Acte Constitutif qu‟il ait un caractère formel qui
lui permette d‟identifier, de définir et de légitimer tous les chantiers qui mènent vers
la nouvelle union de plus d‟une cinquantaine d‟États. Il devrait alors fixer les
orientations et les diverses règles devant contribuer à la réalisation des objectifs et à
la définition des obligations des diverses institutions de l‟Union et des États
membres.
Il devrait définir les droits des citoyens, de même que les libertés
économiques fondamentales comme la libre circulation des personnes, des biens, des
services et des capitaux, la liberté de s‟établir, de fournir des services, d‟importer ou
d‟exporter.
C‟est la reconnaissance de tels droits qui permet aux entreprises et opérateurs
économiques de franchir les frontières et de faire prospérer librement leurs affaires.
Une unité africaine qui, après quarante années d‟existence, voit encore des milliers
d‟africains quotidiennement rapatriés dans leur pays d‟origine, des marchandises et
des camions bloqués par des barrières les plus diverses, ne présente aucun intérêt,
sinon diplomatique.
Or, l‟Acte Constitutif - dans son contenu comme dans sa forme actuelle - est un
document qui ne répond que partiellement à ces soucis majeurs. De surcroît, il
n‟autorise pas l‟élaboration d‟une politique audacieuse de développement et
d‟intégration ; donc, il ne peut Ŕ selon toute logique Ŕ en assurer la mise en œuvre.
D‟une trop grande simplicité, il présente des lacunes énormes dans son système
normatif. L‟Acte devrait commencer par des dispositions communes qui établiraient
un état comparatif avec la Charte de l‟OUA. Cela aurait permis de distinguer les
articles qui ont été modifiés, les nouvelles formulations et les engagements qui ont
été maintenus.
Le rappel du PAL et du Traité de Communauté Économique Africaine (Abuja,
1991) est trop rapide et ne souligne pas le fait qu‟aucun des engagements pris par les
États n‟a connu le moindre début d‟exécution et en plus, beaucoup de dispositions de
ces documents ont vieilli ou sont totalement dépassées. Dans la même direction, des
organes de l‟OUA qui n‟ont jamais fonctionné sont reconduits sans la moindre
évaluation.
En ce qui concerne ces organes déterminants du dispositif institutionnel, leur
composition et leurs attributions sont simplement énumérées. De la sorte, on peut
constater d‟importants manquements : les conflits de compétence entre l‟ordre
interne et la législation de l‟Union, les sanctions en cas de défaillance des États ou de
non-exécution complète ou partielle des obligations ne sont pas prises en
considération.
Il est vrai que l‟Acte définit les objectifs de l‟Union en des termes trop
généraux. Cependant, il n‟indique pas clairement les moyens nécessaires pour les
réaliser, encore moins les délais de mise en œuvre. L‟Union ne dispose que de
compétences d‟attribution dans des domaines spécifiques. Certaines institutions
comme le Parlement et la Cour de Justice Ŕ qui sont parmi les piliers de l‟Union Ŕ
voient leur composition, leurs pouvoirs, leurs attributions et leur organisation
renvoyées à des protocoles y afférents. Par exemple, quel est le rôle du Parlement et
surtout, va t-il disposer d‟un pouvoir de contrôle sur les différentes décisions des
institutions de l‟Union ? Il existe une foule d‟autres problèmes d‟orientation et de
principes qui sont renvoyés à des protocoles qui seront négociés ultérieurement. Il en
va de même pour la Cour de justice !
245
Il est évident qu‟une Union qui se veut durable doit être soudée par de très
solides règles de droit. En somme, comme le disait un ministre français de la justice,
«le fédérateur, c‟est le droit». À ce niveau encore, le texte de l‟UA est silencieux sur
bon nombre de questions fondamentales : Quelles sont les compétences
d‟attribution c‟est-à-dire les compétences contentieuses, les compétences
préjudicielles et les compétences consultatives ? Le texte est encore plus faible quand
il s‟agit des articles traitant de l‟économie et des finances, notamment les règles
détaillées concernant les domaines de construction de l‟union africaine. Les objectifs
des politiques économiques et sociales, des recherches scientifiques et technologiques
ainsi que celles concernant l‟environnement et les ressources humaines ne sont nulle
part définis avec précision, si bien qu‟aucun engagement des États n‟est mentionné.
Pour d‟autres domaines comme l‟éducation, la défense et les politiques extérieures,
c‟est le silence total.
En ce qui concerne la procédure de prise de décision, c‟est encore le consensus
qui prévaut. Naturellement, une telle procédure de décision condamne souvent les
organisations africaines à toujours rechercher de laborieux compromis qui, à
l‟arrivée, s‟avèrent très difficiles à appliquer. Ainsi, les décisions arrêtées dans ces
conditions deviennent simplement inopérantes. Si on voulait l‟immobilisme, on ne s‟y
prendrait pas autrement. En revanche, si l‟objectif est de progresser vers l‟unité, la
majorité qualifiée doit devenir la procédure de décision courante.
II/ Les limites du système de gouvernance de l’Union Africaine
Le système de gouvernance de l‟Union, laisse apparaître des faiblesses qui
peuvent entraîner des dysfonctionnements institutionnels ou alors traduire un
manque d‟ambition. En premier lieu, l‟organe d‟administration et de gestion de
l‟Union présente au départ des déficiences organiques et fonctionnelles. En effet, il
est parfaitement compréhensible que l‟administration de l‟Union soit confiée à une
structure assurément souple comme la commission.
Toutefois, de par sa composition et ses attributions, cette structure est loin de
pouvoir répondre aux besoins d‟une organisation internationale dont les États sont
d‟une part trop nombreux et, d‟autre part trop hétérogènes au triple plan
économique, politique et social. Il est douteux que cet organe puisse mener à bonne
fin les enjeux d‟une véritable renaissance africaine.
En second lieu, sur un plan strictement juridique, les organes principaux
n‟ont pas des compétences et des attributions différenciées. Autrement dit, le
Président de la Commission n‟est pas responsable devant le Conseil Exécutif qui luimême ne possède pas de pouvoir gouvernemental de contrôle et d‟imposition Ŕ ce qui
lui aurait donné des compétences pour faire exécuter les décisions arrêtées. Dans le
cas de l‟Union européenne, qui est ici la référence, la Commission propose, le Conseil
décide et la Commission exécute.
En troisième lieu, la lacune majeure dont souffre la Commission est l‟absence
de la supranationalité qui renvoie à l‟existence d‟un pouvoir de décision immédiate.
Même la Conférence des Chefs d‟États et de gouvernement qui est censée être
l‟organe suprême de l‟Union ne dispose pas de ce pouvoir de commandement. À
l‟évidence, les objectifs qui sont fixés par l‟Union, à savoir réaliser le développement
économique et l‟intégration de l‟Afrique, nécessitent une autorité supranationale
forte, capable de mettre en forme les décisions et de les faire exécuter. Sous ce
rapport, la diversité et la spécificité des États africains appellent la mise en place d‟un
Exécutif fort et collégial, non d‟un Président « honoris inter-pares » investi pour un
246
an et ne disposant d‟aucun pouvoir réel. Ce délai est trop court pour assurer la
continuité et le contrôle des décisions arrêtées. L‟attribution de la Présidence sert à
ménager les susceptibilités du pays organisateur tout en procurant à son chef des
satisfactions de prestige.
L‟Acte Constitutif prévoit des commissions techniques spécialisées couvrant
les principaux domaines d‟activités qui sont au nombre de sept. Elles sont chargées
de préparer les projets et programmes de l‟Union, d‟assurer le suivi des décisions
ainsi que la coordination et l‟harmonisation des projets. Ces Commissions semblent
s‟engager à construire l‟Afrique des réalités à partir d‟un programme possible et
souhaité. En effet, l‟article 14 de l‟Acte constitutif de l‟Union Africaine institue sept
Comités Techniques spécialisés dans des domaines d‟intérêt commun, à savoir :
Les questions d‟économie rurale et agricole ;
Les affaires monétaires et financières ;
Les questions commerciales, douanières et d‟immigration ;
Les industries, la science et les technologies, les ressources naturelles, et
l‟environnement ;
Les transports, les communications et le tourisme ;
La santé, le travail et les affaires sociales
L‟éducation, la culture et les ressources humaines.
À titre comparatif avec l‟Acte Unique Européen, celui-ci traite dans sa section 2
«des dispositions relatives aux fondements et à la politique de la communauté ».
Cette section comporte 13 articles qui régissent les six domaines de la politique
communautaire : le marché intérieur, la capacité monétaire, la politique sociale, la
cohésion économique et sociale, la recherche-développement technologique et
l‟environnement. Pour chaque politique les objectifs très précis sont fixés, les moyens
sont clairement spécifiés et la mise en œuvre est toute tracée avec parfois des agendas
d‟exécution. Alors que pour l‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine, les domaines
«d‟intérêt commun pour les États membres» sont simplement énumérés, sans la
moindre précision sur les objectifs, les moyens ou le calendrier d‟exécution. Cela
masque mal le faible engagement des décideurs à réaliser les programmes arrêtés.
C‟est cela qui explique l‟inefficacité de l‟OUA quant à l‟application de ses propres
décisions.
De la sorte, non seulement l‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine n‟a point fixé
des pistes réalistes mais il a tout bonnement esquivé des questions stratégiques
extrêmement importantes, de surcroît réalisables et pouvant constituer le fondement
même d‟un véritable contrat communautaire. Le NEPAD va essayer d‟apporter des
correctifs.
En dépit de ces problèmes, la formation de ces Commissions constitue une
avancée significative ; toutefois leur composition (art. 14) ne leur permettra pas
d‟être de véritables institutions d‟analyse et de décisions. En effet, elles sont
composées de ministres ou de hauts fonctionnaires qui ne sont pas à proprement
parler des techniciens, mais des politiques n‟ayant pas toujours les compétences
requises. Par ailleurs, elles risquent d‟avoir un personnel pléthorique et d‟être en
conséquence complètement inefficientes. Dans la défunte Charte de l‟OUA, ces
organes techniques existaient bel et bien, mais en réalité, ils n‟ont jamais fonctionné à
cause de leur lourdeur.
247
III/ Qu’apporte l’expérience européenne à la construction de l’Union
Africaine.
En dehors de cas vraiment exceptionnels, l‟expérience montre que les
nombreuses tentatives d‟intégration sous-régionale n‟ont pas connu les succès
attendus. De plus, qu‟elle soit prise dans sa globalité ou au niveau de ses composantes
sous-régionales, les États d‟Afrique présentent des disparités énormes qui pourraient
faire obstacle à la réalisation de l‟Union Africaine telle que conçue dans l‟Acte
Constitutif. Tout simplement, avec 53 États, tout accord devient extrêmement difficile
non pas seulement à cause du nombre des partenaires mais aussi de l‟extrême
disparité de leurs situations économiques, financières voire politiques et sociales.
Sous ce rapport on comprend parfaitement les laborieux compromis qui ont, durant
une trentaine d‟années, complètement paralysé l‟OUA. Dans ce contexte,
l‟organisation de la convergence s‟impose au premier chef.
Les critères qui ont été définis à partir de la théorie et de la pratique des unions
économiques ne sont pas respectés ou connaissent peu de succès dans plusieurs
organisations d‟intégration. D‟ailleurs, on a souvent présenté le débat sur la
convergence des économies africaines comme un débat académique, il n‟en est rien
car il s‟agit d‟une mise en forme théorique tournée vers la pratique et qui se formule
comme suit : peut-on créer une union économique ou monétaire sans coordonner les
différentes politiques ? La réponse est négative car l‟absence de coordination conduit
à des externalités négatives. Et de plus, les écarts grandissants dans les politiques et
les performances entraînent toujours des comportements totalement divergents qui
vont contribuer à fragiliser la cohésion et l‟efficacité du regroupement projeté.
Il apparaît alors clairement que la réalisation de l‟Union Africaine résidera
principalement dans l‟aptitude de l‟Acte Constitutif à mettre en œuvre des
orientations volontaristes de politiques économiques et monétaires et à exécuter des
projets intégrateurs. Pour y arriver, les États doivent harmoniser progressivement
leurs économies et enclencher une marche graduelle vers l‟Union.
Les médiocres performances du régionalisme africain appellent à s‟inscrire
dans la dynamique d‟une stratégie du possible et du réalisable. Conformément à
l‟optique de Jean MONNET, l‟unité africaine se fera par des réalisations concrètes à
même de créer d‟abord une solidarité de fait et ensuite l‟acceptation d‟une
communauté d‟entreprise et de travail.
La ratification du Traité de Rome instituant le Marché Commun a été effectuée
le 25 mars 1957 et celle de la Charte de l‟OUA en juillet 1963 seulement six années
séparent les deux actes fondateurs. En l‟an 2000, l‟Europe a achevé son unité
économique et monétaire alors que l‟Afrique est encore à la recherche d‟un schéma
acceptable d‟unification. C‟est à partir du moment où l‟Europe a adopté la règle de la
majorité qualifiée qu‟elle a accéléré la marche vers l‟unité, malgré une vive opposition
de la Grande Bretagne et d‟autres pays comme le Danemark. Depuis, elle est
complètement sortie de la période d‟indécision et d‟immobilisme. Tel n‟est pas le cas
de l‟Afrique qui s‟est carrément fourvoyée dans la recherche de l‟unanimité et du
consensus comme processus décisionnel sur les questions extrêmement vitales des
institutions de gouvernance, du développement économique et de la régulation de
l‟ordre communautaire. Les sempiternelles logomachies culturalistes, historicistes et
volontaristes qui rythment les différents sommets de l‟organisation, n‟ont pas encore
suffi à faire décoller l‟unité africaine d‟un pouce.
L‟expérience de l‟Europe montre que la marche vers l‟union est un «étapisme»
bien régulé autour d‟une préoccupation centrale : bâtir un cadre institutionnel et
248
juridique capable de prendre en charge les programmes retenus. Cela apparaît
nettement dans l‟Acte Unique Européen signé en février 1986 et ratifié par
référendum par deux pays : le Danemark et l‟Irlande. Au-delà de l‟architecture
juridique, le principal acquis est l‟adoption du vote à la majorité qualifiée et non plus
à l‟unanimité, ce qui permettait l‟instauration d‟un véritable pouvoir supranational
chargé de réaliser un espace communautaire aux plans économique, monétaire et
social puis de faire accepter des décisions prises.
Progressivement, se sont mis en place les quatre composantes de ce pouvoir :
le pouvoir de décision dévolu au Conseil des Ministres, le pouvoir exécutif confié à la
Commission, le pouvoir législatif exercé par le Parlement européen et le pouvoir
judiciaire dévolu à la Cour de Justice. Au plan économique, les États confirment leur
volonté de réaliser les objectifs initialement inscrits dans le Traité de Rome, mais
l‟Acte Unique précise la compréhension du marché intérieur : «un espace sans
frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des
personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent
traité… Ce marché intérieur doit être établi progressivement au cours d‟une période
expirant le 31 décembre 1992». Une autre disposition très importante est celle
relative à la solidarité envers les pays et les régions défavorisés. Celle-ci se manifeste
à travers les fonds dits structurels comme le Fonds Régional, le Fonds Social, le
Fonds Agricole.
De manière graduelle, à «petits pas», s‟est constitué tout un ordre
communautaire qui se met au-dessus des États nationaux. «Il n‟y a pas de politique
qui vaille en dehors des réalités», observait le Général De Gaulle.
IV/ Les principales causes de l’inefficacité des modèles d’intégration.
Eu égard à leurs missions, les institutions des organisations d‟intégration
africaine analysées sont inopérantes dans la mesure où elles sont trop nombreuses
sans structures effectives de coordination et trop d‟empreintes d‟interétatisme qui se
traduit dans l‟absence totale de tout élément de supranationalité, la faiblesse du
système décisionnel et la non application des actes et la piteuse implication des
peuples à l‟action des institutions.
1°) Le chevauchement des nombreuses communautés
économiques régionales censées être les centres névralgiques du
processus d’intégration régionale.
En ne recensant que les principales communautés économiques régionales
encore appelées (Accords de Coopération Régionale ou blocs régionaux), elles sont au
nombre de 14 groupements répartis en 5 espaces sous-régionaux dont les plus
importantes sont:
Afrique du Nord: UMA
Afrique de l‟Ouest: CEDEAO et UEMOA
Afrique Centrale: CEMAC et CEAC
Afrique Orientale: EAC
Afrique Australe: SADC et COMESA
Plus précisément, ces grandes Communautés coexistent dans chaque espace
avec d‟autres organisations de plus petite dimension ayant une
vocation
d‟intégration. Ainsi, pour l‟Afrique de l‟Ouest, la Communauté Économique des États
de l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO) coexiste avec l‟Union Économique et Monétaire
249
Ouest-Africaine (UEMOA), l‟Organisation de la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal
(OMVS) et la Mano River Union. Pour l‟Afrique Centrale, il existe principalement
trois groupements: la Communauté Économique des États d‟Afrique Centrale
(CEEAC), la Communauté Économique et Monétaire de l‟Afrique Centrale (CEMAC)
et la Communauté Économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). Les pays
d‟Afrique orientale et australe comptent six communautés économiques régionales: le
Marché commun de l‟Afrique Orientale et Australe (COMESA), la Communauté
d‟Afrique de l‟Est (CAE), l‟Autorité Intergouvernementale pour le Développement
(IGAD), la Commission de l‟Océan Indien (COI), la Communauté de Développement
de l‟Afrique australe (SADC) et l‟Union Douanière d‟Afrique Australe. L‟Afrique du
Nord ne disposait que d‟une seule organisation l‟Union du Maghreb Arabe (UMA)
avant l‟émergence de la Communauté des États sahélo-sahariens (CENSAD). De
nombreux pays africains font partie de plus d‟un groupe régional. Par exemple, en
Afrique Orientale et Australe, certains pays appartiennent à la fois à l‟Union
Douanière d‟Afrique Australe et à la SADC, ou encore à cette dernière et au COMESA.
En Afrique de l‟Ouest, de nombreux pays membres de la CEDEAO font aussi partie de
l‟UEMOA.
La question se pose aussi au niveau de l‟Union Africaine dans la mesure où sur les 53
pays, 26 au moins appartiennent à deux communautés économiques régionales et 20
à trois et plus.
Ce chevauchement soulève beaucoup d‟interrogation dont la principale est
celle de savoir s‟il constitue un avantage ou un inconvénient. Deux opinions
s‟affrontent comme en témoigne les partisans ou non de l‟intégration à « géométrie
variable ».
Encadré 16 : Débat sur l’approche dite «à géométrie variable».
Les chevauchements de la composition des grands groupes et l‟existence de plus
petits groupes au sein de ces derniers ont suscité un vaste débat. Certains auteurs
estiment que les chevauchements contribuent au progrès. C‟est notamment le cas de
LYAKURWA ET AL. (1997) pour qui, dans le contexte africain, une telle approche à
géométrie variable signifie, progressé au niveau de la CEDAO tout en maintenant les
avantages acquis dans le cadre de l‟UEMOA. De la même façon, les notions de
géométrie variable et de subsidiarité pourraient également être utiles en Afrique
australe pour la zone d‟échanges préférentiels (COMESA), la SADC et l‟Union
douanière d‟Afrique australe.
À l‟inverse, d‟autres analystes considèrent que l‟appartenance à des groupes
multiples entrave l‟intégration régionale car elle est à l‟origine de doubles emplois.
Par exemple, ARYEETEY et ODURO (1996) reprennent l‟analyse de McCARTHY
pour dire qu‟il est difficile d‟envisager comment la SADC et le COMESA, du fait de
leur convergence en matière de coopération sectorielle et d‟intégration commerciale,
peuvent subsister et prospérer alors que certains pays d‟Afrique australe
appartiennent aux deux. Ce raisonnement, fondé sur la rationalisation des effectifs,
correspond davantage à l‟esprit du Traité d‟Abuja dont l‟objectif est l‟intégration du
continent.
Source : CEA, Rapport sur l’Intégration p. 42
Objectivement le chevauchement non seulement à un coût exorbitant mais il
peut rendre moins efficient les processus d‟intégration. D‟ailleurs cet aspect est
particulièrement souligné par le Rapport de la CEA lorsqu‟il observe que « Les
chevauchements entre communautés économiques régionales affaiblissent les efforts
250
collectifs déployés en vue de l‟objectif commun qu‟est l‟Union Africaine. De plus, ils
jettent le flou sur les objectifs d‟intégration et suscitent une concurrence nuisible
entre les pays et les institutions. Les chevauchements entre communautés
économiques régionales alourdissent également la charge des États membres. Un
pays qui appartient à deux communautés ou plus ne fait pas seulement face à des
obligations financières multiples, il doit aussi gérer une multiplicité de réunions, de
décisions, d‟instruments, de procédures et d‟échéances. Les douaniers doivent
appliquer différentes normes en matière de réduction des droits de douane, de règles
d‟origine, de documentation commerciale et de nomenclature statistique. Cette
multiplication des procédures et des formalités douanières est contraire à l‟objectif de
libéralisation du commerce qui est de faciliter et de simplifier les échanges ».
2°) L’absence de volonté politique claire en faveur de l’intégration
A l‟évidence, aucune tentative d‟intégration ne peut survivre sans la volonté
politique de ces membres à la soutenir. Une volonté politique claire de réaliser un
espace économique, politique et social intégré permettrait alors l‟exercice d‟un
leadership réel et effectif. Dans cette optique, elle facilitera l‟élimination des
différentes barrières (au commerce par exemple), la mise en place de politiques
communes et d‟institution. Cela suppose au préalable que les barrières de la
souveraineté et l‟impasse de la prise de décisions soient levées au préalable.
3°) L’absence de pouvoir supranational
Lorsqu‟on analyse le modèle institutionnel des organisations africaines, l‟on
est frappé par leur caractère hautement hiérarchisé. La charte de l‟OUA débute par la
formule « nous Chefs d‟État et du Gouvernement », alors que le texte de l‟article 8
dispose que la conférence des Chefs d‟État et de gouvernement est l‟organe suprême
de l‟organisation, que l‟organe est formé des seuls États, que les décisions sont prises
en dernier ressort par les seuls chefs d‟État. La structure politique interne des États
influence grandement l‟Organisation internationale. Il en va de même pour toutes les
autres organisations sous-régionales. Dans aucune d‟entre elles, on ne trouve le
moindre embryon de supranationalité. L‟irréductible souveraineté nationale domine
partout.
4°) L’absence d’un modèle opératoire de prise de décision
Une faiblesse remarquable de toutes les institutions africaines d‟intégration
provient de la procédure de prise de décision qui est le consensus. En effet,
l‟ensemble des actes ou décisions sont pris à l‟unanimité. De fait chaque Etat dispose
d‟une sorte de droit de véto et n‟a pratiquement aucune obligation à charge pour
l‟exécution des décisions. Cette procédure de vote a souvent condamné les
organisations africaines à toujours rechercher de laborieux compromis qui s‟avèrent
totalement inopérants. Militerait-on pour l‟immobilisme qu‟on ne s‟y prendrait pas
autrement. En revanche, si l‟objectif est de progresser vers l‟unité, la règle de la
majorité qualifiée doit devenir la procédure de décision courante. L‟exemple de
l‟Europe est de ce point de vue très édifiant. L‟odyssée vers l‟union européenne a été
parsemée de remous, de rupture, de la politique de la chaise vide et de laborieux
compromis qui ont cependant permis de faire chaque fois des progrès substantiels
dans le sens de l‟unité.
251
5°) La
d’intégration
faible
participation
des
populations
au
processus
Les organisations régionales ou sous-régionales d‟intégration négligent
d‟organiser et d‟exploiter leurs soutiens populaires. Au niveau institutionnel, il
résulte des modèles africains d‟intégration que même des organes consultatifs qui,
d‟ailleurs permettent aux représentants des États membres d‟apporter la caution de
leurs peuples à l‟entreprise commune soulèvent beaucoup de problèmes au double
niveau de leur composition et de leur fonctionnement.
Les Communautés ne deviennent pérennes qu‟avec la participation des
populations au processus de prise de décision et de contrôle de l‟Union. Le Parlement
doit avoir l‟initiative en matière de lois, voter le budget préparé par la Commission
Exécutive et se prononcer sur les projets et programmes qui lui sont soumis par la
Commission. Les membres de ce Parlement devraient être élus au suffrage universel
et non désignés par les autorités gouvernementales ou les parlements nationaux.
Dans cette assemblée de l‟Union, les acteurs politiques pourront alors défendre les
intérêts du continent en les mettant en phase avec ceux des États membres. C‟est
seulement de la sorte que peut se former une conscience africaine.
Section 3 : Le goulot d’étranglement du financement des
Communautés Economiques Régionales et de l’Union
Africaine.
Les problèmes de financement constituent un obstacle sérieux à l‟intégration
africaine. Intervenant au Sommet des Chefs d‟État et de Gouvernement de Maputo, le
Président Abdoulaye Wade observait que « si nous voulons avancer vers la réalisation
effective de nos ambitions politiques et économiques, il nous faut mettre en place un
système de financement qui, tout en n‟affectant pas nos précaires équilibres
budgétaires, impliquerait tous les acteurs et citoyens d‟Afrique. En mobilisant ainsi
nos ressources propres, la communauté internationale pourra mieux nous
accompagner dans nos efforts internes. Le mécanisme d‟un financement citoyen
existe et nous devons le mettre en œuvre au plus vite pour avancer plus résolument
dans la construction de la renaissance africaine. De manière plus structurelle, les
besoins de ressources estimés pour la période 2004-2007 ne peuvent être couverts
par le simple système des contributions des États. Cela nous impose alors de trouver
impérativement et rapidement des sources alternatives de financement qu‟il faut
inscrire dans l‟agenda de l‟UA ». C‟est fort de cette remarque que le Président
Abdoulaye Wade a été mandaté par ses pairs pour élaborer un Plan de Financement
qui permette à l‟organisation de disposer de ressources propres à la fois suffisantes,
permanentes et stables.
Toutes les communautés économiques régionales tirent l‟essentiel de leurs
ressources financières de quatre modes de financement :
Les contributions des États à partir de leurs budgets ou de leur PIB ;
La TVA
Les services comme les assurances ;
Les prélèvements sur les importations provenant des pays hors union
À la lumière des critères habituels d‟évaluation qui suivent, les modes
traditionnels de financement ont failli :
La visibilité et la simplicité,
L‟autonomie financière,
252
La contribution à une meilleure affectation des ressources économiques,
La suffisance des ressources,
Le rapport efficacité/coût au niveau administratif,
La stabilité des recettes,
L‟Équité des contributions brutes,
Cette faillite est attestée par le fait que les opérations des CER ne sont plus
principalement financées par les contributions de leurs membres, mais tout
simplement par l‟assistance extérieure. Les contributions acquittées ont décliné au fil
du temps et l‟aide extérieure fait parfois défaut ou ne suffit pas pour répondre aux
besoins des communautés économiques régionales.
I/ Les limites du financement par les contributions des États membres.
Ce mode de financement a toujours été la principale source de revenus de la
plupart des communautés économiques régionales qui ont toujours fonctionné
essentiellement sur la contribution financière des États membres. Les budgets sont
alimentés par des contributions dont le montant est déterminé par des protocoles qui
fixent les quotes-parts. Ces contributions sont soumises à l‟approbation annuelle des
Etats dans le cadre de leurs procédures budgétaires respectives.
Le financement à partir des contributions des États membres a, en effet, pâti
de la crise des finances publiques en Afrique. Les politiques de stabilisation ont
partout conduit à des ajustements budgétaires qui ont souvent restreint les
engagements et les versements aux organisations communautaires créant ainsi au
niveau de celles-ci l‟accumulation d‟importants arriérés de paiement des États
membres. Cette situation a condamné plusieurs organisations à végéter ou même
disparaître par asphyxie financière.
Le deuxième aspect des contributions consiste en la création au profit de la
Communauté d'une ressource fondée sur le produit national brut aux prix du marché
(PNB pm) des États membres. L‟évaluation fiable de ce prélèvement soulève une
foule de questions relatives à la comparabilité nationale et à l‟harmonisation tant des
définitions que du calcul du PNB.
Ces deux aspects de ce mode de financement montrent qu‟il a très peu de
chance de mobiliser les ressources nécessaires du fait des chocs et de la précarité des
finances publiques des pays africains. Dans les situations de crise, les États refusent à
payer leurs contributions ou alors réclament implicitement leur abaissement
rompant ainsi la solidarité macroéconomique qui est à la base de la formation des
Unions intégrées. Ce tableau offre une illustration de ces éléments.
253
Tableau 25 : Paiements courants effectués et arriérés dus par les Etats de
l’OUA (En dollars EU)
%
Contributions
Recettes
Arriérés de
des arriérés
Exercice
Statutaires
provenant des
paiement des sur les
Financier
Potentielles
contributions
contributions contributions
annuelles
statutaires
statutaires
potentielles
214980
1990-1991
29063072
7565060
12
74,0
211967
1991-1992
27443954
6247168
86
77,23
174762
1992-1993
24564459
7088194
65
71,14
181219
1993-1994
24764470
6642569
01
73,17
145070
1994-1995
26700000
12192959 41
54,33
175279
1995-1996
27490000
9962046
54
64
826485
1996-1997
27140000
18875142 8
30,45
109472
1997-1998
26930000
15982776 24
41,6
144232
1998-1999
27830000
13406740 60
51,82
149956
1999-2000
31770000
16774320 80
47,20
146271
2000-2001
27600000
12972845 55
53,0
Sources : Rapport Financier de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA)
L‟examen du tableau récapitulatif des paiements et des arriérés des États
membre de l‟OUA entre 1991 et 2001 révèle toutes les raisons qui justifient la non
viabilité à long terme du financement fondé sur les contributions des États. En effet,
les exercices financiers de ces périodes montrent que le pourcentage des arriérés par
rapport aux contributions potentielles dépasse largement 50%. Il a même atteint 77%
durant l‟exercice 90/91 soit un montant de $ 21 196 786. C‟est seulement en
1996/1997 que les arriérés sont tombés en dessous de la barre des 50% des
contributions potentielles soit $ 8 264 858.
Les arriérés de contributions des dix derniers exercices financiers de l‟OUA ont
atteint encore des niveaux plus impressionnants et excèdent presque toujours les
contributions de l‟année en cours.
Le principal enseignement à tirer de l‟analyse de ce tableau est qu‟au regard
des difficultés financières actuelles ou potentielles des Etats, toute modalité de
financement qui implique une pression sur les budgets nationaux serait vouée aux
mêmes difficultés que le système des contributions de l‟OUA.
À cela s‟ajoute que le système de financement fondé sur les contributions des
États a également pour inconvénient d‟être moins transparent pour le citoyen moyen
en ce qui concerne le montant et l‟incidence sur le budget national.
254
II/ Les propositions du Président WADE sur le financement de
l’intégration.
Elles comportent deux volets :
Le prélèvement sur les importations hors zone africaine
Le prélèvement sur les polices d‟assurance
1°) Le financement reposant sur un prélèvement sur les
importations hors zone.
Cette forme de financement procède d‟un prélèvement sur la valeur imposable
des marchandises importées dans l‟Union en provenance des pays tiers et mises à la
consommation.
Au-delà de sa simplicité et du fait qu‟il peut générer des ressources
appréciables, ce mode de financement présente au moins quatre avantages
évidents en relation avec les principes d‟un bon système de financement :
Faible incidence négative sur la compétitivité et la productivité de l‟économie.
De plus, ce prélèvement peut être un stimulant pour la promotion des produits
de l‟espace communautaire;
Financement citoyen puisque le consommateur est payeur. En ce sens la
société civile est directement impliquée dans la réalisation de l‟intégration ce
qui permet la formation d‟une culture de la transparence et une veille pour
une utilisation efficiente des ressources. Les opérateurs économiques, les
citoyens et les organisations de la société civile auront un droit de regard et
une veille sur le processus d‟intégration ;
Système équitable du fait de la proportionnalité entre les contributions brutes
provenant de la taxation par rapport à la capacité d‟importation de chaque
pays. En effet la contribution de chaque pays au financement de l‟Union
Africaine se fera au prorata de ses importations globales hors espace de
l‟Union.
Autonomie financière de l‟Union assurée dés lors que les ressources sont
censées être moins dépendantes des transferts intergouvernementaux.
Au plan microéconomique, ce type de prélèvement est absolument neutre vis à
vis du résultat de l‟entreprise importatrice ou commerciale. Cependant, il peut
exercer un effet inflationniste de faible incidence du fait du niveau du taux (+0,2%
sur le consommateur final des produits d‟importations). Par ailleurs les conflits
pouvant naître de l‟application du mécanisme sont connus et peuvent trouver des
solutions dans les Protocoles d‟application.
255
Tableau26 : Financement par prélèvement sur les importations hors Afrique (IHA).
Avantages
Ressources substantielles et neutres par rapport aux équilibres macroéconomiques
Faible incidence sur la structure des coûts de production donc sur la compétitivité.
Financement citoyen avec le principe du consommateur payeur.
Système équitable du fait de la proportionnalité entre les contributions brutes
provenant de la taxation par rapport à la capacité d‟importation de chaque pays.
Assure l‟autonomie financière de l‟Union puisque les ressources sont moins
dépendantes des transferts intergouvernementaux.
Faibles coûts de perception du prélèvement malgré l‟intéressement des collecteurs.
Litiges réglés depuis le protocole instituant le dispositif.
Inconvénients
Problème de la couverture en devises des ressources collectées en monnaies
nationales inconvertibles.
Tentation des Trésors Publics Nationaux à s‟accaparer des fonds mobilisés.
Efficacité liée à l‟harmonisation des politiques fiscales des États membres pour
permettre une bonne perception du prélèvement.
Moyens parfois limités des Administrations Nationales des Douanes Africaines.
Caractère inflationniste avec la multiplication d‟un tel prélèvement
2°) Le financement par les services d’assurance.
Les services d‟assurance connaissent aujourd‟hui dans le continent un
développement accéléré lié à la modernisation et à l‟élargissement des activités
productives. Plusieurs études montrent que le marché africain des assurances se
caractérise par une sous-assurance, ce qui apparaît dans le niveau faible des taux de
couverture des risques industriels, des ménages (appartements, accidents) et le
maigre développement de l'Assurance-vie. Les statistiques établissent que le secteur
automobile représente presque 40% du chiffre d‟affaire global même s‟il est estimé
que plus de la moitié des véhicules en circulation ne sont pas assurés.
Malgré ces limites structurelles du marché, les sociétés d'assurance mobilisent
une épargne importante qu‟elles affectent progressivement selon les dispositions des
codes des assurances soit à l'investissement productif soit aux marchés financiers. En
2002, d‟après la Société Suisse de Réassurance (Swiss-ré), l‟assurance privée
africaine a produit un volume de primes équivalent à US $ 24.639 millions, dont US
$ 19.610 millions pour la seule Afrique du Sud (soit 80%).
En conséquence, il est parfaitement pertinent de concevoir un prélèvement sur
les fonds substantiels dégagés par les sociétés et compagnies d‟assurance. Dans ce
cas, il importe d‟analyser les différents paramètres entrant en ligne dans l‟application
d‟un tel prélèvement à savoir :
l‟assiette, c'est-à-dire, le volume ou le nombre des contrats ;
la monnaie de la redevance ;
le redevable de la contribution ;
le mode de collecte et les mesures d‟accompagnement.
En effet, l‟assiette qui est l‟élément central peut porter sur l‟un ou l‟autre des 3
éléments constitutifs des services d‟assurance à savoir :
Les polices d‟assurance,
Les revenus ou chiffre d‟affaires
Les bénéfices.
256
Les énormes besoins de financement du développement africain justifient
largement la renonciation à toute forme de taxation des bénéfices qui peut avoir des
effets dissuasifs sur le mouvement des IDE et l‟engagement souhaité du secteur privé
dans le développement économique et social du continent. Les mêmes raisons
militent en faveur de l‟exclusion d‟une taxation sur le chiffre d‟affaire.
Dès lors, le prélèvement ne peut concerner que les clients souscripteurs des
contrats, les sociétés étant seulement chargées de la collecte. Cette situation est
semblable à celle d‟une imposition indirecte (TVA ou taxe d‟enregistrement). La
neutralité de ce type de taxe vis à vis du résultat de l‟entreprise d‟assurance est due au
fait que le redevable de la taxe de l‟UA sera non pas les sociétés d‟assurance, mais les
clients souscripteurs des contrats, les sociétés étant seulement chargées de la collecte.
Cette situation est semblable à celle d‟une imposition indirecte (TVA ou taxe
d‟enregistrement). La neutralité de ce type de taxe vis à vis du résultat de l‟entreprise
d‟assurance est due au fait que le prélèvement s‟ajoute au prix du produit, d‟où une
conséquence légèrement inflationniste (+0,2% sur le consommateur final de produits
d‟assurance).
À l‟inverse, la contribution des sociétés d‟assurance aux frais de
fonctionnement de l‟administration de contrôle, qui est incluse dans la prime, n‟a pas
vocation à peser sur le prix payé par la clientèle, mais sur les résultats techniques de
l‟entreprise ou sur la qualité des prestations mises à la portée du public.
Tableau 27 : Financement axé sur les services d’assurance
Avantages
Secteur très liquide
Les sociétés d'assurance mobilisent une épargne importante.
L‟assiette imposable est large et dépend soit de la police d‟assurance, soit du
chiffre d‟affaire ou des bénéfices.
Inconvénients
Dimension réduite des marchés : faible taux de couverture des risques industriels,
des ménages (appartements, accidents) et faible développement de l'Assurance-Vie
Marché africain asymétrique avec un seul pays qui fait 80% des ressources
Forte évasion devant l‟assurance
Un tel dispositif de financement devrait remédier aux inconvénients du
système actuel des contributions qui n‟ont pas de lien direct avec les citoyens de
l'Union et qui de surcroît dépendent des transferts effectués à partir des budgets
nationaux. Les populations doivent se sentir concerner ce qui serait le cas si le
financement est citoyen en passant par leurs consommations. Dans ces conditions
l‟Union pourra gagner l‟adhésion des acteurs.
257
Tableau 28: Pertinence et performance des différents modes de
financement.
Visibilité et
simplicité
Autonomie
financière
Meilleure
affectation
des
ressources
Contribution TVA
Non
Non
Assurance
Oui
Importations
Oui
Non
Non
Non
Oui
Non
Non
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Oui
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Non
Oui
Oui
Suffisance
efficacité/coût
au niveau
administratif
Stabilité des
recettes
Équité des
contributions
Ce tableau comparatif des différents modes de financement révèle que le
dispositif financier le plus performant est celui qui remplit le maximum de critères
favorables de visibilité et de simplicité, de suffisance, d‟autonomie, de stabilité des
recettes, d‟équité dans les contributions et de répartition plus efficace des ressources
économiques. Au regard de cette évaluation les deux modes de financement les plus
pertinents sont les prélèvements sur les importations et la taxe sur les Assurances.
Ces deux modes de financement qui satisfont positivement aux principaux
critères de visibilité et simplicité, de suffisance, de stabilité, d‟autonomie et d‟équité
peuvent parfaitement se combiner pour former la structure du dispositif de
financement citoyen. La TVA bien que pouvant produire des ressources suffisantes
soulève trois problèmes liés à la difficulté de sa mobilisation, à son caractère
inéquitable et aux distorsions qu‟elle entraîne dans la structure de consommation. Ce
sont ces raisons qui expliquent son abandon progressif au niveau de l‟UE.
Section 4 : Relance de la formation des États-Unis d’Afrique :
la bataille des approches pour accélérer l’unité continentale.
I/ Pourquoi ce regain d’intérêt pour le Gouvernement continental
Trois années après la création de l‟UA, les dirigeants africains prennent
conscience, après évaluation, que les objectifs cardinaux de l‟Organisation se
réalisent avec peine et qu‟il importe de pousser à la mise en place d‟un
Gouvernement Continental préparatoire aux Etats-Unis d‟Afrique. Les idées des
panafricanistes maximalistes comme K. NKRUMAH reviennent en première ligne
258
avec la conviction que l‟Afrique unie et parlant d‟une seule voix présenterait 4 séries
d‟avantages :
Au plan économique, l‟Union gagnerait en poids et visibilité dans la
mondialisation et pourrait dès lors compter dans les affaires économiques et
politiques du monde. Également, elle bénéficierait des économies d‟échelle et aurait
une taille critique intéressante pour attirer les IDE indispensables au développement.
La question du commerce international serait discutée ou négociée par l‟Union tout
en préservant les intérêts de chaque pays membre. À l‟Organisation Mondiale du
Commerce, au lieu que seuls les pays producteurs de coton aillent à la table des
négociations, ce sera le gouvernement de l‟UA qui ira défendre de tout son poids les
intérêts de ces pays membres. Les pays disposeront d‟un pouvoir de négociation qui
va fortement atténuer les diverses asymétries par la modification des rapports de
force. Les grands projets unificateurs dans les domaines stratégiques pourraient avoir
une chance d‟être réalisés. En outre, avec l‟harmonisation des politiques monétaire,
financière et budgétaire, l‟inflation sera mieux contrôlée, les crédits et la circulation
des capitaux aussi.
Les questions de défense et de politique extérieure peuvent produire des
synergies positives et avantageuses pour tous les États. L‟entrée au Conseil de
Sécurité sera mieux assurée ainsi que la défense des intérêts du continent.
Les grands fléaux qui menacent l‟Afrique comme les maladies endémiques, la
désertification et la protection de l‟environnement peuvent faire l‟objet d‟une gestion
continentale qui sera plus opérante et à moindres coûts du fait des économies
d‟échelle.
Il en va de même dans le domaine de la construction des infrastructures et de
l‟aménagement. En fait d‟après les prévisions démographiques pour le continent, on
assistera dans la Golfe de Guinée à une explosion démographique et sans une
politique d‟aménagement concertée de cette région, ce sera la catastrophe. D‟autres
projets plus difficiles à évaluer et non moins importants, sont également initiés par
les États dans la réalisation de l‟Union.
En somme, l‟exécution du NEPAD dans les 8 secteurs prioritaires sera rendue
possible.
Cette nouvelle vision veut placer l‟Afrique dans la prochaine configuration de
l‟espace mondial. La Jamahiriya Arabe Libyenne reprend l‟initiative en proposant
une mouture de gouvernement continental comprenant les Ministères de la Défense,
des Affaires Étrangères, des Transports et communications et du Commerce
extérieur. La conférence d‟Abuja considère la proposition comme pertinente et met
en place un Comité de Chefs d‟État et de Gouvernement présidé par Oluségun
Obasanjo pour la finalisation du projet. Celui-ci convoquera une conférence sur le
thème « l‟Afrique et les défis du changement de l‟ordre mondial : le bien-fondé d‟un
Gouvernement de l‟Union ». 187
Encadré 17 : Extrait du Rapport du Comité des 7 de l’Union Africaine
La nécessité d‟un Gouvernement de l‟Union ne fait aucun doute. Il se
caractérise même comme étant impératif dans la réalisation du rêve de générations
successives… et comme une réponse aux aspirations collectives des peuples africains
ainsi qu‟au développement dans d‟autres régions du monde
Comme corollaire, le Gouvernement de l‟Union doit être une union du peuple
Ce Comité comprend 7 membres qui sont Nigéria, Algérie, Kenya, Sénégal, Lesotho, Ouganda et
Gabon.
187
259
africain et pas simplement une union d‟États et de gouvernements
Le gouvernement doit être motivé par un ensemble d‟objectifs clairement
identifiables.
La poursuite de ces objectifs doit être fondée sur un ensemble de valeurs
clairement identifiables et une communauté d‟intérêts, non négociables pouvant
inclure notamment la démocratie et les droits de l‟homme, la solidarité sociale, le
bon voisinage et la paix
Ces valeurs doivent déterminer les règles constitutives de l‟Union devant être
fondées sur le principe de la stricte adhésion
La Commission doit constituer une équipe d‟experts pour travailler à
l‟élaboration de recommandations détaillées devant être soumises au Sommet de
l‟UA
II/ Les thèses en présence
À partir de ces conclusions, le Comité des 7 a demandé à la Commission de
l‟UA de soumettre à son Septième Sommet ordinaire de Banjul, en juillet 2006, un
document consolidé sur le sujet. Ce document, intitulé « Etude sur le gouvernement
probable de l‟UA : vers les États-Unis d‟Afrique » a été présenté par le Président
Oluségun OBASANJO. Dans sa décision, le Comité retient « que l‟objectif ultime est
l‟intégration politique et économique totale devant conduire aux États-Unis
d‟Afrique » et demande qu‟un Conseil Extraordinaire des Ministres soit convoqué
pour « examiner le rapport et proposer un cadre d‟action approprié ». La neuvième
session extraordinaire du Conseil Exécutif examinant le document à Addis Abeba
(novembre 2006) retient en conclusion que « tous les États membres acceptent de
construire les Etats-Unis d‟Afrique en tant qu‟objectif commun désirable ».
Cependant des divergences de vues sont notées quant aux modalités, aux délais et au
rythme approprié pour atteindre l‟objectif de l‟intégration. Compte tenu des
propositions contenues dans l‟Étude et leurs implications au niveau national, régional
et continental, l‟Assemblée a pris la décision d‟avoir un grand débat sur le sujet. Ce
débat examinera entre autres les sujets suivants : évaluation des performances de
l‟Union Africaine au regard de la commune compréhension de la nature de cette
dernière ; les contraintes qui retardent le processus d‟intégration ; la marche à suivre
pour l‟UA quant à la nature, l‟ampleur et les délais des arrangements à faire au niveau
continental ;
Etant donné le désir fort, maintes fois exprimé par les populations africaines,
pour le panafricanisme et le désir intrinsèque d‟unité à travers le continent, le rapport
de Banjul a conclu, entre autres, que le gouvernement d‟Union était faisable.
Indiquant les éléments constitutifs de ce gouvernement, le Rapport propose une
feuille de route vers la réalisation de cet objectif et recommande 2015 comme date de
son aboutissement.
Lors de sa Huitième session, la Conférence des Chefs d‟État a approuvé la
proposition du Conseil exécutif d‟organiser une retraite à l‟intention des Ministres
des Affaires étrangères en vue d‟examiner la situation de l‟Union. Elle a également
invité les États membres, les Communautés Économiques Régionales (CER) et la
Commission de l‟Union africaine, à organiser des consultations respectivement au
niveau national, régional et continental en vue de mieux préparer le « Grand débat ».
C‟est ainsi qu‟au mois de Mai 2007, les Ministres des Affaires étrangères de
l‟Union Africaine, se sont retrouvés à Durban (Afrique du Sud) pour échanger sur la
260
structure et le fonctionnement de l‟Union et sur les perspectives d‟intégration
politique et économique en Afrique. Alors que l‟ensemble des participants considère
l‟intégration au niveau continental comme le moyen de réduire le sousdéveloppement de l‟Afrique et de la prévenir contre des tentatives de recolonisation,
des divergences existent quant à la réalisation de cet objectif au moyen de ce
gouvernement de l‟Union.
Les Ministres ont alors décidé de laisser aux Chefs d‟État et de gouvernement
le soin de trancher sur la question lors du « Grand débat ». Donc à la Neuvième
session ordinaire de la conférence des Chefs d‟État et de gouvernement des pays
membres, étaient inscrites dans l‟ordre du jour la perspective du gouvernement de
l‟UA et la mise en place des États-Unis d‟Afrique. Trente (30) Chefs d‟État étaient
présents et après plusieurs heures de discussion, aucun compromis n‟était trouvé. En
effet deux camps se dessinaient parmi les dirigeants au sujet de l‟ampleur, de la
méthode et du calendrier de mise en place du gouvernement de l‟UA.
Pour certains, il paraît prématuré de penser mettre en place un
gouvernement au niveau continental alors que les fondations (les États membres et
les Communautés Économiques Régionales) sont encore fragiles. Pour eux, l‟accent
devrait être mis sur les CER. Mais la multiplicité des CER et l‟appartenance de
certains Etats à plus d‟une CER constituent une contrainte majeure à la réalisation de
l‟intégration régionale. Il y a donc un besoin évident de rationalisation des CER.
Par ailleurs, les CER, pour la plupart, n‟ont pas suivi les étapes prévues dans le
Traité d‟Abuja en vue de leur convergence vers un marché commun africain. Par
exemple, il existe encore de nombreuses barrières tarifaires et non tarifaires dans les
CER qui estiment être déjà une zone de libre-échange. Pour celles qui estiment être
au stade d‟une union douanière, l‟application du tarif extérieur commun s‟avère
difficile dans bien des cas, essentiellement du fait de l‟absence de coordination des
politiques macroéconomiques et sectorielles, et de la faiblesse des structures de
production qui, de surcroît, ne bénéficient d‟aucune protection, à la différence des
pays d‟origine des importations.
Non seulement les CER n‟ont pas suivi les étapes prévues dans le Traité
d‟Abuja et sont, pour la plupart, loin de réaliser l‟intégration économique régionale,
mais elles semblent mettre davantage l‟accent sur les aspects institutionnels comme
la constitution de parlements régionaux, de cours de justice régionales, et d‟organes
similaires. Telles qu‟elles fonctionnent, elles ne semblent pas évoluer vers un
ensemble continental intégré.
D‟autres participants du sommet d‟Accra ont, au contraire, mis l‟accent sur la
nécessité de doter le niveau continental de certaines compétences dans des domaines
comme les infrastructures, les négociations commerciales internationales, la
désertification et les changements climatiques, les flux migratoires intérieurs comme
extérieurs, les grandes endémies, la recherche scientifique et la formation technique
de haut niveau, la coordination
des politiques monétaire et financière, la
rationalisation des CER et l‟harmonisation de leurs programmes afin qu‟ils
convergent vers l‟objectif de création d‟un ensemble continental intégré.
Enfin, pour de nombreux États, même en tenant compte du principe de
subsidiarité, l‟abandon de souveraineté dans certains domaines pose un problème
légal et juridique qu‟il faut résoudre au préalable. Il s‟agit donc là aussi, d‟une
contrainte majeure pour le processus d‟intégration.
261
CHAPITRE 26
LE NEPAD : ACTE FONDATEUR DE LA RENAISSANCE
AFRICAINE
Le MAP est une déclaration du ferme engagement de dirigeants
africains à s’approprier la responsabilité du développement
économique durable du continent.
Thabo MBEKI188
Depuis les années 70, l‟Afrique est entravé par d‟innombrables difficultés
économiques et sociales subséquentes d‟une part à la chute brutale des cours des
matières premières provoquée par la crise financière et économique mondiale, et
d‟autre part aux conditions climatiques défavorables à l‟agriculture et aux problèmes
engendrés par l‟instabilité et les conflits qui ont affecté une bonne partie du
continent. Malgré quelques embellies dans des pays limités (Tunisie, Maurice,
Botswana, Burkina Faso, Ouganda, Afrique du Sud) et dans certains secteurs, le bilan
du développement se lit en termes de contre-performances qui ont conduit
progressivement à la marginalisation rampante du continent.
Cette situation économique africaine se manifeste par la détérioration
généralisée des fondamentaux des économies nationales : faible taux de croissance
économique, inflation souvent galopante, endettement massif, stagnation des
économies, approfondissement du double déficit chronique de la balance des
paiements et des finances publiques. Le revenu moyen africain qui représentait 14%
du revenu des pays développés au milieu des années 60, en 1997 le rapport n‟était
plus que de 7%. Le taux de croissance annuel moyen du PIB entre 1965 et 1993 n‟était
que d‟environ 0,5% de loin inférieur à la croissance démographique (entre 2,9 à
4,1%). Après la haute conjoncture de 1994, avec un taux de 5,5%, celle-ci ne s‟est pas
consolidée puisque le taux de croissance du PIB de la région a réamorcé une tendance
baissière pour se fixer à 3,2% en 1998 et à un peu moins de 2% au début du
millénaire. Les économies africaines ont assez mal réagi aux chocs externes comme
la morosité de l‟économie mondiale, la baisse des cours des matières premières dont
le pétrole, la crise asiatique.
Ces chocs externes ont entraîné des effets désastreux sur le déficit budgétaire,
le taux d‟inflation, la croissance du PIB, l‟endettement et le taux de change. À la fin
des années 90, l‟Afrique représente 12% de la population mondiale mais fournit
moins de 1% du PIB mondial. Les résultats du développement industriel et agricole
sont aussi modestes. Il avait été mis en place une stratégie d‟industrialisation par
substitution aux importations qui avait de faibles relations en aval comme en amont
avec le secteur agricole : les performances se sont révélées décevantes. Au niveau des
relations avec l‟extérieur, la part de l‟Afrique dans les exportations est modeste.
L‟Afrique est complètement absente du commerce mondial dans les branches les plus
dynamiques des produits manufacturés et des services. Au plan social, la dégradation
du bien-être s‟élargit avec la montée de la pauvreté dont le rythme de croissance est
plus rapide que celui des revenus.
188
Déclaration devant l’Assemblée Nationale, 2001
262
Section 1 : Le Plan d’Action de Lagos pour l’intégration et le
développement : une grande ambition pour de faibles
résultats.
Pour l‟Afrique, la décennie des années 80 a été marquée par une grave et
profonde crise économique et sociale qui se manifeste à trois niveaux : la
détérioration généralisée des principaux indicateurs macroéconomiques, la
désintégration des structures de production et des infrastructures, la détérioration
accélérée de l‟environnement et la dégradation du niveau de bien-être social
notamment l‟éducation, la santé et le logement.
La genèse de la politique de l‟OUA consignée dans le Plan d‟Action de Lagos
(PAL) pour le développement économique de l‟Afrique 1980-2000 cherchait à
résoudre au niveau continental, régional, sous-régional et national, les grands
problèmes du développement africain. Cette politique a été adoptée par la XVIème
session ordinaire de la Conférence des Chefs d‟État et de Gouvernement tenue à
Monrovia en juillet 1979. Elle a été précédée par des travaux d‟experts économistes et
des directeurs des offices de planification. À la clôture de la session, une déclaration a
été adoptée sur « les principes directeurs à respecter et les mesures à prendre pour
réaliser l‟autosuffisance nationale et collective dans le domaine économique et social,
en vue de l‟instauration d‟un nouvel ordre économique international ». Également,
les Chefs d‟État et de Gouvernement de l‟OUA «s‟engageaient, au nom de leurs
gouvernements et de leurs peuples à promouvoir le développement économique et
social et l‟intégration de leurs économies en vue d‟accroître l‟auto-dépendance et
favoriser un développement endogène et auto-entretenu pour faciliter et renforcer
leurs rapports sociaux et économiques ; pour l‟édification au niveau national, sousrégional et régional d‟une économie africaine dynamique et interdépendante, pour
l‟établissement, chaque année, de programmes spécifiques pour matérialiser cette
coopération économique sous-régionale, régionale et continentale ».
La mise en œuvre de cette déclaration a été consignée dans le Plan d‟Action de
Lagos dont l‟ambition était à la mesure du retard économique du continent. Le
contenu était très large et concernait des domaines aussi variés que :
l‟agriculture et l‟alimentation dont le plan de développement a été approuvé à
Arusha et adopté dans la déclaration de Monrovia de juillet 1979 ;
l‟industrialisation du continent par la poursuite d‟objectifs à long, moyen et
court terme, visant à atteindre en l‟an 2000 au moins 2% de la production
industrielle du monde, conformément aux objectifs de la conférence de Lima ;
l‟exercice de la souveraineté totale des pays africains sur leurs ressources
naturelles, en s‟appuyant sur la formation des hommes capables de maîtriser
les technologies appropriées ;
le développement et l‟utilisation rationnels des ressources humaines
nécessaires à ce plan d‟action ;
la promotion de la science et de la technologie au service du développement du
continent aux niveaux national, sous-régional et régional ;
l‟adoption et la mise en œuvre d‟une stratégie générale en matière de
transports et de communications ;
la promotion et l‟intensification des échanges commerciaux et financiers sur le
plan national et inter-africain.
Cette énumération non exhaustive montre toute l‟importance accordée au
PAL, ainsi que les grands espoirs qu‟il a suscités lors de son adoption et de sa
promulgation. Malgré la clarté des objectifs et leur pertinence, les années 90 vont
263
montrer de très faibles taux de réalisation des objectifs du programme. Au bout du
compte, ces résultats bien en-deçà des espérances, ont justifié les évaluations sévères
comme «la décennie gâchée», «la décennie des espoirs déçus» ou plus fréquemment
«la décennie perdue». En effet, qu‟il s‟agisse de la croissance économique, de la
résorption du double déficit structurel de la balance commerciale et des finances
publiques, de la dette extérieure et intérieure, des niveaux de pauvreté, de la
nutrition, de la santé, de l‟éducation, en un mot de l‟amélioration du bien-être social,
les performances sont dans l‟ensemble très médiocres.
I/ Les évaluations critiques du PAL
Quelques années après son adoption, le PAL fera l‟objet de virulentes critiques
qui partent de l‟écart grandissant entre les objectifs et les réalisations effectives d‟un
Programme pourtant techniquement bien conçu.
1°) L’écart grandissant entre les objectifs et les réalisations
Au niveau interne, malgré les tentatives d‟articulation entre les Plans
Nationaux des États et le PAL, les objectifs sectoriels et macroéconomiques fixés
n‟ont pas été atteints Quelques exemples illustrent les faibles résultats : en 1988, le
taux de croissance du PIB a atteint le chiffre médiocre de 0,88%, l‟agriculture a
enregistré une croissance de 2,3%, l‟industrie 4,9%, les industries extractives 4,7%,
tandis que la part de l‟investissement est passée de 25,2% en 1978 à 15,8% en 1988 et
les taux d‟exportations et d‟importations n‟étaient que 3,8% et 0, 3% respectivement,
ce qui est bien en-deçà des taux de 1978. La question se pose de savoir pourquoi ces
médiocres performances qui sont trop éloignées des objectifs du PAL.
Comment expliquer cet écart grandissant entre les intentions et la réalité ?
Plusieurs raisons sont avancées comme :
Le manque de traduction par les États des orientations et programmes adoptés
au niveau continental en politiques et projets nationaux. Les Plans nationaux
de Développement et les budgets ont continué de s‟élaborer et de s‟exécuter
dans les cadres étroits des États-nations.
L‟illusion nationale fortement entretenue que chaque pays peut s‟en sortir en
isolement pour surmonter les énormes difficultés liées à la transformation
économique et sociale. Les pays n‟accordent que peu d‟intérêt à leur voisin,
ignorant ainsi les économies de proximité. C‟était le temps des
développements indépendants qui portaient préjudice à l‟idée même de
coopération régionale. Les PAS ont renforcé ces options propres à tous les pays
sous ajustement. La régionalisation de l‟ajustement n‟a jamais été à l‟ordre du
jour des IFI.
Les PAS ont ramené les politiques économiques à la résolution à court terme
des déséquilibres internes et externes par généralisation de la libéralisation
des économies nationales
l‟absence de volonté politique et de détermination à poursuivre des stratégies
et politiques économiques et financières pertinentes ;
la différence de conception et de perspective entre les Africains, les donateurs
et institutions multilatérales ;
le manque d‟enthousiasme des partenaires de l‟Afrique (en matière de
développement) à aider le continent à atteindre les buts et objectifs qu‟il s‟est
fixé ;
l‟illusion entretenue que chaque pays, agissant à titre individuel, peut
surmonter en isolement les énormes difficultés de la transformation socio264
économique. Le développement dans le cadre de l‟État-nation porte préjudice
à l‟intégration, à la coopération régionale ;
la détérioration de l‟environnement économique international et la
marginalisation continue de l‟Afrique ;
le fait que les pays se préoccupent des crises à court terme, notamment, la
gestion des déséquilibres financiers extérieurs et intérieurs et la dette
extérieure ;
le rôle croissant des «experts» qui participent directement ou indirectement à
la prise de décisions économiques, politiques et sociales ;
les effets de la sécheresse et de la désertification;
l‟extrême vulnérabilité de l‟agriculture aux aléas climatiques ;
le poids de la conflictualité africaine avec les guerres civiles, ethniques et
tribales qui perturbent les activités productives, détruisent l‟infrastructure,
entraînent le déplacement de millions de personnes et obligent les
gouvernements à détourner les rares ressources des activités de
développement.
Le faible taux de réalisations concrètes du PAL et des Programmes qui l‟ont
suivi a entraîné des critiques acerbes que l‟on peut regrouper en deux catégories : les
critiques internes et les critiques internationales venant principalement des IFI.
2°) Les critiques internes : un programme technocratique non
soutenu par une volonté politique claire et les populations.
Elles sont de plusieurs ordres. D‟abord il est reproché au PAL d‟être un
Programme purement technocratique dans sa conception et dans sa mise en œuvre.
Les dirigeants africains n‟ont été que très faiblement associés à la définition des
objectifs et à leur exécution. Les techniciens nationaux du développement n‟ont eu
droit qu‟à un Séminaire organisé au profit des Directeurs de la Planification 189. Les
différents acteurs du jeu économique et social comme le secteur privé, les jeunes, les
femmes, les organisations syndicales et les Partis politiques n‟ont pas été associés au
processus. L‟absence d‟implication de tous ces acteurs a affaibli la légitimité du
Programme et son manque d‟appropriation par les États et les populations.
La CEA et surtout son Secrétaire Exécutif qui ont activement participé à
l‟élaboration du PAL, tout en souscrivant à la solidité du Plan, ont particulièrement
déploré les lenteurs dans les applications et notamment :
Le retard dans l‟élaboration de la Charte créant la Communauté Économique
Africaine, ce qui n‟interviendra qu‟en 1992 au Sommet d‟Abuja
La faible mobilisation des ressources pour le financement notamment : les 22
milliards de dollars pour le volet agricole, les 2 milliards prévus pour les
matières premières, les 9 milliards de dollars pour les transports et les
communications, le financement du Plan d‟industrialisation.
Tout cela est la preuve d‟un manque évident de volonté politique et de prise de
participation des États.
OUA : Rapport préliminaire du Séminaire des Directeurs de la Planification sur Planification Économique et
Prospective Sociale en Afrique, Dakar 24janvier-2 février 1980. Les principaux thèmes du PAL ont été introduits par
des chercheurs ou des techniciens impliqués dans l’élaboration du PAL. :Doo KINGUE, M. ELMANDDJARA,
A.TEODJERE, S. AMIN etc.
189
265
3°) Les critiques internationales fatales de la Banque mondiale
Elles sont surtout le fait des Institutions Financières Internationales et
particulièrement, la Banque mondiale qui publie une série de rapports qui sont de
véritables contre propositions au PAL.
Le premier Rapport est paru en 1981 sous le titre « Le développement accéléré
en Afrique au Sud du Sahara : programme indicatif d‟action ». Il s‟agit du fameux
Plan BERG, du nom de son principal rapporteur, et qui recommande une stratégie de
développement libéral fondée sur la libéralisation des économies africaines, la
promotion des exportations pour une plus grande insertion des économies africaines
aux marchés internationaux. Ce plan d‟action est en contradiction avec les
orientations du PAL qui privilégiait le développement endogène, auto entretenu et
auto centré.
Le deuxième Rapport est publié en 1983 sous l‟intitulé «Rapport Intermédiaire
sur les Perspectives et Programmes du Développement ». C‟est en fait la suite du
rapport BERG dont il épouse les thèses principales en y adjoignant d‟une part la place
de l‟environnement commercial et financier international et ses incidences sur les
économies africaines et d‟autre part, l‟analyse des mesures prises par certains
gouvernements africains au niveau de la politique des prix, de la valorisation des
produits des agricultures locales, de l‟utilisation plus rationnelle des ressources
nationales dans le secteur public.
Enfin le dernier Rapport de la Banque Mondiale est de 1984 avec comme titre
« un Programme d‟Action concertée pour le Développement Stable de l‟Afrique au
Sud du Sahara». Ce rapport commence par rappeler les thèses précédentes et ensuite
il insiste sur le caractère capital des changements politiques et institutionnels au plan
étatique, sur l‟emploi plus rationnel des ressources intérieures et extérieures
d‟investissements, sur l‟endettement de plus en plus insoutenable et sur les
contraintes imposées par la forte croissance démographique, le faible développement
des ressources humaines et de la technologie. Le Rapport enfin s‟alarme sur
l‟épuisement de certaines ressources naturelles du continent.
La production de ces trois rapports de la Banque Mondiale en l‟espace de trois
ans, traduit en réalité l‟évolution de la pensée de cette institution. Les solutions
proposées finiront par constituer les PAS qui seront par la suite imposés à tous les
États qui sollicitent les ressources financières de la Banque. Toutes les solutions
préconisées vont buter, comme dans le cadre du PAL, sur les moyens financiers et
non financiers exigés par les objectifs. La Banque finira par capter et contrôler toutes
les ressources des divers bailleurs de fonds vers les PSD. Elle se donne une position
dominante pour imposer ses conditionnalités aux pays sous ajustement.
II/ Face aux faibles résultats du PAL, d’autres Programmes ont été mis en
place.
Les modestes performances du PAL entraînent la mise en place de plusieurs
autres programmes souvent avec l‟appui de la Communauté internationale. C‟est le
cas notamment du Programme Prioritaire Africain pour le Redressement
Économique, la décennie du développement industriel et la décennie du transport et
des télécommunications.
266
1°) Le Programme Prioritaire pour le Redressement de
l’Afrique
Le Programme est initié par l‟ONU en juillet 1985 dans le style des précédents
rapports des années 60 et 70 de l‟assemblée générale avec cette particularité du
contexte de sécheresse. Le rapport commence par un plaidoyer pour des soutiens
massifs de la Communauté internationale afin d‟éradiquer les séquelles de la
sécheresse et la famine. D‟ailleurs, le Programme constate que ces maux sont la
conséquence de mauvaise politique et de l‟absence d‟application des engagements du
PAL. En conséquence, de nouvelles stratégies de développement sont proposées ;
elles accordent la priorité à l‟agriculture, à la meilleure exploitation des mécanismes
du marché et à la promotion du secteur privé.
2°) La décennie du développement industriel
Dans la décennie du développement industriel de l‟Afrique, 1980- 1990, un
certain nombre d‟objectifs à long, moyen et court terme ont été définis ainsi que des
mesures concrètes recommandées pour leur réalisation, dans la poursuite des
objectifs du Plan d‟Action. Il était projeté qu‟en 1985, l‟Afrique aurait jeté les
fondements du développent des industries de base (des industries
métallurgiques, mécaniques électriques et chimiques) et qu‟elle pourrait porter sa
part dans la production industrielle mondiale entre 1 et 2%. Les mesures qui auraient
permis au continent de réaliser l‟autosuffisance en matière de traitement des produits
alimentaires, de produits industriels d‟habillement et d‟énergie en 1990 ont été
également définies.
La décennie préconisait le renforcement de la coopération industrielle intraafricaine par la définition, la préparation et l‟exécution de projets industriels
multinationaux viables (à l‟échelle sous-régional et régionale).
En dépit des projets réalisés dans la mise en œuvre du programme de la
décennie, le secteur industriel en Afrique est demeuré exigu et fragmenté,
pratiquement sans relation intra-sectorielle et inter-sectorielle. Pour le continent tout
entier, la valeur ajoutée moyenne dans la production manufacturière par habitant a
peu progressé entre 1980 et 1990. Les industries de substitution aux importations qui
ont le bénéfice d‟exister sont des sources importantes de fuite de devises en raison
des importations des biens de consommation intermédiaire et de main-d‟œuvre
spécialisée.
3°) La décennie des transports et des communications
Dans Plan d‟Action de Lagos, l‟accent est mis sur l‟importance de la Décennie
des Nations Unies pour les transports et les communications en Afrique (1978-1988).
Ont été également définis, dans le cadre du Programme de cette décennie, des
projets nationaux, sous régionaux et régionaux qui devraient permettre la mise en
place d‟une infrastructure intégrée et diversifiée de transport et de communication
en Afrique avant l‟an 2000 ainsi que le désenclavement des pays sans littoral et des
régions isolées de l‟Afrique.
En ce qui concerne l‟exécution, la première phase de la décennie n‟a pas réussi
en raison des difficultés financières et de l‟application des seuls critères
géographiques pour l‟établissement des projets prioritaires. La phase 2 (1984-1988),
a opéré des réorientations en mettant l‟accent sur l‟entretien et la remise en état, ainsi
267
que sur la formation et l‟assistance technique. En général, le taux d‟exécution bien
que faible s‟est quelque peu amélioré par rapport à la Phase1 soit : dans le secteur des
transports 109 des 578 projets (19 %) et dans les communications 55 des 470 projets
(12 %).
III/ À l’aube du 3ème millénaire tous les Programmes et Plans de
développement, de redressement et d’ajustement sont dans l’impasse.
L’Afrique, c’est un cimetière de programmes, de plans et de projets qui sont
morts sans atteindre leur moindre objectif.
Abdoulaye WADE.
Tous les Plans et Programmes des Années 80 n‟ont pas réussi à sortir l‟Afrique
de la crise et relancer les enjeux du développement. Malgré deux décennies
d‟application des PAS, la crise et les énormes problèmes de développement se sont
approfondis: déséquilibres macroéconomiques graves, revenu par habitant plus faible
aujourd‟hui qu‟il ne l‟était à la fin des années 60, stagnation de la production, part
croissante des victimes de la pauvreté, faibles taux de scolarisation, forte mortalité
infantile et prolifération de maladies endémiques, disqualification du cadre de l‟Étatnation. Ces perspectives africaines vont-elles continuer à être aussi sombres ? En
d‟autres termes, l‟Afrique est-elle condamnée à vivre encore pour longtemps dans les
faubourgs de l‟économie mondiale ? Que faire pour changer significativement
l‟environnement économique du continent ?
Plus d‟une vingtaine d‟années d‟expériences de réformes économiques,
politiques, institutionnelles et sociales ont permis à l‟élite africaine de prendre
conscience de la nécessité de définir une nouvelle vision et des finalités lisibles dans
un contexte de mondialisation multipolaire et darwiniste. Les vertus de la crise ont
révélé, entre autres, au moins trois directions incontournables de solution pour en
sortir : d‟abord l‟instauration d‟un processus durable de croissance, ensuite la
création d‟un espace optimal et enfin l‟insertion inéluctable dans l‟économie
mondiale de haute compétition.
L‟articulation de ces éléments nécessite une nouvelle vision stratégique du
développement adossée sur un programme cohérent et opérationnel qui dégage les
orientations, fixe les priorités et détermine les moyens pour une croissance forte et
durable et une amélioration de la situation sociale à moyen et long terme. Cette
nouvelle vision doit être portée par un leadership fort pour sa mise en œuvre. Dans ce
sens, le Président Thabo MBEKI avait été mandaté en 1999, par le Sommet
Extraordinaire de l‟OUA à Syrte, pour obtenir des créanciers de l‟Afrique
l‟engagement d‟une annulation totale de la dette extérieure africaine. Dans
l‟accomplissement de cette mission il avait réuni un groupe de travail pour préparer
le MAP avec la collaboration des Présidents de l‟Algérie, du Nigéria et de l‟Égypte.
Le Programme pour la Renaissance Africaine sera, par la suite, présenté au
Forum de Davos avec l‟appui du président nigérian Oluségun OBASANJO et
l‟assistance active des présidents Benjamin MKAPA de Tanzanie et Abdoulaye WADE
qui avait à son tour initié le Plan Oméga. Par la suite, en avril 2000 au sommet du
Sud à la Havane, ces Chefs d‟État ont été chargés de transmettre les préoccupations
du Sud au sommet du G8 à Okinawa en juillet 2000. Le sommet de l‟OUA au Togo en
2000 a mandaté les mêmes présidents pour préparer le projet de Programme du
millénaire pour le renouveau de l‟Afrique. Par la suite les gouvernements sud-africain
et sénégalais mais aussi la CEA ont présenté respectivement trois documents de
référence : le «Partenariat du millénaire pour le renouveau de l‟Afrique», le « Plan
268
Oméga » et le «Programme pour le redressement de l‟Afrique». Au Sommet de Lomé,
la décision fut prise de les fusionner et de présenter la quintessence en un seul texte
qui serait présenté au sommet de l‟Union Africaine en juillet 2001 à Lusaka. A
l‟occasion, les chefs d‟État et de Gouvernement ont adopté le projet final sous le nom
de «Nouvelle Initiative Africaine» qui circulera sous une nouvelle dénomination
après la première réunion du Comité de Mise en Œuvre à Abuja.
Section 2 : le NEPAD : un agenda de croissance soutenue, des
ambitions aux réalisations.
Le
NEPAD est un programme de paix et de
développement, les africains sont résolus à chanter leurs
propres chansons et à danser au son de leur propre musique.
Thabo Mbéki
Dès le préambule et pour la première fois, les dirigeants africains analysent
avec lucidité l‟état du continent et insistent sur l‟urgence des solutions à mettre en
œuvre de concert avec la communauté internationale. Désormais, envers leurs
peuples et le reste du monde, les plus hautes autorités politiques s‟engagent à œuvrer
ensemble pour la reconstruction du continent par la consolidation de la démocratie,
la saine gestion des économies nationales et l‟établissement avec les pays développés
d‟un partenariat fondé sur une coopération mutuellement favorable, des
engagements communs et des accords contraignants. Les objectifs toujours
réaffirmés graviteront autour de deux préoccupations majeures : élaborer une
nouvelle stratégie de développement capable d‟éradiquer ou de faire reculer la
pauvreté à l‟horizon 2015 et intégrer le continent dans la mondialisation afin d‟en
tirer tous les avantages, surtout technologiques et financiers.
L‟ordonnancement des idées maîtresses du Nouveau Partenariat pour le
Développement de l‟Afrique tourne autour de trois éléments bien articulés:
les orientations et les objectifs tournés principalement vers l‟éradication de la
pauvreté ;
le vaste programme d‟action fondé sur des priorités sectorielles ;
et les moyens de sa mise en œuvre et de sa réalisation.
Cohérence et opérationnalité constituent les deux préoccupations sousjacentes à l‟ensemble du Programme.
I/ Orientations stratégiques pour une prise en main des africains de leurs
propres destinées et l’appel à l’extérieur pour compléter les efforts
internes.
Il est affirmé avec insistance que la nouvelle initiative est «une promesse faite
par des dirigeants africains fondée sur une vision économique et politique commune
ainsi qu‟une conviction ferme et partagée qu‟il incombe d‟urgence d‟éradiquer la
pauvreté, de placer leurs pays individuellement et collectivement sur la voie d‟une
croissance et d‟un développement durables tout en participant activement à
l‟économie et à la vie politique mondiales. Ensuite, il est réaffirmé la détermination
des africains de s‟extirper eux-mêmes, ainsi que leur continent, du malaise du sousdéveloppement et de l‟exclusion d‟une planète en cours de mondialisation ». En
outre, l‟engagement est pris d‟éradiquer tous les maux dont souffre le continent
comme la pauvreté et la détérioration de tous les indicateurs du développement
humain. Sur tout le continent, les Africains devront désormais refuser d‟être
269
déterminés par les circonstances. Et enfin, tout débouche sur la reconnaissance d‟une
double nécessité pour les peuples de prendre en mains leur propre destinée et celle de
faire appel au reste du monde pour compléter les efforts internes.
Des signes de progrès et d‟espoir commencent déjà à apparaître avec
l‟élargissement des régimes démocratiques qui s‟engagent à protéger les droits de
l‟homme, à axer le développement sur l‟individu et à promouvoir des économies de
marché. Apparaissent également des convictions nouvelles pour aller dans le sens de
la bonne gouvernance et de la poursuite des réformes économiques et sociales. Tout
cela montre une volonté d‟aller dans le sens de la bonne gouvernance en poursuivant
les réformes économiques et institutionnelles indispensables.
II/ Synthèse des deux plans pour une vision stratégique du
développement à long terme de l’Afrique : de la Nouvelle Initiative
Africaine au NEPAD
Au Sommet des Chefs d‟État de l‟OUA à Lusaka (juillet 2001), il avait été
recommandé de fusionner les deux programmes (le Plan Oméga et le MAP). Cet
exercice a été confié à un groupe d‟experts désignés par les initiateurs des deux Plans.
Le Groupe s‟est réuni à Pretoria avec une forte délégation de la CEA et de l‟UA pour
finaliser l‟exercice de fusion des plans MAP et PLOM. Ce travail a abouti à la
rédaction de la Nouvelle Initiative Africaine, officiellement adoptée comme la
stratégie commune de développement de l‟Afrique lors de la première réunion, le 23
octobre à Abuja, du Comité de mise en œuvre formé de 15 Chefs d‟État dont les 5
initiateurs des deux projets. C‟est en affinant le document, que le nom de Nouvelle
Initiative Africaine (NIA) a été modifié pour devenir le New Partenership for Africa
Development (NEPAD).
Au demeurant, la convergence des visions économiques et politiques qui soustendaient les deux Plans ont grandement facilité l‟élaboration d‟une initiative
commune à partir d‟une synthèse des idées maîtresses. L‟exercice a été simple : d‟un
côté l‟argumentaire des raisons du nouveau Plan pour l‟Afrique est puisé du MAP
servant de cadre référentiel général et permettant la définition des orientations et des
objectifs ; et de l‟autre côté, le PLOM a offert l‟architecture du Programme d‟action, à
partir des secteurs prioritaires, qui par les politiques de résorption des gaps relance la
croissance économique (l‟état des réponses). Ces deux piliers vont alors constituer
l‟ossature du nouveau partenariat avec le reste du monde et surtout les pays
industrialisés sous le nom de Nouvelle Initiative Africaine (NIA).
Dès les premières lignes, le NEPAD évalue la place de l‟Afrique dans le système
économique et financier mondial afin d‟identifier correctement les problèmes à
résoudre. Il est alors observé qu‟en ce début du 3ème millénaire, au moment où
l‟humanité possède d‟appréciables moyens techniques et financiers, jamais les
inégalités n‟ont été aussi criardes avec l‟avènement en Afrique d‟une pauvreté de
masse. En effet, l‟Afrique compte aujourd‟hui un peu plus de 250 millions de pauvres,
soit environ 45% de sa population. Plus grave encore, la pauvreté est en sensible
progression en raison d‟une stagnation de la croissance des revenus (2,1% sur la
période 1991-1995).
Durant la décennie 1990, l‟Afrique est le seul continent qui s‟est autant
appauvri. La croissance, même si elle n‟est pas suffisante est essentielle pour
diminuer la pauvreté ne fût-ce que par l‟amélioration soutenue des revenus des
personnes. Sous ce rapport, certaines évaluations montrent que si le continent veut
réduire de moitié la pauvreté à l‟horizon 2015, il lui faudra réaliser un taux de
croissance cible d‟au moins 7% sur une période d‟au moins deux décennies. Cela
270
nécessite des investissements de l‟ordre de 35 à 40% du PIB de chaque pays, ce qui
représente 65 milliards de dollars. Même en mobilisant le volume global de l‟épargne
intérieure, les excédents en devises, l‟aide extérieure et les capacités d‟endettement, le
challenge est quasiment impossible. Il s‟y ajoute que contrairement à d‟autres régions
notamment l‟Asie et l‟Amérique Latine, la production moyenne de l‟Afrique, par
habitant et en prix constants, à la fin des années 1990 était inférieure à ce qu‟elle était
il y a trente ans et que sa production industrielle comme sa part dans le commerce
mondial a reculé. Plus grave encore, le Continent est en passe d‟être laissé à la marge
de la révolution mondiale des technologies de l‟information et de la communication.
À l‟analyse, les possibilités de résoudre cette situation des économies africaines
existent. Le système mondial dispose, aujourd‟hui, de moyens techniques et
financiers énormes tandis que l‟Afrique possède d‟importants atouts dont son
gigantesque potentiel de ressources naturelles inexploitées, ainsi que de réserves
démographiques et culturelles porteuses de croissance. Ce qu‟il faut alors, ce sont des
politiques économiques cohérentes et régionalisées en faveur d‟un développement
durable par l‟intégration et dont les fondements pourraient être :
l‟amélioration de la gouvernance qui stabilise les institutions et les
fondamentaux du cadre macroéconomique ; la gestion des conflits qui
déstabilisent l‟espace africain ;
la mise en place d‟un environnement incitatif pour les investissements dans les
secteurs moteurs de la croissance qui accroissent à la fois la compétitivité et la
diversification des économies ;
la forte réduction de la dépendance du binôme aide et endettement.
Les politiques économiques élaborées à partir de ces principes devraient
permettre de vaincre tous les obstacles et handicaps à l‟avènement d‟une économie
performante capable d‟enclencher un processus soutenu de croissance et d‟un
système politique démocratique. Ces politiques constituent de nouvelles réponses
pour sortir de la pauvreté par une croissance forte, durable et bénéficiant
conséquemment à toutes les couches de la population. Cette configuration des
objectifs du NEPAD est assez proche des «cercles de causalité cumulative pour
l‟Afrique» de la Banque190 mondiale.
III/ Sortir de la conflictualité et gérer la bonne gouvernance comme
préalables de la croissance et du développement.
Les facteurs extra-économiques comme les conflits inter-étatiques, les guerres
civiles, les instabilités politiques, les violations des droits de l‟homme accroissent les
risques, les incertitudes et la perte de confiance. Ces variables deviennent alors très
déterminantes dans la décision d‟investissement. Des recherches établissent
qu‟aujourd‟hui les investissements publics comme privés sont contrariés par des
problèmes liés au processus démocratique éprouvé, à la multiplication des guerres
civiles, aux conflits ethniques, toutes choses qui font qu‟il y a trop de risques et
d‟incertitudes pour l‟afflux et la rentabilité des investissements. Dans ce contexte, la
gestion de la paix et de la sécurité devient une impérieuse nécessité à la limite des
préalables pour attirer les capitaux privés. Dès lors, si l‟on veut redonner confiance
aux investisseurs privés comme publics, il faut impérativement mettre en place des
mécanismes de gestion d‟un espace stable et sécurisé assis sur des piliers de bonne
gouvernance.
Banque mondiale : L‟Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle, Washington 1999,
330 p.
190
271
Sur le premier préalable concernant la gestion des conflits, le NEPAD note que
«l‟expérience a montré que la paix, la sécurité, la démocratie, une bonne
gouvernance, le respect des droits de l‟homme et une saine gestion économique, sont
des préalables au développement durable. C‟est pourquoi, les Chefs d‟État s‟engagent
à promouvoir ces principes individuellement et collectivement, dans leur pays, leur
région et sur le continent ». Deux déclarations assez expressives viennent confirmer
ce nouvel engagement politique. Il s‟agit d‟abord de celle du Président Thabo MBEKI
qui a déclaré devant le Parlement Sud Africain lors d‟un débat sur le NEPAD le 31
octobre 2001 : « nous devons instaurer une culture des droits de l‟homme, lutter
contre la corruption et rendre compte de toutes nos actions » et ensuite celle du
Président Oluségun OBAJANSO qui fait observer lors de la réunion du Comité de
mise en œuvre du NEPAD à Abuja que « en Afrique contemporaine, la vieille
accusation d‟ingérence dans les affaires intérieures ne tient plus. Nous devons
dialoguer davantage et organiser davantage des consultations les uns avec les autres
sur les questions de paix, de sécurité, de démocratie, de droits de l‟homme ». Pour
bien appuyer ces nouvelles orientations, il a été crée à cette Conférence d‟Abuja, un
Sous-Comité spécial sur « la paix et la sécurité » présidé par l‟Afrique du Sud et dans
lequel siégent l‟Algérie, le Gabon, le Mali et l‟Ile Maurice. Sa mission est de prévenir
et régler les conflits.
Le second préalable est relatif à la bonne gouvernance politique comme
économique qui fait l‟unanimité de tous les acteurs publics et privés malgré la relative
ambiguïté qui entoure le concept. Ce concept de bonne gouvernance est apparu il y a
une dizaine d‟années dans le domaine du développement. Il est utilisé pour la
première fois, dans une étude de la Banque mondiale. Il s‟agissait à l‟époque, pour les
promoteurs des Programmes d‟Ajustement Structurel (PAS), de corriger l‟approche
« économiciste » de ces programmes et de mettre davantage l‟accent sur l‟importance
de leur environnement normatif et institutionnel. Le concept a été par la suite affiné
par de nombreuses institutions internationales et partenaires au développement
(PNUD, Banque Mondiale, OCDE, BAD). Généralement, il désigne à la fois 3
éléments : la nature du régime politique, la capacité des pouvoirs publics à créer un
cadre d‟ordre et de stabilité, à formuler et à exécuter des politiques performantes et la
construction d‟un environnement propice au développement économique et social.
Ainsi compris, la bonne gouvernance intègre toutes les dimensions de l‟activité
économique et les mécanismes d‟allocation et de répartition des ressources. Elle
recouvre deux volets importants : un volet politico-institutionnel, qui concerne avant
tout l‟Etat en tant qu‟agent de régulation et un volet relatif à la gestion des
ressources.
IV/ Investir massivement prioritairement dans les trois secteurs
porteurs de croissance : les infrastructures (capital physique), les
ressources humaines (capital humain) et les TIC (capital technologique)
Il est un point sur lequel tout le monde s‟accorde ; il s‟agit de la hiérarchie des
secteurs qui constituent de fait les leviers de la croissance. À ce niveau du Programme
d‟action les deux initiatives (PLOM et MAP) montrent leur parfaite complémentarité
en ce sens qu‟elles mettent l‟accent l‟une sur la hiérarchie des secteurs et l‟autre sur
les structures d‟encadrement et les préalables au développement durable. Ces
secteurs retenus sont au nombre de huit à savoir :
Les infrastructures de base.
L‟agriculture.
272
Les Nouvelles Technologies de l‟Information et de la Communication.
L‟accès aux marchés mondiaux et la diversification de la production.
L‟éducation.
La santé.
L‟énergie.
L‟environnement.
En les agrégeant, on retrouve les deux foyers de l‟accumulation du PLOM : le
capital physique et le capital social. Pour chaque secteur, le NEPAD estime que
«l‟objectif est de combler l‟écart actuel entre l‟Afrique et les pays développés afin
d‟améliorer la compétitivité du continent et de permettre à l‟Afrique de participer au
processus de mondialisation ». Les préoccupations d‟une réduction des gaps au
niveau des différents secteurs sont fort justement réaffirmées. Cela appelle des
investissements massifs qui ne peuvent être attendus principalement que du secteur
privé. Ces IDE devraient placer les pays africains individuellement et collectivement
sur les chantiers d‟une croissance soutenue qui mettra alors un terme à la
marginalisation de l‟Afrique.
C‟est la croissance qui offrira les marges de manœuvre nécessaires pour
réaliser les objectifs de réduction de la pauvreté et ceux annoncés dans la Déclaration
du Millénaire des Nations Unies. La question est alors quel sera le rythme de
croissance qui permettra d‟atteindre ces objectifs ? Le débat est aujourd‟hui lancé par
les recherches de DEMERY ET WALTON (1998) qui établissent que si l‟Afrique veut
réduire de moitié la pauvreté, elle doit réaliser des taux de croissance d‟au moins 7%
sur une période de 25 ans. L‟investissement devrait alors passer à environ 30% du
PIB. L‟épargne intérieure étant faible, il faut alors recourir à l‟épargne extérieure et
aux IDE pour atteindre cet objectif de croissance économique. AMOAKO et AL
chiffrent les ressources extérieures complémentaires à 102 milliards de dollars pour
la période 1999-2000, de 84 milliards de dollars pour la période 2006-2010 et de 41
milliards de dollars pour 2010-2015 soit un total de besoin de financement d‟environ
227 milliards de dollars.
Ces investissements devront porter principalement sur les secteurs clefs
constitutifs du capital physique et du capital social comme les infrastructures qui
doivent jouer un rôle entraînant par suite des insuffisances quantitatives et
qualitatives constatées.
L‟infrastructure routière est faiblement développée sur le continent et la
densité routière y est généralement très en deçà de celle des pays d‟Asie et
d‟Amérique Latine. Pourtant, les modes de transport sont dominés en Afrique par les
routes en raison surtout des multiples obstacles géographiques à la navigation et de la
déficience des réseaux ferroviaires qui sont estimés à 73.000 kilomètres dont 22.000
pour la seule Afrique du Sud. En 1996, les routes revêtues étaient de l‟ordre de
311.184 kilomètres dont la moitié en mauvais état. En milieu rural, dominé par les
routes non revêtues, 80% de ces dernières sont en mauvais état. De 100 km² pour
1.000 habitants, la densité de routes revêtues a stagné à 150 km² dans la période
1984-1995. Le secteur des télécommunications se caractérise globalement par une
faiblesse relative du taux de pénétration du réseau et l‟obsolescence des équipements.
Le résultat en est que l‟Afrique a l‟un des taux de couverture les plus bas au monde. Il
ne détient que 2% des lignes principales de la planète. Le nombre de lignes
téléphoniques qui était de 0,45 ligne pour 100 habitants était estimé à 0,74 ligne en
1980. En 1986, il atteignait 1,06 ligne. En ce qui concerne les télécommunications, la
densité téléphonique en 1996 était de 2 lignes pour 100 habitants alors qu‟elle
atteignait 30,60 en Europe et 40,39 en Océanie. Près de 34 pays africains ont une
273
densité téléphonique encore inférieure à 1 alors que la demande de services
téléphoniques reste très forte. Par ailleurs, l‟infrastructure en télécommunication n‟a
pas suivi les mutations technologiques du secteur au plan international.
De même, pour l‟électricité la puissance installée du secteur est passée de 43
kilowatts par habitant en 1965 à 87 kilowatts en 1986 avant de stagner par la suite. Au
milieu des années 90, la puissance installée sur le continent était estimée à 350.000
gigawatts-heures. Seule une infime partie des ressources hydroélectriques
disponibles est utilisée. Les centrales hydroélectriques représentent à peine 15% du
total à côté des centrales à combustibles fossiles. Quelques 64,4% des capacités
hydrologiques sont concentrées en Afrique de l‟Est et en Afrique australe, 32,2% en
Afrique de l‟Ouest, 1,2% en Afrique du Nord. La production la plus importante
d‟électricité est assurée par l‟Afrique Australe (environ 55% de la production
continentale).
V/ Les principaux projets identifiés du NEPAD
Si l‟échec des politiques passées a souvent été imputé à leur contenu théorique
inadapté aux réalités du continent, car étant élaborées par des étrangers, l‟on pourrait
se permettre, à juste titre, d‟avoir de l‟espoir pour cette nouvelle initiative africaine et
faite par des africains : le NEPAD.
L‟objectif du NEPAD est de poser les bases de l‟intégration, de permettre aux
pays africains de résorber leur retard accumulé dans tous les secteurs et de contribuer
ainsi à la réduction de la pauvreté, mais aussi de mettre le continent dans les
conditions d‟un développement durable.
Cela passe ainsi par des investissements susceptibles de favoriser le
développement. Les projets placés sous la direction du Sénégal s‟identifient aux
infrastructures, à l‟énergie, à l‟environnement et aux NTIC.
1°) Les infrastructures de transport
La mobilité des personnes, des biens et services est sans doute l‟une des bases
de tout processus d‟intégration. L‟importance des infrastructures de transport vient
du fait qu‟elles créent des liaisons physiques entre les États, ce qui aura pour
conséquence de stimuler les échanges commerciaux entre les États et un
agrandissement virtuel des marchés favorable à tous les secteurs de production.
Aujourd‟hui encore, il est évident que l‟Afrique souffre d‟une insuffisance
manifeste de ces infrastructures :
Le secteur routier est caractérisé par un faible niveau d‟accessibilité. De plus il
est peu dense, comparé à celui de certaines régions : 7 km/100 km2 contre
170km/100 km2 en Europe ;
Le secteur ferroviaire est quasiment inexistant par rapport au rôle qu‟il devrait
jouer. Non seulement ses infrastructures datent de l‟époque coloniale pour la
plupart, mais aussi le réseau est trop hétérogène pour permettre une
interconnexion réelle ;
Le secteur aérien, même s‟il connait une évolution notable, reste confronté à la
faiblesse du niveau de développement des aéroports et à la défaillance de la
sécurité.
Le secteur portuaire est marqué par des infrastructures vétustes.
Aussi, conscient du fait que l‟absence de liaisons entre les États est aussi, voire
plus pénalisante que les barrières tarifaires et non tarifaires, plusieurs initiatives ont
274
été prises. Il s‟agira de combler le déficit en matière d‟infrastructures et services de
transport par l‟amélioration de l‟entretien, la réduction des coûts, la suppression des
obstacles à la libre circulation des biens et personnes.
Il a été décidé la construction de routes comme la Transcôtière (Nouakchott Ŕ
Lagos) et la Transsaharienne en Afrique de l‟Ouest et à l‟échelle continentale des
routes transafricaines, mais aussi près d‟une centaine de projets de routes dans tout
le continent. Pour les secteurs ferroviaire et portuaire, il est prévu la construction
d‟environ 26 300 km de nouvelles lignes pour le premier et la construction,
l‟extension, la modernisation et l‟équipement de 39 ports dans tout le continent.
Quant aux projets aériens, ils se résument à la construction de nouveaux aéroports,
mais aussi le renforcement de la sécurité et de l‟équipement de ceux qui existent déjà.
Tableau 29 :
infrastructures
Sous-secteurs
État des projets identifiés
dans le secteur des
Nombre de projets
Coûts des
projets
estimés (en
milliards de
F CFA)
Estimés
Non estimés
Projets d‟infrastructures
routières
Projets ferroviaires
65
18
4 651,661
0
31
------
Projets portuaires
23
16
948,781
Projets d‟infrastructures aériens
12
19
1 049,050
100
84
TOTAL
6649,492
184
2°) L’Énergie
Vu son état de pauvreté, l‟Afrique a plus que jamais besoin d‟énergie, facteur
indispensable pour tout pays s‟engageant dans la voie de la modernisation et du
développement. L‟importance de l‟énergie est évidente : déjà, au 18ème siècle avec la
révolution industrielle, elle a eu à jouer un rôle important tant parce qu‟elle faisait
fonctionner les machines, qui n‟était autres que les moyens de production du système
capitaliste, que par sa contribution à la recherche et au progrès. Trois siècles après, il
est logique qu‟elle devienne un enjeu mondial et planétaire.
Un bref panorama permettra d‟appréhender la « pauvreté énergétique » du
continent : un taux d‟électrification inférieur à 30%, pour la majorité des pays, contre
un taux mondial supérieur à 60% ; une consommation d‟énergie électrique par
habitant de l‟ordre de 500 KWh par an, contre une moyenne mondiale de 2500
KWh… Or, des études récentes révèlent une forte corrélation entre cette
consommation en énergie et le niveau du PNB/habitant. De plus, le bilan énergétique
275
reste dominé par la biomasse qui, outre la médiocrité de son rendement, pose le
problème de la déforestation.
Les grands projets régionaux s‟identifient d‟abord dans l‟hydrocarbure où il est
envisagé la construction de gazoducs (gazoduc Tunisie Ŕ Libye), dans le sous secteur
de l‟énergie la construction d‟une dizaine de centrales électriques et l‟exploitation de
l‟énorme potentialité hydroélectrique (exemple de la Guinée en Afrique de l‟Ouest).
Ces projets favoriseront à coup sûr la création d‟une énergie durable.
Tableau 30 : État des projets identifiés dans le secteur de l’énergie
Secteur
Nombre de projets
Coûts
des
projets
estimés
Estimés
Non
(en millions de
estimés
$US)
ÉNERGIE
33
1
27 431
TOTAL
34
27
31
3°) L’environnement
Confrontés à une croissance démographique rapide et aux aléas climatiques,
les pays africains commencent peu à peu à intégrer la question environnementale
dans leurs politiques. Il faut dire que le développement durable, qui est un concept
contemporain et à la mode à juste titre, est marqué par une omniprésence de
l‟environnement, donc à la protection, au renouvellement de ce dernier et au souci de
ne pas entraver la capacité des générations futures à satisfaire leurs besoins. Une
mauvaise gestion de ce dernier constitue donc un frein pour la lutte contre la
pauvreté, de la croissance et mine le développement durable.
Le continent dispose de ressources naturelles riches et variées qui auraient pu
contribuer à la réduction de la pauvreté et au développement. Cependant, le début du
millénaire est marqué par une dégradation inquiétante de son environnement. Cela
passe de la dégradation des forêts (on estime que l‟Afrique a perdu 66 millions
d‟hectares entre 1980 et 1995, dont 65% durant les années 1990) à la raréfaction des
ressources en eau (une étude a prouvé que plus de 300 millions de personnes n‟ont
pas accès à une eau propre ; de plus, en Afrique Subsaharienne, seulement 51% de la
population a accès à une source d‟eau propre et 47% à un réseau d‟assainissement.)
Vu la gravité de la situation et au regard de l‟urgence qu‟elle constitue au
niveau continental, voire mondial, plusieurs projets ont vu le jour. Il s‟agit :
D‟abord de projets de lutte contre la désertification, sinon de valorisation du
désert comme le Projet de suivi de l‟avancée du désert et de la dégradation des
terres en Afrique de l‟Ouest ;
De projets de protection des zones humides : projet de mise en place de
systèmes indicateurs de suivi de l‟environnement (SISE) pour le Sénégal et
pays limitrophes ;
Les projets de lutte contre les espèces exotiques envahissantes : c‟est le cas du
projet de cellule de coordination pour la gestion des végétaux aquatiques pour
les pays de la CEDEAO, d‟un coût de 0,13 million de $US ;
Les projets de protection et de gestion de l‟environnement côtier ;
Les projets de lutte contre la pollution et contre le changement climatique :
c‟est le cas du projet d‟étude pour le renforcement des capacités des centres
sous régionaux de gestion et de traitement des déchets dangereux et autres
276
produits chimiques obsolètes ou le projet d‟étude pour la mise en œuvre des
opportunités du protocole de Kyoto etc.
Tableau 31 : État des projets identifiés dans le secteur de l’environnement
Sous-secteurs
Nombre de projets
Coûts des
projets estimés
Estimés
Non estimés
(en millions de
$US)
Valorisation du désert
1
3
1
Lutte contre la désertification
10
6
1114,514
Protection des zones humides
7
1
113,6269
Espèces exotiques envahissantes 7
0
3,10236
Protection
et
gestion
de 6
l‟environnement marin et côtier
0
77077,68
Lutte contre les pollutions
1
2
0,5
Lutte contre les changements 0
climatiques
2
….
42
TOTAL
14
78310,4233
46
4°) Les NTIC
À l‟égard des progrès faits dans les grands pays développés, les NTIC peuvent
se présenter comme des agents d‟innovation et de changement dans le processus de
développement de l‟Afrique. Aussi, l‟amélioration et le renforcement de ses services
permettront de moderniser et de changer plusieurs métiers, voire même en créer
d‟autres, au bénéfice de l‟économie et au service du développement. En outre, les
NTIC s‟avèrent être des catalyseurs en matière d‟intégration dans une large mesure,
mais aussi des facilitateurs du commerce intra-régional.
En Afrique, l‟accès aux TIC, déjà très insuffisant, reste concentré dans les
grandes villes et agglomérations. Déjà, le continent dispose du plus faible chiffre
concernant le nombre de lignes téléphoniques par 100 habitants. De plus, les
infrastructures sont rarissimes et par conséquent, les services, malgré leur qualité
laissant à désirer, se caractérisent par leur coût élevé.
Dans ce secteur aussi, plusieurs projets sont nés et reconnus comme
prioritaires. Ils se résument essentiellement d‟abord aux projets d‟infrastructures :
augmentation de la télé-densité de 4% pour le téléphone fixe et de 7% pour les
mobiles.
277
Le projet phare est sans doute le SAT-3/WASC/SAFE concernant le câble sous-marin
en fibre optique de 28000 km, inauguré en 2002 et devant relier l‟Afrique à l‟Europe
et l‟Asie. Son élargissement à l‟Afrique de l‟Est est prévu dans le cadre du NEPAD.
Ensuite, il était projeté la construction d‟une usine de fabrication de matériels de
télécommunications essentiellement. Le reste des projets va de l‟appui aux
infrastructures à la création de structures modernes comme le PAG-NET (Réseau
Gouvernemental Panafricain), le DATAFRICA, la TELEMEDECINE, l‟Africa Cyber
Market (commerce en ligne), l‟E-Custumer Africa (douanes en ligne) etc.
Tableau 32 : État des projets identifiés dans le secteur des NTIC
Secteur
Nombre de projets
Coûts
des
projets estimés
(en millions de
Estimés
Non estimés
$US)
NTIC
3
10
52,8
TOTAL
13
52,8
Le NEPAD, une initiative « par et pour les africains », qu‟il faut sans nul doute
saluer de par son origine et sa démarche novatrice. Pourtant, il faudrait reconnaitre
aussi qu‟il est temps de passer à une autre phase du processus, c'est-à-dire la
réalisation de tous ces « nombreux et ambitieux » projets, avant de sombrer dans une
léthargie et un marasme qui vont de plus en plus les discréditer aux yeux des
bailleurs.
VI/ Les leviers de la mise en œuvre.
La mise en œuvre du NEPAD repose sur quatre piliers :
L‟intégration économique et financière du continent avec création d‟espaces
optimaux capables de rentabiliser les investissements et de produire des
économies d‟échelle
Le secteur privé national, régional et international pour les investissements et
la création des richesses
L‟exploitation de tous les partenariats avec la communauté internationale
pour un retour massif des investissements directs étrangers.
La mobilisation des populations.
1°) L’intégration régionale comme moyen de développement
Sur le premier mécanisme, en terme de stratégie, l‟intégration économique
africaine organisée autour de profils économiques régionaux est à la fois plus
pertinente et plus efficace.
L‟espace économique du continent est subdivisé en cinq régions qui
développent chacune en son sein une ou plusieurs initiatives d‟intégration :
en Afrique Centrale avec la Communauté Économique et Monétaire de
l‟Afrique Centrale (CEMAC), la Communauté Économique des États de
l‟Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté Économique des Pays des
Grands Lacs (CEPLG),
en Afrique de l‟Est avec la Communauté Économique de l‟Afrique de l‟Est
(CEA),
278
en Afrique du Nord avec l‟Union du Maghreb Arabe (UMA),
en Afrique Australe avec l‟Union Douanière de l‟Afrique Australe (UDAA), la
Communauté pour le Développement de l‟Afrique Australe (SADC), la Zone
d‟Échanges Préférentiels (ZEP), le Marché Commun des États de l‟Afrique de
l‟Est et de l‟Afrique Australe (COMESA)
et en Afrique de l‟Ouest avec la Communauté Économique des États de
l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO), l‟Union Économique et Monétaire Ouest
Africaine (UEMOA), l‟Union du Fleuve Mano (UFM).
Ces blocs fonctionnent de façon assez inégale et réalisent, par moments, des
résultats appréciables dans les domaines respectifs du commerce intra-régional, de la
coordination des politiques économiques et monétaires, de la mobilité des facteurs
comme la main d‟œuvre et les capitaux. En définitive, il est attendu de tous ces
schémas d‟intégration qu‟ils contribuent non seulement au développement de la taille
de marchés, à la réduction des coûts de transaction mais aussi à l‟amélioration de la
concurrence entre producteurs.
2°) Établissement d’un partenariat stratégique avec le secteur privé
national, régional et international
Nous voudrions que le secteur privé joue en Afrique le même rôle
qu’il a joué dans le développement de l’Europe, des États-Unis et du
Japon.
Abdoulaye Wade
Sur le second point, constatant l‟impasse du financement par
endettement et aide publique, le NEPAD accorde au secteur privé et aux
Investissements Directs Étrangers (IDE) un rôle primordial dans le financement des
projets. Dans ce sens, la nouvelle initiative est une rupture avec l‟État développeur et
le rôle de premier plan antérieurement conféré aux institutions publiques. Le
financement du Nouveau Partenariat est attendu principalement du Secteur Privé,
des IDE et de l‟inversion de la direction de la fuite des capitaux. Avec la baisse du flux
d‟aide publique à l‟Afrique, le secteur privé est le chaînon manquant pour prendre le
relais en mobilisant les ressources indispensables à la croissance. Il faut ajouter à cela
l‟instauration de politiques incitatrices capables d‟inverser la fuite des capitaux.
Le secteur privé international a manifesté son intérêt pour le NEPAD et des
propositions concrètes sont sur la table des décideurs politiques. Deux rencontres
viennent de le prouver. La première rencontre est organisée les 17 et 18 janvier à
Dakar par le Conseil National du Patronat sénégalais en partenariat avec la
Confédération Panafricaine des Employeurs, l‟Organisation Internationale des
Employeurs et le BIT. Le thème portait sur «le rôle et la place du secteur privé
africain» dans le NEPAD. A cette occasion, le secteur privé africain a proposé la
création d‟un Fonds d‟Investissement qui devrait aider à la mobilisation de l‟épargne
privée et d‟autres ressources financières.
La deuxième rencontre s‟est déroulée à Dakar les 16 et 17 avril 2002 autour du
partenariat avec le secteur privé pour le développement de l‟Afrique. Plus de 500
représentants d‟entreprises privées internationales ont fait le déplacement pour
répondre à l‟appel des hommes politiques pour se tenir au courant des opportunités
offertes par le continent africain. Les dirigeants africains sont mis en relation avec
quelques centaines de grandes entreprises autour du financement des secteurs
prioritaires du NEPAD : infrastructures, énergie, environnement, agriculture.
L‟inexistence d‟une banque de projets déteint sur le succès de la rencontre
279
Cependant, si les hommes d‟affaires ont exprimé leur disponibilité, ils ont
insisté sur la nécessité d‟un partenariat entre le public et le privé et sur l‟importance
de la bonne gouvernance. Ils ont clairement déclaré que pour attirer les capitaux sur
le continent et permettre au secteur privé international à jouer un rôle dans le
financement du développement, les États doivent garantir la sécurité des
investissements, améliorer la gouvernance et élargir leur espace.
Pour ce faire, il faut créer des environnements incitatifs à l‟échelle régionale où
les entreprises peuvent entrer dans une compétition transparente, disposer d‟un
système juridique transparent et efficace où les règles de la concurrence sont bien
fixées, les droits de propriété clairs pour les investisseurs locaux et étrangers et les
informations fiables en ce qui concernent les marchés et les risques qui les entourent.
Cela appelle la lutte contre la corruption et le démantèlement des situations de rente.
Parallèlement, il faut poursuivre et approfondir les réformes pour restaurer les
grands équilibres macroéconomiques et maîtriser l‟inflation.
VII/ Management institutionnel du NEPAD
À la finalisation de la fusion des deux plans, les aspects institutionnels n‟ont
pas fait l‟objet de réflexions et de débats approfondis contrairement au Plan Oméga
où la question relative aux structures d‟administration, de suivi et d‟évaluation a
donné lieu à plusieurs échanges au sein d‟une commission spécialisée. En effet,
l‟exécution du PLOM devrait être confiée à une Haute Autorité Internationale
d‟Exécution dirigée par un Manager nommé par les États bénéficiaires des
investissements et les divers créanciers. Il est responsable de la gestion de l‟Agence
devant un Conseil d‟Administration composé de membres représentants les
bénéficiaires, les investisseurs, les représentants des institutions internationales
comme la Banque mondiale, le FMI, le Programme des Nations Unies pour le
Développement, l‟Union Européenne, les membres du G8.
Les rédacteurs du NEPAD n‟ont pas cru devoir prolonger ce débat relatif à
l‟organigramme institutionnel. Ils ont tout simplement renvoyé la question à l‟Union
Africaine qui «devrait retrouver le mécanisme approprié de mise en œuvre qui aura
besoin d‟un soutien technique de base en matière de recherche et de formulation de
politiques ».
1°) Le débat inachevé sur les institutions
d’administration, d’évaluation et de suivi du NEPAD
de
gestion,
Au moment de l‟élaboration de la synthèse des deux Plans originels, les experts
n‟avaient pas une claire conscience des enjeux véritables liés aux questions relatives à
la gestion administrative, au suivi et à l‟évaluation qui renvoie à trois éléments : la
structure de mise en œuvre, les procédures définissant les règles de compétences, les
modalités d‟assurer le suivi et de résoudre les dysfonctionnements et le contrôle dans
l‟exécution des décisions.
Il est clair qu‟un document de stratégie de cette ampleur qui est appelé à
brasser beaucoup de ressources et impliquer des acteurs aussi nombreux que divers,
exige un cadre institutionnel approprié et adéquat avec des compétences avérées, des
règles claires et des coûts de transaction réduits au minimum. Ce cadre devrait
prendre en charge l‟élaboration des projets à partir de l‟évaluation des besoins dans
les domaines qui répondent à la configuration des priorités sectorielles dans les
espaces d‟intégration concernés.
280
Face à ce vide institutionnel, le Président Abdoulaye Wade avait proposé un
schéma d‟organisation administrative, de suivi et d‟évaluation en trois étages : un
étage politique, un étage décisionnel et un étage d‟exécution comprenant trois
échelons continental, sous-régional et national.
2°) le schéma institutionnel à la lumière des responsabilités du
NEPAD
Tout le débat institutionnel, a été ramené à la double nécessité de disposer
d‟une structure fonctionnelle aux moindres coûts internes d‟organisation. Sur cette
base, la structure administrative du MAP a été purement et simplement reconduite
car elle présentait une gestion administrative allégée et souple pour l‟administration
du NEPAD. Le schéma institutionnel est le suivant :
Figure 16 : Schéma institutionnel du NEPAD
Personal Assistant Liaison and
Coordination
Chairman Steering
Committee
Chief Operating Officer
(Administration and Secretariat
Services)
General Programm
Coordinator
Programm
Coordinator
Economic
Governance and
Capital Flows
Chief Economist
Programm
Coordinator
Political
Governance
Program
Coordinator Market
Access and
Diversification of
products
Program Coordinator
Infrastructure and
environment
(ITC and energy)
Program Coordinator
Human Development
En définitive la gestion du NEPAD est réalisée par deux structures : une
structure de décision et une structure d‟exécution et de facilitation.
3°) La structure d’orientation et de décision : le Comité
d’Orientation et de mise en œuvre(CMO).
Il est composé de 15 Chefs d‟État chargés de la mise en œuvre du NEPAD à
savoir les cinq chefs d‟État initiateurs, plus dix autres à raison de deux par région. Ce
Comité est dirigé par un Bureau souple comprenant un Président et deux ViceŔ
Présidents en l‟occurrence le Président Olusegun Obasanjo et les Présidents
Abdoulaye Wade et Abdoul Aziz Bouteflikha. Les attributions imparties au Comité
sont les suivantes :
281
déterminer quelles sont les questions stratégiques qui doivent faire l‟objet de
recherche, de planification et de direction au niveau du continent ;
mettre en place les mécanismes d‟évaluation rétrospective des progrès
accomplis en vue de la réalisation des cibles convenues d‟un commun accord et
du respect des normes acceptées par tous ;
examiner les progrès accomplis dans l‟exécution des décisions prises afin de
prendre les mesures idoines pour surmonter tout problème ou rattraper tout
retard.
4°) Le Secrétariat Exécutif : le Steering Commitee.
Il fait office de Secrétariat Exécutif et se compose des représentants des Chefs
d‟État initiateurs. Il élabore les dossiers techniques à soumettre à l‟appréciation du
CMO et prépare toutes les rencontres internationales. Toutefois, cet organe est absent
du texte et en conséquence fonctionne sans légitimité et sur une base quasi
informelle. Il est secondé par un Comité Technique d‟Experts qui se réunit chaque
fois que de besoin pour étudier et évaluer les questions techniques.
Lors de sa réunion d‟Abidjan, le STEERING COMMITEE avait décidé, entre
autres choses, la répartition de la gestion des secteurs du Programme d‟action entre
les 5 Chefs d‟État fondateurs :
Bonne Gouvernance Économique et flux des capitaux confié au Président du
Nigeria.
La gouvernance politique et le maintien de la paix, de la stabilité et du
règlement pacifique des conflits confié au Président d‟Afrique du Sud.
Accès au marché et diversification de la production confié au Président de
l‟Égypte.
Développement humain confié à l‟Algérie.
Le Sénégal doit superviser les infrastructures de base, l‟environnement, les
NTIC et l‟énergie.
Pour chacun des cinq Chefs d‟État, il est imparti un travail d‟identification et
d‟évaluation des besoins de coordination et de gestion des projets sur l‟ensemble du
Continent.
Section 3 : Déjà
d’immobilisme.
une
demi-décennie
d’inefficacité
et
Le Plan Oméga et le NEPAD se présentaient comme des initiatives de rupture
qui devraient cadrer parfaitement avec les Objectifs du Millénaire pour le
Développement. Les priorités sectorielles devraient permettre des investissements
massifs dans un espace africain intégré et réaliser une croissance rapide, au taux le
plus élevé pour éradiquer la pauvreté, à l‟horizon 2015. De fait, l'Afrique montrerait
ainsi ses capacités à prendre en charge son développement en partenariat avec le
monde développé et le secteur privé international détenteur des capitaux et des
technologies.
I/ Les médiocres résultats du NEPAD
Six années après le démarrage du NEPAD, aucun projet concret ne sort de
terre. Les objectifs majeurs comme le renforcement des capacités de production des
282
pays, les Projets dont les études de faisabilité sont achevées ne connaissent aucun
début de réalisation. À ces insuffisances, il faut ajouter les problèmes non résolus
relativement à la gestion du seul projet qui fonctionne : le mécanisme d‟évaluation
par les pairs (MAEP). Aujourd‟hui, le débat relatif à la mise en place et la gestion des
démembrements nationaux de ce mécanisme est loin d‟être tranché.
Après une demi-décennie d‟existence, les Bailleurs de Fonds et les États
africains ont levé des ressources substantielles pour la réalisation effective des études
de faisabilité des grands projets d‟infrastructures qui constituent, sans aucun doute,
la priorité des priorités du NEPAD. En effet, facteur déterminant de la croissance
économique, les infrastructures devraient permettre la constitution d‟un véritable
marché régional et participer à combler l'écart de développement entre l'Afrique et
les pays industrialisés. Les appuis importants mobilisés par la BAD, le PNUD, le
Japon et bien d‟autres institutions de financement n‟ont pas permis d‟attirer les
capitaux et les investissements étrangers pour financer les Programmes à Court ou à
Moyen et Long terme du NEPAD. Depuis juin 2002, avec l‟aide de la Banque de
Développement de l'Afrique, le Projet de Plan d'Action à Court Terme du NEPAD
(STAP) pour le Développement des Infrastructures avait été élaboré et validé par un
atelier d‟experts.
Dans ce sens, le Rapport de Progression du NEPAD et le Plan d'Action Initial
de juin 2002 pour combler le manque d'infrastructures a identifié comme un élément
important : « Promouvoir l'intégration régionale et, donc, créer des marchés plus
importants pour l'infrastructure se réfère dans ce contexte à l'Énergie, l'Eau, le
Transport, l'Information et l'Informatique. Pour identifier les projets, le NEPAD, à
travers l'AFB, a entrepris un examen des projets d'infrastructures dans les pays qui
ont été inclus dans les programmes élaborés par les REC ». En comparaison avec
l‟UEMOA, celle-ci vient d‟organiser en Juillet 2006 à Dakar, la Réunion des Bailleurs
de Fonds pour le Financement du Programme Économique Régional (2006-2010)
d‟un montant de 2900 milliards de francs CFA environ 6 milliards de dollars. Le
financement de ce Programme, dont les infrastructures constituent les 90%, est
aujourd‟hui entièrement bouclé.
Le Steering Committee est très loin de cette performance malgré l‟ampleur
des ressources mobilisées depuis sa création. À titre d‟exemple, en 2002, le PNUD a
mobilisé pour le secrétariat 3,5 millions de dollars pour financer la gouvernance
politique (y compris la création du mécanisme d‟évaluation intra-africaine et sa mise
en œuvre), la promotion du NEPAD et des Objectifs du Millénaire pour le
développement. Également, il a contribué à hauteur de 2,7 millions au Fonds
d‟Affectation Spéciale qui dispose de ressources estimées à 4 milliards de dollars. Les
États Africains ne sont pas en reste, l‟Afrique du Sud, l‟Algérie, le Nigeria, le Sénégal,
le Lesotho, le Mozambique et d‟autres encore ont véhiculé des contributions
importantes auxquelles sont venues s‟ajouter celles de pays comme le Canada, le
Japon, le Secrétariat Britannique au Développement International. D‟autres pays et
organisations internationales ont aussi affecté des fonds supplémentaires. Beaucoup
de moyens pour peu de réalisations concrètes.
II/ Le Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP)
La seule réussite que l‟on peut comptabiliser au titre du NEPAD est sans doute
le Mécanisme Africain d‟Évaluation par les pairs (MAEP) Ŕsystème d‟auto-évaluation
et d‟auto-surveillance, il est destiné au renforcement de la gouvernance (politique,
économique et d‟entreprise) et « vise à favoriser l‟adoption des politiques, normes et
283
pratiques qui conduiront à la stabilité politique, à une plus grande croissance
économique, au développement durable et à accélérer l‟intégration économique de la
sous-région et du continent »191.
Le MAEP est construit à partir des documents adoptés par le Comité de Mise
en Œuvre et de Gouvernement lors de son Sommet d‟Abuja192. Décidé en février 2004
à Kigali, le MAEP ne concerne que les pays qui choisissent de se faire évaluer par
leurs pairs. D‟une part, l'adhésion se fait d'une manière volontaire et de l‟autre, ce
sont les chefs d'État eux-mêmes qui sont responsables des évaluations qui doivent
être faites.
La Structure du MAEP a démarré en mai 2003 avec la nomination de ses
membres qui sont d‟éminentes personnalités africaines choisies pour conduire les
processus d‟évaluation et qui s‟appuient sur un Secrétariat. Le processus
comporte cinq étapes définies dans le Document de base du MAEP : établissement du
point focal national, envoi du questionnaire par le Secrétariat du MAEP, autoévaluation par le pays à partir du questionnaire, élaboration du programme
préliminaire et remise du document au Secrétariat. Opportunément, le Président
BOUTEFLIKA souligne qu‟«En nous dotant d'un mécanisme crédible d'évaluation
par les pairs, qui stimule nos efforts d'amélioration de la gouvernance, nous
adressons également au monde un signal fort quant à notre volonté d'éloigner à
jamais le spectre de la marginalisation…La consultation, la concertation, la
participation et la transparence, faut-il le rappeler, sont les valeurs qui se situent à la
base même de nos traditions communes et qui servent naturellement de fondements
à la renaissance de l'Afrique». Dans la même direction le Président OBASANJO
précise que « ce que prévoit le MAEP pour le continent africain, nous le faisions déjà
au plan informel entre nous…. Nous voulons donc officialiser ce que nous discutions
entre nous…et nous soumettre à l'évaluation de nos performances par nous-mêmes
aux plans politique, économique et social….c'est une bonne méthode pour nous
connaître entre nous, apprendre des choses sur nous pour en choisir ce qui nous
paraît important».
En définitive, toute appréciation globale de ce Mécanisme, montrerait que les
dirigeants africains ne s‟empressent point et beaucoup d‟entre eux continuent de
soulever des questions relativement à la structure, au mode de fonctionnement et au
pouvoir d'action de ce mécanisme et cela malgré la pression de certains pays
donateurs. Paradoxalement, certains gouvernements se déclarent intéresser, tout en
indiquant qu‟ils n'avaient pas encore pris de décision officielle définitive et
irréversible. Concrètement, sur les 53 pays membres de l‟Union Africaine, 24
manifestent des dispositions à participer au mécanisme mais seulement 4 se sont
proposés pour subir l‟évaluation : le Rwanda, le Ghana, Maurice et le Kenya.
Empressement de quelques uns mais prudence de l‟écrasante majorité.
III/ Le nouveau départ après la récente conférence d’Alger du Comité de
Mise en Œuvre.
Le Communiqué du Sommet des Chefs d‟État de Sharm El Sheikh (19 avril
2005) a « reconnu les complexités des évaluations du MEAP qui sont d‟autant plus
importantes qu‟il s‟agit de la première fois qu‟un tel processus est mis en place en
Afrique, et qu‟il s‟agit également d‟un processus unique à l‟échelle du Monde ».
Selon Mme Marie-Angélique SAVANÉ, Présidente du Groupe de personnalités éminentes,
Il s‟agit du « Mémorandum d‟Entente sur le MAEP », « Objectifs, Normes, Critères et indicateurs
pour le MAEP », « Manuel des Techniques d‟Évaluation :
191
192
284
Certains pays craignaient que le mécanisme d'évaluation ne porte atteinte à la
souveraineté nationale tandis que d‟autres redoutent qu‟il serve aux partenaires pour
sanctionner.
Autre observation de taille, la coexistence éventuelle entre
l‟organisation des processus nationaux d‟élaboration des DSRP et le Mécanisme
d‟évaluation. En effet, il est proposé de mettre en place à l'échelon national « une
structure adéquate et représentative à même d'organiser des processus participatifs
et équilibrés associant les principaux acteurs de la société civile et une organisation
efficace de la collecte et de la dissémination d'informations». Cet exercice est
parfaitement réalisé dans les processus d‟adoption du DSRP.
Il faut bien reconnaître que le NEPAD stagne et les critiques fusent de tous
côtés. C‟est pourquoi, une Session spéciale du CMO a été convoquée pour
examiner « l'état de la mise en œuvre du NEPAD depuis son lancement en 2001 et les
perspectives pour le renforcer et donner plus de cohésion à la démarche africaine. À
l‟ordre du jour figure l‟intégration du secrétariat du NEPAD à la Commission de l‟UA
en plus d‟une réflexion sur les financements des grands projets et les questions liées
au partenariat avec le reste du monde ». En effet, il est apparu à l‟expérience le
manque d‟application des programmes de développement et l‟insuffisante impulsion
et attraction des capitaux et les investissements étrangers comme a réussi à le faire
l‟UEMOA avec son Programme Économique Régional. Le Secrétariat du NEPAD a
multiplié les réunions, les ateliers et séminaires sans résultats tangibles. Cela traduit
parfaitement l‟absence d‟une stratégie efficiente de communication à destination des
opérateurs économiques internes et externes, des nombreuses institutions de
financement ou des sociétés civiles africaines. Les quelques acteurs qui sont parvenus
à briser l‟asymétrie d‟information sont restés complètement dubitatifs au point de ne
prendre aucun engagement.
Le NEPAD traîne, aujourd‟hui deux erreurs qui peuvent être fatales en
perspective : l‟absence d‟un lien organique entre le Steering Committee et le Bureau
directif du Comité de Mise en Œuvre
(Heads of State and Government
implementation Committee) et ensuite la mise en veilleuse des Cinq groupes
thématiques sectoriels qui ont été définis dans le cadre de ce comité. Chaque groupe
était placé sous la responsabilité d'un des États leaders selon la répartition suivante :
Au Sénégal : infrastructures, environnement, NTIC, énergie
En Afrique du Sud : paix et sécurité, bonne gouvernance publique ;
Au Nigéria : bonne gouvernance économique et flux de capitaux ;
En Algérie : développement humain (éducation, santé) ;
En Égypte : accès aux marchés et agriculture
Sur le premier point, il convient de rappeler que l‟approche « Top Down »
adoptée dès le départ par les « pères fondateurs » suppose que les initiatives partent
de haut vers le bas. En clair, le Secrétariat et tout autre organe du NEPAD devrait
relever de la tutelle et du contrôle du Bureau Directif du Comité de Mise en Œuvre.
Dans cette optique, la formation des groupes thématiques et leur affectation aux
membres fondateurs renforce la tutelle en donnant aux Chefs d‟État responsables de
groupes le contrôle de l‟élaboration des projets constitutifs de chaque thème
recouvrant en fait les secteurs prioritaires du NEPAD. Dans pareil contexte, le
Secrétariat devient un organe exécutif des projets élaborés et ficelés par chaque
groupe thématique. À l‟évidence, sa feuille de route s‟éclaire en toute logique :
rechercher le financement, informel, mobiliser les opérateurs privés, publics et
institutionnels.
La réunion d‟Alger du Comité de Mise en Œuvre qui attendait 15 Chefs d‟État
et qui en définitif n‟en a compté que 5 (OBAJANSO, BOUTEFLIKA, MBECKI,
285
KOUFFOR, AMADOU TOUMANI TOURE, MELES ZENAWI et certains Premiers
Ministres) se devait de repenser tout le dispositif institutionnel du NEPAD. Certaines
questions sont vraiment arrivées à maturité comme la gestion des organes du
Secrétariat, le processus concret de mise en œuvre du Programme ainsi que la
remobilisation des dirigeants africains qui selon le Président Abdoulaye Wade « ne
font pas beaucoup pour le NEPAD, s'ils ne comprennent pas simplement le sens de la
démarche ».
La question agitée depuis plusieurs Sommets de rattacher le Secrétariat du
NEPAD basé à MIDRAND en Afrique du Sud à la Commission de l'Union Africaine
continue d‟entretenir de profondes divergences. En effet, la finalisation du processus
d'intégration du NEPAD à l'architecture globale de l'Union Africaine appelle « la
même exigence de cohérence, de cohésion et d'harmonie dans la démarche » soutient
le Président BOUTEFLIKA qui ajoute qu‟il est à craindre « une insuffisance de
coordination en la matière avec l'Union africaine, dont le NEPAD est en fait
l'émanation, voire une distorsion qu'il est urgent de rectifier ». Cette difficulté
explique sans doute, selon le Président OBAJANSO, que « depuis 3 ans, nous n'avons
pas pu réaliser l'intégration prévue pour l'an dernier. Nous espérons qu'une année de
transition permettra le passage vers l'intégration totale du NEPAD dans les structures
de l'Union Africaine ».
Au demeurant, ce rattachement à l‟UA soulève beaucoup plus de problèmes
qu‟il n‟en résout. Premièrement, l‟expérience passée montre que tous les projets de ce
type rattachés au Secrétariat Exécutif ont souffert d‟une tutelle paralysante qui finit
par n'accorder aucune attention aux dossiers économiques et à leur agenda: le Plan
de Lagos et la mise en œuvre de la Communauté Économique Africaine en attestent
largement. Deuxièmement, il existe un Département Économique au niveau de
l‟Union Africaine qui ne se prévaut d‟aucun bilan positif ni en termes de réalisations
de terrain ou d‟études techniques ou prospectives concernant le développement
économique et la croissance de l‟Afrique. Où faut-il loger le NEPAD ? Quelles seront
ses nouvelles attributions et ses liens avec les différents organes ayant en charge les
questions économiques et financières ? Quelle sera la nouvelle architecture
institutionnelle cohérente qui garantisse au NEPAD opérationnalité et souplesse?
Troisièmement, le risque de politisation excessive pourrait être, à terme, fatale au
Programme particulièrement s‟il s‟avère incapable d‟appliquer à tous les 53 États le
principe « gagnant-gagnant » c‟est-à-dire assurer à tout le monde le bénéfice des
investissements. Quatrièmement le problème du lien organique avec le Comité de
Mise en Œuvre va toujours se poser tant que le NEPAD restera un Programme « Top
Down ».
À toutes ces questions viendront s‟ajouter d‟autres de moindre importance
comme les coûts d‟agence, l‟impact des lourdeurs et longueurs des procédures de
l‟UA sur le processus décisionnel du NEPAD.
IV/ Impérative nécessité de préserver le Programme de la dernière
chance pour le développement solidaire de l’Afrique.
À y regarder de près trois raisons au moins militent profondément pour la
sauvegarde du NEPAD par tous les africains : une raison de crédibilité, une raison
liée à la qualité technique et au caractère novateur du document et la nécessité de
préserver un instrument rodé de coopération internationale.
La première raison pour préserver et consolider le NEPAD tient au fait que
toutes les tentatives analogues passées se sont révélées infructueuses. En
286
conséquence, le raffermissement du Programme est éminemment une entreprise de
crédibilisation des dirigeants, des experts et des élites d‟Afrique. Ce n'est pas la
première fois que les Etats africains conçoivent des Plans de développement du
continent. En effet, depuis les années 70, les Etats africains ont engagé plusieurs
initiatives comme le Plan d‟Action de Lagos, la Charte de la Communauté
Economique Africaine, la Décennie du développement industriel, la Décennie des
Transports et des Communications, le Programme de Développement Accéléré de
l‟Afrique, le CARPAS, sans le moindre succès. Les résultats ont été bien en deçà des
espérances, ce qui a justifié les évaluations sévères de l‟époque comme «la décennie
gâchée», «la décennie des espoirs déçus» ou encore «la décennie perdue». En effet,
qu‟il s‟agisse de la croissance économique, de la résorption du double déficit
structurel de la balance commerciale et des finances publiques, de la dette extérieure
et intérieure, de la pauvreté, de la nutrition, de la santé, de l‟éducation en un mot de
l‟amélioration du bien-être social, les performances sont extrêmement médiocres
voire insignifiantes. Tout simplement, aucune de ces initiatives n‟a connu le moindre
début d‟exécution pour réussir à pousser l‟Afrique sur la voie de la croissance et du
développement économique et social.
À l‟analyse, toutes ces initiatives montrent, en bout de course, l‟écart toujours
grandissant entre le discours et la pratique entre les intentions proclamées et la
réalité. Ces attitudes sont symptomatiques de l‟incapacité chronique des États
africains à traduire les principes directeurs adoptés au niveau continental en
politique, programmes et projets nationaux ainsi que le manque de détermination à
poursuivre sans relâche les stratégies et politiques convenues.
La seconde raison de la préservation du NEPAD est qu‟il est incontestablement
un Programme novateur dans sa conception comme dans sa démarche. Les critiques
conceptuelles et techniques formulées ça et là semblent ignorer totalement les
orientations et les préoccupations des décideurs ainsi que le référentiel théorique qui
est le modèle de croissance endogène. Sous ce rapport, le NEPAD propose une
démarche novatrice, une stratégie de rupture construite par les dirigeants africains
autour de 4 composantes : la réalisation des préalables politiques et institutionnelles
qui créent la stabilité et la sécurité, la fixation des priorités sectorielles qui assurent
les investissements, la compétitivité et la diversification des économies, la
détermination d‟un cadre régional stratégique de mise en œuvre et la définition d‟un
partenariat actif avec la communauté internationale, le secteur privé interne et
externe, les institutions de financement. La stratégie du développement ainsi adoptée
passe par l‟organisation des solidarités africaines comme marchepied vers la
mondialisation inévitable et contraignante.
La troisième raison de la consolidation du NEPAD est qu‟il est une initiative
africaine de coopération et de partenariat en vue du développement et du transfert
des technologies. Ce partenariat est fondé sur le principe de responsabilité mutuelle
vis-à-vis des objectifs de croissance et de développement définis à travers les secteurs
prioritaires. Dans cette optique, depuis sa création, les « pères-fondateurs » ont
toujours été conviés aux réunions du G8 pour y soutenir le Programme. Ainsi,
l'Afrique et le NEPAD étaient au cœur de l‟agenda du Sommet du G8 à KANANASKIS
en 2002 à l‟issue duquel le NEPAD a été consacré comme le cadre de référence obligé
pour la mise au point des stratégies de développement et de la coopération avec
l'Afrique. Le Plan d'Action pour l'Afrique a été mis en place et le Canada s'est engagé
à affecter 6 milliards de dollars de ressources nouvelles et existantes sur cinq ans
(2002-2007). À GLENEAGLES en 2005, le G8 a examiné les progrès relatifs au Plan
d'action pour l'Afrique et a fixé de nouvelles mesures notamment le doublement de
287
l‟aide à l'Afrique d'ici 2010 et l‟annulation totale des dettes des Pays Pauvres Très
Endettés (PPTE) envers la Banque mondiale, le Fonds monétaire internationale et la
Banque Africaine de Développement.
Le G8, lors de sa rencontre d‟ HEILIGENDAMM (près de ROSTOCK, ville du
nord de l'Allemagne) a une fois encore convié les responsables du NEPAD pour y
présenter une plaidoirie pour un élargissement des acquis de la coopération NordSud (accroissement de l‟aide, effacement de la dette des pays africains les plus
pauvres, aide insuffisante au développement, lutte contre les pandémies, etc.) et
formuler de nouvelles propositions sur les grands sujets en discussion comme :
«l'exploitation des matières premières», «le besoin de structures nouvelles et
solides»; et de «canaux raisonnables» pour attirer les investissements en Afrique :
« ne plus dilapider l'argent», mais «récompenser certains pays» pour leur «bonne
gouvernance dans le cadre de partenariats. Il doit être question pour le NEPAD
d‟approfondir cette coopération et de l‟élargir à la Chine, l‟Inde, le Japon, l‟Amérique
du Sud.
En définitive, ces trois raisons sont suffisantes pour établir l‟impérieuse
nécessité de préserver le NEPAD comme étant l‟initiative de la dernière chance et qui
a suscité une grande espérance comme outil de développement, d‟intégration et de
coopération entre l‟Afrique et la communauté internationale. Alors, l‟enjeu majeur
restera fondamentalement de créer une véritable « Task-Force » qui doit parvenir à
finaliser et opérationnaliser les projets retenus dans le Plan d‟Action à Court Terme
en vue de montrer les réalisations concrètes, susceptibles de persuader les
populations africaines de sa pertinence. L‟Afrique plongée dans une crise sociale
profonde, marginalisée et pillée de ses richesses y trouvera « une nouvelle voie de
l‟espérance ».
Les problèmes d‟organisation et d‟administration revêtent une importance
capitale pour mériter une attention plus soutenue. La mise en œuvre du Programme
impliquera à une grande échelle un ensemble d‟acteurs au niveau régional et
continental, des bailleurs de fonds, des Institutions internationales, des Etats et des
entreprises. Également, il est aussi attendu un volume appréciable de ressources
financières mobilisées à partir de projets techniquement bien ficelés. Un Programme
d‟une telle ampleur doit avoir un schéma institutionnel à la fois cohérent et efficace.
Cela demande une administration fonctionnelle qui devra répondre à différentes
préoccupations de transparence, de compétence, d‟efficacité, d‟indépendance vis-àvis des États en matière de gestion et de bonne gouvernance ; s‟il est vrai qu‟il faut
éviter les pièges des principaux biais bureaucratiques observés au niveau de
beaucoup d‟organisations internationales. L‟organigramme pourrait comprendre au
moins trois maillons :
d‟abord un maillon politique comprenant les décideurs de haut niveau. Ce
maillon pourrait être le Comité actuel de mise en œuvre dont les attributions
doivent être précisées, affinées avec des modalités d‟articulation avec le
Président en exercice de l‟Union Africaine ;
ensuite un maillon décisionnel où pourraient se retrouver tous les acteurs
impliqués dans la réalisation du programme. Il devrait avoir des
démembrements pour valider les activités et traduire en décisions les
orientations dégagées par le CMO ;
enfin un maillon d‟exécution où se réalise la coordination et la consolidation
des projets régionaux, sous-régionaux et continentaux. C‟est ce maillon qui
gère les ressources, lance et contrôle la passation des marchés, assure le suivi
et l‟évaluation des projets.
288
Il faut s‟empêcher de tomber dans le travers d‟une sous-administration
incapable de répondre aux multiples sollicitations techniques émanant d‟acteurs
divers. En conséquence, le NEPAD doit être doté d‟une administration compétente
capable d‟assurer une nouvelle gouvernance des rapports de l‟Afrique avec le monde.
La réflexion doit se poursuivre en vue de trouver ce schéma institutionnel et son
organigramme adéquat.
Tous les analystes conviennent que les taux de croissance actuels en Afrique ne
sont pas assez élevés pour freiner les tendances à la baisse des économies et pour
réduire ou éradiquer une pauvreté rampante. Les pays isolés ne peuvent point
atteindre ces objectifs, une trentaine d‟expérience d‟ajustement le prouve largement.
L‟intégration économique est la solution pour l‟Afrique, principalement parce qu‟elle
permet, tout au moins aux économies du continent, d‟être mieux présentes sur le
marché mondial, de profiter des débouchés de proximité et d‟offrir un meilleur cadre
d‟exploitation des avantages comparatifs, de mettre en commun les ressources pour
l‟investissement, d‟élargir les marchés locaux et de mener un processus
d‟industrialisation efficace en exploitant les économies d‟échelle et en tirant parti des
possibilités d‟intégration verticale transfrontalière et de partage de la production. En
élargissant les marchés, en facilitant l‟accès aux intrants et en accroissant le volume
potentiel de production des entreprises, l‟intégration contribuera à attirer les
Investissements Directs Étrangers (IDE) et à atténuer certains effets défavorables de
l‟environnement économique et monétaire international.
Cependant, à l‟heure de la globalisation inéluctable, l‟objectif n‟est plus,
certainement pour un pays ou un groupe de pays, de rechercher une autonomie
collective sur la base d‟un modèle de substitution aux importations et un
développement autarcique ou autocentré. Ces illusions sont balayées par les
nouvelles perspectives offertes par l‟intensification des échanges qui font que chaque
pays cherche à tirer profit de la croissance tirée par les exportations. C‟est pourquoi,
depuis au moins une vingtaine d‟années, les économistes tentent de déterminer les
coûts et les avantages de la participation à une union économique et monétaire
efficiente. Car ce n‟est pas en additionnant des marchés étroits et mal constitués,
souvent soumis à de multiples barrières qu‟on aboutit inéluctablement à l‟intégration
et bénéficier de ses avantages. Il y a toute une dynamique à enclencher dans un
schéma organisationnel pertinent au double plan technique et institutionnel.
289
CHAPITRE 27
INTÉGRATION MONÉTAIRE AFRICAINE A LA LUMIÈRE DE
L’EXPÉRIENCE EUROPÉNNE
L‟intégration monétaire est un élément essentiel de l‟intégration économique
régionale. Elle doit être forte pour que cette dernière évolue, au-delà des accords de
libre-échange et des unions douanières, vers un véritable marché commun
(EICHENGREEN 1998). En effet, s‟il apparaît que la croissance soutenue et
régionalement équilibrée est un objectif majeur, ni les pays, ni les organisations
d‟intégration ne pourraient continuer d‟accorder à la monnaie une place marginale.
Dans un processus d‟intégration qui restructure les divers systèmes de production, le
volet monétaire sous la forme d‟un système techniquement approprié aura au moins
trois fonctions principales de financement des opérations productives
communautaires, de compensation multilatérale des soldes financiers entre
partenaires, et de financement des difficultés de trésorerie d‟un pays membre.
La première fonction a trait à l‟objet même de la politique monétaire qui, à
partir d‟une centralisation des réserves en devises, met les moyens financiers à la
disposition des unités communautaires. Cela suppose l‟unification des institutions
monétaires et financières pour rendre possible l‟instauration de rapports monétaires
et une politique régionale de crédit. Le crédit est un acte économique qui unifie les
processus de production et de circulation. Il est, selon le mot de M. AGLIETTA, une
assignation sur la production future et en même temps une condition de l‟achat des
moyens de production pour la mise en valeur du capital. Il est alors une variable clef
de l‟investissement, donc de la croissance.
La seconde fonction fait de la monnaie un instrument d‟accroissement des
échanges communautaires. Dans le cadre de pays liés par une division du travail, la
monnaie confère à ses usagers deux principaux avantages : l‟usage potentiel d‟un
espace plus étendu pour les transactions réelles et financières ; et une garantie pour
ces mêmes transactions. Ainsi serait mis sur pied un système qui permettrait une
compensation multilatérale des soldes financiers résultant des échanges
commerciaux. Dans ce cadre, les Banques Centrales pourraient se concéder des lignes
de crédits réciproques.
Quant à la troisième fonction de la monnaie, elle réside dans la possibilité de
création de mécanismes de péréquation qui feraient circuler les surplus financiers des
pays excédentaires vers les pays déficitaires et dans la mise en place des structures de
coopération qui permettraient de régler les difficultés de trésorerie d‟un pays
moyennant de rigoureuses conditionnalités concernant l‟intégralité de la gestion du
développement.
À cela s‟ajoute que, dans une conjoncture de turbulence monétaire et
financière, comme c‟est le cas actuellement, les unions monétaires quelles que soient
leurs formes, constituent les espaces de stabilité et d‟amortissement des risques. La
zone franc en offre une illustration avec des performances satisfaisantes par rapport à
celles des pays comparables : les taux de croissance, les niveaux d'inflation et la
stabilité tant monétaire que celle du taux de change ont atteint des paliers
acceptables. Ces résultats peuvent être attribués à l'existence d'une banque centrale
supranationale relativement indépendante, à la discipline qu'impose le taux de
change fixe et à la sécurité qu'offre la garantie de convertibilité du franc CFA fournie
par la France. Au-delà, les différents membres de l'Union souscrivent généralement à
la lettre et à l'esprit de l'intégration monétaire. En d‟autres termes, une union
monétaire convenablement élaborée et bien gérée pourrait offrir à ses membres des
290
avantages considérables. Lorsque des pays adoptent une forme poussée de
coopération telle qu‟une monnaie unique, les échanges internationaux se développent
de manière notable (ROSE 1999; GLICK et ROSE 2001; BUN et KLAASSEN 2002) et
il en va de même pour les performances économiques et la production par tête
d‟habitant dans les pays concernés (FRANKEL et ROSE 2000).
Section 1 : Les enjeux de la construction d'un espace monétaire
optimal comme accélérateur de l'intégration africaine.
En se référant à la théorie des zones monétaires optimales et en mettant
l'accent sur l'expérience européenne dans ce domaine, on identifie les variables
essentielles permettant d'évaluer le potentiel d'une zone économique donnée en tant
que sphère d'intégration monétaire : une grande mobilité des facteurs, l'ouverture
économique de chaque pays, une forte diversification de la production, une faible
vulnérabilité aux chocs extérieurs, un degré convenable d'intégration des politiques
et une grande flexibilité des salaires et des prix. Ces conditions observées dans
l‟Union Européenne souvent présentée comme un modèle d'intégration monétaire,
sont-elles applicables à l'Afrique ? En d‟autres termes, l'intégration monétaire est-elle
possible et quelles en sont les mécanismes et les étapes ?
La pertinence de l'approche dépend de la nature des avantages attendus d'une
intégration monétaire. S'il s'agit essentiellement d'un renforcement de la discipline et
de la stabilité monétaire, il importe peu que la zone envisagée soit « optimale » ou
pas. L‟étude de l‟optimalité et de la convergence économique en Afrique est arrivée à
l‟heure de la mondialisation marquée par une turbulence extrême des marchés
financiers dominants et l‟achèvement en Europe de la monnaie unique (l‟euro),
particulièrement avec l‟harmonisation des politiques budgétaires. La démarche de
l‟Union Européenne va nécessairement influencer en général l‟avenir monétaire de
l‟Afrique ainsi que ses perspectives de développement. L‟évolution de l‟économie
africaine s‟est illustrée à travers des performances économiques et sociales
globalement modestes. Plus de deux décennies d‟application des PAS n‟ont point
modifié fondamentalement le contexte d‟un espace économique et monétaire africain
non optimal marqué par de profondes disparités.
Encadré 18 : La théorie des zones monétaires optimales
L'unification monétaire offre des gains microéconomiques et impose des coûts
macroéconomiques : la mise en balance de ces effets détermine le degré d'optimalité
d'une zone monétaire. Si l'on suppose que les chocs macroéconomiques qui frappent
des pays de manière asymétrique peuvent être résolus par les mouvements de taux
de change, la disparition de cette variable d'ajustement doit être compensée par des
mécanismes rééquilibrants. Quels sont-ils ? En quoi permettent-ils (Mundell, 1961),
de faire face à un choc de demande (du déplacement de la demande des
consommateurs d'un pays A vers les produits fabriqués dans le pays B) ?
- La mobilité de la main d'œuvre doit être suffisante pour éviter l'apparition
de poches de chômage en A et de pénuries de main d'œuvre en B ;
- La flexibilité des salaires permet de reconquérir la compétitivité coût en A ;
- L'interdépendance commerciale entre les membres d'une Union monétaire
permet à un pays frappé par la récession de conserver une source de croissance, de
ses exportations vers les pays plus dynamiques (McKinnon, 1963) ;
- Le fort degré de diversification de l'appareil productif dilue les effets d'un
choc de demande frappant un secteur donné (Kenen, 1969).
291
Les chocs asymétriques sont alors atténués, même en cas de faible mobilité
internationale de la main d'œuvre, car, à cette dernière, se substitue une mobilité
intersectorielle dans le pays touché. On pourrait même dire que, entre économies
très diversifiées, la probabilité de chocs asymétriques diminue. Reste à savoir
comment évolue la spécialisation de chaque pays une fois l'union monétaire
constituée.
D’après: L’Économie contemporaine en 10 leçons, Edition Sirey,
P.503
I/ Les critères de convergence, l’harmonisation des politiques et le
système de surveillance multilatérale : les nouveaux déterminants de
l’intégration.
La mise en place des organisations d‟intégration a pour but d‟éliminer ces
dissemblances, avec une plus grande mise en cohérence des politiques économiques
entre les États membres afin de promouvoir le processus d‟intégration économique
sur la base, d‟une part, des acquis importants du continent, et d‟autre part, du respect
d‟un certain nombre de critères de convergence économique d‟ordre monétaire,
budgétaire et financier. Même si les pays membres des unions économiques et
monétaires africaines de la Zone Franc ne connaissent pas encore les efficiences
attendues de l‟intégration économique et monétaire, ils ont tout de même entamé un
processus de convergence de leurs économies de part et d‟autre des deux sous-régions
d‟Afrique Francophone avec l‟UEMOA et la CEMAC. Le processus de convergence
connaît des avancées plus prononcées dans la zone UEMOA que dans celle de la
CEMAC, même si cette dernière réalise de bien meilleures performances (mais non
les meilleures harmonisations de politique économique) en terme de respect des
critères de convergence économique retenus dans le cadre de la Surveillance
Multilatérale.
Toutefois, ce processus de convergence demeure relativement lent, ce qui
nécessite de la part des pays membres, de gros efforts non seulement pour consolider
les acquis favorisés par l‟ajustement de la parité de 1994, mais aussi œuvrer dans le
sens du respect des critères de convergence et de l‟harmonisation des politiques
économiques. Cette double recommandation rentre dans le cadre d'un processus
d‟intégration économique et monétaire stable et durable. C‟est dans cette perspective
que s‟inscrit la nouvelle dynamique d‟intégration en Afrique de l‟Ouest, en Afrique
Centrale et tout récemment au niveau du Continent.
L‟objectif visé à tous égards est de permettre aux pays africains de développer
des avantages comparatifs et d‟améliorer leur compétitivité dans un environnement
de mondialisation. Ceci traduit la nécessité de faire évoluer la question monétaire
vers une stratégie de développement dont les Africains eux-mêmes auront à tenir les
leviers. C‟est là le fondement de la création d‟un espace monétaire africain restructuré
et guidé par des idées novatrices qui seraient empreintes d‟un esprit de responsabilité
individuelle, impliquant profondément tous les acteurs.
II/ Pourquoi structurer un espace monétaire africain?
S‟il apparaît que la croissance soutenue et régionalement équilibrée est
l‟objectif majeur, ni les pays, ni les organisations d‟intégration ne pourraient
continuer d‟accorder à la monnaie une place marginale. Dans un processus
d‟intégration qui restructure les divers systèmes de production, le volet monétaire
292
sous la forme d‟un système techniquement approprié aura au moins trois fonctions
principales : de financement des opérations productives communautaires, de
compensation multilatérale des soldes financiers entre partenaires, et de financement
des difficultés de trésorerie d‟un pays membre.
Dans cette turbulence monétaire, les unions monétaires quelles que soient
leurs formes, constituent un excellent moyen de maintenir ou même d‟élargir les
échanges commerciaux. C‟est précisément la leçon que l‟on peut tirer de
l‟organisation du Système Monétaire Européen (SME) institué depuis 1979 après les
expériences du « Serpent Monétaire » qui s‟est achevée par la mise en place de la
monnaie unique.
La nouvelle institution, malgré ses imperfections, ses difficultés de
fonctionnement parfois même ses blocages, est généralement admise et acceptée
comme indispensable à travers les objectifs :
de création d‟une zone de stabilité dans un ordre monétaire international en
déconfiture, fluctuant et incertain ;
de changement de contexte de la lutte contre l‟inflation dans l‟ensemble de la
communauté ;
d‟établissement des bases et fondements d‟une coopération monétaire, donc
d‟un développement solidaire sous la double forme de l‟instauration des
conditions de mise en commun des réserves de change et d‟accroissement des
concours aux Etats membres ayant des problèmes de financement.
L‟extrême poussiérisation des zones et des statuts monétaires actuels face à
l‟accentuation des déséquilibres macrofinanciers facilite la satellisation à des zones
monétaires extérieures, au détriment de la recherche obstinée d‟une formule
d‟intégration monétaire. Dès lors, le problème n‟est point, pour les pays d‟Afrique, de
savoir si le SME ou un tout autre système est une bonne ou mauvaise affaire, mais
plutôt de savoir plus exactement ce qu‟il faut faire pour établir les conditions de
création et de fonctionnement d‟un Système Monétaire Régional (SMR). En effet,
selon le mot de R. NURSKE, le capital doit être généré localement pour être un
instrument qui facilite la production et l‟échange des biens et services. Personne
aujourd‟hui ne met en doute ce principe, pas plus que ses implications dont la plus
importante est la nécessité de créer des institutions et des instruments financiers
efficaces et diversifiés.
L‟Afrique, en la matière, est caractérisée par l‟existence de plus d‟une trentaine
de monnaies nationales différentes et d‟une pluralité de politiques et de régimes
monétaires. Ces monnaies sont souvent rattachées à des monnaies étrangères sans
possibilités de liens réciproques à cause des contrôles de change rendus obligatoires
par l‟inconvertibilité. Ce cloisonnement est donc un obstacle au développement des
échanges, mais aussi à l‟instauration d‟une politique monétaire et de crédit. Par
ailleurs, l‟extrême variété des systèmes financiers n‟autorise pas encore
l‟harmonisation des législations bancaires et celle des politiques de taux d‟intérêt.
Quel système monétaire mettre en place ? Quelles en seraient les étapes de
réalisation? Ces deux questions ont fait l‟objet de plusieurs réflexions et
propositions(3) dont il faut rendre compte pour mieux avancer vers l‟établissement
(3)
On peut citer les travaux de :
S. AMIN : « Propositions pour une association monétaire des États de l’Afrique de l’Ouest » Colloque, Faculté
de Droit Dakar, 25 mars – 2 Avril 1978.
P. DESNEUF : « La chambre de compensation » Revue Africa n°89, Janvier 1977.
« Afrique de l’Ouest : la fin de la zone sterling », Africa n°89, Mars 1977.
Problèmes monétaires en Afrique de l’Ouest Mois en Afrique, Février, Mars 1980.
293
d‟institutions monétaires et financières qui centralisent les ressources et les
traduisent en investissements productifs.
L‟idée consiste à concevoir les conditions possibles de création en Afrique
d'une zone monétaire (optimale) et stable. En effet, l'enjeu est de concevoir dans le
continent, à partir de l'expérience institutionnelle des différentes tentatives
d‟intégration économique, un réaménagement monétaire fondé sur des moyens et des
orientations prioritairement africains, en définissant les conditions préalables de
respect de certains critères de convergence macro-économique, d'une part, mais aussi
en redéfinissant nécessairement les espaces économiques à intégrer, d'autre part.
La création dans les États africains de conditions de gestion optimale de la
monnaie constitue le premier jalon de la souveraineté et de la responsabilisation des
Africains dans la construction de leur société. Ceci est un préalable à la relance des
économies par le rétablissement de la compétitivité et de la crédibilité extérieure,
avec une autonomie d'initiative et une maîtrise des décisions et actions.
Pour que ce projet puisse se réaliser, il faut commencer, dès à présent à
apprendre aux Africains à se démarquer de toute idée relative au maintien de ces
multiples États (et monnaies). L'avènement de l'euro dans la construction de l'Europe
est une occasion (pour ne pas dire une chance) pour les africains en général, de
réfléchir sur la manière de développer l‟Afrique.
De ce fait, les africains ne sont-ils pas en train de "repousser à demain ce qu'il
est opportun de faire aujourd'hui"? C'est-à-dire prendre leurs responsabilités dans la
gestion de leur société.
Toutefois, nous précisons que la volonté de prendre des responsabilités
essentiellement africaines dans la gestion de leur monnaie est moins une rupture
avec l'Europe ou les États-Unis d‟Amérique, qu'une nécessaire reformulation des
accords de coopération qui deviendraient, désormais, réellement bilatéraux en
permettant aux Africains de prendre conscience de l'opportunité que leur continent
représente pour l'Europe et le monde en général.
La peur de cette "rupture" (réarrangement) provient du fait que dans le cadre
des relations entre l'Afrique et les autres pays développés en général, les opportunités
qu'offre le continent africain sont souvent passées sous silence, voire négligées par les
africains eux-mêmes, contrairement à celles que présente le partenaire concerné.
Cela crée et renforce la situation et l'esprit de dépendance qui freinent toute ambition
de relance économique et de développement.
Section 2 : Les leçons tirées de l’expérience européenne :
arguments et mécanismes en faveur d’un Système Monétaire
Régional tirés du Rapport de la Commission R. JENKINS.
La Commission présidée par le Commissaire Roy JENKINS avait produit un
rapport très documenté sur les arguments qui militent en faveur de l‟établissement
d‟un SMR. Ces arguments au nombre de sept(7) sont le meilleur plaidoyer pour un
Système Monétaire Régional :
O. BERTE : Contribution à la recherche d’une stratégie d’intégration en Afrique de l’Ouest. Thèse de Doctorat,
soutenue en Nov. 1985. Faculté des Sciences Économiques de Dakar, 713 p.
294
1.
Il permet d’impulser et rationaliser le développement industriel
régional
Le premier argument est que l‟Union Monétaire favorise une rationalisation
plus efficace et plus poussée de l‟industrie et du commerce que ne le permet à elle
seule une union douanière. Cet argument est aussi valable aujourd‟hui qu‟il l‟a
toujours été, et sa valeur reflète dans les tentatives répétées qu‟a connu l‟histoire
européenne de constituer des unions monétaires, par exemple l‟union monétaire
austro-allemande de 1857, l‟union monétaire latine conduite par la France en 1865 et
l‟union scandinave de 1873.
2.
Il fournit des piliers solides aux politiques monétaires et de crédit
Le deuxième argument se fonde sur les avantages qu‟il y aurait à créer une
nouvelle devise internationale importante s‟appuyant sur le rayonnement et la force
économiques de la Communauté qui, comme l‟observe R. Jenkins « sans nos
divisions et nos divergences sur le plan monétaire, seraient comparables à celles des
États-Unis ». Une devise européenne qui constitue un autre pilier commun du
système monétaire mondial présenterait de grands avantages et serait encore plus
nécessaire, compte tenu des problèmes actuels du dollar et des déséquilibres qu‟il
risque d‟entraîner.
La Communauté serait ainsi débarrassée de nombreuses préoccupations à
court terme en matière de balance des paiements. Elle pourrait traverser avec une
relative sérénité de courtes périodes accusant des résultats commerciaux
défavorables, s‟accompagnant d‟une chute de quelques points du taux de change. Les
taux internationaux seraient plus stables étant donné qu‟ils spéculeraient sur des
risques de change moindres et l‟Europe profiterait du fait qu‟elle serait émettrice
d‟une devise mondiale. Dans une large mesure, les problèmes nationaux de balance
des paiements, au sens où les États membres de la Communauté les ressentent
aujourd‟hui, ne pèseraient plus directement sur la gestion économique.
3.
Change le contexte de lutte contre l’inflation
Le troisième argument concerne l‟inflation. Il est pratiquement certain que
l‟Union Monétaire modifiera radicalement le paysage actuel en conduisant à un
mouvement commun des prix. Mais, il est plus discutable, que l‟union monétaire
puisse faciliter l‟ouverture d‟une nouvelle ère de stabilité des prix en Europe et
représenter une rupture décisive avec le désordre inflationniste chronique des années
70.
Évidemment, les sources de l‟inflation contemporaine sont diverses et la plus
importante d‟entre elles résulte de ce qui peut sembler être des conflits
essentiellement intérieurs et éminemment politiques au sujet de la
distribution des revenus. Mais supposons, à un moment ou à un autre, une
réforme monétaire : l‟émission d‟une nouvelle devise unique par une autorité
monétaire européenne, et l‟adoption par cette autorité d‟une politique résolue
et relativement indépendante visant à contrôler l‟émission des billets et la
création de monnaies par les banques.
4.
Il impulse la demande pour combattre le chômage
Le quatrième argument concerne l‟emploi : actuellement, une recette à moyen
terme qui viserait à réduire l‟inflation sans avoir d‟effet bénéfique sur l‟emploi
n‟est pas acceptable. Les niveaux actuels de chômage constituent le mal social
le plus grave et le plus dangereux auquel nous avons à faire face. Au mieux, ils
engendrent une prudence et un immobilisme nationalistes et défaitistes. Au
pire, ils menacent la stabilité de nos systèmes sociaux et politiques.
295
La Communauté compte plus de huit millions de chômeurs. Il est typique de
constater que, dans les plus grands États membres, le niveau d‟un million de
chômeurs a longtemps été considéré, après-guerre, comme une sorte de
barrière politique. L‟impensable a été dépassé sans catastrophe, jusqu‟à
présent. Mais personne ne devrait se laisser aller à supposer que cette
situation peut se maintenir longtemps sans causer un dommage irréparable au
bien-être des millions de familles directement affectées par le chômage, au
moral et aux motivations de toute une génération de jeunes, à la stabilité et au
consensus dans nos sociétés.
5.
Il peut atténuer les déséquilibres régionaux en Afrique
Le cinquième argument concerne la répartition des emplois et du bien-être
économique entre les différentes régions d‟Europe. L‟Union Monétaire n‟assurera
pas, comme par enchantement, une répartition régionale harmonieuse des avantages
tirés d‟un renforcement de l‟intégration et de l‟union économiques. Ceux qui ont
critiqué une conception purement libérale de l‟économie monétaire, qui n‟aurait
d‟autre objectif que de créer des conditions de concurrences parfaites, ont de solides
arguments à faire valoir.
6.
Il donne plus de consistance et vigueur aux institutions d’intégration
Le sixième argument est d‟ordre institutionnel : le niveau auquel des décisions
doivent être prises ou le degré de décentralisation que nous devrions chercher à
maintenir dans la Communauté. L‟Union Monétaire impliquerait qu‟une nouvelle
grande autorité serait chargée de gérer les taux de change et les réserves extérieures
et de définir les grandes orientations de la politique monétaire intérieure.
En matière de finances publiques, les infrastructures de l‟union monétaire
impliquent une argumentation substantielle du transfert des ressources par le canal
des institutions communautaires. La question qui se pose est la suivante : l‟union
monétaire est-elle compatible avec les fortes pressions que l‟on voit exercer dans
presque tous les États membres, en faveur d'un système de gouvernement plus
décentralisé ?
7.
Il génère une nouvelle dynamique d’accélération de l’intégration
C‟est l‟argument purement politique selon lequel l‟union monétaire s‟offre
comme véhicule de l‟intégration politique européenne. Comme l‟a déclaré Jacques
Rueff en 1949 : « L‟Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas ». Je ne serai pas
tout aussi catégorique. Néanmoins, il devrait être plus clair que la réussite d‟une
union monétaire européenne ferait franchir à l‟Europe un seuil politique.
I/ Le fonctionnement du SME : Taux de change stables mais ajustables
Quatre éléments caractérisent l‟établissement, entre les pays de la
Communauté adhérant au système, de taux de changes stables mais ajustables :
l‟existence d‟un numéraire commun ;
la fixation des marges de fluctuation ;
la possibilité de modifier les cours-pivot en E.C.U. ;
l‟organisation des relations entre les monnaies du S.M.E. et l‟extérieur.
1°) Existence d’un numéraire commun
Une unité monétaire européenne, l‟E.C.U. constitue l‟élément central du
système.
296
Il est établi pour chaque monnaie du système une équivalence fixe Ŕ mais
modifiable Ŕ avec l‟E.C.U., appelé cours-pivot (2). Ce cours-pivot est notifié au
FECOM. On peut comparer les cours-pivot du S.M.E. aux « pairs » déclarés au F.M.I.
lors du régime de taux de change fixe établi par le système de Bretton-Woods.
La composition de l‟E.C.U. peut être révisée : une telle décision est toutefois
subordonnée à un accord mutuel et ne doit pas avoir pour effet d‟introduire une
solution de continuité dans la valeur externe de l‟E.C.U.
La résolution du 5 décembre prévoit, à cet égard, que les poids des monnaies
entrant dans la composition de l‟E.C.U. feront l‟objet d‟un réexamen et au besoin
d‟une révision :
dans un délai de six mois à compter de l‟entrée en vigueur du système ;
par la suite, tous les cinq ans, ou sur demande, si le poids de l‟une des
monnaies a varié de 25%.
2°) Fixation de marges de fluctuation
Le quotient des cours-pivot exprimés en E.C.U. permet de déterminer, pour les
monnaies adhérant au système, une grille de cours-pivot bilatéraux comparables aux
« parités » du système de BRETTON-WOODS et du mécanisme du « SERPENT ».
Les marges de fluctuation établies de part et d‟autre des cours-pivot bilatéraux
permettent de fixer les cours d‟intervention auxquels les pays participants sont tenus
de vendre ou d‟acheter leur monnaie en quantité illimitée. Ces cours sont
communiqués au marché.
Le fonctionnement est d‟une grande simplicité, tant en cas de modification des
cours-pivot ou de retrait d‟une monnaie :
la modification du cours-pivot en E.C.U. d‟une monnaie n‟oblige pas les autres
participants à modifier leurs cours-pivot bilatéraux, ni leur cours limite
d‟intervention vis-à-vis des autres monnaies de participation ;
le changement de la valeur d‟une monnaie restée en dehors ou s‟étant retirée
du système de change, n‟entraîne pas davantage d‟incidences.
3°) Possibilité de modifier les cours-pivot
Pour éviter les rigidités antérieures et permettre les ajustements qui se
révéleraient indispensables, les promoteurs du S.M.E. ont tenu à « dédramatiser » les
modifications éventuelles des taux de change.
Les changements de cour-pivot doivent cependant être effectués par accord
mutuel entre les pays participants au mécanisme du système de change. Les décisions
importantes concernant la politique de taux de change font, par ailleurs, l‟objet de
consultations réciproques Ŕ dans le cadre de la Communauté Ŕ entre pays membres
et pays non membres du système.
4°) Relations entre S.M.R. et l’extérieur
Le S.M.R. a l‟ambition de constituer une zone de relations de change stables
entre monnaies participantes dans un univers de taux de change flottants. Par
opposition toutefois au mécanisme du « serpent » dans le « tunnel », cette zone n‟est
arrimée à aucune monnaie tierce.
La résolution du 5 décembre 1978 s‟efforce de situer le S.M.R. dans l‟ordre
monétaire international existant, et notamment par rapport :
297
aux pays tiers ;
aux pays européens qui désireraient s‟associer au système de change ;
au Fonds monétaire international.
II/ La marche européenne vers la monnaie unique l’euro : un étapisme
monétaire régulé et maîtrisé.
Conformément au traité instituant la Communauté Européenne modifié par le
« Traité de Maastricht » entré en vigueur le 1er novembre 1993, l‟union économique et
monétaire s‟est effectivement réalisée en trois phases :
La première phase, qui s’est terminée le 31 décembre 1993, a consacré la fin
des financements des déficits publics générés par la création monétaire dans les États
membres et a donné lieu à la levée des restrictions aux mouvements de capitaux entre
les États membres d‟une part et entre les Etats membres et les pays tiers d‟autre part.
La deuxième phase a débuté le 1er janvier 1994 et, conformément au Traité,
doit se terminer au plus tard le 1er janvier 1999. L‟Institut Monétaire Européen (IME,
composé des gouverneurs des banques centrales) a été créé, et est chargé, pour les
sujets de sa compétence, de préparer la troisième phase. Au cours de cette phase, les
États membres entament le processus conduisant à l‟indépendance de leurs banques
centrales et s‟efforcent d‟éviter les déficits publics excessifs. Ils ne procèdent plus au
financement monétaire de leurs déficits publics.
La troisième phase est introduite par le Conseil européen de Madrid des 15 et
16 décembre 1995 qui a confirmé que cette phase commencera le 1er janvier 1999,
dans le respect des critères de convergence, du calendrier, des protocoles et des
procédures établis par le Traité.
III/ Le dispositif technique de l’union économique et monétaire
1°) Conditions et modalités de passage à la monnaie unique
La capacité des États à entrer en troisième phase suppose un degré de
convergence économique élevé et durable. Celui-ci sera apprécié par le Conseil des
ministres des finances et le Conseil européen sur la base des performances de l‟État
membre concerné en matière d‟inflation, de finances publiques, de changes et de taux
d‟intérêt à long terme. Le Traité impose aux États membres de satisfaire aux critères
de convergences suivants :
la réalisation d‟un degré élevé de stabilité des prix est acquise dès lors que le
taux d‟inflation n‟excède pas de plus de 1,5% la moyenne des trois meilleures
performances de l‟Union ;
le caractère soutenable de la situation des finances publiques est apprécié par
rapport à des valeurs de références fixées par le Traité pour le déficit et la dette
des administrations publiques rapportée au PIB (seuils de 3% pour le ratio de
déficit et de 60% de dette) ;
le critère de change impose le respect des marges normales de fluctuation
prévues par le mécanisme de change du SME pendant deux ans au moins, sans
dévaluation de la monnaie par rapport à celle d‟un autre État membre ;
le caractère durable de la convergence se reflète dans le niveau des taux
d‟intérêt à long terme : celui-ci ne doit pas excéder de plus de 2% la moyenne
des taux d‟intérêt des trois pays les plus performants en matière d‟inflation.
298
2°) les procédures permettant d’accélérer le processus de
convergence au sein de l’Union ont été mises en place dès l’entrée en
vigueur du Traité :
D‟abord, la procédure des grandes orientations des politiques économiques,
prévue par l‟article 103 du Traité a été mise en œuvre dès Décembre 1993. Cet article
prévoit que le Conseil à la majorité qualifiée sur recommandation de la Commission,
élabore un projet pour les grandes orientations des politiques économiques des Etats
membres et de la Communauté, dont il fait rapport au Conseil européen. Les
conclusions du Conseil européen servent ensuite de fondement à la recommandation
relative aux grandes orientations adoptées définitivement par le Conseil ECOFIN à la
majorité qualifiée. Le Parlement européen est simplement informé de cette
recommandation. De nouvelles grandes orientations sont adoptées chaque année en
Juillet (en dernier lieu, en Juillet 1996). Celles-ci s‟articulent autour de trois axes :
stabilité monétaire interne et externe, assainissement budgétaire, réformes
structurelles.
Ensuite, le traité organise un suivi collectif de ces orientations. Le Conseil
européen a montré l‟importance qu‟il attachait à cette surveillance multilatérale : les
conclusions du Conseil européen de Bruxelles de Décembre 1993 prévoient que le
Conseil des ministres des finances doit faire un rapport chaque année au Conseil
européen sur la mise en œuvre des grandes orientations. À terme, un État qui ne
respecterait pas ces orientations dont le contenu est assez précis pourrait se voir
adresser une « admonestation » par ses pairs.
En outre, les États membres établissent des programmes pluriannuels de
convergence, au titre de l‟article 109 E 2, destinés à assurer la convergence durable
nécessaire à la réalisation de l‟UEM, en particulier en ce qui concerne la stabilité des
prix et la situation saine des finances publiques. L‟élaboration de tels programmes
n‟était obligatoire qu‟en première phase, mais les États membres continuent à en
produire en seconde phase.
Enfin, le Traité a prévu la procédure des déficits publics excessifs (article 104
C) : Le Conseil des ministres des finances, sur la base d‟une recommandation de la
Commission, décide à la majorité qualifiée si un Etat membre est ou non en situation
de déficit public excessif, c‟est-à-dire s‟il respecte ou non le critère de la situation des
finances publiques posé par le Traité.
Pour les États membres ne faisant pas l‟objet d‟une dérogation, les
conséquences d‟une mise en situation de déficit public excessif seront renforcées
après l‟entrée en troisième phase. L‟article 104 C 9 dispose que si un État membre
persiste à ne pas donner suite aux recommandations du Conseil, celui-ci peut décider
de mettre l‟Etat membre concerné en demeure de prendre, dans un délai déterminé,
des mesures visant à la réduction du déficit jugée nécessaire par le Conseil pour
remédier à la situation.
Un pacte de stabilité et de croissance validé au Conseil européen
d‟Administration a précisé les conditions d‟application de cette procédure (calendrier
des étapes de la procédure, montant des sanctions, …).
Les Chefs d‟État ou de gouvernement ont en effet validé, à Amsterdam, deux
règlements du Conseil et la résolution constituant ce pacte de stabilité et de
croissance. Ce pacte est destiné à assurer la gestion saine des finances publiques dans
la zone euro, afin d‟éviter que la politique budgétaire laxiste d‟un État membre ne
pénalise les autres par le biais de son impact sur les taux d‟intérêt de la zone. Il
comporte deux volets :
299
La concertation sur la situation économique et financière des États membres
(article 103 du Traité) : les États membres présenteront dans des
« programmes de stabilité » (pour les pays de la zone Euro) et des
« programmes de convergence » (pour les autres États membres) les objectifs
de comptes publics à moyen terme qu‟ils se seront fixés, ainsi que leurs
hypothèses sur l‟évolution à moyen terme de l‟environnement économique.
Ces programmes serviront de base à la surveillance du Conseil destinée à
prévenir à l‟avance toute dérive significative des comptes publics. Le cas,
échéant, le Conseil pourra émettre des recommandations et les rendre
publiques.
Le fonctionnement de la procédure des déficits excessifs (article 104 C du
Traité) : un État membre de la zone euro dont le déficit public excède 3% du
PIB disposera d‟un an pour réagir. En cas d‟inaction persistante, et après
avertissements du Conseil (recommandation, éventuellement rendue
publique, puis mise en demeure), il pourra être soumis à des sanctions
financières. Ces sanctions (constitution d‟un dépôt sans intérêt, transformé en
amende au bout de deux ans) comprendront une partie fixe, de 0,2% du PIB,
une partie variable fonction de l‟ampleur du déficit, et seront plafonnées à
0,5% du PIB. Le Conseil pourra en outre exempter un État membre de cette
procédure, si ce dernier subit des circonstances exceptionnelles et
temporaires, qui ont été définies à Dublin.
3°) Le passage à la monnaie unique
Conformément au Traité, les chefs d‟État ou de gouvernement réunis au
Conseil européen de Dublin, ont procédé à un premier examen de la convergence, sur
la base des rapports de la commission et de l‟Institut monétaire européen. Ils ont
constaté qu‟une majorité des États membres ne remplissait pas les conditions
nécessaires pour l‟adoption d‟une monnaie unique et donc conclu, conformément à
l‟article 109 J 4 du Traité, que la troisième phase commencera le 1 er janvier 1999.
L‟examen des critères pour l‟entrée en troisième phase le 1er Janvier 1999 aura lieu le
plus tôt possible en 1998.
La période intérimaire : du début 1998 au 1er Janvier 1999. Une première
étape, dite « période intérimaire », concernera avec la définition, dès que
possible en 1998, de la liste des États membres qualifiés pour entrer en
troisième phase de l‟UEM sur la base des données de l‟année 1997 et se
terminera le 1er janvier 1999
Le directoire de la Banque Centrale Européenne (BCE) sera nommé et la
nouvelle BCE se substituera à l‟Institut Monétaire Européen (qui fonctionne
depuis le 1er janvier 1994 et dont le siège se trouve à Francfort). La législation
nécessaire à la conduite d‟une politique monétaire en monnaie unique par le
Système Européen de Banques Centrales (SEBC, composé de la BCE et des
banques centrales nationales) dès le début de la troisième phase, sera
adoptée :
clés de répartition pour la souscription du capital ;
collectes d‟informations statistiques ;
réserves obligatoires ;
consultation de la BCE ;
amendes et astreintes qui peuvent être infligées aux établissements.
300
Dans cette étape, la BCE et le SEBC se prépareront à la phase opérationnelle
par l‟adoption du cadre réglementaire nécessaire à leur fonctionnement.
La période transitoire, du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001
Le Conseil européen de Madrid a retenu « euro » pour nom de la monnaie
unique à partir du début de la troisième phase. Il s‟agit d‟un nom complet, non d‟un
préfixe qui précéderait les noms des monnaies nationales.
Une seconde étape du calendrier commencera avec l‟entrée en troisième phase,
er
le 1 janvier 1999 et se terminera le 31 Décembre 2001, avec le début de
l‟introduction des pièces et des billets en euro.
Cette étape sera marquée, dès le 1er Janvier 1999, par :
la fixation irrévocable des parités entre les monnaies des pays participants et
par rapport à l‟euro ;
la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire unique en euro par
le SEBC ;
la conduite de la politique de change en euro et l‟utilisation de l‟euro sur le
marché des changes, encouragée par le SEBC. Les opérations qui se
dérouleront sur ces marchés seront effectuées et réglées en euro ;
l‟émission des nouveaux titres négociables de la dette publique en euro par les
États membres participants. Par ailleurs, la France convertira en euro à la
même date son stock de dette actuellement libellé en francs ;
la disparition de l‟Écu-panier officiel. Les contrats libellés en Écu-Panier
officiel seront convertis en euro au taux de un pour un, sous réserve des
conditions particulières de chaque contrat. D‟autre part, les contrats exprimés
en monnaie nationale seront convertis en euro en appliquant le taux de
conversion fixé par le Conseil. Pour les titres et les emprunts à taux fixes, le
remplacement des monnaies nationales par l‟euro ne modifiera pas en soi le
taux d‟intérêt nominal payable par le débiteur.
Au cours de cette période, le SEBC et les autorités publiques des États
membres et la Communauté
surveilleront le processus de passage à la monnaie unique dans les secteurs
bancaires et financier ;
et aideront tous les secteurs économiques à bien structurer le passage à la
monnaie unique ;
Les mesures nécessaires au plan national seront préparées et adoptées pour
permettre ce passage.
Les opérations des administrations publiques (comptabilité publique, fiscalité,
sécurité sociale…) basculeront à la monnaie unique dans tous les États membres au
plus tard au moment de l‟introduction des billets et des pièces en euro.
L’échange des pièces et des billets : du 1er Janvier 2002 au plus tard
au 30 juin 2002 au plus tard
Enfin une troisième étape débutera avec l‟introduction des pièces et des billets
en euro, au plus tard le 1er janvier 2002 et se terminera, au maximum six mois après,
avec le retrait total des pièces et des billets en unités monétaires nationales. Cette
période de double circulation pourra être réduite par chaque État membre.
Section3 : L’arrimage du franc CFA à l’Euro.
Les avantages de l‟ancrage du franc CFA à l‟Écu sont connus, rassurants et
sécurisants pour les pays concernés. Ces avantages sont au nombre de cinq :
301
meilleure stabilité monétaire,
libre convertibilité,
diversification des partenaires,
plus grande rigueur dans la gestion des politiques économiques en référence
aux critères de convergence, à savoir : une politique budgétaire saine, une
politique monétaire de haute qualité, une maîtrise de l‟inflation en vue de
préserver la stabilité du cadre macro-économique, solidarité et garanties de
financement des déficits, enfin. en termes de crédibilité, c‟est l‟existence d‟une
monnaie unique et stable qui réduit les coûts d‟informations et de
transactions. Elle est liée à la fermeté des engagements institutionnels (à
moyen terme), permettant d‟éviter les déséquilibres macro-économiques, et à
la pertinence de l‟ajustement en cas de besoin (à court terme).
En partant du principe « gouverner, c‟est prévoir », la gestion des risques et
des incertitudes caractéristiques des marchés financiers doit être de rigueur. À ce
niveau, deux problèmes se posent avec acuité et, il ne s‟agit pas d‟hypothèses d‟école :
D‟abord, le niveau de la parité, bien que cela ne soit pas précisé, les cours
seront sans doute déterminés à partir de la valeur du panier calculée en chacune de
ses monnaies composantes, telles qu‟elles sont publiées chaque jour par les services
de la commission. On ne connaîtra donc la parité du franc CFA que le jour venu,
même si l‟on sait que les pays qui entrent dans l‟Union ne doivent pas avoir modifié
leur parité dans les deux années précédentes. Mais dès lors que la parité est fixée,
quand l‟Euro va s‟apprécier, le franc CFA le fera parallèlement sans que la situation
économique de la Zone Franc le justifie. Ainsi, cela peut déboucher sur une
surévaluation ou une dévaluation sans rapport avec la situation des pays africains ;
Ensuite, compte tenu du fait que la politique de la Future Banque Centrale
Européenne (BCE) est calquée sur celle de la Bundesbank dont la caractéristique
essentielle est l‟attachement viscéral des Allemands à une monnaie forte et à une
gestion rigoureuse de celle-ci, une double interrogation se pose pour les pays
africains de la Zone Franc : Cette solution est-elle réaliste ? Est-il souhaitable et
économique que le Tchad, le Niger, la Guinée Bissau aient un CFA fort ?
Au total, les inconvénients et problèmes découlant de l‟arrimage du franc CFA
à l‟euro sont liés à la perte d‟autonomie en matière monétaire, mais aussi à la faible
souplesse de la régulation lors des chocs ou des cycles. Elles peuvent se corriger.
Cependant les analyses réalisées sur le SMI et le SME montrent que l‟une des
tendances marquantes au sein de l‟économie mondiale, depuis 1945, consiste en un
mouvement d‟intégration croissante entre les différentes économies nationales. Pour
les pays africains, cette solution ne sera pas évitable dans l‟avenir.
À long terme, la stabilité de la monnaie d‟un pays dépend de la convergence de
son économie et de la coordination de sa politique avec celles de ses partenaires. De
ce point de vue, la Zone Franc comme accord de change peut découler de l‟intégration
croissante des marchés financiers dans le cadre de la mondialisation de l‟économie
avec la règle des 3 D. (Désintermédiation, Déréglementation, Décloisonnement).
Les enjeux de la globalisation financière posent la question de la gouvernance
du monde par les marchés financiers. Ainsi, les citoyens de la planète ont commencé
à suivre, en temps réel, la fiche de santé de l‟économie mondiale au travers des
indices financiers des grandes bourses (CAC 40, Indice Nikkei, Down Jones,…). Dans
ce contexte, les mécanismes de transmission de la politique monétaire confèrent un
rôle plus accru à la politique de change et, l‟absence de celle-ci sera un sérieux
handicap pour tout pays ou groupe de pays.
302
L‟ouverture internationale d‟un pays est pertinente lorsque ses produits sont
compétitifs. Pour mesurer la compétitivité d‟un pays et ses variations, on utilise
généralement le Taux de Change Éffectif Réel (TCER), qui apprécie la variation du
taux de change effectif nominal par rapport au taux d‟équilibre (PPA). Le TCER
donne une bonne estimation des conséquences sur la balance extérieure, des
variations du TCEN, liée aux modifications de prix résultant des changements
d‟efficacité du système productif. Il procure une bonne appréciation de l‟évaluation
des coûts de production domestique des biens internationaux, ceux qui font l‟objet
d‟une demande mondiale et qui doivent guider la spécialisation. Pour que l‟indice de
compétitivité reste stable, il faut que les coûts nationaux de production des biens
échangeables restent proches de ceux des autres pays concurrents, et donc que
l‟inflation interne reste voisine de celle des pays partenaires. Ce qui signifie, peut être
faut-il le rappeler sous une forme que toute hausse des prix internes qui serait
supérieure à la hausse des prix internationaux, pondérés par le taux nominal,
entraînera une baisse du TCER, c‟est-à-dire une surévaluation du taux réel, et donc
une perte de compétitivité. Au contraire, pour améliorer la compétitivité nationale, il
convient de : diminuer le taux nominal, c‟est-à-dire dévaluer la monnaie nationale ou
diminuer les prix domestiques ou encore, augmenter les prix internationaux, par
exemple grâce à la production aux frontières.
On remarque que l‟analyse ne conduit pas aux mêmes décisions de politique
économique selon que le pays se trouve en régime de changes fixes ou variables.
Ainsi, ce sont les nécessités de la compétitivité qui imposent de faire de la Zone Franc
un accord de change pour lui permettre de faire face à ses principaux concurrents
tant en Afrique même (Nigeria, Maroc, Tunisie, Ghana,…) qu‟en Asie (Chine,
Thaïlande, Pakistan), lesquels peuvent modifier favorablement leur TCER pour
améliorer leur degré de compétitivité.
Dans les faits, face à l‟évolution de la situation économique et financière de
certains pays membres de la Zone Franc, la déconnexion est beaucoup agitée en ce
moment par des cercles d‟intellectuels d‟économistes et d‟observateurs de la vie
économique et financière du continent africain. Deux sous-hypothèses peuvent être
envisagées :
La première sous-hypothèse serait celle d’une déconnexion par
éclatement de la Zone Franc
Les tenants de cette formule s‟appuient sur un échec patent des politiques
d‟ajustement mises en œuvre avec la dévaluation et qui se traduirait par de nouveaux
déséquilibres, l‟accumulation de déficits internes et externes et des pressions
accentuées de la communauté financière internationale en faveur d‟une seconde
dévaluation. Mais, compte tenu des disparités caractéristiques des pays de la Zone, en
terme de niveau de développement ou de besoin de financement ou encore de
politiques économiques nationales, il peut s‟avérer extrêmement difficile de faire
accepter un taux de dévaluation uniforme, comme ce fut le cas en 1994. En effet, les
résultats dissemblables enregistrés ces dernières années devront conduire à
l‟adoption de taux de dévaluation différenciés. Dès lors, le risque est grand de voir
éclater la solidarité monétaire organisée jusque là autour d‟une gestion commune des
réserves de change.
303
La seconde sous-hypothèse est celle de la déconnexion concertée
en direction de l’intégration économique et monétaire en Afrique
La stabilité d‟une monnaie peut être défendue par sa banque centrale, mais
pas indéfiniment. À long terme, la stabilité de la monnaie d‟un pays dépend de la
convergence de son économie et de la coordination de sa politique avec celles de ses
partenaires. Dans les pays en voie de développement, la difficulté s‟accroît avec la
nécessité de donner à cette politique des objectifs à plus long terme. Il ne s‟agit plus
seulement de rétablir l‟équilibre extérieur par la politique macroéconomique
traditionnelle, mais d‟assurer une croissance durable de l‟économie et d‟initier une
véritable politique de développement.
De ce point de vue, l‟intégration régionale devrait être favorisée par la mise en
place d‟un système monétaire et de crédit en vue de faciliter les échanges entre pays
de la Zone. Ceci exigerait la création d‟une Division Régionale du Travail (DRT)
accompagnée de la création d‟un Système Monétaire Régional (SMR) établissant :
des règles de parité,
des règles de stabilité,
des règles de gestion monétaire.
D‟ailleurs, la dévaluation du franc CFA, en 1994, a contraint les membres de
cette Zone à accélérer les processus d‟intégration. Les groupements économiques
régionaux se mettent en place dans plusieurs domaines (fiscal, financier, douanier),
les réformes ne sont pas toujours opérationnelles. Les « grands chantiers
d‟intégration » de la Zone Franc (assurances, droit des affaires, observatoire
économique régionale,…) se construisant peu à peu, à travers la ratification des
traités et la mise en place d‟institutions nouvelles. Des structures telles que la
CEDEAO, l‟UDEAC et la SADCC pourraient moins contribuer efficacement, par des
voies certes différentes, au moins à enclencher un processus d‟intégration des
économies des pays membres.
Section 4 : Les préalables d’une intégration monétaire en
Afrique.
La réussite d‟un espace monétaire africain dépendra nécessairement d'un
certain nombre de mesures de politique économique. Il s'agira pour les futurs pays
membres de respecter au préalable un certain nombre de critères de convergence
macro-économique qui seront vigoureusement étudiés et suivis par tous les pays
africains.
Ces harmonisations préalables préconisées ont pour objectif l'assainissement
du cadre macroéconomique de l'espace à intégrer, l'accélération de l'intégration
économique, politique et sociale du continent et la création de conditions appropriées
permettant à l'Afrique de jouer le rôle qui est le sien dans l'économie mondiale et
dans les négociations internationales.
La réalité actuelle de l'espace africain est que le continent est constitué d'une
multitude de micro-États hérités de la fameuse Conférence de Berlin (fin 1884 début 1885). Ceux-ci sont, de toute évidence, incapables d'atteindre séparément un
niveau important de développement économique, culturel, social et politique. Très
peu d'États disposent en Afrique de seuils considérables en termes d'espace
géopolitique, de dimension de population, de ressources naturelles, de débouchés,
etc., indispensables au développement socio-économique. De ce fait, l'encouragement
de la coopération régionale est le meilleur moyen pour contrebalancer les effets
304
néfastes du partage de l'Afrique à Berlin et faire bénéficier au continent des
complémentarités naturelles qui permettront aux pays africains de profiter des
avantages de spécialisation et d'économie d'échelle.
Cependant, le processus d'intégration régionale en Afrique a été souvent mal
posé au départ. Le véritable problème repose sur le fait que l'espace économique
intégré (ou à intégrer) des sous-régions ou régions du continent a été mal défini. De
ce fait, les intégrations (ou tentatives d'intégration), sans fondements économiques
majeurs et basées sur des modèles de développement copiés de l'extérieur, et donc
inadaptés au contexte africain, sont vite vouées à l'échec ou au plus, enregistrent de
maigres résultats.
La problématique de la définition de l'espace à intégrer est moins une
question de regroupement d'un maximum ou de la totalité des entités économiques
existantes (plusieurs micro-États) qu'un souci de retrouver un "ensemble optimal".
Ainsi, la dimension d'un vaste marché regroupant un maximum d'entités
économiques n'est-elle pas moins importante que les conditions stables et
appropriées permettant aux forces de ce marché de jouer pleinement dans le sens
d'une relance des activités économiques et du développement? Cette question est
d'autant plus fondée qu'aujourd'hui, nul ne doute que tout processus d'unification
économique et monétaire nécessite un certain nombre d'étapes successives qu'il
serait dangereux d'inverser, au risque de conduire l'intégration à l'inefficience ou à
l'échec. Et cela, que l'on passe par des intégrations sous-régionales (Afrique de
l'Ouest, Afrique de l'Est, Afrique Centrale, Afrique du Nord et Afrique Australe, par
exemple) ou régionales.
Cette voie ainsi préconisée a l'avantage de mieux responsabiliser les
participants à l'union économique et monétaire face à la gestion de leur monnaie et à
leur développement économique. Toutefois, c'est dans cette perspective que la vraie
solidarité africaine, cette fois-ci différente de celle héritée des arrangements
traditionnels post-coloniaux, devra faire preuve d'effectivité dans un esprit
panafricaniste.
La dynamique susceptible d'effet de stimulation et amplifiée à terme par le jeu
de l'effet de groupe (ou de la dynamique de groupe) dépendra de la coopération
renforcée (dans l'autonomie) entre les États africains.
Cette dynamique (que nous qualifions de "prudente"), vise la réalisation d'une
coopération monétaire intra africaine suivant une gestion autonome et responsable,
par les africains, de leur monnaie et donc des intérêts du développement de leur
continent unifié. Cela nécessite de la part des dirigeants africains une souscription
forte à la volonté de construction de l'Union Africaine (U.A.), et de leurs peuples, une
adhésion forte et confiante dans un esprit de nationalité africaine.
Section 5 : Le schéma d’intégration monétaire de l’Union
Africaine
L‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine (UA) prévoit opportunément un
ensemble d‟institutions monétaires et financières. Sans conteste, c‟est une notable
avancée par rapport à la Charte de l‟OUA. Cependant, l‟intérêt et la faisabilité de ces
institutions soulèvent beaucoup d‟interrogations. En effet, dans le contexte actuel de
globalisation financière, le continent est confronté à une double contrainte :
financière et monétaire. Toutes les économies africaines sont sous la coupe d‟un
ajustement structurel dont l‟objectif principal est de garantir le remboursement de
leur dette extérieure par les États majoritairement débiteurs (51 sur 53). Dans
305
nombre d‟entre eux, le service de la dette absorbe plus d‟un tiers des ressources
budgétaires. À cette contrainte s‟ajoute une seconde de nature monétaire. Les
monnaies africaines appartiennent à une fresque de zones monétaires dont la plupart
ne sont pas interconnectées par des systèmes de change. Autre situation : ces zones
monétaires peuvent être arrimées à des monnaies fortes, ce qui implique des
politiques monétaires et financières dépendantes. Dans un espace soumis à cette
double contrainte financière et monétaire, et surtout composé d‟une telle mosaïque
de zones monétaires et qui de surcroît, n‟ont défini entre elles aucun système de
change, aucune règle de convertibilité et d‟émission monétaire, il est techniquement
illusoire de parler de Banque Centrale.
Une Banque Centrale est toujours au cœur d‟un dispositif de gestion d‟un actif
financier émis en contrepartie des avoirs extérieurs et des créances sur les États et sur
les économies. Cet actif, accepté comme équivalent général, repose d‟un côté sur les
fondamentaux des économies et de l‟autre sur la confiance que K. ARROW considère
comme une importante institution invisible. Aucun élément ne vient corroborer
aujourd‟hui la moindre amorce d‟un processus de création d‟une Banque Centrale à
l‟échelle africaine.
Pourtant sur cette question, on dispose d‟une expérience édifiante qui est celle
de l‟Union Européenne. Elle est pleine d‟enseignements sur les différentes étapes
caractéristiques de la création d‟une monnaie unique et du dispositif technique qui
peut y mener. L‟Europe monétaire a démarré en 1979 (écu) et s‟est accomplie en
2002 avec l‟émission de la monnaie commune. En réalité, l‟Écu n‟était pas une
monnaie comme les autres : elle servait à mesurer la valeur des biens produits et
échangés (fonction d‟étalon de valeur), ensuite, elle était peu utilisée comme moyen
de paiement dans les transactions (fonction d‟intermédiaire) enfin, elle est une
monnaie-panier dont la valeur est déterminée par les valeurs pondérées des
différentes monnaies de la Communauté.
Avec le Traité de Maastricht, les modalités de mise en place d‟une monnaie
commune est entrevue à partir du Rapport Delors. L‟Euro sera émis par un
organisme bancaire : la Banque Centrale Européenne. Sa valeur sera fonction des
performances européennes ainsi que de la confiance qui lui sera accordée. C‟est dire
que le processus de création d‟une Banque Centrale est passé de l‟expérience difficile
du «serpent monétaire», avec ses parités ajustables à la coordination des politiques
monétaires nationales marquée par une gestion vigilante et rigoureuse de l‟inflation
et des taux d‟intérêt. La première phase qui s‟est achevée le 31 Décembre 1993 a
consacré la fin des financements des déficits publics générés par la création
monétaire dans les États membres. La seconde a débuté en janvier 1994 et s‟est
achevé le 1er Janvier 1999 avec l‟établissement de l‟interdépendance des Banques
centrales et la création de l‟Institut Monétaire Européen composé des gouverneurs
des banques centrales des Etats membres. La troisième phase qui a démarré en
Janvier 1999 dans le respect des critères de convergence, du calendrier et des
procédures établis par le Traité de Maastricht sera aussi marquée par la fixation
irrévocable des parités entre les monnaies des pays adhérents, la définition et la mise
en œuvre de la politique monétaire unique, la conduite d‟une politique de change et
l‟utilisation de l‟euro sur les marchés de change, l‟émission par les États membres des
nouveaux titres négociables de la dette publique en euro et la disparition de l‟écupanier officiel.
Cette expérience de l‟Union Européenne montre que si l‟objectif est de réaliser
une monnaie unique africaine, ce que préfigure la création d‟une Banque Centrale,
306
cela devrait passer impérativement par une rigoureuse harmonisation des politiques
économiques, monétaires et financières et établie à partir de critères de convergence.
Au demeurant, la monnaie est à la fois un excellent facteur d‟accélération de la
croissance et des échanges au sein de l‟Union, et de clarification des conditions de la
compétition. Elle est aussi un facteur de rayonnement et de puissance sur la scène
internationale. Toutefois, mal gérée, elle devient un facteur de désintégration et de
rupture. Elle est donc trop importante pour être évoquée de façon aussi laconique
qu‟elle l‟a été dans l‟Acte Constitutif (Article 19). Si la volonté politique existe de créer
effectivement une banque centrale, des réponses claires sous forme d‟orientations, de
dispositifs, de procédures et de chronologie de mise en œuvre devraient être
apportées aux questions fondamentales suivantes : pourquoi une Banque Centrale ?
Quelle sera l‟architecture financière d‟ensemble ? Quels seront les fonctions, les
principes et les règles de l‟émission monétaire et les déterminants de la politique
monétaire? Quel sera le degré d‟indépendance de la Banque Centrale Africaine par
rapport aux autorités monétaires nationales? La Banque Centrale étant le prêteur en
dernier ressort, quelle politique de crédit sera appliquée? Quel est le chronogramme
préparatoire à la phase opérationnelle ?
Ces questions techniques et bien d‟autres appellent des préalables politiques
sur lesquels les décideurs doivent au moins se prononcer avec clarté. Il est vrai que la
Nouvelle Initiative Africaine souligne et insiste sur la nouvelle volonté politique des
décideurs qui veulent ramener l‟économie et le partenariat au rang des urgences
prioritaires.
307
CHAPITRE 28
LES NOUVELLES OFFRES COMPETITIVES DE PARTENARIAT
À L’AFRIQUE PEUVENT-ELLES-DEBOUCHER SUR UN
CONTRAT MONDIAL DEVELOPPEMENT ?
La configuration actuelle de la compétition mondiale avec l‟avènement des
nouvelles puissances émergentes, l‟Afrique, grande réserve des matières premières,
peut revenir dans la géostratégie planétaire. Cela se traduit par la diversification des
offres de partenariat et les renouvellements des anciens : les APE avec l‟Europe,
l‟AGOA, le MCA avec les Etats-Unis, le « Plan d‟Action de Beijing » avec la Chine, la
« Nouvelle coopération Inde-Afrique », les encrages du Brésil dans l‟espace
lusophone et les balbutiements d‟une francophonie économique. Des grandes
puissances commerciales du futur dénommées BRIC, seule la Russie ne manifeste pas
encore une présence massive pour la raison simple qu‟elle est aussi une réserve de
matières premières. L‟Afrique ne va-t-elle pas redevenir le champ clos de nouvelles
convoitises (rivalités) dont elle ne tirerait pas grand profit pour son développement ?
Ne devrait-on pas alors s‟orienter vers l‟établissement de contrat de développement ?
Le concept de contrat de développement a été avancé pour la première fois,
dans les années 90, par Thorvald STOLTEBERG Ministre norvégien des Affaires
Étrangères. Il pourrait alors avoir pour caractéristiques essentielles la polyvalence,
la durée et la réciprocité des engagements contractuels. Dans cette optique, Louis
EMMERIJ, estime que « les contractants devraient s‟entendre sur une stratégie de
développement à plus long terme, et convenir d‟une approche plutôt que d‟un
ensemble de mesures… Dès lors, la différence entre le contrat de développement et le
PAS résiderait dans les engagements qui doivent être souscrits par les donateurs et
par les banques »193.
Au cours de ces dernières décennies, la communauté internationale a consenti
des investissements sans précédent pour accélérer le développement en Afrique et au
bout du compte, les déceptions l‟emportent sur les succès. Toutefois, ces énormes
ressources n‟ont pas été au service de stratégies claires et de schémas pertinents de
développement. Cela explique, sans nul doute, les médiocres résultats qui font que le
continent africain est toujours embourbé dans une situation économique, financière
et sociale catastrophique. Pourtant, l‟Afrique a absorbé trois fois plus de ressources
financières que le Plan Marshall. Cela soulève alors la nécessité de réviser la manière
d‟envisager le développement économique, sa nature, ses causes et les choix
correspondants de politique économique et sociale.
Aujourd‟hui, beaucoup d‟initiatives indiquent pour des motivations certes
diverses que les grandes puissances commerciales et politiques manifestent une
volonté unanime pour accélérer le développement en vue d‟éradiquer la pauvreté qui
est une menace pour la planète toute entière. Pour la première fois, un consensus
mondial semble se dégager en faveur de l‟élaboration de programmes économiques et
sociaux qui recentrent l‟objectif autour de la croissance au service de l‟homme
africain et de l‟amélioration de son bien-être.
Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a pris un
leadership véritable dans la lutte contre la pauvreté en la consacrant comme la
priorité dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). La Banque
mondiale change de discours et réoriente son action vers la réduction de la pauvreté.
Ce serait faire preuve de beaucoup de myopie que de déchiffrer cette nouvelle
193
Louis EMMERIJ : Nord-Sud : La grenade dégoupillée, Document FIRST, 1992 p 197
308
orientation comme un nouvel habillage du néo-libéralisme. Les réflexions menées au
sein de cette institution ainsi que les nombreux travaux d‟analyse et d‟observation de
la pauvreté tentent de concrétiser ces orientations dans les Documents Stratégiques
de Réduction de la Pauvreté (DSRP). Le FMI adhère à cette nouvelle stratégie tout
en conservant ses missions financières traditionnelles de gardiennage du SMI ou ce
qui en reste. Le BIT est dans la même mouvance. Dans le Rapport de son Directeur
général, il est affirmé que l‟objectif majeur est, aujourd‟hui, de « S‟affranchir de la
pauvreté par le travail ». En effet, « le travail décent est un outil puissant qui
permettra d‟atteindre les objectifs et les résultats visés par la Déclaration du
Millénaire en matière de développement humain »194.
Malgré le volume des ressources mobilisées, au cours de ces dernières
décennies, pour accélérer le développement en Afrique, au bout du compte, les
déceptions l‟emportent sur les succès. Les dirigeants africains, par le biais du NEPAD
et du Programme de l‟Union Africaine, partagent les mêmes convictions.
Il importe alors d‟analyser les contenus des programmes proposés.
Section 1 : Convergence des récentes visions programmatiques
pour le développement de l’Afrique : NEPAD, OMD et DSRP.
Au début du millénaire, les économistes professionnels rouvrent le dossier de
l‟analyse du développement, les organisations internationales font autant et
réorientent progressivement leurs programmes vers le développement humain. Il
semble se dégager au niveau de tous les acteurs un consensus fort pour trouver de
nouvelles solutions au développement de l‟Afrique par la recherche d‟une croissance
forte et durable dans l‟équité.
De l‟interrogation de la Banque mondiale de savoir si «L‟Afrique peut
revendiquer sa place dans le 21ème siècle»195 à la Déclaration du Millénaire des
Nations Unies en passant par la mise en œuvre du NEPAD, une préoccupation
unique semble se dégager: relever le défi du développement africain. À l‟occasion de
la Déclaration du Millénaire, les décideurs les plus significatifs des institutions
internationales à savoir Kofi ANNAN, (Secrétaire Général de l‟ONU), Donald
JOHNSON, (Secrétaire général de l‟OCDE), Horst KÖHLER (Directeur Général du
FMI), et James WOLFENSOHN (Président de la Banque mondiale), ont
solennellement proclamé « que leurs différentes institutions s‟emploieraient à faire
de ces objectifs de développement le fondement commun de leurs actions et de leurs
programmes, et à mesurer leur efficacité par la réduction de la pauvreté de moitié à
l‟horizon 2015 ».
Les Etats africains, après un long processus de concertation, ont pris
collectivement et individuellement l‟engagement de promouvoir la démocratie et la
bonne gouvernance et de lutter pour la paix et la sécurité pour relever
significativement les performances socio-économiques et placer leurs pays sur le
sentier du développement humain durable. À cette fin, ils ont initié un processus
participatif de préparation d‟un programme de partenariat : le NEPAD. Le consensus
autour de cette stratégie met l‟accent sur la nécessité d‟une mobilisation des
décideurs politiques, des acteurs nationaux et des partenaires au développement pour
BIT : S‟affranchir de la pauvreté par le travail, Rapport du Directeur Général à la 91 ème Session
2003.
195 Rapport de la Banque mondiale (2002) : L‟Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème
siècle.
194
309
lutter contre la pauvreté et l'exclusion à travers l‟établissement d‟un lien étroit entre
la réduction de la pauvreté, le progrès économique et le renforcement des capacités.
I/ Le plaidoyer de la Communauté internationale en faveur du NEPAD
Le NEPAD est un sursaut de l‟Afrique, un défi qu‟elle se lance, une vision pour
s‟insérer dans la mondialisation. Son objectif majeur est de créer les conditions d‟une
croissance forte et durable, capable de sortir le continent de la pauvreté de masse et
des déséquilibres de tous ordres. Il comprend des préalables indispensables à la
création d‟un environnement propice aux investissements, un Programme d‟actions
sectorielles et des institutions de mise en œuvre.
Encadré 19 : sur le NEPAD
Le présent Nouveau Partenariat pour le Développement de l‟Afrique (NOPADA) est une
promesse faite par les dirigeants africains fondée sur une vision commune ainsi qu‟une
conviction ferme et partagée qu‟il leur incombe d‟urgence d‟éradiquer la pauvreté, de placer
leur pays, individuellement et collectivement, sur la voie d‟une croissance et d‟un
développement durable, tout en participant activement à l‟économie et à la vie politique
mondiales. Il est ancré dans la détermination des Africains de s‟extirper eux-mêmes, ainsi
que leur continent, du malaise du sous-développement et de l‟exclusion d‟une planète en
cours de mondialisation.
Texte du NEPAD
Depuis sa création les « pères-fondateurs » ont toujours été conviés aux
réunions du G8 pour y soutenir le Programme. Ainsi, l'Afrique et le NEPAD étaient
au cœur de l‟agenda du Sommet du G8 à KANANASKIS EN 2002 à l‟issue duquel le
NEPAD a été consacré comme le cadre de référence obligé pour la mise au point des
stratégies de développement et de la coopération avec l'Afrique. Le Plan d'action pour
l'Afrique a été mis en place et le Canada s'est engagé à affecter 6 milliards de dollars
de ressources nouvelles et existantes sur cinq ans (2002-2007). À GLENEAGLES en
2005, le G8 a examiné les progrès relatifs au Plan d'action pour l'Afrique et a fixé de
nouvelles mesures notamment le doublement de l‟aide à l'Afrique d'ici 2010 et
l‟annulation totale des dettes des pays pauvres très endettés (PPTE) envers la Banque
mondiale, le Fonds Monétaire Internationale et la Banque Africaine de
développement.
En juin prochain se réunira à HEILIGENDAMM (près de Rostock, ville du
nord de l'Allemagne) le G8. Les responsables du NEPAD doivent y présenter une
plaidoirie pour élargir les acquis de la coopération Nord-Sud (accroissement de l‟aide,
effacement de la dette des pays africains les plus pauvres, aide insuffisante au
développement, lutte contre les pandémies, etc.) et formuler de nouvelles
propositions sur les grands sujets en discussion comme : «l'exploitation des matières
premières», «le besoin de structures nouvelles et solides»; et de «canaux
raisonnables» pour attirer les investissements en Afrique « ne plus dilapider
l'argent» mais «récompenser certains pays» pour leur «bonne gouvernance dans le
cadre de partenariats. Il doit être question pour le NEPAD d‟approfondir cette
coopération et de l‟élargir à la Chine, l‟Inde, le Japon, l‟Amérique du Sud.
310
II/ Les OMD : un pacte pour vaincre la pauvreté.
Les OMD engagent les pays du globe à redoubler d‟efforts pour s‟attaquer à
l‟insuffisance des revenus, à l‟omniprésence de la faim, aux inégalités sociologiques
entre hommes et femmes, à la dégradation de l‟environnement et au manque
d‟instruction, de services de santé et d‟eau potable. Huit objectifs sont ainsi définis et
assortis de cibles chiffrées qui doivent être atteintes dans un délai de 25 ans (19902015), et d‟indicateurs pour mesurer les progrès accomplis dans chaque domaine.
Ces objectifs et la promotion du développement humain procèdent d‟une
même motivation et témoignent d‟un même engagement vital à promouvoir le bienêtre des individus fondé sur les principes de dignité, de liberté et d‟égalité de tous 196.
Le tableau ci-dessous présente la relation entre les visées du développement humain
et les objectifs du Millénaire pour le Développement :
Tableau 33: Relation entre les visées du développement humain et les objectifs
du Millénaire pour le Développement
Capacités essentielles au
Développement humain
Vivre longtemps et en bonne santé
Objectifs du millénaire
pour le développement
Objectifs 4, 5 et 6 : réduire la mortalité des
enfants, améliorer la santé maternelle et
combattre les principales maladies
Accéder à l‟éducation et à l‟instruction
Objectifs 2 et 3 : assurer une éducation
primaire pour tous et l‟autonomisation des
femmes en œuvrant à l‟égalité des sexes dans
l‟éducation
Disposer d‟un niveau de vie décent
Objectif 1 : réduire la pauvreté et la fin
Conditions essentielles au
Objectifs du millénaire
Développement humain
pour le développement
Durabilité des ressources écologiques
Objectif 7 : assurer la durabilité des
ressources écologiques
Égalité, en particulier égalité des sexes et Objectif 3 : promouvoir l‟égalité des sexes
l‟autonomisation des femmes
Environnement
économique
mondial Objectif 8 : renforcer le partenariat entre pays
favorable
riches et pauvres
Source : RMDH. 2003
III/ Les DSRP : le nouveau cadre stratégique de lutte contre la pauvreté.
Les modestes performances des politiques d‟ajustement se sont traduites par
une série d‟impacts négatifs sur l‟emploi, sur les revenus et sur la prestation des
services sociaux. De plus, ces politiques sont perçues comme un facteur d‟aggravation
de la misère ou d‟expansion de la pauvreté. Les diverses investigations ont alors
abouti à placer la lutte conte la pauvreté au cœur des préoccupations. En
conséquence de ce choix, la Banque mondiale modifie ses modalités d‟intervention et
réoriente ses financements.
À l‟échelle nationale, les programmes d‟ajustement cèdent la place aux
Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DSRP) qui sont préparés par
les gouvernements après de larges concertations avec les opérateurs économiques et
la société civile. Les nouveaux Programmes ne sont pas imposés d‟en haut par des
PNUD, RMDH 2003 : Les Objectifs du Millénaire pour le Développement : un pacte entre les pays
pour vaincre la pauvreté humaine, Economica.
196
311
experts avec des conditionnalités (comme jadis dans les Documents de Politique
Économique), mais sont apprêtés par les pays en relation avec toutes les forces vives
mieux à même de cibler les politiques de la lutte contre la pauvreté. Le cadre
stratégique contient généralement quatre éléments essentiels :
la description du processus de préparation, fondé sur la participation des
acteurs;
le diagnostic de la pauvreté, avec l‟identification des obstacles au recul de la
pauvreté et à la croissance ;
les objectifs, les indicateurs et les systèmes de suivi fondés sur le diagnostic de
la pauvreté ;
les mesures prioritaires que les pays s‟engagent à prendre - dans les limites
imposées par leur budget- pour atteindre les objectifs établis.
Encadré 20 : Liste de bonnes pratiques pour les DSRP
Pour les pays :
Faire participer les parlements, les cabinets et les ministères à la préparation des
DSRP aux stades appropriés.
Analyser l‟impact des principaux programmes et mesures de lutte contre la pauvreté.
Établir des indicateurs appropriés pour permettre un suivi des résultats en temps
opportun et un retour d‟informations.
Établir les objectifs réalistes de croissance et de réduction de la pauvreté.
Établir divers scénarios macroéconomiques dans les DSRP, y compris des
programmes de dépenses pour imprévus et des mesures à l‟appui d‟autres politiques
de recettes.
Inclure des mesures visant à réduire les risques liés à des chocs extérieurs et à
assurer la viabilité de la dette.
Pour les partenaires de développement, y compris la Banque mondiale et le
FMI :
Fournir en temps opportun des commentaires constructifs aux équipes chargées de
l‟établissement des DSRP, mais se garder de faire sur les projets de longs
commentaires qui pourraient saper l'appropriation de la stratégie par les pays.
Coordonner l‟aide à la préparation des diagnostics de la pauvreté et des analyses de
l‟impact sur la pauvreté et la situation sociale.
Fournir en temps opportun une analyse appropriée des principaux éléments du
DSRP, conjointement avec les autorités, si possible.
Redoubler d‟efforts pour comprendre les liens entre l‟action des pouvoirs publics et
la croissance favorable aux pauvres au niveau des pays.
Respecter les cycles nationaux des processus décisionnels, en particulier les cycles
budgétaires annuels, et aligner l‟aide sur ces cycles.
Aligner les projets sur les DSRP nationaux, y compris les critères de résultats et la
conditionnalité, et justifier le choix des instruments par rapport aux objectifs des
DSRP.
Appuyer le renforcement des capacités de la société civile.
B.Ames,G.Bhatt et M.Plant : Finances et Développement, juin 2002
En clair, toutes les initiatives sont complètement abandonnées aux pays, de
manière à ce qu‟ils prennent en charge leurs réformes économiques en enclenchant
un exercice fondé sur la concertation large et la participation de tous les acteurs du
développement économique et social : les pouvoirs publics et les donateurs, les
312
communautés locales et les organisations de la société civile, comme les organisations
non gouvernementales (ONG), les syndicats, les organisations religieuses, les
Instituts de Recherche et les universités. En définitive, les nouvelles politiques de
l‟État se résument en six points majeurs :
satisfaire l‟attente des citoyens et renforcer la société civile,
assurer l‟équité,
sécuriser les personnes et les biens,
développer les marchés et pallier leurs insuffisances,
professionnaliser l‟administration,
systématiser les mécanismes de compte rendu.
Ces nouvelles politiques présentent, entre autres objectifs, le resserrement des
liens entre le service public et les usagers. Ce qui resterait serait alors de faire en sorte
que la démarche participative soit une exigence pour tous les démembrements du
pouvoir, à quelque niveau qu‟il puisse être dans le processus administratifs.
Du fait du processus participatif qui fonde sa légitimité, le DSRP sera le cadre
de référence de toutes les interventions de tous les acteurs. Il servira de base pour
l‟élaboration des plans sectoriels de développement et des programmes
d‟investissement. On peut noter que dans ses grandes lignes, la démarche
participative retenue par les États pour élaborer le DSRP a impliqué aussi bien au
niveau local que national l‟ensemble des acteurs du secteur public, du secteur privé,
de la société civile et les partenaires au développement, selon des procédures et
degrés d‟implication différents.
IV/ La forte synergie stratégique des programmes.
Les trois programmes que sont le NEPAD, les OMD et les DSRP présentent
une forte synergie stratégique. D‟abord ils font de la lutte contre la pauvreté un
objectif prioritaire qui permet de mettre l‟homme « au début et à la fin du
développement ». Ensuite, les documents partagent une vision multidimensionnelle
du développement. Enfin, ils suggèrent une stratégie axée sur quatre leviers
fondamentaux du développement humain:
la création de richesses par la croissance économique,
la promotion et l‟accès aux services sociaux de base, l‟amélioration des
conditions de vie des groupes les plus vulnérables,
le renforcement des capacités des pauvres,
et l‟approche participative de mise en œuvre et de suivi-évaluation basée sur
la décentralisation du pilotage et de l‟exécution.
Les études en cours de réalisation dans beaucoup de pays africains concernant
les analyses des déterminants de la pauvreté révèlent déjà l‟insuffisance des revenus
et justifient amplement que la promotion de la création de richesses dans un cadre
macro-économique sain et stable constitue le premier pilier de la stratégie, dans le
but de favoriser l‟émergence et le renforcement de l‟emploi productif des pauvres.
Dans le cas du Sénégal, il a été retenu le renforcement des capacités et l‟accès aux
services sociaux de base comme second pilier de la stratégie.
D‟abord, cette option prioritaire permet de relever le stock de capital humain,
social et naturel, base d‟une croissance durable, de répondre à la demande sociale et
de favoriser la participation des populations dans la gestion des affaires de leurs
communautés de base, notamment à travers une véritable politique de
développement local et de décentralisation administrative. Ensuite, la protection des
groupes vulnérables est le troisième pilier de la stratégie. Dans ce cadre, des
313
programmes ad hoc sont mis en œuvre pour réduire les facteurs d‟exclusion sociale,
notamment en faveur des populations pauvres dont les capacités d‟action sont
affectées par le statut social (genre), l‟âge, les handicaps physiques ou les
conjonctures particulières (victimes des inondations).
Section 2. La coopération UE Ŕ Afrique.
L‟Europe et l‟Afrique entretiennent des relations séculaires depuis la
colonisation. Elles se sont perpétuées par des formes diverses : Eurafrique, Accords
de Yaoundé puis de Cotonou, les Relations CEE-ACP et APE. Cela a permis
l‟élaboration et le renforcement de partenariat fondés sur des liens commerciaux,
culturels, des flux d‟aides et d‟assistance. La variété des accords et la diversité des
mécanismes de coopération semblent indiquer que les relations entre l‟UE et
l‟Afrique ont parfois été mal définies, tant au niveau des priorités que de la mise en
œuvre des politiques ; ce qui a entrainé souvent des tensions et des ruptures de
négociation. Aujourd‟hui, les cadres de coopération se sont stabilisés avec l'Accord
de Cotonou et l‟accord de partenariat global, en matière d'aide et de commerce,
conclu entre les 77 pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) et l'Union Européenne.
Il reste en suspens les APE qui traversent une période d‟âpres négociations avec ses
menaces de ruptures et sa reprise de table.
I/ Le nouveau partenariat avec l’Europe : les Accords de Cotonou
Le partenariat entre l‟Union Européenne et les Pays ACP a souvent été
présenté comme un modèle de coopération Nord-Sud, exemplaire sur plusieurs
aspects et qui, de surcroît, s‟est étalé sur une longue période. Les différentes
Conventions de Lomé qui ont fait suite aux Accords de Yaoundé ont non seulement
mis en place des mécanismes conciliant harmonieusement commerce et aide mais
aussi apporté sous forme de dons des financements substantiels.
1°) Une coopération séculaire
Si les pays ACP ont toujours manifesté leur volonté de perpétuer la
coopération avec l'Union Européenne, du côté européen les positions exprimées dans
le livre Vert étaient différentes et n'envisageaient pas forcément le renouvellement de
la coopération ACP-UE. D‟une part, pour l'Europe, l'Afrique n'est plus aussi
importante sur la scène internationale ; mais d‟autre part cette coopération, malgré
son exemplarité, n‟a point permis aux pays africains de sortir de la marginalisation et
de s‟insérer dans le système commercial mondial par application des règles de l‟OMC.
C‟est dans ce contexte que se sont déroulées les négociations de renouvellement de la
coopération ACP - UE. Dans cette direction, l‟accord conclu à Cotonou répondait
aux nouvelles exigences européennes :
D‟abord, l‟alignement sur les règles du libre échange avec l‟abandon du
système d'échanges non réciproque, et des systèmes de garanties des prix des
matières premières (STABEX et SYSMIN) au profit de Zones de Libre Échange entre
UE d'un côté et des entités régionales économiques et commerciales de l'autre.;
Ensuite, l‟établissement de nouvelles conditionnalités avec la promotion d‟un
environnement politique stable et démocratique dans les Pays ACP. Le dialogue
politique assorti de son mécanisme de sanctions est une nouveauté de Cotonou
(article 96), bien que la dimension politique existe déjà sous Lomé (référence à la
314
démocratie, aux droits de l'homme et à l‟État de droit) ; de même que le système de
sanctions unilatérales (art.366 bis : suspension de l'aide) à l'encontre des pays ACP
qui portent atteinte aux principes démocratiques;
En outre, la promotion et l‟accélération du développement économique avec
un renforcement des réformes d‟ajustement structurel et la privatisation des services
publics (référence à l'accord général sur le commerce des services, AGCS) dans le
mandat de négociation de la Commission pour les APER ;
Enfin, la réduction, voire l‟éradication de la pauvreté, ceci en cohérence avec
les Objectifs du Millénaire pour le Développement.
Ces Accords de Cotonou sont en rupture avec la vision de Lomé, à laquelle on a
imputé l'échec du développement des pays ACP en ce qu‟ils forcent les pays membres
à jouer le jeu du libéralisme mondial et à en supporter les coûts. Il faut souligner que
ce tournant vers la libéralisation (insertion dans l'économie mondiale) était déjà un
objectif dans Lomé IV c‟est dire que les Accords de Cotonou ne font qu‟entériner ce
mouvement en fonction des échéances précises pour l'adoption des règles OMC.
Sur certains points, ils sont cependant assez novateurs, il s‟agit notamment
de la priorité accordée à l'objectif d'éradication de la pauvreté qui devrait viser,
selon la Banque mondiale, à rassembler tous les donateurs autour des
« Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté » dont la légitimité est
contestée par beaucoup d'ONG ;
de la reconnaissance de la société civile comme acteur du partenariat. Elle doit
prendre part au dialogue sur les stratégies et politiques de développement en
amont, et être associée à la mise en œuvre des programmes, en bénéficiant
directement des fonds. Se trouve alors posée la question de la définition et de
la structuration de la société civile, ainsi que de son rôle réel dans le
partenariat ;
de la promotion de la bonne gouvernance pour ancrer le dialogue politique, en
dehors de toutes dispositions contraignantes ;
de la mise en œuvre de l‟Accord au niveau de tous les acteurs concernés. Dans
ce cadre, la Commission Européenne et les gouvernements des pays ACP sont
responsables de l'application des dispositions de l'accord. Elle est aussi
mandatée (en la personne de Pascal LAMY, Commissaire au Commerce) pour
négocier les accords de partenariats économiques régionaux. En revanche, le
Conseil des Ministres ACP-UE est l‟instance de décision. C‟est le Conseil des
Affaires Générales de l'UE (regroupant les Ministres des Affaires Étrangères)
qui décide d'intenter des sanctions, et non le Conseil du développement. Enfin,
la société civile, nouvel acteur de ce partenariat, doit aussi pouvoir intervenir
dans la mise en œuvre en bénéficiant directement des crédits européens pour
réaliser des projets.
Il faut observer que le rôle du Parlement Européen dans la mise en œuvre de
Cotonou est limité au débat des rapports d'évaluation et d'information, et à donner
décharge pour le FED. « Tant que le FED ne sera pas budgétisé, nous n'avons aucune
compétence, après la ratification, dans le suivi et la réalisation des objectifs de la
coopération ACP-CE. » Il reste encore à savoir si le PE pourra exercer son pouvoir
d'avis conforme au moment de la renégociation du FED (tous les 5 ans). Il est en
revanche d'ores et déjà exclu qu‟il soit associé officiellement aux décisions sur le futur
régime commercial... Toutefois, le PE s'est auto-saisi pour adopter une résolution sur
les APER (en Juin ou Juillet), qui n'aura aucune force contraignante.
En réalité l'application de l'accord de Cotonou dépend plus globalement du
cadre renouvelé de la politique de développement communautaire, et dorénavant de
315
la place des politiques de développement dans le nouveau Traité à venir, actuellement
élaboré dans le cadre de la Convention.
L‟impact de la mondialisation peut se lire à partir de la balance des paiements
qui peut exprimer parfaitement les gains ou pertes de l‟ouverture. Le développement
des exportations est une nécessité évidente pour des pays en développement tout
d‟abord parce qu‟elles sont l‟instrument qui permet d‟accroître la capacité
d‟importation et de remédier aux pénuries en devises. Selon Linder, trois types
d‟importation sont utiles pour des pays lancés sur le sentier du développement qui ne
peuvent produire ces biens eux mêmes : les importations de fonctionnement, les
importations de remplacement et les importations d‟expansion. Le commerce
international permet aussi des gains statiques d‟allocation des ressources et des gains
dynamiques (économies d‟échelle, transferts de technologie) décrits par les théories
néo-classiques du commerce international. La théorie keynésienne ajoute l‟effet
multiplicateur du commerce extérieur sur la production et l‟emploi.
2°) De faibles résultats pour cause de mauvais ciblage des secteurs
et des acteurs
Les faibles résultats du partenariat Afrique-Europe proviennent selon certains
chercheurs du mauvais ciblage des investissements. Malgré les fonds mobilisés,
aucun pays africain n‟a encore pu inverser de façon probante les tendances à
l‟appauvrissement à grande échelle. Tous les programmes et partenariats misent sur
une croissance durable pour y arriver. Seulement, les faits ne corroborent pas encore
ces objectifs car la croissance longue se fait attendre. Pour certains chercheurs
comme P. ENGELHARD, les secteurs ciblés ne peuvent réaliser l‟objectif de réduction
de la pauvreté et cela quel que soit le volume des investissements mobilisés. La
solution alternative est alors de partir du secteur informel qui fournit déjà plus de
50% du PIB. Dans cette optique, la réduction de la pauvreté devrait se fonder sur
deux exigences : le développement de l‟économie informelle et la diminution
drastique des coûts de base. L‟un et l‟autre doivent s‟articuler dans une stratégie
cohérente du marché intérieur, dont les exportations constituent le soutien
indispensable mais non le moteur unique. P. ENGELHARD a bien raison de croire
que en toute vraisemblance, les pays pauvres- ou abritant une importante proportion
de pauvres- n‟ont que deux issues : soit faire le pari très risqué qu‟une croissance
longue permettra aux pauvres d‟avoir accès à des services de base dont le coût et la
qualité sont ceux de la modernité occidentale, soit faire le pari qu‟ils peuvent
rapidement avoir accès aux services de base à un coût beaucoup plus faible, mais
selon des techniques et des modes d‟organisation qui diffèrent de ceux de pays
riches197.
II/ Quel bilan du partenariat UE Ŕ Afrique ?
Ce partenariat est très vaste et concerne d‟abord les relations commerciales
entre les deux régions. Toutefois, dans le cadre de la Stratégie de l‟UE pour l‟Afrique,
il a été conçu pour guider l‟interaction entre l‟ensemble de l‟Europe et de l‟Afrique à
tous les niveaux: institutions panafricaines telles que l‟Union Africaine, organisations
régionales et autorités nationales. Cela devrait constituer une plate-forme politique
importante pour la mise en œuvre de l'aide publique au développement en faveur de
197
P. Engelhard: op. Cit; p 49-52
316
l'Afrique dans les années à venir, aide qui devrait augmenter d'environ 10 milliards
d'euros par an d'ici 2010.
1°) Augmentation du volume de l’aide publique au
développement accordée par l’UE.
Les pays de l‟Union Européenne ont toujours été les principaux mécènes de
l‟aide au développement. En 2002, leur part dans l‟aide en faveur des pays en
développement s‟élevait à 56%, devançant largement celle des États-Unis qui
viennent en seconde position avec 20%.
Figure 17: Qui donne quoi : Aide au développement des pays de l’OCDE
pour l’année 2002.
Japon
Etats-Unis
Autres
UE et pays membres
Source : OCDE.
En Juillet 2005, l‟UE a pris de nouveaux engagements pour le financement du
développement: intensification et amélioration de l'aide, avec la volonté d‟atteindre
l'objectif fixé de longue date au niveau international de 0,7% du PNB pour l'aide
publique au développement (APD) d'ici 2015. L'UE s'est fixée pour objectif
intermédiaire 0,56 % du RNB/APD d'ici 2010, ce qui devait représenter des
engagements chiffrés de l‟ordre de 20 milliards d'euros supplémentaires par an pour
l'APD d'ici 2010 et de 45 milliards d'euros supplémentaires par an d'ici 2015. La
moitié du montant supplémentaire est accordée à l'Afrique pour l‟atteinte des
OMD.198
2°) Les relations commerciales : une hégémonie battue en brèche.
Les pays d‟Europe ont toujours été les principaux partenaires de l‟Afrique mais
les relations commerciales sont trop inégales entre les deux régions : l‟Afrique compte
pour un peu plus de 1% des importations et des exportations de l‟Union Européenne.
Les États-Unis représentent le marché le plus grand, avec 29,6% des
exportations en 2005. La Chine vient en seconde place, avec 10,9%, suivi de
l‟Angleterre avec 7,1%. L‟UE recueille 34,4% des exportations d‟Afrique
198
Les relations extérieures de l‟Union Européenne
317
subsaharienne, ce qui en fait son principal partenaire (cela est valable aussi pour
l‟importation).
Les tendances de l‟évolution montrent que l‟hégémonie européenne est battue
en brèche par les nouveaux partenaires que sont la Chine et les États-Unis. En effet,
la diversification des partenaires se réalise au détriment des relations avec l‟Europe.
Ainsi, en 2005, la Chine est devenue le premier pays exportateur en Afrique
subsaharienne avec un chiffre d‟affaires de 13,4 billions de $ et qui représente 7,7%
des exportations. Les exportations chinoises ont en effet augmenté de 35,2% depuis
2004. Également, l‟Afrique du Sud joue de plus en plus le rôle de locomotive dans ses
relations avec son espace africain. Déjà il exporte plus que le Japon, l‟Italie ou
l‟Espagne, pour un chiffe d‟affaires de 6,98 billions de $ en 2005. 199.
Tableau 35 : Les principaux partenaires de l’Afrique subsaharienne (en
billions de $)
2004
Importations
Chine
Allemagne
France
Etats-Unis
Angleterre
Japon
Italie
Espagne
Total UE
Exportations
États-Unis
Chine
Angleterre
Japon
Espagne
France
Allemagne
Italie
Total UE
Part en %
2005
Part en %
9,9
10,7
9,8
8,5
7,4
5,7
4,0
2,0
47,7
6,9%
7,4%
6,8%
5,9%
5,1%
4,0%
2,%
1,4%
33,0%
13,4
11,7
10,8
10,3
8,1
6,3
4,8
2,4
54,3
7,7%
6,7%
6,2%
5,9%
4,7%
3,6%
2,8%
1,4%
31,3%
37,8
14,5
11,3
8,3
7,0
7,0
6,3
5,4
50,6
27,1%
10,4%
8,1%
5,9%
5,0%
5,0%
4,5%
3,9%
36,2%
52,4
19,3
12,6
9,4
9,1
8,6
7,1
6,3
61,0
29,6%
10,9%
7,1%
5,3%
5,2%
4,8%
4,0%
3,6%
34,4%
Source : Rapport des États-Unis sur la politique commerciale et de l‟investissement
en Afrique subsaharienne et de l‟implémentation de l‟AGOA, 2007.
3°) Les actions des institutions financières de l’UE : La
Banque Européenne d’Investissement (BEI) et les politiques
de l’Union Européenne dans les pays d’Afrique, des Caraïbes
et du Pacifique.
La Banque Européenne d‟Investissement est la « banque de développement »
de l‟Union Européenne. Sa mission est de financer les projets qui soutiennent les
objectifs définis par les politiques de coopération et d‟aide au développement de
l‟Union dans 122 pays.
199
Rapport AGOA 2007
318
En Afrique, les activités de la BEI mettent en œuvre l‟aide financière
remboursable prévue dans l‟accord de partenariat de Cotonou entre l‟UE et les pays
ACP (États d‟Afrique, des Caraïbes et du Pacifique). Au titre de l‟Accord de Cotonou,
la BEI administre une nouvelle Facilité d‟investissement, financée par les États
membres de l‟Union Européenne, qui a pour objectif d‟appuyer le secteur privé à se
développer, à créer des emplois qui concourent progressivement à réduire la
pauvreté. À côté de cette Facilité, la Banque accorde également des prêts sur ses
ressources propres. Ces activités (3,9 Md d‟euros) constituent une part substantielle
de l‟appui de l‟Union Européenne aux objectifs de développement des pays ACP, en
sus des aides non remboursables (11,3 Md d‟euros) administrées par la Commission
Européenne.
Depuis près d‟une quarantaine d‟années suivant les mandats successifs qui lui
ont été confiés par l‟Union Européenne, la BEI est un partenaire financier du
développement des pays d‟Afrique, puis des Caraïbes et du Pacifique. Depuis la
première Convention de Yaoundé (1963), la BEI intervient comme institution de
financement du développement de l‟Union Européenne sur la base des conventions
successives de Yaoundé et de Lomé : elle a octroyé plus de 9 milliards d‟euros de
prêts en faveur d‟investissements dans les pays ACP.200
L‟accord de partenariat de Cotonou prévoit un élargissement substantiel des
responsabilités de la Banque, tant sur le plan du montant des prêts qu‟elle est
autorisée à accorder pour aider les pays ACP, que sur celui de la nature de ses
opérations.
Tableau 35 : Répartition des financements au titre de l’Accord de
Cotonou
Fonds Européen de Développement
Commission Européenne
Banque Européenne d‟Investissement
Facilité d’investissement Ressources propres de la
BEI
Aides non remboursables
Prêts, prises de
participations, garanties
Prêts à l‟appui de projets
pour
des
projets d‟investissement
d‟investissement
11 300 millions d‟euros
2 200 millions d‟euros
1 700 millions d‟euros
Source : BEI, le financement des politiques européennes, Octobre 2004.
III/ Quel avenir aux relations de partenariat EuropeŔAfrique : Les APE
vont-ils pousser à la rupture ?
La coopération UE-Afrique offre de grandes opportunités à l‟Afrique dans sa
perspective de croissance, de développement et de réduction de la pauvreté mais elle
est fortement secouée par la volonté africaine de diversifier ses partenaires et celle de
l‟Europe d‟appuyer un peu plus les transitions en Europe de l‟Est. Les Africains, de
plus en plus conscients des enjeux renégocient fréquemment les accords passés. Dans
ce cadre et conformément à l‟article 95 de l'Accord de Cotonou qui prévoit des
200
BEI, le financement des politiques européennes, Octobre 2004.
319
adaptations de l'Accord tous les cinq ans (à l'exception des dispositions sur la
coopération économique et commerciale qui sont soumises à une procédure de
révision spécifique), les négociations ont été lancées lors du Conseil des Ministres
ACP-UE à Gaborone en Mai 2004 et se sont achevées le 23 Février 2005 à Bruxelles
aboutissant ainsi à un accord global qui est de plus en plus critiqué. 201 Les deux
parties ont toujours entretenu des relations commerciales préférentielles non
réciproques (APE) depuis plus de 35 ans.
Dans ce contexte, quel bilan peut-on faire des relations de coopération EuropeAfrique depuis les conventions de Yaoundé(1963) et de Lomé (1975) jusqu‟aux
Accords de Cotonou(2000)
A grands traits on peut distinguer deux aspects d‟abord les plus favorables et
ensuite les plus aspects les plus contestables :
1°) Les protocoles favorables :
Le « Protocole sucre » a favorisé le développement économique a profité à 4
pays : l'Ile Maurice, Fidji, la Guyane et la Barbade
Le « Protocole viande bovine » a profité essentiellement à l'Afrique Australe et
accessoirement a quelques pays sahéliens
Le «Protocole banane, café, cacao» a profité au Cameroun, Côte d‟Ivoire,
Ghana, à l'Ile Maurice
2°) Sur 2o ans (1976-1996) toutes Conventions de Lomé n‟ont pas assuré le
décollage économique des pays ACP, ce qu‟illustrent parfaitement les
situations qui suivent :
En 20 ans (1976-1996) la part des marchés des pays ACP sur le marché
européen a régressé en passant de 7% à 3%.
Les ACP ont continué de se spécialiser dans les produits de base d‟origine
agricole et minière non transformés.
Les pays ACP sont fortement tributaires de leurs relations avec l'UE (pour
leurs exportations) alors que l'UE n'est que faiblement dépendante de ces
importations.
Actuellement l‟Europe soutient que les APE sont contraires aux nouvelles
dispositions de l‟OMC alors que dans les textes de l‟OMC, il est précisé que les pays en
voie de développement doivent bénéficier d‟un traitement spécial différencié (TSD).
De plus une étude montre que les APE actuels auraient un impact négatif sur les
ACP : baisse de leur PIB, baisse des revenus budgétaires, un déficit commercial
généralisé, la perte du bien-être. C‟est pour cela, ils sont de plus en plus dénoncés par
la société civile africaine.
1°) Les négociations relatives aux APE
L‟Afrique dans le cadre des ACP négocie une série d‟accords bilatéraux
concernant les accords de partenariat économique (APE) avec l‟UE. Les négociations
sur les APE, lancées en 2002, concernent essentiellement les questions de l‟accès aux
marchés, de la pêche, des mesures sanitaires et phytosanitaires, de l‟agriculture, des
Les conventions de Lomé, signées à partir de 1975, autorisent les produits industriels et certains
produits agricoles des ACP à entrer dans l‟UE sans droits de douane ni restrictions. Par ailleurs, ces
accords instituent des mécanismes visant à stabiliser les recettes d‟exportations, de matières premières
pour faire face à une chute de leurs cours avec le Stabex pour les produits de base et le Sysmin pour les
produits miniers. L‟économiste français Jacques Berthelot recommande même aux ACP de se « retirer
de l‟accord de Cotonou, de poursuivre les améliorations des accords de Lomé ». Ces derniers étaient
des accords tarifaires et commerciaux conclus avec la CEE et les pays ACP destinés à procurer des
avantages sans réciprocité aux pays ACP
201
320
services, de l‟investissement et de la concurrence. Ces APE remplaceront les
préférences de Cotonou qui fonctionnent actuellement dans le cadre d‟une dérogation
de l‟OMC qui arrivera à expiration à la fin de l‟année 2007.
Le concept d‟APE a été fécondé au milieu des années 90, quand les Institutions
Financières Internationales croyaient aux vertus du libre-échange. Toutefois, avec
l‟approfondissement de la mondialisation, cette croyance s‟est amoindrie. Les APE
prévoient la libéralisation de 90% des échanges entre l‟UE et les pays ACP c‟est-à-dire
que 100% du marché européen sera ouvert contre 80% de celui des ACP. Les Etats
ACP pourront par conséquent protéger 20% de leur marché qui représente les fameux
« produits sensibles » que les régions ACP peuvent choisir de ne pas libéralisés ou
qui ne le seront que progressivement dans un délai de 10 à 15 ans. Pour la
Commission Européenne (CE), qui agit au nom de l‟UE sur les questions
commerciales, cela signifie ne point imposer aux pays pauvres à se libéraliser tous
azimuts ce qui aurait des conséquences économiques et sociales catastrophiques et
particulièrement autoriser certains pays d‟Afrique à étaler leurs réformes
commerciales dans le temps en fonction de leurs propres plans de développement et
de lutte contre la pauvreté, et enfin leur offrir une assistance financière
supplémentaire en vue du développement des capacités dont ils ont besoin pour
participer au commerce et s‟adapter à des marchés plus ouverts.202
Toutefois, il convient de remarquer que la détermination de ces produits est
loin d‟être réalisée si bien que l‟on ne sait pas avec précision quelle est la part du
commerce général que les régions ACP ne vont pas libéraliser ainsi que le calendrier
de démantèlement tarifaire. En d‟autres termes les secteurs ACP à protéger restent
encore à négocier et cela malgré la date butoir de signature des APE fixée au 31
Décembre 2007.
Quelles sont les conséquences de la signature des APE sur les économies des
ACP ? Ou encore que prédisent exactement les études d‟impact réalisées à partir de
modèles économétriques pour mesurer avec précision les conséquences dues aux
chocs de la libéralisation ?
La littérature économique abonde de débats sur les effets de création et de
détournement de trafic. Toutes les analyses, au-delà des chiffres souvent sujets à de
très âpres controverses, admettent unanimement que les APE produiront une série
d‟effets négatifs indiscutables sur les pays et sur les processus d‟intégration en cours.
2°) Analyse des conséquences des APE sur le développement des
ACP.
Au niveau interne la signature des APE devrait entraîner irrémédiablement : la
destruction des systèmes productifs locaux agricoles et industriels, une baisse
drastique des recettes publiques et une aggravation de la situation sociale. Ces
systèmes productifs locaux agricoles comme industriels n‟étant pas compétitifs seront
démantelés au profit des importations provenant d‟Europe. Sont concernés l‟élevage
et tous ses produits dérivés, les agro industries, certaines industries naissantes. Pour
sûr, les APE vont induire des pertes de recettes pour les Trésors publics ce qui va
accentuer le déficit des finances publiques. Ces pertes de recettes vont compromettre
les investissements publics au niveau des infrastructures, de l‟éducation et de la
formation et de la santé et d‟autres secteurs sociaux qui sont des supports
indispensables pour le développement des secteurs privé et public. La conséquence
toute logique de la dégradation du système productif sera une situation sociale
202
Rapport de la CEA 2005
321
explosive qui va se manifester par l‟aggravation du couple infernal pauvreté-chômage
provenant de la destruction des principaux secteurs d‟activité.
A l‟échelle de l‟Afrique, les APE vont contribuer au démantèlement des
processus fragiles d‟intégration régionale en cassant l‟unité et la cohésion des
Communautés Régionales d‟Intégration. En effet, face à la résistance des
Organisations Africaines d‟intégration, la Commission de Bruxelles tente par diverses
pressions de faire signer certains Etats à revenu intermédiaire des « Accords
intérimaires » les mettant ainsi en porte à faux avec les accords de Tarif Extérieur
Commun antérieurement signés dans le cadre des Unions douanières comme la
CEDEAO et surtout l‟UEMOA.
Malgré toutes les mises en garde et les diverses protestations des organisations
de producteurs, de certaines institutions d‟intégration et des prises de position de
certains gouvernements, l‟UE semble plus que jamais déterminer dans son combat
pour une plus grande libération du commerce.203 Pour cause, elle représente plus de
28% du commerce mondial des services.204 Avec l‟Afrique de l‟Ouest, les négociations
prennent un relief particulier. Le projet de loi de la Commission Européenne soutient
que « les Etats d‟Afrique de l‟Ouest sont tenus d‟offrir uniquement les avantages
offerts à ses principales puissances commerciales » et que par ailleurs, les États de la
région peuvent bénéficier entre eux d‟un traitement plus favorable par rapport à celui
offert à l‟UE. Le danger est que cette libéralisation des services ne soit qu‟un objectif
intermédiaire pour arriver enfin à celle des investissements. Dans tous les cas, la
région n‟a aucun intérêt à céder à cette requête, d‟autant plus qu‟aucune disposition
de l‟OMC ne l‟y oblige : dans une logique de développement, le débat des services
dans les APE devait normalement porter sur la manière pour l‟UE de soutenir ce
secteur essentiel par des financements ou une assistance technique.
Après tout, les pays ACP et l‟UE se sont engagés, à juste titre, à négocier des
Accords de Partenariat Économique (APE), qui devront être, pour unr grande
conformité avec les objectifs de l‟Accord de Cotonou, plus équitables et plus à même
de soutenir les économies en développement.
Section 3 : L’AGOA
Le 18 mai 2000, le président CLINTON a promulgué la Loi de 2000 sur le
commerce et le développement dont le Titre premier est la Loi sur la croissance et les
possibilités économiques en Afrique (AGOA). Cette loi, qui fait partie de celle de
2000 sur le commerce et le développement, autorise l'adoption d'une nouvelle
politique américaine envers l'Afrique dans le domaine du commerce et des
investissements. Elle donne un accès libre à la plupart des pays d‟Afrique
subsaharienne au marché américain. L‟AGOA cherche à promouvoir le commerce et
les investissements entre les États-Unis et les pays d'Afrique subsaharienne en
facilitant l‟accès. Ainsi, les produits de ces pays admissibles bénéficieront d‟une
franchise douanière à l‟accès au marché américain qui représente plus de 10 billions
de dollars. En outre, elle encourage le développement économique et les réformes en
Afrique subsaharienne en soutenant une vaste gamme de branches d'activité et en
accordant des avantages concrets aux créateurs d'entreprises, aux agriculteurs et aux
203
250 ONG d‟Europe et des ACP, les organisations Professionnelles comme les Associations des
Producteurs ruraux et celle des Industriels, comme par exemple l‟Association industrielle africaine
(AIA) et l‟écrasante majorité des Communautés Economiques Régionales ainsi que des Chefs d‟Etat
comme le Président Abdoulaye Wade ont fermement rejeté les APE.
204 Passerelles, Entre commerce et développement durable, volume VIII numéro 3.
322
familles. De plus, elle cherche à favoriser un accès et des possibilités accrues pour les
investisseurs et les entreprises des États-Unis en Afrique Subsaharienne.
Quels sont les critères d‟amissibilité ? Quelles avantages offre ce nouveau partenariat
et comment a évolué le commerce entre les deux acteurs depuis la promulgation de
cette loi en 2000 ?
Les importantes possibilités concrètes offertes par cette loi seraient
susceptibles de donner lieu à des milliards de dollars de nouveaux flux d'échanges et
d'investissements entre les deux régions.
I/ L’adhésion à l’AGOA
1°) Les critères d'admissibilité des pays
Les avantages qui découlent de l'AGOA sont destinés aux 48 pays d'Afrique
subsaharienne. Toutefois, tous ces pays ne sont pas automatiquement aptes à
bénéficier de ces avantages. En effet, ceux-ci ne seront consentis qu'aux pays qui
remplissent divers critères d'admissibilité. Ces critères ont été formulés en
consultation avec les pays d'Afrique Subsaharienne et ils reflètent la prise de
conscience du fait que l'ouverture accrue du marché des États-Unis en vertu de
l'AGOA ne favorisera la croissance économique et le développement soutenus que si
les pays ont adopté une politique intérieure judicieuse. Ces critères correspondent à
des «pratiques optimales » qui auront pour effet, à terme, de stimuler les échanges et
les investissements et d'encourager le rayonnement de la prospérité. Le statut des
pays d'Afrique subsaharienne désignés comme étant admissibles ou bénéficiaires sera
réexaminé tous les ans. À l'occasion de cette révision annuelle, des pays pourront être
rajoutés à la liste des pays admissibles ou bénéficiaires et d'autres pourront en être
radiés. Le président est chargé de suivre et d'examiner les progrès de chacun de ces
pays et de soumettre au Congrès un rapport annuel précisant leur degré de
conformité aux critères d'admissibilité. Il est tenu de radier de la liste des pays
bénéficiaires d'Afrique subsaharienne tout pays qui cesserait de progresser dans cette
voie.
Lors de l'examen de l'admissibilité des pays d'Afrique subsaharienne à
l'AGOA, le président est tenu par cette loi d'évaluer les pays sur la base des critères
prévus par le Système Généralisé de Préférences (SGP) aussi bien qu'en fonction des
nouveaux critères de l'AGOA et d'un nouveau critère du SGP. Le président doit
notamment déterminer si ces pays ont établi, ou progressent de manière continue en
vue d'établir une économie de marché, l'État de droit, la suppression des obstacles
aux échanges et aux investissements des États-Unis, des mesures de nature à faire
reculer la pauvreté, la protection des droits internationalement reconnus des
travailleurs et un système de lutte contre la corruption. De surcroît, ces pays ne
doivent pas se livrer à des activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité
nationale des États-Unis ou à leurs intérêts en matière de politique étrangère, ne
doivent pas commettre des violations flagrantes des droits de l'homme reconnus au
plan international, ni soutenir les actes de terrorisme international et doivent avoir
traduit dans les faits les engagements qu'ils ont pris de supprimer les pires formes de
travail des enfants.205
205
AGOA, guide d‟application, Octobre 2000.
323
2°) Les avantages que procure l’adhésion à l’AGOA
a) Les avantages commerciaux
L'AGOA confère trois avantages non négligeables à tous les exportateurs des
pays admissibles d'Afrique subsaharienne. D‟abord, elle prolonge jusqu'au 30
septembre 2008 l'exonération des droits de douane à laquelle peuvent prétendre les
pays admissibles d'Afrique Subsaharienne au titre du SGP. Ensuite, elle soustrait les
pays admissibles d'Afrique Subsaharienne à la plupart des restrictions dont le SGP est
assorti. En outre, elle rallonge la liste des produits visés par le SGP, mais uniquement
en faveur des produits venant d'Afrique subsaharienne.
L'AGOA exempte de droits de douane pratiquement tous les produits, à
l'exception des textiles et des articles d'habillement, qui sont « cultivés, produits ou
manufacturés » par un pays bénéficiaire d'Afrique Subsaharienne, sous réserve de la
condition de valeur ajoutée, s'il détermine que ces articles ne sont pas sensibles à
l'effet des importations dans le contexte des produits en provenance de pays
bénéficiaires d'Afrique Subsaharienne. L'AGOA traite indépendamment du SGP la
question des avantages commerciaux qui sont applicables aux textiles et aux
vêtements. Cette disposition particulière de l'AGOA confère un certain avantage aux
fournisseurs d'Afrique Subsaharienne sur ceux des pays avec lesquels les Etats-Unis
ne sont pas liés par des accords de libre-échange. Les droits de douane qui frappent
un grand nombre de ces produits peuvent être très élevés. De ce fait, leur suppression
rendra les exportateurs des pays bénéficiaires d'Afrique Subsaharienne plus à même
de soutenir la concurrence des autres fournisseurs.
Pour ce qui concerne le textile, un certain nombre d'articles d'habillement, et
de produits textiles entrant dans la fabrication de ces articles, qui sont fabriqués dans
des pays admissibles d'Afrique Subsaharienne sont admis en franchise de douane et
sans aucune restriction quantitative. Dans la plupart des cas, les pays intéressés
peuvent prétendre à ces avantages indépendamment du volume total des vêtements
qui sont exportés aux Etats-Unis par les pays admissibles d'Afrique Subsaharienne.
b) Autres
dispositions
commercial)
de
l'AGOA
(programme
non
Si l'AGOA traite principalement des avantages commerciaux, elle comprend
néanmoins un certain nombre d'autres dispositions. Ainsi instaure-t-elle un Forum
de coopération commerciale et économique Etats-Unis Ŕ Afrique Subsaharienne,
lequel aura pour mission d'institutionnaliser l'engagement économique des EtatsUnis vis-à-vis de l'Afrique et de promouvoir, par le biais d'un dialogue structuré - à
tous les niveaux de l'administration, du secteur privé et des ONG -, l'adoption de
mesures à caractère pratique et à même de renforcer les échanges et les
investissements et de stimuler des possibilités économiques mutuellement
bénéfiques entre les États-Unis et l'Afrique Subsaharienne.
L'AGOA exhorte le Congrès et le président à œuvrer de concert avec la
communauté internationale en vue de l'allégement de la dette des pays qui en ont le
plus besoin, sur une base tant bilatérale que multilatérale. En outre, l'AGOA donne
pour instructions à l'« Overseas Private Investment Corporation » (OPIC) d'accroître
ses programmes de prêts, de garanties et d'assurance à l'appui des projets en Afrique
Subsaharienne, y compris ceux qui sont réalisés par des entreprises dirigées par des
femmes et ceux qui maximisent les perspectives d'emploi pour les personnes
324
démunies. De même, les activités de la Banque import-export des États-Unis en
Afrique Subsaharienne seront élargies. L'AGOA ordonne aux États-Unis de fournir
une assistance technique aux entreprises et aux gouvernements d'Afrique
Subsaharienne. Le concours des États-Unis dans ce domaine visera, entre autres, à
libéraliser les échanges et à promouvoir les exportations, à faciliter l'intégration des
pays de la région à l'organisation mondiale du commerce et à promouvoir les
réformes en matière de budget de réglementation.
II/ Une nouvelle initiative américaine porteuse : le Millenium Challenge
Account, le MCA
Le Millenium Challenge Corporation (MCC) a été créé en 2004 par les ÉtatsUnis « pour donner aux pays en développement des moyens plus grands en prenant
de plus grandes responsabilités pour développer leurs pays ». Le MCC reçoit des
fonds provenant des contribuables américains et doit rendre des comptes sur leur
utilisation. Les ressources financières mises à la disposition des pays elligibles sont
très appréciables. Le noyau de cette stratégie consiste à exiger que chaque Entente
MCC et les documents y afférents comportent des mécanismes de responsabilité
financière pour les activités financées par la MCC afin d‟assurer une gestion ouverte
et équitable des finances et des approvisionnements en toute transparence. En
élaborant ces mécanismes adaptés à un pays déterminé, le MCC et le pays respectif
chercheront un équilibre optimal parmi les facteurs suivants : réalisation opportune
des programmes et des projets, rendement opérationnel, réduction des frais
généraux, durabilité des résultats et efficacité de la responsabilisation.
Dans la détermination des mécanismes de responsabilité financière pour
chaque pays, le MCC appliquera les principes de :
Ttransparence dans les transactions et activités financières
Responsabilité des uns et des autres
Intégrité afin que les fonds soient utilisés pour les objectifs définis
Appui sur des systèmes et mécanismes existants et sur des évaluations
antérieures
Renforcer des capacités
III/ Le commerce entre l’Afrique et les États-Unis
Pour des raisons historiques, l‟Afrique a toujours privilégié ses relations avec
l‟Europe. Les relations avec les États-Unis, qu‟elles soient commerciales, politiques et
même en matière d‟immigration étaient marginales. Certains analystes voient ainsi
en l‟AGOA une tentative pour pallier à cet écart.
Tableau 36: Commerce de l’Afrique
millions de $)
2003
Importations
6 870,9
Exportations
25 633,3
subsaharienne avec les États-Unis (en
2004
8 438,5
35 879,5
2005
10 342,6
50 364,6
2006
12 116,8
59 175,2
Source : Rapport des États-Unis sur la politique commerciale et de l‟investissement en
Afrique subsaharienne et de l‟implémentation de l‟AGOA, 2007.
325
Les importations d‟Afrique subsaharienne ont sensiblement augmenté,
passant ainsi de 6,8 milliards de dollars en 2003 à 12 milliards en 2006. Il faut savoir
que le continent se tourne de plus en plus vers les États-Unis ces dernières années
pour certains produits. Il s‟agit notamment des appareils électroniques et autres
machines, des équipements de télécommunication, des véhicules, des avions, des
produits pharmaceutiques, de l‟huile raffinée, des équipements médicaux… 206
Quant aux exportations, elles ont plus que doublé en 3 ans. Cela est dû à la
demande de pétrole des États-Unis qui ne cesse d‟augmenter, augmentant de 15%
pour le Nigeria, 38% pour l‟Angola, 91% pour le Congo, 28% pour le Tchad et 11%
pour la Guinée Équatoriale.207
Cependant, certains pays démontrent qu‟ils ont toujours plus d‟affinités avec
les États-Unis que d‟autres, comme le montre le tableau suivant :
Tableau 37: Les exportations de l’Afrique Subsaharienne vers les ÉtatsUnis (en milliers de $)
Pays
Nigeria
Angola
Afrique du Sud
Congo
Gabon
Tchad
Lesotho
Madagascar
Kenya
Swaziland
Maurice
Malawi
Cameroun
Congo (RDC)
Ghana
Namibie
Botswana
Éthiopie
Rwanda
Tanzanie
Uganda
Mozambique
Zambie
Sierra Leone
Guinée
Sénégal
Mali
TOTAL
2005
23 875 179
8 466 134
5 854 118
1 662 438
2 885 673
1 472 053
403 471
323 877
347 754
198 876
221 997
82 444
154 520
246 134
159 260
129 557
178 164
61 803
6 301
34 066
25 851
10 817
31 698
9 389
74 734
3 663
3 588
TOTAL
2006
AGOA avec
AGOA avec AGOA avec
les
TOTAL
les
les
provisions
2007 de
provisions provisions
du SPG
janv. à juil.
du SPG
du SPG
2007 de
2005
2006
janv. à juil
27 863 412 16 346 483 22 460 617 25 824 257
11 513 833 7 037 866 8 314 666 11 307 198
7 497 257 5 092 167
1 472 352 1 783 328
3 045 473 1 607 450
574 136
774 575
1 330 984 1 314 277
2 487 530 1 290 031
1 904 713 1 008 012 1 180 265 1 698 008
408 407
248 316
388 584
384 591
281 065
178 833
275 466
231 611
352 804
179 557
278 267
272 911
155 807
85 076
176 117
149 815
218 649
105 207
152 591
157 502
79 010
52 978
65 902
60 908
223 517
114 060
101 491
153 161
85 111
122 009
49 841
2 609
192 228
103 994
59 422
45 333
115 650
129 131
53 241
33 228
252 107
110 652
30 050
28 251
81 120
47 148
5 197
7 203
8 854
6 455
88
864
34 567
27 517
3 797
3 697
21 787
14 541
4 911
2 465
15 594
3 314
8 351
11 802
28 969
25 282
119
369
35 895
25 500
170
105
91 689
60 647
107
139
21 450
16 154
388
14 359
7 851
2 470
240
490
14 853 232
6 804 742
1 093 281
1 047 432
951 927
930 663
225 174
147 232
140 365
80 446
71 178
45 747
44 942
42 183
41 148
22 987
17 642
5 423
3 909
2 674
814
678
146
141
133
87
71
Revue de l‟Union Européenne, des États-Unis, de la Chine, du Japon et de l‟Afrique du Sud dans
l‟Atlas du commerce mondial.
207 Rapport AGOA 2007.
206
326
Burkina Faso
2 084
1 020
1 025
122
66
37
Gambie
427
287
118
9
14
35
Sao Tome & Prin
144
187
285
0
0
31
Niger
65 511
123 695
1 178
155
43
26
Cap-Vert
2 624
965
1 622
2 148
106
25
Bénin
513
555
472
4
24
0
Mauritanie
825
0
0
51
0
0
Libéria
0
0
64 854
0
0
0
Djibouti
1 101
3 295
2 982
0
0
0
Seychelles
5 884
10 121
5 323
0
132
0
Cote d’Ivoire
0
0
0
0
0
0
Guinée-Bissau
114
470
29
0
0
0
Burundi
0
1 866
981
0
0
0
Total
47 002 789 56 010 263 34 143 964 38 146 396 44 239 193 26 574 552
Source : Commission Internationale du Commerce.
L‟Afrique du Sud, l‟Angola et dans une plus grande mesure le Nigeria sont les
principaux exportateurs. En effet, pour l‟année 2006, ce dernier a exporté vers les
États-Unis pour une valeur de plus de 27 milliards de dollars (dont 25,82 dans le
cadre de l‟AGOA), soit une proportion de 49,7% du total des exportations de l‟Afrique
subsaharienne.
Cependant, l‟Afrique subsaharienne ne représentait encore que 1,7% du
commerce mondial en 2005, en petite amélioration des 1,5% en 2004. Concernant le
commerce avec les États-Unis, elle compte seulement pour un peu plus de 1% des
exportations de ce dernier contre un peu plus de 3% de ses importations. Il faut dire
que la part de marché des États-Unis reste constante en Afrique depuis 2006 et que
l‟impérialiste chinois gagne inexorablement du terrain dans la région.
Section 3 : Le nouveau partenariat sino-africain : mécanismes
et domaines de la coopération "gagnant-gagnant
Il ne fait absolument aucun doute que l‟émergence de la Chine en tant que
principale puissance mondiale sera l‟un des principaux enjeux auxquels le monde
sera confronté dans les prochaines décennies. Aujourd‟hui 4ème puissance
économique, elle pourrait devenir la première à l‟horizon 2025 selon les prévisions
les plus pessimistes. Depuis trois décennies, elle a adopté des stratégies gagnantes
par des réformes économiques et sociales à la fois rapides et amples pour édifier une
économie de marché qui se fondent :
La libéralisation de l‟économie en favorisant un secteur privé dynamique et la
mobilisation des investissements directs étrangers attirés par de faibles coûts
de production industriels et ces IDE ont amené la délocalisation de segments
entiers de production ainsi que leurs fonds de commerce de même que leurs
expériences du commerce international. Selon ARVANITIS et ALI (, 2003),
les 400 plus grandes entreprises du monde ont investi en Chine dans les
secteurs les plus importants allant des équipements de télécommunication aux
automobiles. Désormais, la motivation de la délocalisation n‟est plus
seulement l‟exploitation des faibles coûts de production mais aussi
l‟exploitation du marché domestique chinois. Grâce aux IDE, la Chine occupe
le premier rang mondial dans la production de certains types de matériel
électronique. Déjà en 2003, elle (y compris Hongkong) était le principal
327
producteur de huit des douze principaux produits de consommation
électroniques (HALE & HALE, 2003)208.
La production de masse à faible coût quant à la main- d‟œuvre simple et
qualifiée se maintient dans certains secteurs spécifiques et pour des marchés
bien localisés. Le secteur des industries à forte intensité de main-d‟œuvre en
est le prototype. Une des conséquences de cette option est la dégradation des
conditions de travail et de rémunération dans les industries employant une
main-d‟œuvre bon marché ;209
La quête des matières premières nécessaires au gigantesque potentiel de
production qui se met en place et qui fait de la Chine « l‟usine ou encore
l‟atelier du monde ».
La mise en place d‟un système financier fonctionnel et ouvert qui a permis la
constitution d‟énormes réserves de change avec lesquelles, la Chine a acquis le
contrôle d‟entreprises étrangères dont elle convoite le savoir-faire et souhaite
la délocalisation sur son sol. Ainsi pour pénétrer le marché américain, par
exemple la Chine a participé au financement des fonds d‟investissements
américains, tel Blackstone, et a également acquis des participations dans des
entreprises stratégiques comme General Electric avec l‟objectif de bénéficier
d‟une délocalisation d‟une partie des activités en Chine, notamment celles qui
concernent la recherche et l‟innovation.
Une politique d‟ouverture sur le commerce international. Dans cette optique la
Chine a accéléré son adhésion à l‟OMC avec respect scrupuleux des clauses.
Lors de la conférence ministérielle de l‟OMC à Hong Kong, la communauté
économique internationale s‟est félicitée du respect de ses engagements par
Pékin. La Chine a abaissé ses droits de douane pour les produits agricoles de
54% en 2001 à 15,3% en 2005 et cette baisse s‟est poursuivie pour atteindre
15,2% en 2006. Dans toute l‟histoire de l‟OMC, aucun membre n‟a procédé à
un abaissement car, aujourd‟hui, le taux moyen mondial des droits de douane
sur les produits agricoles est de 62%. On observera qu‟en raison de son
nouveau rôle dans le système productif mondial, la Chine enregistre
maintenant des déficits commerciaux avec l‟Asie du Sud-est et des excédents
commerciaux avec l‟Europe et les États Unis.
Quatre raisons
expliquent que les économies chinoises et africaines
renferment des complémentarités qui peuvent fonder une solide coopération. La
première raison est que la Chine avec son rythme de croissance élevé de l‟ordre de 11
à 12%, a une forte demande des matières premières pour soutenir ses industries dont
l‟offre peut être fournie par les pays africains riches en matières premières et qui ont
des besoins énormes en devises étrangères et en biens d‟équipements. Cela présente
clairement des opportunités communes qui peuvent parfaitement exploiter dans le
cadre coopération mutuellement avantageuse. La deuxième raison procède du
constat que, dans les dix dernières années l‟aide publique au développement est en
déclin alors que les Investissements Directs Étrangers (IDE) s‟orientent
Les premières sources des IDE provenaient au début des années quatre-vingt, majoritairement des
Chinois d‟outre-mer (Taiwan et Hongkong). Les IDE en provenance de Taiwan, Hongkong et Macao
représentaient en 2001 18% des investissements attirés par des politiques incitatives, la main-d‟œuvre
et l‟étendue du marché chinois. C‟est particulièrement après la crise financière asiatique que les IDE
se sont multipliés et surtout diversifiés pour s‟étendre aux milliers d‟entreprises délocalisée.
209 Avec la fin de l‟accord multifibres, en janvier 2005 les ventes chinoises ont explosé conduisant à la
perte en Europe des centaines de milliers d‟emplois pour cause de fermeture d‟usine a poussé. Cela
amènera la Commission de Bruxelles à négocier des limitations volontaires d‟exportation avec la
Chine.
208
328
préférentiellement vers l‟Asie et l‟Amérique Latine, l‟Afrique ne recevant que
seulement 3% des flux internationaux. L‟Afrique a un besoin de nouveaux
partenariats. La troisième raison est que les dirigeants africains doutent de plus en
plus de la volonté (ou de l‟intérêt) des Occidentaux et les Institutions internationales
qu‟ils contrôlent à contribuer efficacement au développement du continent. A
l‟évidence leur priorité semble se tourner vers la zone Asie-Pacifique leur apparaît
pleine d‟attraits. Cela a amené l‟appel que le président WADE, du Sénégal, a formulé
aux pays du G 8 pour « qu‟ils investissent en Afrique comme le font l‟Inde et la
Chine ». À ces trois raisons s‟ajoutent une quatrième raison qui est d‟ordre historique
la commune appartenance au Tiers-Monde. Dans les années 60, l‟objectif de la
coopération avec le Tiers-Monde consistait en l‟organisation de la solidarité entre
deux continents appartenant au même monde : celui des pays sous-développés. La
Chine est un pays en voie de développement qui commence à réaliser de grandes
performances économiques et financières. Les pays africains qui cherchent une
croissance accélérée pour vaincre la pauvreté peuvent emprunter à la Chine ses
expériences et solliciter son assistance pou réaliser une croissance rapide. Cette
dernière raison a été évoquée par le Président chinois HU JINTAO pour rappeler lors
du Sommet Asie-Afrique rappelant les 45 ans de la Conférence de Bandung : « Du
passé glorieux à un futur lumineux : construire un nouveau type de partenariat
stratégique entre l'Asie et l'Afrique »210. Il reprendra à l‟occasion du Sommet ChineAfrique l‟impérieuse nécessité de construire « un nouveau type de partenariat
stratégique Asie-Afrique à long terme stable et substantiel, qui réponde aux
changements du temps »211.
I/ Les lignes
partenariat.
directrices du
nouveau modèle
actif de
Les stratégies de la coopération sino-africaine sont à la fois très anciennes et
assez subtiles. Au début des années 60, elles tenaient à des considérations purement
idéologiques, à l‟organisation de la solidarité militante entre deux continents. Les
grandes mutations intervenues dans les relations économiques et financières et le
nouveau statut de la Chine dans l‟échiquier mondial appellent des changements et la
nécessité de disposer d‟un cadre stratégique de gestion des relations. En démarrant
dans les années 1970 avec des secteurs de prédilection comme les matériaux de
construction, le textile et la pharmacopée, la Chine va pénétrer avec force dans les
services, l‟électronique, le textile et l‟habillement,
les infrastructures, la
transformation sur place de certains minerais et même la prise de participation dans
certaines grandes entreprises africaines.
Ce Sommet a eu lieu à Jakarta, en Indonésie le 22 avril 2005. Cet appel il l‟a réitéré à chaque
rencontre avec les dirigeants africains : Paul BIYA, BONGO
211 Au président camerounais BIYA, le président HU JINTAO déclara que … « La Chine et l‟Afrique
n‟ont jamais essayé d‟imposer leur modèle de développement économique et social aux autres
peuples » (sous-entendu, comme jadis, les puissances coloniales). Et il poursuivit : « j‟invite les
compagnies chinoises à venir investir dans les hydrocarbures, les mines et la forêt, où il y a fort à
faire ».
210
329
1°) Évolution quantitative des échanges sino-africains
Le commerce entre les deux parties est en pleine expansion et a continué à
croître au rythme annuel de 30% sur cinq années consécutives (2000_2005). En
2006, il a atteint 55,5 milliards de dollars EU. Les exportations chinoises vers
l‟Afrique étaient de 13,08 milliards en 2004, soit une augmentation de 36 % par
rapport à l‟année précédente.
Les exportations chinoises à destination de l'Afrique sont passées à 26,7
milliards de dollars, en hausse de 43% en rythme annuel alors que les importations
en provenance de l'Afrique ont atteint 28,8 milliards de dollars, soit une progression
de 37% par rapport à l‟année précédente. En trois ans, la Chine et certains pays
africains ont conclu 245 accords sur l‟assistance économique (44% de l‟aide chinoise
durant la période considérée). Depuis 2000, elles ont construit plus de 6000
kilomètres de routes et 8 stations électriques de grande/moyenne envergure sur le
continent africain. La construction d‟une station hydroélectrique à Imboulou au
Congo et réalisé un chiffre d‟affaires de 9,5 milliards de dollars. En fin 2005, la
Chine était engagée dans plus de 800 projets complets dans 49 pays africains et les
compagnies chinoises s‟étaient impliquées dans 58 projets avec des prêts
préférentiels dans 26 pays d‟Afrique. Et en 2006, elle a investi 6,3 milliards de dollars
en Afrique, dans des domaines aussi variés que l‟agriculture, les communications,
l‟énergie et l‟industrie manufacturière. En 2004, les IDE chinois s‟élevaient à plus de
900 millions de dollars sur les 15 milliards de dollars d‟investissements directs
étrangers en Afrique. Par ailleurs, le gouvernement chinois encourage les entreprises
chinoises à établir des usines en Afrique. Il a appliqué le tarif zéro pour cent quatrevingt-dix types de produits fabriqués par 28 pays africains les moins développés et
exportés vers le marché chinois ; et entre 2004 et 2006, le nombre d‟Africains qui ont
reçu une formation fournie par la Chine a dépassé dix mille. Au total, la Chine est
devenue le troisième partenaire commercial de l‟Afrique après les États-Unis et la
France.
Au niveau des importations, la Chine a importé du continent africain près de
30% de ses besoins pétroliers, 21% de son coton et un tiers de son manganèse,
notamment. De ce fait, l‟énergie constitue une part importante de la coopération
sino-africaine car la Chine est devenue, depuis 2003 le deuxième consommateur de
produits pétroliers dans le monde après les États-Unis. Selon les estimations de
certains experts économiques, comme deuxième consommateur de brut de la planète,
plus de 25 % des importations de pétrole proviennent du golfe de Guinée et de
l‟hinterland soudanais. La demande a dépassé les 5,56 millions barils/jour, tandis
que d‟autres prévisions montrent que la consommation chinoise dépassera les 12 mbj
d‟ici à 2025 et 60 % de l‟énergie consommée proviendront des importations.
Lors de la première session du Forum sino-africain, tenu à Pékin, la Chine
s‟était engagée à annuler, en totalité ou en partie, la dette, pour un montant de 1,27
milliard de dollars, de trente-deux pays africains comptant au nombre des pays les
moins avancés.
L‟accroissement du volume des transactions va progressivement dicter la
nécessité d‟avoir une base référentielle solide de cette coopération rapidement
ascendante.
330
2°) Forum sur la Coopération sino-africaine : Plan d'Action de
Beijing (PAB) 2007-2009
Il a été institué un Forum sur la coopération sino-africaine en 2000 à Beijing
comme un cadre permanent pour une nouvelle ère de la coopération. Depuis six ans,
ce forum est devenu un mécanisme efficace de dialogue collectif et constructif. En
effet, la préoccupation de la Chine a toujours été d‟établir et de développer un modèle
de partenariat stratégique avec l‟Afrique, basé notamment sur l‟égalité et la confiance
réciproque sur le plan politique, la coopération conduite dans l‟esprit gagnantgagnant sur le plan économique et le renforcement des échanges sur le plan culturel.
En définitive, cette orientation procède d‟une volonté d‟entretenir, tout d‟abord, une
amitié sincère, de traiter d‟égal à égal et d‟accepter, ensuite, les cinq principes de la
coexistence pacifique c‟est-à-dire, entre autres, respecter le libre choix des pays
africains quant à leur voie de développement et soutenir les pays africains dans leurs
efforts tendant à s‟unir pour accroître leur puissance.
Lors du Forum sur la Coopération durant les trois années à venir, les deux
parties, en conformité avec le principe de « l'an 2006 et pour concrétiser les résultats
obtenus et planifier la coopération globale pour l‟amitié, la paix, la coopération et le
développement », ont élaboré ensemble et adopté à l'unanimité un Plan d'action
dénommé « Plan d‟Action de Beijing sur la période 2007-2009 ».212 Il comporte 4
volets : politique, économique, affaires étrangères et développement social.
Le volet politique du PAB propose aux deux parties « de procéder
régulièrement à des échanges de vues sur les relations bilatérales et les grands
dossiers internationaux et régionaux, de se concerter et de coopérer étroitement, et
de partager leurs expériences en matière de gouvernance pour réaliser leur
développement partagé et leur progrès commun ». Il comprend 4 mécanismes relatifs
à la consultation et à la coopération ;
aux échanges entre les organes et les autorités locales ;
coopération consulaire et judiciaire ;
coopération entre la Chine et l‟Union Africaine et les organisations régionales
africaines.
Le Programme insiste sur la coopération sino-africaine et « le Nouveau
Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD), avec la détermination de
renforcer cette coopération et d'en explorer les nouveaux moyens et domaines
concrets ».
Le volet économique revêt une très grande importance pour les deux parties et
on en comprend parfaitement les raisons. Elles devront œuvrer pour intensifier la
coopération entre les PME chinoises et africaines, promouvoir le développement des
industries en Afrique et renforcer les capacités de production et d'exportation des
pays africains. Il est alors défini 7 domaines de coopération avec par moments des
propositions concrètes :
l‟agriculture qui est considérée comme secteur prioritaire car elle contribue à
l'élimination de la pauvreté, à la promotion du développement et à la garantie
de la sécurité alimentaire ;
Investissements et entreprises ;
Commerce ;
À l‟ouverture du Sommet africain placé sous le thème : « Amitié, Paix, Coopération et
Développement », le Président de la Commission de l‟UA Alpha Oumar KONARE a déclaré : «Ce
sommet va, j'en suis convaincu, développer et renforcer le partenariat stratégique entre la Chine et
l'Afrique. Nous en avons la volonté. Nous en avons les moyens»,
212
331
Les finances ;
Les infrastructures ;
Les énergies et les ressources naturelles ;
La science et technologies de l‟information et le contrôle de la qualité des
produits.
En ce qui concerne la composante finance, « la partie chinoise encourage les
institutions financières chinoises à ouvrir davantage de filiales en Afrique. La partie
africaine est prête à fournir l'assistance nécessaire à cet égard et souhaite le succès de
la Conférence annuelle en 2007 de la Banque Africaine de Développement qui sera
organisée par la Chine ». Cette rencontre s‟est effectivement déroulée lors de
l‟Assemblée annuelle de la BAD de 2007. La partie chinoise précise que ce sous-volet
financement peut prendre « la forme de financement direct du projet, octroi de
lignes de crédits aux institutions financières africaines pour reprêter aux entreprises
de joint ventures des investisseurs africains et chinois, co-financement des projets
des institutions financières chinoises et africaines, et les financements structurés du
commerce».
Pour l‟énergie, la partie chinoise « accorde une haute importance à ce que cette
coopération aide les pays africains à transformer leur avantage en matière d'énergie
et de ressources naturelles en un avantage pour le développement, à protéger leur
environnement écologique et à promouvoir leur développement économique et social
pour qu‟elle soit durable »
Dans l‟important domaine des infrastructures, « Les deux parties notent le fait
que la construction des infrastructures joue un rôle primordial dans le
développement des pays africains. La Chine possède des technologies et des
expériences qui répondent aux besoins de l'Afrique. La coopération entre les deux
parties est donc prometteuse. Elles sont d'accord pour désigner, comme par le passé,
la construction des infrastructures, en particulier les communications, les
télécommunications, les travaux hydrauliques et l'électricité comme domaines clés de
leur coopération ». Toutefois, il est demandé aux africains d‟« ouvrir davantage ce
secteur et de favoriser la participation des entreprises chinoises à la construction des
infrastructures en Afrique, en leur fournissant les assistances et facilités
nécessaires ».
Concernant la science et la technologie, il est décidé qu‟ « En conformité avec
les principes du respect mutuel, de la complémentarité et du gagnant-gagnant, les
deux parties développeront une coopération en matière d'application des acquis
scientifico-technologiques, de mise au point des technologies et de transfert des
acquis. La Chine continuera à organiser, en faveur des pays africains, des stages de
formation sur les techniques pratiques et lancer des programmes de démonstration
de technologies, pour promouvoir en Afrique la vulgarisation et l'application de ses
acquis scientifico-technologiques et de ses techniques pratiques ».
Les autres volets ne comportent pas d‟originalité particulière. Il demeure
cependant que certains engagements chinois sont assez remarquable comme : la
poursuite des annulations des dettes, la nécessité de contribuer très fortement à la
revalorisation des ressources humaines par l‟octroi annuellement de 2000 à 4000
bourses d‟études et de formation ? Le tourisme sera encouragé et élargi. Enfin, dans
le domaine de la santé, « Les deux parties expriment leur satisfaction devant les
résultats de leur coopération médicale depuis la 2ème Conférence ministérielle du
Forum. Les pays africains concernés sont très reconnaissants aux membres des
équipes médicales chinoises en Afrique en raison de leur dévouement afin de sauver
les mourants et de soigner les blessés dans des conditions difficiles, et s'engagent à
332
mettre en place des conditions de travail et de vie convenables pour les équipes
médicales chinoises ».
Même si le PAB ne comporte aucune conditionnalité, le Ministre Chinois du
Commerce semble adroitement en soulever quelques unes sous forme de souhaits. En
effet, il note que « Les efforts déterminés pour enlever les barrières du commerce et
de l‟investissement, les pays africains peuvent attirer plus d‟IDE et augmenter les
opportunités pour la coopération financière et économique. L‟Afrique doit, donc,
essayer :
De terminer les conflits civils qui créent la perception de grands risques
politiques de manière à augmenter leurs attirances pour les investissements ;
D‟approfondir ou restaurer la stabilité de la macroéconomie pour améliorer le
climat général d‟investissement ;
De chercher la coopération et l‟intégration régionales pour étendre le marché
domestique et encourager les investissements directs étrangers sur des plus
larges domaines ;
De développer le régime d‟investissement plus ouvert et basé sur le marché,
surtout par l‟élimination des réglementations excessives et discriminatoires ;
D‟étendre les infrastructures physiques, financières, humaines et
institutionnelles ;
De pratiquer les politiques favorables au marché de main-d‟œuvre pour
réduire le coût général de la production ».
II/ Les leçons pour l’Afrique de l’expérience et la consolidation du
partenariat avec la Chine
Le modèle chinois
de développement et de coopération est riche
d‟enseignement pour les pays africains : deux méritent une grande attention : la
réussite des réformes amples et rapides pour édifier une économie de marché
performante et le nouveau modèle de coopération dynamique fondé sur les bénéfices
mutuels.
Sur le premier point, concernant les réformes pour le développement
économique et social, la Chine a réussi en une décennie à construire une économie
de marché performante alors que l‟Afrique a expérimenté dans la douleur sociale plus
de deux décennies d‟ajustement libéral sans aucun succès notable, sinon celui d‟avoir
approfondi le couple infernal pauvreté et chômage. En effet dans les années 70, la
Chine et l‟Afrique ne présentaient pas des écarts frappants en termes de niveau de
développement et de vie. Aujourd‟hui, la Chine avec une croissance soutenue et au
taux plus élevé est parvenue au rang de quatrième puissance économique mondiale.
Pendant ce temps, l‟Afrique avec ses énormes potentialités naturelles n‟arrive point à
décoller économiquement. Sans entrer dans le fond du débat, on peut retenir que
cette expérience chinoise fait l‟objet d‟une littérature trop abondante avec des
évaluations fortement controversées où l‟idéologie le dispute souvent aux analyses
techniques rigoureuses et sérieuses.
Sans entrer dans le fond du débat, on peut observer au moins trois éléments
qui, soit n‟existent pas, soit alors ils dysfonctionnent
complètement en
Afrique : d‟abord, l‟élément relatif à l‟existence d‟une stratégie claire de
développement économique et sociale et une vision précise des réformes pour sa mise
en œuvre, ensuite, l‟élément concernant l‟implication et la mobilisation des acteurs et
enfin l‟élément touchant la volonté politique incarnée par un État fort. La présence de
333
ces éléments est déterminante dans la réussite des réformes. À y regarder de près,
ces éléments ont toujours été l‟objet de débats au sein du Parti Communiste Chinois
depuis sa création. Le point de départ est toujours le rejet de l‟universalisme stalinien
et s‟exprime dans des visions formulées à MAO TSE TOUNG : la question de la
démocratie nationale, « que milles écoles rivalisent et que mille fleurs fleurissent »,
« un pays deux systèmes » et « marcher sur deux jambes ». Cette formule traduit la
volonté d‟élaborer une politique de développement qui permette de jouer sur tous les
tableaux de la vie économique. Les réformes en Chine sont discutées puis traduites
en objectifs précis et exécutées sous la direction du Parti Communiste qui utilise
l‟État comme instrument technique. À la différence de l‟Afrique les réformes sont
conçues par l‟Extérieur et ne sont même pas internalisées par les acteurs chargés de
les exécuter. Il se pose alors la capacité de définir des orientations claires, de désigner
les acteurs et le régulateur c‟est-à-dire l‟État comme instrument efficace et
polyvalent. De manière plus ponctuelle, les réformes ont mis l‟accent sur le cadre
macroéconomique, sur les possibilités du marché domestique et extérieur, sur la
formation des ressources humaines, la politique d‟attractivité des IDE, l‟utilisation de
la science et de la technologie etc. La volonté politique est clairement exprimée par
les instances dirigeantes du Parti qui assurent le contrôle de l‟exécution des réformes
décidées.
Sur le second point, le nouveau partenariat avec la Chine offre une alternative
à l‟échec de la coopération avec les pays du Nord. Sa spécificité et son avantage
proviennent d‟une part du fait que la Chine n‟ait pas été une puissance coloniale et
d‟autre part de la complémentarité entre les deux économies. Le nouveau modèle
chinois de coopération du « win-win » (gagnant-gagnant) ou encore du « bénéfice
mutuel » doit être mis à profit par les africains pour construire d‟autres systèmes
productifs à partir des transferts de technologie et l‟industrialisation, ce qui viendrait
en échange des matières premières. Le nouveau partenariat bien exploité pourrait
contribuer à stabiliser le marché mondial des matières premières. Enfin les
externalités positives doivent être optimisées : en contrepartie d‟un accès aux
ressources naturelles, l‟industrialisation ainsi que le transfert de technologie sont des
minima exigibles par les parties africaines. La concurrence sauvage que livre les
produits chinois, doit faire également l‟objet d‟une attention particulière». Enfin, à
l‟image de l‟Union Européenne, l‟Afrique peut utiliser sa position de pourvoyeuse de
matière première pour négocier avec la Chine des dérogations aux règles de l‟OMC ».
Bien évidemment, les États africains ne pourront bénéficier de façon optimale du
nouveau cadre de coopération que s‟ils arrivent à constituer un vaste marché africain
en lieux et place des « micromarchés » nationaux.
Section 4 : Quelles leçons tirer de ces partenariats et comment
gérer l’ambitieuse stratégie planétaire de réduction de la
pauvreté ?
I/ Les attentes générales des offres de partenariat.
La problématique des relations de partenariat entre l‟Afrique et les grandes
puissances économiques ne pouvait être plus ardue. Outre le fait qu‟il existait déjà
des relations inégalitaires, se pose aujourd‟hui la menace de la mondialisation. Or, les
économies africaines sont encore trop fragiles et doivent être impérativement
préservées de certains chocs et règles extérieures si elles veulent y survivre. Aussi, des
334
mesures doivent être prises aussi bien par la communauté extérieure que par les
africains eux-mêmes.
Tout d‟abord, le continent doit exploiter les partenariats dans le sens de la
consolidation d‟une double diversité : celle des partenaires et celle des
investissements et des produits proposés. La diversité des partenaires est sans doute
le préalable à toute relation égalitaire, en donnant la possibilité de mieux choisir en
tenant compte des coûts d‟opportunité. Ainsi, « l‟arrivée » du partenariat chinois doit
être comprise comme une grande opportunité, à condition toutefois d‟en définir
clairement les modalités en fonction des leçons tirées des coopérations passées avec
de vieux partenaires.
Ensuite, il faut reconnaitre que l‟Afrique bénéficie d‟un accès important aux
marchés extérieurs grâce aux systèmes de préférence, mais a manifestement, elle a du
mal à en bénéficier. Il reste à développer des facteurs de compétitivité. De plus, cet
accès peut être amélioré de deux manières :
Une amélioration de la capacité de l‟Afrique de participer au commerce en
éliminant les facteurs de blocage internes, mais aussi en améliorant
l‟environnement économique pour les agriculteurs et les entreprises. Cela
devrait passer par « d‟importants investissements d‟aide de la part des
donateurs internationaux, l‟objectif étant que l‟Afrique puisse produire et
vendre de manière compétitive. »213
Une amélioration de l‟accès de l‟Afrique aux marchés du monde riche par une
meilleure adaptation.
Enfin, resurgira l‟éternelle question de l‟intégration : il est évident que
l‟Afrique balkanisée ne pourra jamais obtenir une négociation juste avec les grands
blocs économiques du monde. L‟intégration régionale, voire totale, devient donc un
impératif à plus d‟un titre.
II/ Le recentrage autour de la réalisation des objectifs du développement
humain avec une contractualisation du développement.
Les RMDH offrent une bonne grille de lecture qui permet d‟éviter l‟engrenage
des Écoles de pensées et leurs controverses pas toujours adossées au réel. Ces RMDH
depuis 1990 insistent en permanence que le défi majeur des PVD est la réduction de
la pauvreté et des inégalités voire son éradiquation. Les modèles économétriques
utilisés font le lien entre croissance (exprimée en termes d‟investissements
productifs) et réduction de la pauvreté.
213
Rapport CEA 2005.
335
Figure 18
1°) Les politiques économiques et sociales doivent être
orientées vers l’objectif prioritaire de réduction de la
pauvreté.
Pendant une bonne décennie, les RMDH se sont attelés à la conception et à la
construction d‟indicateurs de mesure et de comparaison des niveaux de pauvreté et
de développement humain dans le monde, lesquels dépassent le cadre restrictif du
PNB. L‟élaboration de ces indicateurs a permis de mesurer l‟énorme retard des pays
d‟Afrique subsaharienne en matière de développement humain et conséquemment,
l‟état de la pauvreté.
336
Tableau 38 : Indicateurs économiques et sociaux dans le monde
Pays de l‟OCDE
PIB/hbt en
Espéra
1998 (en francs nce de vie
français de 1999)
(en
années)
134 000
76,4
Taux
d‟alphabétisation des H
plus de 15 ans (en %)
97,4
0,89
Europe de l‟Est et 40 900
CEI
68,9
98,6
0,78
Amérique Latine
43 000
69,7
87,7
0,76
Asie de l‟Est (Chine 23 500
incluse)
70,2
83,4
0,72
Pays arabes
27 300
66
59,7
0,63
Asie du Sud (Inde 13 900
incluse)
63
54,3
0,56
Afrique
subsaharienne
10 600
48,9
58,5
0,46
du 43 000
66,9
78,8
0,71
Ensemble
monde
ID
Source : Rapport mondial sur le développement humain, 2000
Le RMDH de 2000 le révèle : l‟IDH de l‟Afrique subsaharienne atteint en
moyenne 0,46, ce qui traduit un gap de 0,536 en termes de développement humain.
Depuis 1990, environ 35 des 50 pays classés derniers en fonction de l‟IDH sont
africains. Compte tenu de l‟aggravation de la pauvreté et des inégalités dans le
monde, et particulièrement dans les PVD, il apparaît aujourd‟hui nécessaire d‟aller
au-delà de l‟aspect statistique des analyses menées pour adopter une démarche
dynamique qui fasse le lien entre ces indicateurs de qualité de vie et le profil de la
croissance économique.
Le bilan de plus d‟une décennie de recherche et de lutte contre la pauvreté est
fortement contrasté. Les actions de lutte contre la misère et la famine ont donné
quelques résultats positifs indéniables avec l‟augme