Economie du Développement Références africaines.
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Economie du Développement Références africaines.
Economie du Développement Références africaines. Professeur Moustapha Kassé Tome 2 1 ACRONYMES ET ABREVIATIONS ACDI : ACP : ACR : AFL : AGOA : AID : AIE : ALENA : AOC : APD : APE : ASEAN : ATTAC : Agence Canadienne de Développement International Afrique, Caraïbes et Pacifique Accords de Coopération Régionale Acte final de Lagos African Growth and Opportunity Act. Association Internationale de Développement Agence Internationale de l‟Énergie Accord de Libre Échange Nord-Américain Afrique de l'Ouest et du Centre Aide Publique au Développement Accords de Partenariat Économique Association des Pays du Sud-Est Asiatique Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l‟Aide aux Citoyens BAD : Banque Africaine de Développement BCE : Banque Centrale Européenne BCEAO : Banque Centrale des États de l‟Afrique de l‟Ouest BEI : Banque Européenne d‟Investissement BIRD : Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement BM : Banque Mondiale BRI : Banque des Règlements Internationaux BRVM : Bourse des Valeurs Mobilières d‟Afrique de l‟Ouest BVA : Bourse des Valeurs d‟Abidjan CAD : Comité d‟Aide au Développement CADTM : Comité pour l‟Annulation de la Dette du Tiers-monde CAPC : Centre Africain de Politique Commerciale, Projet de la CEA CARPAS : Cadre de Référence pour les Politiques d‟Ajustement Structurel CCCI : Conseil Consultatif International sur le Coton CEA : Communauté Économique pour l‟Afrique de l‟Est CEDEAO : Communauté Économique des Etats de l‟Afrique de l‟Ouest CEEAC : Communauté Économique des Etats de l‟Afrique Centrale CEPAL : Commission Économique pour l‟Amérique Latine et les Caraïbes CEMAC : Communauté Économique et Monétaire de l‟Afrique Centrale CEPGL : Communauté Économique des Pays des Grands Lacs CER : Communautés Économiques Régionales CN : Comptabilité Nationale CNUCED : Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement CODESRIA : Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences sociales en Afrique COMESA : Marché Commun des Etats de l‟Afrique de l‟Est et de l‟Afrique Australe CPCM : Comité Consultatif Permanent du Maghreb DIT : Division Internationale du Travail DRT : Division Régionale du Travail DSRP : Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté DTS : Droits de Tirage Spéciaux EBE : Excédent Brut d‟Exploitation ECOMOG: Economic Community of West African States Cease-Fire Monitoring FAO : Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture 2 FASR : FBCF : FCFA : Facilité d‟Ajustement Structurel Renforcé Formation Brute de Capital Fixe Initialement Franc des Colonies Françaises d'Afrique actuellement Franc de la Communauté Franco-Africaine. FED : Fonds Européen de Développement FMI : Fonds Monétaire International FTN: Firmes Transnationales GATT: General Agreement on Tariffs and Trade GEAO : Groupe Économique d‟Asie Orientale IADM : Initiative d‟Allègement de la Dette Multilatérale IDE : Investissement Direct Étranger IDEP : Institut Africain de Développement Économique et de Planification IDH : Indice du Développement Humain IES : Infrastructures Économiques et Sociales IFAN : Institut Fondamental d‟Afrique Noire IFI : Institutions Financières Internationales IPE : Industrialisation par Promotion des Exportations ISI : Industrialisation par Substitution aux Importations MAP: Millennium Partnership for the African Recovery Programme MAEP : Mécanisme Africain d‟Evaluation par les Pairs MCA : Millennium Challenge Account MERCOSUR : Marché Commun Sud-américain NEP : Nouvelle Politique Économique NEPAD : Nouveau Partenariat pour le Développement de l‟Afrique NPI : Nouveaux Pays Industrialisés NOEI : Nouvel Ordre Économique International OCDE : Organisation de Coopération pour le Développement Économique OIT : Organisation Internationale du Travail OMC : Organisation Mondiale pour le Commerce OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement OGM : Organismes Génétiques Modifiés ONG : Organisation Non Gouvernementale ONU : Organisation des Nations Unies ONUDI : Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel OPEP : Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole OUA : Organisation de l'Unité Africaine PAB : Plan d'Action de Beijing PAC : Politique Agricole Commune PANPP : Pays Africains Non Producteurs de Pétrole PAL : Plan d‟Action de Lagos PAS : Politiques d‟Ajustements Structurels PAZF : Pays Africains de la Zone Franc PDB : Produit Domestique Brut PDN : Produit Domestique Net PED : Pays en Développement PIB : Produit Intérieur Brut PIN : Produit Intérieur Net PL : Plus Value PLOM : Plan Omega PMA : Pays les Moins Avancés 3 PME : PMI : PNB : PNUD : PPA : PPTE : PSD : PST : PVD : RN : SACU : SADC : SEBC : SFD : SME : SMI : SMR : SGP : TCEN : TCER : TEE : TEP : TIC : TPE : TSA : UA : UDAA : UE : UEM : UEMOA : UFM : UMA : UNFPA : USAID : VAB : VAN : ZEP : ZMO : Petites et Moyennes Entreprises Petites et Moyennes Industries Produit National Brut Programme des Nations Unies pour le Développement Parité de Pouvoir d'achat Pays Pauvres Très Endettés Pays Sous-développés Politique Scientifique et Technique Pays en Voie de Développement Revenu National Union douanière d'Afrique Australe Communauté pour le Développement de l‟Afrique Australe Système Européen de Banques Centrales Systèmes Financiers Décentralisés Système Monétaire Européen Système Monétaire International Système Monétaire Régional Système Généralisé de Préférences Taux de Change Effectif Nominal Taux de Change Effectif Réel Tableau Économique d‟Ensemble Tonne Équivalent Pétrole Technologies de l‟Information et de la Communication Taux de Protection Effective Tous Sauf les Armes Union Africaine Union Douanière de l‟Afrique Union Européenne Union Économique et Monétaire Union Économique et Monétaire Ouest-Africain Union du Fleuve Mano Union du Maghreb Arabe Fonds des Nations Unis pour la Population United States Aid Valeur Ajoutée Brute Valeur Actualisée Nette Zone d‟Échanges Préférentiels Zone Monétaire Optimale 4 5 Les difficultés actuelles de la plupart des pays africains dont les manifestations les plus tangibles résident dans les déséquilibres économiques et financiers chroniques et l‟accentuation des déficits vivriers, trouvent leur origine lointaine dans les structures héritées de la colonisation que les politiques et stratégies de développement post indépendance n‟ont pu modifier profondément. Parmi les nombreuses caractéristiques économiques échues de la colonisation qui ont induit des conséquences économiques et sociales trois, au moins, méritent d‟être soulignées : D‟abord le système d‟accumulation productive fondé sur la rente agricole et minière continue d‟entraîner des distorsions structurelles très prononcées qui se manifestent dans l‟accentuation de la spécialisation en faveur des activités exportatrices (d‟origine agricole et minière) et le fonctionnement d‟un modèle industrialisation en faveur de branches et techniques légères peu compétitive et souvent destinée principalement au marché local; Ensuite la formation d‟un déficit alimentaire aggravé par une démographie galopante et une urbanisation accélérée ; ce déficit est la conséquence de la quasi faillite des politiques agricoles qui ont favorisé les cultures de rente au détriment des cultures vivrières1 et produit un exode rural massif constituant la gangrène urbaine ; L‟accentuation des défaillances de caractère macroéconomique (double déficit de la balance des paiements et des finances publiques) et macro financiers (inflation, endettement interne et externe) suite aux faibles performances des systèmes productifs et à la précarité des bases de l‟accumulation productive (déficit d‟épargne). Ces déficits se résolvent par recours à l‟endettement et aux capitaux extérieurs, deux phénomènes qui font de l‟économie mondiale une réalité ultime. Les solutions, sous plusieurs angles, passent par la formulation et la mise en œuvre de politiques économiques d‟accroissement de l‟offre de production permettant la création d‟un flux abondant de richesses en vue de la réalisation du bien-être des populations. Faut-il le rappeler, la politique économique est précisément l‟ensemble des actions délibérées de l‟État qui visent à réaliser un certain nombre d‟objectifs économiques et sociaux parmi lesquels figurent pour les PSD, la croissance du PIB et du niveau de vie, l‟utilisation optimale des ressources naturelles et de la main d‟œuvre, l‟équilibre des échanges et des paiements extérieurs, la stabilité des prix. Dans cette optique, la politique est dite sectorielle ou encore structurelle lorsqu‟elle porte sur des secteurs d‟activités comme l‟agriculture, l‟industrie, les services, le commerce avec pour objectifs de rendre durablement plus efficient l‟appareil productif sur une période longue qui peuvent modifier à moyen et long terme le fonctionnement de l‟économie. Les théories et les analyses, prenant appui sur l‟exemple des pays développés, où l‟accumulation et la mobilisation du capital physique sont apparues comme les facteurs décisifs du développement agricole et industriel, proposent des stratégies et politiques économiques que doivent suivre les États pour élever le niveau de leurs forces productives matérielles et humaines à partir d‟investissements massifs dans les secteurs d‟activité porteurs de croissance comme les infrastructures de base, l‟agriculture, l‟industrie, le tertiaire, la technologie etc. Parmi les éléments caractéristiques de ces stratégies et politiques de développement se détachent sans aucun doute, les politiques agricoles, industrielles Le phénomène est bien connu : les pays produisent essentiellement ce qu‟ils ne consomment pas et consomment conséquemment ce qu‟ils ne produisent pas. 1 6 et technologiques, la politique commerciale ainsi que la contribution de l‟État à la création d‟un ensemble d‟externalités positives sans lesquelles ces diverses politiques seront difficiles et beaucoup trop onéreuses pour les diverses entreprises privées et publiques. Au demeurant, toutes ces politiques auxquelles s‟ajoutent le maintien d‟une économie monétaire, bancaire et fiscale qui stimule le développement et élève substantiellement les taux d‟épargne et d‟investissement, la diversification de la production et les incitations pour l‟affluence des IDE, devraient permettre d‟asseoir les bases d‟une économie moderne et d‟augmenter les surplus mobilisables pour le financement des investissements productifs. Au seuil du 21ème siècle, la production moyenne africaine était inférieure à ce qu‟elle était 30 années auparavant. Selon la Banque mondiale, dans certains pays, elle avait même chuté de plus de 50%. Dans de nombre d‟entre eux, les ressources financières en chiffres absolus par habitant étaient plus faibles qu‟à la fin des années 60. La part africaine au commerce mondial a reculé et compte pour moins de 2%. « De plus l‟Afrique est restée à la marge de l‟expansion industrielle et elle risque de rater la Révolution informatique mondiale avec le creusement du fossé numérique. Contrairement à d‟autres pays qui ont opté pour la diversification, la plupart des pays africains demeurent en bonne partie des exportateurs de produits primaires. Ces pays dépendent aussi de l‟aide et sont extrêmement endettés »2. La quasi-totalité des pays africains, techniciens comme les décideurs politiques adhèrent aux orientations et options faisant de l‟agriculture le secteur prioritaire avec trois objectifs majeurs: La formation de surplus pour alimenter le fonds d‟accumulation et contribuer au financement des importations de biens d‟équipement et de consommation intermédiaire ; La couverture des besoins vivriers et autres biens destinés à d‟autres secteurs; L‟élargissement du marché national par les revenus distribués aux producteurs directs ; La libération d‟une partie de la main d‟œuvre pour d‟autres activités suite à un accroissement de la productivité du travail par actif rural et par surface cultivé. L‟ampleur actuelle du retard des PSD est liée dans une très grande mesure à des facteurs démographiques qui compliquent considérablement les problèmes avec un doublement de la population tous les 20 ans. La population augmente et demeure principalement rurale, l‟intensification de l‟agriculture est extrêmement lente dans la plupart des PSD. Le retard de l‟agriculture entraîne à son tour une pénurie aiguë de produits alimentaires que les pays doivent importer en quantités croissantes. Cette aggravation du problème alimentaire a aussi une incidence négative sur l‟industrialisation car premièrement, une part toujours plus importante des recettes en devises est employée à l‟achat de produits alimentaires à l‟extérieur et, deuxièmement, la nécessité d‟accroître la production agricole nationale restreint les investissements dans l‟industrie. Le problème alimentaire concerne avant tout le monde sous-développé où des millions de personnes souffrent de la sousalimentation et de la disette. Certains États disposent de richissimes ressources minérales et énergétiques et possèdent en même temps une base extrêmement restreinte de croissance économique avec un niveau scientifique et technique extrêmement bas. Malgré leurs immenses richesses les populations les États ne profitent pas des acquis de la Révolution Scientifique et Technique. La dynamique de la productivité du travail n‟est pas non plus à l‟avantage des PSD. La part de ces pays dans les dépenses de recherche développement n‟est qu‟un peu plus de 4%. 2 Banque mondiale : L‟Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle p.11 7 L‟agriculture se voit impartir des fonctions socio économique exorbitantes et pour les réaliser des réformes profondes du secteur s‟avèrent indispensables. Il y a un peu plus d‟une quarantaine d‟années, la situation alimentaire était catastrophique en Asie suite à une gestion désastreuse du secteur agricole et largement excédentaire en Afrique. Aujourd‟hui, elle s‟est totalement inversée avec « des greniers pleins en Asie et vides en Afrique. Cette nouvelle donne a une triple signification : elle est un cri d‟alarme, une mise en garde et un massage d‟espoir. En une quarantaine d‟années, l‟Asie a entrepris d‟immenses réformes agraires et mis en culture 70 millions d‟hectares, exactement l‟équivalent des terres cultivées en Afrique. Cette production céréalière a augmenté de 175% dans la période alors que celle de l‟Afrique s‟est accrue de seulement 17%. Toutefois, les performances asiatiques apportent la preuve que l‟Afrique qui a plus de dotations factorielles peut s‟en sortir à condition de mettre en œuvre des stratégies vigoureuses de développement agricole3. Cela suppose entre autres mesures : moderniser les méthodes culturales, implanter un régime de prix incitatifs, conserver dans les zones rurales une offre illimitée de main d‟œuvre qui doit contribuer à maintenir les salaires à un niveau très bas, créer un module de développement et une forme de distribution qui permette de transférer une partie des surplus vers les villes et enfin accélérer la formation et l‟expansion du marché intérieur, à travers une offre croissante de multiples produits commerciaux. Qu‟en est-il de l‟industrialisation que la théorie économique désigne comme la voie royale de création de capacités productives ? Les théories économiques tentent d‟établir que l‟industrialisation doit être un objectif majeur car elle autorise : la valorisation des matières premières locales, et partant, l‟accroissement de la valeur ajoutée pour la quasi-totalité des agents économiques, la résorption du sous emploi, et une augmentation du savoir faire, du savoir quoi faire des acteurs. Toutefois, compte tenu du stock limité des capitaux physiques et humains, de la diversification des tissus industriels et des nouvelles spécialisations, des formes multiples de délocalisation, la question qui se pose est de savoir quel modèle d‟industrialisation adopter ?4 La question est d‟autant plus importante que le modèle d‟import substitution a produit de médiocres résultats avec de faibles liaisons avec les autres secteurs notamment l‟agriculture. La réponse asiatique a été la réalisation d‟une transition de l‟Industrialisation de substitution aux importations à l‟industrialisation par promotion des exportations. Comment réaliser les principales articulations : Agriculture/industrie, Industries légères/industries lourdes, Techniques fortes consommatrices de main d‟œuvre /techniques à forts coefficients capitalistiques ? Un volet important du développement concerne la politique technologique qui est une question transversale. En fait les innovations technologiques de plus en plus nombreuses et rapprochées bouleversent complètement les systèmes productifs et modifient profondément les conditions de la compétitivité. Cela fait dire à KONDRATIEF et J. SCHUMPETER que ces révolutions techniques qui apparaissaient une ou deux fois par siècle engendraient les grands cycles de la vie économique. Dans cette période de mutations technologiques accélérées avec une diffusion verticale rapide de la recherche vers l‟application et une diffusion horizontale également rapide d‟un secteur à l‟autre, la question se pose pour les PSD Moustapha KASSÉ : L‟État, le technicien et le banquier face aux défis du monde rural, Éditions NEA Dakar, 1994 4 En voie d‟édition : Moustapha Kassé : l‟industrialisation est-elle encore possible ? Editeur : Presses Universitaires du Sénégal 3 8 de savoir comment gérer cette nouvelle variable qui peut hâter le développement ou alors les larguer complètement dans la compétition mondiale. Cette Partie étudie aussi d‟autres politiques qui soutiennent les politiques sectorielles à proprement parler comme la politique monétaire, la politique commerciale et la politique de recours à l‟endettement Extérieur, aux Investissements Directs Étrangers et à l‟Aide Publique au Développement pour combler le déficit de financement interne dû à la faiblesse de l‟épargne domestique. 9 CHAPITRE 15 L’AGRICULTURE PEUT-ELLE ETRE LE MOTEUR DE LA CROISSANCE ET DU DÉVELOPPEMENT ? Dans les premières étapes de l‟industrialisation, particulièrement en Europe au siècle, l‟agriculture a été le facteur primordial du développement économique et social. Dans la plupart des pays, plus de la moitié de la population vivait directement de l‟agriculture qui fournissait la partie essentielle de la production. Il est donc évident que le développement global suppose et débute souvent avec le développement de l‟agriculture. La génération d‟un surplus agricole (au-delà de ce qui est nécessaire pour nourrir les travailleurs du secteur) a permis de financer l‟industrialisation en lui fournissant les gains de devises. L‟expérience historique montre d‟ailleurs que toutes les révolutions industrielles en Europe comme en Asie ont été précédées par d‟importantes révolutions agraires. Plus près de nous, en Asie, l‟agriculture se trouve à l‟origine de l‟industrialisation. Après avoir réalisé sa réforme agraire, le Japon a transformé toutes ses colonies d‟Asie en colonies agricoles productives et prioritairement en greniers à riz. L‟agriculture conditionnait les investissements dans le secteur industriel naissant et bénéficiait d‟importantes infrastructures de base : énergie hydro-électrique, infrastructures de transport et de communication, infrastructures portuaires. Tout cela avait été précédé par une confiscation des terres des hobereaux locaux par l‟administration coloniale. Après leur libération, ces pays ont continué de faire de l‟agriculture la clef de leur stratégie de développement. En définitive, les rendements agricoles ont souvent été supérieurs au croît démographique, ce qui n‟est pas le cas en Afrique. Globalement dans les PSD, l‟agriculture occupe une place centrale et exerce des fonctions importantes. Elle est souvent la principale source d‟activités économiques et sociales et la plus grande pourvoyeuse d‟emplois grâce à une maind‟œuvre abondante et peu formée. Également, elle est la première source de revenus dans les zones rurales où vivent encore actuellement la majorité des pauvres. En effet, malgré cette importance capitale et ses multiples incidences sur le PIB, l‟emploi, et la balance commerciale, les statistiques établissent d‟une part, que le niveau de vie de la paysannerie reste encore très faible et qu‟il ne cesse de se détériorer et d‟autre part, que les niveaux de productivité et le degré d‟utilisation des facteurs modernes de production reste assez modeste. En poussant un peu plus le constat, on s‟aperçoit que l‟agriculture africaine est dans une situation encore plus grave : une crise larvée aussi bien au niveau du secteur vivrier qu‟à celui des cultures de rente : baisse de la production alimentaire par tête d‟habitant, diminution des exportations de produits de rente en volume et en valeur, détérioration du niveau de vie des populations rurales complètement gagnées par la pauvreté. L‟Afrique a remplacé l‟Asie et l‟Amérique Latine dans le recours à l‟aide alimentaire. Un Rapport prospectif de la Banque mondiale (1990-2020) est encore beaucoup plus pessimiste, puisqu‟il prévoit dans l‟intervalle le doublement des importations alimentaires. Ce tableau des indicateurs comparés des agricultures d‟Afrique, d‟Asie et d‟Amérique Latine montre le retard de l‟Afrique par rapport aux deux autres continents et il révèle surtout le manque de compétitivité de ce secteur dont dépendent plus de 70% de sa population. La Banque mondiale résume la situation comme suit : En Afrique, moins de 7 pour cent de la surface cultivée sont irrigués. L‟achat d‟intrants y est limité de même que la mécanisation, les rendements de céréales (reflet de la productivité des terres consacrées à la production céréalière 19ème 10 sont inférieur à la moitié de ceux qui sont observés dans d‟autres régions en développement. Même dans le cas des tubercules et de la banane plantain qui trouvent de bonnes conditions agro écologiques en Afrique, les rendements sont inférieurs à ceux obtenus en Asie et en Amérique latine la productivité du travail n‟est pas très forte en agriculture ; dans le passé, le produit marginal du travail a été à peu près le même que le produit moyen, tandis qu‟en Asie et en Amérique Latine, le produit moyen du travail est nettement supérieur au produit. Encadre 1: Situation comparative de l’agriculture dans les 3 Continents En Afrique, moins de 7 pour cent de la surface cultivée est irriguée, l‟achat d‟intrants y est limité de même que la mécanisation, les rendements de céréales (reflet de la productivité des terres consacrées à la production céréalière sont inférieur à la moitié de ceux qui sont observés dans d‟autres régions en développement. Même dans le cas des tubercules et de la banane plantain qui trouvent de bonnes conditions agro écologiques en Afrique, les rendements sont inférieurs à ceux obtenus en Asie et en Amérique latine la productivité du travail n‟est pas très forte en agriculture ; dans le passé, le produit marginal du travail a été à peu près le même que le produit moyen, tandis qu‟en Asie et en Amérique latine, le produit moyen du travail est nettement supérieur au produit marginal (DELGADO ET RANADE 1987). En 1988 Ŕ 92 le stock de capital agricole par hectare de terre agricole en Afrique représentait environ le sixième de celui d‟Asie et moins du quart de celui d‟Amérique latine (CNUCED 1998).La sous capitalisation est liée au manque de compétitivité des produits africains sur les marchés mondiaux. D‟autres facteurs viennent encore aggraver cette situation ; coût élevé des transactions (AHMED ET RUSTAGI 1987 ; JAFFEE et MORTON 1995), faiblesse des institutions et des services de soutien (EICHER 1999) manque de diversification et d‟intégration verticale (Delgado 1998b) en conséquence, l‟agriculture africaine s‟est trouvée constamment marginalisée dans le commerce mondial (NG ET YEATS 1996) Histoire et politiques. L‟agriculture africaine est marquée par des siècles de mauvaises politiques et d‟échecs sur le plan institutionnel, et elle porte un lourd passé d‟extraction des ressources et d‟imposition fiscale dans les zones rurales. Les améliorations apportées aux politiques entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1960 n‟ont pas eu d‟effets durables. Les distorsions ultérieures de ces politiques Ŕ sous la forme d‟une évaluation des taux. Source : Banque mondiale L‟expérience montre que les agricultures des PSD n‟ont pas rempli les rôles historiques qu‟elles ont tenus ailleurs en Europe, en Asie et même dans certains pays d‟Amérique Latine. En résumé ce rôle se présente sous les fonctions suivantes : la couverture des besoins vivriers d‟une population en augmentation rapide (parfois à un taux supérieur à 2,5%) ; la formation de surplus substantiels pour l‟élargissement de ses bases sociales et matérielles, et le financement d‟autres secteurs comme l‟industrie ; la libération d‟une partie de la main-d‟œuvre pour d‟autres secteurs par suite d‟une augmentation de la productivité du travail agricole ; la formation d‟une demande de biens industriels et de services. 11 La première fonction est la plus importante et elle consiste à répondre à la demande de produits vivriers d‟une population croissante et fortement urbanisée et disposant d‟un niveau de revenu par tête qui augmente. Dans ce cadre, une production agricole stagnante entraînerait une hausse des prix alimentaires et pour le secteur industriel une hausse des salaires, ce qui réduirait d‟autant plus le potentiel d‟épargne et d‟investissement et accroîtrait les importations alimentaires Dans pareille situation, les moyens en devises disponibles pour l‟achat par exemple de biens d‟équipement industriel nécessaire à la poursuite de l‟industrialisation vont diminuer. Cette situation se présente lorsque les conditions d‟existence et de travail des paysans sont précaires, du fait de l‟archaïsme des méthodes et moyens de travail, du faible niveau de mécanisation et d‟irrigation, du bas niveau d‟utilisation des facteurs modernes de production agricole, de la faible diversification et prédominance de la monoproduction de rente , de la faiblesse des marchés urbains et de la faible consommation finale et intermédiaire de produits manufacturiers et de l‟absence de liens avec l‟industrie. Dans le cadre des PSD, le secteur vivrier est loin de répondre aux besoins en biens alimentaires d‟une population en expansion rapide et d‟une urbanisation accélérée. Ce déséquilibre en Afrique est à la base d‟une crise alimentaire aggravée par des facteurs liés aux instabilités de la nature (les sécheresses, les inondations, le péril acridien, et d‟autres calamités) et ceux découlant de la détérioration des espaces politiques avec les guerres civiles et les divers conflits qui affectent principalement les populations rurales (déportés et déplacés). À cela viendra s‟ajouter le modèle de consommation des villes qui porte principalement sur des biens importés et non produits par les systèmes agraires locaux (riz, blé et autres céréales). Quant à la deuxième fonction, elle est relative aux surplus provenant des agricultures. Ils sont déprimés d‟abord par le niveau peu rémunérateur des prix agricoles souvent fixés par les administrations publiques. Les paysans sont purement et simplement spoliés par les diverses officines de commercialisation privées ou publiques. La différence entre le prix d‟achat aux paysans et le prix de commercialisation extérieure est souvent importante. Elle se répartit entre les coûts d‟usinage et de transport, les marges de commercialisation et autres prélèvements des intermédiaires. Les producteurs directs finissent par ne percevoir qu‟environ les 2/5 du prix d‟achat. La troisième fonction concerne la libération de l‟excédent de main-d‟œuvre qui relève d‟une logique toute spécifique car elle n‟est pas commandée par une élévation de la productivité du travail agricole. En effet dans le cas des pays développés, l‟agriculture familiale a été modernisée à un moment où l'industrie et l'économie urbaine étaient en pleine expansion et pouvaient absorber sans difficulté les surplus de main d'œuvre d‟origine rurale. Également à cette période, il était possible de protéger le marché national et de subventionner l‟agriculture. Aujourd‟hui, du fait des accords internationaux signés avec les Institutions Financières Internationales, les États ne peuvent plus utiliser certains instruments de politique économique, ni continuer à soutenir et orienter de façon efficace l'agriculture et le monde rural. Conformément à leurs engagements internationaux, les États suppriment les subventions sur les intrants, les mécanismes de péréquation et de garantie des prix agricoles, éliminent les barrières non tarifaires à l'importation et baissent ou suppriment les droits perçus à l'importation de certains produits. En toute conséquence, la détérioration des conditions du travail agricole entraîne une demande de plus en plus forte d'activités et d'emplois non agricoles en milieu rural pour une population qui continue de croître. Cela crée le chômage endémique qui 12 pousse à un exode rural massif vers les centres urbains, la pauvreté urbaine étant plus attrayante que la pauvreté rurale.5. Enfin la quatrième fonction a trait à l‟élargissement du marché intérieur par les achats provenant de la population rurale. Seulement, la campagne africaine est aujourd‟hui, le siège de la pauvreté absolue qui fait que la demande rurale de biens de consommation, au regard de la faiblesse des revenus, est extrêmement étroite. De plus, on observe dans le monde rural africain un changement des habitudes de consommation en faveur des biens importés.6 Comme cela a été souvent répété (peut-être de manière simpliste), le riz et le blé sont en train de chasser, jusque dans les campagnes, les céréales et tubercules cultivés localement.7 À ce constat, diverses explications ont été proposées comme les faibles cours mondiaux, l‟insuffisance des productions céréalières locales, les effets pervers de l‟assistance alimentaire Toutes ces restrictions observées sont souvent la preuve de l‟échec des politiques agricoles et ce, malgré de nombreuses réformes structurelles et divers aménagements entrepris par les États africains : politique d‟ajustement du secteur agricole, socialisation et collectivisation des campagnes ; peu importe : les résultats dans les deux cas sont simplement décevants. En effet, ces politiques n‟ont pas réussi à réduire la pauvreté de masse, le chômage et les inégalités. Il est vrai que des réformes, si volontaristes et si pertinentes qu‟elles soient, ne sauraient remplacer une politique agraire assise sur des options claires appuyées par des institutions pertinentes de mise en œuvre. Quelles sont ces réformes entreprises et quelles sont leurs limites effectives ? Section 1 : Les médiocres résultats des réformes du secteur agricole. Dans les PSD, la terre représente la principale source de richesse et la source du pouvoir économique, politique et social. Dans ces conditions, le système de tenure tend à refléter les rapports de production et les structures de classe. Dès lors, sa restructuration, sa répartition par des règles et procédures vont impliquer des changements dans la position économique, politique et sociale des individus ou de certains des groupes dominants au sein de la société. Dans cette optique, l‟un des premiers éléments de toute réforme agraire sera d‟apporter des modifications significatives et substantielles dans le système de tenure, le régime de propriété et de contrôle des terres ainsi que des ressources en eau. Ces modifications sont posées comme préalables à la création d‟emploi et à la redistribution du revenu qui sont devenues des nécessités urgentes. En effet, deux mesures sont souvent considérées comme les préalables à toute réforme agraire : d‟une part l‟expropriation des grandes propriétés et la redistribution des terres aux cultivateurs individuels et d‟autre part la collectivisation des terres issues de l‟expropriation. Dans le premier cas la réforme est d‟obédience libérale et se Le cas du Sénégal, assez symptomatique, est analysé dans mon ouvrage : L‟État, le Banquier et le Technicien face au monde rural sénégalais » (Édit.NEA, 1992). Dans le cas qui nous intéresse, l‟application des Programmes d‟ajustement Agricole (PASA) a produit deux résultats intangibles et paradoxaux : un recul net des deux principales cultures d'exportation (l‟arachide et le coton) et une progression rapide des importations de produits alimentaires pour combler le creusement du déficit vivrier. 6 En Afrique de l‟Ouest par exemple, la consommation de riz est en train de se généraliser au point de remplacer les céréales et les féculents locaux. 7 Cette opinion doit être nuancée car ces deux biens alimentaires sont introduits différemment du point de vue quantitatif selon les pays et les régions. 5 13 propose d‟exploiter toutes les potentialités du capitalisme agraire ; dans l‟autre cas la réforme est d‟inspiration socialiste et s‟appuie sur la collectivisation et la socialisation de l‟agriculture avec une forte intervention de l‟État. Il importe alors d‟analyser ces deux modes d‟organisation du monde rural et d‟évaluer leurs performances et surtout leurs capacités à transformer économiquement et socialement le monde rural africain. I/ Les modes d’organisation et de transformation inspirés de principes du libéralisme donnent encore de médiocres résultats. La vision libérale a pour objectifs majeurs la mise en place d‟une organisation qui permette l‟établissement dans les campagnes de rapports de production et de travail capitalistes ainsi que l‟organisation de marchés libres. Ces orientations devraient se traduire par : la généralisation de la forme privative d‟appropriation des terres orientée vers la recherche de la rentabilité de l‟exploitation agricole que celle-ci soit de petite ou de grande taille ; l‟introduction de combinaisons de facteurs de production tournées vers l‟efficacité et le profit : investissements en capital, en technologie et en travail qualifié ; la formation d‟un salariat agricole. Si de telles conditions étaient réunies, le capitalisme s‟instaurerait pour impulser dans les campagnes son dynamisme propre et son mode de reproduction. Pour les libéraux, cette forme de développement agricole est mieux à même d‟exploiter toutes les opportunités et de valoriser les capacités humaines pour rendre possible la réduction de la pauvreté de masse, du chômage et des inégalités particulièrement entre villes et campagnes. Si bien que toute réforme dans le secteur agricole soulève les questions comme : qu‟est-il advenu de la pauvreté, du chômage et des inégalités ? Le comportement de ces indicateurs (réduction de la pauvreté, du sous-emploi, et accroissement des revenus), permet de juger positivement ou non les performances du développement agricole. Ainsi, si un ou deux de ces indicateurs arrive à s‟aggraver, et tout particulièrement s‟il en est ainsi des trois, alors il paraîtra hasardeux de qualifier le résultat de positif, même lorsque la croissance économique du pays (ou son revenu per capita) est appréciable. Les Réformes libérales introduites dans les campagnes ont presque toutes comme objectifs principaux l‟amélioration de ces indicateurs de performance. Il est bien évident que le développement global suppose et doit souvent débuter avec celui de l‟agriculture qui constitue l‟activité majeure de la plus grande partie de la population (entre 40 et 70%). Sans la production d‟un surplus agricole (au-delà de ce qui est nécessaire pour nourrir les travailleurs de l‟agriculture), l‟industrialisation ne peut continuer en l‟absence de sources alternatives de gains de devises. Il est donc attendu de l‟agriculture qu‟elle remplisse les fonctions motrices dans le développement économique et social en répondant, entre autres, aux besoins vivriers d‟une population en expansion rapide et d‟une urbanisation accélérée. Les régimes de propriété de la terre et les réformes de ces derniers constituent un volet important de toute réforme agraire. Alors les systèmes de tenure comprennent tous les arrangements légaux ou contractuels par lesquels la population des campagnes a accès aux opportunités de productivité de la terre. Il reflète les règles et procédures qui gouvernent les droits, devoirs, libertés et positions des individus et des groupes dans l‟usage et le contrôle des ressources de base de la terre 14 et de l‟eau. En fait, ils commandent aussi bien l‟utilisation des facteurs de production (capital, travail et technologie), l‟emploi, que la distribution des revenus dans le secteur agricole. Ils influencent le processus de formation des prix sur les marchés agricoles et le recours au crédit (sûreté). Les formes privatives introduites par les changements significatifs et substantiels dans les systèmes de tenure devraient se traduire en fait, par l‟amélioration des perspectives d‟augmentation de la production et de la productivité et pour autant que soient créées les conditions permettant l‟augmentation des investissements et du travail à travers une distribution plus équitable. Par ailleurs, cette libéralisation doit être facilitée par les services de support à l‟agriculture : crédit agricole, commercialisation, recherche, offre d‟inputs, transformation et stockage. Ainsi, pour réussir, la réforme doit être complétée par la mise en œuvre d‟une infrastructure importante dans les domaines de l‟énergie hydro-électrique, des transports, des communications, et des infrastructures routières et portuaires. Cependant, l‟analyse de la quasi-totalité des agricultures africaines montre un mauvais comportement des indicateurs de performance, ce qui dénote les insuccès des réformes introduites : perpétuation du dualisme avec la coexistence d‟un soussecteur dit moderne où évoluent les rapports capitalistes de production et un soussecteur traditionnel archaïque. Les bases du premier sont extrêmement réduites et ne manifestent aucune tendance à l‟exclusivité, même s‟il arrive parfois que des propriétaires fonciers se transmutent en capitalistes agraires et utilisent des salariés agricoles, alors que le second sous-secteur est régénérateur de formes précapitalistes avec des méthodes et techniques de production peu productives. II/ Les formes de collectivisation de l’agriculture ne font guère mieux : inefficacité de l’intervention massive de l’État et du Mouvement coopératif. Les pays qui ont appliqué ces réformes avaient pour base doctrinale que l‟édification d‟une société moderne devait s‟appuyer sur le développement prioritaire de l‟agriculture qui est le premier foyer de l‟accumulation productive. Pour l‟État, il s‟agissait d‟extorquer la rente d‟origine agricole et minière par des mécanismes divers (fiscalité, termes de l‟échange interne, manipulation monétaire et fixation des prix agricoles). 1°) intervention massive des États par le biais d’un secteur public rural devant permettre un contrôle total sur la production et la commercialisation. Les réformes inspirées des principes des divers socialismes sont largement minoritaires en Afrique. Progressivement, et à juste titre, les États s‟installent au cœur du système rural en mettant en place un vaste réseau de sociétés d‟intervention pour réaliser les axes de la politique agraire. On va alors assister, partout en Afrique, à la prolifération des sociétés publiques dans les domaines des services de support à l‟agriculture : crédit agricole, commercialisation, recherche, offre d‟inputs (engrais, produits phytosanitaires, semences, recherche et vulgarisation), transformation et stockage, gestion de l‟aide alimentaire. Elles sont chargées de promouvoir le développement rural, d‟encadrer les paysans et de diffuser les technologies susceptibles d‟améliorer la productivité du travail et les rendements. Toutefois, au fil des années, elles vont connaître des problèmes à la fois financiers, techniques et 15 sociaux suite parfois à des gestions bureaucratiques inefficientes. Elles deviendront des gouffres financiers qui grèveront lourdement les finances publiques. Elles seront les premières victimes de l‟ajustement structurel. Dans les pays où elles ont été mises en fonctionnement, la Banque mondiale et le FMI ont exigé systématiquement leur démantèlement. Cette option d‟une gestion socialiste de l‟agriculture a toujours été accompagnée par l‟impulsion d‟un Mouvement Coopératif dont il faut analyser les grandes lignes, bien qu‟il n‟existe pas en Afrique un modèle unique. 2°) Le mouvement coopératif Dans la plupart des réformes d‟inspiration socialiste les paysans sont regroupés dans des coopératives de production ou de commercialisation. La société coopérative est un moyen par lequel les faibles producteurs cherchent à se défendre en se groupant. Aussi l‟adhésion à la coopérative doit être libre et la gestion de l‟organisme démocratique ; il doit y avoir une répartition équitable des fruits mais aussi des risques de l‟entreprise. L‟édification d‟un système coopératif autonome n‟a pas été à l‟origine un mouvement spontané des paysans. Le mouvement a été souvent organisé, structuré et surtout contrôlé par les États dans le but de se substituer aux anciennes compagnies coloniales qui avaient le monopole de la distribution, de l‟approvisionnement et de la commercialisation des produits agricoles. Dans beaucoup de pays, la structure coopérative, dans sa conception comme dans sa structuration et son fonctionnement s‟apparentait plus à un rouage de l‟administration publique qu‟à une organisation de solidarité et de responsabilisation de producteurs librement associés. Le mouvement s‟est largement étendu à beaucoup de pays quelle que soient leurs options idéologiques. Cela procède d‟une volonté d‟exercer un contrôle intégral sur toute la production et la commercialisation des produits agricoles. Cette intervention massive de l‟État a conduit à l‟affaiblissement du mouvement coopératif en Afrique. Toutefois, un exemple intéressant de regroupements collectifs dans l‟agriculture a été celui établi en Tanzanie dans les années 60. La politique de base est « la villagisation » ou UJAMAA qui a trait au concept traditionnel de coopération communale et de partage. L‟Ujamaa constitue autant une unité économique qu‟un mode de vie, ou une entité politique. Les principaux aspects des orientations sont les suivants : La technologie moderne, le renforcement de la production, l‟augmentation des revenus, rendue possible par les nouvelles techniques sont désirables mais un système d‟organisation s‟impose si l‟on veut éviter l‟aggravation des inégalités qu‟engendre le processus de modernisation quand il est abandonné aux seules forces du marché ; La population doit être distribuée dans l‟espace de façon à assurer les services et les qualifications nécessaires à une agriculture moderne : éducation, santé, assistance technique, commercialisation et crédit. Une telle distribution favoriserait l‟établissement de petites industries dans les zones rurales ; La « villagisation » avec la réduction des inégalités qu‟elle entraîne, réduit les migrations rurales-urbaines. Cette politique devrait introduire deux changements fondamentaux dans le système traditionnel : les mouvements physiques de population et le fonctionnement communal d‟entreprises. Pour réussir, la coopération doit reposer sur un des principes clairement définis qui doivent assurer : 16 une gestion démocratique des unités coopératives qui se manifesterait dans l‟élection des organes dirigeants, le contrôle du fonctionnement et des finances ; une liberté totale et absolue d‟adhésion ou non à la coopérative sans aucune espèce d‟obligation ou de contrainte ; cela permet l‟instauration d‟une compétition stimulante entre les coopératives et d‟autres formes d‟exploitation ; la coopération est condamnée à faire preuve de sa supériorité d‟organisation et d‟efficience ou disparaître dans le cas contraire ; un bénéfice mutuel qui permet de régler les intérêts de la coopérative en tant que personne morale et ceux de ses membres ; il est donc question des conditions de formation et de répartition du fonds d‟accumulation, mais aussi de la rémunération de la force du travail. Dans ce domaine aussi, la coopération doit faire la preuve qu‟elle offre, à court ou moyen terme, des ressources financières ou matérielles plus importantes. La coopérative est souhaitée car on estime qu‟elle est une forme d‟organisation plus efficiente permettant une meilleure valorisation de la production et du travail agricoles. Les interventions publiques d‟encouragement et d‟assistance au mouvement coopératif procèdent de la conviction qu‟au plan socioéconomique l‟exploitation coopérative est supérieure à la petite exploitation individuelle et par ailleurs, qu‟elle peut rendre ces avantages accessibles à la grande majorité des paysans. Par sa dimension et la libération du producteur, l‟exploitation coopérative permet la réalisation plus efficiente des facteurs modernes de production et une division sociale du travail favorable à une élévation de la productivité. Ce cadre structurel réalise les meilleures conditions de génération d‟un surplus beaucoup plus important pouvant être utilisé pour des réinvestissements internes pour améliorer les instruments de production ou améliorer le niveau de vie des coopérateurs. En somme, une coopération menée avec clairvoyance et lucidité à partir d‟objectifs matériels, clairs, accessibles et acceptés par les paysans, constitue le meilleur moyen, la voie la plus simple pour lever les obstacles et les contraintes relatifs à l‟instauration d‟une agriculture moderne et efficace capable de répondre à la demande croissante en produits vivriers et en matières premières pour les agroindustries. Cependant, dans la quasi-totalité des pays sous-développés, les politiques agraires devront opérer des réorientations de la production agricole dans une double direction d‟un abandon progressif des monocultures de rente destinées à l‟exportation et d‟un développement de nouvelles productions permettant de satisfaire les besoins internes. III/ Les résultats des réformes Beaucoup d‟études relatives aux agricultures africaines sous le régime de la réforme depuis un quart de siècle établissent un bilan assez mitigé. Relativement aux fonctions attendues de l‟agriculture qui occupe en Afrique entre 40 et 70% de la population et fournit parfois jusqu‟à 90% du PIB. C‟est aussi le secteur qui offre le plus d‟emplois. Des réformes agraires, un ensemble d‟effets sont attendus. D‟abord elles doivent rendre le secteur capable de couvrir les besoins vivriers en augmentation rapide, d‟augmenter l‟emploi, d‟influer positivement sur les investissements et la productivité et d‟accroître les revenus des producteurs ruraux. Malgré les nombreuses réformes adoptées et appliquées dans la plupart des pays, les résultats 17 globaux dans le domaine de l‟alimentation et de l‟emploi ont été décevants. Beaucoup d‟indicateurs évoqués se sont détériorés de manière notable. Au niveau de l‟alimentation par exemple, des études récentes montrent que la production alimentaire par habitant a augmenté au taux négatif de 0,52% par an entre 1981 et 1989. Pour l‟ensemble du continent la perte totale de céréales par rapport à la production a augmenté légèrement, passant de 13,5% en 1983 à 13,8% en 1989 pour atteindre 14% en 20008. En fait, l‟accroissement démographique s‟est combiné à la stagnation de la production alimentaire et agricole ; il en est résulté une augmentation de la facture d‟importations céréalières faisant reculer l‟horizon de l‟autosuffisance alimentaire. Entre 1981 et 1989, les importations alimentaires africaines ont été en moyenne de 11,8 milliards de dollars et si les tendances actuelles se poursuivent, elles atteindraient 21 milliards de dollars en 2010 (en prix constants). Dans la même période les recettes d‟exportations de produits agricoles seraient au mieux de 12 milliards de dollars. Le moins que l‟on puisse dire est que la production vivrière s‟accroît moins vite que la population dont la demande alimentaire se diversifie en faveur des biens alimentaires importés et de l‟aide alimentaire. En 2002, 2003 et 2004, l‟agriculture africaine a enregistré quelques embellies avec des taux de croissance respectifs de 2,7%, 3,8% et 5% supérieurs à ceux de la population. Toutefois, il semble que l‟amélioration des cours mondiaux des produits agricoles soit l‟une des raisons principales. Sinon, la production a été stagnante avec des déclins dans certaines régions : Afrique Australe, Centrale et de l‟Ouest suite à la mauvaise qualité des politiques agraires, aux fléaux naturels (sécheresse, invasion de criquets) et politiques (afflux de réfugiés et de déportés). En prenant l‟emploi, l‟exode rural est la meilleure preuve d‟une double dégradation des revenus et de l‟emploi. La tendance à abandonner les campagnes est un phénomène cumulatif. Dans la plupart des pays, le système productif est rudimentaire et repose sur de petites exploitations familiales et paysannes qui demandent peu de main d‟œuvre pour accomplir les principales tâches de production. Il va s‟en suivre une réduction de la force de travail des familles paysannes non compensées par une amélioration et une modernisation des moyens de production et d‟accroissement de la productivité. C‟est le processus infernal d‟exode rural aggravé par l‟explosion démographique caractéristique des PSD. À cela viendra s‟ajouter comme fait aggravant la détérioration des revenus des paysans ce qu‟exprime de manière significative Louis SANMARCO « Pendant qu‟Abidjan se transformait à vue d‟œil triomphante dans ses gratte-ciels et ses nombreux embouteillages tentaculaires dans ses bidonvilles, les villageois dans l‟ensemble ne changeaient guère, habitant les mêmes paillotes, vivant des mêmes menus, dans les mêmes habits. À peine paraissaient-ils dans l‟ensemble plus vieux»9. La situation est la même pour toutes les capitales africaines ? IV/ les raisons des contre performances des réformes dans l’agriculture À l‟évidence, les réformes entreprises, quel que soit leur soubassement doctrinal, ont produit de médiocres performances globales. L‟organisation libérale de l‟économie rurale basée sur la petite exploitation familiale et la propriété privée de la En prenant l‟Afrique de l‟Ouest, la production par tête était dans les années de 20 à 25% inférieure à celle des années 60. Seulement 1% de la production mondiale de céréales est récoltée en Afrique de l‟Ouest et% pour l‟ensemble du continent. 9 L.SANMARCO : Le monde rural sacrifié : De l‟injustice au risque écologique Afrique Contemporaine n°164 nov-déc. 1992 8 18 terre n‟a permis ni la diversification et l‟accroissement de la production, ni l‟augmentation des investissements, ni la réduction substantielle des grandes inégalités existantes dans la plupart des PSD. Le système collectif, bien que fournissant une garantie plus grande contre la réapparition des inégalités susceptibles d‟émerger dans un système où prédominent la propriété privée et les fermes familiales, présente à son tour certaines difficultés : le processus décisionnel y est plus complexe et rend difficile la formation de capacités d‟entreprise potentielles et la libération des initiatives individuelles. Ces résultats s‟expliquent par plusieurs séries de raison que l‟on peut regrouper en deux: celles qui sont internes à l‟agriculture et les secondes qui sont externes. 1°) Les raisons internes Elles se définissent comme un ensemble de facteurs internes à l‟agriculture qui bloquent l‟instauration et le développement de rapports de production capitalistes efficients à savoir : L’abondance de la terre et les formes traditionnelles de son appropriation sociale. C‟est un trait important qui explique que le paysan peut échapper à toute forme de domination et d‟exploitation qui s‟établirait à partir du contrôle sur le moyen de production que constitue la terre. Cette perspective d‟autonomie du paysan individuel se renforce par le fait qu‟il a toujours la possibilité de développer des cultures destinées à sa consommation personnelle. Dans des économies non intégralement monétarisées, la culture de rente est un «complément de revenu». L‟Exploitation n‟est donc pas une fatalité.10 L’exploitation familiale dans des formes traditionnelles de production se fait aux moindres coûts pour le marché mondial. Ce facteur établit que la production agricole se déroule dans des conditions sociales spécifiques d‟une reproduction traditionnelle de la force de travail. Une main d‟œuvre nourrie au mil, maïs et manioc coûte certainement moins chère que celle nourrie au beefsteak. En conséquence, faisant jouer exclusivement la logique du profit, les consommateurs externes gagnent au maintien des exploitations familiales archaïques dans lesquelles la reproduction de la force du travail s‟effectue aux moindres coûts. L’instabilité des écosystèmes et les contraintes naturelles accroissent les risques pour l’investissement privé. Les investissements ont besoin de conditions de valorisation marquées du sceau de la stabilité et du moindre risque ce qui raccourcissent d‟autant les délais de récupération des capitaux engagés et garantissent la rentabilité. Cette logique détermine, de façon générale, le choix des branches d‟intervention. Or, à y réfléchir de près, on s‟aperçoit que les contraintes naturelles ne permettent pas la réalisation de cette logique. Les instabilités liées aux phénomènes naturels récurrents et incontrôlables accroissent les risques des investissements dans le secteur agricole. C‟est dire que l‟ampleur des risques ne milite pas en faveur d‟une implantation du capitalisme dans un milieu naturel caractérisé par son extrême fragilité et son instabilité. Même au cas où le capitaliste voudrait contourner ces difficultés, il se trouverait dans l‟obligation d‟engager de lourdes charges d‟infrastructures qui augmenteraient ses coûts de production et partant amoindriraient le niveau global de ses profits sous contrainte d‟un marché extérieur favorable. Cette phrase est prêtée à CHE GUEVARA par Amath DANSOKHO lors d‟une rencontre à Alger avec des Révolutionnaires africains après sa fameuse tournée clandestine en Afrique (1965). 10 19 Incontestablement, ces trois séries de raison expliquent, certainement en partie, les restrictions et le blocage de l‟expansion des rapports de production capitaliste dans les campagnes. Il s‟y ajoute d‟autres raisons de nature externe au secteur agricole. 2°) Les raisons externes On peut repérer un certain nombre d‟obstacles externes qui s‟opposent à l‟extension des bases mêmes du capitalisme dans les campagnes : Les diverses formes d‟extorsion, de mobilisation et d‟utilisation improductive des surplus issus de la rente agricole ne permettent pas la formation d‟une base autonome d‟accumulation pour l‟investissement et l‟élévation de la productivité sectorielle. Tout un arsenal de mesures comme la répartition inégalitaire des revenus et les diverses ponctions réalisées par différents agents (État, usuriers, marchands) ne laisse que de faibles surplus aux producteurs agricoles qui ne peuvent disposer de moyens financiers pour améliorer les conditions matérielles d‟existence et de travail. Ces surplus ponctionnés se dirigent généralement vers des activités de nature improductive notamment la spéculation immobilière et commerciale. Ces mécanismes de ponction doivent être soulignés car certains persistent encore : impôts, prix administrés, prêts usuraires, termes de l‟échange interne défavorables à l‟agriculture, etc. La dégradation des termes de l‟échange interne et la fixation administrative des prix profitent aux secteurs non agricoles et aux États. Cet aspect est d‟une importance capitale. Il montre que des ressources financières substantielles sont extorquées aux producteurs par le rapport de prix des produits industriels et agricoles défavorables à l‟agriculture. Un exemple : sur 2 ans, nous avons eu une augmentation du prix du coton de 6% et une augmentation du prix d‟un mètre de tissu de 16%. Le paysan achetant le tissu subventionne l‟industrie du textile. Le problème est qu‟aucun capitaliste n‟accepterait de s‟insérer dans un tel rapport inégal qui l‟oblige à transférer, tout ou partie, de ses profits à un autre agent économique ! Il est bien connu que les monopoles légaux de commercialisation des prix agricoles, d‟ailleurs n‟obéissent pas toujours à des motifs économiques et participent presque toujours à l‟exploitation de la paysannerie. Le biais des prix permet aux États de retirer une bonne partie de leurs ressources financières pour le budget de la masse salariale. C‟est dire que le caractère irréaliste de la politique des prix est l‟une des causes fondamentales de l‟échec de la politique agricole et notamment vivrière. À cause des ponctions, les prix aux producteurs ne sont pas incitateurs. Contrairement aux idées largement répandues d‟une prétendue incapacité des paysans à répondre aux « messages » du marché, des études ponctuelles sur l‟Afrique ont révélé une « très grande élasticité de la production agricole africaine par rapport aux modifications du système de prix et même par rapport aux variations de prix relatifs »11. À la suite des travaux de M. Nerlove et de T. W. Schultz12, il est clairement établi que l‟offre agricole réagit positivement aux augmentations des prix. Cependant, l‟élasticité-prix de l‟offre étant parfois très élevée, il convient de moduler dans la pratique les hausses de prix aux producteurs. En effet, un relèvement substantiel des prix aux producteurs qui serait trop brusque pourrait engendrer une spéculation extensive par la valorisation du capital financier par de « faux Banque Mondiale. Le développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara, 1981. M. Nerlove, The dynamics of supply : estimation of farmers‟s response to price. J. Hopkins, 1958 T.W. Schultzn Transforming traditional agriculture, Yale University, 1964. 11 12 20 agriculteurs », ce qui, au terme, risquerait de peser de façon anormale sur les prix à la consommation populaire et transformer une grande partie des paysans en ouvriers agricoles sur leurs propres terres remettant ainsi en cause l‟ensemble de la stratégie. L‟inexistence d‟institution de financement des opérations liées directement à la production agricole : le crédit est une nécessité vitale pour toute valorisation de capital. Or, on peut constater un désintérêt total du capital financier pour le financement des activités de production agricole qui accusent des taux de rentabilité moins élevés que les autres secteurs d‟activités économiques. À l‟époque de la colonisation, le crédit agricole était totalement inexistant, alors même que les institutions bancaires avaient dégagé des mécanismes parfois inédits de financement de la commercialisation des productions agricoles. Cette situation n‟est pas incitatrice pour l‟établissement de rapports capitalistes dans les campagnes. Les États africains ont voulu corriger cette carence par intervention directe par l‟intermédiaire de Banques Nationales de Développement créées à côté du système bancaire commercial, succursale de la métropole. L‟objectif visé était de mettre en place des institutions spécialisées ou des lignes de crédit pouvant prendre en charge le financement des opérations agricoles. Bien entendu, les résultats n‟ont pas toujours été probants. Au demeurant, la conjugaison de tous ces facteurs établit clairement que les conditions de fonctionnement d‟une agriculture capitaliste sont loin d‟être réunies particulièrement dans les sous-secteurs de production des biens destinés au marché mondial. À l‟évidence, le réaménagement structurel même volontariste entrepris par l‟État (imposer et élargir les rapports de production capitaliste et étendre leur domaine d‟évolution) a abouti à un échec. Ces «réformes» en Amérique Latine et au Maghreb ont eu pour conséquence la paupérisation des masses rurales avec quelques îlots de prospérité, la crise agricole qui se manifeste dans l‟incapacité de nourrir une population en expansion et les centres urbains, les faibles productivités et rendements dans le secteur, etc. Section 2 : Les axes d’une stratégie de développement pour faire de l’agriculture le secteur moteur. Nul doute que la transformation de l‟agriculture africaine sera longue et pénible. Sans avoir la prétention de proposer les éléments d‟une politique agricole africaine, la préoccupation essentielle est d‟indiquer les grands axes de réflexions et de recherches pour faire de l‟agriculture l‟un des moteurs de la croissance et du développement économique et social. En effet, il est toujours important en analysant lucidement la situation de l‟Afrique de considérer que le développement global suppose et doit souvent débuter avec le développement de l‟agriculture car sans la production d‟un surplus agricole (au-delà de ce qui est nécessaire pour nourrir les travailleurs de l‟agriculture), l‟industrialisation risque d‟être illusoire. Or, le secteur agricole abandonné à lui-même reproduit sa crise permanente qui se manifeste dans l‟archaïsme des moyens et méthodes de production, la stagnation des rendements et de la production, la baisse de la productivité du travail et la dégradation de la condition sociale des producteurs. L‟intervention de l‟État dans le sens de l‟imposition de la propriété et de l‟exploitation privées n‟a pas systématiquement levé les contraintes et obstacles structurels qui bloquent l‟expansion de l‟agriculture. Bien au contraire, là où elle s‟est systématisée, elle s‟est accompagnée d‟une grande souffrance des grandes masses de paysans sans terre et qui n‟ont bénéficié d‟aucune 21 forme d‟assistance publique. Finalement, cette intervention publique a approfondi objectivement la stratification sociale sans améliorer véritablement la production. Cette charge de réflexion et de recherche concerne les problèmes qui suivent et qui doivent être nettement articulés dans une démarche d‟ensemble : I/ Mettre un État de qualité au cœur du dispositif de transformation des campagnes africaines Les PAS ont accrédité l‟idée que l‟État africain est rentré dans une triple crise économique (déficit chronique des finances publiques), politique (faible démocratisation) et sociale (incapacité à réguler le chômage et la pauvreté) qui le met « hors jeu » et le condamne à un désengagement. S‟il en est ainsi, c‟est parce que l‟État a enflé sur le plan économique en étendant ses tentacules au secteur public ; il a enflé sur le plan social en se voulant le protecteur de tous contre tous les aléas. C‟est au niveau de l‟agriculture que l‟État, en l‟absence d‟opérateurs économiques capables de saisir toutes les opportunités d‟investissement, est massivement intervenu pour réaliser la modernisation du secteur. Cette intervention, s‟est traduite par le gonflement de la masse salariale des effectifs de l‟administration, la démultiplication des entreprises du secteur public rural avec accumulation de déficits, l‟accroissement du volume de la subvention etc. À y regarder de près, ces éléments sont les conséquences des facteurs de déséquilibre interne et externe qui ont amené les bailleurs de fonds à incorporer dans les conditionnalités le retrait de l‟État de l‟agriculteur. Cette désétatisation se fonde selon ses auteurs sur deux certitudes : la première postule que le marché est le meilleur instrument de régulation et d‟allocation de ressources ; il suffit alors de laisser faire, et la seconde avance que le retrait même précipité de l‟État débridera toutes les initiatives privées et ramènera les organisations paysannes à occuper la place laissée vacante par l‟État et ses divers démembrements. Objectivement, ces idées ne découlent ni d‟une théorie cohérente et infaillible, ni d‟un constat adossé sur le réel à travers les expériences des Nations. On serait tenté de dire que le néo-libéralisme est une nouvelle théologie. Trois observations nous amènent sérieusement à douter de la qualité de ces certitudes sur le désengagement de l‟État. La première observation est de type théorique et découle des travaux de Garry BECKER (I)13, Robert BARRO et J. F. MEDARD qui établissent que le marché même s‟il est reconnu efficace peut connaître des imperfections qui ne peuvent être corrigées que par une intervention de l‟État. Dans cette optique, on peut invoquer au moins trois imperfections majeures révélées par les recherches et que seul l‟État peut résoudre. Il s‟agit : d‟abord l‟existence d‟externalités positives c‟est-à-dire de situation où la rentabilité de l‟entreprise découle d‟actions que les seules forces du marché sont incapables de créer ; ensuite l‟existence de rendements croissants et d‟économies d‟échelle découlant d‟une situation de monopole qui prive l‟économie des aspects positifs de la concurrence. L‟État est seul à même par son intervention de ramener le refonctionnement du marché ; (1) Le débat sur le marché et le rôle de l‟État est revenu en force relancé par les travaux de R. BARRO (Université de Harward) et ceux du prix Nobel d‟économie de 1992 Galy BECKER (Université de Chicago) autour de la question : quel genre d‟imperfections de marché, l‟État peut-il avoir à corriger ? 13 22 enfin, les imperfections de marché financiers qui empêchent le financement de projets socialement rentables mais trop risqués pour les opérateurs privés ou alors des projets économiques indispensables mais à rentabilité différée. Le secteur agricole offre une parfaite illustration. Là encore l‟intervention de l‟État est impérative pour corriger ces imperfections en assurant les risques. Ces trois situations sont couramment observées dans beaucoup de pays et plus particulièrement dans les pays sous-développés. Dès lors, le désengagement de l‟État peut parfaitement se traduire par des coûts énormes et nuire en conséquence à la rentabilité. Les Nouveaux Pays Industrialisés qui ont réglé le sous-développement en l‟intervalle d‟une génération offrent une parfaite illustration du rôle moteur joué par l‟État dans la dynamique au développement. Dans la quasi-totalité de ces pays l‟État est le principal artisan de la modernisation de l‟agriculture. En prenant les exemples de la Thaïlande et de l‟Indonésie, on peut mesurer le rôle moteur de l‟État dans la transformation du secteur agricole. Le fait que la Thaïlande soit aujourd‟hui le premier exportateur mondial de riz (assurant 32% de la demande mondiale) avec une production agricole considérablement diversifiée est la conséquence d‟une politique gouvernementale fortement interventionniste. Le « Greater Chao Phraya Projet » fondé sur la construction de grands barrages et de canaux d‟irrigation relève de la pratique des grands travaux agricoles publics avec des effets d‟entraînement et de multiplication favorables à la croissance. De même pour l‟Indonésie « le régime militaro technocrate » a impulsé une vigoureuse stratégie de développement ayant pour base l‟agriculture vivrière. L‟État a mobilisé d‟importants moyens institutionnels, financiers, technologiques et humains pour moderniser et développer l‟agriculture. Selon Jean-Luc MAURER, l‟État a indubitablement utilisé ses pétrodollars (contrairement au Nigeria) à remettre en état le système d‟irrigation, à soutenir une politique très coûteuse de subventions des engrais, à maintenir une subtile politique des prix agricoles, à financer un système préventif de constitution des stocks, un crédit rural et une politique de vulgarisation. C‟est toute cette politique fortement interventionniste qui a profondément bouleversé les campagnes et a contribué à redéfinir la place de l‟agriculture dans l‟économie nationale 14. Globalement dans la majorité des pays asiatiques, l‟État a mis en place l‟infrastructure créant ainsi des conditions incitatives à l'investissement privé, un réseau routier de qualité, la scolarisation généralisée et la création d'universités fonctionnelles. L'État est même intervenu directement au niveau des prix aux producteurs ou des taxes sur les produits. En Inde, l‟autosuffisance alimentaire a été atteinte grâce à l'intervention vigoureuse de l'État qui a soutenu le secteur céréalier par une politique adéquate de prix. La deuxième observation est que la délimitation des fonctions de l'État dépend d'un choix purement national car rien dans les mécanismes de l'interdépendance mondiale n'oblige les nations à augmenter ou à diminuer le rôle de la puissance publique. Dans ce sens l'observation de L. STOLERU est très instructive : que « le Japon a un État très tort et très centralisé, les États Unis un État moins fort et plus décentralisé et la Suède un Etat assez faible. Or ces trois États ont d'excellentes performances sur le marché mondial unifié ». Il apparaît alors que le débat entre « plus d'État » et « moins d'État » est largement trompeur et reste dans le fond assez superficiel. Jean-Luc MAURER, « Autonomie d‟un décollage alimentaire : le cas de l‟Indochine », in AsieAfrique : greniers pleins, Éditions Économica, Paris, 1986, p 59-77 14 23 La troisième observation concerne particulièrement les pays africains comme le Sénégal où l'État est le seul instrument suffisamment fort pour structurer la société caractérisée par des tendances lourdes à l'hétérogénéité structurelle créant plusieurs centres autonomes de décision. De plus, si l'on prend en considération la triple crise des cultures vivrières, des cultures d'exportation et de l'écologie, l‟État est le seul acteur à même d'opérer les redressements indispensables. À l'analyse, le monde rural en Afrique, est complètement déstructuré, disloqué et surtout dévitalisé par les effets conjugués de la crise économique et des diverses agressions naturelles comme la sécheresse. Peut-on raisonnablement penser dans ce contexte que les paysans peuvent s'en sortir sans État surtout au moment où ils sont totalement déconnectés de l'économie de marché avec le développement de l‟autoconsommation et de beaucoup d'activités non marchandes. En clair, dans cette situation, les incitations du marché s'avèrent insuffisantes, seul l'État a les moyens d'une recomposition des structures et d'une revitalisation de la production. Ces observations indiquent que le choix n'est pas entre « plus d'État et moins d'État » car les restructurations qu'appellent les PAS de même que la nécessaire insertion de l'économie nationale dans le marché mondial exigent un État fort. Le problème fondamental concerne plutôt la nature de l'État qui serait capable de conduire les transformations structurelles notamment au niveau de l'agriculture en vue d'amorcer un processus irréversible de modernisation de toute la société rurale et de changer les comportements et les mentalités des divers acteurs dans les campagnes. Au moment des indépendances africaines, il y a environ plus d‟une quarantaine d‟années, la situation alimentaire en Asie était catastrophique avec une gestion désastreuse du secteur agricole alors que l‟Afrique ne connaissait point ce type de problème. Aujourd‟hui, il est caractéristique que « les greniers sont pleins en Asie et vides en Afrique ». Cette nouvelle donne a une triple signification : elle est un cri d‟alarme, une mise en garde et un message d‟espoir. Pourquoi le continent africain qui a toutes les dotations factorielles pour produire des richesses, secrète-t-il la pauvreté ? Force est de constater qu‟en trente ans, l‟Asie a mis sous céréales 701 millions d‟hectares, exactement l‟équivalent du total des terres africaines cultivées. Cette production céréalière a augmenté de 175% alors que celle de l‟Afrique s‟est accrue très peu, de 17%. Pendant une longue période, l‟Asie s‟est transformée en atelier de sueur et de labeur et l‟Afrique en continent d‟immobilisme. Les performances en Asie montrent que l‟Afrique peut s‟en sortir à condition qu‟elle opère les ruptures indispensables comme l‟ont fait les régimes militaro technocratiques et les élites asiatiques qui ont mis en place de vigoureuses stratégies de développement basées sur l‟agriculture. L‟État devra intervenir systématiquement pour apporter l‟assistance économique, technique et financière, de même qu‟il devra apporter tous les aménagements structurels en fonction des impératifs de l‟élargissement des bases de l‟accumulation et de l‟instauration des formes de propriété et d‟exploitation socialistes. Il s‟agit là d‟un programme volontariste et hardi dont la réalisation sera forcément très lente et comptera d‟énormes difficultés. Seulement, son accomplissement dépendra d‟une part du degré d‟adhésion et de participation enthousiaste des paysans eux-mêmes. D‟autre part, il reviendra à l‟État de veiller pour que son assistance et son encadrement n‟aboutissent à l‟installation d‟une bureaucratie lourde, inefficace et paternaliste qui finira par mépriser les capacités de création et de travail des populations rurales. 24 II/ La réalisation programmée d’une infrastructure de base pour l’agriculture : l’eau, les routes et l’énergie, la clef de voûte du développement agricole. C‟est le second axe de réflexion en direction des politiques agricoles. Il se traduit par la mise en place progressive d‟une infrastructure matérielle rendant possible l‟accélération et l‟intensification de la production agricole. Cette infrastructure tourne autour de l‟exploitation du potentiel hydraulique et énergétique et de la création d‟un réseau routier permettant une circulation des productions et des facteurs agricoles. Le développement agricole passe par la maîtrise de l‟eau et la réalisation de grands travaux d‟irrigation. Ces deux éléments constituent la condition essentielle d‟un accroissement de la production et d‟une réduction des calamités naturelles et de leurs effets. Ces dernières années, le puissant Mouvement Écologiste Européen a relancé le débat sur les choix alternatifs entre la petite et la grande hydraulique. Beaucoup d‟arguments ont été développés pour condamner les grands barrages auxquels, il est reproché : les effets déstabilisateurs des écosystèmes fragiles, les effets négatifs sur l‟environnement humain et la santé dans les abords des régions irrigués, les coûts excessifs des investissements qui vont accentuer la dépendance financière, la dépendance technologique et l‟écoulement de la production découlant de la délocalisation vers les pays sous-développés des activités industrielles. Ce sont là quelques arguments plus ou moins raffinés qui sont souvent brandis à l‟encontre des politiques de grande envergure appliquées pour une agriculture moins tributaire des aléas de la nature. La solution alternative proposée par les écologistes tourne autour de la petite hydraulique aux coûts financiers et humains beaucoup moins excessifs et aux effets sur l‟environnement moins dévastateurs. Tous ces arguments demeurent totalement légers au niveau économique, social et scientifique et traduisent profondément les préoccupations de personnes que la famine et la misère ne menacent guère et qui de surcroît, n‟ont absolument pas les échéances d‟élever dans les délais les plus brefs, le niveau des forces productives matérielles et humaines. Comment peut-on demander aux pays sahéliens de continuer à développer des politiques agraires aux faibles rendements totalement dépendants des caprices du climat, de l‟instabilité de l‟environnement. Ces pays ont besoin de contrôler toutes les composantes de la production depuis l‟irrigation jusqu‟aux facteurs modernes de production agricoles. Ils doivent utiliser non pas de petites technologies alternatives très peu performantes mais les techniques les plus progressistes de la révolution scientifique et technique. Les formations sous-développées doivent se raccorder aux technologies les plus avancées possibles pour refaire leur retard économique et accroître particulièrement leur savoir-faire. Ces visions que l‟on nous offre sous des vocables d‟une apparente innocence comme technologies appropriées, technologies douces, secteur informel, autodéveloppement à partir des communautés de base, relèvent de conceptions totalement anesthésiantes et rétrogrades qui veulent maintenir les pays sousdéveloppés dans l‟arriération économico-sociale. Elles émanent toujours de personnalités scientifiques de pays avancés qui n‟ont donc plus un problème de savoir faire mais de savoir quoi faire. Que l‟exploitation capitaliste ait entraîné une 25 exploitation bornée et anarchique de l‟environnement, c‟est un fait entièrement incontestable, comme il est également incontestable qu‟il n‟existe aucune limite technique à la valorisation de la nature. C‟est cette technique qu‟il faut maîtriser et mettre au service du développement économique et social. Les grands barrages quels que soient leur coût, restent une option progressive d‟une maîtrise de l‟eau. Le problème fondamental ne se situe pas dans les effets négatifs qu‟ils peuvent produire mais réside dans les orientations de production, les formes d‟exploitation et en dernière analyse la politique agraire qui est appliquée. Si celle-ci est réfléchie et reste au service des masses laborieuses, elle doit permettre l‟exploitation de toutes les perspectives de développement qui s‟ouvrent et dans ce sens, la petite hydraulique ne saurait être écartée. Il importe aussi de la développer en la corrigeant car les formes minifundiaires qu‟elle encourage sont souvent tournées vers l‟exploitation privée aux conséquences sociales qui pourraient être lourdes. Les pays sous-développés peuvent ne point être concernés par ces luttes idéologiques des écologistes qui veulent les condamner à être naturalistes, quitte même à reproduire stagnation et misère du monde rural. Si la maîtrise de l‟eau est une nécessité impérieuse, elle doit être accompagnée d‟une politique énergétique cohérente et adéquate. L‟énergie est une variable essentielle dans le développement agricole. Dans cette direction, un rapport de la National Academy of Sciences observe que «le processus de la croissance économique a pris naissance au moment où la machine a remplacé l‟homme pour les travaux agricoles, industriels et domestiques … La production phénoménale de l‟agriculture aux États-Unis et dans d‟autres grands pays exportateurs d‟aliments s‟explique en grande partie par une utilisation massive d‟énergie et d‟engrais, l‟apport de la main d‟œuvre diminuant très rapidement à mesure que s‟intensifient les pressions exercées par l‟accroissement des salaires dans les industries secondaires et tertiaires». Il importe alors d‟élaborer une politique énergétique qui permette d‟obtenir un accroissement de la production agricole, et qui pourrait s‟organiser autour de l‟évaluation exhaustive des besoins énergétiques pour une agriculture en expansion et de l‟exploitation de toutes les ressources énergétiques disponibles, de l‟utilisation des technologies les plus avancées de l‟énergie pour l‟augmentation de la production et des rendements. Il s‟agira là aussi d‟utiliser toutes les sources sans aucune exclusivité. Les coopératives de production peuvent être aidées pour la réalisation de programmes d‟utilisation d‟énergies renouvelables pour le développement rural. Le développement d‟une infrastructure de base passe aussi par la création d‟un réseau routier qui autorise le désenclavement de toutes les zones de production agricole et la constitution du marché national, facteur essentiel d‟allocation des facteurs de production. L‟État devra par le plan, fixer les objectifs à atteindre, les moyens à mobiliser pour réaliser le programme et les ressources internes disponibles. Cette programmation empêchera l‟apparition de distorsions dans l‟utilisation des fonds. III/ L’utilisation généralisée des facteurs modernes de production et exploitation des opportunités de la technologie et de Révolution Verte au service de la transformation de l’agriculture africaine. C‟est là un des volets extrêmement important des politiques agraires et sur lequel les insuccès sont notoires. La recherche techno-agronomique n‟est pas encore un domaine prioritaire comme si la fameuse « Révolution Verte » en Inde n‟était pas 26 partie des universitaires et chercheurs. Pourtant, rien absolument ne justifie ce traitement. Une agriculture performante a particulièrement besoin d‟une utilisation systématique de la révolution scientifique et technique pour atteindre des niveaux élevés d‟investissement et de productivité du travail. Cela est d‟autant plus vrai que les projections de la demande alimentaire pour les prochaines générations au niveau des PSD ne peut point être couverte ni par la production interne ni par l‟aide alimentaire mondiale. Toute projection pousse au développement d‟une agriculture intensive et productiviste qui ne peut provenir que de la science et de la technologie. Le modèle IMPACT de l‟IFPRI15 conclut que pour l‟ensemble des pays en voie de développement et sur une période de 28 ans, les taux de croissance moyens de la demande se chiffrent à 1,7% pour le blé et 1,2% pour le riz tandis que pour la viande de poulet le taux projeté est de 3,7%, pour le lait de 3,3%, pour l‟ensemble des huiles 2,8% et pour le manioc 2,2%. Une moyenne de 2% pour l‟ensemble des produits agricoles destinés à l‟alimentation humaine apparaît plausible à la lumière de ces résultats. Les taux sont bien en dessous du croît démographique. C‟est pourquoi selon Michel PETIT « la recherche agronomique doit s‟ouvrir davantage aux disciplines biologiques (biologie moléculaire, biologie intégrative, dépasser le modèle de la boîte noire où l‟on s‟intéresse seulement aux « intrants » et aux produits sans s‟intéresser aux mécanismes internes). Elle doit s‟ouvrir plus particulièrement à l‟écologie et à la modélisation des systèmes complexes ; elle doit développer les pratiques pluridisciplinaires, voire transdisciplinaires, pour utiliser la terminologie très pertinente ici de PIAGET, et engager des recherches sur les systèmes d‟acteurs avec lesquels elle travaille pour transformer les agricultures. Mais il faut bien convenir que ces prescriptions sont plus faciles à formuler qu‟à mettre en œuvre. Elles appellent des partenariats nouveaux ou élargis plus approfondis et plus réels, que ce que l‟on rencontre le plus souvent sur le terrain. »16 L‟auteur en déduit avec pertinence que « La recherche est en effet appelée à jouer un rôle stratégique face au défi alimentaire mondial. Le défi à relever n‟est pas simple car il faut à la fois fournir une alimentation à bon marché à ceux qui sont des acheteurs nets de nourriture et assurer un revenu aussi élevé que possible à ceux qui tirent l‟essentiel de leurs revenus, en argent et en nature, de l‟exercice d‟une activité agricole dans les zones défavorisées et qui ont intérêt à ce que les prix agricoles soient aussi élevés que possible. »17 1°) Nécessaire formulation d’un Programme de recherche Cela pose en premier lieu la nécessité de la formulation d‟une politique cohérente de recherche pour le secteur agricole et qui viserait : la modernisation des procédés de culture et la rénovation des instruments de production, l‟expérimentation scientifique et la diffusion de nouvelles techniques, ce qui implique la création d‟unités expérimentales qui ont pour vocation d‟être de véritables incubateurs du développement agricole, la formation de cadres compétents au plan techno-agronomique et technoadministratif. Cette question soulève les limites des systèmes universitaires Les calculs sont réalisés par PETIT Michel à partir du scénario de base du modèle IMPACT pour l‟année 2002, 16 Michel PETIT Communication au colloque « Enjeux et perspectives de la recherche agronomique pour les pays en développement » Académie d‟Agriculture de France/CIRAD, Paris, 13 octobre 2004. 17 MICHEL PETIT 15 27 des PSD qui ne s‟intéressent que très marginalement aux activités rurales qui pourtant fournissent parfois jusqu‟à 30% des ressources nationales. Une Faculté d‟Agronomie a beaucoup d‟intérêt économiquement et socialement que les institutions de formation littéraires qui absorbent jusqu‟à plus de la moitié des universités africaines. Il existe une pensée totalement fausse et qu‟il faut corriger selon laquelle les paysans feront eux-mêmes la révolution technique et scientifique. Celle-ci sera le fait des savants et techniciens évoluant dans les campagnes et y opérant des recherches systématiques. C‟est pourquoi la connexion entre l‟Université et le monde rural est déterminante. Ces recherches seront impulsées et organisées par l‟État et cela à trois (03) niveaux : celui de l‟identification des produits et systèmes agraires pouvant contribuer à la croissance économique du pays, celui de la localisation dans l‟espace et des contraintes sociologiques, celui des technologies les plus appropriées pour atteindre les niveaux de production et de productivités les plus élevés. Un colloque récent réunissant plusieurs spécialistes a tenté de définir un cadre général servant à identifier les priorités de recherche et les objectifs de développement technologique18. Les PSD qui connaissent des retards importants et qui évoluent dans des environnements naturels défavorables à l‟agriculture doivent accorder une grande importance aux activités de recherche qui auront pour objectifs d‟éliminer les contraintes et obstacles naturels et technologiques qui empêchent une expansion soutenue de l‟agriculture. 2°) La révolution verte est-elle encore utile à l’Afrique ?19 Il faut observer que le terme « Révolution » Verte utilisé par certains auteurs grossit exagérément l‟impact de l‟utilisation des N.V.H.R de blé et de riz. En fait, le phénomène est plus limité que ne suggère le terme. Les premiers pays à l'expérimenter dans la décennie 1960 sont le Mexique, l'Inde (État du Panjab) et le Pakistan. L‟Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande et même la Chine l‟ont réalisé par la suite. Concernant l‟Afrique, son extension est limitée au Nord du continent (Maroc, Libye, Egypte et Tunisie) ; elle ne pénètre pas encore en Afrique subsaharienne. Dans ce sens, A. LOUAT observe que « l'essor de la production agricole sur les différents continents correspond à l'extension de la révolution verte est fort en Asie, sensible en Amérique et faible en Afrique. Dans les pays concernés les rendements et les volumes de productions sont multipliés par 5 à 15 en une trentaine d'années et des pays comme le Mexique et l'Inde sont devenus auto suffisants. Les variétés de riz mises au point par l'IRRI en 1965 ont permis une progression du rendement moyen de 40 % et de la production de 60% en vingt ans en Asie alors que sa population augmente de 55% pendant cette période. La moitié des variétés de riz existant actuellement dans le monde ont au moins un"géniteur" venu de l'IRRI » 20 D. DANIELS et B. NESTEL : Affection des ressources à la recherche agricole. Colloque tenue à Singapour du 8 au 10 juin 1981, p. 81. 19 F.BROWN et Vandama SHIVA : L‟Afrique peut-elle se permettre une « Révolution agraire », PNUD Revue du Développement Humain, Juillet 1993 20 A. LOUAT : Le sous-développement, stratégies et résultats, Éditons Ellipses 18 28 Tableau 1 : Évolution de la production vivrière par habitant entre 1970 et 1993 et révolution verte. (Indice 100 en 1970) Asie indice 132 Amérique indice 119 Océanie indice 105 Afrique indice 80 Source : A. LOUAT : Le sous-développement, stratégies et résultats p121 En dépit de ces résultats positifs, la Révolution verte présente des limites bien évidentes. Tout d‟abord l‟utilisation de nouvelles semences est limitée à deux cultures vivrières dont on suppose qu‟elle a induit un ensemble d‟effets irréversibles particulièrement dans l‟agriculture indienne (Penjab). Ensuite, les résultats produits sont largement inégaux en Asie et ailleurs. Enfin, le potentiel de développement des semences parait limité et elles n‟ont pas les performances que l‟on bien voulu leur prêter. L‟ampleur des pénuries alimentaires et des déficits vivriers en Afrique aggravés par une démographie galopante et une urbanisation accélérée font que des menaces graves de famine pèsent sur de nombreux pays africains. Dans un pareil contexte la révolution verte se présente comme une nécessité impérative pour le continent. Elle est une stratégie qui, lorsqu‟elle est disponible et possible, peut contribuer à accroître les réserves alimentaires. Toutefois, sa conception et sa mise en œuvre doivent être soumises aux chercheurs même s‟il est maintenant prouvé qu‟il existe d‟autres moyens pour augmenter la production vivrière : amélioration des systèmes de polyculture, de la qualité des semences, locales et de l‟efficacité de l‟utilisation des ressources locales. Les pays doivent chercher à tirer le maximum de profit de la révolution verte en la systématisant et en l‟adaptant aux conditions de leur environnement physique et humain. Car, elle a permis de remporter une incontestable victoire dans la lutte séculaire contre la pénurie alimentaire. Les pays africains engagés dans ce processus pourront ainsi développer l‟expérimentation et les recherches au niveau : des produits chimiques pour étudier les conditions d‟accélération de la croissance des plantes en vue de l‟amélioration des rendements et les effets de l‟utilisation des pesticides et engrais sur la production et les sols ; des manipulations génétiques pour améliorer les espèces et accroître les rendements ; de la photosynthèse, de la prévision météorologique. En dépit de ces avantages, il est généralement reproché, entre autres, aux technologies de la révolution verte d‟aider le plus souvent les agriculteurs riches des pays en développement tout en encourageant une sujétion excessive aux engrais chimiques. Une autre critique est qu‟elle fait une place plus grande aux considérations économiques au détriment de l‟environnement. C‟est dire qu‟elle produit une société rurale duale et creuse les inégalités entre la paysannerie traditionnelle pauvre et une élite technicienne de propriétaires fonciers. Ces critiques proviennent d‟universitaires qui n‟ont jamais connu les problèmes réels des PSD. Étant donné les problèmes croissants de sécurité alimentaire et les progrès constants de la biotechnologie, les scientifiques africains doivent travailler sur les conditions de réalisation d‟une deuxième « révolution verte ». 29 3°) Les enjeux et perspectives du développement des OGM Les techniciens comme les décideurs face à la famine rampante sur le Continent ont engagé le débat autour de la question de savoir « Si les biotechnologies constituent une opportunité pour l‟Afrique ». Les prises de position se multiplient mais beaucoup d‟entre elles restent encore essentiellement idéologique ou alors inspirées par « les mouvements écologistes ». Dans ce sens, la Zambie confrontée à une famine qui a affecté 2,4 millions de sa population voit son Président Levy MWANAWASA refuser catégoriquement l‟aide alimentaire d‟urgence proposée par la FAO en affirmant avec force conviction que : « Ce n‟est pas parce que mon peuple a faim qu‟il faut lui donner du poison, lui donner une nourriture qui est potentiellement et intrinsèquement dangereuse pour sa santé ». Cette opinion est trop éloignée de celle du Président B. COMPAORÉ du Burkina Faso, de l‟Afrique du Sud qui a initié des systèmes de culture transgénique, du Kenya et de l‟Égypte qui ont engagé des Programme de Recherche en partenariat avec des universités américaines. Quant à la Commission Économique pour l‟Afrique, elle plaide en faveur du développement des recherches dans le domaine qui ne reçoit que 2% des ressources allouées à la recherche agricole. Elle recommande, en conséquence, l‟instauration d‟une politique de recherche qui mette l‟accent sur le manioc, le mil, le sorgho, la patate douce, l‟igname, le maïs, le riz et le blé. Comment va progresser la réflexion pour véritablement éclairer les enjeux de la recherche agronomique ? Malgré l‟âpreté des controverses, il se dégage nettement deux directions d‟impulsion de la recherche : La première direction concerne pour les PSD une maîtrise parfaite des TIC appliquées à l‟agriculture qui seront d‟un apport décisif pour l‟avenir. Comme l‟observe Hal HELLMAN, dans le futur «non seulement les ordinateurs dirigeront le matériel agricole, mais encore ils tiendront la comptabilité, surveilleront le progrès des cultures et de l‟élevage, calculeront les meilleurs mélanges de nourriture et d‟engrais en fonction des besoins et des prix et même établiront les programmes d‟irrigation d‟après des prévisions météorologiques enregistrées automatiquement sur bandes magnétiques»21. Il ne s‟agit pas d‟une option de généralisation mais d‟une recherche systématique des services que l‟ordinateur peut rendre dans le processus de révolutionnarisation des campagnes. C‟est dire que l‟agriculture du futur doit se préparer à une utilisation des équipements et des découvertes scientifiques. Cela signifie en clair que la mécanisation est un volet essentiel de la politique agraire et doit contribuer à une modernisation rapide du secteur rural. Elle seule permet d‟élever la productivité du travail et d‟approfondir la division du travail à l‟intérieur même du secteur agricole. Il faut bien comprendre que la mécanisation est un objectif vers lequel on tend par étapes successives passant du perfectionnement des instruments agricoles traditionnels à la machine fonctionnant sans même l‟intervention de l‟homme. Tout ce processus nécessite une organisation rigoureuse et une gestion adéquate. La planification s‟impose pour une gestion rationnelle de la politique de transformations structurelles radicales des campagnes. La deuxième direction va concerner les OGM. Dans ce domaine, les avancées biotechnologiques sont spectaculaires avec les manipulations génétiques qui permettent d'introduire certains gènes étrangers dans le patrimoine héréditaire des semences. Les avantages pour les cultures sous pluies sont qu‟ils offrent une meilleure résistance aux maladies, à la sécheresse et à la salinité des sols et absorbent plus facilement les nutriments par les racines. La culture devient moins dépendante 21 Hal HELLMAN : Nourrir l‟homme de demain. 30 de la pluviométrie, des pesticides et des engrais azotés et ne dégrade ni les ressources naturelles ni la biodiversité locale. Sur cette question, la position de la CEA est sans doute la meilleure : au delà du principe de précaution, l'agriculture transgénique est une solution indéniable pour les régions agricoles les plus pauvres du monde. De fait si l‟Afrique devrait se fermer aux OGM, elle se mettrait à la marge des rapides progrès de la science et de la technique. Cela d‟autant que plusieurs pays prennent le train en marche. Le risque est grand pour l‟Afrique de rater le coche des TIC. Comme le souligne M. WEILL « les pays africains sont insérés dans la mondialisation où se développent des flux de marchandises. On peut alors se poser la question de la compétitivité de la production africaine aussi bien à l‟exportation que pour se prémunir d‟autres importations qui déstructurent leurs propres agricultures. »22 L‟auteur considère que le moratoire sur les OGM est en train sauter, des autorisations de production de culture transgénique ont de nouveau été accordées et des mesures de précaution sont mises en avant afin de rassurer l‟opinion publique. Évidemment, il est incontestable que la monnaie d‟échange des PSD sera une dépendance accrue vis-à-vis des grandes firmes multinationales détentrices de brevets, telles Monte-sac ou Novartis. Ces Firmes Multinationales réalisent des expériences à grande échelle principalement aux États Unis où sont situés 75 % de la superficie mondiale consacrée à ce type de culture. Également, elles ont introduit avec succès des plantes transgéniques dans l'agriculture vivrière en Asie et en Amérique latine et elles commencent à pénétrer en Afrique (Zimbabwe, Gabon, République démocratique du Congo ? Burkina Faso). Elles affûtent les stratégies du futur pour un contrôle de l'alimentation mondiale par la maîtrise du pouvoir technologique. Le potentiel considérable du domaine végétal donne une idée des enjeux des OGM dans un futur pas trop éloigné. 22 Prolèmes Économiques : Quelle place pour les OGM n°2786, nov.2002 31 Encadré 2 : OGM, un potentiel considérable du domaine végétal. Parent pauvre de la génétique (à peine 10%du total des crédits de recherches lui ont affectés), le domaine végétal offre pourtant un potentiel considérable. Un petit tour dans les laboratoires de Ciba. L‟industrie semencière mondiale est à l‟aube d‟un véritable chambardement. 700 expérimentations en plein champ ont été réalisées dans le monde, dont environ 300 aux États-Unis et une centaine en France. Les nouveaux venus mettent le paquet, persuadés qu‟ils détiennent la clef de la caverne d‟Ali Baba. Dans dix ans, on ne vendra plus des graines mais des kits complets : Telle plante sera associée à tel herbicide, à tel pesticide. Difficile de donner une estimation précise des ventes potentielles, d‟autant que les chiffres avancés dans l‟euphorie du début des années 90 ont été revus sérieusement à la baisse. D‟ici là, une partie serrée va se jouer, entre semenciers et les chimistes d‟un coté, les autorités, les consommateurs et les industries de l‟agroalimentaire de l‟autre. Car tout est allé si vite que le public reste perplexe. Voir carrément hostile. Les avancées biotechnologiques des années 90 sont spectaculaires depuis que des manipulations génétiques permettent d'introduire certains gènes étrangers dans le patrimoine héréditaire des semences. Ces Organismes Génétiques Modifiés (OGM) offre une meilleure résistance aux maladies, à la sécheresse et à la salinité des sols et absorbent plus facilement les nutriments par les racines. La culture devient moins dépendante de la pluviométrie, des pesticides et des engrais azotés et ne dégrade ni les ressources naturelles ni la biodiversité locale. Les avantages sont évidents et les FMN détentrices de brevets, telles Montesac ou Novartis, associées dans de redoutables groupes de pression, présentant l'agriculture transgénique comme une solution miracle pour les régions agricoles les plus pauvres du monde. Elles l'expérimentent à grande échelle aux États Unis où sont situés 75 % de la superficie mondiale consacrée à ce type de culture. Elles ont déjà introduit avec succès des plantes transgéniques dans l'agriculture vivrière en Asie et en Amérique latine et elles commencent à pénétrer en Afrique (Zimbabwe, Gabon, République démocratique du Congo). Elles affûtent la technologie, dite « Terminator » qui stérilise les semences et empêche de les utiliser d'une année sur l'autre. En fait, ces FMN déploient une stratégie globale de l'alimentation dont l'enjeu est l'exercice du pouvoir technologique orienté vers la maîtrise des marchés du Tiers Monde. D’après A. LOUAT : Sous-développement, stratégies et résultats L‟État sera le vecteur de tous les changements, de toutes les modifications, comme cela été le cas dans un pays ultra libéral comme les États-Unis. Dans ce pays, comme dans bien d‟autres, l‟État est constamment intervenu en mobilisant des moyens financiers et technologiques massifs pour permettre aux agriculteurs d‟affronter l‟environnement national et international diversifié et changeant. L‟agriculture est le secteur où les principes du libéralisme n‟ont jamais fonctionné comme l‟annoncent nos manuels et nos théories. 32 IV/ La nécessité d’élaborer et de mettre en place une politique adéquate de crédit C‟est le quatrième élément de la réflexion sur l‟agriculture qui devrait rendre possible le financement des opérations productives qui permettent à l‟agriculteur de se redresser. Le système bancaire en Afrique garde fortement les stigmates des structures de financement de l‟économie de traite qui a contribué au renforcement des distorsions structurelles caractéristiques du sous-développement. Le système bancaire surtout commercial ne prévoit qu‟accessoirement le financement des activités agricoles. Malgré l‟énormité des besoins financiers dans le secteur, le maillon manquant est un système de crédit fonctionnel et approprié au monde rural. Au niveau citadin, la question est partiellement résolue avec les pratiques des tontines et de la microfinance. Cette forme de financement se fonde sur des relations très personnalisées entre les divers acteurs du système. Cette pratique s‟est maintenant généralisée dans toutes les villes des PSD d‟Afrique, d‟Asie et d‟Amérique Latine en bousculant les banques primaires qui ont toujours manifesté peu d‟intérêt pour le secteur informel. Dans l‟optique d‟une profonde révolution agraire qui exige un recours à la mécanisation, à l‟utilisation des facteurs modernes de production et même à certains travaux d‟infrastructures, le problème du crédit doit être impérativement résolu. Le crédit agricole doit permettre aux producteurs de disposer de ressources diversifiées, suffisantes et à des taux concessionnels pour le financement de leurs opérations productives. La politique de crédit doit être sérieusement étudiée au plan des institutions de financement, des conditions d‟octroi, des opérations à financier et des taux applicables. L‟État devra alors élaborer une stratégie de financement du monde rural car il a capacité à mobiliser des ressources diversifiées pouvant provenir : des budgets, des bailleurs de fonds, des institutions de crédit en leur offrant garantie et cadre fiscal motivant, du système bancaire intérieur et de l‟épargne rurale qui est parfois loin d‟être négligeable. Cette stratégie devrait comprendre deux volets : celui concernant le système bancaire formel et celui de la microfinance et du microcrédit. 1°) Inciter la finance formelle pour un engagement dans le secteur agricole Sur le premier volet concernant le système bancaire formel, les recherches sont nombreuses et les questions sont mieux maîtrisées. Les problèmes se réduisent à savoir comment assurer la garantie des prêts pour un secteur à haut risque, quelles sont les incitations et quelle manipulation des instruments purement monétaires. Ce dernier aspect touchant les taux d‟intérêt est essentiel car il faut éviter de les mettre à un niveau très bas, ce qui ferait du crédit une espèce de secours social ou très élevé ce qui découragerait certains utilisateurs. Il faudra alors appliquer des taux différenciés selon la nature de l‟opération productive et probablement la durée du crédit. 2°) Aider au développement de la microfinance et au microcrédit Le second volet est relatif à la microfinance et au microcrédit. De plus en plus de réflexions sont consacrées à ces structures qui ont proliféré au niveau des PSD et particulièrement dans les centres urbains. Il faut préciser que la microfinance concerne l‟ensemble des services financiers (épargne, crédit, assurance, transferts de 33 fonds des émigrés à leurs familles) offerts aux populations pauvres qui sont exclues du système bancaire traditionnel. Quant au microcrédit, il correspond à des prêts de faible montant destinés à des personnes à bas revenus exclues des banques parce que leur solvabilité est considérée comme insuffisante et/ou parce que les coûts de gestion de tels prêts sont jugés trop élevés. Ces prêts leur permettent de créer ou de développer des microentreprises ou des activités génératrices de revenus. Le phénomène a pris tellement de l‟ampleur et tellement bien installé qu‟il fait l‟objet d‟un intérêt mondial : le premier sommet mondial sur le microcrédit a été organisé en 1997 à Washington, le dernier à Halifax en 2006, l‟année 2005 a été dédiée par l‟ONU au microcrédit et en 2007 Mouhammad YUNUS le père du microcrédit a été honoré par le prix Nobel de la paix. Le bilan est remarquable : la GRAMEEN BANK est implantée dans 73000 villages du Bangladesh, elle a 7 millions de clients (dont 97% de femmes) et a prêté 6 milliards de dollars. L‟Afrique compte 6 millions de bénéficiaires du microcrédit contre 80 millions en Asie. V/ La politique des marchés pour des prix incitateurs pour les grands produits et des prix des intrants. 1°) La détermination des prix par le marché À la suite des travaux de M. NERLOVE et de T. W. SCHULTZ23, il est clairement établi que l‟offre agricole réagit positivement aux augmentations des prix. Les tests économiques réalisés au niveau de quelques pays confirment que la modification des termes de l‟échange en faveur de l‟agriculture entraîne une hausse corrélative de la production soit par le biais des emblavures soit par un accroissement des rendements. La libéralisation des marchés des produits agricoles préconisée par la Banque mondiale est fondée sur une étude que cette institution a entreprise et qui montre une « très grande élasticité de la production agricole africaine par rapport aux modifications du système de prix et même par rapport aux variations de prix relatifs »24. Les PAS des années 80 ont particulièrement insisté sur les réformes du système des prix agricoles pour produire des effets positifs sur l‟intégration spatiale, la fluidité et les coûts des transactions de la commercialisation intérieure. La portée de cette libéralisation est limitée par certaines contraintes comme l‟insuffisance, voire l‟absence d‟infrastructures routières de qualité, l‟enclavement en matière de communication de flux d‟information des marchés, l‟absence de capacité de collecte, d‟analyse et de diffusion de l‟information sur les comportements des marchés et des systèmes agricoles et alimentaires. Certains analystes se fondant sur les élasticités positives en arrivent à soutenir que les médiocres performances agricoles en Afrique sont la conséquence logique des politiques inadéquates des prix appliquées par les pouvoirs publics. La désaffectation des paysans pour certaines cultures peut s‟expliquer par l‟absence d‟une politique incitatrice de prix. En effet, certains prix, parfois administrativement fixés ne sont pas assez rémunérateurs pour inciter le producteur à accroître le volume de sa production et à procéder à des réinvestissements pour améliorer ses instruments de travail. En clair, la problématique des relations inégales entre villes campagnes à travers les relations de prix doit être résolue. M. Nerlove, The dynamics of supply : estimation of farmers‟s response to price. J. Hopkins, 1958 T.W. Schultzn Transforming traditional agriculture, Yale University, 1964. 24 Banque Mondiale. Le développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara, 1981. 23 34 2°) Portée et signification de la fixation administrative des prix Des économistes marxistes continuent de soutenir que les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière et de la paysannerie sont, quand au fond, absolument divergents tant qu‟existe le marché et que le mode de production capitaliste domine25. Par les rapports de prix agricoles et industriels s‟opèrent toujours des transferts de valeur des campagnes vers les villes, de la paysannerie vers les autres classes sociales. Cet échange inégal est l‟essence même de l‟accumulation primitive qui profite aussi à la classe ouvrière. Il est aussi caractéristique de l‟accumulation socialiste comme l‟avaient établi les travaux de PREOBRAJENSKY dans la « Nouvelle Économique ». Cette réflexion a éclairé les mécanismes de financement de l‟industrialisation par la paysannerie. On peut se poser la question de savoir si le fait d‟avoir fait payer l‟industrialisation principalement par la paysannerie n‟explique pas en partie les échecs des politiques agraires et la crise de l‟agriculture des pays socialistes d‟Europe de l‟Est. Beaucoup de travaux de l‟époque établissaient et insistaient sur la désaffection de la paysannerie des systèmes productifs et rouages économiques officiels pour créer des structures de production et de commercialisation parallèles qui fonctionnaient de façon très efficiente. Cette économie parallèle finit par se structurer très solidement car elle rétablit des termes de l‟échange favorablement aux activités rurales et corrige en toute conséquence les déséquilibres des revenus et des conditions d‟existence entre ruraux et citadins. Ce sont ces objectifs que doivent viser et réaliser la politique des prix agricoles. Une paysannerie pauvre ne saurait contribuer à transformer les campagnes. Elle fera même obstacle et s‟alliera plus facilement aux rentiers comme quoi la pauvreté n‟est pas une condition nécessaire et suffisante de la transformation des campagnes. VI/ Les subventions agricoles qui ruinent les agricultures africaines. Il est temps que les États-Unis et l’Europe réduisent les subventions à l’agriculture. À l’heure actuelle, ces subventions sont plus élevées que la totalité de ce que reçoivent les pays d’Afrique en aide au développement. Ces subsides font baisser les prix et ferment effectivement la porte aux producteurs des pays en développement. Jean CHRETIEN L‟agriculture est le moteur de l‟économie africaine et contribue aux modes de subsistance de la majorité de la population (entre 40 et 90% selon la FAO, 2004). En outre, toutes les statistiques établissent que la pauvreté africaine se concentre principalement dans les zones rurales (entre 60 et 70%). L‟essentiel des revenus agricoles proviennent de monoproductions destinées au marché mondial : la rente agricole est alors une composante des surplus financiers dont bénéficient l‟État (par le biais de la fiscalité) et les autres acteurs entretenant des relations marchandes avec le secteur rural. Ces quelques éléments campent parfaitement tous les enjeux des négociations mondiales concernant les agricultures africaines. Deux grandes questions agitent aujourd‟hui le monde de la recherche et des décideurs politiques : les subventions agricoles et le protectionnisme agricole dans les PSD. Dans les faits, ces deux problématiques sont intimement liées car le volume des subventions élève la compétitivité-prix et peut se comporter comme une sorte de protection tarifaire. Quel danger la concurrence internationale représente-t-elle pour 25 Michel GUTELMAN, op. cit., p. 198. 35 la production agricole des PSD? Selon M. PETIT « Pour répondre à cette question, il faut commencer par préciser les ordres de grandeur de quelques variables-clés. En effet, la pression de la concurrence internationale est souvent présentée comme irrésistible, risquant de conduire à la ruine des agricultures pauvres, un tel scénario impliquant une augmentation massive des importations et, par là-même, un accroissement de la dépendance alimentaire. On constate effectivement que pour certains pays la part de la consommation totale couverte par la production intérieure, que l‟on appelle le coefficient d‟autosuffisance, est devenue très faible. Tel est le cas par exemple de l‟Algérie, où ce taux pour les céréales a oscillé autour de 25% au cours des années récentes, les céréales jouant dans ce pays comme dans beaucoup d‟autres un rôle emblématique dans les débats sur cette question. Qu‟en est-il de façon plus générale ? Depuis l'Uruguay Round les produits agricoles ont été intégrés dans les négociations en étendant tout d‟abord au secteur agricole. Il a été admis comme règle que les droits de douane doivent être la forme privilégiée de protection et que les subventions à l‟exportation sont interdites. Dans le même temps les possibilités d‟utiliser les règles sanitaires et phytosanitaires à des fins protectionnistes ont été limitées. Toutefois, après la formation de l‟OMC, les pays en développement considèrent qu‟ils ont été floués dans l‟Accord agricole de Marrakech en avril 1994. En effet, non seulement l‟accès aux marchés des pays développés est resté largement prohibitif mais les soutiens et subventions internes ont augmenté. Également, l‟accord agricole institue une forte inégalité de traitement, en leur défaveur, en matière d‟instruments possibles de politique agricole.26 Ces raisons justifient leur revendication pour une plus grande discipline en matière de politique agricole dans les pays développés, un meilleur accès à leur marché et, pour eux, une plus grande flexibilité en matière de politique agricole. En 2005, selon le Premier Ministre canadien J. CHRETIEN, « l‟aide publique au développement totalise 50 milliards de dollars par an. Les subventions américaines et européennes sont sept fois plus élevées : elles dépassent le cap des 350 milliards de dollars. À elle seule, l‟Union européenne représente les deux tiers de ces subventions à l‟exportation, loin devant les États-Unis »27. La liste des produits agricoles En dépit de l'échec de la conférence ministérielle de Seattle, en janvier 2000, les deux points clés qui reviennent concernent l'accès aux marchés et la réduction des subventions à l'agriculture. • En novembre 2001, la conférence de Doha aborde, dans son communiqué final la question de la suppression des subventions -notamment européennes- à l'agriculture, mais ne fixe pas de date butoir. • En mars 2003, un projet d'accord, dit "Proposition Harbinson", est discuté au sein du Groupe des négociations agricoles. • Le 13 août 2003, les États-Unis et l'Union européenne font une proposition commune en vue de la conférence de Cancun : Cadre pour une approche commune sur des questions agricoles" (texte en anglais) • Lors de la Conférence de Cancun, 10-14 septembre 2003, le Groupe des 21, (coalition de vingt-deux pays en développement constituée pour la conférence, parmi lesquels la Chine, l'Inde et le Brésil), représentant plus de la moitié de la population mondiale, rejette le projet de déclaration finale, considérant les efforts des pays du Nord insuffisants. • Enfin, pour préparer la conférence de Hong-Kong de décembre 2005, les États-Unis le 10 octobre 2005, puis la Commission européenne le 28 octobre 2005 font de nouvelles offres sur les tarifs douaniers agricoles. 27 La prochaine « Farm bill », votée tous les cinq ans, s'élèverait à 286 milliards de dollars. Elle comprend les subventions aux agriculteurs américains et le financement des programmes fédéraux sur l'alimentation et la nutrition. Ce texte de loi est actuellement l'objet de vives discussions entre le Congrès américain qui reproche à l'administration Bush de ne pas réduire les subventions aux agriculteurs. Le financement et le montant de ces aides sont d'ailleurs l'objet de tensions permanentes 26 36 subventionnés par l‟Union européenne est longue : bœuf, volaille, sucre, blé, coton, aubergines… qui sont déversés sur les marchés africains à prix artificiellement bas, ces exportations désorganisent les filières, ruinent les producteurs28. Dans son Rapport 2007 sur les politiques agricoles des pays membres, l'OCDE évalue à 214 milliards d'euros le montant total des subventions versées par les 36 pays membres de l'organisation. L'aide à l'agriculture est tombée désormais à 1,1% du PIB total des pays membres, contre 2,5% dans les années 1980. L'Union européenne est restée de loin le grand « subventionneur », avec 110 milliards d'euros versés aux paysans en 2006, devant le Japon (32 mds), les États-Unis (23 mds) et la Corée du Sud (20 mds). En proportion du revenu des agriculteurs, les Coréens sont en revanche les plus subventionnés (63%), devant les Japonais (53%), les Européens (32%) et les Américains (11%). Le taux de subventionnement est resté stable en Corée entre 2005 et 2006, mais il a reculé de deux points au Japon comme dans l'UE et de cinq points aux États-Unis, où les soutiens sont étroitement liés au niveau des prix. Parmi les pays qui aident le plus leur agriculture, on retrouve l'Islande (66% du revenu), la Norvège (65%) et la Suisse (63%).29 L‟exemple du coton est symptomatique des incidences négatives des subventions agricoles sur l‟ensemble des économies africaines concernées. Le coût de production du coton en Afrique de l‟ouest et du centre (AOC) est inférieur à celui de la plupart des autres pays. Les producteurs africains sont capables d‟affronter la concurrence des pays développés sur le marché mondial, pourvu que celle-ci ne soit pas faussée par des subventions massives. L'Afrique de l'Ouest et du Centre a produit, en 2001/2002, 991 000 tonnes de coton fibre, ce qui représente environ 5% de la production mondiale. Les exportations combinées de 9 pays membres de la CMA/AOC représentaient 15% des échanges mondiaux de coton en 2001/2002, ce qui fait de la région le troisième exportateur mondial de coton, après les États Unis et l'Ouzbékistan. Quant à l'Afrique de l'Ouest, avec près d'un million de tonnes de fibres produites soit 17% du marché mondial en 2002, le coton représente une des principales sources de revenus de nombreux pays de la sous région. Il contribue pour 50% à 80% des recettes d'exportation du Mali, du Bénin, du Togo et du Burkina Faso. Actuellement, les filières cotonnières africaines sont en danger mortel du fait du dumping américain, pratique qui consiste à vendre le coton sur le marché extérieur à des prix beaucoup plus bas que ceux du marché national pour éliminer des concurrents. Les subventions et le dumping américains ont fait subir aux 8 pays producteurs de l'Afrique de l'Ouest une perte de 191 millions de dollars et en plus elles encouragent la surproduction et font dégringoler les prix mondiaux qui sont aujourd‟hui au niveau le plus bas depuis 1930. Les estimations du Conseil Consultatif International sur le coton (CCCI) font savoir que le retrait des subventions américaines rehausserait les cours du coton de 26%. Plus concrètement encore le Mali a perdu 43 millions de dollars, soit 1,7% de son PIB et 8% de ses recettes d'exportation, le Bénin 33 millions de dollars, soit 1.4% de son PIB et 9% de ses recettes d'exportation et le Burkina Faso 28 millions de dollars, soit 1% de son PIB et lors des négociations à l'OMC. Les adversaires des subventions estiment qu'elles permettent aux agriculteurs des pays riches de déverser leur production subventionnée sur les marchés mondiaux à des prix très bas, privant leurs homologues des pays pauvres en développement de débouchés lucratifs. 28 . « Comment voulez-vous que la ménagère m‟achète un poulet à 1 800 FCFA pièce quand elle peut se procurer du congelé à 900 FCFA le kg ? », En Afrique de l‟Ouest, et particulièrement au Burkina Faso, au Mali et au Niger, les importations européennes ont réduit d‟environ 50 % le prix du bœuf produit par les éleveurs locaux. 29 OCDE 37 12% de ses recettes d'exportation. Outre l'Afrique, cette crise a affecté le Brésil en lui infligeant des pertes d'un montant de 640 millions de dollars (en 2001/ 02) dues à la baisse des cours et à la réduction de la part de ce dernier dans le marché mondial. Les éleveurs d‟Afrique Australe se plaignent également des effets néfastes de ces subventions sur leurs ventes. La Namibie, dont le bœuf représente 70 % des exportations agricoles, subit de plein fouet la concurrence de la viande bovine européenne sur le marché sud-africain. Déjà, 70 % à 80 % de la viande utilisée dans les conserveries sud-africaines est importée d‟Europe. L'objectif avoué de l‟Organisation Mondiale du Commerce dans le cycle des négociations est l‟élimination de tous les obstacles qui empêchent l'agriculture d‟être un secteur économique comme les autres, entièrement soumise aux effets de la libéralisation tous azimuts. Les deux obstacles majeurs à l‟heure actuelle se réduisent d‟une part au refus « de faire le jeu avec les mêmes règles pour tous » et d‟autre part au fait que plus de 90 % de la production agricole est consommée dans les pays où elle est produite et en conséquence les principaux pays exportateurs, l‟Union européenne et les États-Unis cherchent à écouler leurs surplus de production tout en continuant à soutenir leur agriculture par de généreuses subventions. On arrive alors au paradoxe des positions des Grandes Puissances agricoles mondiales au niveau de l‟OMC : protéger l‟accès à leurs propres marchés tout en obtenant l‟accès aux marchés des autres. Les exigences africaines ne sont pas la demande de traitement de faveur mais le respect de la loi du marché en conformité avec les principes fondamentaux de l‟OMC. Il est donc temps d‟aller vers une réduction effective, voire une suppression obligatoire de ces subventions, si les pays de l‟OCDE veulent rejoindre leur logique de lutte contre la pauvreté ou de commerce équitable. Figure 1 : Estimation du soutien aux producteurs par pays (moyenne des produits agricoles) Source : OCDE 38 De quelques directions de conclusion sur les enjeux du développement agricole africain À ce niveau de notre réflexion, on peut dire que dans les formations sousdéveloppées, la politique agraire à appliquer doit offrir une alternative à la situation présente de l‟agriculture qui se caractérise par : le développement de monoculture de rente destinée à l‟exportation avec des techniques stagnantes et de faible productivité du travail, la régression vers des formes archaïques d‟autosubsistance, la paupérisation absolue de la population entraînant un exode rural massif de travailleurs que ni l‟industrie, ni le secteur tertiaire ne peuvent absorber par suite de leur absence totale de qualification professionnelle, le repli vers des visions et idéologies bornées totalement hostiles au progrès économique et social favorisant les formes autarciques d‟existence et les barrières ethno tribales. Les recherches théoriques et l‟analyse des programmes et des actions de développement dans le secteur agricole africain, au-delà des grandes diversités, laissent transparaître la coexistence de deux options qui sans être totalement incompatibles n‟ont pas la même portée et les mêmes résultats de terrain Premièrement, une agriculture basée sur l'investissement de détenteurs privés de capitaux, la privatisation de la terre, le recours aux techniques modernes de production et l'utilisation d'une main-d'œuvre rémunérée, a été appliquée dans beaucoup de pays souvent suite aux recommandations des bailleurs de fonds soucieux d‟instaurer la libéralisation totale du secteur agricole. Ce mode d‟organisation et de production serait pour certains, la seule option pour une agriculture productive et compétitive. Les grandes exploitations horticoles et d'élevage intensif, certaines exploitations irriguées privées des deltas et des surfaces irriguées préfigurent une telle agriculture. Les réformes foncières, le développement de l'irrigation et la mise en place d'un crédit adapté permettraient aux investisseurs privés de développer ce type d'agriculture. Cette agriculture serait plus à même de rentabiliser les investissements coûteux dans l'irrigation et les chaînes motorisées et d'accroître les exportations de produits agricoles et l'approvisionnement des industries locales de transformation. Personne ne défend cette option comme une vision exclusive ou dominante. Donner l'exclusivité ou la priorité à cette première option soulève des questions redoutables. Que faire des paysans ? Va-t-on juste les soutenir pour que la pauvreté en milieu rural reste acceptable politiquement et socialement ? Que faire, face à une explosion de l'exode rural qui risque d'en découler ? Les États ont-il les moyens de soutenir en même temps une agriculture familiale et une agriculture à base de capitaux ? Cette dernière ne risque-t-elle pas de se développer sur les terres des paysans et de transformer ceux-ci en ouvriers agricoles peu rémunérés ? En fait, les détenteurs, de capitaux désireux d'investir dans l'agriculture n'ont pas de problème d'accès au foncier : les États n'ont jamais refusé d'attribuer des terres à ceux qui désirent investir dans de grandes exploitations. Si « l'agriculture entreprenariale » ou « l'agriculture sans paysan » ne s'est pas plus développée, c'est sans doute pour des problèmes de rentabilité et non d'un environnement institutionnel qui ne lui serait pas favorable. À moins que ses partisans souhaitent être subventionnés par les États ou bénéficier d'avantages qui ne seraient pas conforme aux règles d'une saine concurrence. Deuxièmement, une option courante en Afrique est la construction d‟une économie agricole basée sur la transformation et la modernisation de l'exploitation 39 familiale paysanne. Cette option pose aussi beaucoup de problèmes ardus. Comment éviter le développement d‟exploitations familiales morcelées, sur des terres pauvres et dégradées, avec pour conséquences l'extension endémique de la pauvreté et de l'exode rural ? En définitive la synthèse que l‟on peut retenir est que ces deux options ne sont pas incompatibles. Elles peuvent être combinées dans une vision qui donne la priorité à la modernisation des agricultures africaines pour des raisons d'efficacité économique et d'équité sociale. On ne peut abandonner à son sort à une population rurale qui, à l'horizon 2015, constituera encore plus de 60% de la population africaine. Ce serait un handicap insurmontable pour le développement économique et social des pays. Aucun secteur de l'économie urbaine ne semble pour l'instant en mesure de les intégrer. En effet, les pays du Nord ont modernisé leur agriculture familiale à un moment où l'industrie et l'économie urbaine étaient en pleine expansion et pouvaient absorber sans difficulté les surplus de main d'œuvre rurale, où la croissance de la population rurale était en baisse et où il était possible de protéger son marché national et de subventionner son agriculture. Les PSD doivent réussir cette modernisation dans un contexte où l'industrie et l'économie urbaine connaissent une faible expansion et donc ne sont pas en mesure d'absorber une main d'œuvre rurale en très forte croissance et dans un contexte de libéralisation et de mondialisation de l'économie. Troisièmement cette synthèse commande de pousser la recherche vers l‟appui à la formulation d‟une politique cohérente de développement agricole et rural. Les 7 axes de réflexion esquissés constituent parfaitement un programme de Recherche pour une nouvelle économie rurale qui doit être confrontée aux politiques des Etats pour en proposer des améliorations éventuelles et pour dégager les orientations et les stratégies d'une politique de formation agricole et rurale qui les complète et les renforce. Pour dépasser cette situation, il s‟impose une transformation radicale des structures à partir d‟un autre modèle et vision du développement économique et social. Dans cette direction, la politique agraire doit être entièrement repensée et reformulée pour rendre l‟agriculture apte à dégager un surplus important et à élever la productivité du travail. Des mesures ponctuelles, si habiles et appropriées qu‟elles soient ne sauraient remplacer une politique cohérente qui seule peut permettre à l‟agriculture : de créer des surplus importants donc d‟alimenter les fonds nationaux d‟accumulation pour le financement du développement économique et social30, d‟accroître et de diversifier la production agricole et de couvrir ainsi les besoins vivriers en croissance rapide du fait de l‟explosion urbaine, d‟élever la productivité et l‟efficacité du travail ; ce qui va permettre de libérer une partie de la main d‟œuvre pour d‟autres activités productives, d‟élargir et de diversifier les bases de l‟industrialisation. Si l‟agriculture doit accomplir ces fonctions économiques et sociales, elle doit être rationnellement réorganisée par l‟État à qui il revient de créer des fermes ou des exploitations d‟expérimentation et de recherche qui contribueront à lui permettre une plus grande maîtrise du développement des forces productives dans le secteur. Michel GUTELMAN observe dans ce sens que dans toute réforme agraire la question essentielle est de savoir où est passée la rente. Celle-ci peut être utilisée à la consommation somptuaire et personnelle de celui qui la perçoit ou bien elle peut être transformée en capital technique soit dans le secteur agricole, lui-même soit dans le secteur industriel. C‟est cette transformation de la rente qui est désigné par l‟expression «capitalisation de la rente» (p.183). 30 40 Pour dépasser cette situation, il s‟impose une transformation radicale des structures à partir d‟un autre modèle et vision du développement économique et social. Dans cette direction, la politique agraire doit être entièrement repensée et reformulée pour rendre l‟agriculture apte à dégager un surplus important et à élever la productivité du travail. Une attention particulière sera attachée au progrès technique, à la recherche scientifique. Les pays sous-développés n‟ont ni les mêmes échéances, ni les mêmes exigences que les formations sociales mûres que celles-ci soient capitalistes ou socialistes ; ils doivent trouver des raccourcis pour combler le retard de leurs forces productives matérielles et humaines. Ils ne peuvent le faire qu‟en utilisant systématiquement et de façon généralisée les technologies les plus avancées, les plus progressives. Le progrès technique est à mettre, quel qu‟en soit le coût, au service du développement économique car si le progrès technique se tourne contre l‟homme, cela tient à la nature même des rapports sociaux et de production. La recherche est à élever au rang des préoccupations fondamentales. Les tâches en la matière se résument principalement dans les orientations et options suivantes : élaboration d‟une politique et d‟une administration non bureaucratisée d‟impulsion et de gestion de la recherche techno-agronomique qui auront vocation de coordonner, harmoniser toutes les recherches entreprises par des institutions nationales privées et publiques, mobilisation des moyens financiers mais aussi humains et matériels en vue de l‟équipement et du fonctionnement de laboratoires et autres stations d‟expérimentation, création de banques de données pour tous les chercheurs et autres professionnels de l‟agriculture ainsi que l‟institution de puissants moyens de diffusion et de vulgarisation des résultats obtenus, réforme radicale des institutions universitaires de formation et de recherche pour les impliquer davantage au processus de transformation de l‟agriculture. Ces institutions mettront à la disposition de l‟agriculture des cadres techniques et en même temps prendront en charge la recherche fondamentale et diffuseront dans la jeunesse estudiantine des modes de pensée favorable à l‟agriculture. La politique agricole ne triomphera dans les PSD que si elle réussit à revaloriser profondément l‟agriculture et à transformer les paysans en une force sociale dynamique, politiquement et techniquement préparée à assumer un vaste et profond processus de changement de leur environnement socio-géo-économique. Il faudra comme le souligne une étude du Club de Dakar considérer les paysans non pas comme une source d‟alimentation des caisses de l‟État mais comme une force dynamique, capable de contribuer à la construction nationale. Les promesses faites par les hommes politiques et les fonctionnaires n‟ont pas été tenues, par conséquent, le monde rural est retombé dans la prostration et l‟apathie… Les vieux qu‟on trouve dans les villages sont fatigués et les jeunes des villes ne veulent pas s‟y rendre sans être assurés de pouvoir profiter de tous les avantages du monde moderne. Il faudrait alors revaloriser le monde rural, lui redonner ses valeurs culturelles et lui indiquer des méthodes de production, seules susceptibles de promouvoir un développement autocentré»31. Ce sont là des tâches que l‟État seul peut entreprendre et réussir s‟il Club de Dakar : Évolution passée et situation actuelle des pays francophones. Rapport de M. ILLY de l‟Afrique Équatoriale. Document ronéoté. Il écrit que ce qui manque au niveau des gouvernements, c‟est une prise de conscience sans réserve et une appréciation approfondie des actions de développement menée depuis l‟indépendance, une mise en évidence des défaillances humaines politiques et administratives. Ce qui se produit dans les démocraties à travers les débats 31 41 sait échapper au travers bureaucratique, au paternalisme et au volontarisme, aux folles prétentions d‟apporter du dehors et d‟en haut les modifications structurelles du milieu rural. Il doit alors trouver la voie et les formes les plus accessibles et les plus acceptables aux populations rurales pour réaliser toutes les mutations économiques et sociales. parlementaires, les changements de pouvoir et une presse éclairée compétitive, n‟est point possible en Afrique : on crée et entretient des tabous et des mythes, des terrains sacro-saints et une communication à la hauteur de radiotrottoir. 42 CHAPITRE 16: INDUSTRIALISATION ET DEVÉLOPPEMENT : QUELLES PERSPECTIVES POUR L’AFRIQUE ? Faut-il encore des politiques industrielles ? 32 « GHANDI et son rouet, MAO et ses hauts fourneaux de campagne ont cheherché des voies nouvelles. Derrière eux, nombre d’intellectuels, partisans de la technologie «intermédiaire», « adaptée », appropriée ou « pertinente», restent persuadés que l’on peut écrire pour chaque situation une histoire industrielle spécifique…33 » Henri Rouillé d’ORFEUIL L‟industrialisation s‟est toujours posée, au niveau des PSD comme une priorité pour la valorisation des ressources naturelles d‟origine agricole et minière, dans la recherche des nombreuses externalités positives qu‟elle exerce sur l‟ensemble des secteurs de l‟activité économique et sociale : création de valeur ajoutée, effets d‟impulsion sur d‟autres secteurs d‟activités (économiques, agricoles et tertiaires), nombreux effets induits, création d‟emplois, augmentation des revenus des individus et des finances publiques, incidences sur l‟organisation sociale et le bien-être des populations. En toute conséquence, le système industriel contribue d‟une part à une meilleure exploitation des ressources naturelles et d‟autre part à accroître le savoirfaire et les innovations technologiques. Pourtant, malgré ces effets positifs attendus, deux idées défavorables sont véhiculées concernant les politiques industrielles. Selon la première, à l'heure de la mondialisation, les politiques industrielles ne seraient plus nécessaires ; quant à la seconde, elle affirme qu‟aujourd‟hui ces politiques ont radicalement changé de nature car elles intéressent des territoires ayant des attractivités qui les rendent compétitives comme les infrastructures de base, la qualité de l'environnement institutionnel et des affaires, la sécurité des biens et des personnes, la disponibilité de pôles de recherche et d‟innovation et des systèmes pertinents de formation des ressources humaines. Les débats sur la politique industrielle sont ainsi bien relancés surtout à la lumière des préoccupations des PSD qui se caractérisent généralement par leurs faibles bases industrielles. Ce qui avait amené l‟ONUDI à la Conférence de Lima (1975) à fixer l‟objectif de 25% de la Production industrielle mondiale en 2005 à atteindre par les Pays du Tiers-Monde. Trente années après, on est trop éloigné de l‟objectif car ces pays réalisent à peine 10%, même si certains d‟entre eux ont créé des espaces industriels assez denses notamment en Asie et en Amérique Latine. Dans cette direction, trois questions se posent et doivent être nettement élucidées au double plan théorique et pratique: 1°) Quels sont les effets attendus de toute forme d‟industrialisation, autrement dit, quelles ont été les fonctions essentielles de l‟industrialisation dans les processus historiques de développement économique et social des pays actuellement développés? C‟est le titre d‟un article de Philippe FREMEAUX. À la Session de 2001 de l‟École de Dakar, j‟avais introduit une question pas très éloignée de celle Ŕlà : L‟industrialisation est-elle encore possible ? Alors Quel modèle pour le Sénégal ? Cette réflexion sera publiée comme une évaluation concrète d‟un système industriel africain 33 H.R.d4ORFEUIL : Le Tiers monde, Colletion Repères, La Découverte, Édition de 1997 p58 32 43 2°) Ces fonctions peuvent-elles se reproduire dans les PSD fortement articulés à la mondialisation par une spécialisation dans l‟exportation des matières premières agricoles et minières industriellement valorisées à l‟extérieur ? Une stratégie conséquente d‟industrialisation dans ces pays dépendants et aux structures productives extraverties est-elle encore possible? 3°) Malgré une présumée inexistence de perspective industrielle au regard de l‟organisation des nouveaux territoires industriels au Nord, les NPI d‟Asie se sont ouverts des boulevards ; cette voie inédite appelle de nouvelles questions : « comment ont-ils fait ? Le processus est-il ouvert pour les PSD, y compris ceux d‟Afrique ? Ou sont-ils irrémédiablement condamnés à être des exportateurs de matières premières agricoles et minières et importateurs nets de biens industriels ? » Si ces trois (03) problématiques ne sont pas clairement éclaircies, on ne saura jamais de quoi on parle en matière d‟industrialisation, et encore moins ce qu‟il faut réellement faire. Section 1 : Quelques observations sur les bénéfices produits et attendus de toute industrialisation. Si les débats sur les perspectives et modèles d‟industrialisation dans les pays en voie de développement sont d‟une affligeante pauvreté, cela procède souvent des obscurités de départ sur le rôle historique de l‟industrialisation dans le processus de développement économique et social. Faute d‟avoir profondément analysé ces fonctions industrielles, les théoriciens sont balancés entre deux extrêmes : la première qu‟on pourrait qualifier d‟industrialisme tente d‟expliquer toutes les évolutions socio-économiques par la révolution industrielle ; en d‟autres termes, c‟est elle qui introduit toutes les ruptures dans le système productif et même social pour installer des mécanismes et un dynamisme nouveau : l‟industrie est une condition nécessaire et suffisante du développement économique et social. On sert de la barbarie par transformation des outils. Le second extrême considère l‟industrialisation comme l‟étape la moins importante. Pour sortir de ces visions extrémistes, il importe de retracer les fonctions de l‟industrialisation telles qu‟elles se révèlent dans l‟expérience des pays actuellement industrialisés. À grands traits, l‟histoire des pays établit que l‟industrie a produit cinq (05) séries d‟effets qui font qu‟elle est désirée et considérée comme une variable essentielle du processus de transformation des forces productives matérielles et humaines. Ces séries d‟effets se résument comme suit : l‟accroissement de la productivité du travail et de celle des autres sous-secteurs de l‟activité économique ; en d‟autres termes, l‟industrie en assistant les bras de l‟homme et les autres secteurs d‟outils fonctionnels, accroît leur niveau d‟efficacité 34; c‟est ainsi que certains goulots d‟étranglements sont liquidés, ce qui permet l‟avènement d‟un travail plus efficient ; la valorisation des ressources naturelles conformément aux besoins des autres secteurs. De ce fait, l‟industrie devient la source d‟importantes économies externes. C‟est cela qui permet le fonctionnement d‟un système productif cohérent au niveau des différentes activités de production ; L‟industrie, c‟est la possibilité de créer des outils qui améliorent systématiquement les conditions de travail des producteurs et dans les branches. C‟est ce qui fait écrire à A. EMMANUEL que « sommairement parlant, la production de richesses est fonction de la quantité d‟outils et de matière grise dont les bras de l‟homme sont absents dans le travail productif » (Le prix rémunérateur). 34 44 la formation et l‟accroissement du capital productif national. Le processus d‟industrialisation est largement générateur de surplus financiers qui peuvent être réinvestis pour accroître les capacités intra-sectorielles de production (investissement autonome) ou transférés vers d‟autres utilisations productives. Ainsi, l‟industrie se présente comme une source importante d‟accumulation ; l‟industrie contribue largement à la création et à l‟affermissement du marché national, c‟est-à-dire qu‟elle ne peut exister sans élargir la sphère de la circulation des biens et briser les barrières régionales. De fait, elle contribue ainsi à la création d‟une infrastructure de base. Comme l‟observe J. E. RWEYNEMAMU, l‟industrie a «développé les économies en les intégrant et en les rendant souples et capables d‟engendrer elles-mêmes une croissance autonome»35 ; l‟industrie accroît et diffuse la technologie et devient ainsi un vecteur d‟élargissement du potentiel scientifique et technique, un amplificateur du savoir faire. Ces effets attendus justifient la mise en place de politiques industrielles qui en dernière instance, permettent non seulement une amélioration de la productivité globale et des aptitudes techniques, mais aussi une valorisation ou une exploitation conformément aux besoins de l‟activité économique des ressources naturelles. Cependant, ces effets ne peuvent être produits dans les meilleures conditions par n‟importe quelle structure industrielle. Si le secteur des biens d‟équipement est jugé prioritaire, c‟est principalement à cause de sa capacité à optimaliser chacune des cinq (05) fonctions retenues. On dit alors que la forme industrielle optimum est l‟industrie industrialisante qui possède la capacité à installer une structure industrielle ayant d‟importants effets d‟entraînement et de polarisation, possédant les moyens internes de formation et de diffusion d‟une importante technologie. Bien entendu, les conditions de création de cette forme d‟industrialisation ne sont pas toujours présentes. Historiquement dans les pays développés, elles ont été facilitées par deux facteurs : d‟un côté la nécessité objective de produire ces biens en l‟absence de toute autre possibilité et de l‟autre, le fait qu‟il n‟y ait pas eu une grande disparité entre les technologies modernes et les technologies traditionnelles. Ces deux facteurs sont largement battus en brèche dans les formations sousdéveloppées par d‟une part, les possibilités d‟importation des biens d‟équipement qui ne rendent plus nécessairement impératif leur production interne et d‟autre part, l‟important gap technologique qui sépare le secteur moderne et le secteur traditionnel. Ces spécificités n‟enlèvent rien au fait que l‟industrie qui maximise les effets est l‟industrie industrialisante. Cette structure industrielle peut-elle être induite dans les formations sousdéveloppées articulées à la Division Internationale du Travail (DIT) ? Section 2 : L’industrialisation avortée des PSD insérés dans la mondialisation Le processus d‟industrialisation des formations sous-développées insérées à la DIT se caractérise selon l‟expression de Samir AMIN par une « distorsion en faveur des branches et techniques légères » qui apparaît, au demeurant, dans les deux formes dominantes de l‟industrialisation par substitution aux importations et la J.F. RWEYEMAMU : Le modèle de développement industriel capitaliste perverti Ŕ IDEP/ET/CS/2367-18. 35 45 délocalisation faisant suite à l‟émergence tendancielle d‟une alors s‟interroger sur les perspectives qu‟offrent ces d‟industrialisation extravertie, c‟est-à-dire animée technologiquement par l‟extérieur, principalement selon la valorisation internationale du capital. nouvelle DIT. Il faut deux (02) modèles financièrement et logique même de la I/ Les effets de l’industrialisation par substitution aux importations La littérature sur la question est aujourd‟hui fort variée mais il n‟existe aucun auteur pour soutenir que le modèle d‟industrialisation a produit des effets d‟entrainement sur les économies concernées. L‟unanimité semble même se faire autour de l‟idée que les statistiques confirment, selon laquelle l‟industrie par substitution aux importations (ISI) part d‟une demande préexistante formée par les besoins de la minorité fortunée liée aux activités exportatrices, spéculatives d‟origine commerciale et immobilière ou aux hautes sphères des fonctions publiques et douée d‟un modèle de consommation similaire à celui des pays capitalistes développés. Cette demande détermine les techniques à adopter, c‟est-à-dire le coefficient de capital. Le processus d‟industrialisation sera donc totalement conditionné par ces préalables et fonctionnera en circuit fermé pour les minorités locales fortunées. La conséquence comme le souligne M. IKONICOFF est que ni la disponibilité des facteurs, ni la constellation des ressources à l‟échelle nationale ne sont des données significatives du choix de la technologie36, autrement dit, le vecteur de l‟industrialisation est la demande interne à satisfaire, en conséquence les effets induits par les facteurs de production seront limités. Dans ces conditions, «l‟ISI, loin de constituer une prolongation de l‟appareil productif traditionnel ou une transformation de ce dernier, constitue un transfert du centre vers la périphérie d‟activités productives liées à une clientèle consommatrice conditionnée et contrôlée»37. Par ailleurs, ce modèle d‟industrialisation augmente, accentue les déséquilibres dans le système productif et dans la structure sociale. En effet, il exclut de la consommation des biens manufacturés de trop larges couches de la population. C‟est ainsi que va se renforcer l‟hétérogénéité structurelle caractéristique des pays sous-développés et défavorable au progrès socio-économique. Toute la littérature sur l‟industrialisation de substitution d‟importation s‟accorde sur un certain nombre de constatations à savoir : que le modèle ne contribue ni à la création de biens d‟équipement ni à l‟accroissement des économies externes des autres secteurs de l‟activité économique avec lesquels il a du reste des liens très réduits, ni même à l‟augmentation de la productivité du travail ; que le modèle accroît la dépendance technique et financière, sans que celle-ci ne soit quelque peu compensée par des retombées positives sur la technologie, la productivité et l‟accumulation interne de capital. Dans cette optique, l‟ISI contrôlée au triple niveau technique, financier et gestionnel est à la fois un facteur d‟endettement et de déséquilibre extérieur ; qu‟il consolide, les enclaves industrielles, désarticule l‟économie et favorise la création de structures oligopolistiques non concurrentielles ; M. IKONICOFF : « Transfert de technologie et conditions d‟industrialisation ». Revue Coopération Technique, juin 1973. 37 Abdel Kader S. AHMED : « Sous-développement, industrialisation et dépendance ». Revue algérienne, sept. 1976. 36 46 qu‟il développe des effets sociaux importants en creusant «la dichotomie entre d‟une part, la masse marginalisée des ruraux et des populations périurbaines et d‟autre part, les minorités liées aux secteurs modernes industriel, administratif et commercial des villes»38. Pour des pays dont le système des forces productives accuse un retard énorme, et qui ont par conséquent besoin d‟une industrialisation accélérée augmentant, quel qu‟en soit le coût, la productivité du travail et des autres secteurs, permettant une mise en valeur intégrale des ressources naturelles, l‟industrialisation par substitution d‟importation n‟est pas la voie. Même si l‟ISI est la source d‟une croissance reposant sur des actions polarisées, elle restera toujours limitée par l‟étroitesse du marché intérieur circonscrit principalement aux hauts niveaux de revenus urbains 39. C‟est en cela que l‟ISI est une forme avortée d‟industrialisation, c‟est-à-dire qu‟à terme, elle connaîtra irrémédiablement un blocage insurmontable qui la ramène à une industrie fonctionnant en circuit fermé40. Le processus restera bloqué tant que le système industriel ne s‟élargit pas à la demande des populations rurales et des autres secteurs décisifs de la vie économique. Seulement, si cette extension s‟opérait, cela signifierait que l‟industrialisation cessera d‟être de substitution aux importations. En clair, l‟avenir industriel n‟est pas dans la stratégie d‟industrialisation par substitution aux importations qui est imposée et non maîtrisée dans ses différentes composantes par les formations sociales sous-développées. Un tel système fonctionne par et pour les économies centrales. Qu‟en est-il de la seconde tendance que l‟on observe dans les pays sousdéveloppés articulés à la division internationale du travail : la délocalisation industrielle ? II/ La délocalisation industrielle est- elle industrialisante ? La crise de l‟économie mondiale sans être aussi spectaculaire que celle de 1929, n‟en demeure pas moins plus ample, plus étendue, plus profonde et plus longue. D‟abord, elle est caractéristique par son ampleur car elle affecte toutes les composantes de la vie économique et tous les pays quels que soient leur taille, leur poids et leurs options de système. Certains, à la vue de ces faits, ont pensé que l‟on est arrivé à la phase ultime du libéralisme et qu‟il s‟amorce une nouvelle phase d‟autarcie ou de multilatéralismes partiels. L‟ordre productif est sérieusement ébranlé, de même que les échanges et le système monétaire tombé en ruine. Ensuite, la crise actuelle est caractéristique par sa profondeur et l‟étendue de ses effets. L‟inflation s‟est généralisée en s‟imposant comme un phénomène permanent. Elle exprime la crise monétaire internationale et l‟installation de fortes fluctuations monétaires, une dégradation de toutes les institutions monétaires et les structures de coopération et de concertation. L‟insécurité est la cause de l‟instabilité monétaire permanente et générale. Le chômage est l‟autre composante et affecte des Patrice ROBINEAU : « Impact de l‟industrialisation sur la production agricole et le développement rural ». Monde en développement, n° 31/32, 1980. 39 MONTASSER fait observer que la phase de substitution n‟est pas toujours caractéristique mais ce qui est important, c‟est que la production de substitution pourrait être le moteur de la croissance. Seulement, le niveau de cette production sera toujours fonction de la demande de minorité possédante. L‟extension ne pourrait venir que d‟une nouvelle distribution des revenus ou d‟une extension des bases de l‟exportation (sur le marché mondial) de la production interne. Il y a là une série de problèmes qui se transmettent en facteur de blocage de l‟ISI. 40 Alexandre FAIRE : « Stratégie du Nord et Stratégie du Sud » in. L‟Avenir Industriel de l‟Afrique Édit. L‟harmattan. 38 47 millions de travailleurs. Jamais l‟armée de réserve n‟a été aussi imposante quantitativement et qualitativement. Dans les formations sous-développées terriblement endettées, la famine et la misère s‟installent et pèsent comme une rude fatalité sur des millions de personnes condamnées à tendre la main pour survivre et à attendre leur existence de la bonne volonté et de la générosité internationale. Enfin, la crise actuelle est caractéristique par sa durée. Elle a démarré vers les années 1970 et elle dure encore. Les crises passées, quelle que soit leur rigueur, ont été relativement de courte durée. Pour en sortir, il faut un bouleversement radical de l‟ordre politique, social et économique mondial, une restructuration de l‟espace mondial, de la division internationale du travail. Il semble que la réponse capitaliste tourne autour de l‟éclatement de la DIT et de la constitution de blocs relativement autonomes correspondant à une stratégie de division des risques. Il s‟agit donc de créer une nouvelle hiérarchisation fondée principalement sur la maîtrise de certains éléments du pool technologique. La délocalisation industrielle procède de cette logique du monde multipolaire. Quel en est le principe ? Dans l‟optique de l‟internationalisation, chaque entreprise utilise au mieux de ses intérêts l‟espace régional de déploiement du capital. Elle essaiera de découvrir le lieu optimal de production et de commercialisation et en conséquence, décomposera les processus de production. C‟est la tendance à la création de filiales-relais41, notamment dans les formations sous-développées où les coûts de la main d‟œuvre sont faibles. Selon A. FAIRE, les bases objectives de la délocalisation sont l‟épuisement des innovations technologiques majeures au Centre et le fait que la concurrence devient essentiellement une concurrence par les coûts qui pousse les groupes vers des régions à faibles rémunérations du travail. En effet, les groupes qui ont les coûts les plus faibles peuvent élargir leurs marchés aux dépens des autres42 . Ce processus de délocalisation tendant à rejeter vers la périphérie certains segments de production concerne principalement les secteurs industriels déclinants, certaines productions technologiquement banalisées ou absorbant une forte quantité de main-d‟œuvre43. Comme l‟obverse A. FAIRE, «qu‟il s‟agisse d‟unités de production de produits banalisés contrôlées par les groupes multinationaux … ou appartenant aux secteurs non monopolistes de l‟industrie du centre (textile, habillement, cuirs et chaussures, …), la relative stagnation des marchés centraux provoquée par la crise, rend considérablement plus sévère la concurrence par les coûts ... Dans la mesure où la crise a déjà réinstauré le leadership américain dans le monde occidental, on pourrait penser que rien ne s‟oppose plus à un mouvement important de délocalisation industrielle vers les pays du Tiers-Monde, concernant l‟ensemble des branches industrielles, à l‟exception des industries de pointe»44. Ces transferts peuvent être importants et concerner des secteurs décisifs (sidérurgie, pétrochimie) seulement, au meilleur des cas, ils forment un processus industriel de contrôle constituant un facteur d‟articulation au marché mondial et ayant un coût financier et social excessif. En effet, comme l‟observe D. GERMIDIS, Dimitri GERMIDIS : « Firmes multinationales et transferts technologiques dans les PVD ». Revue Civilisation, n° 3-4, 1978. 42 Alexandre FAIRE : « l‟Avenir industriel de l‟Afrique », p. 100. Édit. L‟Harmattan. 43 B. MADEUF : « Le transfert de technologie et la nouvelle DIT ». Revue d‟Économie Industrielle, n° 14, 1980. 44 A. FAIRE, op. Cit. pp. 101-103. 41 48 les firmes délocalisées jouent le rôle de sous-traitant à l‟échelle internationale et cela entraîne une modification du transfert technologique vers le pays d‟accueil. La délocalisation ne saurait alors présider à une stratégie conséquente d‟industrialisation. La décision échappe au contrôle des décideurs45. L‟ISI comme la délocalisation industrielle ne constituent pas des modèles d‟une politique industrielle conséquente. Elles procèdent de la volonté du capitalisme mondial de dominer ses marchés extérieurs comme prolongements indispensables des marchés intérieurs, d‟opérer une installation efficiente au mieux de ses intérêts et de réaliser ainsi une valorisation internationale du capital. C‟est dire que le capitalisme périphérique extraverti n‟offre aucune perspective transparente d‟une industrialisation indépendante et capable de produire d‟importants effets induits sur l‟emploi, la technologie, la productivité. Quelle est la stratégie d‟industrialisation la plus progressive ? Section 3 : Quel modèle alternatif pour l’industrialisation des PSD ? Les axes d‟une politique industrielle indépendante et autocentrée se formulent aisément et se réduisent d‟une part à la définition et a la mise sur pied d‟une industrialisation rurale qui ne procède d‟aucune accumulation primitive. Cependant, celle-ci s‟organise pour fournir des moyens de production et de biens de consommation nécessaires à l‟expansion de l‟agriculture ; d‟une part l‟industrie doit rendre possible la révolution agricole. Et d‟autre part elle doit participer à l‟élaboration d‟une politique, de mécanismes d‟appropriation et de diffusion de la technologie permettant une amélioration de la technique et de la productivité du travail. La réalisation de tels objectifs passe par une analyse des articulations expressives : agriculture Ŕ industrie, industries lourdes Ŕ industries légères, technologie à coefficient capitalistique élevé Ŕ technologie utilisatrice de maind‟œuvre. Cette analyse permettra de dégager les directions d‟action, donc les domaines d‟allocation des ressources financières et humaines. I/ L’industrialisation rurale : l’organisation des relations de production intersectorielle Les PSD sont principalement des sociétés où l‟agriculture est dominante par les ressources qu‟elle procure et la population qu‟elle occupe. Pour cette double raison et également pour les fonctions qu‟elle a historiquement jouées dans le développement économique et social, elle est un élément essentiel, une pièce centrale dans la stratégie des transformations socio-économiques. La crise profonde dans laquelle elle est placée, qui se matérialise dans la faiblesse de la productivité du travail, le caractère rudimentaire des outils, le faible volume des surplus formés et la dégradation permanente de l‟existence des producteurs, trouve sa solution dans deux Les Zones Franches constituent une parfaite illustration de cette industrialisation d‟enclave. On installe ainsi dans un pays sous-développé une filiale atelier qui échappe totalement au contrôle des autorités locales. 45 49 (02) directions : d‟une part les transformations structurelles et d‟autre part, son articulation en amont comme en aval avec le secteur industriel. Disons le clairement, les formations sous-développées ne pourront accéder à une mutation structurelle adéquate et une transformation radicale de leur agriculture si elles ne constituent pas un système industriel qui satisfasse les besoins en amont et en aval de l‟agriculture. En amont, ce système industriel doit fournir les instruments de travail mécanique, les produits phytosanitaires, les fertilisants nécessaires pour réaliser une expansion régulière de la production. En aval, l‟industrie doit contribuer à la valorisation de la production agricole ; ce qui commande la promotion des industries agroalimentaires, textiles, des cuirs et pharmaceutiques. C‟est de cette manière que l‟industrie, contrairement à l‟expérience historique européenne, rendra possible et relancera la révolution verte indispensable. Dès lors, les relations entre l‟agriculture et l‟industrie deviennent déterminantes pour un développement économique équilibré. Elles vont constituer un ensemble de systèmes complexes qui sera au cœur des préoccupations des décideurs politiques et des techniciens du développement. Comme le recommande Pierre GONOD46, l‟élaboration d‟un modèle entendu comme la schématisation grossière d‟une réalité riche et complexe est nécessaire pour représenter les diverses articulations entre les deux (02) secteurs et pour opérer des choix décisionnels. Les axes pourraient être : Premièrement, l‟analyse du système rural pour saisir l‟ensemble des éléments interconnectés et appréhender toutes les contraintes et obstacles qui s‟opposent aux transformations. Cela concerne l‟écosystème, la force de travail, l‟ethnie, la culture. Cette analyse revêt toute son importance car elle devra permettre de décrypter toutes les relations des divers éléments de la structure agraire complexe. On verra alors les modifications à apporter et la méthode à utiliser. Deuxièmement, la spécification des moyens de production nécessaires et adaptés au système rural considéré comme un tout intégré. Pierre GONOD distingue trois (03) catégories de moyens de production : les moyens de production exogènes, c‟est-à-dire ceux fournis par l‟industrie (moyens mécaniques, chimiques, énergétiques). On pourra observer que chaque catégorie de moyens peut donner lieu à la constitution d‟une industrie. On aurait alors trois (03) sous-secteurs industriels liés aux activités agricoles : celui de l‟aménagement des infrastructures de base : réseaux d‟irrigation, barrages, bâtiments de stockage, etc., celui des biens de consommation intermédiaires que l‟on appelle les intrants agricoles : les machines-outils, les engrais, les produits phytosanitaires, celui de la valorisation, de la conservation et de la transformation de la production agricole. Il apparaît clairement à la simple énumération de ces domaines d‟action, que le secteur agricole peut et doit en dernière instance, définir le contenu de l‟industrialisation. En d‟autres termes, la structure industrielle à développer devra être orientée pour servir principalement l‟expansion soutenue de la production et des activités agricoles. Troisièmement, les techniques de production trouveront à articuler de façon harmonieuse celles qui sont extensives avec celles qui sont intensives. C‟est à ce niveau que l‟on perçoit tout l‟intérêt de l‟industrialisation rurale. Selon l‟observation de P. F. GONOD, «les unités agricoles en tant que centre de Pierre F. GONOD : « Vers un rééquilibrage des relations entre l‟agriculture et l‟industrie ». Revue «Monde en Développement », n° 31-32, 1980. 46 50 pouvoir réagissent aux perturbations économiques externes». Elles sont obligées d‟améliorer leur forme d‟organisation et de gestion pour ne point subir de sanctions économiques négatives qui les condamneraient à la disparition. Elles vont se trouver ainsi dans l‟obligation d‟épouser une nouvelle rationalité en cherchant les combinaisons les plus efficientes des intrants industriels pour maximiser les profits. Ainsi, l‟industrie déclenche au niveau de l‟agriculture non seulement un esprit productiviste mais aussi de nouvelles normes de décision, de production et de gestion des unités économiques. De même, la propension à l‟utilisation de technologie progressive dans le monde rural va s‟élargir. La paysannerie comprendra toute seule, ou aidée par les divers services de recherches et de vulgarisation, que l‟obtention d‟une production élevée, donc des revenus monétaires appréciables est directement fonction d‟une agriculture intensive au double niveau de la productivité du sol et du travail. Or, ces objectifs de productivité sont atteints par une utilisation des engrais et de la mécanisation. Si la socialisation de l‟agriculture est recherchée, c‟est bien pour obtenir des unités économiques de dimension optimale permettant une utilisation efficiente des intrants de l‟industrie rurale. C‟est l‟une des raisons pour lesquelles le socialisme doit d‟une part, lutter mais très démocratiquement contre le principe travailliste de la terre à ceux qui la travaillent et d‟autre part, mettre sur pied de façon non bureaucratique des fermes d‟État. Dans un premier cas, le morcellement des terres installe des formes minifundiaires qui posent plus de problèmes qu‟elles n‟en résolvent. Comme le note A. BOUZIDI, «saisir les terres puis les redistribuer selon ce principe ne règle absolument pas la question de savoir dans quel cadre doivent travailler ceux qui perçoivent la terre, pour quels objectifs précis doivent-ils le faire et comment les emmener à le faire effectivement»47. Ce problème est important, seulement il doit être réglé démocratiquement par une persuasion de la petite paysannerie pauvre et parcellaire pour l‟entraîner vers la coopération. Dans le second cas, l‟État devra donner l‟exemple en réorganisant l‟agriculture de façon rigoureuse et conséquente. Il pourra alors créer des unités de dimensions appropriées pour recevoir la mécanisation et les autres facteurs modernes de production agricole. Il reste entendu que le travers bureaucratique devra être dépisté et impérativement éliminé. Au total, l‟unité de décision qui optimise les intrants de l‟industrie doit être de grande taille car s‟il n‟en était pas ainsi, les investissements techno-agronomiques réalisés ne pourraient être rentabilisés. En effet, toute baisse tendancielle des surplus monétaires de la paysannerie serait un frein au processus recherché de modernisation de l‟agriculture. Par l‟industrialisation, les formations sous-développées doivent amorcer dans les meilleures conditions, une profonde révolution agraire. Il s‟agit de mettre la science et le savoir-faire technique au service d‟un vaste mouvement de transformation radicale et profonde des structures et de la base matérielle du secteur agricole. Le second aspect de l‟industrialisation concerne la valorisation en aval de la production agricole. Ces industries d‟aval exercent d‟importants effets sur les techniques de production. Il s‟agit principalement d‟un feed-back qui «se manifeste sous forme contractuelle dans le cas d‟intégration verticale par le respect de programmes de production, de livraison, de standards de qualité, qui sont directement liés à l‟utilisation de techniques déterminées»48. En plus, de telles 47 48 A. BOUZIDI, op. cit., p. 300 Pierre F. GONOD : op. cit., p.281. 51 industries fournissent aux populations rurales un complexe de biens permettant de couvrir certains besoins quotidiens. Enfin, elles contribuent dans une large mesure à la décentralisation industrielle. Au total, l‟industrialisation rurale permet : premièrement, le double accroissement de la productivité du sol et du travail, donc l‟augmentation de la production ; deuxièmement, le développement conséquent d‟une substitution aux importations, donc d‟une réduction du déficit extérieur, troisièmement le transfert et la diffusion technologique, et quatrièmement, elle augmente l‟efficience de l‟ensemble des structures de production et même de commercialisation. La Chine comme l‟Inde ont offert des expériences édifiantes en matière de politique économique de l‟industrialisation rurale. Par exemple, pour soutenir son agriculture, la Chine a développé un système diversifié d‟industries en amont et en aval du secteur, selon le principe de la ligne de masse qui consiste à « prendre les grandes entreprises comme ossature tout en multipliant les moyennes et les petites entreprises ». Ce principe apparaît très tôt comme le seul capable de traduire dans les faits les mots d‟ordre «d‟indépendance et d‟autonomie », « de compter sur ses propres forces », « de lutter directement et d‟édifier le paysage avec diligence et économie»49. Ainsi, l‟industrie rurale sera intégralement au service de l‟agriculture et permettra la constitution d‟un réseau industriel fait de grandes et petites unités locales. Cette expérience chinoise, comme le note Patrice ROBINEAU, ne peut être reproduite de façon mimétique. Seulement, elle indique des directions d‟action pour valoriser économiquement et socialement le monde rural d‟une part en s‟appuyant sur les acquis séculaires de la paysannerie et d‟autre part, en offrant aux paysans pauvres de profondes motivations pour le travail créateur en le libérant des pires formes d‟inégalité et d‟exploitation50. Le Vietnam développe la même expérience et cette politique industrielle d‟envergure commence à produire un ensemble d‟effets bénéfiques sur la production agricole et les structures agraires. Cette industrialisation au service du monde rural a permis aux pays socialistes d‟Asie d‟atteindre un niveau minimal de sécurité alimentaire. C‟est là un acquis de taille comparée aux situations désastreuses des pays du Sahel où les dirigeants tendent la main pour nourrir les populations rurales. L‟instabilité de l‟environnement ne saurait cacher les énormes erreurs des politiques agraires. Tous les développements établissent en conclusion que les relations entre l‟agriculture et l‟industrie sont déterminantes pour l‟amorce d‟un processus de croissance et d‟expansion économique et sociale. L‟industrialisation, pour être effective, doit prendre en charge tous les besoins du secteur agricole. Celui-ci connaîtra alors des niveaux élevés de productivité et les populations rurales auront des revenus monétaires plus importants permettant la formation d‟une demande de biens de production et de services à l‟industrie qui, à son tour, va se consolider, améliorer ses performances techniques et élargir progressivement ses bases. Patrick TISSIER : La Chine : transformations rurales et développement socialiste. Édit. F.MASPERO. 50 Patrice ROBINEAU : « L‟impact de l‟industrialisation sur la production agricole et le développement rural ; une analyse des effets économiques et socioculturels ». Monde en Développement, n° 31-32, 1980. 49 52 L‟industrialisation rurale permet de résoudre les distorsions sectorielles caractéristiques des formations sous-développées ainsi que la dichotomie croissante et socialement dangereuse entre villes et campagnes. II/ Le modèle asiatique d’industralisation par Promotion des Exportations (IPE) Ce modèle est apparu dans les années 80 en Asie quand l‟ISI s‟est complètement essoufflée. Il est à la base de la caractérisation de ces pays comme les Nouveaux Pays Industriels (NPI) certainement pour montrer, qu‟ils ont en quelque sorte, renouvelé les processus d‟industrialisation dans le contexte actuel de mondialisation. Cela leur a permis de refaire leur retard sur les pays industrialisés. Le modèle se présente sous des formes différentes selon les pays, du Japon qui en a été l‟inspirateur jusqu‟ à la Chine qui l‟a porté à une échelle lui ayant permis de devenir, aujourd‟hui, la Grande Usine du Monde. En faisant la synthèse des différentes politiques des divers NPI, les enchainements constitutifs du modèle se résument dans la mise en synergie de 4 éléments : Le tissu industriel produit des biens destinés à l‟exportation par utilisation de la main d‟œuvre abondante et très bon marché (du fait de l‟offre illimitée de la force de travail) ; Les industries développées sont fortement intensives en main-d‟œuvre Elles sont localisées dans les campagnes ou à la périphérie des villes et utilisent la main d‟œuvre féminine qui va bénéficier de l‟apport de revenus complémentaires ce qui les fixe dans leur espace où elle peut développer d‟autres activités. 51 L‟État joue un rôle déterminant de soutien aux industriels en leur permettant de s‟endetter et d‟exploiter tous leurs avantages comparatifs. Cette stratégie d‟industrialisation passe par la création de Zones franches industrielles valorisant la main d‟œuvre et fortement intégrée au marché mondial. Ce qui permet d‟avoir des produits extrêmement compétitifs (jusqu‟à parfois 50 à 100 fois moins chers) destinés aux meilleurs marchés (les plus solvables, États-Unis et Europe). Les conséquences de cette stratégie sont de trois ordres Une amélioration de la résorption de l‟emploi productif Un accroissement des revenues pour les Individus comme pour l‟État Une augmentation de l‟épargne Bien évidemment les conditions de travail et de production sont très dures et rappellent curieusement les conditions ouvrières de l‟industrialisation naissante en Europe au 19ème siècle. C‟est pourquoi, les zones franches en Asie sont encore appelées des « sweats shops » (ateliers à sueur) avec l‟utilisation abusive de la main d‟œuvre féminine et juvénile. Cette utilisation abusive de la main-d‟œuvre féminine s‟est traduite par un double mouvement l‟accélération de l‟émancipation de la femme et la baisse de la fécondité : deux phénomènes positifs pour le développement. 51 53 Figure 2: Industrialisation par la promotion des Exportations EFFETS PRIMAIRES EFFETS SECONDAIRES (3) (3) Effets multiplicateurs des dépenses accrues (1) Création d‟emplois Production additionnelle (2) Création indirect d‟emplois Effet multiplicateur sur l‟emploi Hausse du PIB Production supplémentaire dans les secteurs liés Hausse de E et I Expansion des exportations des produits manufacturés - - - Effets sur l‟emploi et la production liés aux devises Fuites dues aux importations- - - - - - - - - - Importation de biens de capital et intermédiaire s Hausse des importations liées aux exportations Hausse des importations pour l‟offre interne Recettes en devises accrues Gains nets en devises Hausse de la consommation de produits importés Bilan en devises Source : D‟après Verbruggen, in Van Dijck. III/ Le dilemme industrie lourdeŔindustrie légère : la nécessité de l’élaboration d’une politique cohérente de filières industrielles valorisant les ressources de base Dans les développements antérieurs, il a été établi qu‟historiquement l‟industrie lourde a été à la base du développement de tous les systèmes sociaux 54 (capitaliste comme socialiste.) Tous les processus d‟industrialisation véritable sont partis de tendances lourdes qui ont amené des mécaniques nouvelles qui vont détruire et remplacer systématiquement toutes les vieilles techniques. Ainsi, le capitalisme a vaincu tous les autres systèmes sociaux antérieurs en révolutionnant systématiquement les moyens de production. C‟est ce constat qui faisait dire à MARX que la bourgeoisie a joué un rôle historique éminemment progressiste qui a été de tirer l‟humanité de la stagnation, de la barbarie. Et depuis, le pays qui a le plus développé les tendances lourdes a dominé la division internationale du travail et s‟est soumis les autres systèmes productifs. Conformément aux schémas de la reproduction élargie et dans ses versions européennes, le socialisme réel a développé prioritairement l‟industrie lourde c‟est-à-dire le développement prioritaire du secteur des biens de production.52 Les PSD qui visent la réalisation d‟un développement rapide de leurs forces productives doivent avoir une politique industrielle comportant deux composantes : d‟une part, le développement prioritaire des industries rurales et d‟autre part, la constitution simultanée de secteurs de valorisation des ressources naturelles existantes. Bien entendu, cette politique d‟industrialisation doit articuler, comme le note S. AMIN, «un secteur moderne de l‟industrie rénové dans ses orientations au secteur des petites industries rurales qui permettent de mobiliser les forces latentes du progrès»53. Ce développement industriel, essentiellement au service des besoins internes, s‟appuie sur les secteurs suivants : La production des biens d‟équipements industriels permettant de valoriser les matières premières locales, de production de machines-outils et d‟instruments qui peuvent être destinés au secteur rural, L‟industrie chimique : industrie chimique minérale (électrochimie, souffre), engrais, produits phytosanitaires, produits pharmaceutiques, produits de la chimie organique, L‟énergie, car ce secteur est vital en ce qu‟il accompagne et conditionne le développement industriel. Dans ce sens, l‟élaboration d‟une structure industrielle cohérente et autocentrée s‟impose inévitablement aux décideurs des formations sous-développées. Ces pays ayant besoin de faire leur retard, l‟industrie industrialisante s‟impose à eux comme l‟alternative unique. Dans cette optique, l‟État est appelé à jouer des fonctions importantes au triple niveau de la définition des secteurs prioritaires, de l‟allocation intersectorielle des ressources et de la socialisation. Cela se traduira surtout par le fait que l‟État sera l‟initiateur et le réalisateur (à titre principal) du programme industriel qui devra être très fortement concentré. Il faudra bien sûr éviter d‟écraser les initiatives privées, mêmes externes, qui exploitent dans de meilleures conditions certains secteurs industriels et satisfont aux moindres coûts certaines demandes de bien manufacturés. C‟est souvent le cas dans les industries de transformation. Voir sur ce point l‟article de G. DEBERNIS : le Sous-développement, analyses ou représentation. In Revue Tiers-Monde, n° 57, janvier-mars 1974. L‟auteur y observe avec pertinence qu‟il faut se méfier cependant des similitudes qui dissimulent des différences essentielles. De même, il faut se méfier des recettes que l‟on prétend tirer de l‟expérience européenne. Elles n‟ont de sens que si elles ne proviennent pas d‟une réduction du processus européen d‟industrialisation à des phénomènes tout à fait secondaires : le textile non la mécanique, le taux d‟épargne et non le modèle de consommation. 53 Samir AMIN : Développement autocentré, autonomie collective et nouvel ordre économique international. L‟Avenir Industriel de l‟Afrique, p.30. 52 55 L‟État devra éviter une intervention directe et massive dans ce secteur des industries de transformation qui doivent être partiellement ou totalement abandonnées à l‟initiative privée. Il faudra l‟aider et l‟encadrer pour que d‟une part, elle utilise au maximum et de façon efficiente les matières premières locales existantes et d‟autre part, qu‟elle satisfasse les besoins prioritaires de consommation. Certains États se sont énormément distraits à vouloir contrôler tous les compartiments du secteur industriel. Dans ces cas d‟espèce, ils ont souvent installé des bureaucraties lourdes gérant parfois un vaste secteur industriel composé pour l‟essentiel d‟unités de production déficitaires et maintenues grâce à des subventions financières. Il y a là un énorme gaspillage de ressources rares qu‟il faut éviter en circonscrivant l‟intervention de l‟État dans les unités véritablement décisives de l‟industrie de base. De telles unités nécessitent de lourdes immobilisations financières qui ne sont pas à la portée des entrepreneurs privés nationaux ou étrangers. Ceux-ci ne pourraient point s‟intéresser à de telles entreprises si la rentabilité économique et financière est lointaine ou simplement douteuse. La création de complexes industriels qui ont un caractère industrialisant entraîne trois séries de conséquences qu‟il faut entièrement assumer, à savoir : une dépendance souvent très forte vis-à-vis de l‟engineering international, une dépendance financière à l‟égard des institutions financières externes, une dépendance vis-à-vis des marchés internationaux sur lesquels il faut écouler les surplus de production du système industriel. Cette triple dépendance est souvent dénoncée particulièrement par les forces politiques dites progressistes, comme si elle était évitable. Dans le fond, il faut savoir avec exactitude ce que l‟on veut dans une politique économique. Si la finalité reste la construction d‟un système industriel, il faut chercher les moyens partout où ceux-ci peuvent se trouver et accepter les conséquences en essayant cependant de les atténuer. Il en est ainsi parce que les pays ne contrôlent pas les éléments essentiels de l‟industrialisation. Ils doivent accepter cette triple dépendance pour s‟en libérer progressivement avec d‟une part, l‟émergence d‟un engineering national et d‟autre part, la création de surplus financiers importants. Si les formations sous-développées refusent l‟alternative de l‟autarcie et de la stagnation, leur processus d‟industrialisation passera par une période de dépendance externe. Seulement, elle est voulue contrôlée et surtout transitoire. Le « raccourci de rattrapage » passe par l‟acceptation de cette dépendance. Dans cette optique, même MAO-TSE-TOUNG admettait que « sans aide étrangère, en prétendant ne compter que sur nos propres forces, nous n‟y arriverons pas ». Le « forcing » industriel est donc à ce prix. Il est certain qu‟il comptera des gaspillages, des retards et des pannes mais comme l‟observe A. EMMANUEL, si on veut le développement accéléré, c‟est à ce prix. C‟est de la sorte que le Japon, l‟Union Soviétique et la Chine se sont industrialisés. Analysons rapidement ces trois expériences de pays qui se sont industrialisés par une ouverture très grande sur l‟extérieur et l‟acceptation momentanée de la dépendance. Pour le Japon, il faut dire d‟après A. EMMANUEL que «ce pays, loin de s‟opposer à l‟afflux de la technologie occidentale est allé la chercher. Il l‟a imitée, copiée, plagiée, contrefait à tour de bras et à la limite de la légalité. Résultat, loin d‟aggraver sa dépendance, il a ce faisant forgé les instruments de sa libération et mis en place les moyens qui lui ont permis ensuite d‟entreprendre ses propres recherches 56 scientifiques et techniques»54. Il en va autrement pour l‟Union Soviétique qui, depuis LENINE a systématiquement accepté la dépendance extérieure contrôlée pour maîtriser la révolution scientifique et technique. On peut se souvenir de la loi de LENINE du 23/11/1920 sur les concessions qui offrait des avantages et concessions sérieusement exorbitants pour obtenir un afflux de capitaux et de technologie. Dans ce sens, la NEP n‟était pas un recul. De même, la Chine est aussi un exemple édifiant d‟acceptation d‟une dépendance externe dans le domaine de l‟industrialisation et de la technologie. Les importations massives venaient d‟Union Soviétique et maintenant du Japon. À la Conférence sur la question des intellectuels55, les Dirigeants Chinois reconnaissaient l‟indispensable nécessité du recours aux technologies étrangères. C‟est bien cela qui se passe actuellement en Algérie où le processus d‟industrialisation s‟accompagne d‟une dépendance externe et d‟un endettement très lourd56. Il s‟agit de contraintes avec lesquelles il faut donc compter. L‟essentiel ne se situe donc pas à ce niveau mais il réside dans la définition d‟objectifs réalistes, dans la mise en place d‟une structure institutionnelle pour gérer adéquatement et rigoureusement le modèle industriel et dans la spécification de l‟ensemble des moyens à mobiliser. Au total et au sein même de la division internationale du travail, l‟industrialisation lourde passe par la recherche de compromis, de formules nouvelles, de collaboration capables de permettre aux PSD d‟accéder dans les délais les plus brefs aux technologies et industries de pointe. C‟est de la sorte que s‟établiront les bases d‟une économie nationale homogène et autodynamique. Bien entendu, la politique appliquée accepte l‟insertion à la mondialisation, même si celleci est soumise aux nécessités du développement dont les objectifs et finalités sont nettement fixés. IV/ Définition des domaines d’action industrielle dans le cadre des États africains 1°) Une méthode de spécification des domaines : les grappes industrielles. La littérature économique s‟intéresse depuis quelque temps à la recherche de méthodes et techniques de structuration ou d‟organisation du tissu productif qui tranchent avec la notion traditionnelle de secteur. Dans cette optique, la notion de grappe est consacrée pour désigner les producteurs de biens ou de services orientés vers l‟exportation (secteurs en tête ou secteurs locomotives), ainsi que toutes les activités annexes contribuant à la compétitivité de ces industries. Les activités annexes sont souvent contrôlées par des petites et moyennes entreprises privées appelées industries de support telles que les fournisseurs de biens intermédiaires. La notion de grappe met l‟accent sur les complémentarités et les interrelations qui existent entre différents acteurs. Ce type d‟approche a fait l‟objet de nombreux développements théoriques et a donné lieu dans plusieurs régions du monde à la mise en œuvre de stratégies visant à exploiter les potentialités. Ainsi apparaissent A. EMMANUEL : Technologie appropriée ou technologie sous-développée, p. 40, Édit. PUF. le 20/1/1956 56 G. DEBERNIS : « L‟Algérie à la recherche de son indépendance : nationalisation et industrialisation ». In l‟Afrique de l‟indépendance politique à l‟indépendance économique, Édit. François MASPERO. « Les industries industrialisantes et les options algériennes ». Revue Tiers-Monde, n°47, juilletseptembre 1979. 54 55 57 quelques notions (grappes, clusters, maillages, districts, filières) regroupées sous l‟appellation de grappes industrielles dans les résultats des recherches théoriques et empiriques57. Le concept de grappes industrielles a fait l‟objet de multiples définitions, de sorte qu‟il est difficile d‟identifier une approche universelle de ce type. En combinant les résultats des différentes recherches théoriques et empiriques consacrées à ce thème on peut stipuler qu‟une grappe regroupe des entreprises de tailles diverses unies par une communauté d‟intérêt (besoins et contraintes communs), des complémentarités ou interdépendances et développant volontairement des relations de coopération dans plusieurs domaines. 2°) Définition des filières industrielles au niveau africain par le Plan de Lagos Les réflexions sur le devenir industriel du continent ont été élaborées dans deux documents : « le Plan de Lagos » et la « Décennie du développement industriel ». C‟est particulièrement à l‟échelle de l‟Afrique que l‟OUA et la CEA avaient défini des Programmes de développement industriel58. Les objectifs étaient consignés dans le Plan de Lagos qui proposait la réalisation rapide d‟une croissance industrielle autoentretenue ; une industrialisation qui devait permettre de satisfaire les besoins nationaux. Le plan préconisait entre autres, les stratégies suivantes qu‟il est important de rappeler en vue d‟une relance du débat sur la question industrielle : création d‟une structure de production industrielle permettant de faire face aux besoins locaux ; exécution d‟activités de production, de commercialisation, de recherches propres à promouvoir la croissance économique d‟ensemble ; expansion et restructuration des marchés nationaux en intégrant l‟économie rurale au secteur industriel ; une intégration économique sous-régionale visant à développer les industries de base et l‟industrie des biens d‟équipement sur des marchés intégrés. Le document élaboré par la Commission Économique pour l‟Afrique, l‟Organisation de l‟Unité Africaine et l‟Organisation des Nations-Unies pour le Développement Industriel apportait en complément au Plan de Lagos un schéma directeur solide et cohérent d‟une industrialisation de l‟Afrique. Les projets industriels intégrés dans les sous-secteurs prioritaires ont été identifiés. Ils concernent l‟alimentation, le textile, les matériaux de construction, l‟énergie, les forêts, les métaux, les produits chimiques, l‟ingénierie et les petites industries. Les projets, selon le document, ont été choisis sur la base d‟un ou plusieurs des éléments suivants : priorités accordées dans le Plan d‟Action de Lagos, fourniture de facteurs à d‟autres industries et activités économiques, principalement l‟agriculture, utilisation optimale des ressources nationales surtout pour la consommation africaine suivant l‟objectif de l‟autosuffisance, remplacement des facteurs essentiels importés dans les États membres dont la capacité d‟importation ne cesse de diminuer, Dominique Graiton, économiste au CESRW : Rapport présenté lors de la conférence wallonne de l‟innovation grappes industrielles : concept et méthodologie 2000 58 OUA : Plan de Lagos pour le Développement économique de l‟Afrique 1980-2000. CEA : Un programme pour la décennie du développement industriel, New-York, 1983, ID/287. 57 58 exploitation de l‟effet multiplicateur des industries de base59. Dans cette direction, il a été recensé les variables qui sont à la base de l‟autonomie et de l‟autosuffisance d‟un développement intégré, à savoir les ressources naturelles, les matières premières et l‟énergie. À partir de ces variables alors vont s‟élaborer des projets industriels. Deux (02) catégories de projets sont alors distinguées : les projets de sous-secteurs industriels hautement prioritaires, le facteur principal et intrants connexes. Le point de départ de l‟analyse du contenu de ces sous-secteurs est hautement significatif et consiste en un rejet systématique de la stratégie de substitution aux importations suivie par les États africains. Il est alors affirmé que «les pays africains ne peuvent et ne devront plus continuer dans ce chemin de substitution aux importations qui les mène vers le désastre»60. Ils devront alors changer radicalement la structure existante et se diriger vers l‟autonomie collective et le développement de l‟autosuffisance qui ne peuvent se réaliser qu‟à partir d‟un développement systématique de priorités fondées sur des ressources et des industries de base, avec des effets multiplicateurs et des relations optimales avec d‟autres secteurs économiques. Les activités retenues dans cette direction sont : Les industries de transformations alimentaires : elles sont appelées à jouer des fonctions économiques extrêmement importantes surtout dans l‟optique de la recherche systématique de l‟autosuffisance alimentaire. Elles sont à la base d‟un approvisionnement régulier en vivres et produits alimentaires, d‟une sécurité alimentaire et d‟une réduction progressive des importations. Par ailleurs, elles permettent aussi la stimulation de la production rurale en offrant à celle-ci des débouchés préalables et sûrs pour l‟accroissement des investissements agricoles, le développement des secteurs connexes et l‟élévation du niveau général de la productivité du travail. Bien entendu pour que ces effets se produisent, il faudra élaborer une politique claire en la matière qui intègre à la fois les activités de production, de transformation et de commercialisation61. Dans cette optique, les projets suivants peuvent parfaitement être réalisés, s‟ils ne fonctionnent déjà de façon dispersée en Afrique : transformation des céréales, racines et tubercules, produits localement pour la production de farine, transformation des huiles comestibles, transformation de fruits et légumes, production d‟aliments pour bétail, industrie de la viande, du lait et produits laitiers, produits marins. De telles unités permettent d‟une part une réduction importante des importations62 et d‟autre part, des capacités supplémentaires d‟emplois63. Seulement, CEA-OUA-ONUDI : Un programme pour la décennie du développement industriel de l‟Afrique. Nations-Unies, New-York 1983, ID/287. 60 CEA-OUA-ONUDI : op. cit, p. 117. Par ailleurs, clarté rare dans le document de l‟ONU, il est porté justement une évaluation radicale de l‟ISI qui devient une lourde charge avec l‟épuisement rapide des devises étrangères disponibles. 61 Le Plan de Lagos avait une dizaine d‟objectifs pour atteindre l‟objectif d‟autosuffisance alimentaire et le fonctionnement d‟une agriculture efficiente. 62 Les économies sur les importations peuvent être énormes et permettre le financement ou le remboursement des prêts contractés pour monter ces industries de transformation. En prenant le blé, les simples accroissements de la demande ont été de 26% entre 1970-1978 en valeur. L‟investissement annuel de transformation des céréales d‟importation est de 221 millions de dollars en Afrique (1978). 59 59 la réalisation de cette industrie doit s‟accompagner positivement de l‟imposition généralisée d‟un modèle de consommation fondé sur l‟utilisation des produits locaux et négativement de mesures protectionnistes permettant aux entrepreneurs privés ou publics, de saisir toutes les situations de pénurie pour réaliser des investissements productifs. Une politique sérieusement volontariste s‟impose dans ce domaine stratégique. Elle va se fonder sur la définition des objectifs d‟alimentation, la spécification du volume de la demande globale, la formulation d‟un programme intégré de développement d‟une industrie alimentaire et la définition d‟une politique de prix, de subvention et de stimulation. Tout cela devra être accompagné d‟un train de mesures législatives protégeant la jeune industrie et la production locale. Ensuite, il faudra utiliser tous les moyens de persuasion et toutes les structures institutionnelles pour créer des habitudes consommatrices de la production locale. L’industrie textile et l’habillement : elle constitue un domaine où il est possible de réaliser assez rapidement l‟autosuffisance, d‟autant plus qu‟il est l‟objet d‟une très importante délocalisation industrielle. Cela accroît les chances d‟un développement des productions locales (tissus et fibres artificiels) et d‟une baisse des importations. Le secteur absorbe beaucoup de main-d‟œuvre souvent non qualifiée. Dans un pays comme la France, la main-d‟œuvre immigrée est en grande partie, utilisée dans ce sous-secteur. Les industries à base forestière : il s‟agit d‟un sous-secteur dont l‟importance n‟a nullement échappé au Plan de Lagos. C‟est une industrie qui peut satisfaire certains besoins dans le domaine du logement, de l‟habillement, du papier, de l‟ameublement et surtout de l‟énergie. Les analyses de l‟ONUDI révèlent que pour ce secteur, «les importations régionales de produits forestiers ont quintuplé passant de 221 millions de dollars en 1967 à 1,74 milliards en 1978, tandis que les chiffres correspondants pour les exportations ont triplé passant de 266 millions à 837 pendant la même période»64. Ces chiffres sont révélateurs des perspectives d‟une industrie forestière. Ils montrent en effet qu‟il existe bel et bien une demande solvable. Les interventions industrielles pourraient se situer dans la création : de scieries et d‟usines de panneaux : sous-secteurs pour lesquels l‟investissement total nécessaire serait d‟environ 3 milliards de dollars pour une création de 30.000 emplois, meubles dont le marché est très vaste : usines de pâte à papier et de papier, de charbon de bois. Là comme ailleurs, les décideurs doivent élaborer des politiques de développement des industries forestières qui permettent une exploitation rationnelle de ces ressources qui ont d‟importants effets sur l‟environnement et le milieu physique. En effet, pour éviter un épuisement grave des ressources forestières, préjudiciable aux générations futures, la valorisation industrielle doit être systématiquement accompagnée de vastes et sérieux programmes de reboisement. De même, cette industrie est créatrice de main d‟œuvre : le rapport de l‟ONUDI établit que : une boulangerie de dimension moyenne 340 kg/24 emploie 2 ingénieurs et 4 ouvriers qualifiés, une usine de jus d‟orange de 800 kg (en 8h) : 5 ingénieurs et 10 ouvriers qualifiés, une usine de transformation de lait d‟une capacité de 6.000 litres en 6 heures : 3 ingénieurs et 1 ouvrier qualifié. 64 CEA-OUA-ONUDI, op. cit., p. 134. 63 60 Les industries du bâtiment et des matériaux de construction : les fortes tendances de l‟urbanisation (plus de 5%) commandent qu‟un grand intérêt soit porté à ce sous-secteur. À cela s‟ajoute le fait que, même dans les formations sousdéveloppées, la croissance économique et sociale est grandement tributaire des activités industrielles de la construction. Elles contribuent entre 40 et 60% à la formation brute du capital en Afrique et apportent entre 4 et 10% du PIB. Par ailleurs, l‟industrie de la construction est très grande consommatrice de maind‟œuvre. Toutes ces raisons sont parfaitement saisies par le Plan de Lagos (§.56) qui recommande la création rapide d‟une base industrielle axée sur une valorisation des ressources locales. Toutes les études et analyses mettent l‟accent sur les matériaux de construction car ils constituent la composante essentielle et la résultante de l‟industrialisation dans le sous-secteur. Ils procurent la valeur ajoutée la plus importante. Cependant, ils exigent d‟importantes recherches pour trouver la technologie la plus efficiente pour l‟utilisation systématique des matériaux locaux. C‟est cela qui permet un abaissement notable des coûts de production et de rendre en conséquence l‟habitat (par exemple) à la portée des titulaires de revenus moyens. Les industries métallurgiques et mécaniques, électriques et électroniques : Le développement de ces secteurs constitue la clef de l‟industrialisation. Ils permettent la production d‟équipements de base et les machines-outils nécessaires à l‟expression du secteur agricole. «La sidérurgie est généralement considérée par les formations sous-développées comme l‟industrie de base, industrialisante au premier chef par l‟utilisation des matières premières locales, ses effets sur l‟emploi, la distribution des salaires, la hausse du niveau de vie et les échanges commerciaux qu‟elle entraîne»65. Ce secteur immobilisant des capitaux extrêmement importants, il importe d‟étudier très rigoureusement les conditions de sa création, ses modalités de fonctionnement et de gestion. À cause des dimensions excessivement réduites des marchés nationaux (isolés de surcroît), il s‟avère nécessaire de rentabiliser les investissements lourds dans l‟industrie de la sidérurgie et dans celle du cuivre ou de l‟aluminium. À cet effet, la politique à élaborer devra systématiquement s‟opérer dans le cadre d‟une coopération intra-africaine, régionale ou sous régionale. Il s‟agira principalement de définir des projets multinationaux prioritaires comme : des unités d‟aciérie et de sidérurgie sur la base des ressources existantes et utilisant les procédés de réduction directe et des fours électriques ou de hauts fourneaux classiques ; des unités industrielles d‟aluminium. À ce niveau, la CEA observe que l‟Afrique possède environ 43% des ressources mondiales de bauxite, mais ne fournit qu‟environ 15% de la production mondiale et convertit environ 2,6% de la production mondiale de bauxite en alumine et aluminium primaire ; des unités industrielles de cuivre : là encore, les ressources naturelles existent il s‟agit de les valoriser ; les autres industries devant aussi être exploitées sont : le plomb, le zinc, l‟étain. Pour chacun de ces minéraux, la création d‟unités industrielles s‟impose. D‟une façon générale, on peut observer que le développement de ces sous-secteurs a des effets industrialisants très puissants ; seulement, ce sont des industries très coûteuses par les capitaux qu‟elles immobilisent, les facteurs technologiques qu‟elles concernent. En conséquence, la politique à entreprendre doit 65 Pierre CHAULEUR : l‟Afrique industrielle, p. 125. 61 être extrêmement hardie, dûment planifiée pour éviter des erreurs fatales. Pour ce faire, la collaboration avec les multinationales et autres sociétés minières s‟avère indispensable. Les industries chimiques : Pierre CHAULEUR observe que c‟est «une industrie qui a pris en Afrique depuis un demi-siècle, un essor impressionnant, tant sur le plan de la chimie minérale que sur celui de la chimie organique. La grande industrie chimique fournit aux pays africains suivant leur degré de modernisation, l‟air liquide, l‟acide sulfurique, l‟acide nitrique, la soude caustique, l‟ammoniac, le chlore et les engrais minéraux dont ils ont besoin»66. Le Plan de Lagos a parfaitement saisi l‟importance liée à ce secteur (§.56.a) qui contient des effets de liaison appréciables en aval comme en amont et peut permettre le remplacement de certains produits manufacturés souvent importés. Les principaux projets industriels pourraient graviter autour : des unités de production des produits destinés à l‟agriculture ; c‟est le cas des engrais et pesticides qui contribuent d‟une part à augmenter la production et d‟autre part à réduire les pertes alimentaires et de production 67 des unités de production pharmaceutique qui sont indispensables pour réduire et liquider les importations qui se sont élevées à 1,326 milliards de dollars en 1978. Par ailleurs, de telles unités devront contribuer à produire des produits à base de plantes médicinales traditionnelles68 ; des unités de production de pesticides, notamment à base d‟oxyde de cuivre, des insecticides chlorés à base de phosphore. Des efforts gigantesques sont à faire dans ce sous-secteur où les africains sont presque totalement tributaires des importations. 3°) Le cadre particulier des petites et moyennes industries (PMI) : Elles jouent des fonctions essentielles dans le développement économique et social et prennent des formes de plus en plus modernes. Dans cette direction E. STALEY et R. MORSE notent que lorsqu‟un pays «traverse la phase de transition qui le fait passer du stade d‟une économie où les structures traditionnelles prédominent à celui d‟une économie plus moderne, le caractère de sa petite industrie se modifie … son industrie artisanale se transformera, son industrie à domicile sera remplacée et que ses usines petites mais modernes se développent» 69. La PMI présente des avantages importants dont quelques-uns méritent d‟être soulignés : elle complète la grande industrie par la sous-traitance, le traitement ou la production de certains biens indispensables à la grande entreprise et le traitement des déchets, elle permet la décentralisation industrielle et la valorisation de la petite production locale. C‟est ainsi que les villages et les petites villes rurales vont présenter certains avantages naturels favorables à l‟implantation de la PMI, notamment de traitement de produits d‟origine agricole, Pierre CHAULEUR : op. cit., p. 161. Il faut dire que la dotation africaine est particulièrement importante pour le phosphate (47,2 milliards de tonnes, soit 70% des réserves mondiales). Ce sont ces engrais qu‟il faut développer prioritairement. 68 Ph. ENGELHARD et Dr I. LO : 69 Eugnène STALEy et R. MORSE : La petite industrie moderne et le développement, T.1, p.57. Éditions «Tendances Actuelles». 66 67 62 elle permet la centralisation et la transformation productive de l‟épargne locale, elle contribue, plus que la grande entreprise, à la création de l‟emploi et procède facilement à la formation de la main-d‟œuvre, elle favorise la naissance et la consolidation de l‟esprit d‟entreprise comme l‟observent E. STALEY et R. MORSE «la puissance de la PMI réside surtout dans sa souplesse, ses possibilités d‟adaptation, ses étroites relations personnelles et la faculté qu‟elle possède, dans une certaine mesure, de s‟émanciper de l‟administration bureaucratique et de tous les frais généraux qui en résultent» 70 ; elle contribue à la recherche et à la diffusion technologique71. Par ailleurs, elle atteint rapidement le seuil optimum de rentabilisation de la technologie. La PMI est véritablement une entreprise à la mesure de la capacité créatrice et imaginative de l‟homme. Structure assez souple, elle s‟adapte sans grande difficulté aux situations les plus fluctuantes et satisfait certains besoins sociaux aux meilleures conditions de prix et de qualité. Enfin, la petite et moyenne industrie est un vecteur essentiel du développement équilibré car elle est le cadre de production le plus approprié qui s‟adapte le mieux au secteur traditionnel en redonnant des conditions nouvelles de travail et d‟efficience à l‟artisanat. Dans cette optique, elle catalysera l‟exode rural qui comprend principalement les artisans ruinés. Tous ces effets positifs justifient obligatoirement un recours systématique aux PME et PMI dans la politique d‟industrialisation. Elles doivent occuper une place centrale et remplir des fonctions socio-économiques décisives dans la stratégie d‟industrialisation. Cette importance n‟a pas échappé au Plan de Lagos qui recommande aux États la création d‟un réseau dense et diversifié de petites et moyennes industries qui peuvent constituer le principal facteur de modernisation de l‟économie rurale. En effet, la PMI peut réaliser d‟une part l‟intégration sans encombre de l‟agriculture à l‟économie monétaire et d‟autre part, sortir le secteur rural du traditionalisme par le développement des industries agricoles. Pour que la PMI exerce toutes ces fonctions dans le processus d‟industrialisation, il faut élaborer une politique systématique et rigoureuse de sa promotion. Cela nécessite les actions suivantes : élaboration d‟un programme complet et cohérent de développement des PMI ; il s‟agit de situer toutes les opportunités de production, d‟élaborer des projets de réalisation englobant tous les aspects financiers, technologiques et institutionnels. Ainsi, les opérateurs économiques disposeront d‟une Banque de Projets et seront mieux édifiés sur les occasions d‟investissement qui s‟offrent ; la définition d‟une politique globale de promotion spécifiant avec clarté d‟une part les avantages et concessions accordés aux PMI, les diverses protections vis-à-vis d‟une concurrence inégale et déloyale et d‟autre part, toutes les obligations qui pèsent sur elles en matière de valorisation des productions E. STALEY et R. MORSE : La PMI et le développement, Tome 2, p. 216. Sur ce point, KENNEDY et THIRWELL (1972) affirment que depuis l‟origine du changement technologique jusqu‟à l‟application commerciale, il n‟apparaît pas que les grandes entreprises ou les industries monopolistiques soient nécessairement plus dynamiques ou progressives, ou produisent des changements technologiques fondamentaux. Dans le même sens, Alexis JACQUEMIN observe en conclusion générale l‟absence d‟effets positifs de la taille sur la profitabilité, sur la croissance et sur la recherche industrielle. 70 71 63 locales, de diffusion technologique, et d‟utilisation et de formation de la main d‟œuvre ; la définition d‟une politique de prix qui protège les intérêts divergents des producteurs, travailleurs et consommateurs ou tente de le faire. La structure flexible des coûts de production permet la réalisation de cette mécanique d‟économie concertée ; la définition de cadres appropriés de sous-traitance industrielle (qu‟elle soit nationale ou internationale.) Il s‟agit de délimiter les forces de la soustraitance : la sous-traitance de capacité et de complément, la sous-traitance de spécialité, la sous-traitance marginale lorsque la grande entreprise reçoit trop de commandes et la sous-traitance d‟économie. Le cadre juridique à définir devra protéger les intérêts des différentes parties et encourager la promotion de la sous-traitance acceptée comme un des instruments du développement industriel72 ; la définition d‟une politique de financement avec l‟appui à la création d‟institutions financières spécialisées dans le financement des opérations productives propres aux PMI et PME ; l‟élaboration d‟une politique de formations de cadres capables de répondre aux exigences de production et de gestion de la PMI. Il s‟agit d‟une formation strictement professionnelle pour disposer d‟une main-d‟œuvre qualifié, des cadres et un personnel compétent. 4°) Les propositions du NEPAD dans le cadre des options prioritaires des TIC et de l’énergie V/ Cette stratégie d’industrialisation complexe doit être menée de façon volontariste permanente par l’État. Toutes les analyses établissent que si l‟industrialisation est une nécessité impérieuse pour combler le retard, elle n‟est pas une voie facile ni une solution simple par suite d‟une part des intérêts fort complexes qui sont en jeu et d‟autre part de la pluralité des variables qui sont combinées. Analysant les expériences historiques d‟industrialisation dans le bassin méditerranéen, René GENDARME tire trois enseignements significatifs qu‟il faut avoir souvent à l‟esprit dans toute réflexion sur l‟industrialisation dans les formations sous-développées : d‟abord, que l‟industrialisation n‟est qu‟un des moyens de parvenir au développement et elle ne saurait exclure les autres moyens ; elle doit même les articuler, les rendre plus urgents et plus nécessaires ; ensuite, qu‟autant que des usines, l‟industrialisation exige une transformation des hommes ; ce qui veut dire qu‟industrialiser c‟est aussi changer les structures, le contenu et le système d‟éducation ; enfin, que le succès d‟une industrialisation dépend aussi des politiques des autres États du système mondial73. S. ZAMETTI : « La sous-traitance industrielle internationale et les pays en voie de développement ». Revue Reflets et Perspectives, n° 1, 1973. La sous-traitance (surtout internationale) a permis l‟industrialisation rapide et profonde de certains pays d‟Asie. Mais aussi elle a donné à des pays comme le Japon le moyen de présenter une structure de coûts de production extrêmement compétitifs. 73 René GENDARME : « L‟industrialisation des PVD a-t-elle toujours été bien comprise ? Réflexions à propos de quelques expériences méditerranéennes ». Revue « Monde en Développement » n° 2, 1973. 72 64 Plus que jamais l‟État est indispensable. L'évolution des techniques et des organisations se traduit par un appel croissant, de la part des entreprises, à des ressources externes, qu'elles soient marchandes ou non marchandes que seul l‟État peut mobiliser. En plus, la mondialisation de l'économie avec les multiples interdépendances qu‟elle crée ainsi que l'élargissement des marchés et l'accélération des mouvements de restructuration-concentration des entreprises qu‟elle engendre, met impérativement l'État au cœur du processus de développement économique. Il se présente comme un acteur majeur de la construction de la compétitivité des territoires. Toute la question concerne son champ d‟intervention et les instruments qu‟il peut mettre en œuvre pour la réussite de son action, car la réussite de toute politique industrielle qui organise la compétitivité des territoires dépend de la qualité des politiques publiques. Cette intervention concerne prioritairement les aspects fondamentaux de la stratégie d‟industrialisation, à savoir : la définition des orientations et des options claires fixant les domaines d‟intervention publique, les moyens nécessaires à mobiliser et la durée de réalisation des objectifs considérés comme prioritaires ; la fixation d‟une structure non bureaucratique d‟administration et de gestion de la totalité organique de la politique industrielle ; la détermination d‟un vaste cadre juridique fixant toutes les règles de fonctionnement, toute la législation de stimulation, d‟intéressement et de promotion de l‟initiative privée nationale et étrangère ; la détermination de politiques financières, technologiques et de formation de cadres techniques et administratifs pour le secteur industriel. II faut bien préciser au départ que l‟État doit se concentrer principalement sur la création d'un environnement favorable plutôt que de vouloir se substituer aux entreprises, bien qu‟il doive disposer de moyens sûrs d‟une intervention directe pour amener les impulsions nécessaires et les transformations permettant l‟avènement d‟une rationalité industrielle. Dès lors, le domaine d‟intervention de l‟État se situe en premier lieu dans les industries de base qui permettent la valorisation des matières premières. Ainsi, le développement et la croissance vont pouvoir désormais s‟amorcer sur la base d‟une exploitation des ressources internes. Le second aspect de l‟intervention publique consiste en la création d‟une infrastructure institutionnelle adéquate et fonctionnelle de gestion et d‟administration. Le dynamisme des grandes économies est fondé sur la diversité de leur portefeuille d'activités. Cette diversité est non seulement nécessaire à l'attractivité des territoires, mais elle est à l'origine de la création de nouveaux produits et d'innovations dans les procédés de fabrication. Un processus qui ne peut être organisé et pensé d'en haut. La planification s‟avérera comme indispensable pour une gestion effective et efficace de l‟ensemble de la politique industrielle. Elle doit spécifier les grands projets, maîtriser les besoins de financement et fixer un délai de réalisation. Elle doit encourager l‟innovation et l‟efficacité des PMI et PME. 1°) Les modalités de réalisation de la stratégie d’industrialisation Ayant esquissé les domaines et formes d‟intervention qui constituent les axes d‟ancrage de la politique industrielle, il reste à spécifier les moyens et ressources à mobiliser. Ces questions constituent toujours les côtés faibles des stratégies d‟industrialisation. 65 Notre point de départ est que la réalisation d‟un vaste programme d‟industrialisation essentielle pour le développement économique et social est l‟objectif central à atteindre. Cela exige des ressources financières, humaines et technologiques qui ne sont pas totalement disponibles au niveau interne. Que faire pour surmonter cette situation ? Plusieurs approches se sont toujours confrontées, allant de la mobilisation interne des ressources à celle d‟un recours systématique aux IDE c‟est-à-dire le recours à la concertation et à la coopération avec des partenaires privés individuels ou relevant de firmes multinationales. Les décideurs dans les PSD doivent exploiter toutes les opportunités qu‟ouvre la mondialisation avec le redéploiement du capital à l‟échelle internationale qui est un facteur positif pour conduire une bonne politique industrielle. Les NPI offrent une parfaite illustration de la recherche systématique d‟une insertion réussie dans la mondialisation à partir d‟un partenariat avec tous les secteurs privés, notamment les firmes multinationales. 2°) Rendre l’Afrique attractive et rentable pour les FM et les IDE Il faut définir les conditions qui rendent l‟Afrique attractive et motivante. Il est rare de voir des pays dénoncer les codes des investissements des pays d‟Asie, y compris la Chine, qui font de larges concessions fiscales et douanières pour attirer les capitaux privés étrangers. Tous ces rapports avec les firmes multinationales, les secteurs privés nationaux ou étrangers doivent être exploités dans le sens d‟un partenariat privé-public solide et structuré. C‟est de cette façon que l‟on se débarrassera du fétichisme économique dominant dans certains secteurs de pensée. Ces principes devaient être réaffirmés pour consolider l‟idée que le développement et la croissance, qui sont les objectifs majeurs, nécessitent un appel aux capitaux extérieurs et aux acquis de la révolution scientifique et technique. La politique industrielle doit bénéficier de toutes ces ressources pour réaliser les raccourcis nécessaires. Il nous faut donc spécifier les politiques de mobilisation des ressources pour la réalisation de l‟industrialisation. Cette question revêt une importance particulière et comporte deux (02) aspects : d‟une part la mobilisation des disponibilités financières internes et d‟autre part, le recours au financement extérieur, au besoin à l‟endettement extérieur. Sur le premier aspect : le financement du développement industriel doit d‟abord compter sur les ressources financières internes qui dépendent de la valorisation de certaines richesses naturelles, et des exportations les plus diverses et de la politique d‟accumulation. Cet aspect de la question va poser d‟énormes problèmes et contradictions entre l‟objectif d‟industrialisation et celui de la transformation radicale des campagnes. Il s‟agira principalement de voir comment concilier une politique agraire visant tout à la fois le développement des forces productives et l‟amélioration des conditions d‟existence et de travail des agriculteurs et le nécessaire financement de l‟industrialisation devant s‟effectuer par des transferts de surplus de l‟agriculture vers l‟industrie. Il y a là un problème délicat d‟accumulation et d‟allocation de ressources rares. Ces questions doivent être réglées dans le cadre des priorités sectorielles retenues et de la politique de génération et d‟absorption des surplus qui sera développée plus loin. Le second volet de la politique de financement est le recours aux ressources externes, à l‟endettement extérieur. Sur ce point également, il s‟avère indispensable d‟apporter quelque lumière pour replacer les problèmes dans leur véritable contexte. La question principale n‟est ni le niveau de l‟endettement, ni son origine ; elle réside 66 essentiellement dans l‟utilisation productive ou non des ressources empruntées. Bien entendu, le capital emprunté n‟a pas la même incidence sur l‟économie interne selon qu‟il est utilisé pour construire des monuments ou des aéroports modernes ou employé productivement pour créer des usines. Sur le second point, il n‟existe aucune objection de réaliser un endettement si l‟opération d‟investissement est rentable. Ici, l‟endettement permet le développement. Dans ce sens, A. EMMANUEL observe que «les grands banquiers prêteurs constituent un groupe international de pression en faveur de tout ce qui renforce la solvabilité et partant l‟économie nationale de leurs débiteurs … Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le pouvoir de marchandage des pays en voie de développement qui a dépassé cette borne s‟en trouve considérablement renforcé. En fait, c‟est le seul motif que les PVD ont aujourd‟hui de continuer aussi à s‟endetter davantage»74. À cela, il convient d‟ajouter le fait que tous les pays qui ont résolu le problème du financement du développement sont passés par une phase de grand débiteur. Une fois encore, il faut savoir ce que l‟on veut. Comme l‟écrit avec clairvoyance A. EMMANUEL, «on a le droit de considérer le label national comme une fin en soi et le recours à l‟étranger comme le mal suprême. Il faut savoir de quoi l‟on parle. Si l‟on parle de prestige et de satisfaction morale ou d‟un problème économique. Dans le second cas, il faut savoir que l‟indépendance d‟un pays, quel que soit le sens du mot, est fonction croissante du niveau de son développement et de son potentiel économique. C‟est avant tout la faim et la misère qui rendent dépendant». En clair, dans un processus d‟industrialisation et de développement accéléré, il faut exploiter toutes les possibilités offertes par le financement extérieur sur toutes les places et institutions financières du monde. L‟endettement n‟est pas nécessairement un handicap totalement insurmontable comme le laisse entrevoir les bilans terriblement sombres de l‟endettement du Tiers Monde 75. Cet alarmisme se fonde essentiellement d‟une part sur le fait que le processus de développement économique et social implique des besoins de financement que ne peut couvrir la faible épargne intérieure ; cela rend l‟endettement presque obligatoire et d‟autre part, par le fait que l‟aggravation de l‟endettement à des taux mercantiles a amené les pays du Tiers-monde à emprunter pour payer leur dette76. Ce mécanisme bloqué ne pouvait pas ne pas déclencher l‟alarme générale. Mais il ne faut pas faire de l‟amalgame, car ce qui gène profondément, c‟est la restriction des possibilités de crédit que pose le blocage des mécanismes financiers. Seulement, les menaces d‟un effondrement financier que fait peser l‟endettement sur l‟ordre économique mondial peuvent faire espérer qu‟une solution sera trouvée77. Pour revenir au propos de A. EMMANUEL, op. cit., pp.53-55. Ce qui a inquiété, c‟est l‟évolution rapide de l‟endettement au rythme annuel de 20% avec des taux d‟intérêt usuriers dus au recours de plus en plus grand au système bancaire privé. Ces prêts publics des organisations internationales ont baissé de 61 à moins de 50%. Ainsi, de 1970 à 1979, la Dette Globale est passée, selon les estimations de la Banque Mondiale, de 114 milliards de dollars à 369 et selon le Comité d‟Aide au Développement de 119 milliards à 388. 76 On peut observer avec ANGELOPULOS que de 1973 à 1980, les pays sous-développés non pétroliers ont emprunté environ 332 milliards et ont dû payer pour le service de cette dette 338 milliards, soit 6 milliards de plus. Cette situation dans laquelle les pays empruntent pour payer leur dette est grave car on est dans un système totalement stérile et sans issue. À ce pas, les créanciers se feront des jeux d‟écriture favorable et les débiteurs ne pourront jamais liquider leur dette. Belle mécanique bloquée qui conduira tôt ou tard à une table de négociation. 77 La Revue Fortune du 17 novembre 1980 soulignait le risque que font courir au monde la Dette du Tiers-Monde. En prenant le cas du Mexique avec sa dette de 81 milliards, sa banqueroute aurait entraîné celle de certaines banques américaines (Bank of America, City Corporation, Chase 74 75 67 départ, l‟endettement pour des pays qui connaissent des déficits importants d‟épargne est presque une nécessité impérieuse. Beaucoup d‟arguments établissement qu‟il faut y recourir comme le montre de façon édifiante les pays socialistes d‟Europe de l‟Est78. Le premier argument est que si les ressources financières empruntées à des coûts excessifs ne sont pas productivement utilisées comme dans le cas de la construction de «monuments aux morts», elles permettront d‟accroître le potentiel productif et de rendre possible le remboursement sans grand dommage pour l‟économie. Un second argument est qu‟il n‟existe pas une parfaite et rigoureuse corrélation entre échéancier de remboursement et délai de récupération, surtout si l‟investissement sur fonds empruntés est réalisé par l‟État dont la bureaucratie est lente à démarrer les projets. En conséquence le remboursement de la dette peut poser conjoncturellement des problèmes. Le troisième argument est que l‟endettement a permis à certains pays de sortir systématiquement du sousdéveloppement et d‟amorcer un processus irréversible d‟expansion économique. Mais il a surtout permis d‟éviter l‟avènement d‟une crise profonde de surproduction. N‟oublions pas que les pays les plus fortement endettés du Tiers-Monde sont les grands clients, les débouchés des systèmes industriels des pays capitalistes développés. Toutes ces raisons expliquent que les pays les plus endettés du Tiersmonde sont systématiquement renfloués par leurs créanciers qui ont besoin de les mettre dans les conditions les meilleures qui rendent le remboursement possible. Comme les pays socialistes, comme les pays capitalistes79, le Tiers-Monde devra continuer de chercher partout les financements à ses projets prioritaires d‟industrialisation et de développement. C‟est une forme de réalisation d‟une péréquation des liquidités et des ressources. Cette péréquation s‟effectue normalement entre pays capitalistes développés par des biais divers : les institutions financières internationales, les mécanismes des marchés financiers, les institutions nationales spécialisées. Cette mobilité financière doit être réalisée en faveur des pays du Tiers-Monde. Pour l‟Afrique, dans la recherche des moyens de financement de l‟industrialisation, deux possibilités s‟offrent et qu‟il importe d‟exploiter : les emprunts aux institutions financières régionales et la co-production80. La première voie concernant les emprunts régionaux est généralement insuffisamment utilisée. Dans le cadre d‟une industrialisation, les possibilités de la banque Africaine de Développement et des autres institutions financières et bancaires doivent être mobilisées. En plus, les États devront s‟orienter vers la création de mécanismes Manhattan) et les entreprises avec elles ont d‟étroites liaisons. Tous ces enjeux montrent que les pays endettés ne seront jamais abandonnés ; on finit toujours par leur trouver un traitement. 78 L‟endettement des pays socialistes est aussi caractéristique. La dette globale de ces pays a évolué comme suit : 1971 : 8 357 millions de dollars 1973 : 14 965 millions de dollars 1976 : 47 661 millions de dollars 1979 : 77 130 millions de dollars En moins de 10 ans, les crédits ont été multipliés presque par 10, alors qu‟ils ne l‟ont été pour le même délai, que par 5 pour les pays du Tiers-Monde. Dans ce groupe de pays, l‟endettement est passé de 97 milliards de dollars à 425 milliards. Pourtant, on n‟a paniqué pour les pays socialistes que pour le cas polonais, plus pour les questions politiques que pour les problèmes strictement économiques. 79 Les plus endettés en dernière analyse, sont bel et bien les États capitalistes développés, ce qui fait dire que les riches vivent de crédits. En prenant le cas des États-Unis, on peut observer que les prêts contractés par les entreprises, les collectivités locales et les États sont passés de 3 000 et 5 000 milliards de dollars avec des déficits budgétaires qui varient entre 150 et 250 milliards de dollars. 80 Moustapha KASSE : ordre économique communautaire : une nouvelle stratégie du développement. 68 financiers appropriés et de Fonds Spécialisés dans le financement des activités industrielles. De tels fonds seront alimentés par des ressources internes mais aussi externes en ouvrant leur capital à des organismes, institutions, opérateurs économiques et États non africains. La philosophie est de mobiliser toute ressource, tout excédent financier disponible dans le monde. La seconde voie à exploiter est la coproduction. Le Plan d‟Action de Lagos recommande particulièrement le développement d‟une coopération industrielle dans le cadre d‟un processus intégrateur. 3°) Les Propositions récentes de l’ONUDI sur l’industrialisation du Continent Encadré 3 : Les défis d’une industrialisation concurrentielle dans les pays africains à faible revenu. L‟avantage comparatif de l‟Afrique réside dans ses faibles coûts de mains d‟œuvre (et parfois, de matières premières et d‟énergie). Mais dans un contexte de compétitivité planétaire, ces avantages comparatifs d‟ordre inférieur perdent de l‟importance. La principale position compétitive de l‟Afrique se situe dans les industries ou la croissance de la demande est la plus faible et où la concurrence internationale venant surtout des fournisseurs asiatiques à faibles coûts est intense. Les économies de la région ne font pas partie d‟une zone dynamique de sorte qu‟il y‟a pas d‟investisseurs pour injecter chez elles des investissements étrangers directs à l‟échelle de ce qui s‟est fait en Asie de l‟Est ou du Sud Ŕ Est. Les pays africains sont gravement désavantagés sur le plan des coûts d‟infrastructure, surtout pour le transport. Ces pays se situent au plus bas de l‟échelle mondiale quand à la technologie et au perfectionnement industriel. Le secteur privé est faible et dominé par quelques grandes multinationales à un extrême, et une nuée de petites entreprises à l‟autre. La couche intermédiaire, normalement formée d‟entreprises nationales de taille moyenne, est absente. Les « termes technologiques de l‟échange » pénalisent les retardataires. Le coût d‟acquisition des nouvelles technologies a monté, tant sur la plan monétaire que, ce qui est plus important encore, sur celui des compétences (opérateurs, techniciens et gestionnaires). L‟importance de la qualité de la main d‟œuvre pour attirer les investissements étrangers directs dessert l‟Afrique. La région est devenue extrêmement dépendante de l‟aide extérieure (par exemple, technologie étrangère et compétences d‟expatriés) mais cela ne peut plus durer. Source : ONUDI, Rapport de 1996 69 CHAPITRE 17 : LA POLITIQUE TECHNOLOGIQUE ET SON ROLE DANS LE DÉVELOPPEMENT Pour les pays développés, technologiquement avancés, la principale source de création de richesses réside désormais dans les savoirs et les compétences, davantage que dans les ressources matérielles. La compétitivité des entreprises et, au-delà, celle des nations reposent fondamentalement sur les capacités à créer et à utiliser les connaissances. Ces capacités conditionnent donc largement les performances en termes de croissance, de revenus et de création d’emplois. Jean Michel CHARPIN81 L‟évolution actuelle de la science et de la technologie en relation avec la croissance économique qui est l‟objectif premier des PSD donne lieu à de nombreux débats tout en faisant émerger de nouveaux questionnements sur la technologie et le développement. Le monde a vécu quatre révolutions techniques qui ont été des facteurs déterminants dans l‟amorce et l‟approfondissement de l‟industrialisation : la machine à vapeur, l‟électricité, le moteur à explosion et les nouvelles technologies de l‟information et de la communication. Les trois premières révolutions scientifiques et techniques ont ouvert l‟ère de la mécanisation de l‟outil industriel ce qui a permis l‟avènement de la société de consommation de masse, et par la suite l‟amorce des « Trente Glorieuse années de croissance » (1945-1975). Manifestement, toutes les politiques d‟industrialisation ont eu pour support la triptyque interactive recherche scientifique, processus d‟innovation et technologie. Historiquement la science et la technique ont fortement contribué au développement et à la croissance économique. Ils ont surtout concouru, combiné avec le capital, à la maximisation de la quantité de produits améliorant partant le bien-être social. Que doivent faire les PSD caractérisés par le faible niveau de leurs forces productives pour bénéficier des avantages liés à la technologie ? Opérer un transfert massif des techniques les plus performantes, répondent certains auteurs, alors que pour d‟autres auteurs l‟importation de techniques sans discernement peut s‟avérer inopérant et inefficace. La technologie et incidemment sa relation au développement va se trouver au cœur de controverses autour de questions essentielles : Quels sont les besoins technologiques des PSD pour leur industrialisation et l‟amélioration de leurs performances macroéconomiques? La question posée autrement : Quelle technologie pour quel développement ? Quelles sont les modalités des transferts et à quels coûts ? Quels sont les mécanismes d‟absorption-appropriation et leurs modes de diffusion au niveau des utilisateurs? Quelles sont les conséquences attendues sur l‟ensemble du tissu social ? Les réponses à ces questions, telles qu‟elles ressortent des publications et des programmes de recherche dans les PSD, sont quantitativement et qualitativement insuffisantes car elles ne montrent pas clairement comment la science et la 81 Le Commissariat général du Plan (France) a réalisé un travail de réflexion et de concertation sur le thème de l’économie du savoir. Ce groupe a rassemblé, entre octobre 2001 et juin 2002, des responsables d’entreprises, des partenaires sociaux, des représentants des ministères concernés et de collectivités territoriales, ainsi que quelques personnalités universitaires. 70 technologie peuvent contribuer au processus d‟industrialisation, à l‟augmentation de la quantité de biens disponibles, à la création de richesses et à l‟amélioration du bienêtre des populations. Parmi les nombreuses raisons qui expliquent ces déficiences, deux au moins méritent d‟être soulignées. D‟abord, il a manqué une réflexion globale sur les stratégies et les actions à mener pour une politique de maîtrise de la technologie en vue du développement des PSD et ensuite, il s‟est structuré un discours culturaliste et environnementaliste de virulente contestation des transferts technologiques au nom d‟un refus de l‟ethnocentrisme occidental. Sur le premier point, il faut remarquer que dans la pensée économique, la question de la « technique » est demeurée à la fois familière et énigmatique et apparaît comme une «boîte noire » qui explique tout ou une partie des progrès économiques et sociaux mais reste elle-même inexpliquée : tantôt facteur exogène, tantôt facteur endogène à la fonction de production, les économistes n‟ont pas souvent élucidé le lien direct qu‟elle entretient avec la croissance économique. De fait, les réflexions et recherches sur le rôle des innovations technologiques dans le développement sont très peu nombreuses. Elles seront imposées par la suite par l‟ampleur, la profondeur et la rapidité des innovations de la quatrième révolution technologique, celle des Technologies de l‟Information et de la Communication 82 qui sont non seulement des outils de performances, de productivité mais aussi des vecteurs de création de richesse. Aujourd‟hui, les PSD sont complètement au pied du mur condamnés à rentrer dans les TIC qui structurent les processus productifs et le fonctionnement de l‟économie mondiale. Sur le second point, les idéologies culturalistes ont pendant longtemps obstrué et obscurci le débat sur la technologie et le développement en essayant d‟évacuer, au nom de la culture, l‟importance stratégique des investissements dans la technologie et la recherche scientifique. Les auteurs mettent en avant le biais de l‟accroissement de la dépendance vis-à-vis de l‟Occident producteur exclusif de la science et de la technologie et fondent dans une même démarche ethnocentrique la théorie universaliste de l‟histoire des sciences (du développement de la science) et la théorie dominante du développement (approche « scientifique » du développement, science du développement, développement par la science). Tout se passe comme si la technologie et la science n‟ont d‟incidence notable que sur la sphère culturelle. Au début des grandes mutations introduites par les NTIC, le « Club de Dakar »83 avait initié, lors de sa 8e Assemblée Générale, une grande Rencontre de l‟intelligentsia mondiale autour du thème les « Nouvelles technologies, développement et identité culturelle ». Le débat avait laissé apparaître deux attitudes contradictoirement troublantes : selon la première «la technologie ne saurait faire l‟objet d‟un transfert … Leur placage, leur calque béat, la transformation sans relais ni nuance dans les sociétés africaines ne peuvent qu‟entraîner perturbations et désorganisations. Elles vont davantage s‟aliéner. Il faut, et c‟est l‟évidence, concevoir autre chose, faire autre chose»84. En somme, n‟importe quelle culture, n‟est pas en mesure d‟utiliser n‟importe quel outil sans adaptation nécessaire. Cela d‟autant que Il est communément admis que le monde développé a traversé trois grandes révolutions industrielles celle de la machine à vapeur, celle de l‟électricité et celle du moteur à explosion. Les travaux de KONDRATIEF et J. SCHUMPETER ont montré que ces révolutions ont structuré et rythmé les grands cycles de la vie économique 83Le Club de Dakar était le pendant du Club de Rome. Cette réunion s‟est déroulée à Vienne les 12/14 octobre 1981. 84 Cette phrase est du Professeur Pascal LISSOUBA dans sa communication intitulée « Développement et identité culturelle » faite au Club de Dakar 82 71 l‟outil lui même n‟est pas neutre et exprime une relation de cause à effet. 85 La deuxième attitude est soutenue par le Professeur YOSHIMORI 86 qui déclare «les japonais voyaient de plus en plus les pays asiatiques colonisés par les puissances occidentales, et ceci était ressenti par eux comme une réelle menace à l‟intégrité nationale du Japon. La seule solution pour les japonais, face à ce défi technologique tout à fait énorme, est de concurrencer les occidentaux sur leur propre terrain, c‟està-dire en empruntant, en assimilant systématiquement les technologies occidentales». Cette controverse est bien caractéristique des débats des années 70 et 80 sur la technologie et son transfert au niveau des PSD. L‟attitude culturaliste défendue par certains philosophes, sociologues et ethnologues était visiblement à côté de l‟impérative nécessité de trouver un « raccourci d‟accès »87 pour bénéficier des effets positifs de la révolution des technologies et de l‟innovation qui accélèrent le progrès économique et social. En effet, la technologique est avant tout un vecteur de transformation radicale du système des forces productives, en tant que processus de modification de la base matérielle de la société, elle agit indubitablement, entre autre, sur le travail productif, la division sociale interne, sur l‟enseignement, la culture et même la psychologie humaine. Alors la pieuse utopie serait de croire qu‟une technologie pourrait être socialement, culturellement et politiquement neutre. Ces débats théoriques, malgré leur ampleur, n‟ont pas débouché sur des propositions de programme de recherche d‟une politique technologique cohérente et capable d‟élargir le développement de la production. Les insatisfactions théoriques et pratiques poussent à éclaircir les véritables enjeux de la problématique de la technologie, au demeurant, à tirer les enseignements essentiels en vue d‟élaborer un pool technologique disponible pour les PSD et de définir les bases d‟une stratégie de maîtrise des innovations technologiques² Section 1 : Les controverses sur le rôle de la technologie dans le développement. La technologie a fait l‟objet de réflexion et de recherche théorique à la suite de la revendication par les pays du Tiers-Monde d‟un transfert sans entrave. Quels sont les points de vue défendus ? Quels enseignements en tirer en direction de l‟élaboration d‟une politique d‟innovations technologiques et de la science comme outils opératoires du développement économique et social. Sur la question du transfert des innovations technologiques, deux opinions se sont affrontées et continuent encore de le faire autour de deux questions majeures que ce transfert soulève à savoir : les effets économiques, sociaux sur l‟environnement humain et physique et le coût financier sur la balance des paiements. Pour un premier courant, la technologie est un impératif pour la transformation qualitative et quantitative du système industriel ; elle permet en outre Cette opinion de P. BUNGENER est symptomatique de cette attitude « En réalité la question devrait être moins de savoir ce qu‟on transmet et comment on le transmet, que de savoir quelle société on aura, quel pouvoir on lui donne, et à qui celui-ci profitera, de voir quels seront les niveaux de résistance ou de passivité auxquels la transmission se heurtera et les raisons de ceux-ci. » La pluralité des mondes : Théories et pratiques du développement, Cahiers de l‟IED, Genève, 1975 86 Il est venu de l‟Université de Tokyo et sa communication a porté sur « Développement et réalités culturelles ». Il a présenté un texte d‟anthologie sur le rôle des valeurs dans le développement0 87 La formule et l‟idée sont de MAO-TSÉ-TOUNG qui reprenait autrement une idée de LENINE qui condamnait les attitudes archaïques et rétrogrades des « moujiks » hermétiques au progrès. 85 72 une exploitation efficiente des ressources naturelles, élève le niveau de productivité du travail, accroît les connaissances scientifiques et techniques. Ces conséquences positives la rendent indispensable pour des pays caractérisés par le retard appréciable des forces productives matérielles et humaines ; l‟archaïsme et l‟inefficience des moyens de production et de travail ; la faible productivité du travail qui explique à la fois le volume réduit de la production et des revenus. La révolution technologique est seule à même de rompre d‟avec cette situation d‟arriération généralisée, de permettre de dépasser l‟économie traditionnelle, régressive, en circuit fermé et la production artisanale, de modifier les conditions de production et d‟instaurer une autre rationalité économique favorable à l‟avènement d‟un processus soutenu et irréversible de croissance et d‟expansion économique. Dès lors, la technologie, quel que soit son incidence financière et socioculturelle, doit être systématiquement recherchée. Elle est profondément un facteur privilégié d‟indépendance économique d‟émancipation scientifique. Le second courant d‟opinion rejette en totalité ces conclusions et montre que si la technologie peut s‟avérer être une variable nécessaire, elle demeure un moyen de perpétuer la domination extérieure. Les pays du Tiers-Monde seront encore pour une période des importateurs nets de technologie, il reste entendu que ceux qui possèdent ce facteur contrôle l‟utilisateur. Par ailleurs, à ce premier aspect défavorable, s‟ajoute deux autres qui concernent d‟une part les coûts excessifs de la technologie qui auront une incidence hautement négative sur les ressources en devises et d‟autre part, l‟aliénation culturelle qui finira par rendre la technologie inopérante. Ce dernier point a été notablement développé : la technologie importée qui véhicule un mode de vie, une vision du monde et une division du travail contraires à ceux du pays récepteur, en conséquence, elle doit être rejetée. En définitive, pour des raisons liées à la dépendance et aux conséquences socioculturelles et mêmes économiques, il est recommandé aux PSD une extrême prudence en matière technologique. L‟innovation nécessaire au développement doit être assumée par des recherches appropriées au plan interne. S‟il n‟en était pas ainsi, l‟importation massive de technologie pourrait être à l‟origine d‟un vaste mouvement de déculturation et de perte d‟identité, tout en échouant dans ce qui est son objectif principal à savoir la transformation des forces productives et l‟accélération de la croissance économique et social. Bien entendu, pour des pays qui viennent d‟accéder à l‟indépendance, qui restent attachés à certaines valeurs culturelles, seul ciment d‟une nuitée nationale fragile, un tel discours porte. C‟est sans doute pour cette raison que ce courant de pensée est dominant au point d‟imposer et d‟imprimer aux recherches et réflexions des références et des normes d‟appréciation. Au nom de la culture et d‟une certaine indépendance qu‟introduirait la technologie, on prône l‟immobilisme, le passéisme et l‟autarcie. Ces idées sont non seulement rétrogrades et dangereuses en ce qu‟elles s‟opposent indûment aux conséquences de la révolution scientifique et technologique mais scientifiquement non fondées. En effet, la problématique de la technologie ne relève d‟aucune ambiguïté. Il s‟agit pour des pays en retard de trouver à l‟intérieur ou à l‟extérieur, les meilleures réponses techniques aux problèmes que soulève la production industrielle. Il faut donc trouver un pays émetteur qui commercialise sa technologie (à partir de ses coûts-bénéfices) dans le cas d‟espèce, aucune considération morale ou autre ne devrait interférer dans le choix technologique. Faut-il remarquer que l‟on n‟a jamais demandé aux pays sous-développés de renoncer à l‟importation de biens et services ou d‟autres commodités parce qu‟elles véhiculent des valeurs aliénantes ou déculturantes. Par ailleurs, l‟argumentaire avancé n‟a qu‟une pertinence limitée et 73 certains éléments comme les effets sociaux négatifs sont scientifiquement et historiquement infondés88. C‟est d‟abord le cas des conséquences culturellement négatives de la technologie importée. Une telle idée est partiellement fausse car si la technologie est un facteur de développent, elle l‟est en ce qu‟elle affecte positivement la base matérielle de la production sociale, la teneur et la forme du travail humain, la division sociale, elle favorise l‟accumulation de connaissances et élève le niveau intellectuel du travailleur. Elle peut même aplanir l‟écart entre travail manuel et travail intellectuel. On n‟en voit pas très clairement où peuvent se situer les aspects négatifs qui justifieraient une opposition à la technologie. L‟argumentation n‟est pas historiquement vérifiée. Il sera établi, plus loin, que la technique n‟étant jamais neutre, elle produit des perturbations culturelles. Seulement, la culture n‟est pas une donnée fixe immuable et elle progresse en fonction du développement des forces productives et du niveau général des connaissances, donc de la technologie. L‟histoire du Japon, de la Chine et de beaucoup d‟autres pays ayant opéré des mutations technologiques par transfert, le montre de façon édifiante. En définitive, pour s‟industrialiser, il n‟existe, pour les PSD que deux alternatives : l‟autarcie et le transfert. Il faut alors opérer des choix clairs. Dans le premier cas, il ne faut se fixer aucune échéance. On postule implicitement ou explicitement que le développement est un vaste processus nécessairement long et lent qui doit cependant se dérouler de façon indépendante par mobilisation exclusivement du potentiel scientifique et technique interne. Le pays se barricade et recommence par ses moyens propres tout le cheminement technologique de l‟humanité. Bien entendu, cette orientation va conduire à l‟élargissement du cap technologique. Au demeurant, le pays sera par rapport au reste du monde dans une permanente retard technologique. Le rejet de ce choix irrationnel ramène en discussion, comme l‟observe A. EMMANUEL, les conditions qui doivent accompagner la seule voie restante à savoir celle du transfert et de l‟utilisation des acquis technologiques des pays développés 89. La technologie est essentiellement liée aux objectifs de développement économique et social qu‟une société se donne. Une fois encore, il peut être attendu de la technologie et de la science un parachèvement rapide de l‟industrialisation, un accroissement considérable de la productivité du travail, l‟industrialisation de l‟agriculture, le dépassement des différences socioéconomiques entre villes et campagnes et l‟égalisation progressive de la base matérielle et technique. Les expériences du Japon, de l‟Union Soviétique et de la Chine sont, de ce point de vue, extrêmement édifiantes car les technologies les plus progressives, les innovations techniques les plus avancées ont été importées et mises au service du développement économique. Elles ont participé à combler le retard économique de ces pays. Aujourd‟hui, la mondialisation de la production et du capital ouvrent des conditions meilleures de transferts technologiques. Les PSD doivent exploiter toutes les opportunités qu‟offre la division internationale du travail. Seulement, elles doivent éviter les innovations scientifiques et techniques de nature ponctuelle, par foyer et enclave qui entraînent un accroissement des disproportions sectorielles sans augmentation appréciable de la productivité. Ils doivent puiser dans le potentiel Faut-il se rappeler qu‟il y a deux siècles les ouvriers de Lyon détruisaient les premiers métiers à tisser sous prétexte qu‟ils leur enlevaient l‟emploi. L‟outil s‟est imposé et s‟est profondément transformé pour devenir plus performant et plus exclusif du travail simple. 89 A. EMMANUEL : op. cit. p 34. 88 74 scientifico-technique, les technologies qui contribuent à la restructuration de la production en vue d‟une croissance économique accélérée. C‟est seulement après avoir réglé ces fonctions de technologie dans le développement économique et social, qu‟il faut s‟interroger sur son impact culturel car il ne saurait être question de sous-estimer cette incidence que pourrait entraîner un recours massif à la technologie pour introduire des ruptures dans les cadences de la croissance et de l‟expansion économiques. Partant de l‟observation que la culture n‟est pas une donnée immuable, il s‟agit d‟analyser la nature des effets négatifs que la technologie induit au niveau culturel pour ensuite apporter les corrections au besoin. A. EMMANUEL, dans cette direction, fait observer que les peuples ont toujours la culture de leur technologie et qu‟il serait illusoire de prétendre à l‟inverse 90.Or, dans cette époque de forte accélération de la révolution scientifique et technique, de la division internationale du travail et de mondialisation des phénomènes de production et de consommation, les valeurs culturelles nationales s‟homogénéisent tendanciellement. Ici comme ailleurs, l‟économie mondiale fait reculer les barrières nationales étroites et organise une extrême mobilité des modèles culturels et de consommation. Elle impose à tous les peuples, avec des vitesses de pénétration différentes, la culture scientifique comme dominante. Au demeurant, la microélectronique caractéristique de la quatrième révolution technologique transformera définitivement les cultures nationales même dans les pays les moins avancés. Les valeurs sociales, musicales, architecturales et autres seront gérées de façon optimale et efficiente par les ordinateurs. Il ne sert à rien d‟être passéiste et de vouloir engager des combats d‟arrière garde perdus à l‟avance mais il faut plutôt procéder à une rigoureuse organisation qui assure les conditions les plus favorables à l‟utilisation de la technologie dans l‟intérêt du progrès économique et social. Le sens de l‟histoire est de comprendre que désormais, le point de départ obligé de tout acte culturel passera par le clavier du microordinateur. Dans cette direction, on peut observer que les changements induits par la révolution scientifique et technique posent de manière aigue le problème de la recherche-développement, de l‟enseignement et de la formation, de l‟assimilation, de la diffusion et de la maîtrise de ces concepts. L‟ampleur des questions soulève d‟abord un problème politique par suite de l‟accroissement du pouvoir technique entre les mains de quelques hommes qui vont ainsi disposer d‟une information et d‟une organisation terrifiante ; ensuite, un problème pédagogique, car si la masse des connaissances a doublé en huit ou dix ans, il ne suffit pas d‟ajouter un chapitre au programme des enseignements pour donner aux enfants une connaissance, même sommaire, de ce qui se crée. Dès lors, la révolution technologique exige de repenser fondamentalement le problème de la culture, surtout pour les formations sous-développées. On est renvoyé à nouveau à l‟opportunité d‟élaborer une politique qui parte d‟une claire conscience De ce point de vue, l‟expérience japonaise est réellement très édifiante, elle montre l‟incidence de la technologie occidentale importée sur la culture. Le Professeur YOSHIMORI note que «même si on assimile au Japon les technologies occidentales, c‟est par le biais de l‟âme japonaise. C‟est ainsi que l‟âme japonaise et la technologie occidentale étaient devenues une espèce de slogan pour les japonais … Les japonais ont plutôt absorbé les autres civilisations pour les assimiler avec leur propre civilisation. Donc les japonais n‟ont pas cette attitude qu‟on peut qualifier d‟ethnocentrique qu‟ont manifesté les chinois au moment de leur rencontre avec les occidentaux. Même aujourd‟hui, les japonais sont fiers de leur civilisation, de leur acquis économique et culturel, mais la modestie est considérée comme l‟attitude la plus importante». 90 75 que la technologie est une nécessité impérieuse et que les pays sous-développés doivent organisationnellement se préparer pour un meilleur usage. Parallèlement, une lutte plus ferme et sans concession doit être engagée contre les publicités entreprises par les écologistes et environnementalistes qui s‟opposent à l‟utilisation des technologies appropriées, notamment dans l‟agriculture. La chimisation et la motorisation dénoncées sans rigueur ne conduiront nullement aux catastrophes annoncées à grands renforts de publicité. Ces opinions répandues à grandes doses dans les pays sous-développés sont scientifiquement mal fondées et n‟ont le moindre souci de ce qu‟il faut faire pour les ventres creux91. Les catastrophes et les problèmes sont ailleurs, ils résident dans la misère et la famine que les politiques agraires ont charge de faire reculer dans les délais les plus brefs possibles. Les grands enjeux sont dans l‟utilisation incontournable des biotechnologies pour réussir la « révolution verte ». La question la plus pressante n‟est certainement ni les précautions à observer, ni la mise en coupe réglée de l‟agriculture mondiale par les multinationales. Cette main mise planétaire concerne des domaines aussi importants que la production des biens et services, les échanges internationaux, la sphère financière et les TIC. Toutes ces réflexions, malgré leur extrême diversité, ainsi que les recherches qui les sous-tendent, s‟accordent unanimement sur le fait que la technologie agit comme accélérateur de l‟industrialisation du développement économique et affecte positivement le travail social en élevant la productivité. Ce sont ces aspects que les politiques doivent rendre optimum tout en minimisant les effets négatifs qui pourraient apparaître, qu‟ils soient de nature sociale, culturelle ou autre. Tout cela est à relier à la fois avec les politiques de développement et les options sociales dont les lois, les catégories économiques et les leviers administratifs favorisent l‟intensification et l‟éclosion de la technologie. En dernière analyse, cette variable peut contribuer à l‟élimination rapide du retard économique par une expansion soutenue des forces productives, condition véritable d‟une amélioration de la rémunération du travail et de la répartition des revenus. Encadré 4 : L'émergence des NTIC comme expression d'une mutation fondamentale dans la production de richesse En juillet 1978, on pouvait lire dans la New York Times Book Review l'article de Solow, que le débat en économie figera sous l'appellation de « Paradoxe de Solow » : les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de la productivité. L'une des réponses apportées (Freeman & Perez) consistait à considérer qu'une nouvelle révolution technologique se préparait, et qu'elle ne pouvait pas épanouir son potentiel de croissance du fait d'une « incohérence », d'un « décalage » entre technologies et institutions. Plus fondamentalement, ce sont l'éclatement de l'usine, la diffusion de formes inédites de coopération dans les interstices de l'espace construit par la firme fordiste, et le fait enfin que l'innovation échappe au contrôle de la grande entreprise, qui court-circuitent tous les principes de ce qui se voulait une « science dure » s'appuyant sur la puissance de l'outil mathématique. Comme le montre Philippe Breton dans son Histoire de l'informatique (1987) « Le microordinateur est né d'un projet social formulé au début des années 1970 par un groupe radical américain, qui avait surtout comme souci la démocratisation de l'accès à Pierre JUDET : Les transferts technologiques. Revue des Échanges, n° 155. Cet auteur, comme d‟autres, dénonce le modèle technologique déformant le mimétisme découlant des systèmes de formation. Ainsi, il est affirmé que «la marche forcée vers la chimisation et la motorisation conduirait à des catastrophes». L‟obstacle, le vrai, à vaincre est la misère et la famine. 91 76 l'information plutôt qu'un désir d'innovation technique. Toute l'affaire semble avoir commencé en 1970 à Berkeley, en Californie, en plein milieu de la crise du Cambodge… » La révolution technologique des NTIC oppose la puissance créatrice et coopérative des forces sociales à la cohérence du modèle fordiste d'organisation du travail, qui se voulait scientifique et universel, et qui misait sur la massificationstandardisation des besoins et des désirs, ainsi que sur la coopération entre les seules grandes firmes et l'État. Cette révolution fait émerger la culture, la communication, la production langagière, la production sociale de savoir, comme moyens de production et comme produits, tout ce que l'économie avait exclu de son champ d'investigation. Comment l'économie politique peut-elle concevoir que cette révolution technologique ne soit pas née dans les départements de R & D des grandes entreprises informatiques et, de plus, le fait qu'elle ne soit pas née dans la perspective d'une innovation technique ? Ce n'est pas non plus l'entrepreneur-innovateur schumpeterien, mu par la logique d'un profit différentiel par rapport à ses concurrents, qui est à l'origine d'une innovation technologique majeure, telles les NTIC qui vont instrumenter des nouvelles formes de coopération sociale. Comment un économiste pourrait-il admettre que la diffusion de l'informatique ne suive pas les lignes des pouvoirs hiérarchiques de la grande entreprise ou de l'État ? En fait, l'émergence des NTIC révèle une mutation profonde qui est sociale avant d'être technologique, et qui dépasse largement le champ technique pour concerner de manière bien plus globale la production sociale de richesse. Depuis les années 1980, la science économique a entrepris de se renouveler en combinant de manière originale des idées et des concepts jusque-là émiettés dans des champs séparés. Deux directions de recherche sont particulièrement intéressantes : La macroéconomie de la croissance endogène qui traite du capital humain et des externalités ; L'approche évolutionniste du changement technique qui conçoit l'innovation comme un processus social d'apprentissage créateur ; Pour pouvoir mesurer la portée du renouveau, il est important de rappeler quel était l'état de la science, et plus particulièrement, comment la croissance avait été traitée jusque-là. Section 2 : La nouvelle donne technologique, l’économie du savoir. Les évolutions technologiques rapides nous mettent à l‟aube d‟un monde nouveau ou l‟interconnexion entre la connaissance et le savoir avec la création des richesses est devenue extrêmement forte. Cette nouvelle révolution technique et industrielle est caractérisée par son fort contenu de service : plus de matière grise que de matière première. Comme l‟observe L. STOLERU, non seulement la part du software (logiciels, prologiciels) est plus grande que celle du hardware (matériels), et même au sein du software, les coûts de maintenance et de mise à jour sont désormais supérieurs au coût de mise au point. En effet, les TIC sont en train d‟introduire au moins trois mutations de grande envergure dans l‟ensemble du système économique et social. La première mutation concerne la modification des systèmes productifs ainsi que les perspectives de la croissance et de l‟emploi. Les activités économiques et 77 financières se réorganisent autour d‟elles et au détriment des savoirs faire et des métiers traditionnels qui avaient structuré le système industriel devenu maintenant quasi obsolète. P. CHAPIGNAC remarque trois ruptures essentielles qui affectent la totalité des activités productives : d‟abord la production de richesse déplace son centre de gravité de l‟activité productive (la dialectique entre la machine et l‟action humaine) à la création (la conception et le pilotage intellectuel), le travail n‟est plus capable de concurrencer les formes de production nouvelles (chaînes, robotisation, réseaux) alors, il se réfugie dans les pays à faible coût de la main-d‟œuvre. Ensuite, les transactions de toutes natures et les liens qui en résultent ont tendance à s‟imposer comme principaux générateurs de la valeur ajoutée. Dans la structure des entreprises les fonctions commerciales, marketing et conception prennent une importance grandissante au détriment des fonctions de production ou des fonctions industrielles classiques. Enfin, le renversement de la hiérarchie des actifs au sein de l‟entreprise : les actifs déterminants sont immatériels. Les actifs matériels avaient une valeur intrinsèque dûment mesurée par la technique comptable et validée par les échanges de capitaux (transaction boursière). Aujourd‟hui les actifs immatériels sont déterminants (connaissances, culture, capacité de traitement de l‟information). Le capital matériel est subordonné aux actifs immatériels.92 La deuxième mutation est relative à l‟enclenchement et surtout l‟explosion des activités économiques, la recomposition des territoires industriels et l‟interconnexion des marchés de la planète. Les nouveaux territoires mettent en réseau entreprises, universités, communautés scientifiques autour de programmes de recherche innovants. Ces acteurs ont la même motivation : chercher, trouver, créer et arracher les marchés. La meilleure illustration est certainement « La Californie Sirricon Valley » transformée en premier pôle mondial de l‟innovation. L‟UE suit le mouvement depuis la Conférence de Madrid. En effet, elle consacre environ 2 % de son PIB à la recherche-développement (cette proportion est variable selon les États membres entre 0,5 % à 4 % du PIB). Le niveau des dépenses publiques par poste de chercheur a atteint 171 000 € en 2001 se situant bien en-dessous des financements identiques accordés par les États-Unis (182 000 €) et le Japon (212 000 €). Le nombre de chercheurs (employés à temps plein) par 1000 actifs s‟élève à 5,7 pour l‟UE alors qu‟il se situe à 9,14 au Japon et 8,08 aux Etats-Unis. La troisième mutation concerne l‟entreprise qui est placée au cœur de toutes les transformations. Elle doit savoir concevoir et produire dans des conditions très contraignantes de flexibilité, de qualité, de coûts et de délai pour tenir la compétitivité structurelle et produire les meilleurs produits, aux moindres coûts pour atteindre les meilleurs marchés. Ces objectifs de l‟entreprise impliquent quatre types de flexibilité financière, fonctionnelle, organisationnelle et d‟adaptation au marché du travail. En fait, pour « transformer en innovation les opportunités nées de la technologie et de la demande, l‟entreprise doit procéder à des investissements en recherche, en apprentissage, en innovation en général. L‟efficacité de ces investissements est conditionnée par les caractéristiques de la firme parmi lesquelles la littérature a identifié l‟organisation interne et la taille comme étant les plus importantes. »93 La rapidité de l‟évolution des TIC commande d‟avoir une vision, une politique structurante qui permet d‟intégrer la numérisation pour en tirer tous les avantages. P.CHAPIGNAC Communication au 12ème Congrès IDT-Marchés et Industries de l‟information 1995 in Revue Problèmes Économiques n°2464/2465, Mars 1996 93 Dominique GUELLEC : Économie de l‟innovation, p35 Collection Repères, Paris 1999 92 78 Dans ce nouveau secteur, il ne faut justement pas baisser les bras car les PSD ne partent pas battus malgré la longueur du gap numérique. La théorie économique des classiques à LUCAS, ROMER et BARRO en passant par J. SCHUMPETER a toujours montré que les innovations et le progrès technique sont des facteurs déterminants du développement et de la croissance et les nouvelles théories économiques de la croissance endogène établissent que la croissance est désormais commandée par l‟économie de l‟immatériel à savoir la recherche, la connaissance, les ressources humaines converties en valeur ajoutée. Ce sont ces facteurs qui différencieront les performances économiques et la compétitivité. Plusieurs Études et Rapports confirment ce constat : la richesse d‟une nation dépend de sa capacité à transformer les connaissances.94 Plus précisément, les modèles de croissance élaborés mettent l‟accent sur les externalités engendrées par l‟investissement en capital physique qui est finalement la source du progrès technique. La conséquence est que les États réalisent des investissements massifs dans la Recherche-développement: 330 milliards de dollars aux États-unis, 240 en Europe. La Chine suit le mouvement et met l'accent à son tour et prioritairement sur la recherche pour passer du statut « d'atelier du monde » à celui d'une économie du savoir avec un volume d‟investissements de l‟ordre 136 milliards de dollars. Elle passe ainsi devant le Japon. Tableau 2 : Pourcentage du PIB alloué à la Recherche et Développement (1984 et 1990) Continent e Amériqu Asie Europe Océanie Afrique % du PIB (1984) 1,94 1,08 1,79 1,11 0,36 % du PIB (1990) 2,87 2,05 2,21 1,38 0,25 source : Unesco, Annuaire Statistique, 1984 et 1990 Paris L‟Afrique, sur la quasi-totalité des segments, est totalement larguée pour un secteur aussi décisif et sur lequel il est possible, pourtant, de s‟aménager des raccourcis dans la production et l‟utilisation des savoirs. 1) Le constat est désarmant : faible capacité de recherche et de production scientifique et inégale répartition du potentiel. En effet, ce potentiel représente à peine 3% de l‟ensemble mondial et il est très inégalement réparti : l‟Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria représentent près de 70% du potentiel de chercheurs. Les raisons tiennent au maigre volume d‟investissement dans les infrastructures, à la médiocre qualité des institutions de gestion et d‟encadrement de la recherche etc. Pour ces raisons le savoir et la science engendrent fort peu d‟effets externes positifs sur l‟économique, le social et le politique. 2) La recherche est impulsée partiellement par des donateurs qui ne s‟intéressent qu‟aux projets répondant à leurs objectifs. L‟exemple des PAS sous ce On peut en citer au moins deux de ces Rapports : le Rapport de l‟UNESCO sur les sociétés du savoir et celui de l‟OCDE sur les Perspectives de la science, de la technologie et de l‟industrie et certainement celui du Ministère français du Plan. 94 79 rapport est édifiant. Les économistes africains ont été totalement exclus du débat et lorsqu‟il fallait les associer, les Bailleurs ont préféré recruter leurs propres experts locaux. On a mis plus de 20 ans pour enfin reconnaître les réserves techniques émises par les économistes africains dans le CARPAS. 3) Sept raisons expliquent les handicaps majeurs du Continent: Faible volonté politique : dépenses de recherche souvent considérées comme improductives. Faiblesse des structures publiques d‟encadrement de la recherche confirmant le désintérêt des gouvernements. Absence de crédits qui limite considérablement l‟efficacité quelle que soit la bonne volonté des acteurs impliqués. Caractère insignifiant de l‟effort du secteur privé en faveur de la recherche. Faible productivité théorique et médiocres résultats opérationnels de la recherche. Absence de cadres adéquats et d‟un environnement propice à l‟investigation. Mauvaise articulation de la recherche aux réalités culturelles, économiques et politiques. Dans le contexte de mondialisation les TIC constituent l‟un des enjeux les plus importants et appellent l‟élaboration d‟une politique technologique à l‟échelle des organisations régionales africaines : CEDEAO, SADC, COMESA ou même UA qui constituent des cadres opératoires qui permettent de disposer de masse critique et de bénéficier des effets d‟échelle. Seuls de tels espaces peuvent rentabiliser les investissements massifs que requièrent la R & D, la mise en œuvre de nouveaux territoires, de nouvelles universités, de nouvelles communautés scientifiques autour de nouveaux programmes de recherche. Section 3 : Le pilotage d’une politique technologique : faire en sorte que la science et la technologie deviennent les clés de l’avenir du continent. Dans ses travaux sur « La technologie et le développement », Abdelkader DJEFLAT observe qu‟ « Au plan des mises en œuvre, un nombre limité de pays ont réellement tenté d‟intégrer leur politique Scientifique et Technique dans leur politique économique de développement. Quand c‟était le cas, ils l‟ont fait au niveau institutionnel plutôt qu‟au niveau économique et toujours avec beaucoup de difficultés. » Quelques exemples peuvent illustrer cela : en Égypte, le premier plan scientifique et technologique fut produit parallèlement au plan quinquennal de développement économique de 1982-1987 et dans les plans produits postérieurement mais les relations opérationnelles entre les deux étaient souvent peu claires. Au Ghana, un Groupe d‟Analyse et de Planification fut mis en place pour aider le CSIR (Council for Scientific and Industrial Research) et le Ministre de l‟industrie. Ceci a conduit à l‟inclusion d‟une section Science et Technique dans le Plan national développement en 1980 et à la création de 5 comités techniques pour conseiller le comité national pour la formulation d‟une politique Scientifique et Technique adéquate. Les résultats obtenus n‟ont pas été probants. Le Kenya a mis en place un Conseil National pour la Science et la Technique (NCST) afin de conseiller le gouvernement en matière d‟intégration de la Science et de la Technique dans les plans de développement. La Tanzanie a pu élaborer une PST explicite intégrée dans sa politique économique, sans toutefois que les relations entre l‟organe de 80 planification et l‟organe chargé de la S&T ne soient clairement spécifiées. En RDC, le plan quinquennal de développement (1986-1990) constitue le cadre principal pour la PST. Le Ministère de la recherche scientifique, assisté par le Conseil National de la Science, coordonne les activités de plusieurs institutions de recherche mais pas suffisamment pour réellement appliquer une véritable planification de la S & T. Au Zimbabwe, le National Council for Research fut créé en 1985, mais c‟est au sein du ministère de l‟industrie et de la technologie qu‟existe un département chargé de promouvoir le développement technologique et de tracer une politique scientifique et technologique liée au plan de développement économique. Au Sénégal, un Ministère de la Recherche Scientifique et Technique a toujours existé dans l‟organigramme gouvernemental mais avec des moyens financiers et humains dérisoires. Le Tableau qui suit est assez édifiant pour montrer le caractère largement insuffisant de l‟organisation de structures institutionnelles de gestion de la Science et de la Technique.95 Tableau 3 : Répartition des pays africains selon l’importance des structures institutionnelles de gestion de la politique scientifique et technologique Catégorie de pays Nbre de pays Pays ayant un organisme chargé spécialement de l‟élaboration et du suivi des politiques scientifiques et technologiques doté de termes de références et de ressources Pourcentages 14 26% Pays ayant un organisme de haut niveau (ministère ou conseil national) chargé de la S&T doté de termes de référence mais pas de ressources 25 46% Pays n‟ayant aucune institution chargée de la politique scientifique et technologique 15 28% 4 100% Total Source : estimé par Abdelkader Djeflat à partir des données de CASATAFRICA II À l‟échelle régionale comme nationale, le principal problème à résoudre concerne les choix de la technologie à partir d‟un panier technologique à l‟intérieur duquel les organismes publics définissent les options et les objectifs et évaluent les différentes contraintes déterminées de tous ordres. La faiblesse des acteurs et celle de leurs ressources humaines et financières doivent mener l‟État à jouer un rôle capital d‟impulsion de la recherche, de réformes du système de formation et d‟aide aux entreprises privées à innover et à tirer parti des nouvelles technologies. Ces actions publiques peuvent revêtir diverses formes : mobilisation des ressources financières internes et externes, aides fiscales aux entreprises innovantes, prise en charge des dépenses de R & D, gestion fonctionnelle de la recherche publique. Abdelkader DJEFLAT : La vision standard du progrès technique dans les économies africaines et ses conséquences : essai d‟analyse 95 81 I/ Le pool technologique et le choix de techniques L‟analyse des technologies et des innovations montre qu‟il existe un pool technologique comprenant au moins quatre composantes : Les technologies modernes de pointe dans toutes les sphères des TIC et qui sont importables à partir du marché des brevets ou incorporées dans la production d‟une firme multinationale, Les technologies occidentales modernes mais désuètes sur les marchés des pays industrialisés qui peuvent être délocalisées par voie directe des entreprises ou indirecte d‟achat de brevet. Les technologies artisanales locales ou importées d‟autres pays du TiersMonde comme la Chine, l‟Inde, le Brésil etc. Les technologies locales adaptées issues de la modernisation des techniques artisanales. Cette distinction permet d‟appréhender les différentes options et combinaisons possibles pour les agents directement concernés par l‟utilisation de la technologie. Les choix procéderont d‟une part, des objectifs visés par le producteur et qui pourraient être l‟accroissement de la production, l‟amélioration de la qualité ou de l‟efficacité, l‟élévation du volume du profit et d‟autre part, des contraintes techniques, de revenu ou sociales. C‟est dire que le choix procède toujours d‟une certaine rationalité conforme à la politique qui est poursuivie. Donc le déterminisme technologique n‟existe pas, les choix correspondent à des objectifs nettement spécifiés comme l‟apparition de nouveaux produits, une exploitation et valorisation des facteurs naturels, la réduction du temps de travail, l‟augmentation de la productivité, etc. On ne peut finalement exclure ou même privilégier telle ou telle composante technologique. Les critères de choix seront fonction des politiques appliquées. Il y a seulement une réserve de principe à opérer sur les technologies occidentales modernes en désuétude. L‟analyse de W. ROSTOW et de tous les tenants de la thèse du retard s‟était évertuée à montrer que les PSD disposant de faibles capitaux n‟avaient d‟autre choix que l‟industrialisation en faveur des branches et techniques légères. Ils pourraient acquérir les équipements vétustes des pays développés. Toutefois des décennies n‟ont pas permis à ces modèles d‟industrialisation de produire des effets positifs sur le développement économique et social des pays sous-développés. Ils continuent de connaître les mêmes retards et d‟évoluer sur des lignes de sous-développement. La version actualisée de cette politique qui est la délocalisation industrielle n‟a encore produit nulle part un processus véritable d‟industrialisation. C‟est dire que cette composante technologique, sauf exception, doit être abandonnée. Pour le reste du pool, le fonctionnement de la politique donnera des indications sur les choix à opérer. II/ Les éléments de la politique technologique À partir de ces considérations, le problème qui suit concerne l‟élaboration d‟une politique technologique cohérente et intégrale qui définit avec clarté les critères qui président aux choix technologiques, l‟appropriation et la diffusion des technologies importées, la promotion de la recherche scientifique et technique, la spécification des moyens et canaux de vulgarisation des innovations technologiques. Cette stratégie technologique dépasse la simple problématique du transfert qui n‟est 82 qu‟une composante. Les axes de la politique s‟articulent autour des cinq volets qui suivent : 1°) Le premier volet réside dans l’élaboration d’une stratégie globale, durable et planifiée du développement scientifique et technique ; ce qui suppose : la spécification des besoins technologiques à moyen et long terme en fonction des options sectorielles du développement économique et social, la quantification des moyens et leur répartition fonctionnelle, l‟établissement des priorités, la définition d‟un système de formation des chercheurs hautement qualifiés et d‟un personnel auxiliaire adaptés au développement de la science et de la technique. Cette stratégie doit être partie intégrante de la politique socioéconomique et culturelle d‟ensemble dont les objectifs demeurent l‟élévation des forces productives par une industrialisation conséquente, la construction d‟une économie nationale capable d‟autonomie, la satisfaction des besoins matériels, l‟amélioration du niveau de vie et l‟élévation du niveau culturel et spirituel des producteurs. La science et la technique deviennent ainsi des outils indispensables de réalisation des tâches de développement et de transformation dans le sens de l‟édification d‟une société socialiste dont il est dans l‟essence et la nature, de créer les conditions les plus favorables à l‟accélération de l‟utilisation de la science, de la technique au bénéfice de la société. 2°) Le second volet de la stratégie concerne la création et la mobilisation de tous les moyens qui peuvent concourir à une maîtrise par les agents économiques et les scientifiques des anciennes technologies et l’ouverture sur celles de la troisième révolution industrielle. Il faut donc combler le gap par un transfert contrôlé et aux moindres coûts. Car, si celui-ci a été apprécié comme une « pieuse utopie », c‟est probablement pour souligner le fait qu‟il n‟avait aucun caractère automatique et non onéreux. Deux moyens peuvent s‟offrir : le premier consisterait à encourager l‟implantation de filiales de sociétés productrices de technologie et le second serait l‟importation directe. Pour le premier moyen, on sait qu‟en règle générale, les sociétés-mères transfèrent nécessairement leurs techniques de production, leur savoir faire et cela quel que soit le niveau de développement du pays d‟installation de la filiale. C‟est cela qui fait observer à Dimitri GERMIDIS « une tendance à l‟homogénéisation des techniques de production dans chacune des branches industrielles indépendamment des caractéristiques socioéconomiques et culturelles des pays d‟accueil. » La réduction de la sophistication et de la mécanisation des techniques observables dans les formations sous-développées ne procède que des faibles dimensions des marchés internes. L‟installation de filiales ou d‟autres formes du genre contribue au transfert technologique. Le second moyen disponible est l‟importation directe par l‟opérateur économique interne de la technologie appropriée. L‟État pourrait encourager cette politique par des subventions financières ou des concessions fiscales et douanières vers donc l‟objectif d‟alléger les charges de l‟entreprise importatrice de technologie. Dans ces deux (02) cas, le transfert est encouragé pour combler tout gap technologique ou empêcher qu‟il ne se constitue un autre de plus important dans l‟avenir. Bien entendu, les technologies à transférer sont celles qui contribuent à forcer l‟allure de l‟industrialisation qui permette une valorisation des matières 83 premières de base, une absorption de la main-d‟œuvre, un accroissement de la productivité des secteurs économiques et du travail et l‟augmentation des revenus. Les pays sous-développés doivent mobiliser les ressources financières et humaines pour s‟ouvrir systématiquement sur les nouvelles technologies caractéristiques des mutations fondamentales en cours, s‟effectuant à partir de la filière électronique qui approfondira le développement des bio-industries. Selon Michel RICHONNIER, en dernière analyse, les nouvelles technologies de la quatrième révolution industrielle (elles ne sont pas toujours aussi nouvelles) sont principalement : les énergies renouvelables qui datent de plusieurs millénaires, les énergies nucléaires de fusion dont les filières sont scientifiquement maîtrisées depuis quelques décennies, les nouvelles technologies de l‟information et de la communication amorcées au milieu des années 1960 qui constituent la plus grande révolution de tous les temps les biotechnologies qui amènent de prodigieuses découvertes de processus nouveaux de production. En effet, les pays sous-développés doivent être extrêmement attentifs sur ces nouvelles technologies qui transforment radicalement les conditions de production dans tous les secteurs d‟activité. Au niveau de l’agriculture, Dans le cadre de l‟agriculture les technologies qui contribueront à élever la productivité agricole et à améliorer les bases de la production sont celles qui produiront les impacts qui suivent : être plus économe en énergie et d‟autres intrants grâce à un double progrès : la bioconversion et la microbiologie. Cela est important quand on sait que la révolution verte était fondée sur un modèle à profil énergétique élevé96 ; et être plus productif par suite d‟une utilisation systématique de la mécanisation et le recours à la télédétection qui permettra d‟une part une meilleure connaissance des sols et des climats et d‟autre part, un choix plus approprié des cultures. Au niveau du secteur industriel, l‟automatisation, la robotisation et la microélectronique entraîneront des révolutions dont on est loin de soupçonner présentement toutes les conséquences socioéconomiques. Dans les branches productives où ces technologiques sont introduites les grains de productivité sont particulièrement exceptionnels. Dans cette optique il faut insister particulièrement sur deux (02) aspects : la robotisation qui développera des ateliers flexibles pouvant opérer les assemblages mais aussi capables de reconnaître des formes (robots palpens) et la fabrication assistée par ordinateur qui procédera à la production dans des industries de série commandées directement à partir d‟une salle de contrôle, avec une optimisation en temps réel pour réduire au maximum les stocks et répondre à la demande flexible. Au niveau du secteur tertiaire également, les nouvelles technologies apportent une autre dimension, une autre efficience par le recours de plus en plus généralisé à l‟informatique et à la bureaucratie. Ces facteurs modifient complètement le système décisionnel et entraînent des gains de productivité et de temps. Au total, une stratégie crédible de développement technologique ne saurait se désintéresser de ces mutations en cours qui modifieront dans un futur proche les Ainsi la bioconversion permettra une récupération et ventilation systématique des déchets, la microbiologie permettra une fixation de l‟azote ce qui va faire baisser le recours à l‟engrais et la génétique mettra au point de nouvelles variétés végétales et animales plus productives 96 84 systèmes et conditions de production, qui bouleverseront radicalement les modes de vie et de pensée et qui feront reculer les prévisions d‟épuisement des ressources naturelles. Que ces technologies impliquent des coûts financiers qui peuvent être considérables et des incidences socioculturelles importantes, ces facteurs ne sauraient être des prétextes pour ne point les importer et contribuer à leur maîtrise. Cela d‟autant plus qu‟elles s‟imposent tendanciellement dans les pays développés comme facteurs de sortie de crise. Les pays sous-développés qui ont raté toutes les révolutions industrielles et technologiques doivent s‟organiser sous l‟impulsion des pouvoirs publics et des opérateurs économiques pour rentrer dans cette troisième révolution capable d‟accélérer le progrès et la croissance économique. 3°) Le troisième volet de la politique technologique concerne la création d’instituts de recherche pourvus de moyens financiers, d’équipements, de cadres, d’ingénieurs et de chercheurs adaptés aux besoins de développement de la science et de la technique. Ces structures devront permettre une coordination de la recherche avec la production ; ce qui va amener l‟utilisation des acquis scientifiques dans la production matérielle. Comme l‟observe une étude monographique de l‟Académie des Sciences «l‟achèvement des recherches et, parfois, leur réalisation nécessitent des équipements spéciaux sophistiqués, des appareils et des matériaux dont la fabrication n‟est possible que dans des conditions industrielles et exigent la création d‟industries nouvelles et d‟installations dépassant par leur envergure et leur complexité, les usines les plus modernes»97. Les instituts de recherche ont alors pour fonction d‟orienter et de réaliser les politiques de recherche-développement. Pour cela ils doivent disposer d‟un potentiel appréciable de scientifiques, d‟ingénieurs et de chercheurs. Or ce tableau montre à souhait l‟énorme retard accumulé par l‟Afrique à ce niveau Tableau 4 : Nombre de scientifiques et ingénieurs impliqués dans la R&D Régions du globe Nombre Europe 2 206 33,6 Océanie 1 610 24,5 Amérique 1 509 23 Asie 401 6,1 364 5,5 Pays Arabes 363 5,5 Afrique 117 1,8 Total 6570 100 Amérique Latine et Caraïbes (*) Pourcentages Source : Unesco, Annuaire Statistique 1994 et nos propres calculs 4°) Le quatrième volet concerne la planification de la recherche ainsi que son organisation pour une diffusion dans le corps de métier, et chez les utilisateurs potentiels des acquis technologiques. L‟efficacité de la recherche s‟apprécie par le volume de brevets formalisés, diffusés, commercialisés. 97 Académie des Sciences de l‟URSS : Les fonctions sociales de la Science. Revue Sociale n°4, 1982. 85 5°) Le cinquième volet intéresse une réforme fondamentale de l’Université et du système de formation technique et professionnelle. L‟intensification des financements publics et des réformes des systèmes universitaires et de formation permettait de produire un impact positif sur la productivité, la compétitivité et la croissance. Cela s‟explique par le fait que l‟université crée un impact direct sur la productivité en formant du capital humain pouvant être utilisé pour réaliser des innovations technologiques. Le Professeur Djeflat opère une analyse comparative de la formation scientifique et technique en Asie et en Afrique et souligne 4 carences des systèmes universitaires de formation : - La première est que l‟on mette l‟accent mis sur la formation théorique au détriment des formations pratiques, techniques et manuelles qui ont été la plupart du temps une préoccupation secondaire du système éducatif. - La seconde est la faveur accordée aux formations longues au détriment des formations courtes. À cet effet, le poids de l‟héritage colonial surtout dans les pays francophones n‟est pas à négliger. La conséquence est le mépris du travail manuel qui va se développer dans les sociétés africaines avec l‟oubli que, paradoxalement, c‟est par ses travaux manuels, son artisanat et son ingéniosité que l‟homme africain s‟est développé par le passé. -La troisième est le détournement des ingénieurs du terrain de la pratique : la plupart ne reçoivent pas le type de formation qui les rende pleinement opérationnels quand ils sont intégrés dans le circuit de production. On explique ceci en partie par le fait qu‟ils ne possèdent pas de terrain de travaux pratiques adéquats à cause de la faiblesse de l‟industrie dans la plupart des pays africains. Par ailleurs, une proportion non négligeable, parmi eux, est nommée à des postes administratifs et souvent au niveau ministériel98. -La quatrième est que l‟enseignement de la Science et de la Technique est conçue pour la formation de spécialistes malheureusement, l‟accent est mis, surtout, sur l‟accumulation des connaissances plutôt que sur le développement de la créativité et du savoir-faire. Au demeurant, des préjugés persistants ont relégué la formation technique et la formation professionnelle au rang de parent pauvre du système éducatif. L‟Afrique a ainsi progressivement glissé derrière les autres régions du monde C‟est pourquoi, les universités doivent être réformées dans leurs structures, comme dans leur contenu pour les rendre capables de gérer les mutations scientifiques et technologiques rapides99. La refonte du système universitaire, scolaire, de formation et recherche s‟impose et passe par la redéfinition des trois (03) missions de l‟Université à savoir : La redéfinition des missions des universités autour de quatre idées maîtresses : modernité et excellence, développement de la culture technologique, formation professionnelle et formation permanente, ouverture et partenariat. À l'évidence, les appareils productifs et de formation manquent encore de performance car À la fin des Années 90, le Président Blaise COMPAORÉ avait constaté que plus de 60% des ingénieurs agronomes étaient dans les bureaux administratifs pour un pays qui regorgent de terres inutilisées. Il aida à les recycler dans les campagnes du Burkina et cela a révolutionné les secteurs d‟accueil. 99 De ce point de vue, Ivan ILUCH observe que «les étudiants ont perdu leur foi et leur respect dans l‟institution … l‟Université doit les aider à formuler d‟une façon cohérente et rationnelle l‟angoisse qu‟ils éprouvent». 98 86 le premier n'arrive pas à absorber le produit du second. Les explications sont différentes selon le côté auquel on se trouve. Pour les entrepreneurs, les étudiants ont certainement "la tête bien pleine" mais, ils n'ont aucune qualification professionnelle permettant leur insertion. Le problème de l‟adéquation entre formation et emploi n‟est évidemment pas nouveau ; mais son approche a considérablement évolué dans l‟ensemble des pays africains, depuis une vingtaine d‟années. La deuxième mission est la recherche de ressources financières suffisantes, diversifiées, stables avec une allocation optimale pour les différentes composantes du système. Les crédits de l'Université sont principalement d'origine publique. Cette subvention de l'État à l'université va sans nul doute se poursuivre mais, il est indispensable d'en repenser à la fois le volume et les modalités d'attribution, de gestion et de contrôle. La troisième mission est celle de l‟organisation et la gestion de la recherche. La recherche est le domaine de la production du savoir, de la création et de l‟innovation. C'est un domaine stratégique car non seulement elle détermine le progrès de la science, mais aussi la compétitivité dans les secteurs-clés, surtout des nouvelles technologies. Les pays industrialisés investissent considérablement à travers leurs institutions d'enseignement supérieur et leurs centres de recherche. Mais actuellement en Afrique, la recherche est le parent pauvre de la plupart des institutions universitaires. Les budgets alloués par les gouvernements ont considérablement baissé (ou ont tout simplement disparu dans certains pays) à la suite de la crise économique et des mesures d‟ajustement mises en place dans la plupart des pays. Or, aucun système d'enseignement supérieur ne saurait remplir sa mission et être un partenaire utile de la société si son personnel enseignant et ses institutions ne font pas des travaux de recherche. Car une des missions essentielles de l'université est d'être un centre actif de créativité, d'élaboration de connaissances et de savoir pour la promotion de la science et de la technologie. En conséquence, il faut mobiliser tous les cerveaux africains afin que les universités contribuent pleinement et efficacement à la réalisation des politiques de R&D et de technologie à l‟échelle nationale et continentale. Il importe alors d'avoir une politique de recherche qui, pour être opérationnelle et répondre aux objectifs du développement économique et social, suppose la mobilisation de moyens matériels importants et des ressources humaines de qualité, c'est-à-dire des hommes de science créatifs, des chercheurs productifs et travaillant en réseaux. La compétition internationale nécessite actuellement beaucoup d'innovations et de créativité sur le plan technologique. Aujourd'hui, la recherche universitaire doit s'imposer, tant au niveau appliqué que fondamentale. Les universités doivent développer et créer des structures de recherche modernes, tout en mettant l'accent sur l'initiation et la formation des chercheurs, la publication et la diffusion de leurs résultats. Si nul ne peut contester l'importance de la recherche-développement dans les pays industrialisés, l'université africaine est désormais appelée à s'y impliquer afin d'assurer les nouvelles missions qui lui sont assignées. Mais il ne faut pas seulement faire de la recherche pour de la recherche, celle-ci doit aussi se faire en partenariat avec l'industrie, les entreprises et tous les acteurs de la vie socio-économique de la nation. Pour ce faire, la recherche doit être de bonne qualité afin de bénéficier davantage de 87 financement, et savoir s'imposer face aux autres pôles de recherches extra-universitaires qui demeurent des concurrents potentiels. 88 CHAPITRE 18 POLITIQUE COMMERCIALE ET INSERTION DANS LES ÉCHANGES INTERNATIONAUX Dans les développements antérieurs, il a été souligné que l‟une des caractéristiques de la mondialisation est sans conteste l‟accélération spectaculaire et le surdéveloppement des échanges internationaux de biens, de services et des technologies. Depuis la sortie de la deuxième guerre mondiale le commerce international a connu des évolutions marquantes : les flux commerciaux s‟accroissent deux fois plus vite que la production et dans le même temps, les exportations ont été multipliées par 126 si bien que les échanges commerciaux sont devenus l‟une des composantes les plus déterminantes de la mondialisation. Toutefois, plus de 70% des échanges s‟effectuent entre les pays de la triade : Europe occidentale, Amérique du Nord et Asie, même si également on observe une progression rapide du commerce Sud-Sud100. Les évaluations prospectives prédisent une amplification des échanges internationaux : la Chine devrait être la première puissance commerciale mondiale aux alentours de 2010 si elle arrive à éviter une crise financière majeure. Cette expansion est le fait des multinationales qui organisent la production à l‟échelle mondiale.101 Cet essor des flux commerciaux est la conséquence de la conjugaison de facteurs relatifs à l‟amélioration des divers moyens de transport et de communication, au développement des TIC et enfin aux avantages que les pays retirent des échanges commerciaux. Dans ce contexte, les PSD élaborent des politiques commerciales actives pour accroître leurs exportations en vue de prolonger leurs marchés intérieurs trop étroits et de se procurer les biens d‟équipement et les technologies nécessaires à leur production et aux progrès techniques qui favorisent leur modernisation. Certaines statistiques montrent que si les PVD arrivent à augmenter de seulement 1% leur part de marché dans les exportations mondiales, cela représenterait environ 70 milliards de dollars soit le quintuple du montant cumulé de l‟Aide Publique et de l‟annulation de la dette. Ce chiffre est assez significatif dans cette période marquée par des restrictions budgétaires, une stagnation voire une réduction de l‟APD, l‟accès aux marchés et surtout les préférences commerciales vont alors prendre une place centrale comme un moyen et un complément nécessaire aux efforts de développement et de diversification des économies en développement. La quasi-totalité de ces PVD présente une balance commerciale déficitaire du fait de la configuration des importations et des exportations : les premières sont composées des biens de consommation intermédiaire pour le fonctionnement du système productif (les machines outils, les autres biens d‟équipement lourds et les technologies de l‟information et de la communication) et les secondes comprennent principalement des produits primaires aléatoires dont le commerce n‟obéît qu‟exceptionnellement aux lois du marché. Ces produits primaires représentent 25% du commerce mondial des marchandises et fournissent souvent plus de 50% des recettes d‟exportation pour les PS. Ils comprennent : 100 Il faut relativiser quelque peu car la part des PED dans les exportations mondiales a nettement reculé passant de 30% dans les années 50 à environ 2% aujourd‟hui. Cette chute est entrain de s‟améliorer mais reste encore une tendance marquante. 101 Le CNUCED dénombre 65.000 entreprises multinationales qui comptent 850.000 filiales et deviennent le moteur de la mondialisation de la production et des échanges. 89 les produits agricoles de consommation finale : café, cacao, fruits, arachide, viande,…; matières premières d‟origine agricole, coton, laine,… ; matières premières d‟origine minière : phosphate, cuivre, bauxite, fer, pétrole…. Malgré le déficit chronique de la balance commerciale, sa structure montre la grande dépendance de ces pays à l‟économie mondiale ce qui dément totalement l‟affirmation courante de leur faible insertion dans l‟économie mondiale. Par ailleurs, les politiques de croissance accélérée conduites dans la plupart des pays en développement entraînent un accroissement des importations de biens d‟équipement. Dans ce sens, selon C. FURTADO102, ces importations augmentent plus vite que le taux de croissance économique et J.BOURRINET103 fait la même observation lorsqu‟il souligne que « Toute intensification du rythme de croissance au niveau des PVD se traduit par un accroissement de la pression sur la balance des paiements ». La politique commerciale soulève alors trois questions : d‟abord, quelles sont les théories économiques qui la portent ? Ensuite, en quoi les échanges commerciaux sont-ils avantageux ou non aux différents partenaires? Peut-on arriver à équilibrer ou harmoniser les échanges internationaux ? Et subsidiairement quels rôles doivent jouer les Etats ? Le schéma qui suit montre les différentes articulations de ces questions. Figure 3 102. 103 C.FURTADO : Théories du développement Cité par G. CAZES. J.DOMINGO : Le sous-développement et ses critères ; Ed Bréal ; 206p 90 Actuellement, la littérature et les recherches économiques ainsi que les expériences accumulées établissent plus clairement la corrélation entre libéralisation commerciale, croissance et développement. Au cours de ces dernières décennies, certains pays d‟Asie et d‟Amérique Latine ont fait du commerce extérieur le moteur de leur croissance économique. La mise en œuvre de bonnes politiques commerciales a engendré un ensemble d‟effets bénéfiques sur les stratégies de développement et l‟amélioration de la compétitivité des économies. Le contraire est aussi vrai. Multilatéralisme et mondialisation Versus OMC Régionalisme aux multiples formes Etape ou rempart A la Mondialisation Conditions Manifestement, l‟Afrique, contrairement à ces pays, n‟a point tiré grand profit de son ouverture sur l‟extérieur. C‟est pourquoi, la question de l‟accès aux marchés y revêt un caractère crucial. Depuis l‟avènement de l‟OMC, les pays africains en font une revendication primordiale, une préoccupation centrale pour leur développement économique et social. Dans le cadre du NEPAD, « l‟accès aux marchés » est érigé au rang de secteur prioritaire. L‟étroitesse des marchés commande de se tourner vers les marchés d‟exportation afin d‟appuyer les dynamiques de croissance et les efforts en matière de diversification des structures productives. Dans cette optique, en 2001, l‟OMC, 28 initiatives d‟accès aux marchés en faveur des pays les moins avancés dont 19 avaient été accordés par des pays en développement ou des pays en transition, et 9 par des pays développés notamment les pays du quadrilatérale (Canada, Union Européenne, Japon et Etats-Unis ; étant donné que sur l‟ensemble des PMA 33 sont africains, ces initiatives revêtent une importance particulière pour le développement de l‟Afrique104. Ces nouveaux enjeux appellent le traitement dans ce chapitre de deux aspects essentiels de la politique commerciale à savoir d‟une part le un rappel des théories qui sous-tendent les échanges extérieurs en relation avec la croissance et le développement et d‟autre part les négociations commerciales et les avantages revendiqués par l‟Afrique dans le Cycle de DOHA de l‟OMC à une période de remise en question du SPG dont les principaux mécanismes sont en voie de démantèlement105. Andrew MOID : L‟Afrique et les préférences commerciales-état des lieux et enjeux, Doc. de travail du CAPC, nov .2005 105 Les deux mécanismes de compensation a posteriori les pertes de recettes d‟exportation, ont été liquidés notamment le financement compensatoire du F.M.I. et le STABEX/SYSMIN des Conventions de Lomé. 104 91 Section 1 : Les théories du commerce international et le développement : des approches traditionnelles aux analyses de la « nouvelle théorie du commerce international » Les fondements du commerce international ont depuis le XIXème siècle préoccupé la science économique qui, à travers diverses écoles de pensée, tente de répondre à la question de savoir ce que gagnent à l‟échange les divers partenaires présentant des différences de possibilités et de coûts de production. Les différentes théories ont dégagé une corrélation quasi parfaite entre croissance de la production et développement du commerce mondial. En effet, des mercantilistes, jusqu‟aux tenants de la « nouvelle théorie contemporaine du commerce international » en passant par l‟École classique, la littérature économique a accrédité l‟idée unanime que le commerce extérieur est aussi source de richesses, dès lors que les divers partenaires aux échanges internationaux sont susceptibles de se procurer des bénéfices. Les mercantilistes ont, les premiers, consacré l‟essentiel de leurs analyses à la dimension commerciale avec la recherche, par tous les moyens de l‟excédent de balance commerciale. C‟est beaucoup plus tard que les courants les plus orthodoxes ont avancé l‟idée que tout le monde gagne au libre-échange : il suffit tout simplement de se spécialiser dans les productions pour lesquelles le pays possède les meilleures dotations factorielles. A partir de ce moment et jusqu‟à nos jours les deux Ecoles du protectionnisme et du libre échangisme vont s‟affronter sur les mécanismes de génération des bénéfices du commerce extérieur et ceux de leur répartition entre les participants. Les mercantilistes bâtisseurs du protectionnisme et des spécificités du développement européen se présentent comme les défenseurs d‟une doctrine de l‟interventionnisme du souverain au service des acteurs qui contribuent à la formation de l‟excédent commercial générateur de puissance politique, militaire et de prospérité nationale. Au vu de cette importance, les approches mercantilistes prennent en compte les relations qu‟entretiennent le souverain (l‟Etat) et les négociants (les firmes), les liens entre la politique commerciale et la politique industrielle. C‟est dire que ces convergences d‟intérêts, vont amener les souverains à contribuer, au besoin militairement, à la construction d‟un avantage comparatif de la nation dans un environnement international conflictuel. Dans ce sens, P.KRUGMAN a qualifié le GATT de « mercantilisme éclairé » car il est centré sur les exportations tout en prônant l‟ouverture des marchés condition pour le développement des exportations.106 En ce qui concerne les théories du libre-échange, elles se référent toutes aux théories des Classiques (Théories des avantages absolus de SMITH, des avantages comparatifs de RICARDO références fondamentales du fameux théorème HOS), et tentent de démontrer, sous certaines hypothèses, l‟optimalité du libre échange comme source de bien-être économique global. Si les analyses classique et néo-classique ont constitué les bases essentielles des références de la théorie du commerce international, aujourd‟hui, elles sont fortement contestées par les tenants des approches de la détérioration des termes de l‟échange et de l‟échange inégal et ceux de la « nouvelle théorie du commerce international ». Ces deux tendances se démarquent des anciennes formulations désormais dénommées « théorie traditionnelle des échanges internationaux» et Dans la même direction de réflexion Patrick MESSERLIN estime que le GATT est une « mécanique mercantiliste au service de la libéralisation ». 106 92 inscrivent leurs différences en termes d‟analyses et de recommandations de politique commerciale. I/ La théorie traditionnelle du commerce international : Les analyses classique et néo-classique. Depuis les classiques, les liens entre les questions de croissance économique et celles du commerce international ont été clairement établis par A. SMITH et D. RICARDO qui se tenaient sur des positions scientifiques et luttaient contre le régime féodal périmé. Pour cette raison, ils ont été à juste titre appelés par Marx les fondateurs de l‟économie politique classique. En même temps, dans une analyse approfondie, MARX a mis en relief l‟esprit scientifique de leurs conceptions. A la différence des mercantilistes qui s‟intéressaient exclusivement à la sphère de la circulation, les représentants de l‟économie politique classique considèrent le commerce extérieur en étroite liaison avec la division internationale du travail qui joue en général un très grand rôle dans le système conceptuel d‟A. SMITH. C‟est par ce problème qu‟il commence son ouvrage. « Si un pays étranger peut nous fournir des marchandises, dont le prix serait plus bas que celui des produits fabriqués par nousmêmes, il vaut mieux les lui acheter contre une partie de la production de notre propre travail industriel appliqué dans un domaine où nous avons certains avantages. » Ce commerce international permet d‟éviter la réduction du marché intérieur et favorise son extension tout en améliorant la production par le double biais des innovations technologiques et de l‟accumulation du capital. D.RICARDO partage le même avis en ce qui concerne la division internationale du travail et le commerce international qui empêchent l‟avènement de l‟état stationnaire, pouvant retarder la chute du taux de profit. Cette réflexion débouche sur les fondements de la question des avantages comparatifs qui accroissent le taux de croissance économique et sa tendance à long terme. Finalement, parmi les classiques, MILL (1848) a aussi reconnu que la force capable de retarder la progression vers l‟état stationnaire est le progrès technique et l‟élargissement de la taille du marché par le commerce international. Toutefois, les disciples de Ricardo ont ignoré le fondement de la question des avantages comparatifs et n‟ont pas identifié les facteurs résultant du commerce international et pouvant accroître le taux de croissance économique. Les changements introduits par la théorie ricardienne n‟ont été repris que tardivement dans un contexte d‟équilibre général néo-classique par le modèle de HECKSCHER (1919) et OHLIN (1933). Ce modèle a préconisé l‟ouverture des pays au commerce international qui est mutuellement avantageux et bénéfique pour tous les partenaires. Des auteurs comme J. VINER affirment que la théorie de la division internationale du travail et du commerce international de A. SMITH et de D. RICARDO aurait mieux résisté à l‟épreuve du temps que les autres aspects de leur doctrine. G. HABERLER considère aussi qu‟en comparaison avec les autres éléments de la doctrine classique, cette théorie a conservé sa valeur d‟une manière étonnante. Elle a survécu à la révolution marginaliste et keynésienne sans grand dommage pour ses thèses essentielles. Dans le même sens, G. MEIER note que « la théorie classique du commerce international a fait preuve qu‟elle était capable d‟assimiler les modifications apportées par le progrès de la théorie économique générale ». Les variantes actuelles de cette théorie qui prédominent de nos jours dans la littérature économique ont été élaborées de la façon la plus détaillée par une pluralité d‟auteurs comme E. HECKSCHER et B. OHLIN, A. MARSHALL, F. TAUSSIG, G. HABERLER, J. VINER, P. SAMUELSON pour les plus éminents. D‟ailleurs, G. 93 HABERLER emploie le même procédé dans son livre « Théorie du commerce international » où il note que dans l‟exposé du principe des coûts comparatifs, il n‟emploie la théorie de la valeur travail que comme « hypothèse provisoire facilitant l‟analyse. « Cette hypothèse facilite considérablement l‟analyse, et nous avons la chance de pouvoir montrer que les conclusions obtenues grâce à elle n‟en dépendent pas en fait. En définitive nous rejetterons cette théorie avec toutes ses prémisses sans rejeter toutefois les résultats obtenus, ces derniers restant valables. C‟est ainsi que se comporte le bâtiment lorsqu‟on a enlevé les échafaudages qui avaient servi à sa construction. HECKSCHER et OHLIN ont appliqué l‟analyse du commerce extérieur au cas de la Suède qui comptait parmi les pays les plus « commerçants » du monde avec à l‟époque un volume d‟exportation de l‟industrie de l‟ordre de 55 à 60% de la production du pays. Cette grande dépendance à l‟égard du marché extérieur explique le grand intérêt que les économistes suédois avaient porté aux problèmes du commerce extérieur. Il est significatif que ce soit en Suède qu‟a été conçue l‟idée des stocks régulateurs en liaison avec les évolutions de la conjoncture et la « théorie de l‟équilibre général » fort répandue dans la littérature économique libérale. Les enchainements des théories libérales du commerce international peuvent être schématisés comme suit : Figure 4 : Le commerce international comme moyen d’assurer le développement Théorie ricardienne des avantages comparatifs Les inégales dotations de facteurs de production Spécialisation des PSD dans les productions où ils possèdent une grande Spécialisation des PSD dans les productions où ils possèdent des facteurs de production en supériorité relative abondance Produits primaires et produits manufacturés à faible valeur ajoutée Les multiples recherches qui ont continué la théorie d‟HECKSCHER-OHLIN, ont consacré la place prépondérante des relations économiques internationales dans les politiques économiques. Il est alors recommandé que chaque pays se spécialise dans la fabrication et l‟exportation de marchandises exigeant de nombreux facteurs de production qui y sont relativement abondants et, de ce fait, relativement bon marché. OHLIN souligne que la division internationale du travail est également influencée par les conditions de la demande à l‟intérieur de chaque pays, mais selon 94 la plupart des auteurs contemporains, ce facteur ne revêt habituellement pas une importance décisive et ne porte pas atteinte au principe susmentionné. De ce fait, il est affirmé que le commerce international est avantageux pour tous ceux qui y participent, car les ressources productives de tous les pays sont utilisées de la manière la plus efficace et grâce à la division du travail et du commerce, chaque pays reçoit avec un minimum de frais plus de marchandises qu‟il n‟en aurait pu fabriquer lui-même. Selon cette théorie, le marché capitaliste mondial serait une sphère d‟échanges « réciproquement avantageux » et les intérêts de tous les pays sont réglés par l‟harmonie naturelle. » Ce fonds doctrinal est un des maîtres-piliers du référentiel de la libéralisation particulièrement au niveau des PSD auxquels il est demandé de s‟ouvrir à la mondialisation en brisant toutes les entraves au commerce, ce qui confère les mêmes chances aux différents partenaires. Cette doctrine est à la base des politiques libres échangistes qui recommandent aux PSD de briser toutes les barrières protectionnistes pour bénéficier des avantages du commerce mondial. Toutefois, il apparaît que dans la théorie de l'avantage comparatif, l'ouverture permet, dès lors que les coûts relatifs de production sont différents, une réorientation des ressources rares vers les secteurs les plus efficients et une amélioration du bien-être de la population. Le prolongement de «HOS» a confirmé ces gains et en a rajouté d'autres liés à la rémunération des facteurs de production. Les thèses de la détérioration des termes de l‟échange et de l‟échange inégal prennent le contre-pied de ces formulations libérales et tentent de prouver que le commerce international participe plutôt à la ruine des pays dits périphériques par les divers transferts de ressources de ceux-ci vers les pays du centre : dans la division internationale capitaliste du travail, le développement des partenaires les plus riches entraîne le sous-développement des plus pauvres.107 II/ Détérioration des termes de l’échange et échange inégal comme antithèse de la théorie des avantages comparatifs. Un certain nombre d‟auteurs ont fortement remis en cause la thèse ricardienne des avantages comparatifs ainsi que ses formulations contemporaines. Les travaux de R. PREBISCH, A. EMMANUEL et Samir AMIN, SAIGAL sur les termes de l‟échange et l‟échange inégal apportent l‟infrastructure théorique pour établir que le commerce international participe plutôt à la ruine de la Périphérie (PSD) du fait des multiples transferts de cette dernière vers le Centre (Pays capitalistes développés). Pour R. PREBISCH108 qui est le premier économiste a analysé les relations Nord-Sud en termes de « Centre » et de « Périphérie », les traits distinctifs suivants caractérisent les États industriels (« Centre ») et les pays producteurs de denrées agricoles et de matières premières (« Périphérie ») : détérioration des termes de l‟échange pour la périphérie et leur amélioration pour les principaux centres de l‟économie mondiale ; économie intégrée au centre ; à la périphérie, économie productrice de denrées alimentaires et de matières premières, de préférence monoculture, reposant sur des méthodes de production précapitalistes ; Cette thèse est formulée par tous les marxistes tiers-mondistes : Accumulation à l‟échelle internationale (S.AMIR) et Gunder FRANK : le développement du sous-développement 108 R. PREBISCH: Towards a new global strategy for development, 1958. Il est le premier dirigeant de la CEPAL et devient en 1964 le premier Secrétaire Général de la CNUCED. 107 95 impulsions de la conjoncture au centre ; intenses transpositions de ces impulsions des centres à la périphérie ; accumulation rapide du capital et intense progrès technique avec accroissement de la productivité et des revenus au centre ; faible accumulation du capital, progrès technique insignifiant, faible productivité et faibles revenus réels à la périphérie ; à la périphérie, part considérable du commerce extérieur dans le revenu national exerçant une influence décisive sur la conjoncture ; faible part au centre où les investissements intérieurs et non le commerce extérieur exercent une influence décisive sur la conjoncture ; tendance chronique à la dépression au centre et à l‟inflation chronique à la périphérie ; chômage au centre ; sous-emploi des ouvriers et faible productivité du travail à la périphérie. Comment se présentent les deux thèses de la détérioration des termes de l‟échange et de l‟échange inégal ? A grands traits les raisons avancées par R. PREBISCH et H.SINGER s‟articulent comme suit : Figure 5 : Le commerce international : facteur d’appauvrissement Les raisons de la dégradation des termes de l’échange Thèses de Prebish, Singer La hausse des prix des produits des PD La baisse des prix des exportations des PSD Les marchés mondiaux sont contrôlés par des opérateurs originaires des PD qui peuvent imposer les prix et les quantités aux PSD Les produits exportés par les PSD incorporent peu de VA et sont l’objet d’une concurrence importante qui fait baisser les prix Le haut niveau des salaires dans les PD contribue à élever le coût de revient des produits, et par là même des prix Les produits sophistiqués incorporant des techniques élaborées sont coûteux. L’offre des biens est non concurrentielle 1°) Détérioration des termes de l'échange. Il existe plusieurs définitions des termes de l'échange et cela mène souvent à la confusion dans la compréhension du phénomène et dans son évaluation quantitative. Généralement on distingue trois notions : les termes de l'échange revenus, les termes de l'échange marchandises et les termes de l'échange factoriels doubles. Les arguments qui démontreraient, du point de vue des pays pauvres, une 96 baisse tendancielle dans les termes de l'échange revenus et dans les termes de l'échange marchandises ont été formulés originellement par RAOUL PREBISCH, et sont repris par S. AMIN. Les termes de l'échange revenus se définissent comme étant le revenu gagné par les exportations divisé par le revenu dépensé pour les importations. Soit : PxQx PmQm où Px = indice des prix à l’exportation Qx = indice des quantités exportées Pm = indice des prix à l’importation Qx = indice des quantités importées Les PSD exportent des produits agricoles et importent des produits industriels. Historiquement, le taux d'accroissement de la productivité dans le secteur industriel a été beaucoup plus élevé (à peu près deux fois plus élevé) que le taux d'accroissement de la productivité dans le secteur agricole. En l‟absence de changement dans le rapport de prix Px/Pm, les revenus provenant de l'exportation ne dépendent que de la quantité exportée Qx, et un pays pauvre pourrait augmenter le taux d'accroissement de Qx en produisant et en exportant des produits industriels, au lieu de produire et d'exporter des produits agricoles. Pour ce qui concerne les termes de l‟échange marchandises, ils se définissent plus communément : Px C‟est-à-dire un indice des prix à l‟exportation divisé par un indice des Pm prix à l‟importation. Vu la monopolisation des firmes au Centre, après un accroissement de productivité, les bénéfices se répartissent comme suit : - une réduction du prix du produit (bénéfice aux acheteurs), - une augmentation des salaires (bénéfice aux ouvriers), - une augmentation des profits (bénéfices aux capitalistes). En ce qui concerne les produits industriels exportés du Centre, les monopoles parmi les fabricants et les syndicats assurent que l'augmentation de productivité devrait se traduire par des augmentations des profits et des salaires, sans réduction du prix du produit. Pour les matières brutes et agricoles exportées par les PSD, le manque de monopolisme et la compétition parmi les pays pauvres assurent que l'augmentation de productivité se traduit par une réduction du prix, bénéficiant aux acheteurs des pays riches. Il importe de souligner l‟incidence de l‟élasticité de la demande définie comme la valeur absolue (sans tenir compte du signe) du rapport : % de changement de A % de changement de B 97 Or, l'élasticité de la demande pour les Prix de produits agricoles est faible (moins que 1,0) vente tandis que celle des produits industriels est élevée (plus que 1,0). Par exemple, si la production du blé augmente, il faut une énorme réduction du prix du blé pour a Pa persuader les gens à acheter plus de pain. (A titre d'illustration, si on vend 2 fois plus de blé à 1/4 du prix ancien, notre revenu est réduit de moitié quand on double la quantité de blé commercialisé. En général : quand l'élasticité de la demande est inférieure à 1,0, à une augmentation b Pb de la quantité vendue est associée une baisse du prix suffisante pour Quantité de réduire le revenu provenant des ventes ; Qb blé vendue Qa quand l'élasticité de la demande est supérieure à 1, à une augmentation de la quantité vendue est associée une petite baisse du prix et une augmentation du revenu provenant des ventes ; quand l'élasticité de la demande est égale à 1,0, une hausse de la quantité vendue est exactement compensée par une baisse du prix et le revenu provenant des ventes reste constant. La faible élasticité de la demande pour les produits du secteur agricole implique que le faible taux d'accroissement de la productivité de ce secteur est bénéfique pour l'état de la balance des payements des pays exportateurs. En effet, si la production avait augmenté plus vite, les prix seraient tombés beaucoup plus rapidement, et le revenu provenant des exportations aurait été encore plus faible. Observons qu‟il existe des monopoles parmi les PSD (par exemple le Maroc avait déjà 60% des exportations mondiales de phosphates juste avant l‟annexion du Sahara à ce pays) à défaut, plusieurs pays pauvres peuvent se réunir pour former un monopole entre eux (exemple : OPEP) ; dans ces cas, la faible élasticité de la demande devient un avantage : on peut obtenir une forte augmentation du prix avec une petite réduction de la quantité vendue, et donc augmenter son revenu (voir graphique ci-dessus, où le monopole peut réduire la quantité vendue de Qb à Qa pour quadrupler le prix de Pb à Pa doublant ainsi le revenu provenant des ventes). C‟est l‟élasticité de demande inférieure à 1,0 qui rend le monopole rentable. 98 Si l‟analyse technique des termes Px de l‟échange soulève peu de problèmes il n‟en va pas de même pour les statistiques qui font l‟objet de plusieurs controverses. Elles varient avec les Prix auteurs, particulièrement concernant les termes de l'échange marchandises entre pays pauvres et pays riches. Certains rapports tentent d‟établir qu'on n‟a pas constaté une tendance significative Ŕ ni à la hausse, ni à la baisse Ŕ dans les termes de l'échange marchandises des pays pauvres pendant les 25 dernières Année années alors que R. PREBISCH et a b c d d‟autres auteurs soutiennent qu'il y a eu une baisse à long terme. Sans entrer dans le détail des controverses, le Professeur Abdoulaye WADE (dans une étude du Conseil Économique et Social) montre que la conclusion dépend de l'année du commencement des statistiques et l'année de la fin, puisqu'il y a une grosse variation dans les prix des exportations de pays pauvres d'une année à l'autre. Dans le graphique qui suit, un statisticien qui mesure la tendance des prix des exportations de l'année "a" à l'année "c" aurait une conclusion très différente de celle d'un collègue qui mesure la tendance de l'année "b" à l‟année "d". En clair, il est préférable d'examiner la situation pour chaque pays et pour chaque produit. Manquant de statistiques fiables sur les prix des exportations et des importations dans les PSD, PREBISCH a pris les prix en Angleterre pour les produits importés des pays pauvres et exportés envers les pays pauvres, en raisonnant comme suit : Px Pm en pays pauvre = en pays riche puisque les exportations des uns sont Pm Px les importations des autres. Mais les prix des exportations sont mesurés hors-fret (f.o.b), et les prix des importations sont mesurés fret-inclus (c.a.f.) donc on a : Pm + F Pm en Angleterre, où « F » est le prix de transport. Dans la période de l'étude, il y a eu une réduction importante des prix du transport, qui ferait apparaître une "réduction" dans les termes de l'échange marchandise, même si Pm/Px en Angleterre (Px/Pm en pays pauvre) n'avait pas changé. Il existe aussi un désaccord sur le niveau de correction à faire pour tenir compte de l'augmentation de la qualité. La qualité des produits agricoles varie peu (l'arachide de 1900 a une forte ressemblance avec l'arachide de 1975), tandis que la qualité des produits industriels augmente (voiture de 1900 et voiture de 1975). Supposons par exemple : 99 Année Prix d‟une Ampoule Durée de l‟ampoule Prix pour Mille heures 1925 100 500 heures 200 1975 150 1000 heures 150 Une augmentation de 50% du prix de l'ampoule devient, après correction pour le changement de sa qualité, une réduction de 25% dans le prix par heure de lumière. Le problème ici est que les augmentations de qualité sont généralement très difficiles à estimer. La troisième catégorie concerne les termes de l'échange factoriels doubles qui tentent de déterminer quel nombre d'heures de travail en pays riche s'échangent contre quel nombre d'heures de travail en pays pauvre, c'est-à-dire : Heures de travail incorporées dans les produits importés Heures de travail incorporées dans les produits exportés Dans L'Afrique de l'Ouest bloqué, Amin a essayé de calculer les termes de l'échange factoriels doubles pour le Sénégal, utilisant des chiffres tirés d‟une étude d‟André VANHAEVERBEKE.109 Période 1890-99 1965-69 Indice de termes de l‟échange marchandises (1938 = 100) 125 Indice de termes de l‟échange factoriel Doubles (1938 = 100) 295 105 40 Dans ce travail S.AMIN arrive à une très forte détérioration de ces termes de l‟échange. Quelle est l'importance liée à cette approche des termes de l‟échange factoriels doubles ? C‟est surtout pour mieux approcher et évaluer l‟échange inégal à la lumière de l‟analyse marxiste. 2°) L’échange inégal comme expression du transfert de richesse engendré par l’ordre commercial mondial : un justificatif des politiques protectionnistes des PSD. EMMANUEL observe qu‟ « En présence de certains aspects dramatiques de l‟écart de niveau de développement entre les peuples, la question est de savoir si les facteurs historiques qui déterminent ces niveaux sont internes ou externes. Sommairement parlant, la production de richesses est fonction de la quantité d‟outils et de matière grise dont les bras de l‟homme sont « assistés » dans le travail productif. Or, nous naissons tous nus et incultes. Nous passons tous par un âge de la pierre. Comment se fait-il alors que, dans un monde qui est un, on se trouve un jour 109 Samir AMIN : L‟Afrique de l‟Ouest bloquée, Éditions du Seuil 100 avec un revenu, les uns de 42000 dollars, les autres avec 150 dollars, avec une espérance de vie, les uns de 70 ans, les autres de 50ans, avec une alphabétisation, les uns à 100%, les autres à 25% ?»110 Comme facteurs internes possibles de dernière instance d‟un tel clivage, on ne peut guère imaginer que deux : des différences raciales et l‟environnement géo-climatique. Or, un consensus scientifique semble exister pour les récuser tous les deux. Il ne reste alors que les facteurs externes c‟està-dire l‟ordre international existant et le transfert de richesses qu‟il engendre. Or en faisant abstraction du pillage direct, il n‟existe matériellement, pour un tel transfert entre pays, aucun autre véhicule qu‟un déséquilibre de leur balance commerciale, qu‟il soit formel, c‟est-à-dire comptabilisé comme une absence d‟équivalence des volumes en termes de prix courants, ou informel, c‟est-à-dire dissimulé à l‟intérieur da la structure de ces prix courants comme une absence d‟équivalence de leurs éléments. La théorie de l‟échange inégal dans ses diverses versions veut donner une infrastructure théorique explicative de ces transferts. Le concept fondamental de l‟échange inégal tente de mesurer le commerce international non en termes de prix, mais en termes de valeur, et donc d'y appliquer la théorie de la valeur de MARX (lui-même est mort avant d'achever son vœu d'écrire une section du Capital sur le commerce international). Si la valeur des exportations n'est pas égale à la valeur des importations pour lesquelles elles s'échangent, alors on dit qu'il y a un échange inégal, et que le pays recevant plus de valeur exploite le pays qui en reçoit moins. Il existe plusieurs variantes de la théorie de l'échange inégal, les plus connues étant la version originale d‟Arghiri EMMANUEL et celle de Samir AMIN. Ces deux versions partagent les conclusions qui suivent : Figure 6 : Les conclusions de l’analyse de l’échange inégal Sur le plan économique Sur le plan social Les pays à bas salaires vendent leurs marchandises à des prix inférieurs à leur valeur d‟usage au plan international. Un pays n‟est pas pauvre parce qu‟il vend bon marché, mais paradoxalement, il vend bon marché parce qu‟il est pauvre ; de ce fait, il s‟appauvrit sans cesse davantage 110 Le mécanisme de transfert de valeur au niveau international aboutit à une exploitation de la classe ouvrière des pays périphériques A. Émmanuel : le « prix rémunérateur » 101 a) La première version de l’échange inégal selon Arghiri Emmanuel conduit à des politiques protectionnistes. La première version de l'échange inégal est due à Arghiri EMMANUEL ; elle est publiée en 1969.111 Son point de départ est que la valeur d'une heure de travail est égale à la valeur d'une heure de travail, n'importe où dans le monde. Bien entendu, on parle de travail simple (non-qualifié), ou de travail également qualifié (un maçon en France et un maçon au Sénégal, par exemple). Puisque la valeur est proportionnelle aux heures de travail, il y a échange inégal si les termes de l'échange factoriels doubles ne sont pas égaux à 1,0. Pour bien mesurer les termes de l'échange factoriels doubles, il faut observer deux nuances : les heures de travail complexe doivent être converties en heures de travail simple, et il faut inclure les heures de travail matérialisées dans les machines et dans les matières premières. Puisqu'il est extrêmement difficile de mesurer les termes de l'échange factoriels doubles en observant les nuances, Emmanuel propose une deuxième façon de déterminer l'échange inégal : si le salaire réel (pour la main-d‟œuvre non qualifiée, c'est-à-dire pour le travail simple) n'est pas le même en deux pays, il y a échange inégal dans le commerce entre eux. Selon la théorie Marxiste112 sur la transformation de la valeur en prix, les deux manières de déterminer l'inégalité de l'échange sont équivalentes : les termes de l'échange factoriels doubles seront égaux à 1,0 si et seulement si le niveau du salaire est égal dans les deux pays. b) La seconde version de l'échange inégal selon Samir Amin. L‟auteur démarre sa réflexion à partir d‟une critique du critère des termes de l‟échange factoriels doubles. En effet, il est apparu à S. AMIN qu‟un niveau des termes de l'échange factoriels doubles différent de 1,0 n'implique pas, en soi-même, une exploitation : les ouvriers en pays riches sont payés plus, mais ils ont une plus haute productivité. Il faut alors trouver le lien entre l'échange inégal et l‟exploitation des ouvriers en pays pauvres. Dès lors, il y a un échange inégal entre deux pays quand l'écart des rémunérations du travail est supérieur à celui des productivités. Cependant, par "productivité" AMIN se réfère au produit moyen par ouvrier, et non au produit marginal du dernier ouvrier. On voit que pour EMMANUEL, il y a échange inégal du moment qu'il y a un écart quelconque entre les rémunérations du travail dans deux pays participant au commerce international ; tandis que pour AMIN, il n'y a échange inégal que si l'écart des rémunérations du travail est supérieur à l'écart des productivités du travail. Quelles sont les hypothèses sous-jacentes aux théories de l'échange inégal ? Pour simplifier nous retenons les éléments suivants : Premièrement, il est supposé que les coûts de transport et les tarifs douaniers sont négligeables. L'inclusion de ces coûts compliquerait l'analyse sans changer les conclusions. Deuxièmement les produits s'échangent entre pays et de ce fait, les prix relatifs des produits sont les mêmes en tous pays. Par exemple, si le blé coûte 2,17 fois autant 111Arghiri 112 EMMANUEL : L'Échange inégal, Éditions F. Maspéro 1969. La théorie Marxiste de prix a été présentée - et critiquée. 102 que le riz aux États-Unis (mesuré en dollars) alors le blé coûtera 2,17 fois autant que le riz au Sénégal Troisièmement les techniques sont les mêmes dans les pays riches et dans les pays pauvres pour certaines industries (par exemple raffinage du pétrole) en conséquence, cette identité des techniques entraîne celle de l‟égalité de la productivité par travailleur alors même que le salaire dans les pays pauvres reste plus bas à cause de la forte pression des chômeurs et l‟état d‟organisation des syndicats. Quatrièmement, le capital s'échange et circule librement, permettant la péréquation du taux de profit. Par exemple, si le taux de profit était plus élevé au Sénégal qu'en France, tous les capitalistes français investiraient leurs fonds au Sénégal. Finalement, après le financement de tous les projets les plus rentables au Sénégal, il ne resterait que des projets dont la rentabilité était égale ou inférieure à la rentabilité de projets en France. La mobilité internationale du capital assure une péréquation du taux de profit international. Cinquièmement la main-d'œuvre n'est pas mobile internationalement. De ce fait le salaire est différent selon les pays. On suppose que le nombre de travailleurs migrants est négligeable par rapport à la force de travail totale ; essentiellement tous les ouvriers restent dans leur pays. Par contre, on suppose qu'à l'intérieur d‟un pays le travail est mobile entre industries. En conséquence, le salaire (à qualification égale) est le même dans toutes les industries du pays. Ceci implique que tous les ouvriers du pays peuvent participer aux bénéfices de l'accroissement de la productivité de n'importe quelle industrie du pays. Moyennant ces hypothèses, la participation au commerce international effectuée dans les conditions d‟échange inégal (version Amin) est nuisible aux pays pauvres selon le modèle de Jagdish SAIGAL. S. AMIN veut démontrer non seulement que les pays pauvres sont exploités par l'échange inégal, mais aussi qu'en participant au commerce international les pays pauvres perdent par rapport à une situation d'autarcie (non-participation au commerce international). Il serait à leur avantage de cesser de commercer avec le monde développé. Avec la Loi de l'avantage comparatif, Ricardo avait prouvé que comparés à une situation d'autarcie, deux pays tirent toujours chacun bénéfice de l'ouverture du commerce entre eux, mais Amin échappe aux conditions de cette loi, car il a changé une des hypothèses de D.RICARDO : celui-ci avait supposé que le capital n'était pas mobile entre les deux pays, et que par conséquent il n'y avait pas de péréquation du taux de profit entre les deux pays. Est-ce que le changement de cette hypothèse change la conclusion de l'analyse de Ricardo ? Amin prétend que oui, et il cite une étude de Jagdish SAIGAL comme preuve. Ces diverses formulations théoriques (les avantages comparatifs et l‟échange inégal) constituent le référentiel des politiques commerciales libre-échangistes et protectionnistes. c) La synthèse des deux approches et les politiques préconisées S'il est difficile de démontrer que l'échange inégal est pire que l'autarcie pour les pays pauvres, il est facile de démontrer que l'échange inégal est avantageux aux pays riches. Prenons par exemple Taiwan, la Corée dans le domaine de chemises. Si un producteur américain s'installe en Corée, il obtiendra une rente : car il paye à un prix très bas ses ouvriers (comparés aux ouvriers américains) mais il vend ses chemises au prix élevé des fabriques américaines. (Petit à petit, le déluge de chemises importées fait baisser leur prix sur le marché américain et ruine l‟industrie de 103 chemises aux États-Unis, sauf si celle-ci est protégée par des tarifs douaniers ou par des contingents sur l'importation). Les propositions de S. AMIN peuvent être synthétisées en cinq points. Dans les pays pauvres d'aujourd'hui, au contraire des modèles de Smith et de Ricardo, il y a tout un nœud de "cercles vicieux" qui bloquent le développement. Un manque d’investissement : les riches nationaux dépensent leurs revenus en biens de luxe ou en "investissements" improductifs (par exemple, l'achat de terrain). Un manque de profit : l'accroissement de la productivité, qui dans une économie fermée au commerce international mène à un accroissement de profits qui pourraient être réinvestis et dans une économie ouverte de pays pauvres mène à une baisse des termes de l'échange : les bénéfices de l'accroissement de productivité vont aux acheteurs des pays riches. À cause de la faible taille du marché dans les pays pauvres, les usines travaillent à une petite échelle qui réduit leur rentabilité. Un manque de liens entre industries (désarticulation) : une industrie ne conduit pas à une autre industrie, parce qu‟il est facile d'importer de l'équipement et des matières premières fabriquées (en contraste par exemple avec l'Angleterre dans les années 1780-1850). La faible échelle du marché est insuffisante pour rentabiliser l'industrie lourde, où les coûts par unité de produit sont beaucoup élevés si on produit un peu plus. Un manque d'emploi : causé par le manque d'investissement, qui limite le nombre de fabriques, et par ... des technologies importées qui emploient une faible quantité de main d‟œuvre dans les fabriques existantes, …. tandis que la compétition des produits manufacturés fabriqués localement ou importés conduit au chômage un grand nombre d'artisans. La faible masse de salaires implique peu de consommation et partant, une restriction de la taille du marché. Cela complète alors plusieurs "cercles vicieux". Quelles sont les politiques proposées par S. AMIN ? Elles se résument principalement à deux : l‟introversion dans le cadre d‟un marché commun et l‟édification du socialisme. Il est vrai que l‟auteur à une aversion très forte pour la définition des politiques : ce n‟est pas le rôle du théoricien, d‟ailleurs Marx se refusait aussi à définir « les gargotes de l‟avenir ». Samir AMIN considère que l‟insuffisance de la demande intérieure est l‟un des facteurs limitants du développement. Elle peut être résolue par intégration dans le cadre d'un processus de formation d‟un marché commun qui facilite l‟introversion des politiques. Les pays pauvres doivent essayer d'être autosuffisants. Le libre accès aux importations des pays riches ne permet pas aux nouvelles industries des pays pauvres de démarrer, tandis que les exportations traditionnelles souffrent d'une baisse tendancielle des termes de l'échange. Le libre accès (voir l'encouragement !) donné au capital étranger signifie une exploitation du pays, avec l'exportation des profits. Cette introversion ne peut se réaliser pratiquement que dans le cadre d'une communauté économique créée entre pays pauvres, cause de la faible échelle du marché dans chaque pays individuel. Le socialisme : le gouvernement ne doit pas laisser le marché libre décider les prix et la répartition des revenus. Dans une société capitaliste, la croissance ne porte bénéfice qu‟à un petit nombre de bourgeois nationaux. Le niveau d‟investissement doit être promu par l‟État. Le pays doit activement décider le taux d‟investissement, au lieu de permettre que cette décision soit prise 104 passivement en fonction de la répartition des revenus entre les capitalistes et le reste de la société. III/ La « nouvelle théorie du commerce international » Ce courant de pensée tire son origine d‟un double constat d‟une part, l‟extrême fragilité des hypothèses et d‟autre part la constatation de l‟écart considérable entre les prédictions de la théorie et la réalité empirique. En effet, les thèses classiques admettent que les économies sont définies par des rendements d‟échelle constants et par une concurrence pure et parfaite. Dans ce cadre le modèle ricardien met l‟accent sur les différences technologiques comme cause des échanges alors que le modèle HOS s‟appuie sur la diversité des dotations en facteurs. D‟autres modèles sont concevables en faisant varier les hypothèses relatives au nombre de biens et de facteurs, en apportant des restrictions à la technologie. Au sein de la recherche économique s‟est développée, selon le mot de P.KRUGMAN, « une contre culture » qui a mis l‟accent sur d‟autres arguments sur des sources possibles d‟échanges. C‟est ainsi que des auteurs comme BURENSTAM-LINDER (1961) et R. VERNON (1966) vont mettre l‟accent sur l‟évolution technologique endogène, tandis que beaucoup d‟autres discutent du rôle possible des économies d‟échelle comme cause des échanges, distincts des avantages comparatifs.113 C‟est dans ce cadre qu‟il faut « repenser la théorie du commerce international ». En effet, E.HELPMAN, P.KRUGMAN considèrent que le commerce international contemporain est caractérisé par trois traits qui sont largement inexpliqués par la théorie traditionnelle : D‟abord, les échanges internationaux constatés se développent le plus rapidement entre les pays les plus développés qui présentent des dotations factorielles très voisines, contrairement aux attentes de la théorie HOS. Il s‟agit en fait, d‟un commerce Nord-Nord, entre pays à niveau de développement proche ; Ensuite, le commerce international est principalement de type intra-branche où chaque firme se spécialise sur un segment de demande et exploite les rendements croissants. Ce commerce intra branche ne peut être expliqué ni par la théorie ricardienne des avantages comparatifs ni par la théorie HOS de la différence des dotations factorielles base de la spécialisation des différents partenaires ; Enfin, au sein de la théorie traditionnelle, les firmes multinationales ne peuvent exister, alors même qu‟elles sont à l‟origine de la part la plus importante des échanges entre nations. C‟est pourquoi, selon P.KRUGMAN, il est paradoxal de traiter le commerce international avec une théorie reposant exclusivement sur des hypothèses de concurrence, alors que les secteurs industriels qui sont à l‟origine de l‟essentiel de ce commerce sont des oligopoles comme en atteste les analyses de l‟économie industrielle.114 En définitive, l‟incapacité des théories traditionnelles à expliquer les échanges entre des pays identiques, les échanges intra-branches et le rôle des firmes multinationales va être à la base de la formulation de la « nouvelle théorie du commerce 113Paul R. KRUGMAN : La mondialisation n‟est pas coupable, vertus et limites du libre échange, Edit. La Découverte, 1998. 114 Les modèles de concurrence imparfaite sont connus depuis les travaux de CHAMBERLAIN poursuivis et approfondis par M. SPENCE (1976), A.DIXIT, J.STIGLITZ, P. KRUGMAN, K. LANCASTER etc. 105 international » qui essaie de prendre en compte ces éléments en se fondant sur les principes de la concurrence imparfaite et les rendements d'échelle. Et M. RAINELLI note que « contrairement à d‟autres domaines de l‟analyse économique où un auteur cherche à comprendre l‟évolution des idées introduit lui-même une coupure entre des théories « anciennes » et des théories « modernes », le label « nouvelle théorie du commerce international»ou nouvelle économie internationale est déposé et revendiqué par un groupe important d‟auteurs. De surcroît, les chercheurs se réclamant de la nouvelle théorie se sont vigoureusement différenciés des conceptions défendues par les auteurs attachés à l‟ancienne. Ils proclament ainsi que leurs résultats et leurs recommandations s‟éloignent considérablement des propositions de l‟ « ancienne » théorie »115. C‟est dire que la « nouvelle théorie » du commerce international ne correspond pas à un corps d‟analyse unifié, mais plutôt à un ensemble de travaux développés par différents auteurs qui ne sont fédérés que par le rejet des fondements classique et néoclassique de l‟échange. Face à l‟extrême variété des auteurs, à la diversité de leurs approches et à l‟âpreté de leurs controverses, il est difficile (peut-être sans intérêt) de rentrer dans les querelles d‟école et les apories théoriques. En tirant les enseignements de toutes ces analyses, deux interrogations paraissent intéressantes : d‟une part les apports effectifs de ce nouveau courant de pensée et de recherche à la relation commerce international et développement et d‟autre part les propositions de politique commerciale, à l‟échelle normative. 1°) Sur la première interrogation Après avoir constaté que les tentatives de vérification empirique de la théorie dite traditionnelle ont été généralement décevantes, les nouvelles approches proposent des explications des échanges internationaux qui remettent en question les hypothèses qui sous-tendent la théorie des avantages comparatifs : hypothèses de concurrence pure et parfaite, de mobilité des facteurs, de l‟écart des coûts relatifs fondement de la spécialisation des pays en fonction de leur dotation factorielle. La nouvelle théorie se focalise sur deux phénomènes qui peuvent produire des imperfections de marché : la différenciation des biens et les économies d‟échelle. Dans ce sens M.RAINELLI notera que « Parmi les voies de recherche explorées, les plus importantes sont relatives au rôle joué par la technologie, la différenciation des produits ou encore les rendements croissants d‟échelle ».116 Encadré 5 : Les deux approches de la nouvelle théorie du commerce international L’approche où les biens sont différenciés Les consommateurs expriment une demande de variétés et les firmes y répondent par une segmentation (horizontale ou verticale) conduisant à un marché de type concurrence monopolistique. La demande de différence va dans le sens d‟une multiplication des segments, d‟un élargissement des gammes. La solution consiste au développement d‟un commerce international de type intra-branche où chaque firme (pays) se spécialise sur un segment de demande et exploite les rendements croissants. Ce commerce est aujourd‟hui dominant dans les échanges internationaux et concerne pour l‟essentiel les relations Nord-Nord. C‟est un commerce de Michel RAINELLI : La nouvelle théorie du commerce international, Collection Repères, La Découverte, 1997. 116 M.RAINELLI : op.cit p.11. 115 106 similitude entre pays à niveau de développement proche. L’analyse spécifique des économies d’échelle externes Les économies d'échelle externes entraînent la baisse du coût moyen associé non plus à la taille de chaque firme mais à celle de la branche d‟activité dans son ensemble. a) Les économies d’échelle externes statiques apparaissent lorsque des équipements communs, des infrastructures publiques, des systèmes de recherche et de formation sont conjointement exploités par un plus grand nombre d‟entreprises. Ceci en réduit le coût unitaire d‟utilisation. Les nouvelles firmes et industries tendront à s‟installer là où existe déjà un noyau d‟activités. Un pays qui dispose d‟une industrie de grande dimension bénéficie de fait d‟un coût moyen de production plus faible, quelle que soit la taille de chaque entreprise qui le compose. b) Les économies d’échelle externes dynamiques, il s‟agit d‟intégrer les effets associés à l‟apprentissage, à l‟accumulation de la recherche-développement ou du capital humain. Les trajectoires de développement seront différentes selon que l‟on se spécialise ou pas dans des branches d‟activité génératrices d‟externalités dynamiques. Thierry MONTALIEU : Economie du Développement p142 Pour ce qui concerne la prise en compte du facteur technologique, l‟idée consiste à étendre au niveau du commerce international les incidences des activités de R&D des firmes : une firme innovatrice bénéficie pendant une période plus ou moins longue d‟un monopole dans la production du bien nouveau. Si ce bien est consommé à la fois par des résidents du pays d‟origine et par des consommateurs localisés à l‟étranger, un flux d‟exportations est créé qui ne disparaîtra que lorsque les firmes étrangères auront réussi à mettre au point un produit concurrent. Le déterminant de ce commerce est l‟ »écart technologique ». Raoul VERNON a notablement enrichi cette analyse avec la théorie du cycle de vie du produit de où l‟auteur distingue 4 phases dans la vie d‟un produit comme l‟indique le tableau qui suit : Phase de la nouveauté (1) L‟intensité technologique du produit est forte. Les coûts son élevés à cause de l‟amortissement de la R &D. Les prix sont élevés. Phase de la croissance (2) La firme bénéfice d‟une situation de monopole technologique. Elle maintient des prix élevés. Phase de la maturité (3) Les techniques de production sont copiées et les prix élevés permettent aux concurrents d‟entrer sur le marché La production en petites quantités se fait uniquement dans les PD. Le marché s‟appuie sur l‟effet de snobisme Le volume de la production augmente les coûts diminuent. Les profits sont importants. Le marché des PCD La production commence à être délocalisée dans les PND pour réduire les coûts et maintenir les 107 Phase de la sénescence (4) Les techniques de production sont banalisées. Des entreprises sont créées dans les PVD qui cassent les prix. La FTN abandonne la fabrication de ce produit La plus grande partie de la production est réalisée dans les PND. Les firmes intensifient leur des classes aisées car les prix sont encore prohibitifs pour le grand public. Les profits n‟existent pas encore. s‟élargit grâce à l‟effet d‟imitation. profits. Le produit est proposé aux catégories sociales les plus favorisées des PND. R-D dans leur pays d‟origine pour amorcer un nouveau cycle sur un autre produit. Dans les deux premières phases, la production et la vente d‟un produit se fait dans les pays industrialisés où existe une main d‟œuvre hautement qualifiée. Dans les phases suivantes si le produit est banalisé, elle est susceptible d‟être délocalisé dans des espaces de meilleure valorisation. Il en va ainsi de la phase de sénescence qui verra le segment industriel se délocaliser dans des pays où le coût de la main d‟œuvre est bon marché. La firme multinationale est alors obligée d‟amorcer un second cycle d‟innovation technologique. 2°) Sur la deuxième interrogation pour la nouvelle théorie En situation de concurrence imparfaite, l‟intervention de l‟Etat se justifie par le biais des politiques industrielle et commerciale. A ses débuts, la nouvelle théorie a donné de nouveaux arguments contre le libre échange et des justificatifs du protectionnisme et de l‟intervention de l‟Etat dans les relations économiques internationales. Dans ce sens, note P. KRUGMAN, « la nouvelle théorie du commerce international affirme que les échanges sont dans une large mesure tirés par les économies d‟échelle plutôt que par les avantages comparatifs et que les marchés internationaux sont normalement en situation de concurrence imparfaite. Cette nouvelle théorie soulève deux arguments à l‟encontre du libre échange, l‟un totalement neuf, l‟autre plus ancien qui se voit donner une nouvelle impulsion. L‟idée neuve est celle de l‟argument en faveur d‟une politique commerciale volontariste qui voudrait que l‟action étatique soit en mesure de renverser les termes de la concurrence oligopolistique de façon que ce ne soient plus les firmes étrangères qui bénéficient des surprofits, mais des entreprises nationales. L‟idée ancienne est celle qui veut que la politique de l‟Etat devrait favoriser les branches produisant des effets externes, surtout celles qui provoquent un accroissement des connaissances, lesquelles ne peuvent être entièrement appropriées par les entreprises.117 Toutefois, P. KRUGMAN reviendra sur certains arguments pour monter que le libre-échange demeure une politique optimale. Mais, démontrer que le libre-échange est meilleur que l‟autarcie n‟équivaut pas démontrer que le libre-échange est meilleur qu‟une intervention bien ciblée de l‟Etat. Section 2 : Politique commerciale et insertion dans l’économie mondialisée : le triomphe du libre-échangisme. Une abondante littérature théorique s'est développée autour de l‟analyse de la relation ouverture-croissance économique. La question posée par les analystes marxistes et la version néo-classique de l‟analyse ricardienne forment les deux faces d‟une même médaille : le commerce international est-il facteur de croissance ou d‟appauvrissement des PSD ? Le commerce international confère-t-il les mêmes 117 P.KRUGMAN : op. cit. 201 108 chances aux différents partenaires ? À l‟évidence ces questions ont reçu des réponses différentes selon les auteurs et la qualité de leurs études. La réponse libre échangiste est largement dominante à travers les zones de libre-échange dont l‟objectif majeur était de créer des espaces au sein desquels l‟essentiel des échanges commerciaux sont libéralisés. Ces zones de libre-échange sont fondées sur l‟article 24 du GATT relatif aux dérogations à la Clause de la Nation la plus favorisée (NPF) qui recommandent qu‟elles soient mises en place dans un «délai raisonnable». Encadré 6 : L’article XXIV du GATT (General Agreement on Tariff and Trade) fondement des Accords de libre échange. Les accords de libre-échange concernent des pays ou régions qui décident de créer une zone de libre-échange, au sein de laquelle «l’essentiel des échanges commerciaux» est libéralisé, où les biens, les capitaux et les technologies doivent circuler sans obstacles tarifaires ou non tarifaires. L‟achèvement des dispositifs de fonctionnement de la zone de libre-échange doit intervenir dans un «délai raisonnable». Les deux éléments (libre circulation et le délai) constituent les points fondamentaux du fameux ‟article XXIV du GATT qui traite des dérogations à la Clause de la Nation la plus favorisée (NPF), dans le cadre des accords commerciaux régionaux qui sont aujourd‟hui plus de 130 agrées par l‟OMC. Le caractère flou de cet article fait qu’il permet toutes les interprétations. Notamment, il est évoqué pour expliquer le choix de l‟UE pour créer une ZLE avec les pays ACP pour conserver des relations commerciales préférentielles avec ces pays (et donc discriminatoires pour les autres États) sans déroger aux règles de l‟OMC. Il peut aussi être utilisé, en vertu du «délai raisonnable», pour justifier une dérogation sur l‟agenda. I/ Apport du Libre-échange à la croissance économique Bien que les réflexions théoriques n'ont pas réussi à trancher la question des effets bénéfiques ou non de l‟ouverture sur la croissance économique, les travaux empiriques, en revanche, ont aboutit à des résultats homogènes qui précisent les effets positifs de l'ouverture sur la croissance. Il reste parfois que la robustesse de ces travaux est remise en cause. En effet, les études comparatives réalisées par LITTLE, SCITOVSKY et SCOTT M. (1970) et BALASSA (1971), ont apporté des indications empiriques solides sur le lien entre ouverture commerciale et croissance économique. Dans leurs études, ils ont fait une analyse détaillée des politiques commerciales en vue de découvrir leurs impacts sur les économies des pays d‟Argentine, du Brésil, du Mexique, de l‟Inde, du Pakistan, des Philippines et de Taiwan. Ces études ont permis de constater l‟impact de la protection des biens intermédiaires et des produits finis sur la profitabilité au niveau sectoriel. Le niveau de protection est mesuré par le taux de protection effective (TPE). Ce dernier vise à capturer la protection accordée à la valeur ajoutée réalisée dans les pays, relativement aux normes internationales. Vad Va int TPE= *100 où Vad= valeur ajoutée au prix domestique après Va int l‟application du tarif et Van = valeur ajoutée en l‟absence de tarif, c'est-à-dire la valeur ajoutée évaluée au prix international. Les conclusions de ces études ont porté essentiellement sur le niveau élevé du TPE. En effet, le TPE est plus élevé que ne le laisse supposer le taux de protection nominal (TPN). La protection nominale sur un produit est le rapport entre la 109 production relative évaluée au prix domestique et la même production évaluée au prix international. Soit : OD OP= OW La nouvelle théorie du commerce international et la théorie de la croissance endogène ont conduit à concentrer les recherches empiriques sur les canaux par lesquels l'ouverture peut influencer le taux de croissance. Il est apparu dans ces études que l'effet de l'ouverture sur la croissance passe par trois voies : la formation du capital physique (croissance tirée par l'investissement et induite par l'ouverture), du capital humain (croissance tirée par les compétences et induite par l'ouverture) et du savoir (croissance tirée par la technologie et induite par l'ouverture). Cela est confirmé par la libéralisation du commerce international (élimination des barrières non tarifaires et forte réduction des taxes) qui s‟est accélérée dans plusieurs pays en développement depuis le milieu des années 1980. Les travaux de J. SACHS et A. WARNER montrent que les PSD ouverts sur le commerce international ont des taux de croissance plus élevés que ceux qui sont fermés. Figure 7 % Libre-échange et croissance 1970-1990 (source: Jeffrey Sachs, Andrew Warner, 1995) 5 4 3 2 1 0 4,49 2,29 0,74 PI fermés 0,69 PI ouverts PVD fermés PVD ouverts Ces gains de l'ouverture en termes de croissance sont beaucoup plus importants lorsqu'il existe une coordination des politiques économiques entre les pays, c'est-à-dire une intervention publique recherchant l'optimum non pas dans le cadre des économies prises séparément, mais dans le cadre de l'union de ces économies. Dans ce sens, l'intégration des marchés ne suffit pas pour obtenir une croissance optimale et doit être accompagnée d'une intégration des politiques économiques (RIVERA-BATIZ et ROMER (1991), AUBIN (1994). L‟Afrique est complètement absente du commerce mondial dans les branches les plus dynamiques des produits manufacturés et des services. En analysant les 110 paramètres que pose la mondialisation, on s‟aperçoit que cette mondialisation ignore le continent. Ni les investissements croisés, ni les échanges internationaux sur la base de la croissance de la production mondiale, ni la globalisation financière, ni les réseaux transnationaux, ni les firmes globales ne trouvent place en Afrique. Dans ce contexte, parler d‟une déconnection de l‟Afrique de l‟économie mondiale n‟a absolument aucun sens. Le problème qui se pose alors, est un problème de spécialisation internationale des pays sous-développés. Nous avons vu que leur spécialisation actuelle était régressive en termes d‟accumulation productive. Il faut alors envisager d‟autres lignes de spécialisation plus appropriées aux besoins de la mondialisation. Dans ce sens, on peut parfaitement contester la théorie de la spécialisation d'une manière plus efficace en mettant en relief son caractère statique : cette théorie explique le commerce international par des dotations données et constantes; les mouvements internationaux d‟hommes, des technologies et de capitaux sont exclus du raisonnement. Or, de tels mouvements peuvent bouleverser complètement les dotations initiales de facteurs; de plus, le commerce international lui-même, dans la mesure où il porte sur des biens de capital, est un facteur de transformation des économies. À un moment donné les dotations en facteurs peuvent expliquer les spécialisations et, par suite, le commerce international; mais, dans le temps, c'est le commerce international qui explique les dotations en facteurs et, par suite, les spécialisations. Face aux médiocres résultats des stratégies de développement économique tournées vers l‟intérieur et au succès réalisé par les expériences d‟ouverture comme les NPI, il devient douteux théoriquement et pratiquement que les PSD puissent rester à l'écart du système mondial d'échanges et de paiements : il leur faut obtenir par des exportations les recettes indispensables au financement de leurs importations d‟équipements ; l‟aide financière extérieure ne saurait être que temporaire; elle doit permettre seulement d'atteindre le point où l'équilibre international des pays pourra être assuré de façon normale. Depuis le GATT jusqu‟à l‟OMC, les PSD doivent exploiter toutes les opportunités qu‟offrent les négociations et l‟ouverture commerciales internationales. Cette ouverture à la concurrence internationale commande la valorisation des facteurs dont chaque pays est le mieux doté et la spécialisation dans les productions pour lesquelles le pays est comparativement le mieux placé. Elle exige l‟amélioration de la productivité des facteurs et leur rémunération homogène, et en même temps une parfaite maîtrise des taux de change. Elle implique encore une réciprocité complète et une symétrie parfaite dans la manière de traiter les échanges internationaux dans les différents pays partenaires. Or, en matière d‟échanges agricoles en tout cas, les pays développés, conduits par les États-Unis et l‟Union européenne, continuent de protéger activement leurs marchés. De ce point de vue, le nouvel accord de l‟OMC, bien qu‟induisant les changements importants dans la distribution des soutiens agricoles, ne modifie pas de manière déterminante l‟avantage considérable que confère aux agriculteurs des pays industriels le maintien d‟importants transferts publics à leur profit (voir K. ANDERSON). 111 Tableau 5 : Les grands cycles de négociation depuis 1947 Cycle Dillon Kennedy Tokyo Uruguay Doha Durée Participants Flux commerciaux (milliards dollars) 1960-1961 1962-1967 1973-1979 1986-1994 2001-( ?) 30 50 99 119 145 4,9 40 190 1122 5000 Droits de douanes moyens avant le cycle 16,5% 15 ,2% 9,9% 6,5% 4% Réduction moyenne des droits (moyenne simple) 7% 35% 34% 39% - II/ Les techniques commerciales Les deux principales techniques du commerce international restent encore le protectionnisme et le libre échange. Le protectionnisme sous ses différentes formes de droits douane, de contingentements, d‟application de normes sanitaires, de marchés publics réservés est certainement la technique la plus ancienne et la plus couramment utilisée. La seconde technique est le libre échange qui est plus contemporaine. Elle est généralement considérée comme une technique qui, favorisant le commerce sans entrave, devrait selon la théorie néo-classique permettre une meilleure allocation des ressources suivant les avantages comparatifs et les dotations factorielles. 1°) Le protectionnisme Il désigne l‟ensemble des politiques adoptées pour protéger l‟économie nationale de la concurrence étrangère. La justification de la protection des industries naissantes remonte à un passé bien lointain avec des auteurs comme Alexandre HAMILTON ou Frédéric LIST (1841). Selon cette thèse, un pays doit protéger ses industries naissantes pour qu‟elles deviennent adultes, c‟est-à-dire suffisamment fortes pour affronter la concurrence étrangère. Bien évidemment, ce protectionnisme doit être temporaire et modéré. Cette modération permettra aux industries protégées de goûter un peu des fruits de la concurrence. Il faut dire que les libre-échangistes ne contestent point le bien-fondé de cette protection. Ils soulèvent à son propos deux questions ; Quelles sont les industries qui doivent être protégées ? Quand doit cesser la protection ? Un autre argument favorable à la protection est qu‟elle exerce un effet d‟attraction sur les capitaux en général, notamment sur le capital étranger. Cet argumentaire a été développé par Richard SCHULLER (1905) et par ASHLEY (1920). Il repose sur l‟idée qu‟en taxant lourdement les produits importés, on pousse les entreprises étrangères qui exportaient vers le pays à venir s‟y installer en créant notamment des unités de production pour ne pas perdre les marchés. La protection est aussi expliquée par deux autres séries de raisons de nature sécuritaire et sociale. La protection est aussi évoquée pour des motifs sécuritaires, lorsqu‟il s‟agit de préserver les entreprises nationales, surtout en période de guerre ou de conflit, ou alors de conserver ou de préserver des ressources naturelles 112 menacées d‟épuisement. Enfin, la protection peut être effectuée pour des raisons purement sociales : défense du niveau de vie, protection de l‟emploi et des catégories sociales. L‟amélioration par la protection du niveau de l‟emploi a été le principal argument avancé par J. M. Keynes en matière de politique commerciale. Selon lui, la protection douanière faciliterait la reprise de l‟activité économique pour trois raisons : - elle sauvegarderait l‟équilibre de la balance des paiements pendant que serait réalisé le programme d‟expansion interne ; -elle permettrait par les recettes de financer en partie ce programme d‟expansion interne ; - dans la mesure où elle provoquerait une substitution de la production intérieure aux produits étrangers, elle accroîtrait l‟emploi : cependant, ceci est admis à la condition que l‟emploi accru dans les industries protégées ne soit pas contrebalancé par une réduction correspondante de l‟emploi dans les industries d‟expansion. Si l‟on admet avec KEYNES que le système économique ne tend pas automatiquement au plein emploi, on considérera que l‟encouragement des exportations par des subventions ou la réduction des importations par la protection exerceront une influence sur l‟emploi. Un accroissement des exportations ne correspond plus alors, comme le pensaient les classiques, à une réduction des biens disponibles pour la consommation domestique. Il déclenche au contraire le mécanisme de multiplication du revenu global. Les techniques de protection utilisées sont de trois ordres : l‟instauration des droits de douane, les subventions et les contingentements. Les droits de douane sont des taxes prélevées par l‟État sur les marchandises lorsque celles-ci franchissent sa frontière. Plus que tout autre objectif, c‟est le souci de protéger certaines branches d‟activités qui motivent l‟établissement des droits de douane. Cependant, ils peuvent être utilisés pour la réalisation d‟autres objectifs de politique économique. En premier lieu, les doits de douane sont supposés avoir des effets bénéfiques sur la production et l‟emploi et sur la balance commerciale. Cependant, ils pourraient aussi être utilisés dans la recherche d‟une stabilité des prix. De fait, la baisse des droits de douane sur les matières premières et les biens d‟équipement entraîne une baisse des coûts de production et donc une baisse des prix ; les droits de douane permettent de lutter contre l‟inflation par action sur les coûts. Le maniement des droits de douane peut être réalisé pour d‟autres objectifs : augmentation des produits locaux, ce qui entraîne une augmentation de la production et donc de l‟emploi ; augmentation des droits de douane induisant une hausse des prix des produits importés, ce qui produirait une baisse des importations entraînant un équilibre de la balance commerciale. Le taux de protection effectif est un indicateur qui permet de mesurer la protection assurée par les droits de douane et plus concrètement, le taux mesure la protection dont bénéficie la valeur ajoutée d‟une industrie nationale par rapport au marché mondial grâce aux droits de douane sur les produits finis et sur les consommations intermédiaires. En effet, les droits de douane exercent une influence sur la valeur ajoutée et donc sur les revenus des secteurs protégés. Cependant, le taux de protection effective varie en sens inverse des droits de douane sur les consommations intermédiaires, mais en fonction croissante avec les droits de douane sur les produits finis. 113 En fait, lorsque l‟État instaure les droits de douane, le taux de protection effective représente le pourcentage d‟augmentation de la valeur ajoutée du secteur protégé par unité de produit. Actuellement les barrières tarifaires « traditionnelles » sont peu à peu remplacées par des barrières non tarifaires, plus opaques et plus discrétionnaires comme nouveaux instruments du protectionnisme et qui sont résumés dans l‟encadré qui suit : Encadré 7 : Les instruments protectionnistes en pratique Les tarifs douaniers peuvent être ad valorem, c'est-à-dire exprimé en pourcentage du prix ou spécifiques, c'est-à-dire en unité monétaire par unité physique (euro par tonne, ou par litre). En pratique les tarifs peuvent être composés (sommes d‟éléments ad valorem ou spécifiques) ou mixtes (application d‟opérateurs logiques entre les éléments tarifaires : 4 euro/kg, maximum de 13 %, etc.). Les tarifs appliqués sont soit les tarifs applicables aux membres de l‟OMC (tarifs NPF, Nation la Plus Favorisée), soit les tarifs préférentiels inférieurs aux précédents (comme un exemple, la suppression des droits sur les produits provenant des pays les pays les moins avancés dans l‟Union européenne au sein de l‟initiative « Tout sauf les Armes » (TSA). Notons aussi l‟existence de droits de caractère exceptionnel comme les droits anti-dumping, les droits compensateurs et les mesures de sauvegarde. Il convient de noter que les tarifs discutés à l‟OMC et lors des cycles de négociations, comme celui de DOHA, sont les tarifs consolidés qui ne constituent qu‟une borne supérieure pour les tarifs appliqués. Ces derniers peuvent donc évoluer librement sous cette contrainte. On remarque même une forte volatilité intra- annuelle du taux de protection sur les produits saisonniers comme les fruits et légumes. L‟écart entre tarifs appliqués et consolidés, le binding-overhang, est un élément très important puisqu‟il détermine en grande partie la marge de manœuvre des négociateurs. Les mesures quantitatives. Traditionnellement, il s‟agit des quotas : le pays importateur accorde des licences d‟importation permettant de faire pénétrer sur le territoire national une certaine quantité de marchandises. L‟attribution des licences est importante puisqu‟elle détermine qui percevra la rente. Plusieurs modes d‟administration existent : vente aux enchères, fournisseurs historiques, premiers servis…. Les quotas tarifaires ont remplacés les quotas traditionnels et sont très fréquents dans l‟agriculture. Ils autorisent un certain montant d‟importation à un tarif préférentiel (tarif intra quota) et les importations excédentaires seront imposées au tarif hors Ŕquota (supérieur au précèdent). Les restrictions volontaires aux exportations (RVE) sont des accords négociés où le pays exportateur à un niveau prédéfini. Symétriquement, les expansions volontaires d‟importation définissent la quantité minimale qu‟un pays s‟engage à importer. Les subventions aux exportations .Il s‟agit d‟un pourcentage de la valeur du bien exporté ou d‟un montant par unité de bien s (égal à la différence entre le cours mondial et le prix inférieur). Elles peuvent être aussi indirectes : crédit à l‟exportation à taux bonifié, assurances et garanties diverses financées par l‟Etat ou une agence gouvernementale. Les taxes aux exportations permettent à un pays ou à un groupe de pays en monopole sur certains produits d‟améliorer ses termes de l‟échange. Les subventions à la production font partie de la politique industrielle 114 d‟un pays et peuvent jouer un rôle distorsif sur les échanges internationaux. Les normes sanitaires, environnementales, techniques et sociales jouent un rôle grandissant dans les barrières non tarifaires aux échanges. Enfin, les monopoles d’Etat à l‟export ou à l‟import peuvent, par leur pouvoir de marché, devenir de puissants outils de politiques commerciales de même que les aides conditionnelles au développement. David Laborde : Les instruments du protectionnisme en pratique, Cahiers Français n°325 2°) Du bilan du protectionnisme à l’élaboration des thèses libreéchangistes. Les libre-échangistes adressent trois critiques essentiels aux thèses protectionnistes : protectionnisme est désavantageux du point de vue de la production nationale ; la protection nuit aux consommateurs nationaux : le produit protégé connaît une hausse de son prix de vente à l‟intérieur des frontières douanières ; le consommateur en pâtit et enfin la protection ne contribue pas à améliorer la qualité des produits. Ces critiques sont formulées dans l‟analyse des effets des importations dans le cadre d‟un marché concurrentiel Figure 8 : Effets des importations sur un marché concurrentiel Figure 3 :Effet des importations sur un marché concurrentiel Supposons que l‟industrie nationale soit concurrentielle avec une courbe de demande domestique D (p) et une courbe d‟offre O (p). En l‟absence de commerce international, le prix d‟équilibre est alors po et la quantité consommée Qo. Supposons que l‟offre du reste du monde soit concurrentielle, ce qui donne une courbe d‟offre horizontale, par exemple en F1 (inférieur à F0). Dans ce cas, s‟il y a commerce international, le prix d‟équilibre domestique devient F1 et la quantité consommée passe à Q1 (supérieur à Q0). La production domestique baisse alors de Qo à Q2 et les importations comblent la différence entre la consommation, Q1 et la production domestique Q2. 115 Le commerce international améliore le bien-être des consommateurs car ils consomment davantage à un prix inférieur. Le pays économise des ressources puisqu‟il ne dépense que F1 pour la partie de la consommation qu‟ils importent comme pour la partie qu‟il produit, au lieu de F0. Les ressources ainsi économisées peuvent être affectées à d‟autres usages productifs. Le gain net du commerce international pour le pays est égal à la somme des triangles A et B. Supposons maintenant que les entreprises parviennent à convaincre le gouvernement qu‟il faut instaurer un droit de douane (c'est-à-dire une taxe sur les importations) t, égal ou supérieur à F0 − F1. S‟ils doivent payer un droit de douane aussi élevé, les producteurs étrangers cesseront d‟exporter vers ce pays et l‟on sera ramené à l‟équilibre antérieur (F0 , Q0). Les producteurs domestiques y gagneront la surface C et les consommateurs y perdront la surface A + B + C. La perte sociale nette est donc égale au triangle A + B. L‟interdiction directe de toutes les importations aboutirait au même résultat. Le bilan des politiques de protection menées jusque dans les années 80 montre que celles-ci possèdent trois caractéristiques : D‟abord, c‟est une protection tarifaire élevée qui incite à la production d'un bien alors que le pays peut souffrir d'un désavantage absolu pour cette production, Ensuite, une multiplication des exonérations qui sont des dérogations au régime de droit commun, Enfin, on procède à un recourt important aux restrictions quantitatives destinées à compenser les désavantages relatifs ; Ces caractéristiques ont entraîné, dans le cadre de la libéralisation entreprise par les PAS, des réformes qui se situent à quatre niveaux : un système de protection uniquement tarifaire, une réforme du tarif lui-même, une réforme de la réglementation du commerce extérieur, des mesures d'accompagnement. La doctrine du libre échange prône la suppression de toutes les entraves du commerce international. Car le libre échange comporte deux avantages bien évidents. D‟abord, il facilite le développement de la concurrence et entretient en toute conséquence l‟esprit d‟innovation. Ensuite, il permet un agrandissement du marché entraînant en même temps le développement de la production de masse et les avantages qui y sont attachés. La baisse des prix (par étalement des coûts de production) profitera aussi aux consommateurs. De plus, on évite le risque de pénurie que comporte la stricte localisation des productions et des marchandises. Ces idées sont la traduction parfaite de la théorie des avantages qui postule qu‟un pays, une communauté, se spécialisent dans le domaine de production où ils détiennent un avantage comparatif et se procurent à l‟extérieur des biens qui leur reviendraient plus cher de produire eux-mêmes. Enfin, à la suite des travaux de Sébastian EDWARDS, les libres échangistes démontrent l‟existence d‟une corrélation positive entre le libre-échange et la croissance. En fonction de critères qui déterminent le degré d‟ouverture d‟une économie, ils estiment que la croissance a été deux fois plus élevée dans les pays en voie de développement libre-échangistes que dans ceux qui pratiquent le protectionnisme. 116 III/ Négociations commerciales et insertion des pays en voie de développement dans l’économie mondiale : L‟achèvement de l‟Uruguay Round en 1994 par la création d‟un organisme de régulation des échanges, l'Organisation Mondiale du Commerce, a fait faire aux négociations commerciales internationales des progrès sensibles ces dernières années. Toutefois, le cycle « du millénaire » qui devrait être lancé à Seattle (novembre 1999) a finalement été reporté à Doha (novembre 2001) dont malheureusement le cycle semble rentrer dans l‟impasse. Les raisons tiennent d‟une part à l‟accroissement impressionnant du nombre de partenaires engagés réellement dans les négociations (plus de 150) et d‟autre part l‟extrême diversité des sujets et des préoccupations qui relèvent des politiques publiques (les subventions à l'agriculture), des questions de droits de propriété (l'accès des pauvres aux médicaments) et de la problématique des externalités (environnement). Ces complexités ont rendu les négociations extrêmement difficiles avec l'opposition manifestée par les pays en développement au processus de libéralisation des échanges. Ces pays qui sont les plus nombreux dans l‟OMC revendiquent la mise en œuvre des accords de Marrakech. 1°) La structure actuelle du commerce mondial L‟analyse de la mondialisation des échanges au cours des cinquante dernières années montre l‟intégration croissante de l‟économie mondiale même si les évolutions sont assez contrastées et très différentes. Le contraste le plus saisissant apparaît au niveau des PVD entre « les pays émergents » et « les pays les moins avancés » (PMA).En nous fondant sur les statistiques de la CNUCED, entre 1950 et 1998, huit pays en développement classés parmi les principaux exportateurs d‟articles manufacturés ont presque doublé leur part des exportations mondiales, alors que dans la même période, la part des 48 PMA était divisée par sept. Comment expliquer ce contraste spectaculaire ? Les pays émergents ont réussi à s‟insérer dans cette nouvelle dynamique par des politiques de diversification de leur tissu économique, d‟attraction des firmes transnationales procédant à la délocalisation de leur production et par la promotion des exportations. D‟autres pays du tiers-monde en sont restés à l‟ancienne division internationale du travail (échange de matières premières contre produits manufacturés notamment). Pour le cas des PMA, l‟insertion croissante dans le commerce mondial s‟est manifestée principalement par l‟augmentation des importations. Il n‟est donc pas surprenant que les pays en développement cherchant à accroître leurs exportations et à attirer davantage les investissements soient déterminés à instaurer un commerce mondial plus équilibré. Par ailleurs, la course aux subventions Union Européenne / USA a eu des conséquences encore plus graves pour les pays en voie de développement exportateurs de denrées agricoles en concurrence directe avec les productions typiques des zones tempérées. Dans ces pays, l‟agriculture reste la principale activité économique. La plupart sont largement tributaires de leurs exportations agricoles, celles-ci constituant la source première de recettes en devises. Les pays en voie de développement qui, la plupart du temps produisent à meilleur prix que les pays développés, se trouvent concurrencés sur les marchés tiers d‟exportations par les ventes subventionnées 117 américaines ou européennes, sans oublier les exportations à bas prix d‟autres pays industrialisés contraints d‟entrer dans cette compétition sans merci. L‟intensification de la guerre de subventions directes à l‟exportation entre pays riches exportateurs de produits agricoles s‟est traduite pour les pays en voie de développement par une contraction sensible des volumes exportés, et surtout des recettes d‟exportations suite à l‟affaiblissement des cours mondiaux. Dans la plupart des cas, ils ont été amenés à limiter leur production (par exemple les agriculteurs burkinabé sont démotivés par la faiblesse des prix à la production de coton). Il est aujourd‟hui largement reconnu que le commerce contribue, de manière générale, à l‟augmentation du bien être matériel, aux échanges culturels et à la coexistence pacifique. On observe depuis des décennies un accroissement des échanges commerciaux qui s‟est accéléré avec les développements technologiques et la tendance récente vers une plus grande libéralisation. Cette libéralisation a un aspect principal : les privatisations et déréglementations de l‟économie qui ont fait tache d‟huile dans un grand nombre de pays en développement. D‟autre part, le commerce, les produits échangés et leur mode de production sont soumis à de nombreuses règles en partie entièrement nouvelles au niveau national, régional, continental ou mondial. Cette situation suscite les craintes des pays en développement. De fait, ce qui caractérise les pays en développement, c‟est précisément leur très faible participation au commerce mondial. Ainsi le continent africain a souffert d‟une marginalisation progressive ces deux dernières décennies. Avec une économie fondée exclusivement sur l‟exportation de matières premières et de produits agricoles dont les prix n‟ont cessé de chuter et une politique économique défavorable au secteur privé, l‟Afrique est restée en marge du développement technologique et, de ce défaut, n‟a pu développer des échanges commerciaux de produits à forte valeur ajoutée. Face à ces défis, les gouvernements doivent mettre en place un ensemble de mesures et d‟instruments afin de répondre aux besoins de chaque pays et d‟œuvrer de la manière la plus adéquate en faveur du développement durable de leur tissu économique. Dans cette optique, une approche a été dégagée. Elle concerne le développement commercial par le renforcement des capacités en matière de politique commerciale. Il s‟agit, entre autres, d‟apporter un appui technique aux pays pour l‟adaptation aux règles de l‟OMC, afin qu‟ils puissent défendre leurs intérêts commerciaux dans les enceintes internationales. 2°) Négociations commerciales et actions en faveur des pays en voie de développement : du SGP à la nécessité d’élaborer une formule de négociation pour l’Afrique Les pays en développement ont donc de formidables défis à relever. Ces pays ont joué un rôle important dans les négociations de l‟Organisation Mondiale du Commerce (OMC), réuni à Doha en novembre 2001. Ils ont, à juste titre, demandé aux grandes puissances commerciales d‟être cohérentes avec leur discours sur le libre-échange et de les laisser accéder à leurs secteurs protégés (agriculture, textile, etc.). A côté, il est également souhaité, à défaut d‟un élargissement, tout au moins le maintien du Système Généralisé de Préférence qui permet un accès plus important aux marchés des produits exportés par les PSD. Toutefois, certains économistes libéraux (NELSON, ROSE 2002 ET CLINE, 2004) ainsi que la Banque mondiale 118 estiment que les Préférences non réciproques comme le SGP s‟apparentent à un marché à la «Faust » dans la mesure où il contrarie le commerce et freine les efforts que déploient les PSD pour libéraliser leurs économies. Le dispositif de l‟UE est illustratif du SGP comme le montre l‟encadré qui suit: Encadré 8 : Le Système de Préférences Généralisées 1) Le Système de Préférence à l’origine Initié en 1974 par la CNUCED, le Système de Préférences Généralisées (SPG) assure des préférences commerciales à l‟ensemble des pays en développement. Il a été appliqué aux Etats Africains et Malgaches nouvellement indépendants et Associés à la Communauté Economique Européenne (EAMA). L‟entrée du Royaume-Uni dans la CEE, e n 1973, ouvre ces avantages aux États du Commonwealth anciennes colonies de ce royaume. Il a été appuyé par deux mécanismes de compensation des variations des prix des produits de base : le STABEX (en 1973) et le SYSMIN (1980). 2) L’extension du SPG Le SPG va s‟élargir, en fonction des besoins commerciaux de l‟UE, avec les accords d‟association avec la Méditerranée, les accords de libre-échange avec l‟Afrique du Sud, le Mexique, les pays du Mercosur, etc. La plupart de ces nouveaux bénéficiaires exportent les mêmes produits que les ACP. C‟est dire que l‟UE facilite aussi l‟accès de son marché à des concurrents des ACP. Ce sera la principale source d‟érosion des préférences commerciales accordées aux ACP. 3) L’initiative «Tout Sauf les Armes» : TSA Cette initiative de l‟UE «Tout sauf les armes» accorde un libre accès à son marché à tous les Pays les Moins Avancés, qu‟ils soient du groupe ACP ou non sont au nombre de 40. 4) Le programme SPG+ ou «Arrangement incitatif spécial pour le développement durable et la bonne gouvernance» Le SPG+ est une sorte de prime pour 15 pays en développement d‟Amérique Latine qui mettent en œuvre des politiques dites de Bonne Gouvernance (observations de normes démocratiques, respect des droits de l‟homme, de lutte contre les stupéfiants). L‟une des tâches essentielles des négociateurs commerciaux et des responsables politiques est de libéraliser des secteurs-clés dans un sens favorable aux pays en développement, mais la volonté d‟y parvenir est moins évidente aujourd‟hui. La réticence de l‟Union européenne à réformer sa politique agricole commune en est une preuve. D‟ailleurs, elle a obtenu de l‟OMC de différer la réforme en 2013. Aujourd‟hui, les politiques commerciales s‟intéressent de plus en plus aux problèmes posés par l‟environnement international, deux raisons au moins expliquent cet intérêt grandissant : la première est que les thèmes de l‟économie internationale, qu‟il s‟agisse de la différenciation des produits, du dumping, des politiques tarifaires, des subventions ou des quotas, sont tous étroitement liés aux politiques commerciales et la deuxième raison concerne les groupes de pression qui réclament une protection contre la concurrence étrangère ou qui cherchent à capter l‟argent des contribuables sous forme de subventions, eux aussi se réfèrent souvent aux théories du commerce international pour donner une apparence de rigueur à leurs arguments. Dans cette optique les objectifs et les actions spécifiques poursuivis par la politique commerciale des PSD vont alors viser entre autres : l‟augmentation des capacités d‟exportations à travers une politique de diversification des produits à 119 l‟exportation, l‟amélioration de l‟accès aux marchés pour les produits, et le respect des engagements pris dans le cadre du commerce multilatéral. En effet, il n‟est que juste de donner aux PSD les moyens de jouer un rôle plus important dans les négociations multilatérales. C‟est pourquoi, dans les négociations actuelles du Cycle de DOHA, les pays africains mettent l‟accent sur une plus grande ouverture des pays des développés à travers une réduction des tarifs appliqués et surtout l‟abandon des crêtes tarifaires et de la progressivité des droits. En fait, ces mesures doivent favoriser l‟effort de diversification des structures productives entamé par ces pays qui cherchent dans le cadre des négociations internationales à maintenir leur marge de liberté et certaines protections pour poursuivre leurs efforts de développement. Selon Hakim BENHAMMOUDA, « Les préoccupations des pays africains ont trouvé un écho favorable dans la Déclaration de DOHA sur la question de l‟accès aux marchés pour les produits industriels. Cette déclaration invite les pays membres « à réduire ou, selon qu‟il sera approprié, à éliminer les droits de douane, y compris à réduire ou éliminer les crêtes tarifaires, les droits élevés et la progressivité des droits, ainsi que les obstacles non tarifaires, en particulier pour les produits dont l‟exportation présente un intérêt pour les pays en développement ». Par ailleurs, la Déclaration de DOHA a pris en compte les revendications des pays africains de maintenir une protection afin de poursuivre leur développement industriel. Ainsi, elle souligne que « les négociations tiendront pleinement compte des besoins et des intérêts spéciaux des pays en développement et des pays les moins avancés participants, y compris au moyen d‟une réciprocité qui ne soit pas totale pour ce qui est des engagements de réduction ».118 Aujourd‟hui, dans les négociations entre pays pour l‟accès à leurs marchés des formules sont utilisées et qui sont de deux types : les formules dites indépendantes des droits et les formules dites dépendantes des droits. La caractéristique principale des formules indépendantes de droits est qu‟elles réduisent les taux de droits applicables du même pourcentage, quel que soit le niveau du taux initial. Pour les formules dépendantes de droits, le pourcentage de réduction des taux de droits dépend du taux de droits initial visé par les négociations. Encadré 9 : La structure des deux formules de négociation 1°) Les formules indépendantes de droits De par leur définition les formules indépendantes de droits sont conçues de sorte qu‟elles ne soient liées d‟aucune manière au taux de droit initial. Formellement elles sont définies de la façon suivante : t1 c t0 où t1 = le taux de droit final issu des négociations, c = un paramètre constant, t0 le taux de droit initial visé par les négociations. D‟après cette formule, le taux de réduction est indépendant du taux de droit et dépend uniquement du paramètre c . Ainsi cette formule engendre t-elle une réduction des taux moyen et maximal généraux et de l‟écart type. Cette Ben HAMMOUDA, Moustapha SADNI-JALAB, Nassim OULMAN : Exclure l‟Afrique des marchés ? Evaluation de l‟accès aux marchés pour les pays africains. CAPC : Centre Africain des Politiques Commerciales projet de la CEA Idem 118 120 formule n‟a pas d‟effet sur le coefficient de variation, ni sur le taux de progressivité des droits prédéfini. 2°) Les formules dépendantes de droits Ces formules sont fonction du droit initial. L‟élément important de ces formules est qu‟elles visent à obtenir des réductions plus importantes pour les droits les plus élevés. Elles sont aussi appelées formules « d‟harmonisation » car la dispersion générale du profil tarifaire est alors réduite. Il existe deux types de formules dépendantes. Les formules dépendantes de droit peuvent être linéaires ou non. Les formules de réduction linéaire Les formules de réduction linéaire s‟écrivent comme suit : t1 a c t0 où t1 , c et t0 sont définis comme précédemment et a = l‟ordonnée à l‟origine Cette formule conduit à une réduction proportionnelle de l‟ensemble des tarifs. Les formules de réduction non linéaire Les formules de réduction non linaire s‟écrivent de la manière ci-dessous : t1 a t0 a t0 où t1 et t0 sont définis comment précédemment et a est un coefficient. Cette formule a la propriété d‟être à la fois fonction du taux de droit initial et du coefficient a, lequel peut être négocié. La valeur du coefficient est décisive pour l‟efficacité de la formule quant à la réduction des taux de droits Source : Hakim BENHAMMOUDA Les parties prenantes aux négociations ont présenté chacune une formule qui permet de déterminer le niveau des concessions. Au moment où l‟Afrique cherche à élaborer sa formule, il importe de présenter brièvement celle de l‟OMC proposée par l‟ambassadeur Girard. Les droits de douane pour les produits non agricoles seront réduits ligne par ligne au moyen de la formule appliquée au taux de base : t1 B t a t0 B t a t0 Où t1 est le taux final , à consolider en termes ad valorem t0 est le taux de base ta est la moyenne des taux de base B est un coefficient ayant une valeur unique à déter min er par les participants Dans le débat sur la technique sur les formules, les pays africains veulent la définition d‟une formule capable de prendre en compte trois préoccupations principales : Cette formule doit assurer une plus grande ouverture des marchés des pays développés pour les produits en provenance des pays africains à travers une 121 baisse des tarifs élevés et la disparition des crêtes tarifaires et la progressivité des droits de douane Cette formule doit comporter une large part de traitement spécifique et différencié et favoriser une certaine protection des économies des pays en développement afin de leur permettre de poursuivre et renforcer leurs dynamiques de croissance Cette formule doit maintenir les avantages acquis par les pays africains dans le cadre des différents traitements préférentiels et renverser en conséquence cette tendance à l‟érosion des préférences qui accompagnent la libéralisation des échanges.119 Les politiques ont toujours évolué entre un certain degré d‟ouverture et un certain degré de protectionnisme. Toutefois, la période apparue après la deuxième Guerre mondiale a été nettement dominée par une phase de libéralisation des échanges réalisés sous l‟impulsion des USA et un accès fondamental autour du GATT. Cette libéralisation a coïncidé avec une grande expansion du commerce mondial d‟une part, et d‟autre part une croissance économique soutenue. La globalisation se manifeste par une intensification de la division internationale du travail, particulièrement au niveau des régions, des branches économiques et des firmes. Les pays émergents bénéficient de ce dynamisme en fonction de leur potentiel de production, de la taille de leur marché intérieur, ainsi que leur aptitude à l‟innovation technologique et à la diversification des produits. Beaucoup de pays en développement sont encore faiblement intégrés sur le plan régional. Ils sont spécialisés dans des productions primaires mal rémunérées et leur secteur manufacturier n‟attire guère les investissements. Ils sont mal insérés dans le nouvel ordre mondial. Il n‟est donc pas surprenant que les pays en développement cherchant à accroître leurs exportations et à attirer davantage d‟investissements soient déterminés à poursuivre des politiques commerciales qui visent (entre autres) à l‟amélioration de l‟accès aux marchés pour les produits et au respect des engagements pris dans le cadre du commerce multilatéral, dans le but d‟instaurer un commerce mondial plus équilibré. Le devoir qui nous est soumis va dans ce sens. 119 122 123 Domaine souvent mal exploré, sous-analysé, les problèmes monétaires et financiers ont un rôle primordial dans les politiques de développement. Que les politiques essentiellement macroéconomiques soient les plus déterminantes en dernière instance, cela ne fait pas de doute. Toutefois, les interactions et diverses corrélations entre les données réelles et nominales sont telles qu‟il est pratiquement impossible d‟évacuer les questions financières et monétaires sans risque de rester partiel. C‟est pourquoi, cette partie de l‟ouvrage reprend le débat sur le financement du développement. En effet, face au déficit d‟épargne caractéristique des PSD surtout africains, la question se pose de savoir sur quelles ressources ces pays peuvent compter pour soutenir le financement de leur développement ? Les quatre sources principales de financement entrevues sont : le système financier interne, l‟endettement, l‟Aide Publique au Développement et les Investissements Directs Etrangers. Trois sources sur quatre sont d‟origine externe. Quels sont les modes les plus efficients pour combler la pénurie de capitaux propres aux PSD ? Dans la déclaration de MONTERREY sur le financement du développement il est noté que l‟action commune en faveur de la croissance, de l‟élimination de la pauvreté et du développement durable impose une mission essentielle : instaurer dans chaque pays les conditions requises pour mobiliser l‟épargne publique et privée qui servira à financer l‟investissement nécessaire dans les biens productifs et le développement humain. Pour cela, il est impératif de disposer d‟un cadre national favorable et indispensable pour mobiliser les ressources nationales, accroître la productivité, réduire la fuite des capitaux, stimuler le secteur privé et attirer l‟investissement étranger et l‟aide internationale et les employer à bon escient. Comment s‟organisent au niveau interne particulièrement des PSD, les politiques de mobilisation des ressources financières nationales au service du développement économique et social ? La question est d‟autant plus pertinente que les politiques monétaires, aujourd‟hui, face à la mondialisation toujours plus poussée, se trouvent de plus en plus biaisées et confrontées à des contraintes quant à leur mise en œuvre. En plus, elles traversent une grave crise d‟efficacité avec la globalisation financière. Les banques centrales ont moins de contrôle sur les banques de second rang car elles ont perdu l‟exclusivité relative et leur pouvoir d‟action qui obéit désormais à des règles régionales et parfois internationales. Dans cette optique, la libéralisation financière est préconisée sinon imposée par les institutions financières internationales comme la politique incontournable pour le financement du développement par mobilisation de l‟épargne intérieure. La pensée économique sur une quantité impressionnante de recherches a clairement établi la corrélation entre les conditions financières et la croissance bien que les économistes aient eu des opinions différentes en ce qui concerne l‟importance de ce lien. Dans ce sens, W.BAGEHOT (1873) et J.HICK (1969) avaient soutenu que le système financier a initié l‟industrialisation en Angleterre en facilitant la mobilisation du capital pour d‟immenses travaux » d‟infrastructures, J.SCHUMPETER (1912) avait soutenu que le bon fonctionnement des banques a imposé l‟innovation technologique en identifiant et en finançant ceux des entrepreneurs qui ont de meilleures chances d‟innover les produits et les processus de production. Et plus récemment, Mc KINNON et SHAW ont développé des modèles économiques dans lesquels la libéralisation et le développement financier accélèrent la croissance. Cette libéralisation trouve ses fondements au niveau de deux principaux axes : D‟une part, le rejet des politiques monétaires de M. FRIEDMAN fondées sur des règles fixes de décélération de la croissance de l‟offre de monnaie. Ces 124 politiques ne favorisent pas la production et affaiblissent la croissance : un système flexible de taux d‟intérêt bancaires peut permettre l‟augmentation des taux d‟intérêts nominaux ce qui va entraîner une hausse de l‟épargne, puis des marges bancaires. Il devrait s‟en suivre une augmentation de l‟investissement en volume et conséquemment la croissance de la production en volume. D‟autre part, la libéralisation financière est portée par une volonté de réprimer le « marché noir » du crédit (économie souterraine ou marché informel). En effet, la différence entre les taux d‟intérêt débiteurs informels et créditeurs aussi bien dans le secteur informel, que dans le secteur officiel. Ce qui a pour effet une réduction des fonds prêtables dans l‟économie aura pour conséquence la dépendance de la décision d‟investissement ex-ante au niveau de l‟épargne préalable. C‟est le principe de la monnaie relais au capital de Mc KINNON selon lequel, il existe une complémentarité entre capital physique et capital financier en l‟absence de marché boursier et d‟intermédiation financière. En somme, Mc KINNON et SCHAW concluent les PSD souffrent moins d‟un manque de ressources financières que d‟une intermédiation essentiellement bancaire devenue inefficace du fait des distorsions liées à l‟administration des taux d‟intérêt. Cela représente les symptômes de la répression monétaire terme que MC KINNON a employé en 1973 pour montrer tout simplement que le système financier des PSD est réprimé, c‟est-à-dire contraint à rester petit à cause des nombreuses interventions de l‟État. La conséquence de ces interventions est le maintien des taux d‟intérêt réels à un niveau très bas, voire négatifs. Généralement, le gouvernement se sert du système financier pour financer ses projets prioritaires de deux façons : Imposition des réserves obligatoires et manipulation des ratios de liquidité au sein du système bancaire et ce faisant, l‟État attire le public vers ses propres instruments (bons du Trésor). La dépréciation du taux d‟intérêt par le mécanisme du plafonnement sur les prêts, ce qui crée un excès de demande de crédit avec comme conséquence l‟obligation du système bancaire d‟appliquer un système de crédit sélectif. Dès lors, les éléments de la répression financière matérialisés dans le plafonnement du taux d‟intérêt, le taux élevé de réserves obligatoires, la politique directe de crédit et la taxation discriminatoire des intermédiaires financiers vont exercer des effets dévastateurs dans les politiques de financement du développement au niveau des PSD. Ainsi la répression financière conduit à une allocation inefficiente des ressources. Analytiquement, il existe une incidence négative sur la fonction d‟investissement. Si dans les pays développés cette fonction dépend positivement de la variation de la production et négativement du taux d‟intérêt dans les PED avec système financier réprimé, cette fonction ne dépend pas du taux d‟intérêt mais plutôt de la demande d‟encaisses réelles et de façon positive. Ceci signifie que désormais la demande de monnaie et la demande d‟investissement augmentent parallèlement du moins tant que la trappe d‟investissement n‟est pas atteinte. Au-delà de cette trappe, l‟investissement devrait être sensible au taux d‟intérêt car dans ce cas toute hausse du taux d‟intérêt créditeur par exemple supérieur au taux de rendement réel du capital incitera l‟investisseur à préférer les placements d‟épargne au détriment de l‟accumulation physique du capital. Ceci constitue l‟effet de substitution entre capital liquide, capital financier et capital physique qui domine désormais. La complémentarité monnaie capitale est de ce fait interrompue au-delà de la trappe d‟investissement. Rappelons que la trappe d‟investissement constitue le seuil 125 maximum à autofinancer à partir duquel l‟investissement devient sensible au taux d‟intérêt. Dans une économie financièrement réprimée, cette trappe est trop élevée. En outre le fait de bloquer les taux d‟intérêt bancaires, c‟est-à-dire ix = i0 (taux de la trappe à la liquidité) a comme effet de réduire l‟incitation à l‟épargne financière et à l‟épargne liquide placée auprès des banques. Il en résulte un niveau d‟encaisses constituées par les ménages très faible mais aussi par les investisseurs épargnants de sorte que l‟autofinancement nécessaire à l‟accumulation du capital est réduit. C‟est ainsi qu‟une politique de répression financière contraignante à la baisse des taux d‟intérêt bancaires limite la croissance des investissements ainsi que la croissance économique voire même le développement dans son ensemble. Ces références d‟analyses financières constituent les fondements mêmes des politiques de libéralisation financière prônées par les Institutions Financières Internationales dans le cadre des Programmes d‟Ajustement Structurel. En prenant l‟expérience de l‟Afrique de l‟Ouest, une forme de répression financière sévit toujours dans la sous-région avec un taux élevé de réserve obligatoire auprès de la Banque Centrale. Même si KAPUR (1992) reconnaît qu‟elle assure la stabilité à l‟ensemble du système financier, force est de constater que ces réserves sont particulièrement élevées au sein de l‟UEMOA, Ary TANIMOUNE (2001) rapporte le niveau des réserves obligatoires constituées par les banques auprès de la BCEAO représente sept (7) fois le niveau requis en juin 1999. Une politique adéquate visant à utiliser, ne serait- ce qu‟une partie de ces ressources à des fins d‟investissement ne pourra que promouvoir la croissance et le développement. La volatilité du taux de change réel ou une surestimation irrégulière de la monnaie domestique ne sont pas en faveur de la croissance du ratio d‟épargne. Ce type de politique cause du tort à la croissance à cause de leurs impacts négatifs sur l‟épargne et l‟irréversibilité de l‟investissement. Dans ces conditions, il serait de l‟intérêt de la BCEAO d‟opter pour une politique de change flexible capable d‟amortir des chocs externes et d‟assurer la compétitivité des produits des entreprises de la sous-région face à une concurrence internationale assez sévère. Dans ce sens, les réformes entreprises par l‟UEMOA à partir de 1989 et 1993 l‟étaient en référence directe aux mesures préconisées par les institutions financières internationales dans le cadre des programmes d‟ajustement structurels. Ces réformes portaient sur la libéralisation des taux d‟intérêt et la mise en place des programmes de restructuration bancaires (instauration de dispositif de régulation prudentielle, renforcement de la capacité de surveillance des banques centrales, apurement des arriérés de l‟État, recouvrement des créances douteuses, fermeture des banques insolvables) et la création d‟un marché monétaire. Les principales mesures intervenues ont été prises pour l‟essentiel en 1989 et 1993. La Banque Centrale des États de l‟Afrique de l‟Ouest (BCEAO) a significativement modifié sa politique de gestion des taux directeurs en 1989 avec le remplacement du taux d‟escompte préférentiel et du taux d‟escompte normal par un taux d‟escompte unique. En 1993, il est mis en place le taux de prise en pension, un nouveau taux directeur intermédiaire entre le taux du marché monétaire et le taux d‟escompte. Quant au marché monétaire, il a été créé en 1975, avec un compartiment au comptant et deux à terme (à un et trois mois depuis 1978) avec un taux fixé par la BCEAO selon l‟adjudication mixte. Toutefois les nouvelles options de libéralisation ont conduit aux mesures qui suivent : création d‟un marché interbancaire ; création d‟un guichet d‟appel d‟offres et la fusion des trois compartiments en un seul guichet hebdomadaire en 1993 ; 126 mise en œuvre d‟une politique d‟open market et en 1998 ; suppression en 1998 de l‟adjudication à la hollandaise de la BCEAO qui était adoptée en 1996. Cependant, en ce qui concerne les conditions des banques applicables à la clientèle, les taux débiteurs planchers ont été supprimés en 1989 et la libéralisation totale des taux débiteurs est intervenue en 1993 avec la suppression des taux plafonds. Toutefois les banques ne doivent pas charger des taux d‟intérêt supérieurs au taux d‟usure fixé par les autorités monétaires. Les banques ont été autorisées à rémunérer librement les dépôts privés à vue et les placements privés à terme de moins de 500 000fcfa à partir de1989. À l‟exception de la rémunération minimale pour placements contractuels (principalement les comptes d‟épargne sur livret), toutes les autres conditions créditrices ont été libéralisées en 1993. Enfin, les institutions de Brettons Woods ont très fortement recommandé le développement des marchés boursiers qui constituent un élément important de la libéralisation financière dans les années 1980. En effet, la libéralisation du secteur bancaire doit contribuer à l‟amélioration de la croissance économique, dés lors, il importe de définir le rôle des bourses dans le développement économique des pays. À cet effet, la création du marché financier régional de l‟UEMOA visait trois objectifs : la contribution à l‟augmentation du taux d‟épargne et à l‟accroissement de l‟offre de capitaux à long terme, la diversification des moyens de financement des entreprises et la modification de leur structure financière en vue du renforcement des fonds propres et la réduction des coûts d‟intermédiation financière. C‟est ainsi que la bourse des valeurs mobilières d‟Afrique de l‟Ouest (BRVM) initialement prévu pour le 18 Décembre 1997 a été lancé avant fin 1998 en Côte d‟Ivoire. Elle remplace la bourse de valeurs d‟Abidjan (BVA) de la Côte d‟Ivoire, et sous la direction de la BCEAO, elle est devenue une bourse régionale. Elle regroupe les huit pays membres de l‟Union et constitue un seul et même marché financier, et elle est conçue comme devant être un marché de placement pour les opérateurs locaux. Pour accompagner la libéralisation du système bancaire, il était indispensable de redynamiser le marché financier de l‟Union à travers les défis suivants à relever : la poursuite des efforts de stabilisation du cadre macroéconomique dans les pays de l‟UEMOA , avec la mise en œuvre de politiques économiques saines au niveau national et coordonnées à l‟échelle régionale de manière à préserver les conditions d‟une croissance durable et forte ; l‟‟intégration de la réalité du marché financier de l‟Union dans les plans de financements des États ; l‟accompagnement de la dynamique du marché par une fiscalité harmonisée et incitative sur les valeurs mobilières et les entreprises accédant au marché, afin de garantir notamment la compétitivité des opérations : le renforcement de la surveillance et le contrôle des opérations de marché et adopter la réglementation en vigueur aux impératifs de transparence de compétitivité et de sécurité des investissements grâce à une rationalisation accrue des missions et des activités de l‟organe de régulation ; la consolidation du professionnalisme des acteurs. L‟expérience du Sénégal est assez édifiante en matière de libéralisation financière. Les difficultés financières auxquelles se trouvaient confrontée la plupart des établissements de crédits du pays ont été aggravées par une crise du système bancaire qui a touché la plupart des secteurs économiques de ce pays. En effet, le système bancaire connaissait des problèmes de rentabilité et de solvabilité et pour 127 résoudre ce problème la BCEAO et les Institutions Financières Internationales ont recommandé un vaste programme de réforme avec pour objectif la libéralisation financière seule à même de créer un environnement propice aux affaires capable de mobiliser et distribuer l‟épargne intérieure, d‟attirer les capitaux étrangers et de faciliter les transactions commerciales afin d‟avoir une croissance économique dans la stabilité des prix et la sauvegarde de la valeur de la monnaie commune. Cependant des objectifs intermédiaires ont été définis comme l‟assainissement financier des banques : cet assainissement financier visait à rétablir les équilibres fonctionnels et réglementaires applicables aux institutions de crédit, la réduction de l’intervention de l’État dans la gestion des banques et à ramener à moins de 25% la participation de ce dernier aux fonds propres et le démantèlement de la Banque Nationale de Développement. Une étude théorique et empirique de l‟impact de la libéralisation financière sur la croissance économique au Sénégal a abouti aux recommandations de politique économique qui suivent „(en encadrées) : Encadré 10 : Exemple de politique de libéralisation financière au Sénégal → Puisque le système bancaire est dominant dans le système financier, il convient de veiller à sa solidité par une application stricte et sans condition des règles de supervision et de réglementation prudentielles adaptées afin de pouvoir repérer les maladresses et trouver les remèdes appropriés. → Revoir d‟avantage les mécanismes de transmission notamment les taux d‟intérêt réels par son relèvement qui permettra une amélioration du taux d‟épargne domestique et par ricocher un relèvement de la croissance économique. Cependant une bonne politique de distribution des fruits de la croissance est nécessaire pour ne pas favoriser certaines couches sociales au détriment des autres mais aussi inculquer une bonne culture d‟épargne à la population. → Revoir les politiques de crédit pour l‟élargir à toutes les couches de la population. Ceci pourrait se réaliser par une bonne suivie des systèmes financiers décentralisés (SFD) pour une plus grande mobilisation de l‟épargne et l‟élargissement des gammes de crédits octroyés. → S‟assurer toujours de la stabilité macroéconomique, mais aussi tenir compte de l‟efficience des marchés financiers et de la stabilité du système financier mondial. → Développer des institutions financières non bancaires et des marchés monétaires et financiers. En effet l‟amélioration et l‟éventuelle privatisation des banques, le développement des institutions financières non bancaires et des marchés monétaires et financiers permettront de diversifier les systèmes financiers. Les fonds de pension et les compagnies d‟assurances, une fois correctement réglementés et gérés pourraient jouer un rôle de plus en plus important dans la mobilisation de l‟épargne et le financement de l‟investissement à long terme. Dans la quasi-totalité des PSD, la capacité de financement interne est limitée suite au déficit global d‟épargne et à l‟énormité des besoins de financement. Le déficit d‟épargne procède de deux éléments qui déterminent son niveau à savoir le revenu national est la consommation. L‟épargne intérieure est un résidu et se définit comme la partie non consommée des revenus ce qui permet d‟écrire dans une conception keynésienne Y-C=S et lorsque l‟économie est ouverte on peut écrire que : 128 Y = C + I + E Ŕ M d‟où il découle que Y Ŕ C = I + E Ŕ M Cela Fait apparaître les facteurs E et M qui, dans un pays en développement, sont importants. En effet, les importations sont nécessaires à la réalisation de bons nombres de projets et, de façon générale, pour l‟équipement de base et surtout sa partie liée à industrialisation. Face aux dépenses de consommations toujours croissantes, l‟apport de l‟État, des entreprises et des ménages dans la formation de l‟épargne reste faible. En effet, les fortes tendances à la consommation et surtout celles de l‟hyperconsommation urbaine ne favorisent pas la formation de l‟épargne subséquente. Au niveau de l‟État, dans la quasi-totalité des PSD, en dehors des pays pétroliers, les excédents de recettes sur les dépenses publiques sont souvent nuls ou de très faible niveau. La caractéristique commune des PSD est le déficit des finances publiques par suite de la surcharge des États. Du coté des entreprises privées d‟origine nationale comme celles issues des IDE, le volume d‟épargne dégagé peut être appréciable mais sa mobilisation et sa transformation en investissements se heurtent à plusieurs contraintes qui pèsent sur elles comme le retour d‟investissement, l‟amplification des risques et des instabilités qui amoindrissent la confiance, les coûts élevés de transaction. Quant aux ménages, confrontés à une augmentation constante du coût de la vie et poussés à dépenser au-delà de leurs revenus, notamment par le jeu de l‟effet de démonstration, les propensions à épargner demeurent très peu significatives. Dans une analyse globale de l‟épargne dans les PSD, Elias GANNAGE 120121 chiffre entre 1 et 2% du PNB de l‟ensemble des pays en développement l‟épargne publique, alors que cette dernière évolue entre 5 et 7% dans les pays développés d‟après le même auteur qui, par ailleurs conclut à un recul de l‟épargne des ménages. Dans ces conditions, il semble que la source dont l‟apport est le plus important demeure l‟épargne des sociétés constitué par les provisions pour dépréciation et par les bénéfices non distribués. Mais le problème est de savoir si cette composante de l‟épargne intérieure atteint un volume pouvant compenser la baisse constatée au niveau de l‟État et des ménages et si elle est susceptible de porter le taux d‟épargne à un niveau suffisant pour la couverture des investissements. À cet égard, si on se réfère à la corrélation entre la croissance du PIB et celle de l‟épargne, selon laquelle « dans un pays où le taux de croissance du PIB est faible, généralement inférieur à 5%, le taux d‟épargne interne baisse, on peut conclure à un taux d‟épargne faible dans les pays en développement. Dans ce contexte, le financement du développement dépendra principalement de l‟extérieur sous les formes traditionnelles d‟endettement, d‟Aide au développement et des IDE. On peu alors se demander si ces ressources sont suffisantes pour combler l‟écart entre les niveaux des investissements projetés et de l‟épargne intérieure ? Pour la moyenne africaine l‟épargne était d‟environ 16% du PIB en 2003 alors qu‟elle atteignait la même année 42% en Asie Orientale. 121 Elias GANNAGE : Le Financement du développement 120 129 Encadré 11 : Déclaration de la Conférence mondiale de Monterrey sur le financement du développement 1. Nous, chefs d‟État et de gouvernement, réunis à Monterrey (Mexique) les 21 et 22 mars 2002, sommes résolus à résoudre le problème du financement du Développement dans le monde, en particulier dans les pays en développement. Notre Objectif est d‟éliminer la pauvreté, d‟atteindre une croissance économique soutenue et de promouvoir le développement durable à mesure que nous progressons vers un système économique mondial véritablement ouvert à tous et équitable. 2. Nous notons avec inquiétude que selon les estimations les plus récentes, les ressources mobilisées sont tout à fait insuffisantes pour réaliser les objectifs de la communauté internationale en matière de développement, notamment ceux énoncés dans la Déclaration du Millénaire1. 3. Afin que le XXIe siècle soit le siècle du développement pour tous, notre première démarche consistera à mobiliser et utiliser plus efficacement les ressources financières et à réunir les conditions économiques nationales et internationales requises pour atteindre les objectifs de développement de la communauté internationale, notamment ceux énoncés dans la Déclaration du Millénaire, pour éliminer la pauvreté, améliorer la situation sociale et élever le niveau de vie, et protéger l‟environnement. 4. La réalisation des objectifs de développement de la communauté internationale, notamment ceux énoncés dans la Déclaration du Millénaire, appelle un nouveau partenariat entre les pays développés et les pays en développement. Nous nous engageons à appliquer des politiques rationnelles, à instaurer une bonne gouvernance à tous les niveaux et à assurer la primauté du droit. Nous nous engageons également à mobiliser les ressources nationales, à attirer les flux internationaux, à promouvoir le commerce international en tant que moteur du développement, à intensifier la coopération financière et technique internationale pour le développement, le financement viable de la dette et l‟allègement de la dette extérieure et à renforcer la cohérence des systèmes monétaires, financiers et commerciaux internationaux Cette partie de l‟ouvrage réactualise les analyses sur la politique de financement du développement au niveau des PSD et qui se ramène principalement à trouver les mécanismes de mobilisation des ressources internes et externes pour le financement des investissements. C‟est dans ce sens que la Conférence des Nations Unies sur le Financement du développement de MONTERREY recommande la mise en œuvre de politiques de mobilisation et d‟utilisation efficiente des ressources financières et la prise de mesures pour attirer les investissements directs, intensifier la coopération financière et technique internationale pour le développement, le financement viable de la dette et l‟allègement de la dette extérieure. Le premier chapitre de cette quatrième partie traite de la politique monétaire composante essentielle des politiques de régulation. La politique monétaire interne comprise comme l‟ensemble des actions visant à influencer les variables économiques ou objectifs finals (prix, niveau d‟activité, emploi, équilibre externe) par le biais d‟une double action sur les taux (coût de la monnaie) et sur la liquidité (volume) est diversement conduite dans les différents pays. Si nous avons une bonne connaissance des principes généraux, il est pratiquement impossible de passer en revue la manière dont les appareils financiers ont été structurés, l‟usage qui en est fait et la manière dont ils influent sur le développement. La diversité des situations, les 130 divergences dans l‟organisation des systèmes financiers, les différences des modes de connexion avec les appareils économiques ne facilitent pas l‟analyse des politiques monétaires internes. Ayant déjà étudié les deux formes d‟action de la politique monétaire à savoir l‟action sur les taux et l‟action sur les liquidités, il reste à voir ce qu‟apporte l‟appartenance à une zone monétaire dans les deux objectifs de financement du développement et de la lutte contre l‟inflation. Également, quel est son apport à la gestion monétaire et financière ? Le deuxième chapitre traite de l‟endettement qui est considéré par la théorie économique comme un moyen de financer les investissements dans le cadre d‟un déficit d‟épargne. Or, dans la plupart des PSD, la dette traduit un déséquilibre structurel pouvant mener à de graves crises d‟insolvabilité. Indiscutablement, l‟endettement extérieur des PSD, surtout africains, n‟a pas servi à financer son développement, notamment son industrialisation qui, s‟appuyant sur une agriculture modernisée et performante et bénéficiant de la surabondance des capitaux, aurait pu se réaliser. Quel est le profil de la dette ? Comment résoudre l‟endettement des PSD ? Le troisième et le quatrième chapitre traitent respectivement des Investissements Directs Étrangers (IDE) et de l‟Aide publique au Développement (APD). Les IDE sont considérés aujourd‟hui comme indispensables pour le financement du développement ce qui amène les États à opérer beaucoup d‟aménagement de leurs espaces pour les rendre attractifs à ces ressources. Malgré tous les efforts ces capitaux n‟empruntent pas encore le chemin des pays africains. Quelles en sont les raisons ? La question est d‟autant plus importante que malgré les nombreuses conférences internationales l‟APD baisse quantitativement et qualitativement. 131 CHAPITRE 19 POLITIQUE MONÉTAIRE, APPARTENANCE A UNE ZONE MONÉTAIRE ET FETICHISME DE L’INFLATION. Les mécanismes monétaires ne sont pas créés pour eux-mêmes. Ce sont des instruments qui facilitent la production et les échanges. En conséquence, comme dirait R. NURSKE, les instruments monétaires doivent refléter les mécanismes productifs et s‟y conformer. D‟ailleurs, TCHUANDJANG POUEMI s‟érige contre ces préjugés aussi difficiles à détruire qu‟un atome. En effet, de son point de vue, les préjugés sur l‟inefficacité des politiques monétaires conduisent souvent à se dispenser même de toute tentative. On sait à priori que l‟épargne est nulle parce que le revenu est faible, on ne cherche donc pas à mobiliser celle qui existe. On sait aussi que la planche à billets est inflationniste, on s‟interdit de façon rigide tout déficit budgétaire, ou bien, à l‟opposé, on ne mesure pas les limites du déficit et on dérègle les mécanismes avec les dépenses de l‟État. C‟est pourquoi l‟aspect monétaire de la politique économique est d‟une importance capitale dans la mesure où la politique monétaire a pour principal objectif l‟adaptation de l‟offre de monnaie de l‟ensemble du système bancaire aux besoins des agents qui réalisent les activités économiques et financières internes et externes. Ainsi par le biais de ses moyens d‟action que sont le maniement du taux d‟intérêt et le contrôle du crédit, la politique monétaire régule l‟activité économique dans le sens des objectifs projetés par la politique économique comme par exemple l‟accélération de la croissance, la création d‟emplois, la stabilité de la valeur de la monnaie elle-même. La Banque Centrale Ŕ qui est la banque des banques et de l‟État, en même temps qu‟elle est émettrice de la monnaie Ŕ est chargée de la fixation et du contrôle des objectifs de la politique monétaire. Pour ce faire, elle détermine le volume des agrégats monétaires et leur limite de progression, fixe et contrôle le niveau du taux d‟intérêt, surveille et régule la monnaie sur le marché des changes. Par les instruments d‟action comme le maniement du taux d‟intérêt et l‟encadrement du crédit, les autorités monétaires agissent directement sur la liquidité des banques. Et une mauvaise politique monétaire peut être à la base de perturbations préjudiciables au développement. La politique monétaire est dite indépendante lorsque tous les attributs de la création et de la gestion monétaire relèvent d‟un exercice totalement souverain avec des moyens diversifiés de contrôle du système bancaire et de crédit. Elle est dite dépendante lorsque son élaboration est abandonnée à des autorités externes ou en cas d‟adhésion à une union monétaire avec une monnaie satellite et des monnaies dépendantes. Dans les PSD, la politique monétaire soulève beaucoup de problèmes particuliers qui tiennent, d'une part, à la nature et à la structure des institutions monétaires, d'autre part, aux objectifs de cette politique. En effet, dans les PSD la politique monétaire se heurte à de sérieux handicaps structurels, tant et si bien que l‟on peut se demander s'il est possible d'entrevoir une bonne politique monétaire dans une économie où les milieux de propagation monétaire n'existent pas, où la banque centrale n‟est pas parfaitement adaptée au fonctionnement réel de toute l‟économie du pays sous-développé, où le système bancaire intégré ne fonctionne pas et où il n'existe ni marché monétaire, ni marché financier. Dans la plupart des pays, l‟infrastructure bancaire, bien qu‟inadaptée aux besoins des économies fortement clivées, reste encore insuffisante et très peu spécialisée. Le renforcement des banques de dépôt, ou d'affaires, la création d'organismes de crédit agricole, l'établissement d'un réseau d'institutions d'épargne 132 sont indispensables à la promotion et à l‟orientation de l'investissement ainsi qu'à la mobilisation et à la distribution des ressources financières disponibles. Les banques spécialisées comme le crédit maritime, hôtelier, immobilier, industriel sont soient inexistantes, soient dépourvues de ressources suffisantes et appropriées. Pendant ce temps, le réseau bancaire commercial est surdéveloppé. Il reviendra à la Banque Centrale d‟assumer des tâches importantes de contribution à la création et au fonctionnement de structures bancaires solides. Sa fonction de banque des banques va revêtir une portée exceptionnelle, car elle doit substituer aux techniques relativement strictes et rigides, des règles plus souples de soutien d‟un système bancaire auquel se posent principalement des problèmes de crédit à moyen terme et à long terme, des tâches de financement de l‟ investissement plus encore que de financement commercial122. Elle peut rendre aussi d'éminents services dans le domaine des échanges extérieurs et des changes. C'est dire qu‟elle ne peut se limiter à ses missions strictement techniques conventionnelles de contrôle de la liquidité et du taux d‟intérêt. Elle doit y ajouter des missions de promotion des institutions monétaires et d'organisation d'un milieu de propagation monétaire. Il s‟impose une diversification et une spécialisation des établissements ayant une vocation financière. De telles actions permettent l‟élaboration d‟une politique monétaire au service du financement du développement, qui n‟exclut pas l‟utilisation de processus inflationnistes contrôlés. En somme «les banquiers peuvent faire beaucoup, et plus encore avec une banque centrale que sans elle.123 » Les observations qui précèdent permettent de mieux envisager les objectifs de la politique monétaire et le principal débat auquel leur discussion donne lieu : le débat sur l‟inflation dans ses rapports avec le développement économique. L‟inflation est toujours présentée comme un phénomène ruineux et perturbateur. Les Institutions Financières finissent par établir un véritable fétichisme du phénomène inflationniste érigé au rang de grande malédiction de la gestion monétaire. Contrairement à cette assertion, A. LEWIS et, plus systématiquement encore Earl J. HAMILTON124, se fondant sur une expérience historique, soutiennent qu‟il n‟y a pas de développement sans inflation et même mieux, l‟inflation doit être utilisée par les PSD pour élever les profits, transférer au groupe social qui épargne et investit des ressources qui seraient autrement consommées et par conséquent, pour stimuler l‟investissement. Dans le même sens Maurice DOBB estime qu‟une dose modérée d‟inflation est souhaitable pour favoriser des mouvements de travailleurs sur une large échelle et pour accroître les fournitures de denrées alimentaires et de matières premières par les villages aux villes125. Les effets pervers de l‟inflation sont parfaitement maîtrisables126. El BENISSAD essaie d‟apporter la preuve, à partir d‟un système économique que l‟on pourrait qualifier de semi-libéral. Il formule un ensemble de cinq hypothèses pour défendre rigoureusement sa position127 à l‟égard de l‟inflation : La première hypothèse porte sur le postulat de l‟existence d‟une pénurie d‟épargne eu égard aux besoins énormes d‟accumulation de capital. Cette hypothèse est expressive de la situation actuelle des PSD où les salariés ont une forte propension à consommer et où les titulaires de hauts revenus ont tendance à ajuster leur 122 Cf. l'intéressant essai de R.S. SAYERS: Central Banking in Underdeveloped Areas, dans Central Banking after Bagehot, (Londres, 1957). 123 SAYERS, op. cit. p. .133. 124 126 127 Voir à ce sujet, D. SEERS: Inflation and Growth: a summary experience in Latin America. Voir R. PREBISCH: Economic development in Latin America and its economic problems. 133 consommation sur celle des pays développés si bien que le volume d‟épargne disponible est relativement faible. La deuxième hypothèse porte sur l‟existence d‟une classe d‟entrepreneurs publics ou privés, dynamique et capable de saisir les diverses occasions d‟investissement qui peuvent se présenter et profiter d‟éventuelles hausses des prix. La troisième hypothèse concerne l‟existence d‟une illusion monétaire dont seraient victimes les salariés qui se trouvent de fait dans l‟impossibilité d‟élever le niveau de leur salaire réel en l‟absence d‟une hausse de la productivité du travail. La quatrième hypothèse est l‟existence d‟une économie ouverte caractérisée par une diminution ou une stagnation du secteur de l‟exportation « par suite de la faiblesse des élasticités prix et revenus de la demande internationale ». E. BENISSAD utilise cette hypothèse d‟une limitation effective des importations pour placer l‟économie dans une situation de pénurie sans recours à l‟achat de biens importés. La cinquième hypothèse est relative à l‟existence d‟un système protectionniste qui évite aux entrepreneurs nationaux le risque d‟une concurrence inégale de l‟étranger. À ces cinq (05) hypothèses on pourrait ajouter une sixième : le respect strict des règles rigides de l‟étalon-or qui fixent des limites très étroites aux variations des prix. Dans une économie réunissant de telles conditions, tout accroissement de la masse monétaire décidé par l‟État déclenche un processus d‟inflation qui opère quasi automatiquement une redistribution du revenu national en faveur de la classe des entrepreneurs nationaux. En effet, il se crée à partir des moyens supplémentaires de paiement, une demande additionnelle qui ne peut être résorbée que par un accroissement des prix étant donné que les importations sont rigoureusement réglementées. Cette demande est révélatrice d‟une situation de pénurie que les entrepreneurs nationaux, disposant d‟une situation de rente, ont intérêt à exploiter. L‟inflation augmente l‟épargne des classes qui ont une propension à épargner élevée. De fait, la rigidité de l‟offre de capitaux qui était formulée dans la première hypothèse est levée et le financement du développement est rendu possible. En effet, le modèle de consommation étant défini et contrôlé, les entrepreneurs se trouvent dans l‟obligation d‟investir leur épargne, donc d‟accroître le niveau des forces productives. Le processus d‟expansion ainsi déclenché peut aboutir à une correction des inégalités et amoindrir le coût social du processus inflationniste. On perçoit que dans le cadre tracé, l‟inflation n‟est pas stérile et perturbatrice de l‟expansion. Au contraire, elle a permis de libérer les ressources qui bloquaient le financement du développement. Toutes les hypothèses de travail mentionnées représentent autant de formes d‟action que l‟État peut concevoir structurellement dans sa politique économique. Il s‟agit pour l‟essentiel d‟abord d‟assurer une indépendance monétaire réelle, ensuite de prendre des mesures adéquates de contrôle systématique des relations extérieures tant au plan des importations qu‟à celui des exportations, et enfin de convaincre la classe ouvrière que l‟élévation du salaire réel est au prix d‟une amélioration de la productivité. Ce sont là des mesures courantes, des tâches économiques et politiques que certains États ont assumé dans certaines phases de leur développement économique et social (Union Soviétique, Chine, certains pays latino-américains). Il restera alors les problèmes liés à l‟existence d‟une classe dynamique d‟entrepreneurs nationaux. Dans certaines expériences historiques, cette place est dévolue principalement à l‟État qui a été doté des moyens d‟une gestion efficiente de l‟économie qui évitent systématiquement le travers bureaucratique. 134 Au total, l‟inflation n‟est pas impérativement ce danger qui doit justifier une orthodoxie monétaire paralysante. Au contraire, elle peut se présenter comme un moyen essentiel au service de l‟accumulation productive. Cependant, elle exige une connaissance et une maîtrise des rouages essentiels de l‟économie nationale et un contrôle de ses principaux paramètres. Le paysage monétaire dans les PSD et en Afrique est particulièrement éclaté, hétérogène, avec des pays qui exercent une pleine souveraineté monétaire et d‟autres qui appartiennent à des zones monétaires. Globalement, l‟appartenance à une zone monétaire est souvent présentée comme ayant un ensemble d‟avantages qui sont au nombre de cinq : meilleure stabilité monétaire, libre convertibilité, diversification des partenaires, plus grande rigueur dans la gestion des politiques économiques en référence aux critères de convergence, à savoir : une politique budgétaire saine, une politique monétaire de haute qualité et une maîtrise de l‟inflation en vue de préserver la stabilité du cadre macro-économique solidarité et garanties de financement des déficits, Comment évaluer les avantages et désavantages liés à l‟appartenance à une zone monétaire ? La réponse peut être apportée à partir de l étude de la plus ancienne zone monétaire en fonctionnement depuis les années 40 : la zone franc. Cette étude est d‟autant plus nécessaire que l‟Union monétaire et certaines organisations d‟intégration régionale comme la CEDEAO inscrivent à leur agenda la création d‟une monnaie unique. En termes de crédibilité, c‟est l‟existence d‟une monnaie unique et stable qui réduit les coûts d‟information et de transactions. Elle est liée à la fermeté des engagements institutionnels (à moyen terme) permettant d‟éviter les déséquilibres macro-économiques, et à la pertinence de l‟ajustement en cas de besoin (à court terme). Section 1 : L’appartenance à une Zone monétaire : le cas de la zone franc Fruit de l‟histoire coloniale, la zone franc africaine a été avant tout un instrument de coopération entre la France et ses colonies. Officiellement mise en place en 1939, elle se définissait alors comme étant un espace où circulait le franc français, de même que le Franc des Colonies Françaises d'Afrique (FCFA). A l'intérieur de cet espace géographique, les activités économiques pouvaient se développer, protégées par des règles dissuasives vis-à-vis de l'extérieur. La coopération était donc centrée sur les unions commerciales naissantes et la protection autour de territoires dépendants de la métropole. Depuis sa création, à quelques nuances près, le fonctionnement de la zone monétaire CFA est fondé sur quatre principes : La parité fixe entre les différentes monnaies et le franc français, convertibles entre elles à des parités fixes et sans limitation de montants128. Notons que La valeur du franc CFA est en rapport constant avec le franc français, inchangé entre Octobre 1948 et Janvier 1994 (1Franc Français équivalait 50FCFA). À partir de cette date, la cotation devient 1Franc Français pour 100FCFA. Depuis l‟avènement de l‟euro, elle est demeurée à 655,957FCFA. 128 135 La convertibilité des monnaies CFA garantie sans limite par le trésor public français. La liberté des transferts à l‟intérieur de la zone CFA, aussi bien pour les transactions courantes que pour les mouvements de capitaux. La centralisation des réserves de change des deux unions sur un compte d‟opérations ouvert auprès du trésor français129. Elle a été souvent présentée comme un instrument de puissance de la métropole (Godeau, 1995), une zone de repli pour son industrie sinistrée. Ainsi pour GODEAU, « elle fournit à une économie française peu compétitive des débouchés faciles et des matières premières à bon prix ». Cette vision est certainement assez caricaturale des avantages et inconvénients de la zone franc pour ses pays membres africains. Il est vrai que la dimension économique du pacte colonial reposait sur un certain nombre de principes dont les grandes lignes traduisaient explicitement une coopération centrée sur des unions commerciales naissantes et la protection autour de territoires dépendants de la métropole. Le pacte colonial réunissait ainsi (N‟GUESSAN, 2001) les conditions suffisantes pour assurer à cette dernière un solde positif de son commerce extérieur. Dans ce cas, il ne fait plus aucun doute que la coopération monétaire a bénéficié principalement à la Métropole comme il a été souligné par GODEAU. Incontestablement, après une série de réformes, la zone Franc est devenue, depuis les années 1960, un outil de coopération sans équivalent dans les relations Nord-Sud. En effet, les règles communes appliquées ont permis aux pays membres, à majorité dépendants des produits primaires d‟exportation, d‟être protégés des chocs externes (grâce à l‟application des surprix sur les produits primaires) et de disposer d‟un cadre macroéconomique stable130 au moins pendant près de deux décennies. Dans les années 1970, les secteurs exportateurs ont connu un développement important basé sur des produits primaires dont les cours ont évolué de manière favorable aux pays africains en général et ceux appartenant à la zone franc en particulier. En effet, après les hausses de 1973 et 1974 qui ont multiplié l'indice des prix pétroliers par cinq, les prix des matières premières hors pétrole ont connu jusqu'en 1976 une augmentation de 100%. Les prix agricoles et les prix alimentaires ont augmenté respectivement de 106% et 120%131. Le second choc pétrolier de 1979 a entraîné de nouveau une hausse des prix des matières premières : les matières hors pétrole ont augmenté de 180%, en particulier le caoutchouc et la bauxite tandis que les produits agricoles ont subi une hausse de 182%132, surtout le cacao, le café et le coton. Cette évolution positive peut être imputée à des facteurs exogènes. Cependant, la comparaison des agrégats macroéconomiques montre que les PAZF ont connu de meilleures performances économiques que d'autres pays hors zone franc (tableau 1). Quelques exemples illustrent parfaitement ce propos : le produit intérieur brut réel a augmenté de 4,6% par an sur la période 1975 à 1985 contre seulement 1,4% dans le reste des pays d'Afrique subsaharienne hors zone franc, le produit intérieur brut par habitant a été en moyenne de 1,7% contre Ŕ1,3% pour les pays hors zone franc et l‟inflation a été mieux maîtrisée (11,2% contre 17, 8%). Les Banques Centrales de la zone franc africaine sont tenues de déposer 65% de leurs réserves en devises. 130 Pour un bilan institutionnel de la zone franc africaine, voir N‟GUESSAN (1998, 2000). 131 A. BECART (1997), P. 150-151. 132 A. BECART (1997), OP. CIT. 129 136 Tableau 6 : Performances économiques : comparaison zone CFA/Afrique subsaharienne hors zone CFA Périodes 1975 à 1985 Zone Franc Taux de croissance réel du PIB 4,6 (% annuel moyen) Taux de croissance réel du 1,7 PIB/habitant (% annuel moyen) Taux d'inflation (% annuel 11,2 moyen) Solde budgétaire (% PIB, -5 moyenne) Compte courant extérieur (% -6,5 PIB, moyenne) Exportations de marchandises 28 (% PIB, moyenne) Importations de marchandises 23,8 (% PIB, moyenne) Dette extérieure (% PIB, 38,2 moyenne) Source: Semedo et Villieu (1997), p. 96-97. Hors Zone Franc 1986 à 1993 Hors Zone Zone Franc Franc 1,4 0,1 2,5 -1,3 -2,8 -0,3 17,8 1,1 22 -6,1 -7,6 -5,6 -1,9 -7,4 -0,8 20,7 22,3 24 18,9 18,7 20,9 25,2 73,7 57 Certaines recherches (SEMEDO et VILLIER, NGUESSAN et ONDO OSSA) introduisent des nuances à cet argumentaire avec une sorte de retournement de conjoncture à la fin des années 80 et l‟apparition de contre-performances caractérisées par la montée des déséquilibres macroéconomiques et macrofinanciers et un endettement devenu insoutenable posant, par moment les signes d‟une crise d‟insolvabilité. Alors la question de l‟origine véritable des nouveaux déséquilibres se pose. En d‟autres termes, les contre performances apparues sont-elles le fait de la faiblesse des arrangements monétaires de la zone franc? À l‟analyse, la crise économique qui affecte les PAZF dans les années 80 est la conséquence de plusieurs types de chocs notamment celui des termes de l‟échange (voir graphique) et pour N‟GUESSAN (2001) elle doit être attribuée à la perte de la politique de change comme instrument de la politique économique. La perte de l‟autonomie monétaire due au triangle d‟incompatibilité de MUNDELL contraint la zone franc africaine dans ses marges de manœuvres. 137 Figure 9 : Termes de l'échange Base 100: 1985 Pays à change fixe: Zone Franc Africaine sauf Tchad et Guinée Equatorial..Pays à change flexible: 17 pays subsahariens. Source: La zone Franc, Rapport annuel 1993. I/- Le début de remise en question du principe de parité fixe suite à la dévaluation de 1994. Plusieurs auteurs ont tenté, en référence au triangle d‟incompatibilité de MUNDELL, de justifier la préférence des PAZF pour les changes fixes. Cette attitude qui reflète une exception à l‟époque où de nombreux pays ont abandonné le rattachement à une seule monnaie, ne pourrait a priori nuire aux économies en présence. La flexibilité risquerait en ce moment (SEMEDO et VILLIEU, 1997) de provoquer des effets prix déséquilibrants sur la balance des paiements étant donné la relative insensibilité du volume du commerce extérieur face aux variations du taux de change. S‟il semble que le régime de change fixe a été de quelque secours pour les PAZF, la dévaluation de janvier 1994 a cependant montré les signes réels d‟une inadaptation du principe de parité fixe. Même si la valeur du franc CFA a été réduite de moitié, passant de deux à un centime français133, il reste que cette mesure met pour la première fois en évidence la réelle nécessité de l‟ajustement par le taux de change. Cette politique d‟ajustement par le taux de change trouve sa justification outre la dégradation des termes de l‟échange, dans la perte de compétitivité aggravée par la forte appréciation du franc français par rapport aux monnaies des principaux concurrents commerciaux de la zone franc. Avant 1985, on assistait souvent à des mouvements de hausse du taux de change effectif réel des PAZF. Mais cette évolution était en partie masquée par celle favorable des termes de l‟échange. L‟appréciation du 133 La fixité étant toujours maintenue. 138 taux de change réel qu‟ils ont subi depuis la deuxième moitié des années 1980 témoigne de l'insuffisante flexibilité de ces derniers (graphique 2). Figure 10 : Graphique 2 : Taux de change effectif réel et termes de l’échange des pays de la zone franc, 1980-1994 (pondérés par les PIB de 1994, 1985 = 100) (1) Un mouvement à la hausse indique une appréciation des taux de change effectifs réels. (2) Un mouvement à la baisse indique une dépréciation des termes de l’échange. Source : Semedo et Villieu (1997), p. 101. II/ L’ancrage à l’euro et la problématique du régime de change En mai 1998, la création de la monnaie unique européenne, l‟euro, est consacrée. Dans la zone franc africaine, il était question des conséquences de l'intégration du franc français dans une monnaie jugée a priori plus forte. En janvier 1999, l'ancrage nominal des francs CFA s'en est suivi. Cette politique de change comporte selon certains auteurs, des contraintes et des risques malgré les avantages qui en découlent. En dehors des contraintes plus fortes en matière de gestion monétaire, d‟équilibres budgétaire et extérieur, les interrogations expriment en général la peur d'une seconde dévaluation au regard de l'expérience passée. Cependant, la possibilité offerte aux économies africaines d‟accéder librement au large marché européen n'est pas négligeable. Cette possibilité apparaît d‟autant plus probable qu‟actuellement, les pays de l‟union européenne constituent le premier marché et les principaux fournisseurs de la zone franc africaine (MONGA, 1998). Dans le cadre de l‟avènement de l‟euro, plusieurs auteurs africains 134 ont proposé et analysé le réalisme des scénarios possibles d‟évolution de la zone franc africaine. Il ressort de leur réflexion des points de vue plus ou moins divergents. Notamment D‟ALMEIDA (1998). Voir également l‟ouvrage édité par M.KASSE et B.HAMMOUDA à l‟issue du symposium international sur l'avenir du FCFA, organisé par le CODESRIA à Dakar, en novembre 1998. 134 139 Néanmoins les propositions qui s‟accordent peuvent être résumées en trois composantes : l‟éclatement de la zone monétaire africaine et la création d‟une monnaie nationale dans chaque ancien pays membre ; le maintien de la zone CFA sans arrimage à l‟euro et enfin l‟élargissement de la zone CFA à d‟autres pays. Le premier scénario est unanimement rejeté par tous. Au-delà du fait que le second scénario traduit déjà “ la dose de flexibilité ” souhaitée par des auteurs, le maintien du change fixe pourrait être souhaitable si des mécanismes rapides d‟ajustement aux fluctuations économiques des agrégats macro-économiques existaient. D'une part, les PAZF sont soumis à des chocs exogènes. D'autre part, ce sont des pays dont la majorité des échanges est effectuée avec l'Union européenne. C‟est pour cette raison qu‟il faut s‟intéresser au régime de change des PAZF en référence à l‟euro, dans un cadre beaucoup plus analytique : le critère d‟asymétrie des chocs. 1°) L’ancrage et l’asymétrie des chocs L‟analyse de la théorie des ZMO s‟intéresse en général aux coûts et bénéfices qu‟implique la perte de la souveraineté monétaire. Cette analyse pose le problème en termes de sacrifices que consent un pays lorsqu‟il renonce à une devise spécifique comme variable d‟ajustement face à un choc extérieur. La théorie des ZMO a développé progressivement un certain nombre de critères relatifs à la structure des économies permettant de délimiter dans la mesure du possible les chances de succès dont jouit une union monétaire dans la manière de gérer ses chocs économiques. Les études qui ont examiné ces différents critères, bien qu‟elles ne soient pas restées unanimes sur la forme, font ressortir l‟échec inévitable d‟une union monétaire en Afrique de l‟ouest. Malgré la faible volatilité du franc CFA par rapport à l‟euro, comparée au yen et au dollar (ONDO OSSA, 2001), la zone franc africaine n‟en demeure pas moins une zone monétaire optimale au regard des critères jugés traditionnels (EBOUE, 1998 et BENASSY-QUERE ET COUPET, 2003). Dans ce cas, on réalise déjà le besoin de recourir à l‟ajustement par le taux de change si les chocs affectant les PAZF sont asymétriques. Qu‟en est-il exactement ? 2°) Considérations pratiques Les résultats de l‟utilisation des critères traditionnels dénotent un manque d‟unanimité quant à la conclusion sur l‟optimalité de la zone monétaire africaine. Mais plus qu‟une question d‟optimalité, c‟est du moins l‟examen de quelques mécanismes d‟ajustement dans la zone monétaire africaine dont il est question dans ces études. Par ailleurs, les chocs touchant les PAZF seraient de nature symétrique que l‟examen des critères traditionnels serait sans aucune importance majeure. L‟étude des chocs touchant la zone CFA était donc nécessaire en de pareilles circonstances. En poussant plus loin l‟analyse, DEDEHOUANOU (2002) a procédé à une décomposition des chocs en composantes spécifique et commune, africaine et européenne. La décomposition des chocs d‟offre laisse suggérer que la Côte d‟Ivoire, la Centrafrique, le Tchad, le Sénégal et le Togo pourraient former le noyau d‟une union monétaire. Cependant, chaque pays africain de la zone franc semble être affecté par des chocs d‟offre ayant davantage de caractéristiques communes avec le reste des PAZF qu‟avec l‟Union européenne. Le fait d'aboutir à des regroupements de pays différents autres que ceux existant au sein de la zone franc africaine renforce non seulement les conclusions des études antérieures sur l‟optimalité de la zone mais également soulève des doutes quant au régime de change fixe par rapport à l‟euro. 140 D‟une manière générale, en nous basant sur les résultats de DEDEHOUANOU (2002), deux possibilités s'offrent aux PAZF. D'un côté, pour peu qu‟ils acceptent Ŕ tout en maintenant les sous-zones monétaires respectives Ŕ de garder le régime de change fixe135, et que les chocs soient d‟origine européenne, il existerait des mécanismes qui faciliteraient l‟ajustement rapide des économies vers leur nouvel équilibre136. Des études approfondies dans ce sens seraient alors plus indiquées. En nous restreignant à l‟UMOA, puisque l‟instrument de la Banque Centrale, en occurrence le taux d‟intérêt, a un effet sur la dispersion entre pays (KAMGA, 1999)137, la substitution de la politique budgétaire à la politique monétaire doit requérir une certaine coordination budgétaire dans la mesure où elle évite par-là même l‟indétermination globale du « Policy-mix ». Une possibilité (Artus, 2000) serait alors de modifier la fonction objective de la Banque Centrale, de façon à ce qu‟elle soit définie comme moyenne pondérée des fonctions objectives nationales. D'un autre côté, les PAZF devraient réfléchir à l'avenir à une zone franc intégrale qui s'affranchirait d'une fixité de change. Etant donné que les chocs subis par ces pays ont une composante commune africaine dans leur ensemble plus importante que celle européenne, une politique monétaire indépendante semble être plus adaptée qu‟une relation de fixité. Cette préoccupation est remise à l‟ordre du jour dans la perspective d‟intégration régionale à l‟échelle de la CEDEAO138 III/ Implications, pour la zone franc africaine, au processus d’intégration régionale : les perspectives de mutation Les dysfonctionnements observés au sein de la zone franc depuis sa création l‟ont amené à modifier plus d‟une fois ses pratiques. Le projet de création d‟une Seconde Union monétaire pour les pays de la Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO) non membres de la zone franc appelle à l‟avenir des mutations qu‟il importe de préparer pour arriver à la monnaie unique en Afrique de l‟Ouest. C‟est dire que des réformes au sein de la zone deviennent indispensables. Les changements projetés dans l‟espace monétaire qui se dessine, appellent une éventuelle redéfinition des mécanismes de coopération aussi bien régionale qu‟internationale. Les évolutions obligatoires doivent donc être examinées suivant les relations monétaires entre les pays africains d‟une part et d‟autre part entre ces pays et l‟extérieur. 1°) La zone franc face au processus d’intégration régionale En 2000, six pays de la CEDEAO non-membres de la zone CFA139 lancent le projet de création d‟une union monétaire. L‟ambitieuse initiative était d‟œuvrer vers la fusion de cette union avec l‟UMOA afin d‟adopter une monnaie commune régionale au sein des deux groupes constituant la CEDEAO. Ce projet impliquerait de fait la suppression de certains aspects des accords de la zone franc, un découplage et une Et dans ce cas, garantir désormais la crédibilité de ce choix. On pourrait voir par là le critère de solidarité tant invoqué par certains auteurs africains, notamment Ondo Ossa (2000). Il est à souligner quand même que ce critère n‟est pas de nature à s‟identifier au fédéralisme budgétaire (AIDARA, 2001). 137 Cité par AIDARA (2001), op.cit 138 Voir l‟excellente réflexion d‟Ousmane OUEDRAGO : une monnaie unique pour toute l‟Afrique de l‟Ouest ? Editions Karthala 2003 139 Il s‟agit du Nigéria, du Ghana, de la République de Guinée, du Libéria, de la Sierra Léone, de la Gambie. 135 136 141 autonomie des deux sous-zones franc. Dans le cadre des relations monétaires entre ces dernières, le problème ne se pose guère de la zone franc (Afrique de l‟ouest et Afrique Centrale) dans la mesure où depuis 1993 les deux zones observent la suspension du rachat de leurs billets respectifs. Chaque sous-zone peut donc définir les modalités de coopération monétaire avec le reste du monde. À cet effet et en ce qui concerne le projet d‟intégration monétaire régionale pour la CEDEAO, plusieurs dispositifs institutionnels peuvent être envisagés. La deuxième zone monétaire (tout comme la fusion des deux sous-zones) pourrait prendre différentes formes notamment celle de la création d‟une nouvelle monnaie commune ou la désignation d‟une monnaie existante à cet effet ; la création d‟une banque centrale unique ou sa coexistence avec les banques centrales nationales ; et un arrimage (à l‟euro ou à un panier de monnaies par exemple) ou un taux de change souple pour la convertibilité externe de la monnaie commune. La création d‟une nouvelle monnaie commune tout comme l‟arrimage ou la souplesse en matière de convertibilité externe suppose que les critères de la théorie des ZMO soient observés au sein de la communauté. Bien qu‟elles ne soient pas restées unanimes sur la forme, les études qui ont examiné ces différents critères font ressortir les difficultés inévitables d‟une union monétaire en Afrique de l‟ouest. La création d‟une banque centrale unique ou la coexistence des banques centrales suppose pour la première l‟établissement d‟une crédibilité en un temps record et pour les secondes, de solides réputations en matière de responsabilité et de transparence. Une union monétaire demande que l‟on investisse dans des institutions garantes de l‟irrévocabilité des parités et de la politique monétaire commune. La mise en place de telles institutions engendrait à terme des coûts lorsque l‟option de coexistence des deux banques est choisie, sinon une source de discorde s‟il s‟avérait que l‟une soit appelée à disparaître (ASANTE et MASSON, 2001). De plus, le pays ou la zone dont le manque de crédibilité est relativement peu élevé sera peu réticent à entrer dans la nouvelle union monétaire intégrale. Or, contrairement à leurs homologues d‟Afrique de l‟ouest, les pays de la CEDEAO non-membres de l‟UMOA ne jouissent pas d‟antécédents ni de réputation en matière de convertibilité et de stabilité. Aussi il serait difficile pour la deuxième zone d‟acquérir 140 dans un bref délai une certaine crédibilité même si elle devrait choisir parmi les deux repères de politique monétaire à savoir un ancrage extérieur ou un objectif nominal interne (ciblage de l‟inflation). Ces différentes options de fond demeurent toujours, même en supposant que la première étape soit franchie. Certes le fait d‟appartenir désormais à une zone intégrale regroupant ses voisins de l‟est met à l‟abri la zone UMOA d‟éventuelles dévaluations compétitives. Quel que soit le mode de critère adopté, il va sans dire que les principes de fonctionnement de la zone franc subiront des modifications. Ces principes sont appelés soit à disparaître, soit à être modifiés. 2°) Les directions des modifications L‟architecture qui se dessine au sein de la CEDEAO laisse entrevoir l‟éventualité d‟une double modification tenant d‟une part de l‟euro et d‟autre part de la zone dollar et du yen. La première série de modifications tient compte de l‟euro. En effet avec l‟avènement de l‟euro et en ce qui concerne la zone franc, de nouvelles opportunités en termes de commerce et de garantie de stabilité monétaire ont été mises en avant. 140 Malgré les divers critères de convergence qu‟elle s‟est imposés 142 Étant ainsi lié à une monnaie utilisée dans la facturation d‟une part croissante des échanges internationaux, le franc CFA serait adossé à un grand marché de 290 millions de consommateurs. Les exportateurs africains gagnent, de ce fait, en sécurité. S‟il doit être tenu compte du seul avantage résultant de l‟élimination du risque de change entre monnaies européennes, les pays de la CEDEAO hors UEMOA, dont les monnaies sont dans la majorité non convertibles, pourraient trouver en l‟euro un refuge sûr. Dans ce cas, ils doivent donc définir, au même titre que l‟UEMOA, des accords de coopération141 avec la zone euro ; ce qui faciliterait à moyen terme l‟intégration monétaire au sein de la CEDEAO, tant du point de vue de la convertibilité interne qu‟externe. Les deux sous-zones pourront sans difficulté142 fusionner en une seule, leurs monnaies uniques respectives étant déjà liées à l‟euro. Le raisonnement ci-dessous est mené seulement sous l‟hypothèse de la pratique du régime de change fixe. La modification qui sera intervenue dans ce cadre privilégiera alors la poursuite de la coopération monétaire franco-africaine dans le cadre de l‟arrimage à l‟euro. On se place tout juste dans la dynamique d‟élargissement de la zone franc. Pourtant il serait plus que logique de considérer, en plus de l‟Union européenne, les pays émetteurs du dollar et du yen dans l‟analyse, si tant est que la dette africaine est en grande partie libellée en cette première devise et que la deuxième demeure quand même une monnaie véhiculaire. La seconde modification tient compte du dollar et du yen. Dans ce cas de figure, on ne doit pas ignorer le risque de perte de compétitivité résultant d‟une appréciation de l‟euro par rapport au dollar. La surévaluation des monnaies des deux sous-zones ou finalement de la monnaie unique CEDEAO qu‟elle pourrait induire devrait conduire inévitablement à leur dévaluation renouvelant celui de janvier 1994. Les modifications qui doivent intervenir ici en appellent au préalable à une définition du régime de change au sein des deux sous-zones composant la CEDEAO. Si la CEDEAO opte pour la flexibilité comme le suggèrent plusieurs auteurs, il va sans dire que les accords de coopération définis entre l‟UEMOA et la France et donc l‟Union Européenne n‟ont plus leur raison d‟être, les pays hors UEMOA étant déjà en régime flexible. Le problème qui reste néanmoins posé est celui du sacrifice de la garantie de stabilité monétaire dont jouit cette zone. Comme le soulignent P. GUILLAUMONT et S. GUILLAUMONT (2002), « les États de l‟UEMOA ne sauraient abandonner la proie pour l‟ombre […]. Pour stabiliser leur taux de change […], [les autres pays de la communauté] ont besoin d‟une garantie du même type que la zone franc ». Enfin un troisième schéma est celui des parités ajustables au sein de la CEDEAO, un régime à la fois ni trop fixe, ni trop flexible143 et qui pourrait arranger les deux sous zones composant la communauté. Dans ce cas, les modifications qui interviendront doivent impliquer tous les partenaires en présence. La France (ou l‟union européenne) doit donc rendre plus souple ses accords de change vis-à-vis de l‟UEMOA. Cette analyse des relations monétaires à l‟intérieur et entre les sous-ensembles de la CEDEAO rappelle que la mise en séquences de l‟intégration monétaire a été peu coordonnée. Aujourd‟hui les questions qui demeurent concernent non seulement la coopération entre les pays de la communauté mais également la coopération entre ces derniers et l‟extérieur. L‟objectif d‟intégration monétaire pour la CEDEAO implique l‟adoption d‟un nouveau régime monétaire commun différent des régimes existants. Cela revient à dire que dans cette perspective, chaque pays de la communauté doit Ces accords doivent tenir compte des régimes de change existant Sinon qu‟il faudrait bien définir les modalités de la fusion. 143 Tenant compte des trois devises clés à savoir le dollar, l‟euro et le yen. 141 142 143 rechercher en fonction de sa spécificité, la stratégie la plus optimale possible d‟abandon de son régime de change de façon à converger vers une stratégie «optimale» commune définissant ainsi l‟unique régime de change approprié. IV/ L’alternative à une zone monétaire : une politique monétaire indépendante. La meilleure façon d‟apprécier sommairement la Zone Franc est de la comparer à l‟alternative que constitue l‟exercice d‟une politique monétaire indépendante. 1°) Les politiques que peuvent suivre les pays qui ne sont pas membres d’une zone monétaire. Les autorités monétaires et la Banque Centrale peuvent imprimer de la monnaie, pour financer un déficit budgétaire ou pour le transmettre aux banques qui pourront accomplir leur politique de crédit aux investisseurs. Elles peuvent également maintenir un taux de change pour la monnaie en achetant et en vendant des devises étrangères. Toutefois si elles ne disposent pas du matelas de devises étrangères à vendre, elles ne peuvent s‟empêcher une réduction du taux de change de la monnaie ou alors laisser « flotter » sa monnaie sur les vagues du commerce international, sans intervenir pour maintenir un taux fixe. Enfin ; les restrictions sur les politiques du commerce international font souvent partie des règles d‟une zone monétaire. Sans ces restrictions, l‟État peut imposer des taxes douanières, des contingents, etc. 2°) Les implications économiques de la gestion d’une politique monétaire indépendante Cette politique monétaire présente trois avantages bien évidents : Les autorités monétaires peuvent stimuler le développement par le financement en imprimant des billets comme le préconisent les modèles d‟A. LEWIS et A. BENISSAD par exemple. Les manipulations du taux de change effectif réel constituent un élément de compétitivité La politique monétaire peut contribuer à l‟organisation d‟une plus grande fluidité de la circulation de la monnaie et à la création d‟une infrastructure bancaire plus adaptée aux besoins des économies fortement clivées. Au titre des désavantages, on peut souligner certains aspects comme : Pour les investisseurs, le manque de confiance à la monnaie au regard de beaucoup de critères : niveau des déficits, endettement, instabilité des recettes et même de l‟environnement politique : ce qui entraîne une fuite de devises. Et en raison de l‟incertitude au sujet du futur taux de change, il faut payer un taux d‟intérêt plus élevé pour emprunter du capital à l‟étranger. Si les autorités monétaires veulent stimuler le développement par création monétaire cela peut entraîner un processus inflationniste ruineux et en l‟‟absence d‟une dévaluation, il peut en résulter une crise de la balance des paiements. Une autre tentation est celle relative à la surévaluation de la monnaie. Cela intervient quand on ne veut pas admettre une valeur moindre à sa monnaie 144 par rapport aux devises étrangères. Les prix trop bas des importations et des exportations (mesurés en monnaie locale) mènent à une crise de la balance des paiements. Puisque le pays n‟est pas dans une zone monétaire, il doit venir à bout de la crise par ses propres moyens en imposant des contrôles sévères sur l‟exportation, souvent sous forme de contingents. Ces crises des balances de paiements sont assez courantes avec leurs cortèges de contingentements qui pénalisent les secteurs industriels et agricoles et plus particulièrement leurs PME et PMI qui sont rarement contrôlées par les étrangers et qui sont souvent plus efficaces que les grandes firmes. Ces crises monétaires amènent souvent les gouvernements à se polariser sur les problèmes d‟ajustement de court terme au détriment des visions de long terme : les ministres et les hauts fonctionnaires sont tellement préoccupés par l‟élaboration de tactiques en vue d‟aménager la crise chronique de la balance des paiements, qu‟ils n‟ont presque pas de temps pour étudier une stratégie de développement. Section 2 : Les enjeux de la création d'un espace monétaire optimal en Afrique comme accélérateur de l'intégration. L‟étude de l‟optimalité et de la convergence économique en Afrique est arrivée à l‟heure de la mondialisation marquée par une turbulence extrême des marchés financiers dominants et l‟achèvement en Europe de la monnaie unique (l‟euro), particulièrement avec l‟harmonisation des politiques budgétaires. La démarche de l‟Union Européenne va nécessairement influencer en général l‟avenir monétaire de l‟Afrique ainsi que ses perspectives de développement. L‟évolution de l‟économie africaine s‟est illustrée à travers des performances économiques et sociales globalement modestes. Plus de deux décennies d‟application des PAS n‟ont point modifié fondamentalement le contexte d‟un espace économique et monétaire africain non optimal marqué par de profondes disparités. I/ Les critères de convergence, l’harmonisation des politiques et le système de surveillance multilatérale : les nouveaux déterminants de l’intégration. La mise en place des organisations d‟intégration a pour but d‟éliminer ces dissemblances, avec une plus grande mise en cohérence des politiques économiques entre les États membres afin de promouvoir le processus d‟intégration économique sur la base, d‟une part, des acquis importants du continent, et d‟autre part, du respect d‟un certain nombre de critères de convergence économique d‟ordre monétaire, budgétaire et financier. Même si les pays membres des unions économiques et monétaires africaines de la Zone Franc ne connaissent pas encore les efficiences attendues de l‟intégration économique et monétaire, ils ont tout de même entamé un processus de convergence de leurs économies de part et d‟autre des deux sous-régions d‟Afrique francophone avec l‟UEMOA et la CEMAC. Le processus de convergence connaît des avancées plus prononcées dans la zone UEMOA que dans celle de la CEMAC, même si cette dernière réalise de bien meilleures performances (mais non les meilleures harmonisations de politique économique) en terme de respect des critères de convergence économique retenus dans le cadre de la Surveillance multilatérale. Toutefois, ce processus de convergence demeure relativement lent ce qui nécessite de la part des pays membres, de gros efforts non seulement pour consolider les acquis favorisés par l‟ajustement de la parité de 1994, mais aussi 145 œuvrer dans le sens du respect des critères de convergence et de l‟harmonisation des politiques économiques. Cette double recommandation rentre dans le cadre d'un processus d‟intégration économique et monétaire stable et durable. C‟est dans cette perspective que s‟inscrit la nouvelle dynamique d‟intégration en Afrique de l‟Ouest, en Afrique centrale et tout récemment au niveau du Continent. L‟objectif visé à tous égards est de permettre aux pays africains de développer des avantages comparatifs et d‟améliorer leur compétitivité dans un environnement de mondialisation. Ceci traduit la nécessité de faire évoluer la question monétaire vers une stratégie de développement dont les Africains eux-mêmes auront à tenir les leviers. C‟est là le fondement de la création d‟un espace monétaire africain restructuré et guidé par des idées novatrices qui seraient empreintes d‟un esprit de responsabilité individuelle, impliquant profondément tous les acteurs. II/ Quels sont les enjeux liés à la création d'un espace monétaire africain restructuré ? S‟il apparaît que la croissance soutenue et régionalement équilibrée est l‟objectif majeur, ni les pays, ni les organisations d‟intégration ne pourraient continuer d‟accorder à la monnaie une place marginale. Dans un processus d‟intégration qui restructure les divers systèmes de production, le volet monétaire sous la forme d‟un système techniquement approprié aura au moins trois fonctions principales : de financement des opérations productives communautaires, de compensation multilatérale des soldes financiers entre partenaires, et de financement des difficultés de trésorerie d‟un pays membre. À cela s‟ajoute que dans une conjoncture de turbulence monétaire, comme c‟est le cas actuellement, les unions monétaires quelles que soient leurs formes, constituent un excellent moyen de maintenir ou même d‟élargir les échanges commerciaux. C‟est précisément la leçon que l‟on peut tirer de l‟organisation du Système Monétaire Européen (SME) institué depuis 1979 après les expériences du « Serpent Monétaire » qui s‟est achevé par la mise en place de la monnaie unique. La nouvelle institution, malgré ses imperfections, ses difficultés de fonctionnement parfois même ses blocages, est généralement admise et acceptée comme indispensable à travers les objectifs : de création d‟une zone de stabilité dans un ordre monétaire international en déconfiture, fluctuant et incertain ; de changement de contexte de la lutte contre l‟inflation dans l‟ensemble de la communauté ; d‟établissement des bases et fondements d‟une coopération monétaire, donc d‟un développement solidaire sous la double forme de l‟instauration des conditions de mise en commun des réserves de change et d‟accroissement des concours aux États membres ayant des problèmes de financement. L‟extrême poussiérisassions des zones et des statuts monétaires actuels face à l‟accentuation des déséquilibres macrofinanciers facilitent la satellisation à des zones monétaires extérieures au détriment de la recherche obstinée d‟une formule d‟intégration monétaire. Dès lors, le problème n‟est point pour les pays d‟Afrique de savoir si le SME ou un tout autre système est une bonne ou mauvaise affaire, mais plutôt de savoir plus exactement ce qu‟il faut faire pour établir les conditions de création et de fonctionnement d‟un Système Monétaire Régional (SMR). En effet, selon le mot de R. NURSKE, le capital doit être généré localement pour être un instrument qui facilite la production et l‟échange des biens et services. Personne aujourd‟hui ne met en doute ce principe, pas plus que ses implications dont la plus 146 importante est la nécessité de créer des institutions et des instruments financiers efficaces et diversifiés. L‟Afrique, en la matière, est caractérisée par l‟existence de plus d‟une trentaine de monnaies nationales différentes et d‟une pluralité de politiques et de régimes monétaires. Ces monnaies sont souvent rattachées à des monnaies étrangères sans possibilités de liens réciproques à cause des contrôles de change rendus obligatoires par l‟inconvertibilité. Ce cloisonnement est donc un obstacle au développement des échanges, mais aussi à l‟instauration d‟une politique monétaire et de crédit. Par ailleurs, l‟extrême variété des systèmes financiers n‟autorise pas encore l‟harmonisation des législations bancaires et celle des politiques de taux d‟intérêt. Quel système monétaire mettre en place ? Quelles en seraient les étapes de réalisation? Ces deux questions ont fait l‟objet de plusieurs réflexions et propositions(3) dont il faut rendre compte pour mieux avancer vers l‟établissement d‟institutions monétaires et financières qui centralisent les ressources et les traduisent en investissements productifs. L‟idée consiste à concevoir les conditions possibles de création en Afrique d'une zone monétaire (optimale) et stable. En effet, l'enjeu est de concevoir dans le continent, à partir de l'expérience institutionnelle des différentes tentatives d‟intégration économique, un réaménagement monétaire fondé sur des moyens et des orientations prioritairement africains en définissant les conditions préalables de respect de certains critères de convergence macro-économique, d'une part, mais aussi en redéfinissant nécessairement les espaces économiques à intégrer, d'autre part. La création dans les États africains de conditions de gestion optimale de la monnaie constitue le premier jalon de la souveraineté et de la responsabilisation des Africains dans la construction de leur société. Ceci est un préalable à la relance des économies par le rétablissement de la compétitivité et de la crédibilité extérieure, avec une autonomie d'initiative et une maîtrise des décisions et actions. Pour que ce projet puisse se réaliser, il faut commencer, dès à présent à apprendre aux africains à se démarquer de toute idée relative au maintien de ces multiples États (et monnaies). L'avènement de l'Euro dans la construction de l'Europe est une occasion (pour ne pas dire une chance) pour les africains en général, de réfléchir sur la manière de développer l‟Afrique. De ce fait, les africains ne sont-ils pas en train de "repousser à demain ce qu'il est opportun de faire aujourd'hui"? C'est-à-dire prendre leurs responsabilités dans la gestion de leur société. Toutefois, nous précisons que la volonté de prendre des responsabilités essentiellement africaines dans la gestion de leur monnaie est moins une rupture avec l'Europe ou les États-Unis d‟Amérique, qu'une nécessaire reformulation des accords de coopération qui deviendraient, désormais, réellement bilatéraux en permettant aux Africains de prendre conscience de l'opportunité que leur continent représente pour l'Europe et le monde en général. La peur de cette "rupture" (réarrangement) provient du fait que dans le cadre des relations entre l'Afrique et les autres pays développés en général, les opportunités (3) On peut citer les travaux de : S. AMIN : « Propositions pour une association monétaire des États de l‟Afrique de l‟Ouest » Colloque, Faculté de Droit Dakar, 25 mars Ŕ 2 Avril 1978. P. DESNEUF : « La chambre de compensation » Revue Africa n°89, Janvier 1977. « Afrique de l‟Ouest : la fin de la zone sterling », Africa n°89, Mars 1977. Problèmes monétaires en Afrique de l‟Ouest Mois en Afrique, Février, Mars 1980. O. BERTE : Contribution à la recherche d‟une stratégie d‟intégration en Afrique de l‟Ouest. Thèse de Doctorat, soutenue en Nov. 1985. Faculté des Sciences Économiques de Dakar, 713 p. 147 qu'offre le continent africain sont souvent passées sous silence, voire négligées par les africains eux-mêmes, contrairement à celles que présente le partenaire concerné. Cela crée et renforce la situation et l'esprit de dépendance qui freinent toute ambition de relance économique et de développement. III/ Les conditions de réussite d’une intégration monétaire en Afrique. La réussite d‟un espace monétaire africain dépendra nécessairement d'un certain nombre de mesures de politique économique. Il s'agira pour les futurs pays membres de respecter au préalable un certain nombre de critères de convergence macro-économique qui seront vigoureusement étudiés et suivis par tous les pays africains. Ces harmonisations préalables préconisées ont pour objectif l'assainissement du cadre macro-économique de l'espace à intégrer, l'accélération de l'intégration économique, politique et sociale du continent et la création de conditions appropriées permettant à l'Afrique de jouer le rôle qui est le sien dans l'économie mondiale et dans les négociations internationales. La réalité actuelle de l'espace africain est que le continent est constitué d'une multitude de micro-États hérités de la fameuse Conférence de Berlin (fin 1884 début 1885). Ceux-ci sont, de toute évidence, incapables d'atteindre séparément un niveau important de développement économique, culturel, social et politique. Très peu d'États disposent en Afrique de seuils considérables en termes d'espace géopolitique, de dimension de population, de ressources naturelles, de débouchés, etc., indispensables au développement socio-économique. De ce fait, l'incitation à la coopération régionale est le meilleur moyen pour contrebalancer les effets néfastes du partage de l'Afrique à Berlin et faire bénéficier au continent des complémentarités naturelles qui permettront aux pays africains de profiter des avantages de spécialisation et d'économie d'échelle. Cependant, le processus d'intégration régionale en Afrique a été souvent mal posé au départ. Le véritable problème repose sur le fait que l'espace économique intégré (ou à intégrer) des sous-régions ou régions du continent a été mal défini. De ce fait, les intégrations (ou tentatives d'intégration), sans fondements économiques majeurs et basées sur des modèles de développement copiés de l'extérieur, et donc inadaptés au contexte africain, sont vite vouées à l'échec ou au plus, enregistrent de maigres résultats. La problématique de la définition de l'espace à intégrer est moins une question de regroupement d'un maximum ou de la totalité des entités économiques existantes (plusieurs micro-États) qu'un souci de retrouver un "ensemble optimal". Ainsi, la dimension d'un vaste marché regroupant un maximum d'entités économiques n'est-elle pas moins importante que les conditions stables et appropriées permettant aux forces de ce marché de jouer pleinement dans le sens d'une relance des activités économiques et du développement? Cette question est d'autant plus fondée qu'aujourd'hui, nul ne doute que tout processus d'unification économique et monétaire nécessite un certain nombre d'étapes successives qu'il serait dangereux d'inverser, au risque de conduire l'intégration à l'inefficience ou à l'échec. Et cela, que l'on passe par des intégrations sous-régionales (Afrique de l'Ouest, Afrique de l'Est, Afrique centrale, Afrique du Nord et Afrique Australe, par exemple) ou régionales. Cette voie ainsi préconisée a l'avantage de mieux responsabiliser les participants à l'union économique et monétaire face à la gestion de leur monnaie et à 148 leur développement économique. Toutefois, c'est dans cette perspective que la vraie solidarité africaine, cette fois-ci différente de celle héritée des arrangements traditionnels post-coloniaux, devra faire preuve d'effectivité dans un esprit panafricaniste. La dynamique susceptible d'effet de stimulation et amplifiée à terme par le jeu de l'effet de groupe (ou de la dynamique de groupe) dépendra de la coopération renforcée (dans l'autonomie) entre les États africains. Cette dynamique (que nous qualifions de "prudente"), vise la réalisation d'une coopération monétaire intra-africaine suivant une gestion autonome et responsable, par les africains, de leur monnaie et donc des intérêts du développement de leur continent unifié. Cela nécessite de la part des dirigeants africains une souscription forte à la volonté de construction de l'Union Africaine (U.A.), et de leurs peuples une adhésion forte et confiante dans un esprit de nationalité africaine. IV/ Le schéma d’intégration monétaire de l’Union Africaine L‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine (UA) prévoit opportunément un ensemble d‟institutions monétaires et financières. Sans conteste, c‟est une notable avancée par rapport à la Charte de l‟OUA. Cependant, l‟intérêt et la faisabilité de ces institutions soulèvent beaucoup d‟interrogations. En effet, dans le contexte actuel de globalisation financière, le continent est confronté à une double contrainte : financière et monétaire. Toutes les économies africaines sont sous la coupe d‟un ajustement structurel dont l‟objectif principal est de garantir le remboursement de leur dette extérieure par les États majoritairement débiteurs (51 sur 53). Dans nombre d‟entre eux, le service de la dette absorbe plus d‟un tiers des ressources budgétaires. À cette contrainte s‟ajoute une seconde de nature monétaire. Les monnaies africaines appartiennent à une fresque de zones monétaires dont la plupart ne sont pas interconnectées par des systèmes de change. Autre situation : ces zones monétaires peuvent être arrimées à des monnaies fortes, ce qui implique des politiques monétaires et financières dépendantes. Dans un espace soumis à cette double contrainte financière et monétaire, et surtout composé d‟une telle mosaïque de zones monétaires et qui de surcroît, n‟ont défini entre elles aucun système de change, aucune règle de convertibilité et d‟émission monétaire, il est techniquement illusoire de parler de Banque Centrale. Une Banque Centrale est toujours au cœur d‟un dispositif de gestion d‟un actif financier émis en contrepartie des avoirs extérieurs et des créances sur les États et sur les économies. Cet actif, accepté comme équivalent général, repose d‟un côté sur les fondamentaux des économies et de l‟autre sur la confiance que K. ARROW considère comme une importante institution invisible. Aucun élément ne vient corroborer aujourd‟hui la moindre amorce d‟un processus de création d‟une Banque Centrale à l‟échelle africaine. Pourtant sur cette question, on dispose d‟une expérience édifiante qui est celle de l‟Union Européenne. Elle est pleine d‟enseignements sur les différentes étapes caractéristiques de la création d‟une monnaie unique et du dispositif technique qui peut y mener. L‟Europe monétaire a démarré en 1979 (écu) et s‟est accomplie en 2002 avec l‟émission de la monnaie commune. En réalité, l‟Écu n‟était pas une monnaie comme les autres : elle servait à mesurer la valeur des biens produits et échangés (fonction d‟étalon de valeur), ensuite, elle était peu utilisée comme moyen de paiement dans les transactions (fonction d‟intermédiaire) enfin, elle est une monnaie-panier dont la valeur est déterminée par les valeurs pondérées des 149 différentes monnaies de la Communauté. Avec le Traité de Maastricht, les modalités de mise en place d‟une monnaie commune sont entrevues à partir du Rapport Delors. L‟Euro sera émis par un organisme bancaire : la Banque centrale européenne. Sa valeur sera fonction des performances européennes ainsi que de la confiance qui lui sera accordée. C‟est dire que le processus de création d‟une Banque centrale est passé de l‟expérience difficile du «serpent monétaire», avec ses parités ajustables à la coordination des politiques monétaires nationales marquée par une gestion vigilante et rigoureuse de l‟inflation et des taux d‟intérêt. La première phase qui s‟est achevée le 31 décembre 1993 a consacré la fin des financements des déficits publics générés par la création monétaire dans les États membres. La seconde a débuté en janvier 1994 et s‟est achevé le 1er janvier 1999 avec l‟établissement de l‟interdépendance des Banques Centrales et la création de l‟Institut Monétaire Européen composé des gouverneurs des Banques Centrales des États membres. La troisième phase qui a démarré en janvier 1999 dans le respect des critères de convergence, du calendrier et des procédures établis par le Traité de Maastricht sera aussi marquée par la fixation irrévocable des parités entre les monnaies des pays adhérents, la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire unique, la conduite d‟une politique de change et l‟utilisation de l‟euro sur les marchés de change, l‟émission par les États membres des nouveaux titres négociables de la dette publique en euro et la disparition de l‟écupanier officiel. Cette expérience de l‟Union Européenne montre que si l‟objectif est de réaliser une monnaie unique africaine, ce que préfigure la création d‟une Banque Centrale, cela devrait passer impérativement par une rigoureuse harmonisation des politiques économiques, monétaires et financières et établie à partir de critères de convergence. Au demeurant, la monnaie est à la fois un excellent facteur d‟accélération de la croissance et des échanges au sein de l‟Union, et de clarification des conditions de la compétition. Elle est aussi un facteur de rayonnement et de puissance sur la scène internationale. Toutefois, mal gérée, elle devient un facteur de désintégration et de rupture. Elle est donc trop importante pour être évoquée de façon aussi laconique qu‟elle l‟a été dans l‟Acte Constitutif (Article 19). Si la volonté politique existe de créer effectivement une Banque Centrale, des réponses claires sous forme d‟orientations, de dispositifs, de procédures et de chronologie de mise en œuvre devraient être apportées aux questions fondamentales suivantes : pourquoi une Banque Centrale ? Quelle sera l‟architecture financière d‟ensemble ? Quels seront les fonctions, les principes et les règles de l‟émission monétaire et les déterminants de la politique monétaire? Quel sera le degré d‟indépendance de la Banque Centrale Africaine par rapport aux autorités monétaires nationales? La Banque Centrale étant le prêteur en dernier ressort, quelle politique de crédit sera appliquée? Quel est le chronogramme préparatoire à la phase opérationnelle ? Ces questions techniques et bien d‟autres appellent des préalables politiques sur lesquels les décideurs doivent au moins se prononcer avec clarté. Il est vrai que la Nouvelle Initiative Africaine souligne et insiste sur la nouvelle volonté politique des décideurs qui veulent ramener l‟économie et le partenariat au rang des urgences prioritaires. 150 CHAPITRE 20: DU RECOURS À LA DETTE AU PIÈGE DE L’ENDETTEMENT « Si on prend une position trop laxiste comme l’ont fait les banques privées pendant la décennie 1974-1984, en prêtant aux pays endettés ce qu’il leur fallait pour rembourser leurs emprunts précédents, on crée une spirale infernale d’augmentation de la dette qui, un jour ou l’autre fera exploser le système, aussi bien au niveau des pays endettés que des pays créanciers. On est donc contraint de cheminer sur une ligne de crête en essayant de ne pas basculer dans l’une ou l’autre de ces deux précipices : accorder trop peu de crédits au Tiers-Monde, c’est l’étrangler à court terme dans son développement ; accorder trop de crédits au Tiers-Monde, c’est l’étouffer à long terme dans son endettement ». L. STOLERU144 Tous les Pays en voie de développement (PVD) font de la croissance économique un objectif à la fois majeur et prioritaire. Encore convient-t-il de préciser qu'ils veulent une croissance rapide. Le taux doit être le plus élevé possible compte tenu des ressources dont ils peuvent disposer. Cette croissance doit en outre être continue, régulière et indemne autant que possible des fluctuations excessives en baisse comme en hausse. Enfin, elle doit être équilibrée. Le moyen qui s'impose pour atteindre ces objectifs est l'investissement. En effet, le taux de croissance est une fonction du taux d'accumulation du capital ou encore du taux d'investissement. Plus l'investissement sera élevé, plus la croissance sera forte. En plus, elle ne sera équilibrée que si le volume d'investissement est le même que celui de l'épargne. Par conséquent, une croissance rapide et équilibrée nécessite un volume suffisant d'épargne pour financer l'investissement. En clair, le problème de la croissance dans les PVD devient avant tout un problème d'épargne. En se référant à la corrélation entre la croissance du PIB et celle de l‟épargne, selon laquelle « dans un pays où le taux de croissance du PIB est faible, généralement inférieur à 5%, le taux d‟épargne interne baisse », on peut conclure à un taux d‟épargne faible dans les pays en développement. Dans ces conditions, les énormes besoins de ressources complémentaires nécessaires pour le financement des investissements, doivent donc être recherchés à l‟extérieur sous trois sources les emprunts, les aide et dons (APD), les investissements directs étrangers (IDE). La conclusion qui vient d‟être dégagée amène à examiner ces trois formes de financement du développement mobilisées pour combler l‟important fossé qui existe entre les niveaux des investissements projetés et de l‟épargne intérieure. 144 L.STOLERU : L‟ambition internationale, Édit. du Seuil, 1987, p 174 151 Section 1 : Dette et développement : Corrélation endettement et croissance L‟emprunt extérieur a pendant longtemps été considéré comme une source de financement des déficits internes et externes (modèles à doubles déficits de CHENERY et STROUT, 1966). Au niveau interne, le déficit renvoie à l‟insuffisance de l‟épargne intérieure qui doit financer les besoins d‟investissement. Au niveau externe, il s‟agit de trouver les ressources nécessaires au financement du solde déficitaire de la balance courante. Certains économistes ont montré que l‟exportation de capital et l‟endettement rythment le développement des pays qui passent selon l‟étapisme dégagé par KINDELBERGER « de pays emprunteurs à une situation de pays débiteurs mûrs » Dans cette ligne d‟analyse, avec de l‟exportation du capital, les « étapes naturelles du développement » s‟établissent comme suit : Pays importateur de capital est le stade premier de tout pays qui commence à se développer avec l‟aide du capital étranger, la production des matières premières et de denrées agricoles Pays devenu grand importateur de capital, après une augmentation du volume des capitaux empruntés, ceux-ci commencent à diminuer graduellement alors qu‟augmentent les exportations ce qui va permettre l‟amortissement du capital et le paiement des intérêts. À ce stade les importations de biens d‟équipements, les investissements dans les infrastructures de base et les exportations de matières premières sont équilibrées. Le pays entreprend alors à développer son industrie Pays qui devient exportateur de capital. À ce stade le pays présente un caractère industriel et l‟importance de son agriculture diminue. Il développe alors les exportations de biens industriels et commence à exporter des capitaux. Pays à nouveau importateur mûr de capitaux Nombre de pays ont donc recours à l‟épargne externe pour couvrir leurs besoins de consommation et d‟investissement. De ce fait, le financement extérieur vient s‟ajouter aux recettes d‟exportations pour autoriser des niveaux de dépenses supérieurs aux revenus réels permanents des économies endettées. Ainsi, le boom des recettes d‟exportations tirées du pétrole a dirigé au delà même de ces recettes d‟importants flux de capitaux vers les pays qui en ont bénéficié. Comme le dit l‟adage, “ on ne prête qu‟aux riches !” JARRET et MAHIEU [1991] montrent, à travers l‟exemple de la Côte-d‟Ivoire, que ces apports de capitaux bénéficient également à des pays rentiers non pétroliers. Les mouvements de capitaux sont en effet guidés par les variations de taux d‟intérêt, qui découlent elles-mêmes de la rareté relative du capital. Depuis le début des années 1980, à la suite notamment des chocs pétroliers de la décennie précédente, nombre de pays africains ont été confrontés à divers problèmes d‟ordre macro-économique : déficits budgétaires, déficits de la balance des paiements, inflation. Ceci a conduit à l'élaboration de programmes d'ajustement structurel avec les institutions de Bretton Woods. Ces programmes, qui avaient sans doute sous-estimé l'amplitude du problème, partaient de l'idée que l'équilibre macroéconomique constituait un objectif structurel de base en dehors duquel aucune action de développement n'était possible. Par ailleurs, l'ampleur des déficits impliquait des actions vigoureuses : si les partenaires financiers acceptaient de contribuer sur le court terme, ils souhaitaient en contrepartie que des politiques économiques rigoureuses soient adoptées par les États car le financement extérieur ne pouvait être 152 assuré de manière durable. Cette formule procurait aux pays pauvres une aide de trésorerie substantielle et des financements pour leurs programmes de réforme, mais le stock de leur dette ne cessait de croître. En conséquence, les paiements au titre du service de la dette des pays pauvres très endettés sont passés en moyenne de l‟équivalent d‟environ 17% des recettes d‟exportation en 1980 à un sommet d‟environ 30% en 1996 (R. POWELL, 2000). C'est dans ce contexte que la première initiative de réduction de la dette a été prise en 1996 par les pays développés ; l'initiative devait ensuite prendre davantage d'envergure en juin 1999 à la réunion du G7 de Cologne. En septembre de cette même année, a pris corps et s'est structurée l'idée que les ressources dégagées annuellement par les pays du fait de la réduction de leur dette devaient être investies dans des actions et programmes visant à une réduction substantielle de la pauvreté dans les pays concernés. Il a été décidé que le cadre stratégique pour la réduction de la pauvreté serait le document de référence pour toutes les actions en faveur des pays en voie de développement et que ce document serait un produit national élaboré par les gouvernements de ces pays, mais en large concertation avec les acteurs concernés et la société civile. Pour certains, l'initiative PPTE a déjà eu un impact positif sur les pays pauvres lourdement endettés. 24 pays avaient atteint le point de décision et pouvaient bénéficier d'un allégement intérimaire. Quelques-uns seulement d'entre eux avaient atteint le point d'achèvement. La plupart de ces pays se situent en Afrique subsaharienne. Pour d‟autres par contre, des efforts restent à faire eu égard aux objectifs même de croissance et de réduction de la pauvreté. À cet effet, il existe une grande diversité de thèmes relatifs au problème d‟endettement africain, et mieux à la gestion de la dette africaine dans le cadre PPTE. La présente réflexion s‟inscrit sous cet angle. L‟emprunt extérieur permet ainsi de desserrer certaines contraintes intérieures. Il donne la possibilité de différer des mesures de politique économique impopulaires, comme l‟augmentation de la pression fiscale. Les mouvements de capitaux sont également considérés comme des mécanismes de transmission de la croissance à travers la substitution progressive de l‟épargne locale aux flux extérieurs de capitaux. En fait, de tels modèles nous incitent à nous interroger sur le niveau d‟endettement extérieur compatible avec le taux de croissance de la production. En d‟autres termes, il s‟agit de déterminer les conséquences du financement extérieur sur la croissance et l‟équilibre de la balance des paiements. La réponse la plus ancienne à cette question constitue la “ théorie des stades de la balance des paiements ” [CAIRNES, 1874 ; BASTABLE, 1899]. Selon elle, les économies passent par quatre phases successives qui marquent la transformation à terme des pays nouvellement emprunteurs en pays prêteurs évolués. 153 Tableau 7 : Les quatre stades de la balance des paiements Situation du pays Pays Pays Pays Pays prêteur Stades de la balance des nouvellement emprunteur nouvellemen Evolué paiements emprunteur évolué t prêteur Balance commerciale Négative Positive Positive Négative Balance des revenus Négative Fortement Négative Fortement négative puis positive positive Balance des capitaux Positive Positive Négative Négative Balance interne (S - I) Négative Positive Positive Négative Note : La balance interne ne comprend que l‟épargne domestique sur le revenu intérieur. Les signes de la balance commerciale et de la balance interne sont identiques, puisque S - I = X - M. Les modèles tirés de cette théorie reposent donc sur l‟hypothèse que le financement extérieur est destiné à l‟investissement productif. En vertu des modèles de croissance HARROD-DOMAR, il n‟y a pas de substitution entre les facteurs de production : l‟offre de travail est parfaitement élastique, la croissance ne dépend donc que de la croissance du stock de capital. Le financement extérieur vient combler le déficit extérieur (déficit de la balance courante, auquel s‟ajoute le service de la dette extérieure). Ainsi, les épargnes internes et externes sont considérées comme complémentaires. Or, dans de nombreux cas, la relation négative entre l‟épargne interne et les flux financiers internationaux est démontrée. Par ailleurs, on suppose que les capitaux extérieurs financent l‟investissement interne. Cette dernière hypothèse ne se vérifie pas toujours. Dans bien des cas, le financement extérieur est venu combler le déficit budgétaire ; il en est ainsi dans bien de pays africains. Aussi bien, cela peut signifier qu‟il existe des niveaux d‟endettement plus ou moins soutenables. Au-delà d‟un certain seuil, les emprunts nouveaux permettent seulement, dans le meilleur des cas, de rembourser les emprunts passés. Au pire, ils ne permettent même plus d‟assurer le service de la dette. C‟est l‟effet “ boule de neige ”. Quand le taux d‟intérêt de l‟emprunt est supérieur au taux de croissance de l‟économie, le poids de la dette dans le PNB s‟accroît indéfiniment. Dès lors, il devient essentiel d‟évaluer le niveau d‟endettement que peut supporter une économie. Pour cela, on peut utiliser des critères simples, tels que les ratios suivants : Endettement total sur PNB. Si le ratio est inférieur à 30 %, alors Ŕ selon le FMI Ŕ le pays est faiblement endetté. Endettement sur recettes d’exportations de biens et services. Si ce ratio est inférieur à 165 % Ŕ toujours selon le FMI Ŕ, le pays n‟a pas atteint un niveau d‟endettement inquiétant. Service de la dette sur recettes d’exportations de biens et services. Si le pays consacre annuellement plus de 30 % de ses recettes d‟exportations de biens et services à rembourser le capital et les intérêts, il est dans une situation financière difficile. Si le service de la dette absorbe moins de 18 % des recettes d‟exportations, la situation financière a toutes les chances d‟être saine. Service de la dette sur PNB. Ce ratio mesure la part des richesses produites par un pays qui sera prélevée pour être versée à l‟extérieur. Ainsi lorsque le service de la dette dépasse 4 % du PNB et 18 % des recettes d‟exportations, l‟emprunteur aura des difficultés à remplir ses obligations. Charge des intérêts sur recettes d’exportations de biens et services. Ce ratio n‟a de sens que lorsque les pays emprunteurs ne remboursent plus ou partiellement le capital emprunté. Du fait des rééchelonnements, le service de 154 la dette se limite aux versements des intérêts ; et si ces versements dépassent 20 % des recettes d‟exportation, le pays se trouve dans une situation financière difficile. Encadré 12 : S’endetter pour décoller : l’exemple Corée du Sud. Le décollage économique de la Corée du Sud est considéré comme un succès, le PNB passant de 300 $ par habitant dans les années 60 à 2 000 vers 1978. Ce résultat est du en grande partie aux capitaux étrangers et à leur mise en œuvre dans les plans de développement successifs. En 1962, le premier plan quinquennal a été orienté vers les objectifs suivants : Augmenter massivement le PNB par le développement des activités exportatrices ; Recourir aux capitaux étrangers et contenir l‟évolution des salaires pour affûter la compétitivité Ŕ prix ; Equilibrer l‟investissement dans les industries de biens d‟équipement et dans les industries de biens de consommation ; Donner un rôle important à l‟État dans la conception et l‟application de ce programme sans subir de contrainte d‟aucun organisme international. La Corée du Sud s‟est donc trouvée parmi les pays les plus endettés du monde au début de la décennie 1980 mais la croissance du PIB atteignait 5 à 10% par an, l‟inflation était maîtrisée, l‟épargne intérieure se développait et les excédents commerciaux se consolidaient. Source : André LOUAT : Le Sous-développement, stratégies et résultats Section 2 : Endettement africain : processus de formation et historique de sa gestion. Le problème de l'endettement des pays en voie de développement trouve ses racines dans la fin des années 1960. Ces pays ont connu dans cette période des taux de croissance élevés compris entre 4 et 8% s‟expliquant par la conjoncture mondiale favorable d‟alors (M. MASSE, 1992). Encouragés par un tel contexte, la plupart des pays se sont endettés pour financer leurs investissements. La dette permettait de réaliser des taux de croissance élevés. Elle soutenait aussi le commerce mondial, fortement déprimé. Quand, vers la fin des années 1970, la situation favorable à une croissance rapide s'est détériorée, les pays en voie de développement ont continué de s'endetter; les capitaux empruntés servaient de moins en moins à financer les investissements, mais couvraient principalement les déficits de la balance des paiements courants et les déficits budgétaires. Le cercle vicieux de l'endettement s'était installé. La diminution rapide des recettes d'exportation des pays endettés et l'élévation des taux d'intérêt réels ont fini par rendre patent l'échec de ce système d‟endettement. Après avoir connu un vent de panique en 1982, à la suite de la défaillance du Mexique, les créanciers occidentaux ont développé plusieurs systèmes pour augmenter la sécurité de leurs créances. Parmi ces mesures, la première fut un quasiarrêt des flux de prêt, notamment privés, à destination des pays en voie de développement. Ainsi, depuis le milieu des années 1980, la somme des flux financiers en provenance des pays en voie de développement à destination des pays occidentaux 155 est devenue supérieure à la somme des flux dans le sens inverse. Le tableau 1 résume en général l‟évolution de la situation d‟endettement des pays Africains. Tableau 8 : Évolution des ratios d’endettement 1°) La gestion de la dette : les mesures classiques Les ressources empruntées n‟ont pas toujours servi à des investissements productifs, mais plutôt soit à financer des consommations ou des projets impertinents parfois sans réelle utilité, soit à alimenter la corruption. Une part non négligeable des recettes d‟exportations des pays endettés est transférée tous les ans vers les pays du Nord. Il semble difficile voire inacceptable que les pays du TiersMonde continuent à payer les intérêts alors que ce prélèvement sur leurs ressources pèse lourdement sur leur capacité à investir et sur leurs niveaux de vie. Par ailleurs, cet endettement excessif a pour conséquence de créer un climat d‟incertitude qui encourage les sorties de capitaux et décourage les arrivées d‟investissements directs étrangers ou le retour des capitaux enfuis. Enfin, l‟endettement pose un problème d‟équité et de justice, car ceux qui remboursent (les populations rurales et urbaines) ne sont pas les principaux bénéficiaires des projets financés par la dette. Face au surendettement de certains pays et à leur incapacité à faire face aux échéances, différents mécanismes ont été mis en place : Les PAS se manifestent par une déflation de la demande intérieure (publique et privée), une réduction des déficits budgétaires, une amélioration de l‟équilibre de la balance des paiements courants. Pour cela, il faut freiner la 156 progression des salaires de la fonction publique et assainir la situation financière des entreprises publiques et parallèlement, par des mesures fiscales et/ou monétaires, encourager l‟épargne intérieure et limiter la consommation de biens de luxe généralement importés. Si les PAS ont connu beaucoup de revers, elles ont permis quand même à l‟Afrique d‟avoir un meilleur contrôle de sa dette qui l‟entrainait dans un cercle vicieux. Entre 1993 et 2003, cette dernière n‟a augmenté que de 0,3 % contre 6,4 % entre 1982 et 1992. En outre, la progression du service de la dette a baissé. Son taux de croissance moyen entre 1993 et 2003 est même négatif (-0,5 %).145 Tableau 9 : Dette extérieure de l’Afrique de 1982 à 2003 Année 1982 Montant de la dette en 162.942 millions de $ 1992 1998 2002 2003 Taux de croissance moyen en % entre 82-92 Taux de croissance moyen en % entre 93-03 287.639 309.040 293.318 296.844 6,4% 0,3% Source : BAD, Rapport sur le développement en Afrique, année 2004 Le Club de Paris regroupe la plupart des créanciers bilatéraux au sein des pays industrialisés. Les réunions du Club de Paris ont commencé en 1956 ; elles consistent en des négociations sur les restructurations de dette entre les créanciers et les débiteurs. Jusqu‟à la fin des années 1980, le problème de la dette était considéré comme une crise de liquidité, et les mesures adoptées consistaient en un rééchelonnement des échéances. À partir de la fin des années 1980, devant l‟enlisement de nombreux pays dans la crise de la dette, les objectifs du Club de Paris ont évolué : il ne s‟agit plus uniquement de rééchelonner la dette, mais aussi de la réduire et d‟apporter de l‟aide aux pays les plus pauvres. Les créanciers du Club de Paris ont donc adopté des programmes de réduction de dette : termes de Toronto (1988), de Londres (1991), de Naples (1994) et de Lyon (1996) ; Les rééchelonnements sont des aménagements négociés des échéances de remboursement. Des délais de grâce sont alors accordés sans que les intérêts ne continuent de courir. Le Club de Londres regroupe les créanciers privés (principalement les banques) engagés envers les pays endettés. Au sein de ces pays, la part de la dette bancaire est assez faible. Les principaux mécanismes de réduction de la dette bancaire consistent en un rachat de créances ou en des réductions de l‟encours et du service de la dette, ces opérations étant appuyées par des crédits spéciaux de l‟Association internationale de développement (AID); Les créanciers multilatéraux ont, d‟une part, élaboré des programmes d‟ajustement structurel et, d‟autre part, augmenté leurs financements concessionnels aux pays en développement par l‟intermédiaire des organismes spécialisés : la Facilité d‟ajustement structurel renforcé (FASR), mise en place par le FMI, et l‟AID, mise en place par la Banque mondiale. Les rachats de dettes “ debt buy backs ”. L‟emprunteur rachète la dette en profitant d‟une décote qu‟elle subit sur le marché secondaire des dettes. Il évite 145 BAD, Rapport sur le développement en Afrique, année 2004 157 à l‟avenir d‟avoir à verser les intérêts afférents à la dette et à rembourser la totalité du capital emprunté. En revanche, cet achat s‟opère en devises car le prêteur souhaite que le remboursement se fasse dans la monnaie d‟emprunt ou tout au moins en monnaie convertible. C‟est l‟importance du coût en devises pour le pays endetté qui limite le nombre de ces rachats. Plus la décote est élevée, moins l‟effort demandé à l‟emprunteur est grand. Ainsi, la banque créancière qui récupère de “ l‟argent frais ” assainit son bilan mais subit une perte d‟actifs équivalant à la décote. Le rachat-conversion en actifs réels “ debt equity swap ”. L‟emprunteur échange une créance contre une participation dans une entreprise publique ou, plus généralement, il rachète en monnaie locale et, avec la somme reçue, la banque investit dans le pays ou prend des participations dans des établissements financiers locaux. Cette opération met en relation une banque, un pays emprunteur et un investisseur. Les conversions en obligations “ exit bonds ”. Ce sont des obligations échangées sur la base d‟une décote contre un titre généralement libellé dans la même devise que la dette. Leur durée est longue, de l‟ordre d‟une vingtaine d‟années. Ces titres sont souvent négociables c‟est-à-dire qu‟ils peuvent être vendus librement sans l‟accord de l‟émetteur à toute personne morale ou physique désireuse de les acquérir. La réduction des intérêts ne s‟applique en général qu‟aux dettes non concessionnelles. Elle s‟opère si les pays du Nord consentent à octroyer des subventions aux banques qui acceptent de réduire leurs intérêts. L‟annulation des créances. 2°) Les initiatives pré-PPTE d’allégement de la dette Dans un premier temps les stratégies de sortie de crise mises en œuvre ont pris la forme de rééchelonnement de la dette appliqué au cas par cas. La démarche adoptée reposait sur l‟hypothèse selon laquelle les difficultés auxquelles les pays africains étaient confrontés étaient assimilables à une crise passagère de liquidité. Par la suite un cadre harmonisé a été mis en place pour accorder le même traitement aux pays débiteurs ayant la même nature de problèmes d‟endettement. Ainsi il y a eu une évolution dans les termes appliqués aux pays débiteurs à faibles revenus. En 1987, les termes dits de Venise furent institués et plusieurs pays africains bénéficièrent ainsi de rééchelonnements avec des périodes de paiement plus longues assorties de délais de grâce à des taux d‟intérêt relativement bas par rapport aux taux originaux. Les termes de Toronto qui ont été définis ensuite en 1988 furent appliqués aux pays à faibles revenus éligibles aux crédits IDA. En plus des termes appliqués selon les termes de Venise, des annulations partielles à hauteur de 33% du service de la dette furent accordées. En 1990, les termes de Houston ont été mis en place pour les pays africains à revenu intermédiaire. Ces conditions leur ont permis de bénéficier de différé de paiement en lieu et place de réduction de dette. La dette du Nigeria fut ainsi rééchelonnée sur la base de ces termes à plusieurs reprises. En 1991, les termes de Londres ont été formulés. Ils permettent de bénéficier d‟une réduction de 50% du service de la dette ainsi que d‟autres traitements assurant un étalement des paiements au titre du service de la dette. 158 Les termes de Naples furent adoptés en 1994 pour les pays pauvres lourdement endettés. Ces termes permettent une annulation de 67% de la valeur actualisée applicable aussi bien sur les stocks que sur les flux, en fonction de la situation de la balance des paiements de chaque pays. Par ailleurs, la crise de la dette n‟a pas épargné les pays à revenu intermédiaire parmi lesquels on retrouve en particulier la Côte-d‟Ivoire et le Nigéria. En ce qui concerne cette catégorie de pays, les États-Unis ont proposé des solutions de sortie de crise, à travers le Plan Baker et le Plan BRADY. Le Plan BAKER, proposé en 1985 par le Secrétaire d‟État américain au Trésor, James BAKER, avait pour but de réduire le service de la dette des pays à revenu intermédiaire. Ce plan comportait trois éléments essentiels : la mise en œuvre d‟un programme d‟ajustement par le pays débiteur ; une augmentation substantielle des crédits bancaires accordés à ces pays pour accompagner les efforts d‟ajustement ; une surveillance permanente par le FMI couplée avec des volumes importants de nouveaux emprunts provenant des banques multilatérales de développement. Devant les limites du Plan Baker, un nouvel instrument fut mis en place : le Plan Brady, du Secrétaire d‟État américain au Trésor à l‟époque, Mr Nicholas F. Brady. Cette nouvelle stratégie visait à réduire le service de la dette commerciale des pays ayant accepté d‟appliquer des réformes économiques importantes. Le Plan en question préconisait surtout des méthodes de réduction du service de la dette basées sur le marché financier et a servi de catalyseur pour une forte croissance économique dans les pays dits émergents. Parmi les pays africains, seul le Nigéria a eu à en bénéficier. L‟application de tous les mécanismes de réduction de la dette ci-dessus évoqués est faite parallèlement avec l‟adoption de programmes d‟ajustement structurel et de stabilisation macro-économique en collaboration avec les institutions de Bretton Woods. 159 Tableau 10 Dans l‟ensemble, ces différentes stratégies n‟ont pas permis aux pays africains de sortir de la crise de la dette extérieure. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), le service de la dette extérieure des pays africains représentait 23,9% et 26,6% de leurs recettes d‟exportations de biens et services non facteurs, respectivement en 1988 et en 1995. Le niveau élevé du service de la dette a engendré, dans certains cas, une situation d‟insolvabilité. 160 En outre, ces différentes initiatives excluaient la dette multilatérale contractée à l‟égard des institutions financières internationales telles que le FMI et la Banques mondiale. Leur portée s‟en est trouvée limitée, la dette multilatérale ayant, au fil du temps, représenté une part croissante de la dette des pays africains. Ce qui était considéré comme un problème de liquidité se révéla être un problème de solvabilité, voire un problème de développement global. C‟est ainsi qu‟au milieu des années 1990 précisément en 1996, un nouveau dispositif a été mis en place par le FMI et la Banque Mondiale : il s‟agit de l‟initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Section 3 : L’initiative en faveur des PPTE La persistance des difficultés de remboursement de la dette extérieure des pays à faible revenu a conduit en 1996 la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, suite aux propositions du G7 au sommet de Lyon, à créer un nouveau mécanisme pour alléger l‟endettement des pays les plus pauvres, intitulé “ Initiative en faveur des pays pauvres très endettés ”, qui vient s‟ajouter aux mécanismes traditionnels de retraitement de dette. En juin 1999, le sommet du G7 à Cologne, a élaboré les grandes lignes d‟une amélioration de ce dispositif dont certains aspects, comme la sévérité de ses critères d‟éligibilité, sa lenteur d‟exécution ou sa trop faible ampleur, étaient critiqués. I/ Présentation de l’initiative Il est largement reconnu que l'endettement extérieur d'un certain nombre de pays à faible revenu, africains pour la plupart, est devenu extrêmement difficile à gérer. Même les mécanismes classiques de rééchelonnement et de réduction de la dette, alliés à des apports continus de financement concessionnel et à la poursuite de politiques économiques saines, n‟ont pas suffit pour ramener l'endettement extérieur de ces pays à un niveau supportable dans des délais raisonnables. En septembre 1996, le FMI et la Banque mondiale ont lancé un programme pour remédier à cette situation : l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Cette initiative vise à fournir une assistance exceptionnelle aux pays admissibles mettant en oeuvre des politiques économiques saines pour les aider à ramener la charge de leur dette extérieure à un niveau tolérable. Le but de l‟initiative PPTE est d‟encourager les politiques sociales en vue de réduire la pauvreté et de sortir définitivement les pays des rééchelonnements successifs de dette. Pour atteindre un niveau de dette soutenable, l‟initiative PPTE envisage une réduction de la dette des créanciers multilatéraux, ce qui rompt avec les mécanismes dits traditionnels où les annulations ne concernaient que la dette bilatérale. L'initiative constitue un dispositif global de réduction de la dette des pays pauvres qui requiert la participation de tous les créanciers. Elle vise à garantir qu'aucun pays ne soit confronté à une charge d'endettement intolérable. Pour bénéficier de l'initiative, les pays doivent s'engager à poursuive leurs efforts d'ajustement macroéconomique et de réforme des politiques sociales. Il s'agit en outre d'obtenir des financements supplémentaires pour les programmes sociaux, surtout en matière de santé et d'éducation de base. 161 II/ Fonctionnement et éligibilité Tous les pays qui sollicitent une aide au titre de l'initiative PPTE doivent passer par deux étapes: Première étape Pour pouvoir bénéficier d'une assistance, un pays doit adopter des programmes d'ajustement et de réformes appuyés par le FMI et la Banque mondiale et établir des antécédents satisfaisants. Durant cette période, il continuera à recevoir l'aide concessionnelle classique de tous les bailleurs de fonds intéressés, y compris les institutions multilatérales, ainsi qu'un allégement de dette de la part des créanciers bilatéraux (dont le Club de Paris). Au terme de la première étape, on procède à une analyse du degré d'endettement du pays pour déterminer s'il est ou non tolérable (point de décision). Si le ratio valeur actualisée nette146 de la dette extérieure/exportations dépasse 150 %, après application des mécanismes classiques d'allégement de dette, le pays peut être admis à recevoir une aide au titre de l'initiative. Dans le cas particulier des économies très ouvertes (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) ayant une charge d'endettement très élevée par rapport aux recettes budgétaires, le ratio valeur actualisée nette de la dette/exportations retenu comme objectif peut être fixé en dessous de 150 %. Dans ce cas, l'objectif retenu pour le ratio valeur actualisée nette de la dette/recettes budgétaires est de 250 % au point de décision. Deuxième étape Une fois déclaré admissible à une aide au titre de l'initiative, le pays doit continuer de donner la preuve qu'il exécute comme il convient les programmes soutenus par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette seconde période n'est pas limitée, mais dépend de la mise en œuvre satisfaisante des réformes structurelles clés convenues au point de décision et du maintien de la stabilité macroéconomique, ainsi que de l'adoption et de l'exécution d'une stratégie de réduction de la pauvreté élaborée selon un vaste processus participatif. L'emploi de dates «flottantes» pour le point d'achèvement permettrait aux pays performants de parvenir plus rapidement à ce stade. Durant la deuxième étape, les créanciers bilatéraux et les banques commerciales sont généralement censés rééchelonner les obligations venant à échéance en accordant une réduction atteignant 90 % de la VAN. III/ Les limites de l’initiative PPTE. L‟initiative PPTE permettra, selon les estimations du FMI, de réduire la dette des 26 pays éligibles de 12.5 milliards de dollars en VAN de 1998 au point d‟achèvement (voir tableau 2). Ce chiffre représente (toutes choses étant égales par ailleurs) 9.1% de la VAN des 41 PPTE (en excluant le Liberia, la Somalie et le Soudan) en 1997. Sur ce montant, la part des créanciers multilatéraux a été estimée à 6.2 milliards de dollars (4.5% de la VAN) dont 2.4 milliards pour la Banque mondiale (1.7% de la VAN), 1.2 milliard pour le FMI (0.9% de la VAN) et le reste pour les autres institutions multilatérales. Les créanciers bilatéraux et commerciaux participeront à hauteur de 6.3 milliards de dollars (4.6% de la VAN). La valeur nominale du stock de la dette ne donne pas une idée exacte de la charge de l'endettement extérieur d'un pays si une fraction non négligeable est concessionnelle, c'est-à-dire assortie de taux inférieurs à ceux du marché. La valeur actualisée nette (VAN) de la dette rend compte de son degré de concessionnalité. Elle est égale à la somme de toutes les obligations futures au titre du service de la dette existante (principal et intérêts), à laquelle on applique un taux d'actualisation égal au taux d'intérêt du marché. Lorsqu'un prêt est assorti d'un taux d'intérêt inférieur à celui du marché, la VAN de la dette qui en résulte est inférieure à sa valeur nominale, l'écart représentant l'élément de don. 146 162 Tableau 11 : Estimation des coûts de l’initiative PPTE Tableau 2 : Coûta de l’initiative PPTE en milliards de dollars, en VAN de 1998 pour les PPTE (le Libéria, la Somalie et le Soudan sont exclus) L‟initiative PPTE devrait permettre, selon les estimations du FMI, de réduire la dette des 26 pays éligibles de 12,5 milliards de dollars en VAN (valeur actuelle nette) de 1998 au point d‟achèvement. La VAN se présente comme une méthode de calcul de ce que valent aujourd‟hui, les remboursements futurs dus au titre de la dette. Encadré 13 : La VAN de la dette Les institutions internationales analysent l‟endettement des pays pauvres sur la base de la valeur actuelle (ou actualisée) nette (VAN), et non sur celle de leur valeur nominale (le véritable montant des prêts). La VAN est un moyen de calculer ce que valent, aujourd‟hui, les remboursements futurs dus au titre de la dette. Le lien entre le présent et le futur est le taux d‟intérêt. Le calcul de la VAN consiste à chercher le montant actuel de la dette de telle sorte que, si on lui applique le taux d‟intérêt du marché aujourd‟hui, on obtient le montant total des remboursements futurs. Comme les pays les plus pauvres bénéficient de prêts à taux d‟intérêt bien plus faibles que ceux du marché, la VAN de leur dette est très inférieure à sa valeur nominale. Ce qui permet d‟avoir une idée plus juste du coût des réductions de la dette. En général, les principales critiques adressées à l‟égard de l‟Initiative PPTE se résument à son insuffisance, un service de la dette important qui risque d‟absorber une bonne partie des dépenses sociales, la restriction des critères d‟admissibilité excluant certains pays très endettés, la longue période durant laquelle le pays doit appliquer des mesures avant de pouvoir bénéficier d‟une réduction de dette (A. Joseph, 2000). L‟initiative PPTE devrait permettre, selon les estimations du FMI, de réduire la dette des 26 pays éligibles de 12,5 milliards de dollars en VAN (valeur actuelle nette) de 1998 au point d‟achèvement. La VAN se présente comme une méthode de calcul de ce que valent aujourd‟hui, les remboursements futurs dus au titre de la dette. 163 1°) Beaucoup d’appelés et peu d’élus L‟initiative devait concerner 42 PPTE pour une dette globale d‟environ 210 milliards de dollars mais au départ, une première sélection avait écarté 6 pays : l'Angola la Guinée équatoriale, le Kenya, le Nigeria, le Vietnam et le Yémen. Ces pays sont estimés ni trop pauvres ni trop endettés pour bénéficier de l'initiative. La dette globale des 36 pays restants se monte à 130 milliards de dollars avec une annulation projetée de 70 milliards ce qui représente environ 54% du stock de la dette totale. Une étude effectuée pour l‟OCDE, en septembre 1999, sur les pays éligibles selon la première version de l‟Initiative PPTE, révèle que les Conseils de la Banque et du FMI ont étudié 14 cas parmi les quels deux ont un degré d‟endettement soutenable (le Sénégal et le Bénin), trois ont passé le point de décision (Burkina Faso, Côte d‟Ivoire, Mali), et quatre sont entrés dans la deuxième phase d‟achèvement (Ouganda, Bolivie, Guyana, Mozambique). En bout de course, seul l'Ouganda après deux phases de dures et coûteuses réformes a bénéficié d‟un allégement de 2 milliards de dollars soit 0,1% de la dette du Tiers Monde. 2°) L’arbre qui surendettement massif cache la forêt : allégements modestes et L‟étalement des allégements sur une trop longue période, a conduit à des diminutions minimes du service de la dette, voire même paradoxalement à une augmentation. Le Mali par exemple, selon les estimations du FMI, devra rembourser 16,1 millions de dollars en 2010 pour 19,7 millions actuellement. La Tanzanie ne verrait son service de la dette diminuer que de 7%. Les quelques allégements assez partiels obtenus sont étalés sur une durée trop longue en moyenne une trentaine d‟années. En conséquence, les divers chocs externes auront le temps de ravager et d‟amplifier les déséquilibres et de maintenir les PPTE l‟étau de l‟endettement. 3°) Les aveux d’impuissance et d’échec de l’initiative PPTE : impacts limités sur l’envol de la dette et les performances macroéconomiques. Les diverses remises de dette opérées au titre de l‟initiative non seulement sont restées modestes mais leur impact sur les pays bénéficiaires est modeste. S‟il reste vrai qu‟il est prématuré de faire une évaluation exhaustive à cause de l‟étalement sur une longue durée de l‟initiative PPTE, du caractère restrictif des conditions d‟éligibilité et de la rigueur des ajustements à réaliser, les incidences à court terme sont mitigés. Au demeurant, ces pays sont loin d‟être définitivement sortis de la spirale de l‟endettement. Dans ce sens, selon le Rapport 2000 de la CNUCED, «Les espoirs que l‟on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l‟initiative renforcée en faveur des PPTE ne sont pas réalistes. L‟allégement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre celle-ci supportable à moyen terme, par ailleurs, l‟ampleur de l‟allégement de la dette et la manière dont il interviendra n‟auront pas d‟effets directs majeurs sur la réduction de la pauvreté ». Le Rapport du PNUD (2000) aboutit à peu prés à la même conclusion en notant que «La dette continue d‟être un frein au développement humain et à la réalisation des droits de l‟homme. L‟initiative d‟annuler le service de la dette en faveur des PPTE n‟a jusqu‟ici eu qu‟un impact limité. L‟allégement de la dette reste toujours loin derrière les intentions et les promesses». 164 4°) Les allégements n’ont pas enrayé l’envol de la dette et rendu celle-ci soutenable. Si l'allégement du stock de la dette lié à l‟initiative PPTE peut paraître important, il ne se traduit que par une faible baisse du service de la dette des pays bénéficiaires. En effet, la majeure partie de ces allégements consiste à opérer un simple jeu d‟écriture comptable régularisant de vieilles créances qui n‟auraient jamais été remboursées. L‟allégement de la dette se traduit, de ce fait, par un impact financier réduit à court terme car régularisant une situation de fait. En effet, l‟allégement a deux faces : l‟annulation des créances APD (20 milliards de $) et l‟allégement des créances commerciales et multilatérales (50 milliards de $), soit un total de 70 milliards pour une dette globale de 130 milliards de dollars, c‟est-à-dire 54%. Or, la plupart des pays ne payaient, avant l‟initiative, pas plus de 50% du service de la dette. Ainsi, l‟allégement a une portée relativement limitée. Cependant, pour certains pays bons payeurs comme l‟Ouganda, l‟allégement est significatif. L‟allégement de la dette n‟a permis en réalité, pour bon nombre de pays, que de voir leur dette devenir soutenable c‟est-à-dire qu‟ils peuvent de nouveau contracter des dettes sur les marchés financiers afin de rembourser le reste de la dette qui n‟a pas été annulé. Ainsi, le risque de surendettement est de nouveau d‟autant plus réel pour ces pays qu‟ils ne s‟affranchissent pas de structures économiques vulnérables qui les exposent aux aléas des chocs d‟environnement international. Un observateur avisé tel que l‟économiste Daniel Cohen considère que "le gros de la dette est une fiction qui ne correspond pas aux remboursements effectifs qui sont faits par ces pays". Il estime qu'en réduisant des 2/3 la valeur faciale de la dette, les créanciers "réduisent de bien moins le fardeau réel supporté par les pays endettés", et conservent une grande part des "créances effectives dont ils disposent sur les pays pauvres". En incluant ainsi les « dettes fantômes », c‟est-à-dire impayables, les chiffres officiels surévaluent donc largement le coût des allégements de dette. En outre, les montants de réduction de dette qui sont annoncés sont des montants globaux. La réduction signifie concrètement que pendant une durée plus ou moins longue selon les bailleurs de fonds (d‟une dizaine à une quarantaine d‟années) des versements qui auraient dû être effectués au titre du service de la dette ne le seront pas. Ce qui répartit d‟autant le coût réel des allégements. Par ailleurs, la répartition des allégements effectifs sur de nombreuses années réduit considérablement le coût annuel de ces plans. Les conditionnalités de l‟initiative PPTE consistent pour l‟essentiel à définir et mettre en œuvre une stratégie de réduction de la pauvreté qui se traduit par une modification de la structure des dépenses publiques au profit des secteurs sociaux notamment l‟éducation et la santé. Cette tendance a été effectivement constatée chez les pays bénéficiaires de l‟initiative. Cependant, les progrès dans le domaine de la lutte contre la pauvreté sont très limités. La prévalence de la pauvreté demeure relativement forte et s‟est même accentuée dans beaucoup de pays africains. En outre, peu de pays africains sont en mesure d‟atteindre les objectifs du millénaire pour le développement si les tendances observées durant la période récente sont extrapolées. 165 Tableau 12 : Poids des dépenses sociales dans les pays africains bénéficiaires de l’initiative PPTE renforcée (Moyenne 1999 Ŕ 2002) (%) Indicateurs de dépenses sociales Dépenses moyennes en % du PIB Avant allégement PPTE Après allégement PPTE Dépenses moyennes en % des recettes publiques Avant allégement PPTE Après allégement PPTE 4,3 5,1 29,9 32,7 Sources : Documents PPTE et estimations des services de la Banque et du FMI 5°) Impact limité de l’initiative sur les performances économiques des pays bénéficiaires. Les stratégies de désendettement des pays africains appliquées durant les décennies 1980 et 1990 n‟ont pas permis de booster les économies africaines et de réduire de manière significative la pauvreté. Ainsi le taux de croissance des pays d‟Afrique au sud du Sahara s‟est élevé à 1,6% entre 1981 et 1990 et 2,3 au cours de la décennie suivante, soit un niveau nettement inférieur au croît démographique qui est de l‟ordre de 3%. Tableau 13 : Performances économiques des pays africains au Sud du Sahara Économie réelle (% de variation annuelle) Croissance du PIB réel Croissance de la consommation privée par tête Croissance du PIB par tête Croissance de la Population Investissements réels Intérieurs bruts/PIB Taux d’Inflation Déficit budgétaire/PIB Croissance de la part de marché à l’exportation 1981 1990 1991- 1999 2000 2000 2001 2002 2003 1,6 2,3 2,5 3,6 3,1 2,8 3,4 4,1 -1,0 -0,4 0,1 -2,2 3,8 5,9 -2,5 2,0 -1,3 -0,3 -0,1 0,8 0,8 0,7 1,2 2,1 3,0 19,0 2,6 17,1 2,6 17,9 2,7 18,1 2,3 18,1 2,2 19,4 2,1 19,4 2,0 20,2 9,6 -4,5 9,5 -4,6 5,8 -3,0 7,5 -2,7 6,0 -2,4 6,5 -2,7 8,2 -2,7 4,0 -3,0 3,2 7,0 6,8 11,1 0,4 3,2 6,9 6,8 166 2005 prévision Si le taux de croissance du PIB par tête s‟améliore à partir du début des années 2000, (il varie entre 0,7 et 1,2) il demeure relativement modeste par rapport au niveau requis pour atteindre les objectifs du millénaire (7%). En outre, le taux de croissance économique des pays africains au sud du Sahara, hors Afrique du Sud, suit une tendance à la baisse de 2001 à 2003 quoique resté positif mais toujours inférieur au croît démographique. Ces modestes résultats procèdent de plusieurs facteurs dont le plus important est sans doute la logique de la «soutenabilité financière» qui concerne essentiellement les dettes «impayables». Cette logique est tout à fait à l‟avantage des créanciers, qui cherchent à limiter au maximum leur effort et à se débarrasser de mauvaises créances. À l‟expérience, le service de la dette des 24 premiers pays qui ont commencé à bénéficier de l‟Initiative ne diminue que très faiblement (-27% en moyenne). D'après les projections de la Banque mondiale, les remboursements effectués par ces pays devraient d'ailleurs repartir rapidement à la hausse, et n'être plus, en 2007-2009, que de 14% inférieur à leur niveau d'avant initiative PPTE. Tableau 14: Indicateurs d’endettement des pays africains au sud du Sahara ayant atteint le point d’achèvement, moyenne 2001-2003 (en %) Pays Dette totale/XBS* VA Dette**/XBS Dette/PNB Bénin 347 151 65 Éthiopie 621 135 112 Madagascar 466 138 105 Mauritanie 459 153 218 Niger 542 148 93 Tanzanie 457 132 77 Burkina-Faso 497 178 54 Ghana 285 85 128 Mali 282 124 97 Mozambique 430 118 139 Sénégal 222 96 84 Ouganda 408 170 78 Ces raisons ont amené E. TOUSSAINT (2001) à qualifier de «faux» allègement l‟initiative PPTE car remarque t-il, le stock des dettes des pays concernés a augmenté de 10 milliards de dollars passant de 205 milliards de dollars en 1996 à 215 milliards de dollars en 2001. En 1999. En termes de remboursement, les pays 167 bénéficiaires ont payé 1.680 millions de dollars de plus que ce qu'ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts. Cela signifie que, non seulement les ressources libérées par les allégements de dette sont marginales, mais qu'aucune perspective de sortie durable du surendettement n'est possible. En définitive, les diverses remises de dette opérées au titre de l‟initiative non seulement sont restées modestes mais leur impact sur les pays bénéficiaires l‟est autant bien que l‟évaluation exhaustive soit difficile à réaliser à cause de la longueur de l‟initiative PPTE, des conditions d‟éligibilité trop restrictives et de la rigueur des ajustements exigés. C‟est dire que l‟engagement des pays dans le processus PPTE est loin de les sortir de la spirale de l‟endettement. Dans ce sens, le Rapport 2000 de la CNUCED, note que «Les espoirs que l‟on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l‟initiative renforcée en faveur des PPTE ne sont pas réalistes». Comme pour faire échos, le Rapport du PNUD 2000 aboutit à la même conclusion en observant que «La dette continue d‟être un frein au développement humain et à la réalisation des droits de l‟homme». Cet échec procède de plusieurs facteurs dont le plus important est sans doute la logique de la «soutenabilité financière» façonnée à l‟avantage des créanciers, qui cherchent à limiter au maximum leurs efforts et à se débarrasser de mauvaises créances. À l‟expérience, le service de la dette des 24 premiers pays bénéficiaires de l‟Initiative ne diminue que très faiblement (-27% en moyenne). D'après les projections de la Banque mondiale, les remboursements effectués par ces pays devraient d'ailleurs repartir rapidement à la hausse, et n'être plus, en 2007-2009, que de 14% inférieur à leur niveau d'avant initiative PPTE. Il s‟agit selon Toussaint (2001) d‟un «faux» allègement puisque le stock des dettes PPTE a augmenté de 10 milliards de dollars. En 1999, les pays bénéficiaires ont remboursé 1.680 millions de dollars de plus que ce qu'ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts. Cela signifie qu'aucune perspective de sortie durable du surendettement n'est en vue. Face à cette réalité, on peut alors s‟interroger sur « les lendemains » de l‟initiative PPTE. Section 4 : Les perspectives de l’après PPTE. L‟après PPTE repose toujours la problématique de la gestion de la dette africaine. Ce problème peut être vu sous deux angles : du point de vue de la dette elle-même (stratégies de financement) et du point de vue des objectifs visés. D‟une part, les gouvernements africains ont exprimé leur ferme intention de mobiliser des ressources intérieures. Ils ont cependant toujours besoin d‟une aide financière extérieure considérable. D‟autre part, L'aide publique au développement est essentielle pour appuyer et encourager les efforts des pays démunis en matière de réduction de la pauvreté et de développement économique. Par ailleurs, les différentes mesures entrant dans le cadre de la gestion de la dette sont liées aux objectifs de réduction de la pauvreté et de croissance, lesquels sont eux-mêmes liés. S‟agissant de la gestion de la dette, si au cours des vingt dernières années, le système international d‟aide au développement n‟a pas atteint son objectif d‟accroître la croissance et d‟améliorer le bien-être des pays pauvres, c‟est en parti dû à l‟existence de carences aussi profondes que systémiques dans la façon dont la coopération au développement est mise en œuvre (A. K. OLECHE, 2001). Les progrès en vue de réduire le stock de la dette officielle ont été lents, pour des raisons comptables et budgétaires qui préoccupaient les pays créanciers et parce qu‟il fallait 168 que tous les principaux organismes créanciers parviennent à un consensus. Les différents créanciers ne voient pas tous de la même façon leurs relations avec les pays à faible revenu, et ces différences se reflètent dans l‟approche qu‟ils adoptent pour parvenir au juste dosage d‟allègement de la dette, de nouveaux prêts concessionnels et de dons, ainsi que dans l‟importance qu‟ils accordent à la conditionnalité. En outre, les mécanismes par lesquels les différents créanciers financent l‟allègement de la dette sont d‟une importance cruciale, car cet allègement ne peut apporter de ressources additionnelles nettes que si son financement n‟évince pas les formes d‟aide plus traditionnelles (R. Powell, 2000). Bien que le stock de la dette de nombreux pays ait de beaucoup dépassé le niveau soutenable, les créanciers du club de Paris ont pu utiliser des techniques de rééchelonnement concessionnel pour contenir l‟augmentation des paiements effectivement demandés souligne l‟auteur. Il est donc nécessaire de repenser totalement la conception, les relations et les conditions qui régissent l‟organisation de l‟assistance au développement dans les pays les moins avancés (et pas seulement dans les PPTE). Les donateurs doivent alors accroître l'efficacité de leur aide en coordonnant plus efficacement les mesures d'aide axées sur les programmes bien pensés et mis en œuvre par les bénéficiaires et dans la mesure du possible, en harmonisant ces mesures. Ce faisant, la réflexion doit être faite par rapport aux objectifs. S‟agissant de ces derniers, l‟expérience démontre que l'aide économique aux pays appliquant une saine gestion permet d'intensifier la croissance et d'améliorer la situation sociale. Les donateurs peuvent intervenir en dirigeant l'aide de façon plus efficace vers les pays démunis qui font la preuve d'efforts sérieux en vue d'apporter des réformes économiques et de réduire la pauvreté. Sur cette question, il fait peu de doutes que l'allégement des dettes pourrait grandement stimuler les efforts visant à réduire la pauvreté et à favoriser le développement humain. Mais comme le remarquent J. SERIEUX et Y. SAMY (2001) la majorité des PPTE ont seulement pu assurer le service de moins de 50% de leurs dettes en moyenne, et alors toute réduction des dettes actuelles qui n'est pas importante et concentrée au début ne va pas aider à réduire la pauvreté. Aussi pour ces auteurs, la réduction des dettes devrait être nettement plus élevée que 60% pour qu'il y ait des progrès dans la réduction de la pauvreté et dans le développement humain. Le taux de remise de l‟initiative renforcée en faveur des PPTE (54%) est presque certainement insuffisant pour éliminer le surendettement. En ce qui concerne la croissance économique, il faudrait identifier au-delà de quel seuil la dette extérieure compromet les performances économiques et si l‟effet d‟un alourdissement de la dette dépend de son encours. Il apparaît que la dette aurait une relation en forme de courbe en U inversée (voir graphique) avec la croissance (C. PATTILLO, H. POIRSON et L. RICCI, 2002). À mesure que les ratios de la dette augmentent au-delà du point A, tout nouvel emprunt ralentit la croissance, même si l‟encours global de la dette continue d‟exercer un effet positif sur la croissance. Le point A peut donc être considéré comme le niveau de dette qui maximise la croissance. Mais, lorsque la dette atteint le point B, sa contribution devient globalement négative sur la croissance lorsque la dette représente de 160 à 170 % des exportations, et de 35 à 40 % du PIB (en valeur actuelle nette). L‟impact marginal devient négatif (point A) dès qu‟elle atteint environ la moitié de ces taux. 169 Figure 11 Graphique : Seuils d’endettement En chiffrant les dividendes de croissance attendus de l‟allégement de la dette, la diminution de la dette de moitié pour la ramener de 200 % des exportations (chiffre proche du ratio dettes/exportations moyen des pays de l‟échantillon147 au cours des trente dernières années) à 100 % des exportations permettrait d‟enregistrer un gain de croissance par habitant de l‟ordre de 1/2 à 1 point. Quant aux pays susceptibles de bénéficier de l‟initiative PPTE, la majorité de ceux qui sont sur le point d‟obtenir un allégement de leur dette affichent un ratio dettes/ exportations de l‟ordre de 300 %. Si leur dette est ramenée à l‟objectif de 150 %, l‟étude montre que leur croissance s‟accélérera d‟environ 1 point. Cette accélération pourrait amorcer un cercle vertueux qui, en l‟absence d‟un nouvel accroissement de la dette, abaissera encore le ratio d‟endettement. Il est clair, cependant, que ce dividende de croissance risque de ne pas se matérialiser si le pays enregistre fréquemment des distorsions macroéconomiques et structurelles brutales. En rapportant ces données aux taux de croissance et d‟investissement nécessaires (voir tableau) afin de diminuer la pauvreté en Afrique de 50% d‟ici à 2015, on pourrait logiquement déduire (moyennant quelques simulations) l‟objectif cible auquel pourrait être ramené la dette dans le cadre en particulier de l‟initiative PPTE et dans le cadre de la dette africaine en général. On pourrait ainsi calculer l‟augmentation de croissance espérée par rapport à l‟objectif de 2015 laquelle augmentation qui, comparée à la référence ci-dessus, permettrait de déduire cet objectif cible. 147 93 pays en développement. 170 Tableau 15 : Croissance du PIB et investissement requis en Afrique Tableau 3 : Taux de croissance et d’investissement nécessaires afin de diminuer la pauvreté en Afrique de 50% d’ici à 2015 Section 5 : Comment l’hypothèque de la dette ? désendetter l’Afrique et lever Au Sommet de l‟OUA tenu à Lomé en 1999, le Président Abdoulaye Wade avait très solidement plaidé pour une relance du débat sur la dette africaine et avait sollicité de ses pairs l‟inscription de la question dans l‟agenda international des IFI et du G8. Cette position est aujourd‟hui largement confortée par les médiocres résultats de l‟initiative PPTE et les nombreuses crises chaotiques d‟endettement qui ont secoué de façon dramatique les pays du Tiers-Monde. I/ L’impérative du désendettement pour accélérer la croissance et réduire la pauvreté rampante en Afrique. Le désendettement du continent est exigence reconnue et affirmée par tous les partenaires. Il est l‟un des objectifs majeurs du Plan du Millénaire de l‟ONU et du NEPAD. Ces programmes admettent que pour réduire la pauvreté en Afrique de 50% d‟ici 2015, il faut une croissance forte et régulière au taux de 7%. Ce qui impose des investissements massifs de l‟ordre de 40% du PIB et le ravalement de la dette à un niveau soutenable avec la réallocation des ressources provenant des allégements effectifs. Depuis une vingtaine d‟années, les principales initiatives et réformes se sont avérées insuffisantes pour diminuer de façon substantielle la valeur actuelle nette de la dette. Un endettement excessif engendre toujours un climat d‟incertitude qui pousse à la sortie des capitaux et décourage les Investissements Directs Étrangers et le retour des capitaux enfuis. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les emprunts extérieurs aident les pays à accélérer leur croissance en finançant des investissements productifs et atténuent les effets des turbulences économiques et financières. Alors se pose la question de savoir comment naviguer entre deux écueils : ne pas prêter assez ou prêter trop ? En effet, accorder trop peu de crédits c‟est étrangler l‟Afrique à court terme dans le financement de son développement au moment où elle veut accélérer sa croissance économique et lui accorder trop de crédits, c‟est l‟étouffer à long terme dans son endettement. 171 Comment enclencher un processus vertueux d‟endettement au service de la croissance et de l‟amélioration de la solvabilité ? II/ Les nouvelles propositions en débats. Quelques propositions de programmes d‟allégement ou d‟annulation, de nouvelles mesures ainsi que de nouveaux mécanismes sont actuellement en discussions pour une solution durable au problème de la dette du continent Quatre propositions sortent du lot. La première proposition émane de Maître Abdoulaye Wade qui propose la création d’un Fonds Régional de Désendettement qui ramènerait dans son portefeuille, selon des modalités qui seront fixées, toutes les dettes des pays africains. Celles-ci pourrait être rétrocédées selon des techniques comme le rachat-conversion en actifs réels ou encore le »debt equity swap», les conversions en obligations ou «exit bonds». Cette proposition issue du Plan Oméga pourrait être mise en synergie avec d‟autres projets ou plans comme «l‟organisation de la procédure d‟insolvabilité internationale» aujourd‟hui acceptée par le FMI ou à des techniques comme les Swaps . Le Fonds serait organiquement relié à tous les acteurs concernés par la dette. La deuxième proposition concerne la mise en place d‟un mécanisme d’arbitrage juste et transparent chargé de restructurer la dette des États qui sont dans l'incapacité de rembourser et qui veulent disposer d‟un plan de règlement efficace au double plan économique et social. Ce dispositif pourrait être raccordé aux orientations et dispositifs des «Documents stratégiques de réduction de la pauvreté (DRSP)». La troisième proposition découlerait d‟un remodelage de l‟initiative PPTE pour en faire un mécanisme d’allégement et d’affectation des ressources dégagées à des programmes comme ceux du développement humain. Il faudra alors résoudre les effets pervers de l‟initiative comme par exemple la logique de soutenabilité financière, la longue période qui sépare le point de décision et le «point d‟achèvement» (date à laquelle le pays reçoit les allégements de dette), le nombre limité des bénéficiaires, le financement aléatoire. La quatrième proposition serait la recherche d‟un Plan consensuel d’annulation pure et simple du stock de la dette. Cette «remise à zéro des compteurs» est justifiée par le fait que les pays ont plusieurs fois remboursé et qu‟ils ne doivent donc plus rien. 172 CHAPITRE 21 LES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS ET LE FINANCEMENT DU SECTEUR PRIVÉ Les mouvements de capitaux et en particulier les Investissements Directs Etrangers (IDE), constituent la voie privilégiée pour les PSD pour résorber leur déficit important d‟épargne. Ces IDE se présentent sous deux formes dominantes : celle des flux financiers qui cherchent à se rentabiliser dans un système monétaire globalisé complètement décloisonné et déréglementé et celle des Firmes Multinationales qui visent à augmenter leurs profits, leur rentabilité, leur compétitivité par le contrôle de leurs espaces de valorisation ce qui leur permet d‟échapper aux contraintes et législations nationales dans le domaine productif. L‟aboutissement des deux formes est le transfert de flux financiers et la délocalisation de la production qui accroissent leur rentabilité et améliorent les conditions de leur valorisation. Section 1 : Configuration des IDE dans le monde : une tendance à la hausse En termes de stocks, les montants sont passés de 513 milliards de $ en 1980 à 417 milliards de $ en 1998 et en termes de flux, les flux annuels sont passés de 59 milliards de dollars en 1982 à 209 milliards en 1990, avant d‟atteindre 560 milliards en 2003. Mais, plus que le volume, c‟est surtout le rythme de croissance qui montre l‟ampleur de ces mouvements durant les deux dernières décennies. À ce niveau, il faut indiquer que la croissance annuelle des flux des IDE a été de 22,9 % entre 1986 et 1990 et de 21,5 % entre 1991 et 1995. Mais c‟est surtout durant la seconde moitié des années 90 que les IDE vont connaître une explosion sans précédent avec une croissance annuelle de 39,7 %. Pour bien saisir l‟ampleur de cette croissance, il faut la comparer à celle de la production et du commerce international. À ce niveau, il faut observer que les mouvements de capitaux ont joué un rôle majeur dans la globalisation des marchés financiers. C‟est pourquoi, leurs rythmes de progression ont dépassé ceux du commerce international et de la production. Par ailleurs, la croissance des flux d‟IDE a été plus de 12 fois supérieure à celle du PIB. Tableau 16 : Évolution des flux d’IDE (en milliards de $) 1998 1999 2000 2001 2002 Monde 686,0 1 079,0 1 392,9 823,8 651,2 Pays en développement 191,2 229,2 246,0 209,4 162,1 Afrique du Nord 2,8 3,6 3,1 5,4 3,5 Afrique subsaharienne 6,0 8,6 5,4 13,3 7,4 Afrique 8,9 12,2 8,4 18,7 10,9 Part Afrique/Monde (%) 1,3% 1,1% 0,6% 2,3% 1,7% Source : CNUCED, World Investment Report 2003. 173 Cette tendance à la hausse des mouvements de capitaux dans les années 80 et 90 trouve son explication dans les logiques des firmes transnationales (FTN) visant à délocaliser une partie de leurs activités intensives en travail dans les PSD qui ont de faibles coûts de main-d‟œuvre permettant d‟améliorer leur rentabilité. À cela viennent s‟ajouter les investissements croisés entre pays développés qui renforcent leurs positions monopolistiques. Une grande partie des IDE a servi à des opérations de fusion Ŕ acquisition dans les secteurs comme la banque, l‟assurance, l‟industrie chimique, l‟industrie pharmaceutique et les télécommunications. Ces opérations internationales de fusion - acquisition ont mobilisé près de 297 milliards de dollars en 2003, soit plus de la moitié du total. Elles constituent selon la CNUCED « une composante majeure des flux d‟IDE pour les pays développés tout en reflétant la stratégie suivie par les entreprises transnationales, c'est-à-dire se retirer de leurs secteurs d‟activité secondaires et renforcer, par le biais d‟acquisitions, leur avantage concurrentiel dans leur secteur d‟activité principal. Cette stratégie a été rendue possible par la libéralisation (notamment l‟accord de l‟OMC sur les services financiers de 1997) et la déréglementation (par exemple dans les télécommunications) ». Ce repli des mouvements de capitaux et sa concentration dans les pays développés se sont traduits par une concurrence sans précèdent entre les pays afin de libéraliser les conditions d‟accueil des firmes étrangères. Ainsi en 2003, les dispositions réglementaires et législatives relatives à l‟IDE ont connu d‟importantes modifications, renforçant pour l‟essentiel les processus d‟une plus grande libéralisation. Par ailleurs, au cours de cette même année, on a enregistré la conclusion de 86 accords bilatéraux d‟investissement portant le total à 2265, et 60 accords cherchent à attirer le plus d‟investissements étrangers en créant des cadres propices aux FTN. Les pays développés ont cherché à introduire la question de l‟investissement dans le programme de négociation du cycle de Doha, ce qui a rencontré une vive opposition des PVD qui ont réussi à réduire les questions de Singapour à la facilitation du commerce. L‟échec des pays développés à proposer un cadre multilatéral aux investissements n‟a point empêché la multiplication des accords bilatéraux et régionaux. Les PSD africains doivent mobiliser tout leur potentiel pour relancer ce levier essentiel de la croissance qu'est l'investissement. Cependant, la faiblesse des systèmes financiers africains ne permet pas de canaliser le faible volume d'épargne disponible en vue de sa transformation en investissement productif. Dès lors, ces pays (les PVD) ont entrepris des actions multiformes pour attirer les IDE. Il est apparu que les succès des programmes de développement économique et social doivent dépendre d‟une correcte fixation des fondamentaux macroéconomiques et d‟une intervention de l‟État en harmonie avec le marché. 174 Tableau 17 : Les principaux indicateurs économiques et financiers des pays de l’Afrique au sud du Sahara (1971-2003) Indicateurs 1971-1980 1981-1990 1991-2000 2001-2003 Taux de croissance du PIB (%) 3,0 3,1 1,9 3,4 Croissance sectorielle (moyenne annuelle) Agriculture Industrie Exportation Importation 2,6 7,8 5,3 6,5 2,9 6,1 1,8 7,3 2,5 0,7 2,2 5,8 1,6 1,3 2,8 5,9 Epargne intérieure brute (% du PIB) 8,9 7,1 6,8 8,6 Investissement intérieur brut (% du PIB) 13,5 15,0 12,5 14,3 Source : FMI, Statistiques Financières Internationales, Washington, FMI, 19932003 ; Nations-Unies, Département des affaires économiques sociales, Annuaires statistiques, 1980-2002 et Banque Mondiale, rapport sur le développement dans le monde 1988, 1996 et 2003. L'alternative est alors le recours aux Investissements Directs Étrangers (IDE) qui permettent de drainer des capitaux et d'accéder en même temps aux nouvelles technologies. Ce tableau offre une idée des ordres de grandeur concernant les IDE : le constat qu'on peut faire est que, même si on note un retour des IDE dans les pays du Sud depuis le début des années quatre-vingt, leur flux vers les pays en développement (PVD) demeure relativement faible et atteint moins d'un tiers du flux des IDE. Par ailleurs, l'analyse de la répartition de ce volume d'investissement dans les pays nonmembres de l'OCDE fait apparaître d'importantes disparités entre les régions bénéficiaires. Si les pays d'Amérique Latine et d'Asie s'inscrivent dans cette dynamique, l'Afrique en est presque exclue. Ainsi, la part de l'Afrique passe de 6,8% en 1990 à 4,6% en 1995. En regardant de plus près, on s'aperçoit que les pays exportateurs de pétrole (148) sont évidemment les principaux récipiendaires de ces capitaux : Angola, Gabon, Nigeria. Au demeurant, 60% des IDE se sont orientés vers le Nigeria. Selon la CNUCED, il y a investissement direct étranger « lorsqu'un investisseur basé dans un pays (le pays d'origine) acquiert un actif dans un autre pays (pays d'accueil) avec l'intention de le gérer ». Il y a trois types d'IDE : la participation au capital (fusions, acquisitions et créations de nouvelles installations dites green fieds réinvestissement des bénéfices et autres flux de capitaux (emprunts et prêts à court ou long terme réalisés entre la société mère et sa filiale). 148. 175 Figure 12 : Répartition de l‟IDE dans le monde en 2005 En 2005, l‟Afrique ne recueillait que 3,3% des IDE contre 21,8% pour les pays en développement d‟Asie.149 Cette marginalisation de l'Afrique dans l'orientation des IDE concerne aussi les investissements français dont les flux globaux sont passés de 3,727 milliards de FF en 1993 à 1,156 milliards de FF en 1994, c'est dire que la dévaluation du franc CFA n'a point provoqué l'afflux de capitaux attendus. Pour les grandes entreprises françaises, elles ne comptent en Afrique sub-saharienne (ASS) que 1030 filiales dont 720 en zone franc soit 12,6% du total (3,3% pour le Maghreb et 5,5% dans la Zone Franc). Elles sont accompagnées par des PME-PMI indépendantes attirées par l'Afrique pour 25,3% de leurs effectifs à l'étranger. L'Afrique continue à recevoir principalement des ressources publiques qui forment l'essentiel des flux globaux de capitaux, bien que ces derniers commencent également à manifester une nette tendance à la baisse. En effet, l'ASS a reçu en 1995, plus du tiers de l'aide publique qui y représente maintenant près de 5% du PNB, soit sept à quinze fois plus qu'en Asie ou en Amérique Latine. En définitive, la corrélation étant bien établie entre niveau d'investissement et taux de croissance, l'objectif de cette réflexion va tourner autour de deux interrogations majeures : - Quels sont les facteurs explicatifs de la faiblesse des flux d'investissement direct étranger vers l'Afrique sub-saharienne ? -Que faire pour renforcer les capacités nationales à attirer les investissements privés en général et les IDE en particulier ? Section 2 : Les entraves à l'afflux des Investissements Directs Étrangers en Afrique La faiblesse de l'investissement en Afrique ne saurait être expliquée par les simples facteurs classiques tels les contraintes à l'importation et le taux d'intérêt, 149 CNUCED, Manuel de Statistiques 2006. 176 mais le "problème repose sur l'environnement tout entier, à partir duquel se prennent les décisions d'investissement et la perception d'un risque aggravés par des signaux flous conflictuels de la politique économique"(150). Celle-ci repose plutôt sur une pluralité de facteurs que l'on peut regrouper en deux catégories : les facteurs d'ordre strictement économique (cadre macroéconomique, etc.) et les facteurs institutionnels, politiques et sociaux. I/ Les facteurs strictement économiques Depuis les Années 80, l'ASS est dans une crise économique et sociale à la fois débilitante et profonde qui se manifeste sous trois formes : d'abord la détérioration des principaux indicateurs macroéconomiques et macro-financiers, ensuite la désintégration des structures de production et des infrastructures de base et enfin la dégradation du bien-être social notamment la santé, l'éducation, le logement et l'écologie. Ceci a entraîné une chute profonde de l'espace politique : processus démocratique limité, par moment confisqué, guerres civiles, conflits ethniques. Il est clair qu'un tel cadre global comporte trop de risques et d'incertitudes pour l'afflux et la rentabilité des investissements. L'analyse de l'environnement économique qui est, en dernière instance, la sphère la plus déterminante a révélé au moins quatre foyers de distorsions qui, incontestablement, peuvent limiter ou dissuader la poussée des IDE à savoir : l'environnement macroéconomique défavorable avec l'inefficience des politiques sectorielles et les distorsions de la structure des incitations économiques ; la très faible efficacité du capital humain par suite de la crise permanente des systèmes éducatifs et de formation ; la dégradation et l'inadéquation des infrastructures de base ; coûts défavorables des facteurs techniques. 1°) Un environnement macro-économique défavorable Depuis la fin des Années 70, les pays d'Afrique confrontés à la stagnation de la production, aux déséquilibres financiers, à la massification de l'endettement ont mis en place des politiques de stabilisation et d'ajustement dont l'un des objectifs importants est de permettre l'accroissement de l'investissement privé (151). En réalité, ce sont les investissements d'aujourd'hui qui font les profits de demain et les emplois d'après-demain. Les Nouveaux Pays Industrialisés et le Japon en ont fait une variable déterminante. C'est ainsi qu'un pays comme le Japon consacre 30% de son PIB à l‟investissement152. Au Sénégal, ce taux d'investissement, de l'ordre de 12% dans les années 80, est estimé en 1996 à 16,6%. CHIBBER & al.: Reviving private investment in developing countries : empirical studies and policy lessons, North Holland, Amsterdam, 1992, p. 10. 150. BIGSTEN A. : Constraints on african growth in New directions in development economics by LUNDAHL M. & NDULU B., Rouledge, London, 1996, p. 60. 152. BOISSONNAT J. : « Une crise de l'argent », L'Expansion, 4/17 Mars 1993, p. 79 151. 177 Toutefois, plus de deux décennies d'application des PAS n'ont pas encore permis de sortir de la crise et d'amorcer un processus irréversible, ce qui s'explique aisément à travers la fonction d'investissement d‟IBARRA (1995)(153) : It It-1 wkt + k2 + Et1 [Δln(yt)] + k3 Et Δln ── + k4 [θt] [ Kt-2] [ Pt ] ── = k0 + k1 ── Kt-1 La variable dépendante est ici le taux d'investissement et ses différents arguments sont respectivement : le taux d'investissement à l'année t-1, la variation anticipée de l'output global si la réforme macroéconomique est durable, le coût anticipé des services du capital et enfin, la globalité (θt) que l'environnement macroéconomique se dégrade du fait de l'abandon de la réforme liée à l'application des PAS. Cette probabilité est le point nodal et elle est négativement liée à l'investissement privé et peut être affectée par plusieurs facteurs. D'abord par des facteurs politiques ; c'est le cas lorsqu'il y a risque que le gouvernement reporte des mesures annoncées ex ante, c'est également le cas lorsqu'il y a incertitude quant à l'avenir du régime politique en place. En second lieu, cette probabilité s'accroît s'il y a risque de crise de la balance des paiements dû à une politique monétaire ou fiscale expansionniste, une appréciation du taux de change réel, une baisse non anticipée des secteurs d'exportation. Toutes choses qui sont caractéristiques à des degrés divers -il est vrai- de l'environnement économique des pays africains. En effet, les indicateurs d'augmentation de l'investissement privé du cadre macro-économique sont, en général, défavorables avec un double déficit des finances publiques et de la balance des paiements, un taux de change surévalué, une inflation rampante, un encours de la dette insupportable et un taux de croissance inférieur à celui de la croissance démographique. Et ces distorsions sont assez dissuasives pour l'investissement. Concernant le déficit budgétaire l'étude économétrique réalisée par EASTERLY & REBELO en 1993 et portant sur une centaine de PVD arrive à la conclusion qu'un déficit budgétaire énorme exerce un effet d'éviction sur le secteur privé résultant d'un faible accès de celui-ci au crédit bancaire, d'un taux d'intérêt réel élevé et d'un taux de change réel s'appréciant de plus en plus et donc un impact défavorable sur la croissance(154). En effet, le taux d'épargne, l'allocation des ressources réelles et financières et les incitations à l'innovation rencontrés par le secteur privé sont affectés à la fois par la fiscalité et les dépenses publiques. Le niveau d'endettement exerce à son tour un effet négatif sur l'investissement. Dans une étude sur le comportement de l'investissement privé dans les PED, CHIBBER & al. (1992)(155) ont établi que dans les pays où les politiques sont volatiles et le poids de la dette élevé, l'investissement a souvent tendance à baisser. En effet, un niveau appréciable de l'encours de la dette accroît la vulnérabilité de l'économie aux "chocs externes" et en même temps, il devient un indicateur du risque de volatilité de la politique économique pour les investisseurs potentiels. Allant encore plus loin, FAINI & DE MELO (1992) (156) ont établi que l'accès aux flux d'IDE est souvent retardé dans les pays à dettes élevées. Le montant de la dette de l'Afrique Luiz Alberto IBARRA: “Credibility of trade policy reform and investment = the mexican case.” Journal of Development Economics, vol. 47, pp. 39-60. 154. DIAGNE A., Op. Cit.,1998, p. 11 155. CHIBBER & al., op. cit., 1992 156. FAINI & DE MELO : Adjustment investment and the real exchange rate in developing countries, in CHIBBER & al., op. cit., 1992 153. 178 sub-saharienne est estimé en 1995 à 223 milliards de dollars, soit l'équivalent de 265% des recettes d'exportations des pays concernés (157). Au Sénégal, l'encours de la dette s'élève à environ 67,1% du PIB en 1996. De surcroît, une part importante de cette dette est le fait de l'État qui l'a souvent utilisée comme un moyen pour résoudre la crise des finances publiques. Enfin, le système bancaire et financier est un instrument essentiel de mobilisation de l'épargne et de sa transformation en investissement. Cependant, suite aux faillites bancaires des années 80, le système bancaire affiche désormais une méfiance vis-à-vis des opérateurs privés; cela va induire des difficultés plus grandes pour obtenir des prêts à long terme en raison de la crainte des mauvais prêteurs. Dans ce contexte va fonctionner l'effet d'AKERLOFF par lequel les mauvais prêteurs chassent les bons d'où la disparition, à terme, du marché du crédit. Par ailleurs, la maîtrise de facteurs tels que les infrastructures et les facteurs techniques s'avèrent indispensables au bon fonctionnement d'un cadre macroéconomique adéquat. 2°) L'inadéquation des infrastructures Compte tenu de leur contribution à l‟efficience du marché, J. W. MELLOR & A. RAISUDDIN (1988)(158) attribuent aux infrastructures un rôle important dans la mobilité de la population, des biens et de l'information permettant la réalisation du potentiel de production. En effet, lorsque les coûts d'utilisation du marché à des fins de transaction sont relativement élevés par rapport aux bénéfices qu'en tirent les acteurs, les marchés ont tendance à échouer. La faiblesse de la densité routière, de la couverture en moyens de télécommunications, de la couverture sanitaire peuvent favoriser un processus de "sélection adverse". En d'autres termes, l'augmentation des coûts de transactions (coûts de transport, coûts d'obtention de l'information, etc.) a pour effet de dissuader les investisseurs potentiels voire d'éliminer les investisseurs du marché en raison de l'ampleur des coûts de transactions ; ce qui se traduit, en définitive, par la baisse du taux d'investissement. 3°) Coût défavorable des facteurs techniques Pour les facteurs techniques tels que l'eau, l'électricité, la main-d'œuvre qualifiée, leurs coûts se comparent défavorablement à ceux des pays de l'OCDE et à ceux des NPI. Par exemple, le coût de l'eau et de l'électricité au Sénégal est 2,5 à 3 fois plus élevé que dans les pays comme l'Inde, la Corée du Sud et le Brésil. Quant à l'eau, son m3 d'eau coûte 31% plus cher par rapport aux USA, 96% par rapport aux pays concurrents tels le Kenya, l'Éthiopie, etc. 157. ALIBERT J. : L'évolution de la dette africaine, Afrique Contemporaine, n.178, p. 41 MELLOR J. W & RAISUDDIN A. : "Agricultural price policy for developing countries", IFPRI, John Hopkins University press, London, 1988, p.24 158. 179 Tableau 18 : Éléments de comparaison des coûts de facteurs techniques Coûts de l'électricité Coût industrielle de en km/h l'eau m3 Coût des télécom. Avec les principaux partenaires commerciaux Ŕ Mn Taux de fret maritime Conteneur Taux de Pétrole fret litre Aérien Kg Concurrents médians 0,07 0,52 1,60 1400 1,80 - Sénégal 0,13 0,46 1,57 850 1,25 0,65 Ghana 0,03 0,70 1,61 1500 0,85 0,51 Madagascar 0,08 0,15 3,49 1100 1,45 0,52 - 2,81 2,81 2100 3,33 0,53 Côte d'Ivoire 0,9 0,57 1,64 1125 125 0,61 Maurice 0,9 0,46 0,83 1890 2,20 0,74 Nigéria Source : Banque Mondiale, Sénégal : Ajustement structurel du secteur privé, juin 1994 C'est dire que le coût élevé des facteurs de production constitue une entrave à l'afflux d'IDE. En tous les cas, une des priorités au plan macro-économique devrait être de réhabiliter le profit par rapport à la rente. De stimuler l'investissement (qui agit sur l'offre en la modernisant, et sur la demande en distribuant un supplément de revenus dans les industries d'équipement) de préférence à la consommation. II/ Les facteurs institutionnels, politiques et sociaux. Au chapitre de ceux-ci, on distingue essentiellement les facteurs d'ordre institutionnel, politique et social. 1°) Les facteurs d'ordre institutionnel et politique En réalité, les avatars de l'État et de son administration en Afrique tirent leur source des rapports qu'ont entretenu les pays africains, essentiellement les pays francophones, avec l'ancienne métropole (la France) et qui a fait d'eux des otages de leurs difficultés. Selon ABWA D. (1997)159, «La France a développé des rapports de maître à collaborateur au détriment du partenariat qui aurait consisté à s'associer à 159. ABWA D. : « De la collaboration au partenariat : le défi du 2ème siècle des relations France-Afrique », African Journal of International Affairs, Vol.1, 1997, p.1 180 des indigènes qui, tout en cherchant à satisfaire les intérêts de la France, sauvegarderaient en même temps les intérêts de l'Afrique». La collaboration dictée par la France aux Africains a laissé chez ces derniers de nombreuses séquelles dont deux semblent les plus pernicieuses : la mentalité d'assisté et le règne de la médiocrité. Cette mentalité d'assisté est la caractéristique essentielle de tout collaborateur qui est en fait un individu qui répugne à prendre des initiatives ou qui n'en prend que lorsqu'il est convaincu qu'elles vont plaire au maître. En effet, cette mentalité d'assisté par rapport à leur maître (l'ancienne métropole), ils vont également l'imposer à leurs concitoyens réduisant au minimum la propension de ces derniers à l'initiative. Il est ainsi généralement admis en Afrique francophone que l'initiative ne doit venir que du supérieur hiérarchique et comme chacun dispose d'un supérieur, même au niveau le plus élevé de l'État, c'est la paralysie quasi-généralisée. On a là une explication plausible de l'incapacité de la bureaucratie en Afrique Ŕ plus particulièrement en Afrique francophone Ŕ à servir d'interface crédible aux investisseurs. Il est de plus en plus admis qu'une économie efficiente requiert un environnement d'institutions efficientes. 2°) Les facteurs d'ordre social Au chapitre des facteurs sociaux, le constat que l'on peut faire est la précarité dans laquelle est confinée une grande partie de la population dans beaucoup de pays africains. En prenant l‟exemple du Sénégal, le nombre de ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté est estimé à 30%. En effet, les 60% des sénégalais vivants en milieu rural ont vu leur revenu par tête baisser de 4,6% en moyenne au cours des deux dernières décennies. Dans la période 1979-1995, les revenus en milieu rural atteignent à peine 16% des revenus réels urbains qui, eux-mêmes connaissent une tendance à la baisse (source : DPS, MEF). Comme dans la plupart des pays africains, la mise en place des PAS a eu des conséquences négatives sur le pouvoir d'achat des ménages sénégalais. D'où l'émergence de groupes vulnérables confrontés à des problèmes sérieux d'insécurité alimentaire. La Banque mondiale a répertorié trois groupes ayant un accès inadéquat à l'alimentation : les pauvres des villes, les ruraux sans terre et les petits producteurs. Si en milieu rural, l'insécurité alimentaire tire sa source de politiques agricoles inadéquates, en milieu urbain, par contre, la mise en œuvre, dans le cadre des PAS, de la politique d'absorption qui a précédé l'ajustement du taux de change en est la principale cause. En raison de la contradiction des objectifs qui caractérisait cette politique : d'une part, stabiliser l'économie puis relancer l'activité, d'autre part, réduire les dépenses. Cette dernière consistait à comprimer la demande globale en réduisant les revenus, or ce faisant, on rétrécit le marché d'où, par enchaînement, une baisse de l'activité économique et des revenus et donc l'augmentation des groupes vulnérables. L'accès au surplus alimentaire dégagé par les zones rurales et aux produits de première nécessité importés devient dès lors difficile pour tous ces groupes vulnérables. L'investissement est un objectif intermédiaire de la croissance qui ne peut être atteint que si les conditions de vie de la population permettent de libérer une maind'œuvre en bonne santé pour produire et être rémunérée afin de participer à la demande. 181 III/ Bonne gouvernance et renforcement des capacités nationales pour attirer les investissements privés en vue de la croissance Malgré les efforts importants de réforme entrepris sur au moins trois décennies, les résultats restent encore très peu probants, particulièrement en matière de rétablissement des conditions de reprise de la croissance. L‟expérience n‟a pas tardé à montrer néanmoins qu‟il ne suffit pas que de bonnes politiques économiques soient élaborées, que le secteur public soit considérablement réduit, pour qu‟une croissance forte et durable s‟installe. On a fini par comprendre que l‟État ne va pas disparaître même dans les pays en développement où l‟économie de marché s‟est le mieux implantée. Il a un rôle crucial à jouer dans l‟élaboration et la mise en œuvre des réformes favorables au marché. De la qualité de l‟action étatique va alors dépendre la réussite des réformes à promouvoir. Un constat a amené les institutions internationales et les autres acteurs du développement à mettre l‟accent sur la bonne gouvernance et à élargir leur vision des réformes à entreprendre pour accélérer la croissance et promouvoir l‟équité. L'objectif est clair : créer un environnement favorable et rendre l'investissement privé plus attractif et de sorte à attirer plus particulièrement l'IDE. 1) Au niveau économique Il faut mettre en œuvre, voire consolider un environnement macroéconomique stable. Un environnement macroéconomique est dit stable s'il se caractérise par un niveau faible et constant de l'inflation, un déficit budgétaire soutenable, un taux de change adéquat, un encours de la dette supportable et un système bancaire efficace. Par ailleurs, la levée des restrictions quantitatives sur le commerce, la baisse voire l'élimination du contrôle des prix, la réduction et la simplification des barrières tarifaires au commerce, des facteurs de production plus compétitifs Ŕ après des études en amont sur les mesures d'accompagnement minimales Ŕ participeraient à donner de bons signaux aux investisseurs. Cet environnement entretenu dans le temps constitue le gage d'une crédibilité et d'une meilleure lisibilité de la politique économique sur la base de laquelle les agents formulent leurs anticipations. Il facilite les décisions d'investissement et de planification, encourage l'épargne et l'accumulation privée du capital et sécurise les investisseurs étrangers. Il s'agit, en réalité, de créer les conditions d'une nouvelle efficience. Cela passe nécessairement par un train de mesures pour corriger les distorsions qui caractérisent les économies africaines. Et c'est ce à quoi s'attellent les PAS et on a pu noter quelques résultats, même s'ils sont faibles. Il s'est agi de procéder à la libéralisation et à l'ouverture des économies de sorte à favoriser une dynamique d'efficacité grâce à la valorisation des avantages comparatifs, à la construction d'avantages compétitifs, à une allocation plus efficiente des ressources ; soit, en définitive, la promotion du développement à travers la croissance du secteur privé. a) La libéralisation des économies Le souci d'une allocation optimale des ressources suggère la privatisation des entreprises paraétatiques et étatiques qui constituaient la source majeure des crises financières de l'État. Une opinion répandue veut que la faiblesse des résultats des Etats ne s‟explique que par l'inefficacité des réformes. Mais si le rapport publié par la 182 Banque mondiale en 1989 constate la faiblesse des résultats enregistrés dans le cadre des PAS, il reconnaît, en définitive, la nécessité d'avoir au-delà de l'ajustement une vision de développement à long terme à la fois crédible et cohérente. L‟absence de prise en compte de cette dernière explique, en grande partie, le tassement voire la régression de l'investissement, de la production et de l'emploi qui ont accompagné la mise en place de la Nouvelle Politique Industrielle (NPI) dans certains pays comme le Sénégal. Dans ce pays, la rapidité de la mise en œuvre de la NPI n'a pas permis les adaptations nécessaires : il aura fallu moins de deux ans après le 14 avril 1986 Ŕ date de libéralisation des produits de la mécanique et de la métallurgie Ŕ pour que tous les secteurs jusque-là protégés de la concurrence extérieure Ŕ à l'exception du ciment et du sucre- soient libéralisés. Ce qui fit assimiler cette cure à un « remède de cheval » par certains industriels. Par contre, en Côte d'Ivoire, le processus s'est étalé sur cinq ans avec des études minutieuses qui ont permis la mise en place d'une surtaxe dégressive qui s'est appliquée à différents produits étrangers en vue d'amortir le choc d'une ouverture sur des secteurs sensibles. De plus, les révisions fréquentes de la fiscalité de porte, la hausse continue des impôts et leur complexité dans le cadre de cette NPI n'ont pas manqué de perturber les industriels. La création de zones franches décloisonnées (combinant en même temps la zone franche industrielle, la zone franche commerciale et la zone franche de services ; toutes ces zones ayant comme dénominateur commun : l'entreprise exportatrice bénéficiant d'un statut d'entreprise franche) sur l'ensemble du territoire et à la lumière des expériences passées (dispositions fiscales volatiles(160), procédures lourdes, coût prohibitif des facteurs de production) et des exemples de l‟extérieur, chinois(161)notamment, seraient un moyen de cristalliser et de rendre plus saillants les signaux d'incitations envoyés aux investisseurs étrangers. b) L'amélioration des infrastructures Néanmoins, en dépit des changements significatifs dans leur environnement macro-économique, les firmes et/ou les entreprises peuvent éprouver des difficultés à profiter de ces nouvelles opportunités si une meilleure attention n'est pas apportée à l'amélioration des infrastructures et au développement du capital humain qui constituent des externalités positives souvent recherchées par les investisseurs d'où le rôle prépondérant des investissements publics. Du reste, l'accumulation du capital physique permet d'accéder à la technologie tandis que l'investissement en capital humain facilite l'absorption et le développement des nouvelles technologies. Les investissements publics constituent, par ailleurs, le seul moyen d'irradier l'économie d'infrastructures qui constituent en réalité le socle de la croissance. 2) Au niveau juridique et institutionnel Il n'existe pas de modèle standard d'un environnement juridique, réglementaire et judiciaire propice à l'investissement et donc à la croissance, mais l'expérience des pays développés suggère que cet environnement doit comprendre : 160. Entre février 93 et février 91, le syndicat patronal des industriels sénégalais (SPIDS) avait noté une progression de 66,7% des impôts prélevés sous différentes formes. Par contre dans le même temps, l'impôt sur les propriétés bâties avait baissé de 20%. 161. En Chine, l'astuce pour attirer les capitaux étrangers – ceux de la diaspora chinoise, en particulier – a consisté à permettre l'implantation d'entreprises bénéficiant d’un statut d’entreprise franche sur l'ensemble du pays. 183 des mécanismes justes et prévisibles veillant à l'application des contrats dans les cours de justice de première instance et de premier appel ; des mécanismes administratifs et des entités d'arbitrage ainsi que tout un ensemble de moyens de résolutions des litiges moins formels ; un système bien défini de lois et réglementations économiques adaptées aux besoins du marché, notamment les droits de propriétés, le code du travail et le nantissement ; la transparence, la responsabilisation et le caractère ouvert de l'information relative à la gouvernance qui reposent sur une séparation claire des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ainsi que des lois à l'appui de cette séparation du pouvoir. L'harmonisation du droit des affaires dans tout l'espace de l'Union Économique et Monétaire Ouest-Africain (UEMOA), de par la mise en place de l'Organisation pour l‟Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) participe ainsi à cette volonté d'offrir à l'investissement et aux entreprises un cadre juridique favorable au climat des affaires. C'est qu'en réalité, l'absence de démocratie et des libertés individuelles affectent le taux d'accumulation et l'efficacité des facteurs de production. Pour MICHAILOFF S. «l'État doit demeurer l'arbitre et le responsable de l'élaboration des règles du jeu et de leur respect ; règles du jeu qui s'imposent à tous et à lui-même au premier chef». Pour travailler, les entreprises ont besoin d'un environnement adéquat et stable où les règles connues et comprises de tous s'appliquent à tous sans passe-droit ou dérogation. En d'autres termes, les entreprises souhaitent un État de droit, en rupture avec le système de "gestion par l'exception". C'est que l'investissement direct, domestique ou étranger, par nature irréversible, est fortement influencé par la crédibilité des gouvernements qui mettent en œuvre les réformes. Ainsi, dans la situation d'incertitude née du manque de confiance des investisseurs dans les États africains et de la réputation entachée des institutions internationales (suite aux échecs répétés des PAS qui, en outre, ne semblaient pas avoir d'horizon temporel défini), on a assisté, excepté dans le secteur pétrolier et les investissements de la France Ŕ dont les motivations s'inscrivent dans une dynamique de coopération particulière Ŕ à un arrêt puis, à un retrait des firmes étrangères, animées, en définitive, par une certitude négative. Ce mouvement s'est d'autant plus accentué que les firmes ont substitué au marché de l'Afrique, les "marchés de développement" émergents de l'Asie du Sud-est et de l'Amérique Latine où se développent des opportunités d'investissement. Dès lors, la restauration d'institutions crédibles devrait constituer le credo des États africains dans la quête d'une reprise de l'afflux d'IDE. Il est clair que pour le cas de l'Afrique sub-saharienne on note, hormis le secteur pétrolier et les investissements préférentiels de la France, une forte désaffection des IDE. En effet, des travaux ont pu révéler que les IDE n'y sont pas déterminés par leurs arguments classiques (taux de croissance du PIB, taux de croissance anticipé du PIB, taux de croissance démographique, revenu par tête, encours de la dette, taux d'investissement, coefficient de variation des exportations). En fait l'inconstance et le flou qui caractérisent les politiques économiques et, en conséquence, les institutions africaines, ont fini par créer un désintérêt des investisseurs étrangers. C'est dire qu'en définitive, la reprise de la croissance Ŕ donc des investissements en Afrique Ŕ dépend de la restauration de ce qu'ARROW appelle les 184 "institutions invisibles" : la confiance et la réputation. Et seule la bonne gouvernance peut y contribuer. Cela requiert des préalables économiques et institutionnels qui ne peuvent être mis en œuvre que par l‟État. 185 CHAPITRE 22 : L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT OU L’ALTRUISME À BOUT DE SOUFFLE. L‟aide publique au Développement est un concept couramment utilisé mais très rarement explicité par les auteurs. Aujourd‟hui, le concept est revenu en force dans la littérature et suscite de vives controverses relatives à son contenu, son évaluation quantitative et surtout sa relation avec le développement économique et social. La définition la plus élaborée est celle de l‟OCDE qui considère l‟APD comme «constituée par la totalité des ressources que le gouvernement d‟un pays donateur consacre aux pays dits pauvres et qui vise le développement : le transfert de ressources doit comprendre un élément de don donc de libéralité». Cette définition exclut l‟aide militaire, les prêts et les divers transferts réalisés aux conditions du marché (comme par exemple les IDE) et les crédits à l‟exportation. En revanche, elle inclut l‟assistance technique et financière assurée par les pays donateurs, l‟aide alimentaire et l‟annulation de la dette. Selon le Rapport BRANDT, l‟aide peut être considérée comme un complément de ressources drainées vers les PSD pour financer leurs besoins d‟investissement. D‟autres auteurs qualifient l‟aide comme « dons » ou encore des transferts de ressources sans compensation. C‟est pourquoi, Monique DUPUIS invite à faire des distinctions claires qui doivent par la suite faciliter les comptes véritables de l‟APD. Dans cette optique, on peut distinguer l‟aide extérieure qui est un transfert de ressources se manifestant en général sous trois formes principales (des emprunts, des subventions ou des dons) et qui se réalise par trois voies : elle peut être bilatérale, c‟est-à-dire entre deux pays amis ; multilatérale, dans ce cas elle est consentie par des organisations internationales (BIRD, AID, UE, OCDE, etc.) et en fin, des entreprises peuvent décider d‟investir en dehors de leur pays d‟origine, dans ce cas on parle de l‟aide privée. Ces voies sont d‟une part les canaux par lesquels transitent, ou pourraient transiter, les ressources qui financent les projets et programmes de développement et, d‟autre part, les modalités de mise à disposition des ressources. L‟aide est dite officielle quand elle se présente comme un transfert de ressources réelles qui ne se serait pas produite sans l‟action d‟un gouvernement ou d‟un organisme officiel (Banque mondiale, PNUD, BAD etc.) Également, les apports financiers constitutifs de l‟APD se présentent aussi « sous forme d‟aide par projets, ou aide par programme.162 L‟APD peut être ou non liée ; elle est liée quand elle comporte un certain nombre d‟obligations que le receveur doit remplir totalement ou partiellement pour utiliser les sommes mises à sa disposition. Ces obligations prennent la forme de conditionnalité. Quatre analyses et évaluations faites à des périodes différentes convergent pour établir toute la complexité et les polémiques soulevées par l‟aide au développement : La première est de l‟économiste ghanéen, ancien Directeur de l‟IDEP, GAKwamé AMOA163 qui note que « Les ressources financières reçues par l‟Afrique sont loin d‟être négligeables ; elles tiennent la comparaison quantitative avec celles reçues par l‟Europe au titre du Plan Marshal. Pourtant les résultats sont insignifiants. Si les Monique DUPUIS : Crise mondiale et aide internationale : Stratégie canadienne et développement du Tiers-Monde, Éditions Silex 1984 p79. Le Rapport de la Commission PERASON évaluait à 20% les coûts supplémentaires imputables au caractère lié de l‟Aide. 163 Ga-Kwamé AMOA : Échanges internationaux et sous-développement, Éditions Anthropos- IDEP, 1974 p.64 162 186 programmes élaborés et financés étaient fondés sur une théorie valable, ils auraient certainement permis de réaliser des progrès plus substantiels » La seconde idée est émise par Tobor MENDE164 qui observe que « Pendant quelques années, les États-Unis ont consacré prés de 3% de leur PNB à aider l‟Europe. Il s‟agissait de remettre en état des sociétés modernes et hautement productives temporairement endommagées par la guerre…Paradoxalement, la justification et le but originel de l‟aide, qui était d‟alléger le coût humain et social et l‟effort de développement, sont remis en question et supposés avoir fait exactement le contraire » La troisième idée émane d‟une ONG indépendante qui estime que « Historiquement, l‟aide a trop souvent servi les intérêts stratégiques et de politique étrangère des donateurs, sans tenir compte des droits et des besoins des pauvres, et allant parfois jusqu‟à leur nuire. La communauté des donateurs a fait certains progrès ces dernières années, reconnaissant le besoin d‟améliorer l‟efficacité de l‟aide de façon à ce qu‟elle produise le maximum d‟avantages pour les pauvres. Cependant, le Bilan de l‟aide 2006 révèle que depuis 2001 les donateurs ont consacré une bonne partie des budgets de l‟aide à leurs priorités de politique étrangère dont la guerre mondiale contre le terrorisme ».165. Enfin, la quatrième idée est celle de la Déclaration de Paris faite par toutes les Agences donateurs d‟aide qui récusent fortement l‟inefficacité de l‟aide en recommandant que « Les donneurs doivent être guidés dans leur choix des modalités de l‟aide les plus efficaces par les stratégies et les priorités de développement définies par les pays partenaires. Nous nous efforcerons, à titre individuel et collectif, de choisir et de concevoir des modalités appropriées et complémentaires dans le but d‟optimiser leur efficacité globale »166 Section 1 : Caractéristiques générales de l’Aide Publique au développement. Normalement, l‟aide apporte des bénéfices à la fois au pays donateur et au pays destinataire. L‟aide est souvent assimilée au financement du développement, mais en réalité une grande partie est accordée à d‟autres fins. Ainsi, les pays de l‟OCDE considèrent une large gamme de financements comme faisant partie de l‟APD, notamment des dons à objectifs spécifiques tels que les coûts d‟administration des programmes, l‟aide alimentaire et l‟aide d‟urgence, la coopération technique et les allégements de dette. Le reste est formé des «dons à objectifs non spécifiques» et constitue ce que les contribuables considèrent généralement comme l‟aide extérieure : le financement de projets dans les domaines de l‟éducation, de l‟infrastructure et de la santé, ainsi que l‟aide au budget général. Tobor MENDE : De l‟aide à la recolonisation, les leçons d‟un échec, Éditions du Seuil, 1972, p173 Reality of Aid 166 Déclaration de Paris des Donateurs sur l‟Efficacité de l‟aide, Paris Février-Mars 2005 164 165 187 Tableau 19 : Répartition de l’APD (en %) suivant le motif 1990-96 1997-00 2001-04 Programme et 79,0 72,4 57,2 projet d‟aide Aide d‟urgence et 4,1 6,7 9,1 reconstruction Allègement de 16,9 20,9 33,7 dette Source : Comité d‟Aide au Développement (OCDE) À travers ce tableau, on peut remarquer que l‟allégement et l‟aide d‟urgence augmentent lorsqu‟on se procure des ressources qui auraient financé des projets et programmes. Alors, est ce que dans ces conditions l‟allégement de la dette est une solution absolue ? De manière générale, les pays donateurs ventilent leurs ressources excédentaires vers des pays suscitant un intérêt géostratégique, commercial ou économique. «À titre d'exemple, lorsque la Guerre du Golfe éclate, les États-Unis annulent près de la moitié de la dette égyptienne en échange de son ralliement au bloc occidental, et comptabilisent cette réduction dans leur budget d'aide publique au développement. Plus récemment, la hausse de l'APD américaine constatée en 2001 résulte pour l'essentiel du soutien financier de plus de 600 millions de dollars accordé en un temps record au Pakistan à la suite des événements du 11 septembre. Similairement, la guerre déclenchée en Irak au printemps 2003 a donné lieu à une augmentation massive des crédits de l'agence de coopération USAID, pour la reconstruction du pays, profitant quasi exclusivement aux entreprises américaines. » En 1998, a été créée la Zone de Solidarité Prioritaire evec une liste des 60 pays les plus pauvres devant bénéficier de l‟APD française. En réalité, la France octroie davantage d'aide aux pays à revenu intermédiaire ou aux pays exportateurs de matières premières Ŕ commercialement plus intéressants. La partie « don » de l‟aide n‟est pas octroyée au hasard, les orientations sont fixées à l‟avance comme en témoigne l‟exemple de l‟aide de la France aux pays bénéficiaires et qui se résume comme suit : 188 Tableau 20 : L’aide de la France aux pays bénéficiaires Destination Opération sur la dette Coopérants Promotion de la Francophonie Description % APD bilatérale Rééchelonnement de la dette. Parfois annulation 30-40 % de dette ou révision des taux d‟intérêt. Envoi de coopérants pour des projets techniques, scientifiques ou culturels. On recensait 3 250 coopérants en 2001. Les salaires de ces coopérants 20-25 % sont généralement élevés, de l‟ordre de 4 500 à 23 000 € par mois. Projets culturels francophones, enseignement du français. 15-25 % Financement pour l'étude et la réalisation d'équipements, d‟infrastructures (ex : eau/assainissement), de programmes d‟actions (ex : Aide-projet santé, éducation). Jusqu'en 2002, un tiers de cette aide était « liée » : les dons ou prêts étaient conditionnés par l‟octroi des travaux à une entreprise française. Envoi de professionnels français pour former Armée l‟armée locale, la gendarmerie, etc. Dons versés directement à un État. Le parlement français n‟est pas informé. La nature de ces dons est Aide inaccessible au public. Cette somme a fortement budgétaire diminué ces dernières années, suite aux soupçons de détournement notoire dont elle faisait l'objet. Aide à Il s‟agit essentiellement de soutien aux l‟ajustement programmes d‟ajustement structurel de la Banque structurel Mondiale et du FMI dans certains pays. Sources : OCDE, Politis. 5 à 10 % 3% 1% 1% De nombreux facteurs ont contribué au déclin de l‟aide-projets. La baisse de plus d‟un tiers de la part de l‟aide allouée aux projets et programmes dans le total de l‟APD de 63 % à 41 % a coïncidé avec une augmentation des coûts administratifs, des allégements de dette et de l‟aide d‟urgence. La coopération technique, qui sert pour l‟essentiel à rémunérer des conseillers étrangers, est traditionnellement la deuxième composante de l‟aide. Il arrive même que le financement de programmes de formation, de rapports d‟analyse et de conseils d‟experts ne franchisse jamais les frontières du pays donateur. La part de la coopération technique a diminué, mais représente toujours environ un cinquième de l‟APD, qu‟on évalue à 4,5 milliards de dollars en 2004 pour l‟Afrique. Les coûts d’administration de l‟aide bilatérale sont passés en moyenne de 5 % à près de 8 %, en partie à cause de la multiplication des agences et des pays intervenant dans la fourniture de l‟aide : alors que 2 agences et 10 pays aidaient l‟Afrique en 1960, ils étaient 16 agences et 31 pays à rendre compte au CAD en 2004. Les mesures des coûts administratifs des donneurs ne tiennent pas compte de la charge administrative énorme supportée par les pays bénéficiaires. Selon une estimation informelle basée sur une enquête réalisée auprès de responsables politiques de haut niveau, les contraintes administratives et les visites de délégations 189 des donateurs bilatéraux et multilatéraux absorbent jusqu‟à la moitié du temps des hauts fonctionnaires dans les pays africains (Banque mondiale, 2000). L‟allégement de la dette a été multiplié par cinq depuis la fin des années 80 et représente aujourd‟hui 20 % de l‟APD. Il est comptabilisé comme «don à objectifs spécifiques» dans le système CAD/OCDE, ce qui traduit la volonté de faire en sorte que, pour l‟essentiel, l‟allégement de la dette s’ajoute aux nouveaux engagements au titre de l‟APD. Il est très difficile d‟évaluer l‟allégement de la dette et il convient d‟affiner les méthodes de mesure. Les allégements portant sur des dettes dont le service n‟est plus (et souvent ne peut être) assuré ne dégagent pas de nouvelles ressources pour le développement, même s‟ils réduisent le surendettement. Néanmoins, pour les dettes en cours de remboursement qui, indéniablement, hypothèquent les ressources futures, l‟allégement peut fournir un montant équivalent de liquidité. L‟aide d’urgence et l’aide alimentaire ont elles aussi fortement augmenté, puisque, globalement elles ont presque doublé depuis 1980, passant de 7 % à 13 % de l‟APD. Ce type d‟aide est opportun en situation de crise, mais ne contribue pas à financer le développement à long terme. Enfin, le fait de lier l‟aide aux exportations ou aux entreprises du pays donateur est une autre pratique qui réduit la valeur de l‟aide publique. On estime que l‟aide liée est de 11 % à 30 % moins efficace que l‟aide non liée en raison des écarts de prix entre ce que facturent les entreprises du pays donateur et les prix du marché (ONU, 2005). Au cours des années 80, plus de la moitié de l‟aide était liée. Il semblerait que la part de l‟aide liée soit en baisse, mais comme plusieurs donateurs ne la distinguent plus de l‟aide non liée dans leurs statistiques, cela est difficile à confirmer. Toutefois, en se fondant sur les données connues, l‟ONU estime que l‟aide liée a réduit la valeur de l‟aide bilatérale à l‟Afrique de 1,6 à 2,3 milliards de dollars (sur un total de 17 milliards de dollars) en 2003 en résumé, moins d‟un quart de l‟aide bilatérale et 38 % de l‟aide totale sont fournis sous forme de crédits visant à financer directement la construction d‟infrastructures, l‟éducation des enfants ou la lutte contre les maladies infectieuses. Ces chiffres excluent l‟allégement de la dette, dont une partie dégage des ressources supplémentaires. Autrement dit, le financement du développement au sens traditionnel du terme est de très loin inférieur à l‟aide déclarée comme telle. On évalue la quantité d‟aide reçue en comparant les ressources disponibles dans le pays, aides incluses, aux ressources dont il disposerait en l‟absence de l‟aide : la différence est la valeur de l‟aide. L‟aide doit être évaluée aux prix mondiaux, c‟està-dire sur le marché libre. Les coûts et les bénéfices qui se réaliseront dans le futur doivent être évalués en valeur actualisée (valeur actuelle). Celle-ci prend la forme suivante : «Valeur actuelle» (ou valeur actualisée) : pour un projet avec des coûts et des bénéfices étalés sur plusieurs années, soit, C = coût pendant une certaine année ; B = bénéfice pendant une certaine année R = taux d‟escompte pour le futur (R s‟appelle aussi : «taux d‟actualisation »). Les indices indiquent l‟année : O indique l‟année du départ, l indique un an après ; 2 indique 2 ans après ; … n indique n années après le départ (date ou le projet se termine). Alors : Valeur actuelle = VA = BO - CO + B -C B1 - C1 B -C B - Cn + 2 22 + 3 33 + ….. + n 1 R (1 R) (1 R) (1 R) n 190 Le cas d’un don «lié» : Souvent l‟aide (surtout si elle se présente sous la forme d‟un don) est liée, c‟està-dire qu‟il faut la penser en achetant des produits du pays qui l‟octroie. Supposons que les états de l‟union donnent une locomotive au Mali. L‟évaluation de la valeur de l‟aide par le pays émetteur de l‟aide est ainsi : locomotive du pays pour une valeur de : $ 90.000, frais de transport au Mali sur le bateau du pays $ 10.000, valeur totale : $ 100.000. Quelle est la valeur de cette aide du point de vue du Mali ? Si le Mali avait acheté une locomotive avec ses propres ressources, il aurait cherché le vendeur le moins cher. Supposons que le Mali aurait pu acheter une locomotive similaire fabriquée en Chine pour $ 50.000, avec transport sur un bateau grec pour $ 5.000. Donc la valeur de la locomotive du point de vue malien serait en fait de $55.000. L‟aide est parfois liée aux poids des exportations de matières premières du pays bénéficiaire vers le pays donateur : plus le pays exporte des matières premières, plus il reçoit. En effet, on peut remarquer une corrélation (proche de 80%) entre le volume d‟exportation du pays (pétrole, bois, cacao, minerais, etc.) et l‟APD bilatérale reçue. Tableau 21 : Comparaison APD/Exportations Moyenne entre 1992-1997, en € / habitant Pays APD France Exportations Gabon 68 2460 Congo Ŕ 62 488 Brazza Côte d‟Ivoire 25 258 Mauritanie 23 228 Sénégal 21 105 Cameroun 19 150 Centrafrique 15 50 Tchad 9,5 32,5 Togo 9 59 Niger 8,5 32 Madagascar 8 27 Guinée 8 79,5 Bénin 7 76 Mali 6,5 38,5 Burkina Faso 6 51 Source : PNUD 1999, CNUCED, bilans annuels globaux des services de la coopération française. Section 2 : La petite histoire de l’aide Ses premières manifestations remontent à la colonisation Les bénéfices économiques du colonialisme sont liés à l‟introduction de nouveaux produits, exemple : nouvelles cultures, mines, l‟établissement de ports, chemins de fer, autres voies de communication, l‟éducation, mais aussi a monétarisation de l‟économie. Pour tous ces domaines, il y a une compensation des apports et des désavantages. 191 Évidemment, les politiques économiques avaient surtout pour objectif d‟aider la métropole. Ensuite on a l‟aide technique que le Bureau International du Travail accorde depuis 1919. Aussi, après la 2ème Guerre mondiale, toute une série d‟institutions de l‟ONU et d‟autres organismes internationaux fournissent de l‟aide technique. Dans les années 1950 : L‟aide est constituée par des projets ; non seulement, il faut transférer de la technologie, mais également des capitaux. Il n‟est pas suffisant de dire comment faire, mais il faut encore donner les moyens. Ex. : Centrale d‟Électricité, on dit non seulement comment faire, mais on donne les moyens. On se concentre sur les Industries de Substitution d‟Importation (ISI) : boissons, chaussures, allumettes. Beaucoup d‟investissements dans le capital social, l‟infrastructure : voies de communication, électricité, projets d‟irrigation, barrages. Dans les années 1960 Les programmes constituent la base de l‟aide : on veut coordonner les divers projets évitant les gaspillages, dans des programmes couvrant l‟économie au niveau national. Les organismes fournissant l‟aide (surtout les Etats-Unis, la BIRD) insisteront sur l‟élaboration d‟un Plan du Développement. Mais les résultats n‟ont pas trop répondu aux espérances : ainsi, certains pays font des plans uniquement pour avoir de l‟aide, mais qui ne seront jamais exécutés. On se concentre sur les industries d‟exportations : il ne suffit pas de réduire les importations (surtout que les ISI importent une large partie de leurs matières premières), il faut également augmenter les exportations. Les années 1970 Depuis le milieu des années 60, on met d‟avantage l‟accent sur le secteur agricole : par exemple, la «révolution verte» de nouvelles semences de blé et de riz. On s‟aperçoit que le développement a apporté le moins d‟avantages aux couches sociales les plus pauvres, qui ont largement été laissées en arrière. Dans les années 70, un objectif principal de la BIRD est «d‟aider les 40% de la population les plus pauvres ». Puisque le secteur rural est plus pauvre que le secteur urbain, on continue à se concentrer sur l‟agriculture. Il y a un retour vers l‟aide basée sur les projets (plutôt que les programmes). Il y a un accroissement graduel de l‟aide multilatérale (qui reste néanmoins une minorité de l‟aide totale). L‟aide bilatérale est faite d‟un État à un autre ; l‟aide multilatérale, entre plusieurs États à la fois (ex. ONU, Banque mondiale, Fonds Européen de Développement). L‟aide multilatérale est moins liée aux conditions politico-économiques que l‟aide bilatérale. Statistiques de l‟ONU sur la part du total de l‟aide publique au développement fournie aux organismes multilatéraux. Tableau 22 : Part du total de l’aide publique au développement fourni aux organismes multilatéraux Année % du total 1969 16% 1970 17% 1971 18% 192 1972 23% 1973 25% Section 3 : Les motivations de l’aide L‟aide est orientée d‟abord vers les pays plus respectueux des libertés civiles et des droits politiques. Cela s‟explique à la fois par la plus grande sélectivité de l‟aide et par la diffusion des institutions démocratiques et des élections pluralistes en Afrique. La part de l‟aide aux pays où aucune contrainte ne s‟exerce sur le pouvoir exécutif est passée de près de la moitié à 18 %, et l‟aide aux pays plus démocratiques dotés d‟un système de contrepouvoirs limitant le pouvoir de l‟exécutif a presque triplé. Deuxièmement, la sélectivité en fonction de critères politiques et de la pauvreté s‟est considérablement accrue. Cette tendance est plus marquée pour les bailleurs de fonds multilatéraux, mais les donateurs bilatéraux accordent aujourd‟hui beaucoup plus d‟importance à la qualité de la gouvernance et des politiques d‟ensemble dans leurs décisions en matière d‟aide. Ces considérations sont explicitement formulées dans les systèmes d‟attribution fondés sur les résultats qu‟utilisent les banques multilatérales de développement et plusieurs donateurs bilatéraux. Troisièmement, il est désormais admis qu‟il faut améliorer la qualité de l‟aide en réduisant le nombre d‟agences intervenant dans sa fourniture, en harmonisant les procédures de manière à réduire les coûts de conformité pour les bénéficiaires, en supprimant l‟aide liée et en alignant l‟aide sur les priorités définies par les pays bénéficiaires eux-mêmes. La Déclaration de Paris de l‟OCDE sur l‟efficacité de l‟aide, adoptée en 2005, est un pas décisif dans cette direction. Le Rapport de suivi mondial 2006 (Banque mondiale et FMI, 2006), qui rend compte de l‟action des donateurs, des pays en développement et des institutions financières internationales au regard de leurs principales responsabilités aux termes de l‟Accord de Monterrey constitue une autre étape vers la reconnaissance d‟une responsabilité partagée. Quatrièmement, d‟après les indicateurs de la gouvernance, de nombreux pays améliorent la gestion de leurs ressources publiques en renforçant le contrôle fiduciaire. Dans les pays qui bénéficient d‟un allégement de dette au titre de l‟initiative en faveur des pays pauvres très endettés, les indicateurs concernant la gestion des finances publiques révèlent que de nombreux pays ont réalisé des progrès dans ce domaine depuis 1999, et de nouveaux indicateurs sont mis au point pour apprécier les résultats dans d‟autres domaines de la gouvernance. Il est difficile de savoir quelle est la motivation réelle de l‟aide, les gouvernements, encore plus que les personnes physiques, ne révèlent leurs motivations (hypocrisie). Par moment, même un organisme fournisseur d‟aide cite différentes motivations selon celui qui écoute son message. On peut retenir comme motivations possibles : Humanisme et désintéressement (plutôt rare). Paternalisme envers des anciennes colonies. Il s‟agit d‟un humanisme avec des restrictions géographiques. Obligation morale pour se racheter de l‟exploitation passée (une motivation citée par les pays pauvres). Comme les motivations (1) et (2), c‟est une obligation morale, mais l‟obligation (3) est remplie avec honte plutôt qu‟avec fierté. Motivations politiques et militaires (ex. : pour influencer des votes à l‟ONU, aide des États-Unis à la partie sud du Vietnam, aide de la Russie et de la Chine à la partie nord du Vietnam). Création ou élargissement du marché pour les exportations des pays riches envers les pays pauvres. Stimulation des exportations des pays pauvres envers les pays riches. Ex : produits minéraux, cultures de rente. 193 Intérêt des individus : il y a toute une bureaucratie qui travaille pour l‟aide, dans les pays riches et dans les pays pauvres : ils veulent que l‟aide continue. Au lieu d‟essayer de deviner les motivations pour une offre d‟aide, il importe d‟ évaluer l‟aide cas par cas, et décider si elle convient au pays. dans le cas de l‟aide liée : quelle est sa valeur réelle ? dans le cas d‟un emprunt : le pays aurait-il des difficultés à rembourser la dette ? si l‟aide augmente par le biais des investissements étrangers dans l‟économie du pays, cette augmentation de l‟influence étrangère est elle acceptable ? Il est difficile d‟accepter toute aide aveuglément, en pensant que les donateurs ne sont pas de fins calculateurs. Toutefois, il est tout aussi est inconcevable de refuser toute aide, en pensant que les donateurs sont de purs diables (Cas des militaires Birmans rejetant toute aide extérieure pour conjurer une catastrophe nationale). Section 4 : L’Exemple de l’aide dans les Accords de Lomé La Convention de Lomé, qui organise aujourd‟hui les relations de coopération entre les 15 pays de l‟Union Européenne et 71 pays d‟Afrique, Caraïbes et du Pacifique, a symbolisé une vision positive de la coopération au développement, en voulant rompre avec la période coloniale et instaurer des relations paritaires entre les pays du Nord et du Sud. La réflexion est engagée depuis plusieurs années pour savoir quelles seront les modalités de coopération souhaitables depuis la 4è Convention de Lomé, c‟est à dire l‟an 2000. L‟instrument financier principal de cette coopération est le Fonds Européen de Développement (FED), dont le financement est assuré par les contributions directes des États Européens en fonction de leur capacité contributive. Celle-ci est définie lors de l‟accord qui préside à la naissance du FED, puisque chaque Convention est à l‟origine d‟un nouveau FED : accord conclu entre les seuls Etats européens. Au FED s‟ajoutent des prêts à des conditions spéciales accordés par la Banque Européenne d‟Investissement (BEI) et les aides bilatérales accordées individuellement par les Etats membres. Dans le cadre des Programmes Indicatifs Nationaux (PIN) et des Programmes Indicatifs Régionaux (PIR), une aide importante est accordée, auparavant sous forme de financement de projets spécifiques, de plus en plus comme appui technique et financier aux politiques sectorielles. Cette aide concerne aujourd‟hui principalement les infrastructures et services économiques (transports et communications, services bancaires et financiers, énergie), les infrastructures et services sociaux (éducation, santé et démographie, eau). À ceci s‟ajoutent des dispositifs de soutien aux politiques d‟industrialisation et de transferts de technologie, en particulier à travers la création du Centre pour le développement industriel établi à Bruxelles. L‟aide humanitaire, aide d‟urgence (faire face à des situations catastrophiques comme la guerre ou la sécheresse), aide aux réfugiés (aider les pays ACP à intégrer dans leur population des réfugiés étrangers ou permettre le retour de nationaux réfugiés à l‟étranger, ne représente qu‟une partie relativement faible des ressources du FED, mais complétée par l‟aide alimentaire gérée par la Commission, elle fait de l‟UE un des premiers contributeurs de l‟aide internationale. À partir de la seconde Convention de Yaoundé (1969) et tout au long des années 70, s‟est affirmée l‟idée de répondre aux demandes d‟aide au développement provenant de pays engagés dans des programmes de coopération et d‟intégration 194 régionale. La petite dimension moyenne des pays ACP plaide en effet pour le renforcement du soutien aux efforts d‟intégration commerciale régionale, de façon à accroître la dimension des marchés. La Convention de Lomé IV permet d‟affecter certains crédits exclusivement à des projets régionaux (exemples de la CEMAC ou de l‟UEMOA). Section 5 : L’APD chiffres et débats : L’aide au développement revient au devant de la scène En juillet 2005, le sommet du G8, organisé par le Royaume-Uni, avait fait de l‟aide un de ses thèmes centraux de discussion et certains pays participant, sans plus attendre, ont multipliés des prises de positions allant dans le sens de l‟effort supplémentaire qu‟appelle l‟Afrique, ou les voies et moyens d‟accroître les flux d‟aide publique allant dans le monde en développement. En septembre de la même année, les États-Unis convient à une conférence sur les objectifs du millénaire pour le développement afin de faire le point sur l‟état de progression des objectifs à atteindre. C‟est dire que le développement est aujourd‟hui au carrefour d‟une prise de conscience réaffirmée que Nord et Sud ont des intérêts commun et partagés. Ce retour de l‟aide au premier plan des préoccupations de la communauté internationale, qui contraste avec le moindre intérêt et la remise en cause des années 1990, est du à deux événement majeurs : Le premier est le sommet du millénaire en septembre 2000. Les états membres des Nations Unis y ont pris l‟engagement solennel et unanime de réduire la pauvreté en se fixant un certain nombre d‟objectifs quantifiés et un calendrier de réalisations. L‟engagement en question réaffirmait ainsi l‟une des missions dévolues à l‟aide, qui est d‟être une expression de la solidarité des pays riches avec les pays pauvres. Le second événement a trait aux attentas du 11 septembre 2002 de New York et Washington qui, en réactivant dramatiquement la conscience des relations qu‟entretiennent sécurité et développement, rappelle que l‟aide constitue, pour les pays riches, un élément stabilisateur de leur environnement géopolitique. Les conséquences de ce retour de l‟aide sont de deux ordres : d‟une part les montant financiers qui lui sont consacrés sont repartis à la hausse et divers propositions visent à les accroître encore, d‟autre part on assiste à une vigoureuse reprise des débats d‟idées. I/ Les nouveaux fondements de l’aide Au début, l‟aide était un gage de stabilité géopolitique pour les pays riches et une question de solidarité pour les pays pauvres. Ces deux finalités traditionnelles restent aujourd‟hui ses fondements les plus solides du fait qu‟elles s‟inscrivent dans le processus de mondialisation dont elles essaient de corriger certaines conséquences dommageables. Cela étant, ce même processus de mondialisation a propulsé au premier plan d‟autres catégories de problèmes dont les solutions pourraient provenir de l‟aide au développement puisqu‟elle est l‟un des vecteurs des transferts de fonds du Nord vers le Sud et de l‟affectation de ces ressources à la couvertures des besoins collectifs qui ne sont pas spontanément pris en compte par les marchés. De ce point de vue, l‟environnement est la première de ces nouvelles finalités. Le sommet de Rio est le point de départ de politiques visant à préserver la 195 nature (l‟eau, l‟air et la biodiversité notamment), mais aussi à introduire des pratiques d‟exploitation qui ne dégradent pas le stock de capital que constituent ces ressources ou qui en permettent la reproduction. L‟environnement ne mobilise encore qu‟une faible partie de l‟aide, mais le concept de développement durable lui confère un double rôle : le premier est d‟asseoir dans le présent le développement sur des fondements fiables et donc de ne pas créer simultanément des déséquilibres environnementaux, sociaux ou autres, qui le fragilisent. Le second consiste à préserver le stock de capital dont auront besoin les générations futures pour ne pas entraver leur propre développement. Un autre concept, celui de biens publics mondiaux (qui d‟ailleurs est un autre aspect des préoccupations environnementales), devient une nouvelle raison d‟être de l‟aide. Ces biens publics, dont la sous-production entraîne des externalités négatives, sont pour certains d‟entre eux communs à l‟humanité entière. Cependant, leur production (ou la réduction desdites externalités) ne peut faire l‟économie des efforts de tous. C‟est le cas des guerres, de la destruction de certaines ressources naturelles, des grandes pandémies etc. La problématique est alors la mobilisation et l‟allocation de ressources publiques par tous les pays, qu‟ils soient développés ou non, ce qui soulève une réticence chez les derniers. La fraction de l‟aide dont on peut estimer qu‟elle va aujourd‟hui au financement des biens publics mondiaux ne représente que 15% des montants qu‟elle mobilise, mais elle est vraisemblablement appelée à accroître, sauf si des mécanismes spécifiques dédiés à la gestion et au financement de ces biens sont mis en place. II/ Les outils de mise en œuvre : de nouveaux canaux de l’aide ? d’acheminement Ces outils sont les canaux par lesquels transitent, ou pourraient transiter, les ressources qui financent le développement et les modalités de mise à disposition de ces ressources. Pourtant, même après avoir écarté les échanges commerciaux, l‟aide n‟est qu‟un acteur de second rang dans la mobilisation des ressources qui financent les investissements des pays en développement. Pour cause, les IDE sont la principale source extérieure de financement de la formation de capital fixe (135 milliards de dollars en 2003, soit le double de l‟aide). De plus le gros des ressources, soit les 85% provient de l‟épargne domestique, publique et privée, des pays en questions. Cependant, l‟aide publique au développement reste une source irremplaçable de financement du développement, bien que certaines de ses caractéristiques posent problème et suggèrent une réflexion sur la création de canaux alternatifs. L‟aide publique classique (celle qui est dispensée par les agences d‟aide tant bilatérales que multilatérales) est sujette à beaucoup de controverses. Son inconvénient la plus mis en avant relative aux montants qui sont appréciés en valeur absolue et, de ce point de vue, tenus pour insuffisants, comparés aux objectifs du millénaire. Cette insuffisance quantitative de l‟aide est également appréciée par rapport aux efforts que les pays développés sont priés de faire (seulement 0,25% de leur PIB y est consacré alors qu‟ils y a trois décennies, l‟objectif était fixé à 0,7% par les Nations Unies), mais aussi soulignée par l‟inégalité des efforts (0,83% pour le Danemark en 2003 contre 0,15% pour les États-Unis.) 196 Aussi, plusieurs pistes sont envisagés pour trouver ces nouveaux canaux par le biais de l‟ingénierie financière. La première est la mise en place de l‟International Finance Facility (IFF), une initiative de la Grande Bretagne qui a pour ambition d‟accroître immédiatement les transferts en anticipant l‟augmentation future des ressources budgétaires consacrées à l‟aide et en recourant au marché financier. Ainsi, l‟IFF se présente comme une plate-forme de financement recueillant l‟engagement irrévocable des pays membres, puis procédant à intervalles réguliers à des émissions obligataires dont le remboursement serait garanti par lesdits engagements. La seconde piste est l‟institution d‟une fiscalité internationale. L‟idée est partie du constat qu‟il existe des biens mondiaux, mais qu‟il n‟existe aucune autorité capable d‟en tarifer l‟usage et d‟en récupérer le produit. Pour certains de ces biens publics, la fiscalité serait non seulement susceptible d‟en financer la production, mais aussi de dissuader les externalités négatives. Cette fiscalité internationale serait donc par la suite élargie au financement des objectifs du millénaire au nom de la solidarité entre pays pauvres et pays riches. La dernière piste concerne l‟émission de droits de tirage spéciaux (DTS) par le FMI. Mais cette dernière solution se heurte à la peur d‟un nouvel effet inflationniste et aussi de la recherche de mécanisme de mise à disposition. Les autres débats sur l‟aide concernent l‟annulation de la dette et autres aménagements, mais aussi la place du prêt et du don dans le financement du développement. Section 6 : Bilan et limite du modèle de développement fondé sur l’APD Parce que les solutions de marché n‟ont pas permis aux pays africains de peser plus de 2% des échanges internationaux et de sortir automatiquement de l‟état de crise et de pauvreté, on avait pensé que le financement de la transition de ces économies pourrait reposer davantage sur la solidarité des économies développées. Pour atteindre par exemple les objectifs du Millénaire d‟ici 2015, les pays industrialisés devraient porter à 175 milliards de dollars leur aide aux PVD, soit le triple de la somme actuelle (HELLER et GUPTA, 2002). Qu‟en est-il réellement ? I/ Bilan de l’APD 1°) Un désenchantement affiché En progression dans les années 80, les montants alloués à l‟aide n‟ont cessé de se réduire pendant les années 90, même si ce mouvement s‟est stabilisé au début des années 2000, mais à un niveau bas. Cette baisse qui a coïncidé avec l‟effondrement du mur de Berlin, trouve des explications divergentes selon la nature du pays, c‟est à dire selon qu‟il est donateur ou bénéficiaire. Dans les pays donateurs, on l‟accuse d‟être inefficace et d‟alimenter la corruption et pour ces raisons, une certaine opinion demande sa suppression ou tout au moins sa réduction. Dans les pays pauvres bénéficiaires, la baisse de l‟aide s‟explique par le fait que son octroi est de plus en plus soumis à un nombre impressionnant de contraintes et d‟exigences «égoïstes» des bailleurs qui les insupportent et les poussent à en réduire la demande. 197 Toutefois, une réelle inflexion dans l‟évolution de l‟APD semble actuellement en cours. Les intentions annoncées d‟un côté, de porter la part de l‟aide à 0,7% du PIB et de produire davantage des biens publics internationaux sur la base des besoins définis par les pauvres eux mêmes, et de l‟autre de recourir de façon prépondérante plus que par le passé aux dons, laisse entrevoir une amélioration quantitative voire qualitative de l‟aide publique au développement. Le renforcement de la solidarité internationale, conditionné à la mise en application dans les pays bénéficiaires des programmes d‟ajustement et au souci prioritaire de résoudre les crises humanitaires récurrentes, et s‟inscrivant dans la ligne obsessionnelle d‟accroissement de la somme totale d‟argent mobilisée pour l‟aide, ressemble davantage à l‟expression chez les États donateurs en général et leur opinion publique relativement sensible en particulier, à une activité plus charitable qu‟économique. On peut d‟ailleurs se demander si l‟accroissement annoncé de l‟aide reflète selon les cas, la prédominance respective des motivations économiques Ŕ atteindre un taux de croissance requis Ŕ ou altruistes, d‟arguments de justice ou d‟équité, militaires ou stratégiques? En clair, on est en droit de savoir d‟une part, quelle est la nature actuelle du devoir d‟aide qui sous-tend la solidarité internationale à l‟endroit des pays pauvres et d‟autre part quelle est, par rapport aux motivations qui la guident, la meilleure manière de la gérer dans la perspective de l‟amélioration effective de son efficacité dans un système de plus en plus global. L‟observation des résultats économiques et financiers des pays africains bénéficiaires d‟aide laisse transparaître un caractère pernicieux de la solidarité internationale. Bien que la structure des transferts financiers vers l‟Afrique ait été modifiée et leur volume maintenu voire nettement accru certaines années pour compenser une épargne locale faible et inconsistante (8%) (OCDE, 2000), le résultat en matière de développement a été extrêmement décevant. La croissance des économies africaines bénéficiant de cette importante aide, a baissé en moyenne, malgré l‟augmentation constante du pourcentage des aides par rapport à leur revenu et n‟a donc pas par conséquent, contribué à réduire la pauvreté de manière significative (BOONE, 1996 ; SVENSSON, 1997). Entre 1990 et 1998, elles ont enregistré un taux de croissance moyen annuel négatif (- 4.3%) contre 3.6% obtenu par l‟Asie et font face à la fois, à un chômage «wicksellien» et à une amplification des cycles économiques de la crise et de la pauvreté. Si on considère uniquement les PMA dans les années 80 et 90, leur situation s‟est dégradée nettement puisque leurs revenus par habitant ont cru moins vite que la moyenne mondiale. Pour beaucoup d‟analystes, ils ont même fortement diminué au point d‟entraîner ces pays dans «une trappe de pauvreté» (GIRAUD, 2002). L‟occurrence de ces mauvais résultats économiques coïncide avec trois mutations importantes des relations économiques internationales notamment, une baisse tendancielle des budgets attribués par l‟OCDE à l‟aide publique aux PMA après plusieurs décennies de hausse ininterrompue, la prédominance des flux privés et des dons et un déplacement du consensus idéologique parmi un bon nombre d‟acteurs du développement dans les pays riches qui pensent de plus en plus que, l‟aide n‟est utile et efficace que dans les pays qui pratiquent de bonnes politiques économiques et disposent des institutions de qualité et irréprochables. 198 2°) L’APD une charité bien ordonnée : l’exemple de l’Irak Depuis les années 2000, suite aux événements du 11 septembre, les critères d‟allocation de l‟APD obéissent aux préoccupations politiques des donateurs. L‟Irak en donne une parfaite illustration comme en attestent les statistiques suivantes: Selon le Rapport mondial sur le développement humain 2005, la seule augmentation des dépenses militaires depuis 2000 aurait été plus que suffisante pour que tous les donateurs atteignent l‟objectif de 0,7 p. 100 pour l‟enveloppe de l‟aide Depuis 2001, les budgets de l‟aide des États-Unis. et du Royaume-Uni combinés ont augmenté de 22 milliards de dollars. Le tiers de cette augmentation a été affectée à l‟Afghanistan et à l‟Irak. Les donateurs se sont engagés à verser 40,2 milliards de dollars pour les secours et le relèvement de l‟Afghanistan et de l‟Irak; en novembre 2005, ils avaient dépensé 16,7 milliards de dollars. Outre les décaissements au titre de l‟aide, les donateurs avaient accepté, en novembre 2004, d‟annuler jusqu‟à 80 p. 100 de la dette de l‟Irak, qui atteignait près de 40 milliards de dollars. L‟aide publique au développement (APD) des États-Unis (É.-U.) n‟équivalait qu‟à 4 p. 100 des dépenses militaires en 2004, tandis que celle du RoyaumeUni représentait 17% des dépenses militaires du pays. À ce jour, les affectations budgétaires pour la guerre en Irak ont atteint 320 milliards de dollars aux États-Unis. L‟ «Opération Enduring Freedom » des États-Unis en Afghanistan a coûté bien au-delà de 100 milliards de dollars et ce pays dépense maintenant près de 10 milliards de dollars par mois en Irak et en Afghanistan. Les États-Unis. consacrent 76 fois plus de fonds à leur guerre en Irak que le total de l‟APD affectée à la santé, 196 fois plus que pour l‟APD en éducation et 480 fois plus que les normes allouées aux services d‟eau et d‟hygiène publique à l‟échelle mondiale. 3°) Qu’en est-il pour l’Afrique subsaharienne Les économies africaines au cours des années 80 font face à des déficits jumeaux qui ont conduit à une perte de compétitivité, une réduction du niveau de l‟emploi dans certains secteurs, une réduction du pouvoir de négociation des travailleurs dans un contexte de concurrence généralisée et une accentuation des inégalités. La sortie d‟un tel processus passe à moyen et long terme par une restructuration de la société et de l‟État et à court terme par un appel à la solidarité internationale. Cette dernière alternative bien qu‟accompagnée de commentaires plutôt sombres (DAUDIN et VENTOLU, 2003) est d‟autant indispensable qu‟on a observé au cours de cette période dans les pays africains, une chute des recettes publiques en ratio par rapport au PIB: le prélèvement public des pays africains de la zone franc est passé de 21,4% en 1980/81 à 16,7% en 1988/89. L‟aide publique des pays du Comité d‟Aide au Développement (CAD) de l‟OCDE qui se présente sous forme soit des dons, soit des prêts avec facilités de paiement, représente la majeure partie des flux en direction des PVD. S‟élevant pourtant à 0.22% de leur revenu national brut (RNB), elle est en baisse depuis la fin des années 90. Ainsi, sur la période 1989/1998, l‟aide publique au développement totale des pays membres du CAD, exprimée aux prix et au taux de change de 1997, a 199 diminué de 0,7% par an en moyenne. Son montant n‟était plus que de 53 milliards en 1998, 50 milliards en 2000 alors qu‟il atteignait 56,5 milliards USD en 1989. Cette évolution n‟a donc pas été linéaire; après une augmentation entre 1989 et 1992, l‟aide publique au développement a diminué de manière continue entre 1992 et 1997, avant d‟amorcer un mouvement de hausse à nouveau en 1998. Cependant, une décrue s‟est enclenchée dès 1999, traduite par une réduction progressive des montants alloués aux PVD. Ce mouvement s‟est d‟ailleurs stabilisé récemment à un niveau historiquement bas par rapport à l‟objectif fixé en 1970 par les Nations Unies d‟une APD s‟élevant à 0.7% du RNB des pays donateurs. On note que les donateurs ont transféré seulement 50milliards de dollars d‟APD en l‟an 2000 soit 0,22% de leur revenu national contre 0,35% en 1997, 0,25 % en 1996 et 0,33% en 1993/94). La diminution importante du volume de l‟ADP (20% en 2001 par rapport à 1999), résultant du désengagement des plus gros donateurs dont les USA (0.1% de leur PNB), l‟Allemagne (0.28%) et le Japon (0.27%) et de la baisse des décaissements des organisations multilatérales, a coïncidé avec d‟une part, la baisse des taux de croissance et l‟accroissement des difficultés notamment les dysfonctionnements des institutions, rencontrées dans les pays africains, et d‟autre part, l‟émergence d‟une nouvelle philosophie qui assigne désormais à l‟aide publique des objectifs de long terme ambitieux, dont la lutte contre la pauvreté et le soutien au développement durable. L‟observation des données provenant du Rapport sur le Développement dans le Monde de la Banque Mondiale (1999) révèle que malgré la diminution en valeur absolue et relative du volume global des transferts, l‟Afrique Subsaharienne continue à recevoir davantage d‟APD en termes de % de son PNB que le reste du monde. La croissance des pays africains bénéficiant d‟aides importantes et orientées pourtant prioritairement vers le développement du capital humain, a baissé, en moyenne, malgré l‟augmentation constante du pourcentage des aides par rapport à leur revenu, contredisant ainsi les conclusions du Rapport de la CNUCED de 2000 qui établissait une corrélation forte entre le niveau des dépenses de santé et d‟éducation et le niveau de l‟investissement. Plus précisément, les taux de croissance des économies africaines subsahariennes en recul de 0.2% par an en moyenne depuis 1965/66, sont restés les plus faibles entre 1990 et 1998. Figure 13 : L’aide extérieure et la croissance économique en Afrique Source : Banque mondiale 200 Le Rapport du PNUD (1999) et des travaux de A.SEN (1983) suggèrent que l‟aide serve, en amont du jeu économique, à la production des biens marchands ou non qui bénéficient à toute la société. Il s‟agit de biens de type particuliers de réseaux qui ont pour fonctions, l‟insertion politique et social et l‟intégration du plus grand nombre de personnes à l‟échange commercial et de façon globale, promouvoir un développement durable. C‟est dans cette nouvelle perspective logique que l‟on peut mettre les objectifs de développement du Millénaire, les initiatives régionales du NEPAD et la répartition géographique ou sectorielle de l‟APD. En effet, tant en Afrique du Nord, principale bénéficiaire de la réorientation de l‟APD opérée depuis 1996 que l‟Afrique au Sud du Sahara, l‟aide sert de plus en plus non seulement au financement des infrastructures de base mais aussi et prioritairement à la production des biens publics au sens large, c‟est à dire tous ceux qui contribuent au développement tant national qu‟international. Ainsi, on remarque qu‟entre le début des années 90 et l‟année 1997/98, l‟éducation a attiré 10% de l‟APD bilatérale totale et non 8.7%, la santé 6% au lieu de 3.2%, l‟approvisionnement en eau et services d‟hygiène 6.6% contre 2.7%), la paix et sécurité 3% contre 0.5%, l‟environnement et patrimoine culturel 4% contre 2.1%, l‟équité et justice 2.9% contre 1.2%, la connaissance et information et efficacité du marché2,1% contre 1%. II/ Les limites de l’APD 1°) Aide au développement et intérêts géopolitiques Tout ce qui porte le nom d‟aide n‟a pas pour but de servir au développement. Une part considérable de l‟aide officielle n‟arrive pas dans les pays en développement ou en repart vers le Nord, via des prestations excessivement chères. Élément presque plus important encore, une grande partie de l‟aide a, ces cinquante dernières années, été accordée pour des raisons liées à des politiques de pouvoir. L‟Afrique a été et reste le lieu par excellence de la « pseudo aide » motivée par des intérêts géopolitiques. Jusqu‟à aujourd‟hui, la France a essayé par tous les moyens de maintenir des relations politiques et économiques étroites avec ses anciennes colonies ainsi qu‟avec d‟autres pays francophones d‟Afrique comme le Zaïre. La soi-disant aide au développement ne fournit souvent que le lubrifiant nécessaire permettant de maintenir en vie les « amitiés ». Les États-Unis et l‟Angleterre n‟agissent pas autrement. Même l‟aide de l‟Union Européenne est souvent plus orientée vers les besoins d‟influence de ses principaux membres que vers les besoins de développement des pays africains. 2°) Une efficacité remise en cause Depuis Monterrey (2002), les mutations ont conduit à une prise de conscience de la nécessité de réformer à la fois le fonctionnement et la gestion de l‟APD et de repenser la question du développement dans la perspective de rééquilibrer le processus actuel de mondialisation et du programme politique international qui l‟accompagne. Certaines interrogations relatives à la nature du devoir d‟aide, c‟est à dire aider selon les mérites ou selon les besoins, et à son ineffectivité réelle sur les économies bénéficiaires témoignent d‟un souci de réflexion davantage sur d‟un côté, 201 son efficacité effective sur les pays candidats bénéficiaires de plus en plus nombreux pour des montants d‟aide en régression que sur ceux qui contrôlent les performances des organismes d‟aide dans les pays riches, et de l‟autre le souci de réorienter son utilisation vers des activités peu visibles mais indispensables pour le bien-être des pauvres et l‟édification d‟un véritable programme social international. D‟ailleurs, la volonté d‟améliorer l‟efficacité des programmes n‟est envisageable que si l‟on accepte l‟idée structuraliste selon laquelle, le développement ne peut venir que du dedans (SUNKEL, 1993). Accepter cela suppose d‟abord, une remise en cause profonde des relations Nord/Sud, façonnées davantage aujourd‟hui par une libéralisation des échanges reproduisant les anciennes asymétries et créant de nouvelles, ensuite une débilatéralisation de l‟aide au profit d‟une meilleure coordination respectivement des différentes institutions financières internationales et des PVD, et enfin une reformulation dans les pays bénéficiaires de l‟État, acteur social supposé bienveillant et confronté ces dernières années, à l‟émergence de multiples acteurs socioéconomiques rivaux/associés(Société civile, ONG), qui demandent une véritable «révolution démocratique» en matière de gestion de l‟APD. Or, promouvoir la démocratie dans ces États exige l‟exploration de deux types de solutions. D‟une part, mettre en place des incitations appropriées pour limiter l‟utilisation abusive par les agents de l‟État, principaux gestionnaires de l‟APD. Si cette solution de marché n‟est pas possible, encourager d‟autre part, le développement des contre-pouvoirs et des systèmes de checks/balances notamment, en promouvant la participation effective des populations bénéficiaires à la gestion et/ou au contrôle de l‟APD. 3°) L’APD : altruisme ou intérêt propre Comme toujours, le processus de recherche d'un nouveau compromis au sein d'une société d'abondance est déterminé à la fois par l'intérêt propre et l'altruisme. Trois grandes tendances se dessinent néanmoins. La première, qui est la plus idéaliste, implique le rétablissement de l'altruisme. Cette approche, qui vise à "purger" l'aide de ses contradictions et compromis politiques et économiques pervers, issus de plusieurs dizaines d'années d'intérêts égoïstes dictés par le néocolonialisme et la Guerre froide, a déjà eu plusieurs répercussions sur l'aide : premièrement, elle a donné un nouvel élan à l'aide humanitaire, qui en est la forme la plus altruiste, aux dépens de l'aide au développement ; deuxièmement, elle a conduit à une "décentralisation" de l'aide en favorisant son acheminement au travers d'organismes tels que les ONG dont le profil altruiste n'a fait l'objet d'aucun compromis ; troisièmement, elle a entraîné le démantèlement de l'aide au développement en termes de structures idéalistesaltruistes : "les femmes et le développement", "la santé des enfants", "l'environnement" et "la lutte contre la pauvreté" sont autant d'exemples de désignations démantelées autour desquelles s'organise et se justifie désormais l'octroi de l'aide ; enfin, elle a suscité une "intellectualisation" de l'aide au développement dans le but spécifique d'un resserrement de ses objectifs altruistes : l'approche du cadre logique, le concept de développement durable, l'indice de développement humain du PNUD. La deuxième stratégie de recherche d'un nouveau compromis, qui peut être résumée par le slogan "gérez l'aide comme une entreprise", aborde la coopération au développement avec beaucoup plus de scepticisme. L'aide, affirme-t-elle, ne se justifie qu'à partir du moment où elle assure le progrès et le développement Ŕ et tel n'est assurément pas le cas aujourd'hui. Cette approche est étayée par la volonté 202 obsessionnelle de mesurer le progrès à l'aide d'outils d'entreprise tels que "la production", "l'impact", "l'efficacité", "les taux de rendement", etc. C'est ainsi qu'est née "l'évaluation" de l'aide. Cette approche a probablement contribué à la mise en évidence de certaines carences de l'aide qui ont, à leur tour, suscité des critiques de plus en plus vives à l'encontre des organismes et des opérateurs œuvrant dans ce domaine. La troisième tendance, à savoir le régionalisme, est liée au processus de mondialisation. Ancrée dans l'instinct de survie de l'homme, cette approche incite les nations géographiquement proches à former des coalitions "stratégiques". Depuis la fin de la Guerre froide, l'aide au développement constitue l'un des instruments privilégiés des régions riches pour affermir leur position dans le contexte global. Cette stratégie implique l'encouragement d'un régionalisme "ouvert" ailleurs dans le monde et d'en tirer parti pour établir des liens et des interactions favorisant ses propres influences ou hégémonies Section 7 : Efficacité et refondation de l’APD Depuis la Déclaration de Paris, l‟opinion des donateurs est la question de l‟efficacité de l‟Aide Publique au Développement qui devrait être conditionnée l‟imposition d‟un modèle unique de développement axé sur des préceptes macroéconomiques devant servir au développement et non par des considérations politiques ou stratégiques. I/ Les principes énoncés par la Déclaration de Paris La Déclaration de Paris sur l‟efficacité de l‟aide, entérinée en mars 2005, est un accord international conclu entre donateurs et bénéficiaires de l‟APD. L‟objectif principal de ce texte est de réformer les modalités d‟acheminement et de gestion de l‟aide pour augmenter son efficacité, notamment en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités, de consolidation de la croissance, de renforcement des capacités et de progression vers les OMD (article 2). Cette déclaration repose sur 5 principes : - Appropriation : Les pays bénéficiaires de l‟APD exercent une réelle maîtrise sur leurs politiques et stratégies de développement et assurent la coordination de l‟action à l‟appui du développement. Cette appropriation des politiques de développement par les pays bénéficiaires entend prendre le contre-pied de la logique d‟imposition d‟un modèle exogène de développement dont les Plans d‟ajustement structurel assortis de conditionnalités constituaient le type le plus accompli; - Alignement : Les donateurs font reposer l‟ensemble de leur soutien sur les stratégies nationales de développement, les institutions et les procédures des pays bénéficiaires de l‟APD. Dans la continuité du principe d‟appropriation, l‟alignement suggère que les pays bénéficiaires soient les véritables acteurs de leur développement puisque dans cette perspective, il revient aux bailleurs de fonds de se conformer à leurs politiques stratégiques de développement, et non l‟inverse; - Harmonisation : Les programmes des donateurs sont mieux harmonisés et plus transparents, et permettent une plus grande efficacité collective. Il s‟agit ici de réduire la complexité des procédures d‟octroie et de gestion de l‟APD grâce à une convergence à la source. Cette mesure a pour but affiché de faciliter le travail des administrations publiques des pays bénéficiaires en ce qui a trait à la gestion de l‟APD 203 de manière à leur permettre de se consacrer à des activités de développement plutôt que de gestion; - Gestion axée sur les résultats : Gérer les ressources et améliorer le processus de décision en vue d‟obtenir des résultats. Cette méthode de contrôle de l‟efficacité du processus grâce à l‟identification d‟un certains nombre d‟indicateurs (12 indicateurs figurent dans la Déclaration de Paris) permet d‟élaborer des cadres d‟évaluation de manière à rendre compte de la progression des stratégies nationales et sectorielles de développement; - Responsabilité mutuelle : Les donateurs et les pays bénéficiaires sont responsables des résultats obtenus en matière de développement. Ce dernier principe entend concrétiser un lien réel de partenariat entre les deux acteurs du développement identifiés par la Déclaration de Paris, soit les bailleurs de fonds et les pays bénéficiaires. De ces principes se dégage la pyramide de l‟efficacité de l‟APD selon le schéma qui suit : Figure 14 : L’efficacité de l’APD II/ Refondation de l’APD Désormais, tous les partenaires semblent prendre conscience de la nécessité d‟une véritable refondation de l‟APD afin de la rendre efficace et plus conforme aux priorités du développement des pays bénéficiaires. Cette refondation est la conséquence de la critique interne de la mondialisation libérale qui, dans ses dimensions Nord-Sud, est révélatrice de très profondes inégalités sociales. Dans le monde de l‟après guerre froide, elle repose sur trois motivations fortes : 204 La compensation d‟un passé qui engage la responsabilité des pays développés dans le développement des pays pauvres ; notons que cette inspiration de la politique publique d‟aide s‟appuie naturellement sur une composante bilatérale significative L‟altruisme et la solidarité internationale, sentiment très réel et très partagé dans les sociétés civiles du Nord, et qui renvoie en partie, mais en partie seulement, à l‟aide humanitaire. Et une vision réaliste des intérêts partagés du Nord et du Sud ; l‟APD doit être aussi conçue comme un instrument pour défendre les intérêts des donneurs tout en avançant ceux des pays en développement. A l‟inspiration géostratégique de la Guerre Froide doit succéder le souci d‟assurer la légitimité d‟une gouvernance globale essentielle pour le Nord comme pour le Sud, en améliorant aussi bien l‟efficacité que l‟équité du système actuel de gouvernance. Les deux premières motivations font de l‟aide publique au développement un simple accompagnement de la gestion de la mondialisation. La troisième motivation, au contraire, place l‟APD au cœur de la gouvernance globale, comme véritable composante d‟une politique publique globale décentralisée, à laquelle participent les donneurs bilatéraux et multilatéraux, et dont l‟organisation doit s‟appuyer sur quelques principes directeurs, que l‟on peut organiser autour de trois piliers. Le premier renvoie à la bonne gestion de l‟ouverture et de la libéralisation ; le second aux actions sectorielles et thématiques à entreprendre pour répondre aux imperfections des différents marchés ; le troisième à l‟architecture d‟ensemble de la gouvernance globale. III/ Quelques propositions pour l’amélioration qualitative de l’APD. Dans cette période de l‟après-11 septembre, les questions relatives à la sécurité nationale de certains pays donateurs dominent les relations internationales, ce qui a de graves conséquences pour les populations qui sont en proie à la violence et à la pauvreté. Les personnes pauvres et marginalisées qui vivent dans les États qu‟on qualifie de « fragiles et en déroute » sont de plus en plus considérées comme des menaces potentielles contre le Nord. Dès lors, il importe, selon beaucoup d‟auteurs et surtout d‟organisations non gouvernementales, l‟intégrité de l‟aide au développement destinée à mettre fin à la pauvreté est menacée. Dans cette direction les propositions de Reality of Aid méritent une grande attention. Elles consistent à : Accorder la prépondérance aux droits de la personne Les droits fondamentaux des citoyens les plus pauvres doivent primer. Les instruments et les accords internationaux relatifs aux droits de la personne doivent guider les démarches d‟aide au développement des donateurs, y compris les activités liées aux urgences humanitaires et à la prévention des conflits ainsi qu‟à l‟intervention et au relèvement en cas de conflit. L‟universalité, l‟indivisibilité, l‟interdépendance, l‟égalité et la non-discrimination des normes relatives aux droits de la personne ne doivent pas être compromises. Mettre l’accent sur les acteurs locaux de la paix Les personnes touchées par les conflits et la pauvreté ne sont pas les pions d‟un jeu mondial visant à protéger les puissants des menaces qu‟ils perçoivent à leur sécurité. La paix ne devrait pas et ne peut pas être imposée de l‟extérieur. Le rôle des donateurs dans les situations de conflit devrait être d‟appuyer des actions 205 démocratiques locales (par l‟entremise des citoyens, en particulier les femmes, et les organisations de la société civile) afin d‟établir une juste paix. Protéger l’intégrité de l’aide destinée à l’élimination de la pauvreté Les donateurs ne doivent pas être détournés de leurs engagements à l‟égard de l‟aide, déjà échus depuis longtemps, à cause d‟une action étroite et intéressée de guerre contre le terrorisme. Renforcer les approches de la sécurité axées sur les personnes L‟attention portée à la sécurité après le 11 septembre a permis à certains dirigeants politiques d‟associer des conflits nationaux complexes (Colombie, Philippines, etc.) à la guerre contre le terrorisme, et de chercher un soutien pour renforcer les secteurs répressifs de l‟armée et de la sécurité. Accroître la cohérence des donateurs, conformément à leurs obligations en matière de droits de la personne Les interventions internationales visant à résoudre les conflits violents ont souvent été répressives, militaristes, et axées sur un impact rapide et des solutions à court terme. Souvent, on ne tient pas compte des principes de base de l‟action humanitaire, et les collectivités locales, y compris les travailleurs humanitaires et les spécialistes du développement sur le terrain, sont mises en danger. Épuiser toutes les possibilités de promouvoir la paix Les donateurs doivent investir dans les activités de détection rapide et de prévention des conflits, de manière à réduire le coût élevé du relèvement de sociétés dévastées par des conflits armés. Tous les pays doivent travailler à la signature d‟un traité international sur le commerce des armes. Les pays donateurs devraient élaborer des lignes directrices claires, complètes et ayant force obligatoire pour les entreprises qui sont actives dans des régions menacées par des conflits violents. Les donateurs doivent annuler sans conditions 100 p. 100 de la dette des pays les plus pauvres du monde. Tous les pays doivent ratifier et mettre en œuvre la Convention des Nations Unies contre la corruption signée en 2005. Réformer les Nations Unies et les institutions financières internationales (IFI) Des IFI non imputables et antidémocratiques jouent un rôle de premier plan au sein des sociétés qui se relèvent d‟un conflit. Jusqu‟à ce que les IFI mettent en œuvre des réformes en profondeur, y compris la démocratisation de la gouvernance des institutions, elles devraient jouer un rôle limité dans le relèvement à la suite de conflits. Il faut réformer et renforcer l‟organisation des Nations unies et lui procurer les ressources nécessaires pour lui permettre de jouer le rôle principal dans les engagements internationaux dans les situations de conflit. L‟aide ne doit pas être un incitatif à l‟imposition de mesures visant à résoudre des conflits. Les conditions imposées sont incompatibles avec la gouvernance démocratique et la prise en charge locale des processus de paix. Les relations d‟aide doivent être négociées de façon juste et transparente, en assurant la participation des populations qui vivent dans la pauvreté et l‟obligation de leur rendre des comptes, et en vertu des principes du droit international en matière de droits de la personne et d‟aide humanitaire. 206 207 « Au commencement de la construction européenne, deux éléments ont concouru à modifier profondément les relations internationales entre les pays européens : d’une part, une volonté politique et, d’autre part, une vision géopolitique qui, l’une et l’autre, ont consisté à vouloir mettre définitivement fin aux conflits intra européens. Pour ce faire, une idée somme toute simple sur le papier mais beaucoup plus compliquée en pratique, fut avancée : il s’agissait de lier les États Européens de l’Ouest les uns aux autres, en leur imposant des structures économiques et des politiques communes. L’interdépendance économique crée les incitations à poursuivre les échanges dans un cadre politique ». J. CREEL ET E. FARFARVAQUE167. Le processus d‟intégration le plus achevé est certainement celui de l‟Union Européenne qui a traversé au bout d‟un demi siècle les étapes marquantes qui ont abouti à l‟Union Economique et Monétaire : Union Douanière, Zone de Libre Échange, Marché Commun. À grands traits, l‟ampleur et la progression de l‟intégration européenne fait de l‟Union Européenne un laboratoire qui va largement inspirer les Etats africains qui n‟ont aucune autre issue dans un monde configuré en blocs de haute compétition. En effet, ces pays africains atomisés en ÉtatsŔnations et en micro-marchés de très faible dimension ne devront leur survie qu‟en mettant en marche un jeu coopératif positif pouvant leur procurer des gains nets par les économies d‟échelle, la promotion de la spécialisation et de l‟exploitation des avantages comparatifs, les externalités positives nées des investissements communautaires dans plusieurs secteurs comme les infrastructures de base. 168 Toutefois, l‟expérience montre que la construction de l‟intégration est une marche complexe qui repose principalement sur la volonté politique de chacun des pays participants et la mise en place d‟institutions solides capables d‟élaborer le programme et les projets intégrateurs (notamment les grands travaux d‟infrastructure qui dépassent les possibilités d‟un seul pays en isolement), de fixer les séquences et les délais d‟exécution. Également, à l‟intégration est aussi liée la recherche de solution à l‟instabilité politique conséquence de l‟extrême balkanisation du continent et des multiples conflits en découlant, du nombre élevé de pays enclavés, des trop longues frontières communes et du sous-développement économique et social (surtout en infrastructures physiques de base). Au total, le processus d‟intégration apparaît comme une stratégie de développement durable en Afrique, en somme un moyen de réaliser une économie d‟envergure et compétitive dans un processus de partenariat, un moyen d‟insertion dans une mondialisation multipolaire et de haute compétition en vue d‟en tirer le maximum d‟avantages pour accélérer croissance et développement, Jérôme CREEL Etienne FARVAQUE : La construction européenne et politique économique, Éditions Vuibert 2004 p.3 168 Sur les 53 pays que compte le continent, 39 ont une population inférieure à 15 millions d‟habitants, et 21 ont une population inférieure à 5 millions. Les faibles populations et les revenus bas limitent la taille des marchés nationaux africains. Malgré la croissance observée ces dernières années, les revenus demeurent modestes et la majorité de la population vit dans la pauvreté. Trente-deux pays enregistrent des revenus par habitant de moins de $500 par an Ŕ soit 10% de la moyenne mondiale, qui est de $5 000. 167 208 un moyen d‟une gestion collective de la sécurité et de la stabilité pour des territoires aux contours encore flous. Pendant longtemps, les problèmes d‟intégration et d‟unité africaine ont constitué les préoccupations majeures de la pensée et de la pratique des théoriciens et chercheurs du panafricanisme169. Tous les dirigeants africains ainsi que les intellectuels ont toujours fait de l‟intégration continentale « la mère des vertus » au point d‟avoir formulé une foule de schémas et modèles pour la réaliser, Les analyses théoriques se divisent en deux positions qui se sont souvent heurtées au sein de l‟élite africaine : les théories du continentalisme intégral défendu principalement par Kwamé NKRUMAH et C. Anta DIOP et les théories régionalistes des « cercles concentriques » développées par L. S. SENGHOR. Pour les premiers, il faut une « Nation africaine forte et unie capable d‟exercer une autorité pour mobiliser l‟effort national et coordonner la reconstruction et le Progrès »170 L‟approche de C. Anta DIOP est plus structurée et plus rigoureuse. D‟abord, il démontre que l‟indépendance nationale et le développement sont impossibles sans industrialisation. Or, cette industrialisation n‟est opératoire que dans une Afrique unie. Ensuite, il fait le bilan du potentiel énergétique et dégage 8 zones naturelles à vocation industrielle. Enfin, il débouche, en toute conséquence, sur la proposition selon laquelle « les africains doivent eux-mêmes, créer des industries non complémentaires à celles de l‟Europe, mais pour transformer les matières premières que recèle le continent. Cela ferait de l‟Afrique unie un paradis terrestre ».171 L‟auteur insiste, contrairement à NKRUMAH, sur le caractère déterminant des variables culturelles qui conditionnent les visions et les motivations des africains. Dans « L‟unité culturelle de l‟Afrique Noire », il observe que « les intellectuels africains doivent étudier le passé, non pour s‟y complaire, mais pour y puiser des leçons, ou s‟en écarter en toute connaissance de cause, si cela est nécessaire. Seule une véritable compréhension du passé peut entretenir dans la conscience le sentiment d‟une continuité historique indispensable à la consolidation d‟un État multinational… Or, la connaissance du passé révèle l‟existence d‟une véritable unité culturelle qui, combinée à certaines données techniques et industrielles, seront le fondement de l‟État fédéral africain ».172 Les thèses régionalistes insistent sur l‟idée que l‟intégration n‟est qu‟une question technique et de recherche de voies et moyens pour neutraliser les obstacles existants. Des auteurs comme L. S. SENGHOR défendent la thèse des « cercles concentriques » assez proche de la théorie de l‟exploitation de la proximité géographique comme source d‟approfondissement des échanges. Concrètement, ces auteurs recommandent de commencer l‟intégration par touches successives à partir de la région qui est une notion politico-économique assez élastique. Elle rappelle « les poupées gigogne ». Ainsi, chaque région doit être saisie dans un contexte concret en se référant à des données politiques, économiques, sociales, culturelles et géographiques, liées à la solution des problèmes socio-économiques et politiques qui se posent à un groupe de pays à un moment donné. Dans la pratique, les deux conceptions vont s‟affronter : la théorie régionaliste propose par« réalisme » de De Kwamé NKRUMAH à Abdoulaye Wade en passant par Modibo KEÏTA, L. S. SENGHOR, Sékou TOURE, J. NYÉRÉRÉ et C.Anta DIOP. 170 NKRUMAH : L‟Afrique doit s‟unir p.248 171 C.A.DIOP : Les fondements culturels, techniques, et industriels d‟un futur État Fédéral d‟Afrique Noire, Édit. Présence Africaine 1960, p.66 172 C.A.Diop : Dans « L‟Unité Culturelle de l‟Afrique Noire ». L‟État multinational africain pourra regrouper tous les États négro-africains mais uniquement ceux-là donc à l‟exclusion des arabes. 169 209 s‟appuyer sur le legs colonial pour bâtir un espace homogène partageant une langue, une monnaie et des traditions administratives communes. Contrairement à cette conception, les partisans du continentalisme plus « volontaristes » veulent construire un espace à l‟échelle du continent avec d‟autres ambitions. Aujourd‟hui, plus que par le passé, les dirigeants africains reconnaissent l‟urgence d‟accélérer l‟intégration, compte tenu, en particulier, des problèmes que posent les nouvelles règles relatives au système commercial international de l‟OMC. Celles-ci vont, de plus en plus, exacerber la concurrence à l‟échelle mondiale et accroître les risques d‟une exclusion de l‟Afrique des échanges internationaux. À cet effet, la coopération régionale, l‟intégration économique et le panafricanisme vont constituer comme par le passé des idées forces, des mythes mobilisateurs pour l‟Afrique subsaharienne toujours confrontée à une triple crise économique, politique et sociale qui se manifeste dans la persistance des déséquilibres macroéconomiques, l‟approfondissement du couple infernal pauvretéchômage, l‟insécurité alimentaire, la faillite des systèmes éducatifs et de formation et les énormes déficiences des services publics et de santé. C‟est dans ce cadre que la Charte de l‟Organisation de l‟Unité Africaine (OUA) en 1963 et l‟Acte constitutif de l‟Union Africaine en 2000 définissent l‟intégration régionale comme l‟un des grands idéaux de l‟unité africaine et le moyen de dépasser les limites trop étroites des États-nations. Les approches pluralistes ont déçu dans leur objectif prioritaire : l‟intégration politique et économique de l‟Afrique. Le Plan d‟Action de Lagos et le Traité d‟Abuja instituant la Communauté Economique Africaine proposaient déjà des mécanismes économiques, politiques et institutionnels permettant d‟atteindre cet idéal n‟ont jamais vu des débuts sérieux d‟application. Et aujourd‟hui, le Nouveau Partenariat pour le Développement de l‟Afrique (NEPAD) qui fixe les grandes priorités capables d‟enclencher un processus de croissance en vue de l‟éradication de la pauvreté traîne encore. Au regard de toutes ces déceptions avec l‟approche régionaliste, la seule alternative non encore bien explorée est alors la voie fédéraliste avec la proposition d‟un gouvernement continental africain qui puisse établir le lien entre les processus d‟intégration en cours (intégration régionale) et l‟objectif ultime (le développement économique et la croissance). Manifestement, à la suite de la réévaluation des perspectives du Continent à l‟aube du 3ème millénaire, on observe un nouveau souffle des Communautés Économiques Régionales avec des avancées significatives au niveau des secteurs, du commerce, des communications, des transports et de la politique macroéconomique. « Certaines Communautés Économiques Régionales ont réalisé des progrès remarquables dans les domaines de la libéralisation et de la facilitation des échanges (Union Économique et Monétaire Ouest Africaine et Marché Commun de l‟Afrique de l‟Est et de l‟Afrique Australe), de la libre circulation des personnes (Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest), des infrastructures (Communauté de Développement de l‟Afrique Australe et Communauté de l‟Afrique de l‟Est), de la paix et de la sécurité (Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest et Communauté de Développement de l‟Afrique Australe). Cependant, il existe toujours d‟énormes écarts entre les objectifs et les réalisations de la plupart des Communautés Économiques Régionales, notamment en ce qui concerne le développement du commerce intérieur, la convergence macroéconomique, la production et les connexions physiques ».173 173 CEA : Étude sur « État de l‟Intégration Régionale en Afrique », Addis Abéba, 2004 210 Cette cinquième partie de l‟ouvrage s‟organise autour des cinq dimensions de l‟intégration et de la coopération régionale qui peuvent aider l‟Afrique à surmonter certaines contraintes et handicaps à son développement et à son insertion dans la mondialisation. Dans ce cadre, le premier chapitre de cette partie traite de l‟évaluation de l‟apport de l‟intégration au développement. C‟est le fameux pourquoi les pays rejoignent-ils des mécanismes d’intégration régionale ? Quels avantages qu’ils en tirent de ces coopérations ? Si importants qu‟ils soient ces résultats tardent à apparaître si bien que depuis quelques années, des doutes commencent à s‟emparer des esprits naguère entièrement acquis à l‟intégration. En dépit de l‟abondance des recherches et réflexions et la multiplicité des expériences, les réalisations restent encore extrêmement modestes : faibles résultats des organisations d‟intégration, échecs de certaines politiques, succès mitigés de certains programmes. Pourtant, malgré tout, l'expérience montre suffisamment qu‟en matière de politique de développement, aucun des micro-États africains en isolement n‟a pu amorcer un processus durable de croissance permettant d‟éradiquer la pauvreté, la misère et la famine. En dépit des multiples stratégies mises en œuvre aucun État africain tout seul n‟a pu échapper au cercle vicieux infernal de reproduction du sous-développement, face à un environnement économique dominé par la mondialisation multipolaire composée de blocs régionaux de haute compétition. L'intégration régionale, grâce à la création de marchés homogènes de taille critique et la libéralisation commerciale dont elle s'accompagne traditionnellement, permet de bénéficier d'avantages économiques directs liés à une meilleure insertion dans les échanges internationaux. La poursuite de bonnes politiques macro-économiques renforcées par la convergence économique, la création d'un environnement économique stable, prévisible, harmonisé sont également des éléments déterminants pour attirer l'investissement privé extérieur et garantir une croissance soutenable. Comme l‟observe Aimé Césaire « le plus court chemin qui mène vers l‟avenir passe par le passé ». L‟Afrique a expérimenté beaucoup d‟approches en imitant certaines expériences qui se sont déroulées ailleurs en Amérique et en Europe. Il faut alors avoir un regard sans complaisance sur les pratiques concrètes en matière de régionalisme pour savoir avec précision pourquoi nous réussissons si mal. En effet, historiquement, plusieurs tentatives de regroupements politiques et économiques ont été opérées au début des années 60 parfois sous la conduite même des pères fondateurs de l‟unité africaine : K. NKRUMAH, Sékou TOURE, Modibo KEITA, L. SENGHOR, J. NYERERE. Sous ce rapport, 5 tentatives de regroupement ont été conduites. Il s‟agit principalement de : l‟Organisation de l‟Unité Africaine : 1963-2000 et du Traité d‟Abuja 1991 ; la Fédération du Mali créée entre le Sénégal et le Mali : 1960 ; l‟Union Ghana-Guinée-Mali : 1960-1962 ; l‟East African Community, 1967-1977 ; la Confédération Sénégambienne : 1982-1987. Il faut tirer toutes les leçons de ces expériences pour réussir l‟intégration que la configuration de la mondialisation comme la seule chance pour le continent de s‟insérer dans le système international de production et d‟échange. Le deuxième chapitre étudie le cadre légal et institutionnel de gestion du processus d‟intégration de la Commission à la proposition de formation d‟un gouvernement continental. Il soulève la question de savoir quelles sont alors les causes de la non-opérationnalité des modèles d‟intégration ? Dans ce sens, le 211 gouvernement continental est innovateur car c‟est une première dans un schéma d‟intégration qui peut véritablement créer la rupture avec toutes les praxis antérieures. La grande question est alors comment le faire ? En d‟autres termes, quelles sont les transitions à respecter pour arriver aux objectifs ultimes ? En effet, S. SAMEN et T. MKANDAWIRE, ont montré la nécessité d'éviter un deuxième piège classique, qui consiste à traiter l'intégration comme un problème exclusivement technique ou économique. Elle est éminemment un problème politique et il convient d'en débattre comme tel au niveau national et dans les cercles de la recherche. Cela devait conduire à s'interroger sur la légitimité des traités signés par des régimes autoritaires (militaires ou civils) qui déclarent leur adhésion à l'intégration régionale, tout en minant cette même intégration par leurs actions. Aussi, la recherche doit-elle identifier les moyens d'ancrer l'intégration et la coopération régionales dans la société civile afin de leur assurer une adhésion des masses et leur enlever leur caractère élitiste et antidémocratique. Le troisième chapitre est relatif au NEPAD qui est un Programme de l‟Union Africaine élaboré en toute responsabilité par les Dirigeants africains qui s‟engagent à relever individuellement et collectivement tous les défis du développement et de la croissance. Ce programme qui a bénéficié, au départ, de solides soutiens de la communauté internationale est dévoyé et semble amorcer une descente inexorable dans « le cimetière des grands projets africains ». Le quatrième chapitre analyse les enjeux de l‟Union Monétaire à la lumière de l‟expérience européenne. La leçon principale à tirer de l'expérience européenne est qu‟une Union Monétaire convenablement élaborée et gérée pourrait offrir à ses membres des avantages considérables tels qu'une politique monétaire stable et apolitique, la stabilité financière et la baisse du coût des opérations. C‟est le cas notamment de la Zone Franc où la Banque Centrale est réellement supranationale. Ensuite, une bonne gestion commune des politiques budgétaires et fiscales se présente également comme une condition de succès. L'expérience de l'UEMOA montre que le rattachement à une monnaie de référence étrangère telle que le franc français ou l'Euro est un facteur de stabilité et de confiance en la monnaie. Toutefois, il ne faudrait pas pour autant écarter les avantages offerts par un système de flottement dirigé ou de parités mobiles en termes de flexibilité. Le dernier chapitre étudie les multiples partenariats proposés à l‟Afrique comme les DSRP, les OMD, l‟AGOA, Le Partenariat «win-win » avec la Chine, les différents accords de Lomé, le Plan d‟Action pour l‟Afrique etc. partagent des objectifs communs comme la lutte contre la pauvreté, la mobilisation de ressources pour le financement du développement, la résolution de l‟endettement et l‟accès aux marchés. Ne convient-il pas de les faire converger vers un Contrat Mondial de Développement de l‟Afrique ? 212 CHAPITRE 24: L’INTÉGRATION AFRICAINE POUR LE DÉVELOPPEMENT ET L’INSERTION DANS LA MONDIALISATION Il n’est pas d’actes sporadiques, il n’est pas d’intentions pieuses qui puissent résoudre nos problèmes actuels. Rien ne pourra nous servir, en dehors d’une action commune exécutée par une Afrique unie. Nous sommes parvenus au stade où nous devons nous unir ou sombrer. Kwamé NKRUMAH174 A-t-on-vraiment besoin de calculs compliqués et de théories savantes pour démontrer l‟impérative nécessité de l‟intégration pour une Afrique comptant 800 millions d‟habitants disséminés en 53 États pour la majorité de très petites dimensions, composés de plus de 1.000 ethnies, vivant dans des frontières souvent arbitrairement délimitées et évoluant dans des systèmes économiques et monétaires trop fortement différenciés ? Depuis les années 60 marquant les indépendances africaines, les dirigeants et les chercheurs du continent ont invariablement répété que si l‟Afrique veut survivre et prospérer, elle n‟a pas d‟autre alternative que la coopération et l‟intégration régionale et sous-régionale.175. C‟est pourquoi la Charte de l'Organisation de l'unité africaine (OUA, 1963) reprise par l'Acte Constitutif de l'Union Africaine (UA, 2000) définit l'intégration régionale comme l'un des piliers de l'unité africaine. Déjà, à la fin des années 70, il existait environ 75 organisations intergouvernementales en Afrique, allant des accords de coopération multilatérale portant sur un secteur à des organisations plus formalisées d‟intégration. Il est vrai que l„intégration, en tant que terme polysémique, peut avoir plusieurs significations mais globalement, elle peut être comprise comme l‟ensemble de règles d‟harmonisation ou d‟unification des politiques économiques et financières en vue d‟intensifier la circulation des flux réels et monétaires dans un espace géographique normé et borné176. En ce sens, elle est à la fois un instrument de politique économique et le résultat de tout un processus de gestion d‟un ordre régional. Elle se présente sous trois formes: l‟intégration par les marchés, par la production et par les règles. Elle est un élément caractéristique de la mondialisation. BEITONE et Al. (1991) conçoivent l‟intégration économique comme « un processus qui conduit plusieurs économies distinctes à former un seul espace économique (…). Elle peut se faire par les mécanismes de marché (…) et elle peut se concevoir dans le cadre d‟une planification ». Pour d‟autres auteurs comme LACOUR et CÉLIMÈNE (1997) l‟intégration peut également se réaliser Ŕ en termes d‟objectifs Ŕ soit pour homogénéiser, harmoniser, banaliser ou créer des règles du jeu répondant fondamentalement aux mêmes impératifs d‟efficacité, de productivité et d‟optimalisation. En fait, le principal intérêt est la mise en œuvre d‟une stratégie Kwamé NKRUMAH, Président de la République du Ghana, Déclaration au Sommet Constitutif de l‟Organisation de l‟Unité Africaine, 1963. Cela fait suite à ses réflexions contenues dans son ouvrage de 1956 « L‟Afrqiue doit s‟unir » Éditions Présence Africaine, 1956 175 Lors de divers rencontres intergouvernementales les pays africains nouvellement indépendants ont adopté de multiples résolutions pour promouvoir la coopération et l‟intégration économique. Trois Sessions de l‟ONU, en 1963, 1967 et 1986 ont toujours recommandé ce processus. La Déclaration sur la coopération et l‟indépendance (1973) des Chefs d‟État puis diverses autres rencontres ont abouti en 1980 à l‟élaboration du Plan de Lagos et l‟adoption de la Charte créant la Communauté Économique Africaine (Abuja 1992) 176 Moustapha KASSÉ : Le développement par l‟intégration ; NEA ; Dakar, 1991 174 213 cohérente et coordonnée qui normalise et balise les différences et les écarts pour mieux les gérer ou les faire disparaître. Le processus d‟intégration peut alors constituer une chance pour ces pays « à la périphérie », à la fois pour surmonter les difficultés de conjoncture liées aux programmes d‟ajustement et aussi pour augmenter la compétitivité respective en créant des synergies et en dépassant les limites des modèles protectionnistes du passé. Car en effet, la mise en œuvre d‟un marché unique ouvert au monde extérieur leur impose un effort de rationalisation sur la base de critères de performance, d‟avantages comparatifs et d‟économies d‟échelle, tant au sein de la zone que vis-à-vis des pays tiers (BERTRAND et HILLCOAT, 1994). Plusieurs facteurs imposent l‟intégration comme une politique obligée du développement : les facteurs naturels et historiques qui ont façonné les petits Étatsnations, les facteurs externes liés à l‟architecture de la mondialisation multipolaire, les facteurs économiques découlant de l‟exigence de la concurrence par les prix, la qualité et l‟innovation qui commandent les spécialisations et facilitent l‟insertion à l‟économie mondiale et l‟indispensable nécessité de mobiliser des ressources et d‟attirer les IDE177. La recomposition de l‟espace africain par l‟intégration permettrait, tout au moins pour les économies du continent, d‟être mieux présentes sur le marché mondial, de profiter des débouchés de proximité et d‟offrir un meilleur cadre d‟exploitation des avantages comparatifs, de mettre en commun des ressources pour l‟investissement, d‟élargir les marchés locaux et de mener un processus d‟industrialisation efficace en exploitant les économies d‟échelle et en tirant parti des possibilités d‟intégration verticale transfrontalière et de partage de la production. En élargissant les marchés, en facilitant l‟accès aux intrants et en accroissant le volume potentiel de production des entreprises, l‟intégration contribuera à attirer les investissements directs étrangers (IDE) privés et à atténuer certains effets défavorables de l‟environnement économique et monétaire international. Enfin l‟intégration contribuerait à une meilleure insertion des systèmes productifs dans la mondialisation si elle s‟accompagne de mesures de promotion de la concurrence et de la compétitivité des produits sur les marchés internes et externes. La configuration de la mondialisation actuelle révèle une tendance très lourde à la régionalisation qui prend deux formes : la régionalisation de facto, résultat de la croissance du commerce et des investissements intra-régionaux et la régionalisation de jure qui relève de la coopération étatique issue d‟accords contraignants liant certains partenaires. Avec la libéralisation, du GATT à l‟OMC, les Accords de Coopération Régionale (ACR) se généralisent et intéressent potentiellement plus du tiers du commerce mondial. Ils ont été signés pour accélérer les échanges entraînant une véritable fragmentation du système mondial en « blocs de haute compétition » à l‟intérieur desquels s‟opère une intensification des échanges préférentiels de produits, de capitaux et de technologie, suite à des facilités d‟accès aux marchés intérieurs. L‟OMC compte plus de 130 accords actifs et depuis 1995, il y a eu une véritable explosion avec 100 accords notifiés. Les PSD et particulièrement l‟Afrique ne font pas exception. On peut même observer que les ACR Sud-Sud prédominent en nombre mais pas du point de vue du volume commercial couvert. Ces ACR sont-ils antinomiques avec le multilatéralisme : principe de discrimination et Clause de la Nation la plus favorisée ? Les tolérances de l‟OMC sont justifiées par un commerce Moustapha KASSÉ : Développement par l‟intégration, Nouvelles Éditions du Sénégal, 1992 et d‟autres auteurs ont publié des travaux remarquables sur l‟intégration notamment Kamandini OUALI, Makhtar DIOUF et Abdoulaye WADE. 177 214 plus libre avec une baisse des tarifs de tous ordres, suite à la substitution (politique de second rang) des ACR au multilatéralisme. Les expériences réussies de régionalisation montrent que pour atteindre ces objectifs, le schéma tourne autour de l‟organisation d‟espaces économiques mis en cohérence par une économie «locomotive» ou un pouvoir «hégémonique » qui exploite les complémentarités internes. Ce mode d‟organisation du fait de son efficacité est le plus usuel dans la nouvelle configuration de la régionalisation : mondialisation tirée par la triade (États-Unis, Union Européenne et Japon), Union Européenne entraînée par la double locomotive allemande et française, Organisation Nord Américaine (ALENA) pilotée par l‟économie américaine. Le schéma ci-dessous montre le volume des échanges intraŔrégions en % du commerce mondial : Figure 15 : Volume des échanges intraŔrégions en % du commerce mondial Source : J. Marc SIROEN : La régionalisation de l‟économie mondiale Il apparaît alors une certaine simultanéité entre la régionalisation et la mondialisation, ce qui permet à P. HUGON (2003) de relever que de manière factuelle, l‟espace régional est une des échelles de régulation de l‟économie mondiale dans la mesure où son renouveau, celui de la régionalisation, ne saurait être dissocié du processus de la globalisation même si des débats subsistent quant aux liens éventuels entre les deux processus. Aujourd‟hui, avec le phénomène de la mondialisation, l‟intégration apparaît aussi comme un facteur essentiel de développement. En effet, ne pouvant se soustraire à l‟hégémonie de « l‟économie mondialisée » pour utiliser l‟expression de Robert REICH, l‟intégration peut servir de marchepied pour y accéder. D‟après BRADA et MENDEZ (1993), il existe incontestablement un socle de cohérence régionale fondée sur la proximité spatiale des civilisations, les bonnes 215 relations politiques entre régimes en place, des échanges préexistants entre communautés voisines, un potentiel de rationalisation qui favorise la création d‟une Union Régionale quelle qu‟elle soit. FOUQUIN M. (1993) n‟écrit pas autre chose quand il affirme que « le régionalisme est d‟abord un phénomène naturel (…). C‟est enfin un moyen d‟intégrer les économies périphériques à l‟économie mondiale ». En théorie, les Accords de Coopération Régionaux (ACR) limitent les mesures discriminatoires des gouvernements ainsi que les pouvoirs des lobbies et sont de ce fait des révélateurs des préférences des décideurs politiques d‟un pays. En effet, les liens entre l‟économique et le politique (HUGON P., BRIAND V. et BLANC M.-O., 2003) peuvent être repérés au niveau des groupes de pression et des lobbies. Consommateurs, contribuables et commerçants sont souvent perdants dans un processus d‟intégration régionale du fait du détour de trafic et de la compensation de la baisse des recettes douanières, tandis que les investisseurs et les producteurs peuvent être gagnants. Ces auteurs suggèrent alors que les gains et les pertes soient calculés en référence avec une situation. D‟une manière générale, les pays sont en situation asymétrique quant à leur taille et à leur potentiel économique. D'après POUILLEUTE (2000) et HUGON P., BRIAND V. et BLANC M.-O. (2003), un pays (à peine plus) émerge du bloc principal pour se positionner comme leader dans la plupart des ensembles régionaux. Le fait que le pays dominant soit le principal bénéficiaire de l‟ouverture pose la question des compensations des pertes générées par l‟intégration. Comme instrument de la politique économique, l'intégration économique désigne tout accord de coopération ayant une portée économique entre États indépendants d'une région donnée. Ces accords visent, la plupart du temps, l'intégration des marchés à l'intérieur de la région, autrement dit la réalisation de l'intégration au sens premier du terme. Les accords entre États peuvent également avoir comme objectifs, la stabilité macroéconomique ou le développement d'un secteur particulier comme les infrastructures ou les marchés financiers. Ces accords peuvent être regroupés sous le terme de « coopération institutionnelle ». L'intégration économique comme résultat signifie une intensification des échanges de biens et de services, de circulation des personnes et de capitaux à l'intérieur d'une zone géographique composée de plusieurs États indépendants. L'intégration économique selon BALASSA (1961) peut être appréhendée comme un processus ou un état. Comme un processus, elle comprend les mesures visant à abolir les discriminations entre unités économiques appartenant à des nations différentes ; vue comme un état, elle peut être représentée comme l'absence de diverses formes de discriminations entre des économies nationales. Ainsi donc pour Balassa, l'intégration peut prendre diverses formes qui correspondent à des degrés d'intégration de plus en plus poussés. Il distingue : la Zone de Libre-Échange dans laquelle les tarifs et les restrictions quantitatives sont supprimés entre les États membres, chaque pays maintenant ses tarifs à l'endroit de pays tiers ; l'Union Douanière qui, en plus des caractéristiques de la Zone de LibreÉchange consiste en l'institution d'un Tarif extérieur Commun à l'endroit des pays non membres ; le Marché Commun, caractéristique d'une Union douanière dans laquelle est maintenue la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux ; l'Union Économique et Monétaire qui est un Marché Commun avec une harmonisation des politiques économiques et monétaires. 216 le processus s‟achève par l‟Union Politique. Encadré 14 Le modèle d‟intégration économique en vigueur en Afrique, comme dans la plupart des PSD, est un modèle d‟intégration par les marchés qui trouve ses fondements théoriques dans l‟économie politique néo-classique avec les travaux de J. VINER et Bela BALASSA178. Ce modèle impose le parcours des 5 étapes mentionnées plus haut. C‟est souvent l‟Union Européenne qui est donné en référence179. Comment fonctionne théoriquement et pratiquement les Unions Douanières ? J.VINER : The theory of custom Unions : Carnégie Endowment For International Peace, 1950 Moustapha KASSÉ : Intégration et partenariat en Afrique : de l’UEMOA au NEPAD, Édit. Nouvelles du Sud, 2003 178 179 217 Tableau 23 : Les principaux accords d'intégration dans le monde Dénomination Pays participants Degré d'intégration ALENA (Accord de libre Échange Nord Américain). États-Unis, Canada, Mexique MERCOSUR Brésil, Argentine, Uruguay et (Marché commun Paraguay Sud-américain). ASEAN (Association des Pays du Sud-est Asiatique). UE Indonésie, Brunei, Singapour, Philippines, Malaisie et Thaïlande Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg, Finlande, Italie, Irlande, Espagne, Portugal, Pays-Bas, France. Conclu en 1992, il regroupe trois pays d'Amérique du Nord qui ont décidé de mettre en place une zone de libreéchange. Mais, à l'inverse du processus européen, cet accord n'inclut aucun élément de fédéralisme (ni politique commune, ni tarif extérieur douanier commun), c'est à dire que chaque pays reste maître de la politique qu'il souhaite développer vis à vis des autres pays du Monde. De plus, cet ensemble économique regroupe des pays au niveau de développement très varié (le PIB/habitant est de 29340 $ aux États-Unis et de 3970$ au Mexique) Union douanière entre des pays d'Amérique du Sud de taille très variable dans le but de favoriser l'émergence d'un pôle économique plus intégré. Mais, ses membres sont dans une situation économique fragile qui se traduit par de nombreuses crises financières et économiques qui freinent le processus d'intégration régionale (crise brésilienne en 1999, crise Argentine en 2002...). Regroupant des pays en forte croissance économique, la constitution de l'ASEAN a pour but premier de favoriser le développement des échanges entre les pays-membres de la zone afin entre autre de favoriser une division du travail entre les pays participants. Ces pays, qui ont axé leur stratégie de croissance sur les exportations vers les pays développés, cherchent ainsi à réduire leur dépendance à l'égard de ces pays en trouvant des relais de croissances chez leurs voisins. 11 pays membres de l'EEE ont décidé d'aller plus loin dans la construction européenne en adoptant une monnaie unique, l'Euro, qui s'est substitué aux différentes monnaies nationales. Les pays membres de l'EEE n'ayant pas adhéré à ce projet (Danemark, Grèce, Royaume-Uni) conservent leurs monnaies nationales. Section1 : Schéma de fonctionnement de l’Union Douanière À partir d‟une zone de libre échange, il y a une tendance à une intégration croissante (au risque que l‟union éclate en morceaux si le renforcement de l‟intégration est politiquement impossible). Dans la zone de libre échange sans tarifs extérieurs communs, les fabricants dans le pays avec les tarifs les plus faibles peuvent importer des matières premières à bon marché, et exporter les produits finals vers les pays où les fabricants doivent payer cher leurs matières premières. Cela mène à une harmonisation des tarifs extérieurs. La compétition intensifiée parmi les membres d‟une union douanière cause des pertes et du chômage dans certaines industries de chaque pays membre, et le désir que leurs ouvriers et le capital puissent aller n‟importe où dans l‟union pour trouver leur meilleur emploi. À cause de la mobilité des facteurs dans un marché commun, on a des problèmes s‟il n‟y a pas une étroite coordination des politiques économiques. 218 I/ Les raisons pour entrer dans une union douanière : Les bénéfices et les pertes à travers les concepts de «création du commerce» et de «détournement du commerce» C‟est un compromis équilibré qu‟il importe de trouver entre d‟une part, le rejet du régime de libre-échange avec tout le monde parce qu‟on veut s‟industrialiser et protéger ses industries naissantes et d‟autre part le fait qu‟il revient trop cher de tout produire soi-même. En effet, sur ce dernier point, à travers le commerce international, les pays peuvent tirer profit les uns les autres de leur inégalité en ressources et en capital et ensuite, l‟union douanière permet aussi de bénéficier des économies d‟échelle dans la production. Libre échange avec tout le monde Autarcie Union Douanière Tous les pays qui sont au début d‟un processus d‟industrialisation veulent le faire en protégeant leurs industries naissantes avec des tarifs douaniers. Rares sont les pays qui acceptent de s‟accommoder au régime de libre-échange avec le monde. Les tarifs entraînent une élévation des prix locaux comparés aux prix d‟importations hors tarif (le pays est prêt à payer la surcharge, soit dans l‟espoir de prix réduits au futur, une fois la nouvelle industrie devenue «adulte», soit pour le simple plaisir de posséder un belle usine que l‟on peut montrer aux visiteurs). Cette protection peut se faire dans le cadre d‟une union douanière, en coordination avec des partenaires, ou dans le cadre d‟une autarcie (limitée), sans coordination avec d‟autres pays. Il est clair que si un pays initialement dans une situation d‟autarcie abolit tous les tarifs pour entrer dans une situation de libre-échange avec le monde, il y aurait une réduction des prix dans le pays en question. Mais si un pays passe de la situation d‟«autarcie» à la situation d‟«union douanière» en abolissant seulement une partie de ses tarifs (c‟est-à-dire sur les importations des partenaires, mais non sur celles du reste du monde), il est possible que les coûts de certains produits augmentent, en dépit de la réduction partielle des tarifs. Pour comprendre ce résultat paradoxal, découvert avec l‟analyse de Jacob VINER, il faut savoir exactement quel contenu donner à la notion de «coûts». Ils sont de deux ordres : le Coût à la société et le coût à l‟individu. Le coût à la société d‟un bien peut se définir comme la valeur des ressources employées à le créer, c‟est-à-dire ce que l‟on pourrait faire avec ces ressources en les utilisant autrement. Pour une industrie compétitive, le prix de vente (hors taxe) est égal aux coûts, car une firme ne peut pas élever le prix de vente au-delà du prix minimum d‟un concurrent vendant la même chose, et aucune firme ne peut vendre à un prix en dessous de ses coûts. En ce qui concerne le coût à l‟individu, il est le prix toutes taxes comprises (TTC). Pour le produit d‟une industrie compétitive, le coût à l‟individu est normalement égal au coût social, augmenté par les taxes. 219 1°) Création du commerce et détournement du commerce Les combinaisons équivoques sont : Création du commerce d‟échanges de la traite du trafic détournement diversion du commerce d‟échanges de la traite du trafic Il y a création du commerce dans le cas du remplacement d‟une source de production domestique chère (en termes de coût social) par une source meilleur marché trouvée auprès d‟un pays partenaire de l‟union douanière. Alors que le détournement du commerce signifie que la formation de l‟union douanière entraîne la substitution en tant que fournisseur d‟un pays partenaire cher à un pays étranger meilleur marché (en termes de coût social). Dans les deux définitions ci-dessus, on compare le coût à la société avant et après la formation de l‟union douanière. Évidemment, une création du commerce, qui entraîne une réduction du coût, est une bonne chose, tandis qu‟un détournement du commerce qui entraîne une augmentation du coût est une mauvaise chose. Exemple : (utilisant des données fictives). Un pays «A» (que l‟on peut appeler «Sénégal») pense à former une union douanière avec un pays «B» (« Mali»). Pour une certaine qualité de chemises, un pays «C» («Burkina») les vend meilleur marché. La table ci-dessous indique les prix unitaires, frais de transport inclus, hors tarifs douaniers, avec un tarif de 25% et avec un tarif de 50%. Naturellement, les tarifs ne s‟appliquent pas aux produits du pays même. Pays Prix hors tarif Prix avec tarif de 25% Prix avec tarif de 50% A 2200 2200 2200 B 1800 2250 2700 C 1600 2000 2400 Premier cas : Le pays A passe d‟un régime de tarif à 25% à un régime d‟union douanière avec le pays B (et un tarif de 25% pour le reste du monde). Dans la situation d‟autarcie avant la formation de l‟union douanière, le Sénégal importait ces chemises du Burkina, puisque le coût à l‟individu (2000) était moins que le coût de la même qualité de chemise fabriquée localement. Pour cette raison, ce modèle de chemise n‟était pas fabriqué au Sénégal. Quel est le coût à la société sénégalaise d‟une chemise? Les Burkinabé reçoivent 1600 en devises qu‟ils utilisent pour acheter des produits sénégalais (de l‟huile par exemple) avec une valeur de 1600. Les 400 payés en taxes douanières au gouvernement sénégalais sont dépensés pour acheter des bonnes choses (écoles, etc.) pour les citoyens sénégalais. Ils ne causent pas une diminution de la consommation totale des sénégalais. Donc le seul coût à la société de l‟importation d‟une chemise est la valeur de devises exportées. Après la formation de l‟union douanière, le coût à l‟individu d‟une chemise importée du Mali sans tarif (1800) est moins que le coût à l‟individu d‟une chemise importée du Burkina (2000, avec tarif, parce que le Burkina n‟est pas membre de l‟union douanière). Le maliens utilisent les devises provenant de la vente des chemises pour acheter des produits sénégalais ayant une valeur de 1800 (le coût à la société sénégalaise). Le 220 détournement du commerce du Burkina vers le Mali a causé une augmentation de 1800 Ŕ 1600, soit 200, dans le coût social d‟une chemise. Noter bien que la «perte» des impôts douaniers n‟est point un coût social. Le gouvernement a le droit d‟imposer des nouveaux impôts de 400, auquel cas la réduction du pouvoir d‟achat des individus (-400) serait exactement compensé par l‟augmentation du pouvoir d‟achat du gouvernement (+400) ; la société ne perd pas globalement avec une augmentation des impôts, balancée par une augmentation des dépenses du gouvernement. La perte à la société provient de la perte de devises, qui seront utilisées par les étrangers pour enlever des biens et des services du pays, en forme d‟exploitations. Deuxième cas : Le pays «A» passe d‟un régime de tarifs à 50% à un régime d‟union douanière avec le pays «B» (et un tarif de 50% pour le reste du monde). Avant l‟union, le prix individuel d‟une voiture importée était au moins 2400 ; donc les gens achetaient des voitures produites localement, pour 2200. Supposant que la production d‟automobiles était une industrie compétitive, le coût social était également 2200. Après la formation de l‟union douanière, les chemises seraient importées du Mali, au prix de 1800. Les maliens utiliseraient leurs recettes de 1800 pour acheter des produits sénégalais. Entre temps, il ne serait plus rentable de produire ce modèle de chemise au Sénégal, mais avec les ouvriers et le capital qui produisaient une chemise, les sénégalais pourraient fabriquer d‟autres produits avec une valeur de 2200. Après les exportations de 1800 envers le Mali, il resterait aux sénégalais 400 de plus de produits que pendant la période dans laquelle ils persistaient à fabriquer des chemises chères. La création du commerce avec le Mali où il n‟y avait pas de commerce international, auparavant, incite la société allemande à opérer la réduction du coût d‟une voiture. Utilisant des flèches pour indiquer la direction du commerce, et cerclant les membres d‟une union douanière, on peut représenter la création du commerce et le détournement du commerce avec les graphiques ci-dessous : Création du commerce Avant Détournement du commerce Après Avant Après On peut noter quelques hypothèses sous-jacentes dans l‟exemple numérique ci-dessus. L‟offre est parfaitement élastique, c‟est-à-dire, le coût d‟une chemise dans chaque pays n‟augmente pas et ne diminue pas avec le volume de chemises produites. La demande est parfaitement inélastique, c‟est-à-dire le nombre de voitures achetées ne varie pas avec le prix payé par les individus. Dans ce sens, le changement global du coût à la société causé par la formation d‟une union douanière est simplement le changement de coût social unitaire multiplié par le nombre (constant) de chemises vendues. Avec l‟adoption d‟hypothèses plus réalistes, l‟analyse devient énormément plus compliquée, mais les principes fondamentaux restent inchangés. 221 II/ Les conditions qui maximisent les bénéfices d’une union douanière Avant l‟union douanière, les industries des futurs membres sont similaires et compétitives et après l‟union, il y a une plus grande spécialisation et une plus grande complémentarité. Exemple : avant l‟union douanière, chaque pays fabriquait plusieurs types de chemises. Après l‟union douanière, l‟un des pays membres fabrique des chemises de luxe, tandis qu‟une autre fabrique des chemises d‟un modèle plus simple et moins cher. Remarque (1) : il est plus facile de faire des petits aménagements dans une industrie (fabriquer plus de chemises de luxe et moins de chemises simples) que de faire de grands changements (fabriquer plus d‟huile et moins de chemises). Remarque (2) : pour les PSD, on doit considérer souvent non pas les industries actuelles, mais les industries potentielles, parce que les industries n‟existent pas avant la formation de l‟union. Par exemple, trois PSD pensent qu‟au lieu de construire trois petites usines de boissons, trois petites usines de pneus, et trois petites usines de ciment, mieux vaut construire une grande usine de boissons, une grande usine de pneus, et une grande usine de ciment, dans le cadre d‟une union douanière. Remarque (3) : hormis l‟épargne de coûts, l‟autre raison d‟être d‟une union douanière est la protection des industries naissantes de ses membres. Or, si les membres de l‟union douanière sont inégaux, il est probable que l‟usine de boissons, l‟usine de pneus et l‟usine de ciment seront toutes localisées dans le pays membre le plus riche (voir C.PALLOIX : modèle «pôles de croissance»). Pareille situation ne donnera certainement pas satisfaction aux membres les moins fortunés de l‟union. Il y a des tarifs élevés sur les produits que le partenaire fabrique à bon marché (implication : c‟est probable que l‟on manufacturait ces produits soi-même à l‟abri d‟un grand mur de protection, et que l‟on aura des grosses réductions des prix après une création du commerce avec le partenaire). Par contre, sur les produits chers du partenaire, il y a un tarif à niveau faible (implication : limite les pertes possibles provenant du détournement du commerce, car si le partenaire a des prix très hauts, on continuera à importer des pays hors de l‟union, moyennant le paiement d‟un petit tarif). Lorsque l‟offre est élastique : chaque pays peut augmenter les volumes de production de ses spécialités pour satisfaire la demande dans toute l‟union sans grandes augmentations des prix. Si c‟est la demande qui est élastique : les citoyens de l‟union douanière profiteront des réductions des prix suivant l‟abolition des tarifs à l‟intérieur de l‟union douanière, en achetant beaucoup plus les uns des autres). Il y a des grandes «économies d‟échelle», c‟est-à-dire plus l‟usine est importante, plus le coût par unité produite est faible. En effet, un sac de ciment produit dans une grande usine peut coûter 40% de moins qu‟un sac de ciment produit dans une petite usine. En somme, ceci est Ŕ relativement aux unions douanières Ŕ l‟avantage le plus important pour les pays pauvres. Plus vaste est l‟union douanière, plus grand sont les épargnes de coût social. À la limite, tout le monde serait dans l‟union douanière. Toutefois, si tout le monde est dans l‟union douanière, le régime de libre-échange va prévaloir, dès lors les industries naissantes ne pourront plus être protégées. 222 III/ Les politiques pour compenser les inégalités On peut dédommager les pays pour leurs pertes de revenu provenant des tarifs sur les importations détournées envers leurs partenaires de l‟union douanière. Il est souvent mis en place des caisses de compensation qui peuvent être alimentées par des impôts sur les nouvelles industries implantées dans l‟union douanière, par exemple. Une autre politique pourrait être une répartition géographique judicieuse des industries parmi les pays membres de l‟union douanière. Il reste que ces règles sont cruciales mais difficiles à formuler. Une politique astucieuse a été adoptée par l‟union douanière associant l‟Ouganda, le Kenya et la Tanzanie : des tarifs internes sans réciprocité. Si le pays «A» a une balance commerciale négative avec le pays «B», «A» a le droit d‟imposer des tarifs sur les importations provenant de «B», mais «B» ne peut pas imposer des tarifs sur les importations de «A». Toutefois, cette politique n‟a pas été suffisante pour sauver l‟union douanière en question. En conclusion ; puisque un des objectifs d‟une union douanière est la promotion des industries naissantes, une compensation pour les pertes (en coût social) provoquées par le détournement du commerce n‟est pas en elle-même une récompense suffisante pour un pays qui voit toute l‟industrie s‟établir dans les autres pays de l‟union douanière. Section 2 : Les premières orientations pour l’organisation de l’intégration africaine Dans les années 80, le Plan d‟Action de Lagos (PAL) pour le développement économique de l‟Afrique 1980-2000 cherchait à résoudre au niveau continental, régional, sous-régional et national, les grands problèmes du développement de l‟Afrique. Cette politique initiée par l‟OUA a été consignée dans le PAL lors de la XVIème session ordinaire de la Conférence des Chefs d‟ État et de Gouvernement (Monrovia en juillet 1979). Elle a été précédée par des travaux d‟experts économistes et des directeurs des offices de planification. À la clôture de la session, une déclaration a été adoptée sur les principes directeurs à respecter et les mesures à prendre pour réaliser l‟autosuffisance nationale et collective dans le domaine économique et social, en vue de l‟instauration d‟un nouvel ordre économique international. Également, les Chefs d‟État et de Gouvernement de l‟OUA «s‟engageaient, au nom de leurs gouvernements et de leurs peuples à promouvoir le développement économique et social et l‟intégration de leurs économies en vue d‟accroître l‟autodépendance et favoriser un développement endogène et auto-entretenu pour faciliter et renforcer leurs rapports sociaux et économiques ; pour l‟édification au niveau national, sous-régional et régional d‟une économie africaine dynamique et interdépendante, pour l‟établissement, chaque année, de programmes spécifiques pour matérialiser cette coopération économique sous-régionale, régionale et continentale ». La mise en œuvre de cette déclaration a été consignée dans le Plan d‟Action de Lagos dont l‟ambition était à la mesure du retard économique du continent. Le contenu était très large et concernait des domaines aussi variés que : l‟agriculture et l‟alimentation dont le plan de développement a été approuvé à Arusha et adopté dans la déclaration de Monrovia de juillet 1979 ; 223 l‟industrialisation du continent par la poursuite d‟objectifs à long, moyen et court terme, visant à atteindre en l‟an 2000 au moins 2% de la production industrielle du monde, conformément aux objectifs de la conférence de Lima ; l‟exercice de la souveraineté totale des pays africains sur leurs ressources naturelles, en s‟appuyant sur la formation des hommes capables de maîtriser les technologies appropriées ; le développement et l‟utilisation rationnelle des ressources humaines nécessaires à ce plan d‟action ; la mise de la science et de la technologie au service du développement du continent aux niveaux national, sous-régional et régional ; l‟adoption et la mise en œuvre d‟une stratégie générale en matière de transports et de communications ; la promotion et l‟intensification des échanges commerciaux et financiers sur le plan national inter-africain. Cette énumération non exhaustive montre toute l‟importance accordée au PAL, ainsi que les grands espoirs qu‟il a suscités lors de son adoption et de sa promulgation. Malgré cela, les années 90 vont montrer de très faibles taux de réalisation des objectifs du programme. En définitive, les résultats ont été assez décevants et bien en-deçà des espérances. Cela explique l‟extrême sévérité des évaluations : «la décennie gâchée», «la décennie des espoirs déçus» ou plus fréquemment «la décennie perdue». En effet, qu‟il s‟agisse de la croissance économique, de la résorption du double déficit structurel de la balance commerciale et des finances publiques, de la dette extérieure et intérieure, des niveaux de pauvreté, de la nutrition, de la santé, de l‟éducation en un mot de l‟amélioration du bien-être social, les performances sont restées dans l‟ensemble très médiocres. Cependant, à l‟heure de la globalisation inéluctable, l‟objectif n‟est plus, certainement pour un pays ou un groupe de pays, de rechercher une autonomie collective sur la base d‟un modèle de substitution aux importations et un développement autarcique ou auto centré. Ces options sont devenues des illusions balayées par les nouvelles perspectives offertes par l‟intensification des échanges qui font que chaque pays cherche à tirer profit de la croissance tirée par les exportations. C‟est pourquoi, depuis au moins une vingtaine d‟années, les économistes tentent de déterminer les coûts et les avantages de la participation à une union économique et monétaire efficiente. Car ce n‟est pas en additionnant des marchés étroits et mal constitués, souvent soumis à de multiples barrières qu‟on aboutit inéluctablement à l‟intégration et bénéficier de ses avantages. Il y a toute une dynamique à enclencher dans un schéma organisationnel pertinent au double plan technique et institutionnel. Dans cette optique, on peut se demander comment tenir le pari de l‟intégration africaine. La question revêt une importance capitale au regard des résultats médiocres observés dans les processus amorcés depuis les années 60. Les nombreuses organisations mises en place au cours de cette période ont connu ou connaissent des difficultés et des dysfonctionnements qui constituent des contraintes majeures pour leur efficacité. C‟est dans ce contexte qu‟il faut s‟interroger pour savoir si l‟Union Africaine soutenue par l‟ensemble des décideurs africains, les sociétés civiles et certains secteurs extérieurs constituera une exception. 224 Section3 : Les Unions Douanières en Afrique : le poids économique des cinq régions. L‟intégration africaine est de la forme du « moyeu de la roue et de ses rayons » et privilégie les relations commerciales de proximité qui allient de façon subtile la clause de « la nation la plus favorisée » et celle de la « nation la moins discriminée ». Elle est aussi celle du pouvoir hégémonique qui exprime la capacité d‟un État à imposer à d‟autres États environnants une coopération globalement efficace. Ces blocs sous-régionaux fonctionnent bien que de façon assez inégale et réalisent, par moments, des résultats appréciables dans les domaines respectifs du commerce intra-régional, de la coordination des politiques économiques et monétaires, de la mobilité des facteurs comme la main-d‟œuvre et les capitaux. Le maillon manquant est un mécanisme institutionnel qui les interconnecte pour constituer une entité plus large comme l‟Union Africaine. C‟est dans ce sens que le Président B.COMPAORE dans son discours d‟ouverture de la 36ème Conférence de l‟OUA à Ouagadougou proposait à ses pairs et aux experts de «s‟en tenir à l‟Afrique du possible et de chercher un mécanisme fonctionnel et efficace de coordination des organisations sous-régionales. Ce n‟est point par manque d‟ambition mais par réalisme ». Quels sont alors les régions retenues et leurs potentialités économiques et quelles sont leurs perspectives et trajectoires en relation avec la réalisation de l‟Union Africaine ? I/ En Afrique de l’Ouest Au niveau économique, elle réalise 13% du PIB africain avec un revenu per capita de 339 dollars soit la moitié de celui continent. C‟est dans cette sous-région que la régionalisation est la plus ancienne et les expériences plus diversifiées. La Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO) est la plus importante organisation sous-régionale réunissant tous les 15 Etats de l‟Afrique de l‟Ouest. Elle a été crée en mai 1975 avec la ratification du Traité à Lagos. La sousrégion ouest-africaine se compose des économies des zones CFA et non-CFA. Près de la moitié des pays de la sous-région à savoir ceux de l‟UEMOA sont membres de la zone Franc CFA et utilisent la même monnaie, le franc CFA qui, depuis le 1 er janvier 1999 est rattaché à l‟euro. Ils représentent environ 30% de la population et 40% du PIB sous-régional. Cette Zone CFA est dominée par la Côte d‟Ivoire qui contribue à hauteur de 18% à la formation du PIB de la sous-région ouest-africaine. La zone non CFA est dominée par le Nigeria et le Ghana. Le Nigeria se taille la part du lion du PIB de l‟ensemble de la sous-région ouest-africaine (environ 46%). Les autres pays de la zone non CFA sont le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée et le Libéria. Dans la sous-région de l‟Ouest africain, le Nigéria avec sa centaine de millions d‟habitants et son énorme potentiel énergétique (pétrole et gaz) et ses effets de polarisation sur les autres pays frontaliers, se présente comme la véritable locomotive économique et financière. Malgré les convulsions de son front intérieur, en toute logique, l‟organisation de l‟intégration sous-régionale doit tourner autour de ce pôle. Cependant, les échanges commerciaux intra-régionaux sont encore assez faibles, ce qui commande à la CEDEAO l‟accélération de l‟harmonisation des politiques macroéconomiques et des stratégies commerciales. En effet, ces États ont défini des critères de convergence macro-économiques en vue d‟une coopération plus étroite. Ces critères comportent la limitation du déficit 225 budgétaire à un niveau ne dépassant pas 5% du PIB ; la fixation du crédit alloué à l‟État par la Banque Centrale à 10% au moins des recettes publiques; la réduction et la maîtrise du taux de l‟inflation; l‟harmonisation des taux de change et la suppression de la surévaluation d‟ici fin 1998 ; la levée des restrictions des paiements sur les opérations commerciales quotidiennes et la stabilisation du taux de change d‟ici 1998. Il a été également décidé de remplacer tous les autres impôts indirects sur le chiffre d‟affaires par la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). À ce jour, sur les 16 États membres de la CEDEAO, le critère relatif au déficit budgétaire a été satisfait par 12 pays, le taux d‟inflation à un chiffre a été atteint par 13 pays, la marge de fluctuation du taux de change de 5% ou moins a été réalisée par 12 pays, la TVA a été adoptée par 9 pays et la réduction du crédit alloué à l‟État par la Banque Centrale à 10% des recettes publiques (ou moins) a été respectée par 4 pays. Des efforts sont en cours tendant à promouvoir le commerce notamment la mise en circulation des certificats d‟origine, la levée des barrières tarifaires sur les produits non transformés, la suppression des barrières non tarifaires à caractère monétaire et la suppression des visas d‟entrée par tous les pays de la CEDEAO pour favoriser la libre circulation de la main-d‟œuvre. Dans la zone CFA, la mission de l‟UEMOA consiste en particulier à réaliser une meilleure harmonisation intra-régionale des politiques macro-économiques. Elle vise également à intensifier la coopération économique dans les opérations relatives aux secteurs clés tels que la production d‟électricité, le transport et la communication. Des efforts ont été entrepris pour harmoniser le cadre juridique et réglementaire de l‟ensemble de la zone franc, pour créer et faire fonctionner des institutions chargées de promouvoir la mise en œuvre des programmes régionaux au sein des États membres. Enfin, avec l‟amélioration de la gouvernance et la transition démocratique actuelle au Nigéria, qui connaît maintenant une relative stabilité, les chances de renforcement des liens économiques au sein de la région seront plus grandes. De même, dans le domaine de la résolution des conflits, ECOMOG est parvenue, avec un engagement fort du Nigeria, à mettre un terme à la guerre civile au Libéria et à la Sierra-Léone. II/ En Afrique centrale À l‟image de l‟Afrique de l‟Ouest, l‟Afrique Centrale regroupe des pays de la zone CFA (Cameroun, Congo, Tchad, Gabon, Guinée Equatoriale et République Centrafricaine) et des pays de la zone non CFA (Congo ŔRDC-, le Rwanda, Sao-Tomé et Principe et le Burundi). Il s‟agit d‟une région offrant de nombreux contrastes. Certains pays renferment d‟abondantes richesses naturelles : de l‟or et des diamants au Congo (RDC) et du pétrole au Cameroun, au Gabon et en Guinée Equatoriale. D‟autres, comme la République Centrafricaine, n‟ont pas de gisements miniers importants. Néanmoins, à l‟exception du Tchad, tous ces pays disposent d‟une vaste superficie de terres arables qui n‟ont pas été exploitées à leur potentiel maximal. Dans cette sous-région, le Cameroun se présente comme l‟économie forte avec 32,6% environ du PIB. Sachant que l‟économie de la sous-région n‟est guère diversifiée et compte tenu de son potentiel énorme, la croissance économique pourrait décoller rapidement et atteindre les niveaux observés en Asie avec le krach de 1997. Cependant, des réformes sérieuses et cohérentes devront être engagées si l‟on veut que ce scénario se réalise. En outre, les troubles civils et militaires devront cesser afin que les ressources tant humaines que naturelles, puissent être consacrées 226 à une cause plus noble : le développement économique. Lorsque les conflits armés qui dévastent la région cesseront, le Congo (RDC), souvent qualifié de merveille géologique, pourrait constituer le moteur qui tirera toute la région vers la prospérité. L‟inflation devrait rester sous le contrôle dans la majorité des pays, surtout ceux appartenant à l‟union monétaire. Pour les autres, tels que le Burundi, un sérieux tour de vis est nécessaire pour ramener l‟inflation sous la barre des 10%. Dans le cas de la RDC, en plus de la lutte contre l‟inflation, le règlement du conflit interne s‟avère imminent. Les progrès accomplis récemment donne l‟espoir que l‟inflation sera maîtrisée d‟ici peu au Congo (RDC). Ainsi, l‟intégration dans cette sous-région pourrait être propulsée par la CEMAC qui a défini, à l‟image de l‟UEMOA, les orientations nécessaires à la réalisation d‟un espace économiquement intégré notamment en termes d‟harmonisation des politiques macro-économiques et d‟assainissement des finances publiques. III/ En Afrique Australe L‟Afrique Australe comprend l‟Angola, le Botswana, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, l‟Afrique du Sud, le Swaziland, la Zambie et le Zimbabwe. Une grande partie de l‟activité économique de cette région repose sur l‟exploitation minière et l‟agriculture. Elle est riche en pétrole, diamants, or, cuivre et autres minerais. L‟agriculture y est favorisée par l‟abondance des terres arables et un climat propice à la variété des cultures de l‟élevage et des pêcheries. Enfin, le potentiel hydroélectrique et d‟irrigation de la région est considérable. Elle assure plus de 35% du PIB de l‟Afrique avec un revenu per capita de 1500 dollars qui est le plus élevé du continent. Elle est dominée par l‟Afrique du Sud qui contribue à hauteur de 74,6% du PIB. Cependant, l‟expérience récente de l‟Afrique Australe concernant l‟intégration régionale illustre le changement de cap en faveur d‟une approche privilégiant la production. La sous-région redouble donc d‟efforts pour mettre en œuvre des projets régionaux et assurer une exploitation conjointe des ressources naturelles. Reconnaissant que le transport routier et les communications sont essentiels pour éliminer les obstacles pratiques et faciliter la circulation transfrontalière des personnes et des biens, les pays membres de la Communauté pour le Développement de l‟Afrique Australe (SADC) se sont lancés dans la réalisation de couloirs de développement. Les principaux axes de transport entre les ports maritimes et l‟intérieur des terres sont considérés comme des couloirs économiques qui concentrent des activités liées à l‟agriculture, à l‟industrie, au commerce, aux communications et au tourisme, notamment. La SADC a adopté un protocole sur les transports, les télécommunications et la météorologie qui est entré en vigueur en 1998 et par lequel la région s‟engage à se lancer dans une grande réforme à l‟échelon national et régional. IV/ En Afrique du Nord L‟Afrique du Nord comprend l‟Algérie, l‟Égypte, la Libye, la Mauritanie, le Maroc, le Soudan et la Tunisie. En 1964, l‟Algérie, la Lybie, le Maroc et la Tunisie établissaient les principes de coopération économique entre les pays du Maghreb. Le Comité Consultatif Permanent du Maghreb (CPCM) était crée à cette fin ainsi que 227 divers autres Comités et Commissions spécialisés dans les domaines de l‟éducation, de l‟enseignement supérieur, des études et de la recherche, des postes et télécommunication, de l‟emploi et du travail, de la normalisation des assurances et de la réassurance.. Le CPCM élaborait un vaste programme quinquennal de coopération économique pour un espace économique qui a d‟énormes potentialités en matières premières, en agriculture, en industrie et en tourisme lui permettant de sortir facilement du retard de développement. On y traitait de la promotion des échanges commerciaux intra-régionaux grâce à la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires, de la promotion des industries, de la création d‟une banque de développement, de la coopération en matière de tourisme et de coordination des services de transports. Malgré quelques réalisations positives ; la répartition des coûts et des avantages fut cause des problèmes accentués par des conflits d‟ordre politique. Bien que les différentes institutions de l‟UMA soient mises en veilleuse, la sous-région compte actuellement 170 millions d‟habitants et réalise environ 39% du PIB du continent. Avec un revenu par tête de 1354 dollars soit prés de deux fois celui du continent. V/ En Afrique de l’Est Composé des Comores, de Djibouti, de l‟Éthiopie, de l‟Érythrée, du Kenya, de l‟Ouganda et de la Tanzanie, son poids économique est de 7% du PIB du continent avec un revenu per capita d‟environ 222 dollars. Si l‟on exclut l‟hypothèse de mauvaises conditions météorologiques et d‟une nouvelle dégringolade des prix des principaux produits d‟exportation de la région, l‟économie régionale devrait continuer de progresser au rythme de 5 à 6% par an. L‟impulsion sera donnée par l‟essor du secteur manufacturier et l‟expression rapide du tourisme. La poursuite des réformes économiques et la transparence accrue de la vie politique accentueront les incitations pour les producteurs et atténueront la corruption. Par ailleurs, les pouvoirs publics devront de plus en plus rendre des comptes aux citoyens concernant l‟affectation des précieux deniers publics à l‟amélioration de l‟infrastructure régionale, à la lutte contre pauvreté et au développement du capital humain. Section 4 : Les organisations régionales d’intégration les plus importantes et les plus pertinentes. La création des blocs régionaux a été consignée dans les objectifs du Plan d'Action de Lagos (PAL) et de l'Acte Final de Lagos (AFL) de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA). Le PAL et l'AFL prévoyaient tous les deux un processus évolutif dans l'intégration économique du continent dans le quel les communautés économiques régionales devraient constituer les piliers sur lesquels va en fin de compte s'ériger la communauté économique africaine. Cette option a été confirmée par le NEPAD qui travaille avec les cinq principales organisations régionales représentatives de leur espace. Quelles sont les plus importantes organisations en fonctionnement ? 228 I/ La CEDEAO et l’UEMOA en Afrique de l’Ouest. Le processus d‟intégration est plus avancé en Afrique de l‟Ouest qui dispose de plusieurs organisations qui fonctionnent effectivement : la CEDEAO, l‟UEMOA180, la Mano River Union, le CILSS, Organisation de la Mise en Valeur du fleuve Sénégal, l‟ADRAO etc. Les deux premières organisations sont les plus performantes d‟Afrique car elles ont en passe de réaliser des Zones de libre Echange avec une libre circulation des hommes et des biens. L‟unification monétaire est en bonne perspective. En toute conséquence, les échanges intracommunautaires y sont les plus développés que dans toutes les autres organisations d‟intégration. Dans le cadre de ce travail, nous présenterons d'abord dans le tableau ci dessous les deux communautés, ensuite les avantages et les coûts de l'intégration et enfin les mesures prises pour remédier aux conséquences négatives de l'intégration Tableau 24: Présentation de deux organisations d'intégration économique 1_ Date et lieu de création Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest Union Économique et Monétaire Ouest africaine 28 Mai 1975 à Lagos (Nigeria) 10 Janvier 1994 à Dakar (Sénégal) Bénin, Burkina, Cap vert, Côte d'ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée 2- États membres Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Léone, Togo Bénin, Burkina, côte d'ivoire, Guinée Bissau (,12 Mai 1997) Mali, Niger, Sénégal, Togo 3- population/ Superficie 240 Millions d'hts - 6 194 000km2 67 Millions d'hts - 3 509 125 km2 4- Principaux objectifs Promouvoir la Renforcer la compétitivité des économiques et coopération et l'intégration activités financières des États membres afin d'améliorer le niveau dans le cadre d'un marché ouvert de vie de ses populations concurrentiel et d'un Maintenir et renforcer la et stabilité économique environnement juridique Favoriser les relations rationalisé et harmonisé entre ses membres, contribuer au progrès et au développement du continent africain Harmoniser et coordonner 180 Assurer la convergence des performances et des politiques économiques des États membres par l'institution d'une surveillance multilatérale L‟UEMOA prend son origine dans l‟AOF qui était une union économique, avec une politique commune pour tous les pays anciennement colonisés par la France. Après l‟indépendance, chaque pays pouvait avoir une politique économique libre. Mais comme ils ne voulaient pas perdre tous les avantages d‟une union, ils ont formé l‟Union Douanière des États de l‟Afrique Occidentale (UDAO) en décembre 1959. D‟autres organisations lui ont succédé : UDEAO (1966), CEAO (1973) et un regroupement avec les anglophones : CEDEAO (1975). Les membres de la filière UDAO-UDEAOCEAO sont : la Côte d‟Ivoire, le Dahomey (Bénin), la Haute-Volta (Burkina), le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal ; le Togo une sorte de demi-membre, n‟y a pas effectivement participé. 229 les politiques nationales Créer un marché commun et une union économique Participer à la création de la communauté économique africaine La conférence des chefs d'État et de Gouvernement 5- Instances dirigeantes Créer entre les États membres un marché commun basé sur la libre circulation des personnes et des biens, des services et des capitaux et sur le droit d'établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée ainsi que sur un tarif extérieur commun et une politique commerciale commune Harmoniser les législations des Etats membres et particulièrement le régime de la fiscalité Instituer une coordination des politiques sectorielles nationales par la mise en œuvre d'actions communes et éventuellement de politiques communes, notamment dans les domaines des ressources humaines de l'aménagement du territoire, des transports et télécommunication, de l'environnement, de l'agriculture, de l'énergie, de l'industrie et des mines. La conférence des chefs d'État Le conseil des ministres et de Gouvernement La cour de Justice Le conseil des Ministres Les commissions La commission techniques spécialisées La cour de justice Le secrétariat exécutif La cour des comptes Le conseil économique et Le comité inter-parlementaire social La chambre consulaire régionale Le parlement de la communauté Le Secrétaire Exécutif est assisté de deux adjoints; (S.E.A) Le secrétaire exécutif adjoint chargé de l'administration et des finances est responsable des sections suivantes : Affaires juridiques 6- Organigramme Affaires sociales et culturelles Administration et finance L'autre chargé des affaires économiques est responsable des sections Commerce, Douane, Immigration, Questions monétaires et paiements Transport, communication, 230 La Commission comprend huit membres et est dirigée par un président élu pour quatre ans. La présidence qui est renouvelable est assurée par chaque État membre à tour de rôle. Les commissaires sont chargés de la direction des départements ci-dessous : Le département de l'aménagement du territoire et des infrastructures, des transports et des communications ; Le département des ressources ; Le département de l'énergie, des mines, de l'industrie et de l'artisanat ; Le département des politiques commerciales et douanières ; Le département des politiques énergie Industrie, Agriculture et ressources naturelles Recherche et statistiques 7-Institutions spécialisées Agence monétaire de l'Afrique de l'Ouest (AMAO) Fonds de Coopération, de Compensation et de Développement économiques ; Le département du développement rural et de l'environnement ; Le département des politiques financières Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) 1°) Les avantages Les principaux avantages découlant de l'intégration sont : La baisse des coûts de production à l'intérieur de la région grâce aux économies d'échelle dues à la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires, La substitution du commerce légal au commerce transfrontalier illégal généralement associé aux activités improductives et onéreuses encouragées par des différences de prix découlant des politiques diverses ; L'accélération du rythme des investissements attirés par un marché élargi et un code communautaire des investissements plus libéral. La baisse des prix due à la réduction des tarifs et à la concurrence et l'élargissement de la gamme de choix pour les consommateurs. Au delà de ces avantages considérés comme globalement positifs pour la zone, l'intégration, entraîne des coûts. 2°) Les coûts Le schéma de libéralisation préconisé dans le cadre de l'UEMOA et de la CEDEAO entraîne, au moins dans l'immédiat, des moins-values budgétaires, et une inégalité dans la répartition des avantages et des coûts de l'intégration pour les différents pays. Les moins values budgétaires La fiscalité de l'ensemble des pays de la sous-région se caractérise essentiellement par l'importance de la fiscalité de porte dans le montant total des recettes budgétaires des États. Dans un tel contexte, toute diminution ou suppression des droits de douane entraîne des moins-values budgétaires importantes pour les différents pays. Surtout pour des pays en proie à de graves difficultés financières, toute perte de recettes est lourde de conséquences. Mais au-delà de ces moins-values budgétaires, on note une inégalité des avantages et des coûts pour les pays. Une inégalité des avantages et des coûts Celle-ci résulte des écarts de développement existant entre les différents pays, en particulier sur le plan industriel. Les pays dotés de tissus industriels plus développés et de circuits de distribution plus élaborés profitent plus des effets de l'intégration que les pays moins 231 avancés à tissus industriels peu étoffés. Ceci s'explique par le jeu des .avantages comparatifs généralement défavorables à ces derniers. À l'intérieur de l'UEMOA, la Côte d'Ivoire constitue l'économie dominante avec 34,7%, du PIB de l'Union. Elle est suivie du Sénégal (22,1% du PIB) et ensuite les autres pays qui représentent chacun environ 8,5% du PIB de l'Union. C'est la disparité des niveaux de développement des économies que semble attester la liste des produits et des entreprises agréées à la taxe préférentielle communautaire ; À la date du 1er septembre 1997, sur les 211 entreprises dont les produits sont agréés, on note la répartition suivante : 98 pour la Côte d'Ivoire 56 pour le Sénégal 18 pour le Mali 15 pour le Burkina Faso 9 pour le Togo 8 pour le Niger 6 pour le Bénin D'autre part, l'hétérogénéité des mesures tarifaires et non tarifaires, notamment sur le plan du droit des affaires, sur le plan de la fiscalité et dans le domaine des règles de concurrence fausse le jeu de la libre concurrence. De telles hétérogénéités viennent le plus souvent aggraver l'inégalité dans la répartition des avantages et des coûts entre les pays. Face à toutes ces conséquences, on note un effort de mise en place de d‟importants mécanismes de compensation pour remédier aux disparités entre pays côtiers et pays enclavés. 3°) Les mécanismes de compensation aux moins-values budgétaires et aux inégalités et disparités Ces compensations peuvent être regroupées en deux catégories : la compensation par les fonds la compensation par le droit La compensation par les fonds comprend : Le fonds de compensation financière provisoire pour pertes de recettes de l‟UEMOA, Le fonds de coopération, de compensation et de développement (FCCD) de la CEDEAO; Les fonds structurels pour l'aménagement équilibré du territoire communautaire La compensation des disparités par le droit comprend d'une part l'harmonisation des fiscalités et des législations et, d'autre part, l'adoption de règles garantissant la libre-concurrence. II/ Le COMESA Le Marché Commun de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique Australe ou COMESA de son acronyme anglais, regroupe une vingtaine (20) de pays de cette partie du continent africain. La genèse du Marché commun de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique Australe remonte au milieu des années 1960 à un moment où l‟Afrique entière faisait de l‟idéal de solidarité panafricaine et d'autosuffisance collective un destin commun. C‟est en 1965 que démarre le processus en vue de la création d'une communauté 232 économique des États de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique Australe qui venaient d‟accéder à l‟indépendance. Un Conseil Provisoire des ministres, assisté par un Comité Economique intérimaire, fut ultérieurement constitué pour négocier le traité et initier des programmes de coopération économique en attendant la fin des négociations du traité. Et en 1978, fut recommandée la création d'une communauté économique sous-régionale, en commençant par une zone d'échanges préférentiels sous-régionale qui devait graduellement se transformer en marché commun et finalement en communauté économique. À cette fin, la réunion a adopté la Déclaration d'intention de Lusaka et l'engagement pour la création d'une Zone d'Échanges Préférentiels de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique australe (ZEP). Elle a constitué par ailleurs un groupe intergouvernemental chargé de négocier le Traité portant création de la ZEP. La réunion a également convenu d'un calendrier de travail du groupe intergouvernemental.181 Le Traité entre en vigueur en 1982 après sa ratification par plus de sept États signataires conformément à l'Article 50 du Traité. La ZEP fut créée en vue de tirer profit d'un marché plus étendu, de partager le patrimoine et le destin communs de la région et de permettre une plus grande coopération socio-économique, l'objectif ultime étant la création d'une communauté économique. Le Traité de la ZEP prévoyait sa transformation en un marché commun. Conformément à cette disposition, le Traité portant création du Marché commun de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique Australe (COMESA) fut signé le 5 novembre 1993 à Kampala en Ouganda. Il fut ratifié une année plus tard à Lilongwe (Malawi) le 8 décembre 1994. Le COMESA a choisi de se concentrer sur les domaines d'intégration suivants : Commerce des biens et des services, y compris les mécanismes de paiement et de règlement ; Promotion et facilitation de l'investissement ; Développement des infrastructures ; Commerce électronique ; Paix et sécurité. 1°) Les principaux objectifs du COMESA avec : Le COMESA dispose du potentiel de ressources le plus important d‟Afrique Les plus larges fleuves du monde (Zambèze, Congo, Limpopo) et les plus longs du monde (Nil) se trouvent dans la région, avec un énorme potentiel d'exploitation (transport par voie d'eaux, énergie hydroélectrique avec un potentiel de 700 milliards de KW, dont 96% sont inexploités, l'irrigation et la pêche). La plus grande réserve d‟eau douce (Victoria) et certains des plus larges faits par l'homme (Owen Falls, Kariba, Aswan) La région compte des sites et des merveilles naturelles uniques au monde et qui présentent un potentiel touristique: Great Pyramids, Great African Rift Valley, serengeti Plains, Great Zimbabwe, Cradle of Mankind (Kobi Fora, lac Turkana, etc.) Le COMESA dispose de ressources minérales estimées à environ 300 milliards de tonnes de phosphate, 105 milliards de tonnes de minerai de fer, À l'issue des travaux préparatoires, une réunion des chefs d'État et de gouvernement fut organisée à Lusaka le 21 décembre 1981 au cours de laquelle le Traité portant création de la ZEP fut signé. 181 233 200 milliards de tonnes de pétrole et de grandes quantités d'uranium, de cuivre et de cobalt. La région a 60% du cheptel africain (estimé à 300 millions de têtes en 1997). 90% des terres arables potentielles du COMESA sont encore à exploiter Le COMESA vise à s‟intégrer pleinement à l‟économie mondiale en vue d‟apporter la prospérité économique, d‟élever le niveau de vie de ses populations, avec une stabilité politique et sociale. L‟organisation doit assurer la libre circulation des biens, des services, des capitaux et de la main-d'œuvre entre les États membres. La réalisation de ces objectifs du COMESA est inscrite dans le long terme. Cependant, afin de garantir une plus grande efficacité à sa mission en tant qu'institution, le COMESA a défini dans le cadre de son mandat sa priorité qui est la promotion, à moyen terme, l'intégration régionale par le commerce et l'investissement. Il a été élaboré un Programme qui couvre un grand nombre de secteurs et d'activités, l'introduction d'un Tarif Extérieur Commun (en 2004) et un accord sur les taxes de 0% sur les biens de production, de 5% sur les matières premières, de 15% sur les biens intermédiaires et 30% sur les biens finals. Le COMESA doit faciliter la suppression des faiblesses structurelles et institutionnelles des Etats membres, afin qu'ils soient à même d'atteindre le développement collectif et soutenu. Le Secrétariat est chargé de les appuyer à réaliser les ajustements nécessaires pour pouvoir entrer dans l'économie mondiale dans le cadre des réglementations de l'OMC et des autres accords internationaux. 2°) De l’insistance particulière pour une exploitation commune des opportunités offertes par les technologies de l'information et des communications (TIC) pour valoriser le potentiel de ressources Le COMESA a mis en place un programme qui mise sur l‟exploitation des progrès des technologies de l'information et des communications par satellite et sans fil qui évitent d'investir dans de coûteuses infrastructures des télécommunications conventionnelles. Également le COMESA veut exploiter les technologies numériques et les réseaux de communications qui créent des économies sans frontières dans des secteurs-clés. Ces technologies représentent à la fois un défi et une opportunité pour un espace géographique trop large et ayant des ressources naturelles assez importantes. III/ La Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC). La SADC a décidé dès 1992 de se transformer en une communauté régionale d‟intégration par le commerce et le développement. Elle a accompli jusqu'à présent des progrès importants dans cette direction : accueil de nouveaux membres plus fortement orientés vers l'économie de marché; signature de protocoles; ouverture au secteur privé. Il lui reste néanmoins à prendre des décisions infiniment plus lourdes de conséquences qui détermineront dans une large mesure sa capacité à affronter la dynamique d'une intégration économique centrée sur le commerce. L‟Organisation doit faire le choix entre deux options : la première consisterait à conserver la même forme de coopération, avec des compétences sectorielles par pays, mais elle la rationaliserait conformément à la volonté de privilégier l'intégration sur une coopération strictement fonctionnelle et la seconde consisterait en une concentration encore plus forte de ses activités et mettrait en place de nouvelles structures de compétences purement régionales. On semble se diriger vers la première option car 234 elle modifie le moins les structures traditionnelles ; elle est donc la plus facile à imposer. Le problème majeur qui se pose à cette organisation est relatif à la juste répartition des coûts et bénéfices entre les Etats membres afin qu‟aucun État n‟exerce une position trop asymétrique par rapport aux autres. Le développement économique et politique des différents pays fait apparaître d'énormes disparités. D'un côté le Mozambique, le Malawi et la Tanzanie font partie des sept pays les plus pauvres du monde (avec un revenu moyen par habitant inférieur à 170$ par an); de l'autre l'Ile Maurice et l'Afrique du Sud sont en passe d'entrer dans la catégorie des pays industriels. La controverse porte tout spécialement sur le poids de l'Afrique du Sud qui, du fait de sa puissance politique et économique, exerce déjà aux yeux de ses voisins une domination excessive. De plus, l'Afrique du Sud dispose d'un marché intérieur suffisamment grand, et d‟un pouvoir d'achat assez élevé, deux phénomènes qui exercent un effet d‟attraction pour les investissements directs dans les secteurs des biens de consommation et d'investissement. Tous les autres pays membres présentent pour les IDE un intérêt circonscrit à la production de matières premières (minérales et agricoles) et à la production pour l'exportation. Cette trop forte disparité pose la nécessité de disposer d'un mécanisme de compensation économique qui garantisse aux États les plus faibles de tirer également un avantage à leur participation à l‟intégration. La difficulté à mesurer les coûts et les bénéfices rend leur perception particulièrement problématique. La mise en place d'un Fonds de Compensation, calqué sur le modèle du budget de l'UE s‟impose. Malgré un bon fonctionnement de l‟organisation, les gouvernements rechignent à déléguer des compétences supranationales à la SADC particulièrement pour la mise en valeur de certains secteurs économiques bien que, dans le cadre de l'intégration par le commerce, une telle renonciation soit nécessaire. En effet, cela faciliterait l‟harmonisation des législations, les réglementations et les modalités de leur application, l‟uniformisation des tarifs et des taxes et la simplification des contrôles douaniers. La SADC ne peut échapper à prendre de telles mesures si elle veut approfondir le processus d‟intégration économique. 1°) La locomotive sud-africaine et l’hétérogénéité économique de la SADC. Sur les 14 pays de la SADC, seule l'Afrique du Sud et le Zimbabwe, disposent de structures industrielles diversifiées. Les autres pays membres (à l'exception de Maurice) exportent principalement des matières premières et importent des produits finis. Cela conduit non seulement à des relations commerciales inégales mais aussi à des économies nationales présentant de très grandes différences structurelles dans leur développement. Cela confère aussi aux économies de la SADC un attrait très contrasté. Le Botswana, suivi de près par l'Afrique du Sud, possède en Afrique australe le meilleur climat d'investissement, les places suivantes étant occupées par le Mozambique et la Zambie. L‟un des pôles industriels et surtout agricole est immobilisé par son front politique intérieur. Depuis l'ouverture de l'Afrique du Sud à ses voisins, les exportations sudafricaines vers le Zimbabwe, la Zambie et le Mozambique, de même que les investissements sud-africains dans ces trois pays, ont très fortement augmenté, alors qu'aucune extension notoire des exportations des autres pays de la SADC vers l'Afrique du Sud n'a été observée. Des pays comme le Mozambique ou la Zambie font 235 venir jusqu'à 30% de leurs importations d'Afrique du Sud, mais ne trouvent pratiquement pas de débouchés pour leurs produits en Afrique du Sud. Ce déséquilibre commercial assez marqué a déjà provoqué de vives tensions au sein de l‟organisation, les pays déficitaires reprochant à la locomotive de fermer ses marchés à leurs rares produits concurrentiels par des barrières douanières élevées et des obstacles non-tarifaires. C'est le cas pour le textile et certains produits agricoles. En résumé, les problèmes commerciaux au sein de la SADC se posent dans les termes suivants: à l'exception de l'Afrique du Sud et du Zimbabwe, aucun pays pratiquement ne produit des biens compétitifs qui rencontrent aussi une demande dans les autres pays de la SADC; beaucoup d'États de la SADC ont une gamme de produits trop semblables pour jeter les bases d'une imbrication commerciale intracommunautaire et d'une zone de libre-échange qui fonctionne; jusqu'à présent seuls l'Afrique du Sud et le Zimbabwe ont réalisé des excédents notables dans les échanges commerciaux à l'intérieur de la SADC; l'Afrique du Sud et le Zimbabwe ferment leurs marchés aux importations en provenance d'autres pays de la SADC par des barrières douanières élevées et une série d'obstacles commerciaux non-tarifaires. En revanche l'Afrique du Sud en particulier pratique une politique commerciale agressive et conquiert des parts de marché de plus en plus grandes dans de nombreux pays de la SADC. Une communauté économique régionale suppose une harmonisation des lois et des règlements dans les États membres de ladite communauté. L'extension des échanges commerciaux passe par la suppression, non seulement des droits de douane, mais aussi des obstacles commerciaux non-tarifaires ainsi que par l'harmonisation des textes régissant la circulation routière et les investissements. Le renforcement des contacts sociaux exige une simplification des procédures de franchissement des frontières et une suppression de l'obligation de visa. De telles harmonisations et simplifications sont un préalable indispensable à l'application des décisions de politique économique prises au niveau ministériel ou présidentiel. Les lenteurs observées dans l'harmonisation et la simplification des modalités d'application tiennent pour une part à la faiblesse des structures administratives de la SADC et des réticences politiques des Etats membres. 2°) La question des mouvements migratoires Un débat sur une nouvelle politique d'immigration est actuellement en cours en Afrique du Sud. Depuis l'époque coloniale, la région de l'Afrique Australe est marquée par de forts mouvements migratoires commandés principalement par les exploitations minières ainsi que les plantations en Afrique du Sud, en Zambie, au Zimbabwe, à la Namibie et au Botswana, qui avaient besoin d'une main d'œuvre bon marché. Il y a actuellement en Afrique du Sud entre 2,5 et 4,1 millions de travailleurs migrants clandestins. Ce mouvement s‟est renforcé avec des flux en provenance de l'Angola, du Mozambique, du Zimbabwe, de la Zambie, de la République démocratique du Congo, du Malawi ainsi que de pays n'appartenant pas à la SADC (Rwanda, Burundi, Nigéria, etc.).Toutefois, les Etats commencent à vouloir réglementer les mouvements migratoires contrairement à ce qui se passe en Afrique de l‟Ouest. 236 Le sommet de la SADC réuni en septembre 1997 à Lilongwe, au Malawi, a donc recommandé, sur cette question des mouvements migratoires, l'élaboration d'une politique commune qui tienne compte à la fois des intérêts des pays d'immigration et des pays d'émigration. Un protocole de la SADC sur la « Libre mobilité des personnes dans la région » est actuellement en discussion mais ne pourra entrer en vigueur que s'il est ratifié par deux tiers au moins des membres de la SADC. 3°) Les perspectives d’une organisation leader La réussite, d'ici au milieu du siècle prochain, de la transition visée dans le protocole commercial dépend essentiellement du succès des réformes allant dans le sens de la création de la zone de libre-échange. Ces réformes attendues portent notamment sur le leadership économique et politique sud-africain, la juste répartition des coûts et des bénéfices de l'intégration commerciale (migration de main d'œuvre, mécanisme compensatoire) ainsi que l'harmonisation des lois, directives et réglementations (transports, régimes frontaliers, code d'investissement). Section 5 : La convergence des politiques économiques et financières au niveau CER: quelques illustrations chiffrées. La situation économique en Afrique a été marquée ces dernières années par une baisse du taux de croissance du PIB de la région qui est passé de 5,5% en 1996 à 3,2% en 1998. Ce taux n‟a été que légèrement supérieur au taux de croissance démographique, et a été inférieur au taux de croissance annuel moyen de 4% enregistré depuis 1995. Cette performance faible s‟explique d‟une part par la chute brutale des cours du pétrole et de certains produits de base, provoquée par la crise financière et économique mondiale, et d‟autre part par les conditions climatiques défavorables à l‟agriculture et les problèmes engendrés par l‟instabilité et les conflits qui ont affecté certains pays. Les économies africaines ont souvent réagi différemment à ces chocs externes. En d‟autres termes, les effets sur le déficit budgétaire, le taux d‟inflation, la croissance du PIB, l‟endettement et le taux de change sont très différents d‟un pays à l‟autre. Pourtant, le Traité sur l‟Union Européenne signé à Maastricht en Février 1992 conditionne la création d‟une Union Économique et Monétaire (UEM) à la réalisation par chaque État de 4 critères de convergence définis par l‟article 109J ainsi que par un protocole annexé au Traité. Cette batterie de critères est une innovation car, pour la première fois dans l‟histoire, une expérience d‟UEM se fera ou ne se fera pas selon que ces critères auront ou n‟auront pas été atteints. La reconnaissance de la pleine réalisation de ces critères comme prélude à l‟Union tranche un débat récurrent entre deux doctrines de l‟intégration : la doctrine du gradualisme et de la convergence opposée à la doctrine du big bang et de la marche forcée. Quels sont les critères et comment sont-ils reliés ? Les critères les plus usuellement retenus sont : les taux d‟inflation, le niveau des déficits budgétaires, le taux de croissance du PIB, le volume d‟endettement extérieur et le taux de change réel. Il est possible de reconstituer l‟origine de ces critères afin de révéler les hypothèses qui ont servi explicitement ou implicitement aux choix politiques. Sans entrer dans le détail, observons que des critères trop stricts retardent la convergence donc l‟intégration alors que des critères trop souples accélèrent artificiellement la convergence et l‟intégration s‟autodétruira au prochain 237 choc. De plus, tous ces critères sont reliés entre eux par des relations simples au sein d‟un système dynamique. Analysons-les de plus près pour en apprécier le niveau effectif. I/ Taux d’inflation fortement différenciés De manière générale, l‟inflation connaît une baisse continue depuis 1995. Elle passe de 17% en 1990 à 12% en 1998 après avoir atteint 33% en 1995, alors qu‟elle s‟établissait à pas moins de 42% en 1994. Dans plus de la moitié des pays, le taux d‟inflation a été inférieur à la moyenne régionale, même si l‟on note un important dérapage au Zimbabwe, au Malawi, où les prix à la consommation ont augmenté de 31,7% et 18% respectivement. Au Congo (RDC) l‟inflation a chuté vertigineusement entre 1997 et 1998. En Afrique du Sud, malgré un rand (la monnaie nationale) faible, l‟inflation est restée limitée à 6,1%. Les performances enregistrées avec la baisse de l‟inflation sont principalement dues au renforcement de la discipline budgétaire et à l‟adoption de politiques monétaires plus rigoureuses, combinées à une stabilisation des taux de change. Ainsi, les divergences des taux d‟inflation sont extrêmement contrastées. En effet, le taux d‟inflation annuel moyen en Afrique, sur la période 19911998, varie entre 4178% en RDC au début des années 90 et 1,2% aux Seychelles, soit un différentiel de 4176,9%. Ce chiffre montre les divergences prenant leur source dans les politiques économiques et monétaires. Il nuit à la compétitivité du continent et constitue en conséquence un obstacle de taille à l‟union économique africaine. II/ Déficits budgétaires trop contrastés Le solde budgétaire du continent baisse continuellement entre 1990 et 1997 avec respectivement des taux de 4,3% et 1,8% du PIB, même s‟il a atteint le niveau de 2,7% en 1998. Ces faibles performances s‟expliquent essentiellement par une politique budgétaire relativement restrictive, surtout en 1998, et ce malgré les fortes pressions exercées sur les finances publiques par la chute des recettes à l‟exportation qui, dans la plupart des pays, constituent une importante source de revenus pour l‟État. La position budgétaire de plusieurs pays a connu de fortes fluctuations en raison de la baisse brutale des prix des produits d‟exportations (notamment le pétrole dans le cas de certains pays d‟Afrique de l‟Ouest), mais aussi à cause de l‟impact budgétaire des troubles civils en Angola et au Congo (RDC). Seuls le Botswana (5,6%), le Gabon (2,8%), la Guinée Équatoriale (0,7%), la Mauritanie (4,4%), le Sénégal (1%) et la Tanzanie (0,3%) on enregistré ainsi des excédents de leur solde budgétaire. L‟amélioration du solde budgétaire dans presque tous les pays s‟explique plus par une réduction considérable des dépenses publiques que par une hausse des recettes. Toutefois, ici aussi, les divergences sont notoires. En 1998, le solde budgétaire varie du déficit de 32% au Sao -Tomé et Principe à l‟excédent de 5,6% du PIB au Botswana. Ces différences de performance dans la réduction et même le rythme de la réduction du déficit budgétaire confirment l‟absence d‟harmonisation des politiques budgétaires et donc de convergence à l‟égard de cet indicateur, ce qui complique davantage le processus d‟union économique africaine. 238 III/ Taux de croissance différenciés du PIB La croissance de l‟économie africaine connaît un ralentissement depuis 1997 avec un taux de 3,4% qui persiste en 1998 ( 3,2%) alors qu‟elle avait atteint son taux le plus élevé de la période 90-93 en 1996 avec 5,5%. Ce ralentissement de la croissance économique en Afrique s‟explique essentiellement par la mauvaise conjoncture de l‟économie mondiale, qui trouve son origine dans la crise financière asiatique de 1997, la baisse des volumes d‟exportations, mais aussi et surtout la baisse des prix des matières premières. En outre, la croissance du PIB réel par tête d‟habitant a connu aussi un recul mais elle demeure positive depuis 1995 où elle était de 0,2% avant d‟augmenter substantiellement jusqu‟à 2,7% en 1996. Les baisses sont intervenues entre 1997 et 1998 avec respectivement 0,7% et 0,6%. Toutefois, le rythme de la croissance économique diffère fortement d‟un pays à l‟autre. En effet, le taux de croissance annuel moyen sur la période de 1991-1998 varie de 19,4% en Guinée Équatoriale à -6% au Congo (RDC). Ainsi, en dehors du Burundi (-1,7%), des Comores (-0,6%), de la RDC (-6%), de Djibouti (-1,5%) et de la Sierra Leone (-4,8%), tous les autres pays ont enregistré des taux positifs de croissance du PIB réel sur la période. IV/ Endettement extérieur massif et insoutenable L‟encours total de la dette extérieure africaine a légèrement diminué, passant de 330,2 à 314,7 milliards de dollars EU de 1996 à 1997. En 1998, il connaît une légère hausse à un niveau de 319,9 milliards de dollars EU. La dette à long terme constitue l‟essentiel de l‟encours total. Le poids de l‟endettement extérieur reste élevé puisqu‟il représente en moyenne la moitié du PIB soit 56,7% en 1998 et presque deux fois et demi la valeur des exportations soit 215,2%, la même année. Un quart environ du total des recettes à l‟exportation a été consacré au service de la dette extérieure. Par ailleurs, l‟endettement de certains pays africains à faible revenu pourrait augmenter en raison de la dégradation des termes de l‟échange et de la perte éventuelle des parts de marché pour les exportations de certains produits de base, due à des ajustements compétitifs du taux de change de la part des pays estasiatiques. Toutefois, la dette extérieure est assez contrastée en Afrique. Elle varie par exemple en 1997, entre 30 milliards de dollars EU (en Algérie) et 189,7 millions de dollars EU (aux Comores). Pour la plupart des pays africains, l‟endettement ne cesse de s‟alourdir d‟année en année. L‟accroissement annuel moyen de la dette extérieure sur la période 1991-1997 est de 1,8%. V/ Dépréciation monétaire et taux de change réel différents Le contraste caractérise aussi bien le niveau que l‟évolution du taux de change. Dans ce sens, le taux de dépréciation monétaire a varié d‟un peu moins de 9% en Algérie à plus de 64% au Malawi. Du reste, les monnaies des pays nord-africains et le franc CFA n‟accusent qu‟une baisse marginale. En plus du Malawi, le Zimbabwe (46%), le Malawi (47%), la Sierra Leone (52%) et le Burundi (27%) ont enregistré de fortes baisses de leur taux de change. Bien que le Rand, monnaie nationale sudafricaine, ait fait l‟objet d‟attaques féroces en milieu d‟année suite à la crise des marchés émergents, la monnaie n‟a perdu que 10% de sa valeur par rapport au dollar en 1998, mais a reperdu le terrain au début de 1999. Le Naïra nigérian est resté stable 239 pendant la majeure partie de la période 1996-1998. Enfin, le lancement de l‟Euro aura une incidence sur les marchés des changes et sur les transactions commerciales et financières, en particulier dans la zone CFA et en Afrique du Nord qui entretiennent des liens économiques et commerciaux plus étroits avec l‟Union Européenne. Au total, les disparités et les divergences enregistrées dans les performances des économies africaines laissent entrevoir des obstacles sérieux à la réalisation de l‟union économique de l‟Afrique. Cependant, l‟ampleur de ces divergences est moins importante au sein des espaces économiques sous-régionaux déjà constitués. En termes de stratégie, l‟intégration économique africaine organisée autour du profil économique régional est à la fois plus pertinente et plus efficace. L‟espace économique du continent est subdivisé en cinq régions qui développent chacune en son sein une ou plusieurs initiatives d‟intégration: en Afrique Centrale avec la Communauté Économique et Monétaire de l‟Afrique Centrale (CEMAC), la Communauté Économique des États de l‟Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPLG), en Afrique de l‟Est avec la Communauté Économique de l‟Afrique de l‟Est (CEA), en Afrique du Nord avec l‟Union du Maghreb Arabe (UMA), en Afrique Australe avec l‟Union Douanière de l‟Afrique Australe (UDAA), la Communauté pour le Développement de l‟Afrique Australe (SADC), la Zone d‟Échanges Préférentiels (ZEP), le Marché Commun des Etats de l‟Afrique de l‟Est et de l‟Afrique Australe (COMESA) et en Afrique de l‟Ouest avec La Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO), l‟Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), l‟Union du Fleuve Mano (UFM). 240 CHAPITRE 25 LES INSTITUTIONS DE L’UNION AFRICAINE : DE LA COMMISSION AU GOUVERNEMENT CONTINENTAL. «Unir l’Europe… c’est la placer sous une autorité commune capable d’émettre des décisions majoritaires. Exiger en toute chose un accord unanime, c’est supposer d’avance le problème résolu ; c’est présumer qu’il existe entre les pays coalisés une adhésion suffisante, une sorte d’harmonie préalable qui les prédispose à des appréciations concordantes». Robert Schumann (182) Le début du 3ème millénaire a vu les grands décideurs d‟Afrique élaborer de nouvelles visions de l‟unité africaine par deux initiatives majeures : la création de l‟Union Africaine (UA) à la place de l‟Organisation de l‟Unité Africaine (OUA) et l‟élaboration d‟une nouvelle initiative économique pour un partenariat avec le monde industrialisé et les institutions financières internationales (NEPAD). L‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine s‟inscrit ainsi dans une logique de réactualisation de la Charte de l‟OUA visant à doter le continent d‟une ambition éclairée et des objectifs réalisables pour un nouveau départ de l‟intégration africaine. C‟est dire que les leaders africains ont désormais une réelle vision historique et une véritable conscience des défis nationaux et continentaux. Conscients des énormes potentialités du continent, ils prennent l‟initiative d‟élaborer des stratégies qui placent celui-ci au cœur des enjeux du nouveau millénaire. Ce sont alors les nouvelles voies de l‟afrorenaissance pour reprendre le mot de Jean Marc ELA. Pour ce faire, tous les dirigeants africains redécouvrent l‟appel de NKRUMAH : l‟Afrique doit s‟unir. Cette idéologie d‟une renaissance africaine renoue avec les visions prophétiques des pères fondateurs de l‟unité africaine (de K. N‟KRUMAH183 à J. NYÉRÉRÉ, en passant par L.S.SENGHOR). Les rédacteurs de l‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine affichent la conviction et la volonté d‟ouvrir, «Les voies de l‟espérance pour l‟Afrique du 21ème siècle»184. Cette option s‟impose comme un préalable pour sortir le continent de l‟immobilisme et de la marginalité. Il faut toujours avoir à l‟esprit que l‟Afrique est aujourd‟hui la région du monde la plus pauvre et que son PNB dépasse à peine celui de la Belgique. À l‟aube du millénaire, les discours de tous les décideurs africains face à la situation catastrophique et l‟état de précarisation sociale insistent sur l‟impérieuse nécessité de réinventer de nouvelles façons de penser et d‟agir propres au régionalisme africain, principale planche de salut dans ce monde configuré en grands blocs économiques et financiers en situation concurrents. 182.. Écrits de Paris, avril 1955, un État d’esprit européen est-il possible ? O. Dr. Nkwamé NKRUMAH : Africa must be united, 1950 184 B. COMPAORÉ : La Voie de l’espérance est une évaluation positive de la trajectoire africaine 183 241 Section 1 : L’OUA : de l’idéal d’unité politique et économique de l’Afrique aux défaillances organiques et institutionnelles. La question de l‟Unité politique et économique de l‟Afrique a été soulevée très tôt, juste après les indépendances des années 60, par les pères de l‟indépendance africaine. Dans ce contexte l‟OUA sera créée par un compromis initialement équivoque entre deux groupes d‟États africains : les modérés et les radicaux. En effet, on trouvait d‟un coté les panafricanistes maximalistes comme K. NKRUMAH185, Ben BELLA, Modibo KEITA, Sékou TOURE préconisant déjà une union africaine fédéraliste à mettre en place immédiatement à partir d‟institutions politiques ayant pour missions la réalisation de l‟intégration économique et financière. De l‟autre se trouvent les gradualistesŔinstitutionnalistes, avec comme têtes de file Julius NYERERE, L.S. SENGHOR et Houphouet BOIGNY qui plaidaient plutôt pour une approche régionale graduelle et « par cercles concentriques »186 rappelant ainsi les « poupées russes » dont l‟ensemble constitue une entité, mais chacune prise individuellement représente l‟image réduite de l‟entité décomposée. Pendant plus d‟une trentaine d‟années, l‟OUA initialement formée de 36 membres s‟est élargie par la suite à 53 États en 1994. Sans aucun doute, elle a activement contribué par son Comité de Libération à l‟indépendance de certain pays, à la liquidation de l‟Apartheid et à la fin du régime Rhodésien au Zimbabwe. Toutefois, c‟est au niveau économique que les réalisations ont été dans l‟ensemble très maigres. Si l‟OUA a encouragé le développement des Communautés Économiques Régionales (CER) dans différents espaces, elle n‟a pas réussi à faire appliquer le Plan d‟Action de Lagos (1980-2000) ni à démarrer le Traité d‟Abuja instituant la Communauté Économique Africaine (1991). Globalement les objectifs économiques ont été systématiquement gelés y compris la Commission Économique et Sociale chargée de leur mise en œuvre. Pourtant la Charte mettait en première place la coopération et l‟intégration économique du continent. Beaucoup d‟autres commissions spécialisées et organes techniques n‟ont pratiquement jamais fonctionné. À ces faiblesses organiques et fonctionnelles viendra s‟ajouter une lacune de taille de la Charte : l‟absence de supranationalité qui finira par obliger la recherche de compromis comme unique système décisionnel. La conséquence est alors la paralysie. En prenant l‟exemple de la Conférence des Chefs d‟États et de gouvernement, elle ne dispose d‟aucun pouvoir de décision ; celui-ci est laissé au Sommet, c‟est-à-dire à l‟appréciation des États souverains qui ne peuvent prendre les décisions que par consensus. Vers la fin des années 90, il était apparu que les conditions du monde avaient profondément changé. Ensuite, les organes de l‟OUA avaient crée une série d‟organismes subsidiaires et d‟institutions spécialisées, adopté un ensemble de décisions et de règles et forgé une stratégie pour l‟action qui ne seront suivi d‟aucun effet tangible. Avec l‟avènement de la mondialisation multipolaire et la montée de la pauvreté de masse, les dirigeants africains commencent à appréhender la nécessité de modifier la structure de l‟OUA et de faire avancer l‟intégration. Lors de différentes rencontres, les décideurs africains vont prendre une claire conscience de la nécessité de repenser profondément la Charte de l‟OUA qui, après K. NKRUMAH avait déjà lancé au Congrès Panafricain de Manchester en 1950, l‟idée des États-Unis d‟Afrique qui fut reprise et systématisée dans son ouvrage « L‟Afrique doit s‟unir » publié en 1956 par Présence africaine 186 La formule est de Léopold SENGHOR 185 242 plus de trois décennies de fonctionnement, appelait des modifications et des amendements relatifs à ses principes directeurs, ses orientations d‟ensemble, ses objectifs, son fonctionnement, ses structures d‟encadrement et d‟administration. C‟est ainsi qu‟au 4ème Sommet extraordinaire de l‟Organisation de l‟Unité Africaine (OUA), organisé en septembre 1999 à Syrte, en Libye, sur le thème « Renforcement de la capacité de l‟OUA à faire face aux défis du nouveau millénaire », il a été adopté la déclaration de Syrte qui appelle notamment à : la création d‟une « Union Africaine en conformité des objectifs suprêmes de la charte de notre Organisation continentale et des dispositions du Traité portant création de la communauté économique africaine », et l‟accélération du « processus de mise en œuvre du Traité portant sur la création de la Communauté économique africaine ». Il s‟agit de la Charte instituant la dite Communauté et qui a été adoptée à ABUJA en 1991. Le 36ème Sommet de l‟OUA tenu en Juillet 2000 à Lomé (Togo) va alors décider de la création de l‟Union Africaine dont l‟acte constitutif a été adopté lors du 37ème et dernier Sommet de l‟OUA en Juillet 2001 à Lusaka (Zambie). Cet Acte Constitutif de l‟Union Africaine s‟inscrit ainsi dans une logique de réactualisation de la Charte de l‟OUA visant à doter le continent d‟une ambition éclairée et d‟objectifs réalisables pour un nouveau départ de l‟unité africaine. Avec les deux documents de l‟Union Africaine et plus tard, celui du NEPAD, les décideurs politiques ont pris l‟initiative d‟élaborer des stratégies qui tentent de placer le continent au cœur des enjeux d‟un nouveau développement, de nouvelles voies d‟une afro-renaissance. Dans cette perspective, l‟Acte unique est une innovation majeure qui exprime bien une volonté d‟aller plus vite et plus loin dans le processus d‟intégration. Toutefois, à y regarder de près, on peut constater que le nouveau dispositif législatif et institutionnel comporte encore des limites de fond qui restreignent notablement sa fonction d‟instrument de réalisation de l‟unité politique et économique du continent. C‟est cela qui a suscité le Grand débat sur le Gouvernement continental comme moyen d‟accélérer la marche vers les États-Unis d‟Afrique. Section 2 : Portée et limites de l’Acte constitutif de l’UA Sans nul doute, sur certains aspects, l‟Acte Unique trace des voies de l‟avenir en s‟inspirant beaucoup de l‟Union Européenne et aussi de l‟Union Économique et Monétaire Ouest-Africain (UEMOA) qui sont des modèles de régionalisme ouvert fondé sur 2 piliers : des institutions unifiées de gouvernance (Commission, Conseil Exécutif, Parlement, Cour de Justice, Conseil Économique et Social) et des critères de convergence (déficits internes et externes, inflation, endettement, budget etc.). Ces deux éléments rendent possible l‟élaboration de politiques économiques et monétaires communes. Dans ce contexte, il importe d‟opérer une évaluation pour apprécier la portée et les limites de l‟Acte Unique, afin de dépasser les modestes résultats qui caractérisent généralement le régionalisme africain. 243 Encadré 15 : Dispositif institutionnel de l’Union Européenne Consultation PARLEMENT Contrôle Budget Consultation Consultation CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL COMITE CONSULTATIF Avis Initiative COMMISSION EUROPENNE CONSEIL DES MINISTRES Exécution Arrêts Recours PARTICULIERS COUR DE JUSTICE Arrêts Recours GOUVERNEMENTS Recours Arrêts I/ Forces et faiblesses de l’Acte Unique comme instrument d’accélération de l’unité africaine. A travers l‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine les Chefs d‟État et de Gouvernement semblent s‟être donné comme objectif majeur l‟accélération du processus d‟édification de l‟unité africaine en prenant toutes les mesures destinées à établir l‟unité organique du continent. Étant donné que les traités internationaux tiennent souvent lieu de loi constitutionnelle pour les communautés ou unions qui les ratifient, on est en droit d‟attendre de l‟Acte Constitutif qu‟il ait un caractère formel qui lui permette d‟identifier, de définir et de légitimer une nouvelle union d‟une cinquantaine d‟États. Il devrait notamment comporter des règles détaillées qui 244 aideraient à la réalisation des objectifs et à la définition des obligations des diverses institutions de l‟Union et des États membres. On est en droit d‟attendre de l‟Acte Constitutif qu‟il ait un caractère formel qui lui permette d‟identifier, de définir et de légitimer tous les chantiers qui mènent vers la nouvelle union de plus d‟une cinquantaine d‟États. Il devrait alors fixer les orientations et les diverses règles devant contribuer à la réalisation des objectifs et à la définition des obligations des diverses institutions de l‟Union et des États membres. Il devrait définir les droits des citoyens, de même que les libertés économiques fondamentales comme la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, la liberté de s‟établir, de fournir des services, d‟importer ou d‟exporter. C‟est la reconnaissance de tels droits qui permet aux entreprises et opérateurs économiques de franchir les frontières et de faire prospérer librement leurs affaires. Une unité africaine qui, après quarante années d‟existence, voit encore des milliers d‟africains quotidiennement rapatriés dans leur pays d‟origine, des marchandises et des camions bloqués par des barrières les plus diverses, ne présente aucun intérêt, sinon diplomatique. Or, l‟Acte Constitutif - dans son contenu comme dans sa forme actuelle - est un document qui ne répond que partiellement à ces soucis majeurs. De surcroît, il n‟autorise pas l‟élaboration d‟une politique audacieuse de développement et d‟intégration ; donc, il ne peut Ŕ selon toute logique Ŕ en assurer la mise en œuvre. D‟une trop grande simplicité, il présente des lacunes énormes dans son système normatif. L‟Acte devrait commencer par des dispositions communes qui établiraient un état comparatif avec la Charte de l‟OUA. Cela aurait permis de distinguer les articles qui ont été modifiés, les nouvelles formulations et les engagements qui ont été maintenus. Le rappel du PAL et du Traité de Communauté Économique Africaine (Abuja, 1991) est trop rapide et ne souligne pas le fait qu‟aucun des engagements pris par les États n‟a connu le moindre début d‟exécution et en plus, beaucoup de dispositions de ces documents ont vieilli ou sont totalement dépassées. Dans la même direction, des organes de l‟OUA qui n‟ont jamais fonctionné sont reconduits sans la moindre évaluation. En ce qui concerne ces organes déterminants du dispositif institutionnel, leur composition et leurs attributions sont simplement énumérées. De la sorte, on peut constater d‟importants manquements : les conflits de compétence entre l‟ordre interne et la législation de l‟Union, les sanctions en cas de défaillance des États ou de non-exécution complète ou partielle des obligations ne sont pas prises en considération. Il est vrai que l‟Acte définit les objectifs de l‟Union en des termes trop généraux. Cependant, il n‟indique pas clairement les moyens nécessaires pour les réaliser, encore moins les délais de mise en œuvre. L‟Union ne dispose que de compétences d‟attribution dans des domaines spécifiques. Certaines institutions comme le Parlement et la Cour de Justice Ŕ qui sont parmi les piliers de l‟Union Ŕ voient leur composition, leurs pouvoirs, leurs attributions et leur organisation renvoyées à des protocoles y afférents. Par exemple, quel est le rôle du Parlement et surtout, va t-il disposer d‟un pouvoir de contrôle sur les différentes décisions des institutions de l‟Union ? Il existe une foule d‟autres problèmes d‟orientation et de principes qui sont renvoyés à des protocoles qui seront négociés ultérieurement. Il en va de même pour la Cour de justice ! 245 Il est évident qu‟une Union qui se veut durable doit être soudée par de très solides règles de droit. En somme, comme le disait un ministre français de la justice, «le fédérateur, c‟est le droit». À ce niveau encore, le texte de l‟UA est silencieux sur bon nombre de questions fondamentales : Quelles sont les compétences d‟attribution c‟est-à-dire les compétences contentieuses, les compétences préjudicielles et les compétences consultatives ? Le texte est encore plus faible quand il s‟agit des articles traitant de l‟économie et des finances, notamment les règles détaillées concernant les domaines de construction de l‟union africaine. Les objectifs des politiques économiques et sociales, des recherches scientifiques et technologiques ainsi que celles concernant l‟environnement et les ressources humaines ne sont nulle part définis avec précision, si bien qu‟aucun engagement des États n‟est mentionné. Pour d‟autres domaines comme l‟éducation, la défense et les politiques extérieures, c‟est le silence total. En ce qui concerne la procédure de prise de décision, c‟est encore le consensus qui prévaut. Naturellement, une telle procédure de décision condamne souvent les organisations africaines à toujours rechercher de laborieux compromis qui, à l‟arrivée, s‟avèrent très difficiles à appliquer. Ainsi, les décisions arrêtées dans ces conditions deviennent simplement inopérantes. Si on voulait l‟immobilisme, on ne s‟y prendrait pas autrement. En revanche, si l‟objectif est de progresser vers l‟unité, la majorité qualifiée doit devenir la procédure de décision courante. II/ Les limites du système de gouvernance de l’Union Africaine Le système de gouvernance de l‟Union, laisse apparaître des faiblesses qui peuvent entraîner des dysfonctionnements institutionnels ou alors traduire un manque d‟ambition. En premier lieu, l‟organe d‟administration et de gestion de l‟Union présente au départ des déficiences organiques et fonctionnelles. En effet, il est parfaitement compréhensible que l‟administration de l‟Union soit confiée à une structure assurément souple comme la commission. Toutefois, de par sa composition et ses attributions, cette structure est loin de pouvoir répondre aux besoins d‟une organisation internationale dont les États sont d‟une part trop nombreux et, d‟autre part trop hétérogènes au triple plan économique, politique et social. Il est douteux que cet organe puisse mener à bonne fin les enjeux d‟une véritable renaissance africaine. En second lieu, sur un plan strictement juridique, les organes principaux n‟ont pas des compétences et des attributions différenciées. Autrement dit, le Président de la Commission n‟est pas responsable devant le Conseil Exécutif qui luimême ne possède pas de pouvoir gouvernemental de contrôle et d‟imposition Ŕ ce qui lui aurait donné des compétences pour faire exécuter les décisions arrêtées. Dans le cas de l‟Union européenne, qui est ici la référence, la Commission propose, le Conseil décide et la Commission exécute. En troisième lieu, la lacune majeure dont souffre la Commission est l‟absence de la supranationalité qui renvoie à l‟existence d‟un pouvoir de décision immédiate. Même la Conférence des Chefs d‟États et de gouvernement qui est censée être l‟organe suprême de l‟Union ne dispose pas de ce pouvoir de commandement. À l‟évidence, les objectifs qui sont fixés par l‟Union, à savoir réaliser le développement économique et l‟intégration de l‟Afrique, nécessitent une autorité supranationale forte, capable de mettre en forme les décisions et de les faire exécuter. Sous ce rapport, la diversité et la spécificité des États africains appellent la mise en place d‟un Exécutif fort et collégial, non d‟un Président « honoris inter-pares » investi pour un 246 an et ne disposant d‟aucun pouvoir réel. Ce délai est trop court pour assurer la continuité et le contrôle des décisions arrêtées. L‟attribution de la Présidence sert à ménager les susceptibilités du pays organisateur tout en procurant à son chef des satisfactions de prestige. L‟Acte Constitutif prévoit des commissions techniques spécialisées couvrant les principaux domaines d‟activités qui sont au nombre de sept. Elles sont chargées de préparer les projets et programmes de l‟Union, d‟assurer le suivi des décisions ainsi que la coordination et l‟harmonisation des projets. Ces Commissions semblent s‟engager à construire l‟Afrique des réalités à partir d‟un programme possible et souhaité. En effet, l‟article 14 de l‟Acte constitutif de l‟Union Africaine institue sept Comités Techniques spécialisés dans des domaines d‟intérêt commun, à savoir : Les questions d‟économie rurale et agricole ; Les affaires monétaires et financières ; Les questions commerciales, douanières et d‟immigration ; Les industries, la science et les technologies, les ressources naturelles, et l‟environnement ; Les transports, les communications et le tourisme ; La santé, le travail et les affaires sociales L‟éducation, la culture et les ressources humaines. À titre comparatif avec l‟Acte Unique Européen, celui-ci traite dans sa section 2 «des dispositions relatives aux fondements et à la politique de la communauté ». Cette section comporte 13 articles qui régissent les six domaines de la politique communautaire : le marché intérieur, la capacité monétaire, la politique sociale, la cohésion économique et sociale, la recherche-développement technologique et l‟environnement. Pour chaque politique les objectifs très précis sont fixés, les moyens sont clairement spécifiés et la mise en œuvre est toute tracée avec parfois des agendas d‟exécution. Alors que pour l‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine, les domaines «d‟intérêt commun pour les États membres» sont simplement énumérés, sans la moindre précision sur les objectifs, les moyens ou le calendrier d‟exécution. Cela masque mal le faible engagement des décideurs à réaliser les programmes arrêtés. C‟est cela qui explique l‟inefficacité de l‟OUA quant à l‟application de ses propres décisions. De la sorte, non seulement l‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine n‟a point fixé des pistes réalistes mais il a tout bonnement esquivé des questions stratégiques extrêmement importantes, de surcroît réalisables et pouvant constituer le fondement même d‟un véritable contrat communautaire. Le NEPAD va essayer d‟apporter des correctifs. En dépit de ces problèmes, la formation de ces Commissions constitue une avancée significative ; toutefois leur composition (art. 14) ne leur permettra pas d‟être de véritables institutions d‟analyse et de décisions. En effet, elles sont composées de ministres ou de hauts fonctionnaires qui ne sont pas à proprement parler des techniciens, mais des politiques n‟ayant pas toujours les compétences requises. Par ailleurs, elles risquent d‟avoir un personnel pléthorique et d‟être en conséquence complètement inefficientes. Dans la défunte Charte de l‟OUA, ces organes techniques existaient bel et bien, mais en réalité, ils n‟ont jamais fonctionné à cause de leur lourdeur. 247 III/ Qu’apporte l’expérience européenne à la construction de l’Union Africaine. En dehors de cas vraiment exceptionnels, l‟expérience montre que les nombreuses tentatives d‟intégration sous-régionale n‟ont pas connu les succès attendus. De plus, qu‟elle soit prise dans sa globalité ou au niveau de ses composantes sous-régionales, les États d‟Afrique présentent des disparités énormes qui pourraient faire obstacle à la réalisation de l‟Union Africaine telle que conçue dans l‟Acte Constitutif. Tout simplement, avec 53 États, tout accord devient extrêmement difficile non pas seulement à cause du nombre des partenaires mais aussi de l‟extrême disparité de leurs situations économiques, financières voire politiques et sociales. Sous ce rapport on comprend parfaitement les laborieux compromis qui ont, durant une trentaine d‟années, complètement paralysé l‟OUA. Dans ce contexte, l‟organisation de la convergence s‟impose au premier chef. Les critères qui ont été définis à partir de la théorie et de la pratique des unions économiques ne sont pas respectés ou connaissent peu de succès dans plusieurs organisations d‟intégration. D‟ailleurs, on a souvent présenté le débat sur la convergence des économies africaines comme un débat académique, il n‟en est rien car il s‟agit d‟une mise en forme théorique tournée vers la pratique et qui se formule comme suit : peut-on créer une union économique ou monétaire sans coordonner les différentes politiques ? La réponse est négative car l‟absence de coordination conduit à des externalités négatives. Et de plus, les écarts grandissants dans les politiques et les performances entraînent toujours des comportements totalement divergents qui vont contribuer à fragiliser la cohésion et l‟efficacité du regroupement projeté. Il apparaît alors clairement que la réalisation de l‟Union Africaine résidera principalement dans l‟aptitude de l‟Acte Constitutif à mettre en œuvre des orientations volontaristes de politiques économiques et monétaires et à exécuter des projets intégrateurs. Pour y arriver, les États doivent harmoniser progressivement leurs économies et enclencher une marche graduelle vers l‟Union. Les médiocres performances du régionalisme africain appellent à s‟inscrire dans la dynamique d‟une stratégie du possible et du réalisable. Conformément à l‟optique de Jean MONNET, l‟unité africaine se fera par des réalisations concrètes à même de créer d‟abord une solidarité de fait et ensuite l‟acceptation d‟une communauté d‟entreprise et de travail. La ratification du Traité de Rome instituant le Marché Commun a été effectuée le 25 mars 1957 et celle de la Charte de l‟OUA en juillet 1963 seulement six années séparent les deux actes fondateurs. En l‟an 2000, l‟Europe a achevé son unité économique et monétaire alors que l‟Afrique est encore à la recherche d‟un schéma acceptable d‟unification. C‟est à partir du moment où l‟Europe a adopté la règle de la majorité qualifiée qu‟elle a accéléré la marche vers l‟unité, malgré une vive opposition de la Grande Bretagne et d‟autres pays comme le Danemark. Depuis, elle est complètement sortie de la période d‟indécision et d‟immobilisme. Tel n‟est pas le cas de l‟Afrique qui s‟est carrément fourvoyée dans la recherche de l‟unanimité et du consensus comme processus décisionnel sur les questions extrêmement vitales des institutions de gouvernance, du développement économique et de la régulation de l‟ordre communautaire. Les sempiternelles logomachies culturalistes, historicistes et volontaristes qui rythment les différents sommets de l‟organisation, n‟ont pas encore suffi à faire décoller l‟unité africaine d‟un pouce. L‟expérience de l‟Europe montre que la marche vers l‟union est un «étapisme» bien régulé autour d‟une préoccupation centrale : bâtir un cadre institutionnel et 248 juridique capable de prendre en charge les programmes retenus. Cela apparaît nettement dans l‟Acte Unique Européen signé en février 1986 et ratifié par référendum par deux pays : le Danemark et l‟Irlande. Au-delà de l‟architecture juridique, le principal acquis est l‟adoption du vote à la majorité qualifiée et non plus à l‟unanimité, ce qui permettait l‟instauration d‟un véritable pouvoir supranational chargé de réaliser un espace communautaire aux plans économique, monétaire et social puis de faire accepter des décisions prises. Progressivement, se sont mis en place les quatre composantes de ce pouvoir : le pouvoir de décision dévolu au Conseil des Ministres, le pouvoir exécutif confié à la Commission, le pouvoir législatif exercé par le Parlement européen et le pouvoir judiciaire dévolu à la Cour de Justice. Au plan économique, les États confirment leur volonté de réaliser les objectifs initialement inscrits dans le Traité de Rome, mais l‟Acte Unique précise la compréhension du marché intérieur : «un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité… Ce marché intérieur doit être établi progressivement au cours d‟une période expirant le 31 décembre 1992». Une autre disposition très importante est celle relative à la solidarité envers les pays et les régions défavorisés. Celle-ci se manifeste à travers les fonds dits structurels comme le Fonds Régional, le Fonds Social, le Fonds Agricole. De manière graduelle, à «petits pas», s‟est constitué tout un ordre communautaire qui se met au-dessus des États nationaux. «Il n‟y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités», observait le Général De Gaulle. IV/ Les principales causes de l’inefficacité des modèles d’intégration. Eu égard à leurs missions, les institutions des organisations d‟intégration africaine analysées sont inopérantes dans la mesure où elles sont trop nombreuses sans structures effectives de coordination et trop d‟empreintes d‟interétatisme qui se traduit dans l‟absence totale de tout élément de supranationalité, la faiblesse du système décisionnel et la non application des actes et la piteuse implication des peuples à l‟action des institutions. 1°) Le chevauchement des nombreuses communautés économiques régionales censées être les centres névralgiques du processus d’intégration régionale. En ne recensant que les principales communautés économiques régionales encore appelées (Accords de Coopération Régionale ou blocs régionaux), elles sont au nombre de 14 groupements répartis en 5 espaces sous-régionaux dont les plus importantes sont: Afrique du Nord: UMA Afrique de l‟Ouest: CEDEAO et UEMOA Afrique Centrale: CEMAC et CEAC Afrique Orientale: EAC Afrique Australe: SADC et COMESA Plus précisément, ces grandes Communautés coexistent dans chaque espace avec d‟autres organisations de plus petite dimension ayant une vocation d‟intégration. Ainsi, pour l‟Afrique de l‟Ouest, la Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO) coexiste avec l‟Union Économique et Monétaire 249 Ouest-Africaine (UEMOA), l‟Organisation de la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) et la Mano River Union. Pour l‟Afrique Centrale, il existe principalement trois groupements: la Communauté Économique des États d‟Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté Économique et Monétaire de l‟Afrique Centrale (CEMAC) et la Communauté Économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). Les pays d‟Afrique orientale et australe comptent six communautés économiques régionales: le Marché commun de l‟Afrique Orientale et Australe (COMESA), la Communauté d‟Afrique de l‟Est (CAE), l‟Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD), la Commission de l‟Océan Indien (COI), la Communauté de Développement de l‟Afrique australe (SADC) et l‟Union Douanière d‟Afrique Australe. L‟Afrique du Nord ne disposait que d‟une seule organisation l‟Union du Maghreb Arabe (UMA) avant l‟émergence de la Communauté des États sahélo-sahariens (CENSAD). De nombreux pays africains font partie de plus d‟un groupe régional. Par exemple, en Afrique Orientale et Australe, certains pays appartiennent à la fois à l‟Union Douanière d‟Afrique Australe et à la SADC, ou encore à cette dernière et au COMESA. En Afrique de l‟Ouest, de nombreux pays membres de la CEDEAO font aussi partie de l‟UEMOA. La question se pose aussi au niveau de l‟Union Africaine dans la mesure où sur les 53 pays, 26 au moins appartiennent à deux communautés économiques régionales et 20 à trois et plus. Ce chevauchement soulève beaucoup d‟interrogation dont la principale est celle de savoir s‟il constitue un avantage ou un inconvénient. Deux opinions s‟affrontent comme en témoigne les partisans ou non de l‟intégration à « géométrie variable ». Encadré 16 : Débat sur l’approche dite «à géométrie variable». Les chevauchements de la composition des grands groupes et l‟existence de plus petits groupes au sein de ces derniers ont suscité un vaste débat. Certains auteurs estiment que les chevauchements contribuent au progrès. C‟est notamment le cas de LYAKURWA ET AL. (1997) pour qui, dans le contexte africain, une telle approche à géométrie variable signifie, progressé au niveau de la CEDAO tout en maintenant les avantages acquis dans le cadre de l‟UEMOA. De la même façon, les notions de géométrie variable et de subsidiarité pourraient également être utiles en Afrique australe pour la zone d‟échanges préférentiels (COMESA), la SADC et l‟Union douanière d‟Afrique australe. À l‟inverse, d‟autres analystes considèrent que l‟appartenance à des groupes multiples entrave l‟intégration régionale car elle est à l‟origine de doubles emplois. Par exemple, ARYEETEY et ODURO (1996) reprennent l‟analyse de McCARTHY pour dire qu‟il est difficile d‟envisager comment la SADC et le COMESA, du fait de leur convergence en matière de coopération sectorielle et d‟intégration commerciale, peuvent subsister et prospérer alors que certains pays d‟Afrique australe appartiennent aux deux. Ce raisonnement, fondé sur la rationalisation des effectifs, correspond davantage à l‟esprit du Traité d‟Abuja dont l‟objectif est l‟intégration du continent. Source : CEA, Rapport sur l’Intégration p. 42 Objectivement le chevauchement non seulement à un coût exorbitant mais il peut rendre moins efficient les processus d‟intégration. D‟ailleurs cet aspect est particulièrement souligné par le Rapport de la CEA lorsqu‟il observe que « Les chevauchements entre communautés économiques régionales affaiblissent les efforts 250 collectifs déployés en vue de l‟objectif commun qu‟est l‟Union Africaine. De plus, ils jettent le flou sur les objectifs d‟intégration et suscitent une concurrence nuisible entre les pays et les institutions. Les chevauchements entre communautés économiques régionales alourdissent également la charge des États membres. Un pays qui appartient à deux communautés ou plus ne fait pas seulement face à des obligations financières multiples, il doit aussi gérer une multiplicité de réunions, de décisions, d‟instruments, de procédures et d‟échéances. Les douaniers doivent appliquer différentes normes en matière de réduction des droits de douane, de règles d‟origine, de documentation commerciale et de nomenclature statistique. Cette multiplication des procédures et des formalités douanières est contraire à l‟objectif de libéralisation du commerce qui est de faciliter et de simplifier les échanges ». 2°) L’absence de volonté politique claire en faveur de l’intégration A l‟évidence, aucune tentative d‟intégration ne peut survivre sans la volonté politique de ces membres à la soutenir. Une volonté politique claire de réaliser un espace économique, politique et social intégré permettrait alors l‟exercice d‟un leadership réel et effectif. Dans cette optique, elle facilitera l‟élimination des différentes barrières (au commerce par exemple), la mise en place de politiques communes et d‟institution. Cela suppose au préalable que les barrières de la souveraineté et l‟impasse de la prise de décisions soient levées au préalable. 3°) L’absence de pouvoir supranational Lorsqu‟on analyse le modèle institutionnel des organisations africaines, l‟on est frappé par leur caractère hautement hiérarchisé. La charte de l‟OUA débute par la formule « nous Chefs d‟État et du Gouvernement », alors que le texte de l‟article 8 dispose que la conférence des Chefs d‟État et de gouvernement est l‟organe suprême de l‟organisation, que l‟organe est formé des seuls États, que les décisions sont prises en dernier ressort par les seuls chefs d‟État. La structure politique interne des États influence grandement l‟Organisation internationale. Il en va de même pour toutes les autres organisations sous-régionales. Dans aucune d‟entre elles, on ne trouve le moindre embryon de supranationalité. L‟irréductible souveraineté nationale domine partout. 4°) L’absence d’un modèle opératoire de prise de décision Une faiblesse remarquable de toutes les institutions africaines d‟intégration provient de la procédure de prise de décision qui est le consensus. En effet, l‟ensemble des actes ou décisions sont pris à l‟unanimité. De fait chaque Etat dispose d‟une sorte de droit de véto et n‟a pratiquement aucune obligation à charge pour l‟exécution des décisions. Cette procédure de vote a souvent condamné les organisations africaines à toujours rechercher de laborieux compromis qui s‟avèrent totalement inopérants. Militerait-on pour l‟immobilisme qu‟on ne s‟y prendrait pas autrement. En revanche, si l‟objectif est de progresser vers l‟unité, la règle de la majorité qualifiée doit devenir la procédure de décision courante. L‟exemple de l‟Europe est de ce point de vue très édifiant. L‟odyssée vers l‟union européenne a été parsemée de remous, de rupture, de la politique de la chaise vide et de laborieux compromis qui ont cependant permis de faire chaque fois des progrès substantiels dans le sens de l‟unité. 251 5°) La d’intégration faible participation des populations au processus Les organisations régionales ou sous-régionales d‟intégration négligent d‟organiser et d‟exploiter leurs soutiens populaires. Au niveau institutionnel, il résulte des modèles africains d‟intégration que même des organes consultatifs qui, d‟ailleurs permettent aux représentants des États membres d‟apporter la caution de leurs peuples à l‟entreprise commune soulèvent beaucoup de problèmes au double niveau de leur composition et de leur fonctionnement. Les Communautés ne deviennent pérennes qu‟avec la participation des populations au processus de prise de décision et de contrôle de l‟Union. Le Parlement doit avoir l‟initiative en matière de lois, voter le budget préparé par la Commission Exécutive et se prononcer sur les projets et programmes qui lui sont soumis par la Commission. Les membres de ce Parlement devraient être élus au suffrage universel et non désignés par les autorités gouvernementales ou les parlements nationaux. Dans cette assemblée de l‟Union, les acteurs politiques pourront alors défendre les intérêts du continent en les mettant en phase avec ceux des États membres. C‟est seulement de la sorte que peut se former une conscience africaine. Section 3 : Le goulot d’étranglement du financement des Communautés Economiques Régionales et de l’Union Africaine. Les problèmes de financement constituent un obstacle sérieux à l‟intégration africaine. Intervenant au Sommet des Chefs d‟État et de Gouvernement de Maputo, le Président Abdoulaye Wade observait que « si nous voulons avancer vers la réalisation effective de nos ambitions politiques et économiques, il nous faut mettre en place un système de financement qui, tout en n‟affectant pas nos précaires équilibres budgétaires, impliquerait tous les acteurs et citoyens d‟Afrique. En mobilisant ainsi nos ressources propres, la communauté internationale pourra mieux nous accompagner dans nos efforts internes. Le mécanisme d‟un financement citoyen existe et nous devons le mettre en œuvre au plus vite pour avancer plus résolument dans la construction de la renaissance africaine. De manière plus structurelle, les besoins de ressources estimés pour la période 2004-2007 ne peuvent être couverts par le simple système des contributions des États. Cela nous impose alors de trouver impérativement et rapidement des sources alternatives de financement qu‟il faut inscrire dans l‟agenda de l‟UA ». C‟est fort de cette remarque que le Président Abdoulaye Wade a été mandaté par ses pairs pour élaborer un Plan de Financement qui permette à l‟organisation de disposer de ressources propres à la fois suffisantes, permanentes et stables. Toutes les communautés économiques régionales tirent l‟essentiel de leurs ressources financières de quatre modes de financement : Les contributions des États à partir de leurs budgets ou de leur PIB ; La TVA Les services comme les assurances ; Les prélèvements sur les importations provenant des pays hors union À la lumière des critères habituels d‟évaluation qui suivent, les modes traditionnels de financement ont failli : La visibilité et la simplicité, L‟autonomie financière, 252 La contribution à une meilleure affectation des ressources économiques, La suffisance des ressources, Le rapport efficacité/coût au niveau administratif, La stabilité des recettes, L‟Équité des contributions brutes, Cette faillite est attestée par le fait que les opérations des CER ne sont plus principalement financées par les contributions de leurs membres, mais tout simplement par l‟assistance extérieure. Les contributions acquittées ont décliné au fil du temps et l‟aide extérieure fait parfois défaut ou ne suffit pas pour répondre aux besoins des communautés économiques régionales. I/ Les limites du financement par les contributions des États membres. Ce mode de financement a toujours été la principale source de revenus de la plupart des communautés économiques régionales qui ont toujours fonctionné essentiellement sur la contribution financière des États membres. Les budgets sont alimentés par des contributions dont le montant est déterminé par des protocoles qui fixent les quotes-parts. Ces contributions sont soumises à l‟approbation annuelle des Etats dans le cadre de leurs procédures budgétaires respectives. Le financement à partir des contributions des États membres a, en effet, pâti de la crise des finances publiques en Afrique. Les politiques de stabilisation ont partout conduit à des ajustements budgétaires qui ont souvent restreint les engagements et les versements aux organisations communautaires créant ainsi au niveau de celles-ci l‟accumulation d‟importants arriérés de paiement des États membres. Cette situation a condamné plusieurs organisations à végéter ou même disparaître par asphyxie financière. Le deuxième aspect des contributions consiste en la création au profit de la Communauté d'une ressource fondée sur le produit national brut aux prix du marché (PNB pm) des États membres. L‟évaluation fiable de ce prélèvement soulève une foule de questions relatives à la comparabilité nationale et à l‟harmonisation tant des définitions que du calcul du PNB. Ces deux aspects de ce mode de financement montrent qu‟il a très peu de chance de mobiliser les ressources nécessaires du fait des chocs et de la précarité des finances publiques des pays africains. Dans les situations de crise, les États refusent à payer leurs contributions ou alors réclament implicitement leur abaissement rompant ainsi la solidarité macroéconomique qui est à la base de la formation des Unions intégrées. Ce tableau offre une illustration de ces éléments. 253 Tableau 25 : Paiements courants effectués et arriérés dus par les Etats de l’OUA (En dollars EU) % Contributions Recettes Arriérés de des arriérés Exercice Statutaires provenant des paiement des sur les Financier Potentielles contributions contributions contributions annuelles statutaires statutaires potentielles 214980 1990-1991 29063072 7565060 12 74,0 211967 1991-1992 27443954 6247168 86 77,23 174762 1992-1993 24564459 7088194 65 71,14 181219 1993-1994 24764470 6642569 01 73,17 145070 1994-1995 26700000 12192959 41 54,33 175279 1995-1996 27490000 9962046 54 64 826485 1996-1997 27140000 18875142 8 30,45 109472 1997-1998 26930000 15982776 24 41,6 144232 1998-1999 27830000 13406740 60 51,82 149956 1999-2000 31770000 16774320 80 47,20 146271 2000-2001 27600000 12972845 55 53,0 Sources : Rapport Financier de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) L‟examen du tableau récapitulatif des paiements et des arriérés des États membre de l‟OUA entre 1991 et 2001 révèle toutes les raisons qui justifient la non viabilité à long terme du financement fondé sur les contributions des États. En effet, les exercices financiers de ces périodes montrent que le pourcentage des arriérés par rapport aux contributions potentielles dépasse largement 50%. Il a même atteint 77% durant l‟exercice 90/91 soit un montant de $ 21 196 786. C‟est seulement en 1996/1997 que les arriérés sont tombés en dessous de la barre des 50% des contributions potentielles soit $ 8 264 858. Les arriérés de contributions des dix derniers exercices financiers de l‟OUA ont atteint encore des niveaux plus impressionnants et excèdent presque toujours les contributions de l‟année en cours. Le principal enseignement à tirer de l‟analyse de ce tableau est qu‟au regard des difficultés financières actuelles ou potentielles des Etats, toute modalité de financement qui implique une pression sur les budgets nationaux serait vouée aux mêmes difficultés que le système des contributions de l‟OUA. À cela s‟ajoute que le système de financement fondé sur les contributions des États a également pour inconvénient d‟être moins transparent pour le citoyen moyen en ce qui concerne le montant et l‟incidence sur le budget national. 254 II/ Les propositions du Président WADE sur le financement de l’intégration. Elles comportent deux volets : Le prélèvement sur les importations hors zone africaine Le prélèvement sur les polices d‟assurance 1°) Le financement reposant sur un prélèvement sur les importations hors zone. Cette forme de financement procède d‟un prélèvement sur la valeur imposable des marchandises importées dans l‟Union en provenance des pays tiers et mises à la consommation. Au-delà de sa simplicité et du fait qu‟il peut générer des ressources appréciables, ce mode de financement présente au moins quatre avantages évidents en relation avec les principes d‟un bon système de financement : Faible incidence négative sur la compétitivité et la productivité de l‟économie. De plus, ce prélèvement peut être un stimulant pour la promotion des produits de l‟espace communautaire; Financement citoyen puisque le consommateur est payeur. En ce sens la société civile est directement impliquée dans la réalisation de l‟intégration ce qui permet la formation d‟une culture de la transparence et une veille pour une utilisation efficiente des ressources. Les opérateurs économiques, les citoyens et les organisations de la société civile auront un droit de regard et une veille sur le processus d‟intégration ; Système équitable du fait de la proportionnalité entre les contributions brutes provenant de la taxation par rapport à la capacité d‟importation de chaque pays. En effet la contribution de chaque pays au financement de l‟Union Africaine se fera au prorata de ses importations globales hors espace de l‟Union. Autonomie financière de l‟Union assurée dés lors que les ressources sont censées être moins dépendantes des transferts intergouvernementaux. Au plan microéconomique, ce type de prélèvement est absolument neutre vis à vis du résultat de l‟entreprise importatrice ou commerciale. Cependant, il peut exercer un effet inflationniste de faible incidence du fait du niveau du taux (+0,2% sur le consommateur final des produits d‟importations). Par ailleurs les conflits pouvant naître de l‟application du mécanisme sont connus et peuvent trouver des solutions dans les Protocoles d‟application. 255 Tableau26 : Financement par prélèvement sur les importations hors Afrique (IHA). Avantages Ressources substantielles et neutres par rapport aux équilibres macroéconomiques Faible incidence sur la structure des coûts de production donc sur la compétitivité. Financement citoyen avec le principe du consommateur payeur. Système équitable du fait de la proportionnalité entre les contributions brutes provenant de la taxation par rapport à la capacité d‟importation de chaque pays. Assure l‟autonomie financière de l‟Union puisque les ressources sont moins dépendantes des transferts intergouvernementaux. Faibles coûts de perception du prélèvement malgré l‟intéressement des collecteurs. Litiges réglés depuis le protocole instituant le dispositif. Inconvénients Problème de la couverture en devises des ressources collectées en monnaies nationales inconvertibles. Tentation des Trésors Publics Nationaux à s‟accaparer des fonds mobilisés. Efficacité liée à l‟harmonisation des politiques fiscales des États membres pour permettre une bonne perception du prélèvement. Moyens parfois limités des Administrations Nationales des Douanes Africaines. Caractère inflationniste avec la multiplication d‟un tel prélèvement 2°) Le financement par les services d’assurance. Les services d‟assurance connaissent aujourd‟hui dans le continent un développement accéléré lié à la modernisation et à l‟élargissement des activités productives. Plusieurs études montrent que le marché africain des assurances se caractérise par une sous-assurance, ce qui apparaît dans le niveau faible des taux de couverture des risques industriels, des ménages (appartements, accidents) et le maigre développement de l'Assurance-vie. Les statistiques établissent que le secteur automobile représente presque 40% du chiffre d‟affaire global même s‟il est estimé que plus de la moitié des véhicules en circulation ne sont pas assurés. Malgré ces limites structurelles du marché, les sociétés d'assurance mobilisent une épargne importante qu‟elles affectent progressivement selon les dispositions des codes des assurances soit à l'investissement productif soit aux marchés financiers. En 2002, d‟après la Société Suisse de Réassurance (Swiss-ré), l‟assurance privée africaine a produit un volume de primes équivalent à US $ 24.639 millions, dont US $ 19.610 millions pour la seule Afrique du Sud (soit 80%). En conséquence, il est parfaitement pertinent de concevoir un prélèvement sur les fonds substantiels dégagés par les sociétés et compagnies d‟assurance. Dans ce cas, il importe d‟analyser les différents paramètres entrant en ligne dans l‟application d‟un tel prélèvement à savoir : l‟assiette, c'est-à-dire, le volume ou le nombre des contrats ; la monnaie de la redevance ; le redevable de la contribution ; le mode de collecte et les mesures d‟accompagnement. En effet, l‟assiette qui est l‟élément central peut porter sur l‟un ou l‟autre des 3 éléments constitutifs des services d‟assurance à savoir : Les polices d‟assurance, Les revenus ou chiffre d‟affaires Les bénéfices. 256 Les énormes besoins de financement du développement africain justifient largement la renonciation à toute forme de taxation des bénéfices qui peut avoir des effets dissuasifs sur le mouvement des IDE et l‟engagement souhaité du secteur privé dans le développement économique et social du continent. Les mêmes raisons militent en faveur de l‟exclusion d‟une taxation sur le chiffre d‟affaire. Dès lors, le prélèvement ne peut concerner que les clients souscripteurs des contrats, les sociétés étant seulement chargées de la collecte. Cette situation est semblable à celle d‟une imposition indirecte (TVA ou taxe d‟enregistrement). La neutralité de ce type de taxe vis à vis du résultat de l‟entreprise d‟assurance est due au fait que le redevable de la taxe de l‟UA sera non pas les sociétés d‟assurance, mais les clients souscripteurs des contrats, les sociétés étant seulement chargées de la collecte. Cette situation est semblable à celle d‟une imposition indirecte (TVA ou taxe d‟enregistrement). La neutralité de ce type de taxe vis à vis du résultat de l‟entreprise d‟assurance est due au fait que le prélèvement s‟ajoute au prix du produit, d‟où une conséquence légèrement inflationniste (+0,2% sur le consommateur final de produits d‟assurance). À l‟inverse, la contribution des sociétés d‟assurance aux frais de fonctionnement de l‟administration de contrôle, qui est incluse dans la prime, n‟a pas vocation à peser sur le prix payé par la clientèle, mais sur les résultats techniques de l‟entreprise ou sur la qualité des prestations mises à la portée du public. Tableau 27 : Financement axé sur les services d’assurance Avantages Secteur très liquide Les sociétés d'assurance mobilisent une épargne importante. L‟assiette imposable est large et dépend soit de la police d‟assurance, soit du chiffre d‟affaire ou des bénéfices. Inconvénients Dimension réduite des marchés : faible taux de couverture des risques industriels, des ménages (appartements, accidents) et faible développement de l'Assurance-Vie Marché africain asymétrique avec un seul pays qui fait 80% des ressources Forte évasion devant l‟assurance Un tel dispositif de financement devrait remédier aux inconvénients du système actuel des contributions qui n‟ont pas de lien direct avec les citoyens de l'Union et qui de surcroît dépendent des transferts effectués à partir des budgets nationaux. Les populations doivent se sentir concerner ce qui serait le cas si le financement est citoyen en passant par leurs consommations. Dans ces conditions l‟Union pourra gagner l‟adhésion des acteurs. 257 Tableau 28: Pertinence et performance des différents modes de financement. Visibilité et simplicité Autonomie financière Meilleure affectation des ressources Contribution TVA Non Non Assurance Oui Importations Oui Non Non Non Oui Non Non Non Oui Non Oui Non Oui Oui Non Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Non Oui Oui Suffisance efficacité/coût au niveau administratif Stabilité des recettes Équité des contributions Ce tableau comparatif des différents modes de financement révèle que le dispositif financier le plus performant est celui qui remplit le maximum de critères favorables de visibilité et de simplicité, de suffisance, d‟autonomie, de stabilité des recettes, d‟équité dans les contributions et de répartition plus efficace des ressources économiques. Au regard de cette évaluation les deux modes de financement les plus pertinents sont les prélèvements sur les importations et la taxe sur les Assurances. Ces deux modes de financement qui satisfont positivement aux principaux critères de visibilité et simplicité, de suffisance, de stabilité, d‟autonomie et d‟équité peuvent parfaitement se combiner pour former la structure du dispositif de financement citoyen. La TVA bien que pouvant produire des ressources suffisantes soulève trois problèmes liés à la difficulté de sa mobilisation, à son caractère inéquitable et aux distorsions qu‟elle entraîne dans la structure de consommation. Ce sont ces raisons qui expliquent son abandon progressif au niveau de l‟UE. Section 4 : Relance de la formation des États-Unis d’Afrique : la bataille des approches pour accélérer l’unité continentale. I/ Pourquoi ce regain d’intérêt pour le Gouvernement continental Trois années après la création de l‟UA, les dirigeants africains prennent conscience, après évaluation, que les objectifs cardinaux de l‟Organisation se réalisent avec peine et qu‟il importe de pousser à la mise en place d‟un Gouvernement Continental préparatoire aux Etats-Unis d‟Afrique. Les idées des panafricanistes maximalistes comme K. NKRUMAH reviennent en première ligne 258 avec la conviction que l‟Afrique unie et parlant d‟une seule voix présenterait 4 séries d‟avantages : Au plan économique, l‟Union gagnerait en poids et visibilité dans la mondialisation et pourrait dès lors compter dans les affaires économiques et politiques du monde. Également, elle bénéficierait des économies d‟échelle et aurait une taille critique intéressante pour attirer les IDE indispensables au développement. La question du commerce international serait discutée ou négociée par l‟Union tout en préservant les intérêts de chaque pays membre. À l‟Organisation Mondiale du Commerce, au lieu que seuls les pays producteurs de coton aillent à la table des négociations, ce sera le gouvernement de l‟UA qui ira défendre de tout son poids les intérêts de ces pays membres. Les pays disposeront d‟un pouvoir de négociation qui va fortement atténuer les diverses asymétries par la modification des rapports de force. Les grands projets unificateurs dans les domaines stratégiques pourraient avoir une chance d‟être réalisés. En outre, avec l‟harmonisation des politiques monétaire, financière et budgétaire, l‟inflation sera mieux contrôlée, les crédits et la circulation des capitaux aussi. Les questions de défense et de politique extérieure peuvent produire des synergies positives et avantageuses pour tous les États. L‟entrée au Conseil de Sécurité sera mieux assurée ainsi que la défense des intérêts du continent. Les grands fléaux qui menacent l‟Afrique comme les maladies endémiques, la désertification et la protection de l‟environnement peuvent faire l‟objet d‟une gestion continentale qui sera plus opérante et à moindres coûts du fait des économies d‟échelle. Il en va de même dans le domaine de la construction des infrastructures et de l‟aménagement. En fait d‟après les prévisions démographiques pour le continent, on assistera dans la Golfe de Guinée à une explosion démographique et sans une politique d‟aménagement concertée de cette région, ce sera la catastrophe. D‟autres projets plus difficiles à évaluer et non moins importants, sont également initiés par les États dans la réalisation de l‟Union. En somme, l‟exécution du NEPAD dans les 8 secteurs prioritaires sera rendue possible. Cette nouvelle vision veut placer l‟Afrique dans la prochaine configuration de l‟espace mondial. La Jamahiriya Arabe Libyenne reprend l‟initiative en proposant une mouture de gouvernement continental comprenant les Ministères de la Défense, des Affaires Étrangères, des Transports et communications et du Commerce extérieur. La conférence d‟Abuja considère la proposition comme pertinente et met en place un Comité de Chefs d‟État et de Gouvernement présidé par Oluségun Obasanjo pour la finalisation du projet. Celui-ci convoquera une conférence sur le thème « l‟Afrique et les défis du changement de l‟ordre mondial : le bien-fondé d‟un Gouvernement de l‟Union ». 187 Encadré 17 : Extrait du Rapport du Comité des 7 de l’Union Africaine La nécessité d‟un Gouvernement de l‟Union ne fait aucun doute. Il se caractérise même comme étant impératif dans la réalisation du rêve de générations successives… et comme une réponse aux aspirations collectives des peuples africains ainsi qu‟au développement dans d‟autres régions du monde Comme corollaire, le Gouvernement de l‟Union doit être une union du peuple Ce Comité comprend 7 membres qui sont Nigéria, Algérie, Kenya, Sénégal, Lesotho, Ouganda et Gabon. 187 259 africain et pas simplement une union d‟États et de gouvernements Le gouvernement doit être motivé par un ensemble d‟objectifs clairement identifiables. La poursuite de ces objectifs doit être fondée sur un ensemble de valeurs clairement identifiables et une communauté d‟intérêts, non négociables pouvant inclure notamment la démocratie et les droits de l‟homme, la solidarité sociale, le bon voisinage et la paix Ces valeurs doivent déterminer les règles constitutives de l‟Union devant être fondées sur le principe de la stricte adhésion La Commission doit constituer une équipe d‟experts pour travailler à l‟élaboration de recommandations détaillées devant être soumises au Sommet de l‟UA II/ Les thèses en présence À partir de ces conclusions, le Comité des 7 a demandé à la Commission de l‟UA de soumettre à son Septième Sommet ordinaire de Banjul, en juillet 2006, un document consolidé sur le sujet. Ce document, intitulé « Etude sur le gouvernement probable de l‟UA : vers les États-Unis d‟Afrique » a été présenté par le Président Oluségun OBASANJO. Dans sa décision, le Comité retient « que l‟objectif ultime est l‟intégration politique et économique totale devant conduire aux États-Unis d‟Afrique » et demande qu‟un Conseil Extraordinaire des Ministres soit convoqué pour « examiner le rapport et proposer un cadre d‟action approprié ». La neuvième session extraordinaire du Conseil Exécutif examinant le document à Addis Abeba (novembre 2006) retient en conclusion que « tous les États membres acceptent de construire les Etats-Unis d‟Afrique en tant qu‟objectif commun désirable ». Cependant des divergences de vues sont notées quant aux modalités, aux délais et au rythme approprié pour atteindre l‟objectif de l‟intégration. Compte tenu des propositions contenues dans l‟Étude et leurs implications au niveau national, régional et continental, l‟Assemblée a pris la décision d‟avoir un grand débat sur le sujet. Ce débat examinera entre autres les sujets suivants : évaluation des performances de l‟Union Africaine au regard de la commune compréhension de la nature de cette dernière ; les contraintes qui retardent le processus d‟intégration ; la marche à suivre pour l‟UA quant à la nature, l‟ampleur et les délais des arrangements à faire au niveau continental ; Etant donné le désir fort, maintes fois exprimé par les populations africaines, pour le panafricanisme et le désir intrinsèque d‟unité à travers le continent, le rapport de Banjul a conclu, entre autres, que le gouvernement d‟Union était faisable. Indiquant les éléments constitutifs de ce gouvernement, le Rapport propose une feuille de route vers la réalisation de cet objectif et recommande 2015 comme date de son aboutissement. Lors de sa Huitième session, la Conférence des Chefs d‟État a approuvé la proposition du Conseil exécutif d‟organiser une retraite à l‟intention des Ministres des Affaires étrangères en vue d‟examiner la situation de l‟Union. Elle a également invité les États membres, les Communautés Économiques Régionales (CER) et la Commission de l‟Union africaine, à organiser des consultations respectivement au niveau national, régional et continental en vue de mieux préparer le « Grand débat ». C‟est ainsi qu‟au mois de Mai 2007, les Ministres des Affaires étrangères de l‟Union Africaine, se sont retrouvés à Durban (Afrique du Sud) pour échanger sur la 260 structure et le fonctionnement de l‟Union et sur les perspectives d‟intégration politique et économique en Afrique. Alors que l‟ensemble des participants considère l‟intégration au niveau continental comme le moyen de réduire le sousdéveloppement de l‟Afrique et de la prévenir contre des tentatives de recolonisation, des divergences existent quant à la réalisation de cet objectif au moyen de ce gouvernement de l‟Union. Les Ministres ont alors décidé de laisser aux Chefs d‟État et de gouvernement le soin de trancher sur la question lors du « Grand débat ». Donc à la Neuvième session ordinaire de la conférence des Chefs d‟État et de gouvernement des pays membres, étaient inscrites dans l‟ordre du jour la perspective du gouvernement de l‟UA et la mise en place des États-Unis d‟Afrique. Trente (30) Chefs d‟État étaient présents et après plusieurs heures de discussion, aucun compromis n‟était trouvé. En effet deux camps se dessinaient parmi les dirigeants au sujet de l‟ampleur, de la méthode et du calendrier de mise en place du gouvernement de l‟UA. Pour certains, il paraît prématuré de penser mettre en place un gouvernement au niveau continental alors que les fondations (les États membres et les Communautés Économiques Régionales) sont encore fragiles. Pour eux, l‟accent devrait être mis sur les CER. Mais la multiplicité des CER et l‟appartenance de certains Etats à plus d‟une CER constituent une contrainte majeure à la réalisation de l‟intégration régionale. Il y a donc un besoin évident de rationalisation des CER. Par ailleurs, les CER, pour la plupart, n‟ont pas suivi les étapes prévues dans le Traité d‟Abuja en vue de leur convergence vers un marché commun africain. Par exemple, il existe encore de nombreuses barrières tarifaires et non tarifaires dans les CER qui estiment être déjà une zone de libre-échange. Pour celles qui estiment être au stade d‟une union douanière, l‟application du tarif extérieur commun s‟avère difficile dans bien des cas, essentiellement du fait de l‟absence de coordination des politiques macroéconomiques et sectorielles, et de la faiblesse des structures de production qui, de surcroît, ne bénéficient d‟aucune protection, à la différence des pays d‟origine des importations. Non seulement les CER n‟ont pas suivi les étapes prévues dans le Traité d‟Abuja et sont, pour la plupart, loin de réaliser l‟intégration économique régionale, mais elles semblent mettre davantage l‟accent sur les aspects institutionnels comme la constitution de parlements régionaux, de cours de justice régionales, et d‟organes similaires. Telles qu‟elles fonctionnent, elles ne semblent pas évoluer vers un ensemble continental intégré. D‟autres participants du sommet d‟Accra ont, au contraire, mis l‟accent sur la nécessité de doter le niveau continental de certaines compétences dans des domaines comme les infrastructures, les négociations commerciales internationales, la désertification et les changements climatiques, les flux migratoires intérieurs comme extérieurs, les grandes endémies, la recherche scientifique et la formation technique de haut niveau, la coordination des politiques monétaire et financière, la rationalisation des CER et l‟harmonisation de leurs programmes afin qu‟ils convergent vers l‟objectif de création d‟un ensemble continental intégré. Enfin, pour de nombreux États, même en tenant compte du principe de subsidiarité, l‟abandon de souveraineté dans certains domaines pose un problème légal et juridique qu‟il faut résoudre au préalable. Il s‟agit donc là aussi, d‟une contrainte majeure pour le processus d‟intégration. 261 CHAPITRE 26 LE NEPAD : ACTE FONDATEUR DE LA RENAISSANCE AFRICAINE Le MAP est une déclaration du ferme engagement de dirigeants africains à s’approprier la responsabilité du développement économique durable du continent. Thabo MBEKI188 Depuis les années 70, l‟Afrique est entravé par d‟innombrables difficultés économiques et sociales subséquentes d‟une part à la chute brutale des cours des matières premières provoquée par la crise financière et économique mondiale, et d‟autre part aux conditions climatiques défavorables à l‟agriculture et aux problèmes engendrés par l‟instabilité et les conflits qui ont affecté une bonne partie du continent. Malgré quelques embellies dans des pays limités (Tunisie, Maurice, Botswana, Burkina Faso, Ouganda, Afrique du Sud) et dans certains secteurs, le bilan du développement se lit en termes de contre-performances qui ont conduit progressivement à la marginalisation rampante du continent. Cette situation économique africaine se manifeste par la détérioration généralisée des fondamentaux des économies nationales : faible taux de croissance économique, inflation souvent galopante, endettement massif, stagnation des économies, approfondissement du double déficit chronique de la balance des paiements et des finances publiques. Le revenu moyen africain qui représentait 14% du revenu des pays développés au milieu des années 60, en 1997 le rapport n‟était plus que de 7%. Le taux de croissance annuel moyen du PIB entre 1965 et 1993 n‟était que d‟environ 0,5% de loin inférieur à la croissance démographique (entre 2,9 à 4,1%). Après la haute conjoncture de 1994, avec un taux de 5,5%, celle-ci ne s‟est pas consolidée puisque le taux de croissance du PIB de la région a réamorcé une tendance baissière pour se fixer à 3,2% en 1998 et à un peu moins de 2% au début du millénaire. Les économies africaines ont assez mal réagi aux chocs externes comme la morosité de l‟économie mondiale, la baisse des cours des matières premières dont le pétrole, la crise asiatique. Ces chocs externes ont entraîné des effets désastreux sur le déficit budgétaire, le taux d‟inflation, la croissance du PIB, l‟endettement et le taux de change. À la fin des années 90, l‟Afrique représente 12% de la population mondiale mais fournit moins de 1% du PIB mondial. Les résultats du développement industriel et agricole sont aussi modestes. Il avait été mis en place une stratégie d‟industrialisation par substitution aux importations qui avait de faibles relations en aval comme en amont avec le secteur agricole : les performances se sont révélées décevantes. Au niveau des relations avec l‟extérieur, la part de l‟Afrique dans les exportations est modeste. L‟Afrique est complètement absente du commerce mondial dans les branches les plus dynamiques des produits manufacturés et des services. Au plan social, la dégradation du bien-être s‟élargit avec la montée de la pauvreté dont le rythme de croissance est plus rapide que celui des revenus. 188 Déclaration devant l’Assemblée Nationale, 2001 262 Section 1 : Le Plan d’Action de Lagos pour l’intégration et le développement : une grande ambition pour de faibles résultats. Pour l‟Afrique, la décennie des années 80 a été marquée par une grave et profonde crise économique et sociale qui se manifeste à trois niveaux : la détérioration généralisée des principaux indicateurs macroéconomiques, la désintégration des structures de production et des infrastructures, la détérioration accélérée de l‟environnement et la dégradation du niveau de bien-être social notamment l‟éducation, la santé et le logement. La genèse de la politique de l‟OUA consignée dans le Plan d‟Action de Lagos (PAL) pour le développement économique de l‟Afrique 1980-2000 cherchait à résoudre au niveau continental, régional, sous-régional et national, les grands problèmes du développement africain. Cette politique a été adoptée par la XVIème session ordinaire de la Conférence des Chefs d‟État et de Gouvernement tenue à Monrovia en juillet 1979. Elle a été précédée par des travaux d‟experts économistes et des directeurs des offices de planification. À la clôture de la session, une déclaration a été adoptée sur « les principes directeurs à respecter et les mesures à prendre pour réaliser l‟autosuffisance nationale et collective dans le domaine économique et social, en vue de l‟instauration d‟un nouvel ordre économique international ». Également, les Chefs d‟État et de Gouvernement de l‟OUA «s‟engageaient, au nom de leurs gouvernements et de leurs peuples à promouvoir le développement économique et social et l‟intégration de leurs économies en vue d‟accroître l‟auto-dépendance et favoriser un développement endogène et auto-entretenu pour faciliter et renforcer leurs rapports sociaux et économiques ; pour l‟édification au niveau national, sousrégional et régional d‟une économie africaine dynamique et interdépendante, pour l‟établissement, chaque année, de programmes spécifiques pour matérialiser cette coopération économique sous-régionale, régionale et continentale ». La mise en œuvre de cette déclaration a été consignée dans le Plan d‟Action de Lagos dont l‟ambition était à la mesure du retard économique du continent. Le contenu était très large et concernait des domaines aussi variés que : l‟agriculture et l‟alimentation dont le plan de développement a été approuvé à Arusha et adopté dans la déclaration de Monrovia de juillet 1979 ; l‟industrialisation du continent par la poursuite d‟objectifs à long, moyen et court terme, visant à atteindre en l‟an 2000 au moins 2% de la production industrielle du monde, conformément aux objectifs de la conférence de Lima ; l‟exercice de la souveraineté totale des pays africains sur leurs ressources naturelles, en s‟appuyant sur la formation des hommes capables de maîtriser les technologies appropriées ; le développement et l‟utilisation rationnels des ressources humaines nécessaires à ce plan d‟action ; la promotion de la science et de la technologie au service du développement du continent aux niveaux national, sous-régional et régional ; l‟adoption et la mise en œuvre d‟une stratégie générale en matière de transports et de communications ; la promotion et l‟intensification des échanges commerciaux et financiers sur le plan national et inter-africain. Cette énumération non exhaustive montre toute l‟importance accordée au PAL, ainsi que les grands espoirs qu‟il a suscités lors de son adoption et de sa promulgation. Malgré la clarté des objectifs et leur pertinence, les années 90 vont 263 montrer de très faibles taux de réalisation des objectifs du programme. Au bout du compte, ces résultats bien en-deçà des espérances, ont justifié les évaluations sévères comme «la décennie gâchée», «la décennie des espoirs déçus» ou plus fréquemment «la décennie perdue». En effet, qu‟il s‟agisse de la croissance économique, de la résorption du double déficit structurel de la balance commerciale et des finances publiques, de la dette extérieure et intérieure, des niveaux de pauvreté, de la nutrition, de la santé, de l‟éducation, en un mot de l‟amélioration du bien-être social, les performances sont dans l‟ensemble très médiocres. I/ Les évaluations critiques du PAL Quelques années après son adoption, le PAL fera l‟objet de virulentes critiques qui partent de l‟écart grandissant entre les objectifs et les réalisations effectives d‟un Programme pourtant techniquement bien conçu. 1°) L’écart grandissant entre les objectifs et les réalisations Au niveau interne, malgré les tentatives d‟articulation entre les Plans Nationaux des États et le PAL, les objectifs sectoriels et macroéconomiques fixés n‟ont pas été atteints Quelques exemples illustrent les faibles résultats : en 1988, le taux de croissance du PIB a atteint le chiffre médiocre de 0,88%, l‟agriculture a enregistré une croissance de 2,3%, l‟industrie 4,9%, les industries extractives 4,7%, tandis que la part de l‟investissement est passée de 25,2% en 1978 à 15,8% en 1988 et les taux d‟exportations et d‟importations n‟étaient que 3,8% et 0, 3% respectivement, ce qui est bien en-deçà des taux de 1978. La question se pose de savoir pourquoi ces médiocres performances qui sont trop éloignées des objectifs du PAL. Comment expliquer cet écart grandissant entre les intentions et la réalité ? Plusieurs raisons sont avancées comme : Le manque de traduction par les États des orientations et programmes adoptés au niveau continental en politiques et projets nationaux. Les Plans nationaux de Développement et les budgets ont continué de s‟élaborer et de s‟exécuter dans les cadres étroits des États-nations. L‟illusion nationale fortement entretenue que chaque pays peut s‟en sortir en isolement pour surmonter les énormes difficultés liées à la transformation économique et sociale. Les pays n‟accordent que peu d‟intérêt à leur voisin, ignorant ainsi les économies de proximité. C‟était le temps des développements indépendants qui portaient préjudice à l‟idée même de coopération régionale. Les PAS ont renforcé ces options propres à tous les pays sous ajustement. La régionalisation de l‟ajustement n‟a jamais été à l‟ordre du jour des IFI. Les PAS ont ramené les politiques économiques à la résolution à court terme des déséquilibres internes et externes par généralisation de la libéralisation des économies nationales l‟absence de volonté politique et de détermination à poursuivre des stratégies et politiques économiques et financières pertinentes ; la différence de conception et de perspective entre les Africains, les donateurs et institutions multilatérales ; le manque d‟enthousiasme des partenaires de l‟Afrique (en matière de développement) à aider le continent à atteindre les buts et objectifs qu‟il s‟est fixé ; l‟illusion entretenue que chaque pays, agissant à titre individuel, peut surmonter en isolement les énormes difficultés de la transformation socio264 économique. Le développement dans le cadre de l‟État-nation porte préjudice à l‟intégration, à la coopération régionale ; la détérioration de l‟environnement économique international et la marginalisation continue de l‟Afrique ; le fait que les pays se préoccupent des crises à court terme, notamment, la gestion des déséquilibres financiers extérieurs et intérieurs et la dette extérieure ; le rôle croissant des «experts» qui participent directement ou indirectement à la prise de décisions économiques, politiques et sociales ; les effets de la sécheresse et de la désertification; l‟extrême vulnérabilité de l‟agriculture aux aléas climatiques ; le poids de la conflictualité africaine avec les guerres civiles, ethniques et tribales qui perturbent les activités productives, détruisent l‟infrastructure, entraînent le déplacement de millions de personnes et obligent les gouvernements à détourner les rares ressources des activités de développement. Le faible taux de réalisations concrètes du PAL et des Programmes qui l‟ont suivi a entraîné des critiques acerbes que l‟on peut regrouper en deux catégories : les critiques internes et les critiques internationales venant principalement des IFI. 2°) Les critiques internes : un programme technocratique non soutenu par une volonté politique claire et les populations. Elles sont de plusieurs ordres. D‟abord il est reproché au PAL d‟être un Programme purement technocratique dans sa conception et dans sa mise en œuvre. Les dirigeants africains n‟ont été que très faiblement associés à la définition des objectifs et à leur exécution. Les techniciens nationaux du développement n‟ont eu droit qu‟à un Séminaire organisé au profit des Directeurs de la Planification 189. Les différents acteurs du jeu économique et social comme le secteur privé, les jeunes, les femmes, les organisations syndicales et les Partis politiques n‟ont pas été associés au processus. L‟absence d‟implication de tous ces acteurs a affaibli la légitimité du Programme et son manque d‟appropriation par les États et les populations. La CEA et surtout son Secrétaire Exécutif qui ont activement participé à l‟élaboration du PAL, tout en souscrivant à la solidité du Plan, ont particulièrement déploré les lenteurs dans les applications et notamment : Le retard dans l‟élaboration de la Charte créant la Communauté Économique Africaine, ce qui n‟interviendra qu‟en 1992 au Sommet d‟Abuja La faible mobilisation des ressources pour le financement notamment : les 22 milliards de dollars pour le volet agricole, les 2 milliards prévus pour les matières premières, les 9 milliards de dollars pour les transports et les communications, le financement du Plan d‟industrialisation. Tout cela est la preuve d‟un manque évident de volonté politique et de prise de participation des États. OUA : Rapport préliminaire du Séminaire des Directeurs de la Planification sur Planification Économique et Prospective Sociale en Afrique, Dakar 24janvier-2 février 1980. Les principaux thèmes du PAL ont été introduits par des chercheurs ou des techniciens impliqués dans l’élaboration du PAL. :Doo KINGUE, M. ELMANDDJARA, A.TEODJERE, S. AMIN etc. 189 265 3°) Les critiques internationales fatales de la Banque mondiale Elles sont surtout le fait des Institutions Financières Internationales et particulièrement, la Banque mondiale qui publie une série de rapports qui sont de véritables contre propositions au PAL. Le premier Rapport est paru en 1981 sous le titre « Le développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara : programme indicatif d‟action ». Il s‟agit du fameux Plan BERG, du nom de son principal rapporteur, et qui recommande une stratégie de développement libéral fondée sur la libéralisation des économies africaines, la promotion des exportations pour une plus grande insertion des économies africaines aux marchés internationaux. Ce plan d‟action est en contradiction avec les orientations du PAL qui privilégiait le développement endogène, auto entretenu et auto centré. Le deuxième Rapport est publié en 1983 sous l‟intitulé «Rapport Intermédiaire sur les Perspectives et Programmes du Développement ». C‟est en fait la suite du rapport BERG dont il épouse les thèses principales en y adjoignant d‟une part la place de l‟environnement commercial et financier international et ses incidences sur les économies africaines et d‟autre part, l‟analyse des mesures prises par certains gouvernements africains au niveau de la politique des prix, de la valorisation des produits des agricultures locales, de l‟utilisation plus rationnelle des ressources nationales dans le secteur public. Enfin le dernier Rapport de la Banque Mondiale est de 1984 avec comme titre « un Programme d‟Action concertée pour le Développement Stable de l‟Afrique au Sud du Sahara». Ce rapport commence par rappeler les thèses précédentes et ensuite il insiste sur le caractère capital des changements politiques et institutionnels au plan étatique, sur l‟emploi plus rationnel des ressources intérieures et extérieures d‟investissements, sur l‟endettement de plus en plus insoutenable et sur les contraintes imposées par la forte croissance démographique, le faible développement des ressources humaines et de la technologie. Le Rapport enfin s‟alarme sur l‟épuisement de certaines ressources naturelles du continent. La production de ces trois rapports de la Banque Mondiale en l‟espace de trois ans, traduit en réalité l‟évolution de la pensée de cette institution. Les solutions proposées finiront par constituer les PAS qui seront par la suite imposés à tous les États qui sollicitent les ressources financières de la Banque. Toutes les solutions préconisées vont buter, comme dans le cadre du PAL, sur les moyens financiers et non financiers exigés par les objectifs. La Banque finira par capter et contrôler toutes les ressources des divers bailleurs de fonds vers les PSD. Elle se donne une position dominante pour imposer ses conditionnalités aux pays sous ajustement. II/ Face aux faibles résultats du PAL, d’autres Programmes ont été mis en place. Les modestes performances du PAL entraînent la mise en place de plusieurs autres programmes souvent avec l‟appui de la Communauté internationale. C‟est le cas notamment du Programme Prioritaire Africain pour le Redressement Économique, la décennie du développement industriel et la décennie du transport et des télécommunications. 266 1°) Le Programme Prioritaire pour le Redressement de l’Afrique Le Programme est initié par l‟ONU en juillet 1985 dans le style des précédents rapports des années 60 et 70 de l‟assemblée générale avec cette particularité du contexte de sécheresse. Le rapport commence par un plaidoyer pour des soutiens massifs de la Communauté internationale afin d‟éradiquer les séquelles de la sécheresse et la famine. D‟ailleurs, le Programme constate que ces maux sont la conséquence de mauvaise politique et de l‟absence d‟application des engagements du PAL. En conséquence, de nouvelles stratégies de développement sont proposées ; elles accordent la priorité à l‟agriculture, à la meilleure exploitation des mécanismes du marché et à la promotion du secteur privé. 2°) La décennie du développement industriel Dans la décennie du développement industriel de l‟Afrique, 1980- 1990, un certain nombre d‟objectifs à long, moyen et court terme ont été définis ainsi que des mesures concrètes recommandées pour leur réalisation, dans la poursuite des objectifs du Plan d‟Action. Il était projeté qu‟en 1985, l‟Afrique aurait jeté les fondements du développent des industries de base (des industries métallurgiques, mécaniques électriques et chimiques) et qu‟elle pourrait porter sa part dans la production industrielle mondiale entre 1 et 2%. Les mesures qui auraient permis au continent de réaliser l‟autosuffisance en matière de traitement des produits alimentaires, de produits industriels d‟habillement et d‟énergie en 1990 ont été également définies. La décennie préconisait le renforcement de la coopération industrielle intraafricaine par la définition, la préparation et l‟exécution de projets industriels multinationaux viables (à l‟échelle sous-régional et régionale). En dépit des projets réalisés dans la mise en œuvre du programme de la décennie, le secteur industriel en Afrique est demeuré exigu et fragmenté, pratiquement sans relation intra-sectorielle et inter-sectorielle. Pour le continent tout entier, la valeur ajoutée moyenne dans la production manufacturière par habitant a peu progressé entre 1980 et 1990. Les industries de substitution aux importations qui ont le bénéfice d‟exister sont des sources importantes de fuite de devises en raison des importations des biens de consommation intermédiaire et de main-d‟œuvre spécialisée. 3°) La décennie des transports et des communications Dans Plan d‟Action de Lagos, l‟accent est mis sur l‟importance de la Décennie des Nations Unies pour les transports et les communications en Afrique (1978-1988). Ont été également définis, dans le cadre du Programme de cette décennie, des projets nationaux, sous régionaux et régionaux qui devraient permettre la mise en place d‟une infrastructure intégrée et diversifiée de transport et de communication en Afrique avant l‟an 2000 ainsi que le désenclavement des pays sans littoral et des régions isolées de l‟Afrique. En ce qui concerne l‟exécution, la première phase de la décennie n‟a pas réussi en raison des difficultés financières et de l‟application des seuls critères géographiques pour l‟établissement des projets prioritaires. La phase 2 (1984-1988), a opéré des réorientations en mettant l‟accent sur l‟entretien et la remise en état, ainsi 267 que sur la formation et l‟assistance technique. En général, le taux d‟exécution bien que faible s‟est quelque peu amélioré par rapport à la Phase1 soit : dans le secteur des transports 109 des 578 projets (19 %) et dans les communications 55 des 470 projets (12 %). III/ À l’aube du 3ème millénaire tous les Programmes et Plans de développement, de redressement et d’ajustement sont dans l’impasse. L’Afrique, c’est un cimetière de programmes, de plans et de projets qui sont morts sans atteindre leur moindre objectif. Abdoulaye WADE. Tous les Plans et Programmes des Années 80 n‟ont pas réussi à sortir l‟Afrique de la crise et relancer les enjeux du développement. Malgré deux décennies d‟application des PAS, la crise et les énormes problèmes de développement se sont approfondis: déséquilibres macroéconomiques graves, revenu par habitant plus faible aujourd‟hui qu‟il ne l‟était à la fin des années 60, stagnation de la production, part croissante des victimes de la pauvreté, faibles taux de scolarisation, forte mortalité infantile et prolifération de maladies endémiques, disqualification du cadre de l‟Étatnation. Ces perspectives africaines vont-elles continuer à être aussi sombres ? En d‟autres termes, l‟Afrique est-elle condamnée à vivre encore pour longtemps dans les faubourgs de l‟économie mondiale ? Que faire pour changer significativement l‟environnement économique du continent ? Plus d‟une vingtaine d‟années d‟expériences de réformes économiques, politiques, institutionnelles et sociales ont permis à l‟élite africaine de prendre conscience de la nécessité de définir une nouvelle vision et des finalités lisibles dans un contexte de mondialisation multipolaire et darwiniste. Les vertus de la crise ont révélé, entre autres, au moins trois directions incontournables de solution pour en sortir : d‟abord l‟instauration d‟un processus durable de croissance, ensuite la création d‟un espace optimal et enfin l‟insertion inéluctable dans l‟économie mondiale de haute compétition. L‟articulation de ces éléments nécessite une nouvelle vision stratégique du développement adossée sur un programme cohérent et opérationnel qui dégage les orientations, fixe les priorités et détermine les moyens pour une croissance forte et durable et une amélioration de la situation sociale à moyen et long terme. Cette nouvelle vision doit être portée par un leadership fort pour sa mise en œuvre. Dans ce sens, le Président Thabo MBEKI avait été mandaté en 1999, par le Sommet Extraordinaire de l‟OUA à Syrte, pour obtenir des créanciers de l‟Afrique l‟engagement d‟une annulation totale de la dette extérieure africaine. Dans l‟accomplissement de cette mission il avait réuni un groupe de travail pour préparer le MAP avec la collaboration des Présidents de l‟Algérie, du Nigéria et de l‟Égypte. Le Programme pour la Renaissance Africaine sera, par la suite, présenté au Forum de Davos avec l‟appui du président nigérian Oluségun OBASANJO et l‟assistance active des présidents Benjamin MKAPA de Tanzanie et Abdoulaye WADE qui avait à son tour initié le Plan Oméga. Par la suite, en avril 2000 au sommet du Sud à la Havane, ces Chefs d‟État ont été chargés de transmettre les préoccupations du Sud au sommet du G8 à Okinawa en juillet 2000. Le sommet de l‟OUA au Togo en 2000 a mandaté les mêmes présidents pour préparer le projet de Programme du millénaire pour le renouveau de l‟Afrique. Par la suite les gouvernements sud-africain et sénégalais mais aussi la CEA ont présenté respectivement trois documents de référence : le «Partenariat du millénaire pour le renouveau de l‟Afrique», le « Plan 268 Oméga » et le «Programme pour le redressement de l‟Afrique». Au Sommet de Lomé, la décision fut prise de les fusionner et de présenter la quintessence en un seul texte qui serait présenté au sommet de l‟Union Africaine en juillet 2001 à Lusaka. A l‟occasion, les chefs d‟État et de Gouvernement ont adopté le projet final sous le nom de «Nouvelle Initiative Africaine» qui circulera sous une nouvelle dénomination après la première réunion du Comité de Mise en Œuvre à Abuja. Section 2 : le NEPAD : un agenda de croissance soutenue, des ambitions aux réalisations. Le NEPAD est un programme de paix et de développement, les africains sont résolus à chanter leurs propres chansons et à danser au son de leur propre musique. Thabo Mbéki Dès le préambule et pour la première fois, les dirigeants africains analysent avec lucidité l‟état du continent et insistent sur l‟urgence des solutions à mettre en œuvre de concert avec la communauté internationale. Désormais, envers leurs peuples et le reste du monde, les plus hautes autorités politiques s‟engagent à œuvrer ensemble pour la reconstruction du continent par la consolidation de la démocratie, la saine gestion des économies nationales et l‟établissement avec les pays développés d‟un partenariat fondé sur une coopération mutuellement favorable, des engagements communs et des accords contraignants. Les objectifs toujours réaffirmés graviteront autour de deux préoccupations majeures : élaborer une nouvelle stratégie de développement capable d‟éradiquer ou de faire reculer la pauvreté à l‟horizon 2015 et intégrer le continent dans la mondialisation afin d‟en tirer tous les avantages, surtout technologiques et financiers. L‟ordonnancement des idées maîtresses du Nouveau Partenariat pour le Développement de l‟Afrique tourne autour de trois éléments bien articulés: les orientations et les objectifs tournés principalement vers l‟éradication de la pauvreté ; le vaste programme d‟action fondé sur des priorités sectorielles ; et les moyens de sa mise en œuvre et de sa réalisation. Cohérence et opérationnalité constituent les deux préoccupations sousjacentes à l‟ensemble du Programme. I/ Orientations stratégiques pour une prise en main des africains de leurs propres destinées et l’appel à l’extérieur pour compléter les efforts internes. Il est affirmé avec insistance que la nouvelle initiative est «une promesse faite par des dirigeants africains fondée sur une vision économique et politique commune ainsi qu‟une conviction ferme et partagée qu‟il incombe d‟urgence d‟éradiquer la pauvreté, de placer leurs pays individuellement et collectivement sur la voie d‟une croissance et d‟un développement durables tout en participant activement à l‟économie et à la vie politique mondiales. Ensuite, il est réaffirmé la détermination des africains de s‟extirper eux-mêmes, ainsi que leur continent, du malaise du sousdéveloppement et de l‟exclusion d‟une planète en cours de mondialisation ». En outre, l‟engagement est pris d‟éradiquer tous les maux dont souffre le continent comme la pauvreté et la détérioration de tous les indicateurs du développement humain. Sur tout le continent, les Africains devront désormais refuser d‟être 269 déterminés par les circonstances. Et enfin, tout débouche sur la reconnaissance d‟une double nécessité pour les peuples de prendre en mains leur propre destinée et celle de faire appel au reste du monde pour compléter les efforts internes. Des signes de progrès et d‟espoir commencent déjà à apparaître avec l‟élargissement des régimes démocratiques qui s‟engagent à protéger les droits de l‟homme, à axer le développement sur l‟individu et à promouvoir des économies de marché. Apparaissent également des convictions nouvelles pour aller dans le sens de la bonne gouvernance et de la poursuite des réformes économiques et sociales. Tout cela montre une volonté d‟aller dans le sens de la bonne gouvernance en poursuivant les réformes économiques et institutionnelles indispensables. II/ Synthèse des deux plans pour une vision stratégique du développement à long terme de l’Afrique : de la Nouvelle Initiative Africaine au NEPAD Au Sommet des Chefs d‟État de l‟OUA à Lusaka (juillet 2001), il avait été recommandé de fusionner les deux programmes (le Plan Oméga et le MAP). Cet exercice a été confié à un groupe d‟experts désignés par les initiateurs des deux Plans. Le Groupe s‟est réuni à Pretoria avec une forte délégation de la CEA et de l‟UA pour finaliser l‟exercice de fusion des plans MAP et PLOM. Ce travail a abouti à la rédaction de la Nouvelle Initiative Africaine, officiellement adoptée comme la stratégie commune de développement de l‟Afrique lors de la première réunion, le 23 octobre à Abuja, du Comité de mise en œuvre formé de 15 Chefs d‟État dont les 5 initiateurs des deux projets. C‟est en affinant le document, que le nom de Nouvelle Initiative Africaine (NIA) a été modifié pour devenir le New Partenership for Africa Development (NEPAD). Au demeurant, la convergence des visions économiques et politiques qui soustendaient les deux Plans ont grandement facilité l‟élaboration d‟une initiative commune à partir d‟une synthèse des idées maîtresses. L‟exercice a été simple : d‟un côté l‟argumentaire des raisons du nouveau Plan pour l‟Afrique est puisé du MAP servant de cadre référentiel général et permettant la définition des orientations et des objectifs ; et de l‟autre côté, le PLOM a offert l‟architecture du Programme d‟action, à partir des secteurs prioritaires, qui par les politiques de résorption des gaps relance la croissance économique (l‟état des réponses). Ces deux piliers vont alors constituer l‟ossature du nouveau partenariat avec le reste du monde et surtout les pays industrialisés sous le nom de Nouvelle Initiative Africaine (NIA). Dès les premières lignes, le NEPAD évalue la place de l‟Afrique dans le système économique et financier mondial afin d‟identifier correctement les problèmes à résoudre. Il est alors observé qu‟en ce début du 3ème millénaire, au moment où l‟humanité possède d‟appréciables moyens techniques et financiers, jamais les inégalités n‟ont été aussi criardes avec l‟avènement en Afrique d‟une pauvreté de masse. En effet, l‟Afrique compte aujourd‟hui un peu plus de 250 millions de pauvres, soit environ 45% de sa population. Plus grave encore, la pauvreté est en sensible progression en raison d‟une stagnation de la croissance des revenus (2,1% sur la période 1991-1995). Durant la décennie 1990, l‟Afrique est le seul continent qui s‟est autant appauvri. La croissance, même si elle n‟est pas suffisante est essentielle pour diminuer la pauvreté ne fût-ce que par l‟amélioration soutenue des revenus des personnes. Sous ce rapport, certaines évaluations montrent que si le continent veut réduire de moitié la pauvreté à l‟horizon 2015, il lui faudra réaliser un taux de croissance cible d‟au moins 7% sur une période d‟au moins deux décennies. Cela 270 nécessite des investissements de l‟ordre de 35 à 40% du PIB de chaque pays, ce qui représente 65 milliards de dollars. Même en mobilisant le volume global de l‟épargne intérieure, les excédents en devises, l‟aide extérieure et les capacités d‟endettement, le challenge est quasiment impossible. Il s‟y ajoute que contrairement à d‟autres régions notamment l‟Asie et l‟Amérique Latine, la production moyenne de l‟Afrique, par habitant et en prix constants, à la fin des années 1990 était inférieure à ce qu‟elle était il y a trente ans et que sa production industrielle comme sa part dans le commerce mondial a reculé. Plus grave encore, le Continent est en passe d‟être laissé à la marge de la révolution mondiale des technologies de l‟information et de la communication. À l‟analyse, les possibilités de résoudre cette situation des économies africaines existent. Le système mondial dispose, aujourd‟hui, de moyens techniques et financiers énormes tandis que l‟Afrique possède d‟importants atouts dont son gigantesque potentiel de ressources naturelles inexploitées, ainsi que de réserves démographiques et culturelles porteuses de croissance. Ce qu‟il faut alors, ce sont des politiques économiques cohérentes et régionalisées en faveur d‟un développement durable par l‟intégration et dont les fondements pourraient être : l‟amélioration de la gouvernance qui stabilise les institutions et les fondamentaux du cadre macroéconomique ; la gestion des conflits qui déstabilisent l‟espace africain ; la mise en place d‟un environnement incitatif pour les investissements dans les secteurs moteurs de la croissance qui accroissent à la fois la compétitivité et la diversification des économies ; la forte réduction de la dépendance du binôme aide et endettement. Les politiques économiques élaborées à partir de ces principes devraient permettre de vaincre tous les obstacles et handicaps à l‟avènement d‟une économie performante capable d‟enclencher un processus soutenu de croissance et d‟un système politique démocratique. Ces politiques constituent de nouvelles réponses pour sortir de la pauvreté par une croissance forte, durable et bénéficiant conséquemment à toutes les couches de la population. Cette configuration des objectifs du NEPAD est assez proche des «cercles de causalité cumulative pour l‟Afrique» de la Banque190 mondiale. III/ Sortir de la conflictualité et gérer la bonne gouvernance comme préalables de la croissance et du développement. Les facteurs extra-économiques comme les conflits inter-étatiques, les guerres civiles, les instabilités politiques, les violations des droits de l‟homme accroissent les risques, les incertitudes et la perte de confiance. Ces variables deviennent alors très déterminantes dans la décision d‟investissement. Des recherches établissent qu‟aujourd‟hui les investissements publics comme privés sont contrariés par des problèmes liés au processus démocratique éprouvé, à la multiplication des guerres civiles, aux conflits ethniques, toutes choses qui font qu‟il y a trop de risques et d‟incertitudes pour l‟afflux et la rentabilité des investissements. Dans ce contexte, la gestion de la paix et de la sécurité devient une impérieuse nécessité à la limite des préalables pour attirer les capitaux privés. Dès lors, si l‟on veut redonner confiance aux investisseurs privés comme publics, il faut impérativement mettre en place des mécanismes de gestion d‟un espace stable et sécurisé assis sur des piliers de bonne gouvernance. Banque mondiale : L‟Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle, Washington 1999, 330 p. 190 271 Sur le premier préalable concernant la gestion des conflits, le NEPAD note que «l‟expérience a montré que la paix, la sécurité, la démocratie, une bonne gouvernance, le respect des droits de l‟homme et une saine gestion économique, sont des préalables au développement durable. C‟est pourquoi, les Chefs d‟État s‟engagent à promouvoir ces principes individuellement et collectivement, dans leur pays, leur région et sur le continent ». Deux déclarations assez expressives viennent confirmer ce nouvel engagement politique. Il s‟agit d‟abord de celle du Président Thabo MBEKI qui a déclaré devant le Parlement Sud Africain lors d‟un débat sur le NEPAD le 31 octobre 2001 : « nous devons instaurer une culture des droits de l‟homme, lutter contre la corruption et rendre compte de toutes nos actions » et ensuite celle du Président Oluségun OBAJANSO qui fait observer lors de la réunion du Comité de mise en œuvre du NEPAD à Abuja que « en Afrique contemporaine, la vieille accusation d‟ingérence dans les affaires intérieures ne tient plus. Nous devons dialoguer davantage et organiser davantage des consultations les uns avec les autres sur les questions de paix, de sécurité, de démocratie, de droits de l‟homme ». Pour bien appuyer ces nouvelles orientations, il a été crée à cette Conférence d‟Abuja, un Sous-Comité spécial sur « la paix et la sécurité » présidé par l‟Afrique du Sud et dans lequel siégent l‟Algérie, le Gabon, le Mali et l‟Ile Maurice. Sa mission est de prévenir et régler les conflits. Le second préalable est relatif à la bonne gouvernance politique comme économique qui fait l‟unanimité de tous les acteurs publics et privés malgré la relative ambiguïté qui entoure le concept. Ce concept de bonne gouvernance est apparu il y a une dizaine d‟années dans le domaine du développement. Il est utilisé pour la première fois, dans une étude de la Banque mondiale. Il s‟agissait à l‟époque, pour les promoteurs des Programmes d‟Ajustement Structurel (PAS), de corriger l‟approche « économiciste » de ces programmes et de mettre davantage l‟accent sur l‟importance de leur environnement normatif et institutionnel. Le concept a été par la suite affiné par de nombreuses institutions internationales et partenaires au développement (PNUD, Banque Mondiale, OCDE, BAD). Généralement, il désigne à la fois 3 éléments : la nature du régime politique, la capacité des pouvoirs publics à créer un cadre d‟ordre et de stabilité, à formuler et à exécuter des politiques performantes et la construction d‟un environnement propice au développement économique et social. Ainsi compris, la bonne gouvernance intègre toutes les dimensions de l‟activité économique et les mécanismes d‟allocation et de répartition des ressources. Elle recouvre deux volets importants : un volet politico-institutionnel, qui concerne avant tout l‟Etat en tant qu‟agent de régulation et un volet relatif à la gestion des ressources. IV/ Investir massivement prioritairement dans les trois secteurs porteurs de croissance : les infrastructures (capital physique), les ressources humaines (capital humain) et les TIC (capital technologique) Il est un point sur lequel tout le monde s‟accorde ; il s‟agit de la hiérarchie des secteurs qui constituent de fait les leviers de la croissance. À ce niveau du Programme d‟action les deux initiatives (PLOM et MAP) montrent leur parfaite complémentarité en ce sens qu‟elles mettent l‟accent l‟une sur la hiérarchie des secteurs et l‟autre sur les structures d‟encadrement et les préalables au développement durable. Ces secteurs retenus sont au nombre de huit à savoir : Les infrastructures de base. L‟agriculture. 272 Les Nouvelles Technologies de l‟Information et de la Communication. L‟accès aux marchés mondiaux et la diversification de la production. L‟éducation. La santé. L‟énergie. L‟environnement. En les agrégeant, on retrouve les deux foyers de l‟accumulation du PLOM : le capital physique et le capital social. Pour chaque secteur, le NEPAD estime que «l‟objectif est de combler l‟écart actuel entre l‟Afrique et les pays développés afin d‟améliorer la compétitivité du continent et de permettre à l‟Afrique de participer au processus de mondialisation ». Les préoccupations d‟une réduction des gaps au niveau des différents secteurs sont fort justement réaffirmées. Cela appelle des investissements massifs qui ne peuvent être attendus principalement que du secteur privé. Ces IDE devraient placer les pays africains individuellement et collectivement sur les chantiers d‟une croissance soutenue qui mettra alors un terme à la marginalisation de l‟Afrique. C‟est la croissance qui offrira les marges de manœuvre nécessaires pour réaliser les objectifs de réduction de la pauvreté et ceux annoncés dans la Déclaration du Millénaire des Nations Unies. La question est alors quel sera le rythme de croissance qui permettra d‟atteindre ces objectifs ? Le débat est aujourd‟hui lancé par les recherches de DEMERY ET WALTON (1998) qui établissent que si l‟Afrique veut réduire de moitié la pauvreté, elle doit réaliser des taux de croissance d‟au moins 7% sur une période de 25 ans. L‟investissement devrait alors passer à environ 30% du PIB. L‟épargne intérieure étant faible, il faut alors recourir à l‟épargne extérieure et aux IDE pour atteindre cet objectif de croissance économique. AMOAKO et AL chiffrent les ressources extérieures complémentaires à 102 milliards de dollars pour la période 1999-2000, de 84 milliards de dollars pour la période 2006-2010 et de 41 milliards de dollars pour 2010-2015 soit un total de besoin de financement d‟environ 227 milliards de dollars. Ces investissements devront porter principalement sur les secteurs clefs constitutifs du capital physique et du capital social comme les infrastructures qui doivent jouer un rôle entraînant par suite des insuffisances quantitatives et qualitatives constatées. L‟infrastructure routière est faiblement développée sur le continent et la densité routière y est généralement très en deçà de celle des pays d‟Asie et d‟Amérique Latine. Pourtant, les modes de transport sont dominés en Afrique par les routes en raison surtout des multiples obstacles géographiques à la navigation et de la déficience des réseaux ferroviaires qui sont estimés à 73.000 kilomètres dont 22.000 pour la seule Afrique du Sud. En 1996, les routes revêtues étaient de l‟ordre de 311.184 kilomètres dont la moitié en mauvais état. En milieu rural, dominé par les routes non revêtues, 80% de ces dernières sont en mauvais état. De 100 km² pour 1.000 habitants, la densité de routes revêtues a stagné à 150 km² dans la période 1984-1995. Le secteur des télécommunications se caractérise globalement par une faiblesse relative du taux de pénétration du réseau et l‟obsolescence des équipements. Le résultat en est que l‟Afrique a l‟un des taux de couverture les plus bas au monde. Il ne détient que 2% des lignes principales de la planète. Le nombre de lignes téléphoniques qui était de 0,45 ligne pour 100 habitants était estimé à 0,74 ligne en 1980. En 1986, il atteignait 1,06 ligne. En ce qui concerne les télécommunications, la densité téléphonique en 1996 était de 2 lignes pour 100 habitants alors qu‟elle atteignait 30,60 en Europe et 40,39 en Océanie. Près de 34 pays africains ont une 273 densité téléphonique encore inférieure à 1 alors que la demande de services téléphoniques reste très forte. Par ailleurs, l‟infrastructure en télécommunication n‟a pas suivi les mutations technologiques du secteur au plan international. De même, pour l‟électricité la puissance installée du secteur est passée de 43 kilowatts par habitant en 1965 à 87 kilowatts en 1986 avant de stagner par la suite. Au milieu des années 90, la puissance installée sur le continent était estimée à 350.000 gigawatts-heures. Seule une infime partie des ressources hydroélectriques disponibles est utilisée. Les centrales hydroélectriques représentent à peine 15% du total à côté des centrales à combustibles fossiles. Quelques 64,4% des capacités hydrologiques sont concentrées en Afrique de l‟Est et en Afrique australe, 32,2% en Afrique de l‟Ouest, 1,2% en Afrique du Nord. La production la plus importante d‟électricité est assurée par l‟Afrique Australe (environ 55% de la production continentale). V/ Les principaux projets identifiés du NEPAD Si l‟échec des politiques passées a souvent été imputé à leur contenu théorique inadapté aux réalités du continent, car étant élaborées par des étrangers, l‟on pourrait se permettre, à juste titre, d‟avoir de l‟espoir pour cette nouvelle initiative africaine et faite par des africains : le NEPAD. L‟objectif du NEPAD est de poser les bases de l‟intégration, de permettre aux pays africains de résorber leur retard accumulé dans tous les secteurs et de contribuer ainsi à la réduction de la pauvreté, mais aussi de mettre le continent dans les conditions d‟un développement durable. Cela passe ainsi par des investissements susceptibles de favoriser le développement. Les projets placés sous la direction du Sénégal s‟identifient aux infrastructures, à l‟énergie, à l‟environnement et aux NTIC. 1°) Les infrastructures de transport La mobilité des personnes, des biens et services est sans doute l‟une des bases de tout processus d‟intégration. L‟importance des infrastructures de transport vient du fait qu‟elles créent des liaisons physiques entre les États, ce qui aura pour conséquence de stimuler les échanges commerciaux entre les États et un agrandissement virtuel des marchés favorable à tous les secteurs de production. Aujourd‟hui encore, il est évident que l‟Afrique souffre d‟une insuffisance manifeste de ces infrastructures : Le secteur routier est caractérisé par un faible niveau d‟accessibilité. De plus il est peu dense, comparé à celui de certaines régions : 7 km/100 km2 contre 170km/100 km2 en Europe ; Le secteur ferroviaire est quasiment inexistant par rapport au rôle qu‟il devrait jouer. Non seulement ses infrastructures datent de l‟époque coloniale pour la plupart, mais aussi le réseau est trop hétérogène pour permettre une interconnexion réelle ; Le secteur aérien, même s‟il connait une évolution notable, reste confronté à la faiblesse du niveau de développement des aéroports et à la défaillance de la sécurité. Le secteur portuaire est marqué par des infrastructures vétustes. Aussi, conscient du fait que l‟absence de liaisons entre les États est aussi, voire plus pénalisante que les barrières tarifaires et non tarifaires, plusieurs initiatives ont 274 été prises. Il s‟agira de combler le déficit en matière d‟infrastructures et services de transport par l‟amélioration de l‟entretien, la réduction des coûts, la suppression des obstacles à la libre circulation des biens et personnes. Il a été décidé la construction de routes comme la Transcôtière (Nouakchott Ŕ Lagos) et la Transsaharienne en Afrique de l‟Ouest et à l‟échelle continentale des routes transafricaines, mais aussi près d‟une centaine de projets de routes dans tout le continent. Pour les secteurs ferroviaire et portuaire, il est prévu la construction d‟environ 26 300 km de nouvelles lignes pour le premier et la construction, l‟extension, la modernisation et l‟équipement de 39 ports dans tout le continent. Quant aux projets aériens, ils se résument à la construction de nouveaux aéroports, mais aussi le renforcement de la sécurité et de l‟équipement de ceux qui existent déjà. Tableau 29 : infrastructures Sous-secteurs État des projets identifiés dans le secteur des Nombre de projets Coûts des projets estimés (en milliards de F CFA) Estimés Non estimés Projets d‟infrastructures routières Projets ferroviaires 65 18 4 651,661 0 31 ------ Projets portuaires 23 16 948,781 Projets d‟infrastructures aériens 12 19 1 049,050 100 84 TOTAL 6649,492 184 2°) L’Énergie Vu son état de pauvreté, l‟Afrique a plus que jamais besoin d‟énergie, facteur indispensable pour tout pays s‟engageant dans la voie de la modernisation et du développement. L‟importance de l‟énergie est évidente : déjà, au 18ème siècle avec la révolution industrielle, elle a eu à jouer un rôle important tant parce qu‟elle faisait fonctionner les machines, qui n‟était autres que les moyens de production du système capitaliste, que par sa contribution à la recherche et au progrès. Trois siècles après, il est logique qu‟elle devienne un enjeu mondial et planétaire. Un bref panorama permettra d‟appréhender la « pauvreté énergétique » du continent : un taux d‟électrification inférieur à 30%, pour la majorité des pays, contre un taux mondial supérieur à 60% ; une consommation d‟énergie électrique par habitant de l‟ordre de 500 KWh par an, contre une moyenne mondiale de 2500 KWh… Or, des études récentes révèlent une forte corrélation entre cette consommation en énergie et le niveau du PNB/habitant. De plus, le bilan énergétique 275 reste dominé par la biomasse qui, outre la médiocrité de son rendement, pose le problème de la déforestation. Les grands projets régionaux s‟identifient d‟abord dans l‟hydrocarbure où il est envisagé la construction de gazoducs (gazoduc Tunisie Ŕ Libye), dans le sous secteur de l‟énergie la construction d‟une dizaine de centrales électriques et l‟exploitation de l‟énorme potentialité hydroélectrique (exemple de la Guinée en Afrique de l‟Ouest). Ces projets favoriseront à coup sûr la création d‟une énergie durable. Tableau 30 : État des projets identifiés dans le secteur de l’énergie Secteur Nombre de projets Coûts des projets estimés Estimés Non (en millions de estimés $US) ÉNERGIE 33 1 27 431 TOTAL 34 27 31 3°) L’environnement Confrontés à une croissance démographique rapide et aux aléas climatiques, les pays africains commencent peu à peu à intégrer la question environnementale dans leurs politiques. Il faut dire que le développement durable, qui est un concept contemporain et à la mode à juste titre, est marqué par une omniprésence de l‟environnement, donc à la protection, au renouvellement de ce dernier et au souci de ne pas entraver la capacité des générations futures à satisfaire leurs besoins. Une mauvaise gestion de ce dernier constitue donc un frein pour la lutte contre la pauvreté, de la croissance et mine le développement durable. Le continent dispose de ressources naturelles riches et variées qui auraient pu contribuer à la réduction de la pauvreté et au développement. Cependant, le début du millénaire est marqué par une dégradation inquiétante de son environnement. Cela passe de la dégradation des forêts (on estime que l‟Afrique a perdu 66 millions d‟hectares entre 1980 et 1995, dont 65% durant les années 1990) à la raréfaction des ressources en eau (une étude a prouvé que plus de 300 millions de personnes n‟ont pas accès à une eau propre ; de plus, en Afrique Subsaharienne, seulement 51% de la population a accès à une source d‟eau propre et 47% à un réseau d‟assainissement.) Vu la gravité de la situation et au regard de l‟urgence qu‟elle constitue au niveau continental, voire mondial, plusieurs projets ont vu le jour. Il s‟agit : D‟abord de projets de lutte contre la désertification, sinon de valorisation du désert comme le Projet de suivi de l‟avancée du désert et de la dégradation des terres en Afrique de l‟Ouest ; De projets de protection des zones humides : projet de mise en place de systèmes indicateurs de suivi de l‟environnement (SISE) pour le Sénégal et pays limitrophes ; Les projets de lutte contre les espèces exotiques envahissantes : c‟est le cas du projet de cellule de coordination pour la gestion des végétaux aquatiques pour les pays de la CEDEAO, d‟un coût de 0,13 million de $US ; Les projets de protection et de gestion de l‟environnement côtier ; Les projets de lutte contre la pollution et contre le changement climatique : c‟est le cas du projet d‟étude pour le renforcement des capacités des centres sous régionaux de gestion et de traitement des déchets dangereux et autres 276 produits chimiques obsolètes ou le projet d‟étude pour la mise en œuvre des opportunités du protocole de Kyoto etc. Tableau 31 : État des projets identifiés dans le secteur de l’environnement Sous-secteurs Nombre de projets Coûts des projets estimés Estimés Non estimés (en millions de $US) Valorisation du désert 1 3 1 Lutte contre la désertification 10 6 1114,514 Protection des zones humides 7 1 113,6269 Espèces exotiques envahissantes 7 0 3,10236 Protection et gestion de 6 l‟environnement marin et côtier 0 77077,68 Lutte contre les pollutions 1 2 0,5 Lutte contre les changements 0 climatiques 2 …. 42 TOTAL 14 78310,4233 46 4°) Les NTIC À l‟égard des progrès faits dans les grands pays développés, les NTIC peuvent se présenter comme des agents d‟innovation et de changement dans le processus de développement de l‟Afrique. Aussi, l‟amélioration et le renforcement de ses services permettront de moderniser et de changer plusieurs métiers, voire même en créer d‟autres, au bénéfice de l‟économie et au service du développement. En outre, les NTIC s‟avèrent être des catalyseurs en matière d‟intégration dans une large mesure, mais aussi des facilitateurs du commerce intra-régional. En Afrique, l‟accès aux TIC, déjà très insuffisant, reste concentré dans les grandes villes et agglomérations. Déjà, le continent dispose du plus faible chiffre concernant le nombre de lignes téléphoniques par 100 habitants. De plus, les infrastructures sont rarissimes et par conséquent, les services, malgré leur qualité laissant à désirer, se caractérisent par leur coût élevé. Dans ce secteur aussi, plusieurs projets sont nés et reconnus comme prioritaires. Ils se résument essentiellement d‟abord aux projets d‟infrastructures : augmentation de la télé-densité de 4% pour le téléphone fixe et de 7% pour les mobiles. 277 Le projet phare est sans doute le SAT-3/WASC/SAFE concernant le câble sous-marin en fibre optique de 28000 km, inauguré en 2002 et devant relier l‟Afrique à l‟Europe et l‟Asie. Son élargissement à l‟Afrique de l‟Est est prévu dans le cadre du NEPAD. Ensuite, il était projeté la construction d‟une usine de fabrication de matériels de télécommunications essentiellement. Le reste des projets va de l‟appui aux infrastructures à la création de structures modernes comme le PAG-NET (Réseau Gouvernemental Panafricain), le DATAFRICA, la TELEMEDECINE, l‟Africa Cyber Market (commerce en ligne), l‟E-Custumer Africa (douanes en ligne) etc. Tableau 32 : État des projets identifiés dans le secteur des NTIC Secteur Nombre de projets Coûts des projets estimés (en millions de Estimés Non estimés $US) NTIC 3 10 52,8 TOTAL 13 52,8 Le NEPAD, une initiative « par et pour les africains », qu‟il faut sans nul doute saluer de par son origine et sa démarche novatrice. Pourtant, il faudrait reconnaitre aussi qu‟il est temps de passer à une autre phase du processus, c'est-à-dire la réalisation de tous ces « nombreux et ambitieux » projets, avant de sombrer dans une léthargie et un marasme qui vont de plus en plus les discréditer aux yeux des bailleurs. VI/ Les leviers de la mise en œuvre. La mise en œuvre du NEPAD repose sur quatre piliers : L‟intégration économique et financière du continent avec création d‟espaces optimaux capables de rentabiliser les investissements et de produire des économies d‟échelle Le secteur privé national, régional et international pour les investissements et la création des richesses L‟exploitation de tous les partenariats avec la communauté internationale pour un retour massif des investissements directs étrangers. La mobilisation des populations. 1°) L’intégration régionale comme moyen de développement Sur le premier mécanisme, en terme de stratégie, l‟intégration économique africaine organisée autour de profils économiques régionaux est à la fois plus pertinente et plus efficace. L‟espace économique du continent est subdivisé en cinq régions qui développent chacune en son sein une ou plusieurs initiatives d‟intégration : en Afrique Centrale avec la Communauté Économique et Monétaire de l‟Afrique Centrale (CEMAC), la Communauté Économique des États de l‟Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté Économique des Pays des Grands Lacs (CEPLG), en Afrique de l‟Est avec la Communauté Économique de l‟Afrique de l‟Est (CEA), 278 en Afrique du Nord avec l‟Union du Maghreb Arabe (UMA), en Afrique Australe avec l‟Union Douanière de l‟Afrique Australe (UDAA), la Communauté pour le Développement de l‟Afrique Australe (SADC), la Zone d‟Échanges Préférentiels (ZEP), le Marché Commun des États de l‟Afrique de l‟Est et de l‟Afrique Australe (COMESA) et en Afrique de l‟Ouest avec la Communauté Économique des États de l‟Afrique de l‟Ouest (CEDEAO), l‟Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), l‟Union du Fleuve Mano (UFM). Ces blocs fonctionnent de façon assez inégale et réalisent, par moments, des résultats appréciables dans les domaines respectifs du commerce intra-régional, de la coordination des politiques économiques et monétaires, de la mobilité des facteurs comme la main d‟œuvre et les capitaux. En définitive, il est attendu de tous ces schémas d‟intégration qu‟ils contribuent non seulement au développement de la taille de marchés, à la réduction des coûts de transaction mais aussi à l‟amélioration de la concurrence entre producteurs. 2°) Établissement d’un partenariat stratégique avec le secteur privé national, régional et international Nous voudrions que le secteur privé joue en Afrique le même rôle qu’il a joué dans le développement de l’Europe, des États-Unis et du Japon. Abdoulaye Wade Sur le second point, constatant l‟impasse du financement par endettement et aide publique, le NEPAD accorde au secteur privé et aux Investissements Directs Étrangers (IDE) un rôle primordial dans le financement des projets. Dans ce sens, la nouvelle initiative est une rupture avec l‟État développeur et le rôle de premier plan antérieurement conféré aux institutions publiques. Le financement du Nouveau Partenariat est attendu principalement du Secteur Privé, des IDE et de l‟inversion de la direction de la fuite des capitaux. Avec la baisse du flux d‟aide publique à l‟Afrique, le secteur privé est le chaînon manquant pour prendre le relais en mobilisant les ressources indispensables à la croissance. Il faut ajouter à cela l‟instauration de politiques incitatrices capables d‟inverser la fuite des capitaux. Le secteur privé international a manifesté son intérêt pour le NEPAD et des propositions concrètes sont sur la table des décideurs politiques. Deux rencontres viennent de le prouver. La première rencontre est organisée les 17 et 18 janvier à Dakar par le Conseil National du Patronat sénégalais en partenariat avec la Confédération Panafricaine des Employeurs, l‟Organisation Internationale des Employeurs et le BIT. Le thème portait sur «le rôle et la place du secteur privé africain» dans le NEPAD. A cette occasion, le secteur privé africain a proposé la création d‟un Fonds d‟Investissement qui devrait aider à la mobilisation de l‟épargne privée et d‟autres ressources financières. La deuxième rencontre s‟est déroulée à Dakar les 16 et 17 avril 2002 autour du partenariat avec le secteur privé pour le développement de l‟Afrique. Plus de 500 représentants d‟entreprises privées internationales ont fait le déplacement pour répondre à l‟appel des hommes politiques pour se tenir au courant des opportunités offertes par le continent africain. Les dirigeants africains sont mis en relation avec quelques centaines de grandes entreprises autour du financement des secteurs prioritaires du NEPAD : infrastructures, énergie, environnement, agriculture. L‟inexistence d‟une banque de projets déteint sur le succès de la rencontre 279 Cependant, si les hommes d‟affaires ont exprimé leur disponibilité, ils ont insisté sur la nécessité d‟un partenariat entre le public et le privé et sur l‟importance de la bonne gouvernance. Ils ont clairement déclaré que pour attirer les capitaux sur le continent et permettre au secteur privé international à jouer un rôle dans le financement du développement, les États doivent garantir la sécurité des investissements, améliorer la gouvernance et élargir leur espace. Pour ce faire, il faut créer des environnements incitatifs à l‟échelle régionale où les entreprises peuvent entrer dans une compétition transparente, disposer d‟un système juridique transparent et efficace où les règles de la concurrence sont bien fixées, les droits de propriété clairs pour les investisseurs locaux et étrangers et les informations fiables en ce qui concernent les marchés et les risques qui les entourent. Cela appelle la lutte contre la corruption et le démantèlement des situations de rente. Parallèlement, il faut poursuivre et approfondir les réformes pour restaurer les grands équilibres macroéconomiques et maîtriser l‟inflation. VII/ Management institutionnel du NEPAD À la finalisation de la fusion des deux plans, les aspects institutionnels n‟ont pas fait l‟objet de réflexions et de débats approfondis contrairement au Plan Oméga où la question relative aux structures d‟administration, de suivi et d‟évaluation a donné lieu à plusieurs échanges au sein d‟une commission spécialisée. En effet, l‟exécution du PLOM devrait être confiée à une Haute Autorité Internationale d‟Exécution dirigée par un Manager nommé par les États bénéficiaires des investissements et les divers créanciers. Il est responsable de la gestion de l‟Agence devant un Conseil d‟Administration composé de membres représentants les bénéficiaires, les investisseurs, les représentants des institutions internationales comme la Banque mondiale, le FMI, le Programme des Nations Unies pour le Développement, l‟Union Européenne, les membres du G8. Les rédacteurs du NEPAD n‟ont pas cru devoir prolonger ce débat relatif à l‟organigramme institutionnel. Ils ont tout simplement renvoyé la question à l‟Union Africaine qui «devrait retrouver le mécanisme approprié de mise en œuvre qui aura besoin d‟un soutien technique de base en matière de recherche et de formulation de politiques ». 1°) Le débat inachevé sur les institutions d’administration, d’évaluation et de suivi du NEPAD de gestion, Au moment de l‟élaboration de la synthèse des deux Plans originels, les experts n‟avaient pas une claire conscience des enjeux véritables liés aux questions relatives à la gestion administrative, au suivi et à l‟évaluation qui renvoie à trois éléments : la structure de mise en œuvre, les procédures définissant les règles de compétences, les modalités d‟assurer le suivi et de résoudre les dysfonctionnements et le contrôle dans l‟exécution des décisions. Il est clair qu‟un document de stratégie de cette ampleur qui est appelé à brasser beaucoup de ressources et impliquer des acteurs aussi nombreux que divers, exige un cadre institutionnel approprié et adéquat avec des compétences avérées, des règles claires et des coûts de transaction réduits au minimum. Ce cadre devrait prendre en charge l‟élaboration des projets à partir de l‟évaluation des besoins dans les domaines qui répondent à la configuration des priorités sectorielles dans les espaces d‟intégration concernés. 280 Face à ce vide institutionnel, le Président Abdoulaye Wade avait proposé un schéma d‟organisation administrative, de suivi et d‟évaluation en trois étages : un étage politique, un étage décisionnel et un étage d‟exécution comprenant trois échelons continental, sous-régional et national. 2°) le schéma institutionnel à la lumière des responsabilités du NEPAD Tout le débat institutionnel, a été ramené à la double nécessité de disposer d‟une structure fonctionnelle aux moindres coûts internes d‟organisation. Sur cette base, la structure administrative du MAP a été purement et simplement reconduite car elle présentait une gestion administrative allégée et souple pour l‟administration du NEPAD. Le schéma institutionnel est le suivant : Figure 16 : Schéma institutionnel du NEPAD Personal Assistant Liaison and Coordination Chairman Steering Committee Chief Operating Officer (Administration and Secretariat Services) General Programm Coordinator Programm Coordinator Economic Governance and Capital Flows Chief Economist Programm Coordinator Political Governance Program Coordinator Market Access and Diversification of products Program Coordinator Infrastructure and environment (ITC and energy) Program Coordinator Human Development En définitive la gestion du NEPAD est réalisée par deux structures : une structure de décision et une structure d‟exécution et de facilitation. 3°) La structure d’orientation et de décision : le Comité d’Orientation et de mise en œuvre(CMO). Il est composé de 15 Chefs d‟État chargés de la mise en œuvre du NEPAD à savoir les cinq chefs d‟État initiateurs, plus dix autres à raison de deux par région. Ce Comité est dirigé par un Bureau souple comprenant un Président et deux ViceŔ Présidents en l‟occurrence le Président Olusegun Obasanjo et les Présidents Abdoulaye Wade et Abdoul Aziz Bouteflikha. Les attributions imparties au Comité sont les suivantes : 281 déterminer quelles sont les questions stratégiques qui doivent faire l‟objet de recherche, de planification et de direction au niveau du continent ; mettre en place les mécanismes d‟évaluation rétrospective des progrès accomplis en vue de la réalisation des cibles convenues d‟un commun accord et du respect des normes acceptées par tous ; examiner les progrès accomplis dans l‟exécution des décisions prises afin de prendre les mesures idoines pour surmonter tout problème ou rattraper tout retard. 4°) Le Secrétariat Exécutif : le Steering Commitee. Il fait office de Secrétariat Exécutif et se compose des représentants des Chefs d‟État initiateurs. Il élabore les dossiers techniques à soumettre à l‟appréciation du CMO et prépare toutes les rencontres internationales. Toutefois, cet organe est absent du texte et en conséquence fonctionne sans légitimité et sur une base quasi informelle. Il est secondé par un Comité Technique d‟Experts qui se réunit chaque fois que de besoin pour étudier et évaluer les questions techniques. Lors de sa réunion d‟Abidjan, le STEERING COMMITEE avait décidé, entre autres choses, la répartition de la gestion des secteurs du Programme d‟action entre les 5 Chefs d‟État fondateurs : Bonne Gouvernance Économique et flux des capitaux confié au Président du Nigeria. La gouvernance politique et le maintien de la paix, de la stabilité et du règlement pacifique des conflits confié au Président d‟Afrique du Sud. Accès au marché et diversification de la production confié au Président de l‟Égypte. Développement humain confié à l‟Algérie. Le Sénégal doit superviser les infrastructures de base, l‟environnement, les NTIC et l‟énergie. Pour chacun des cinq Chefs d‟État, il est imparti un travail d‟identification et d‟évaluation des besoins de coordination et de gestion des projets sur l‟ensemble du Continent. Section 3 : Déjà d’immobilisme. une demi-décennie d’inefficacité et Le Plan Oméga et le NEPAD se présentaient comme des initiatives de rupture qui devraient cadrer parfaitement avec les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Les priorités sectorielles devraient permettre des investissements massifs dans un espace africain intégré et réaliser une croissance rapide, au taux le plus élevé pour éradiquer la pauvreté, à l‟horizon 2015. De fait, l'Afrique montrerait ainsi ses capacités à prendre en charge son développement en partenariat avec le monde développé et le secteur privé international détenteur des capitaux et des technologies. I/ Les médiocres résultats du NEPAD Six années après le démarrage du NEPAD, aucun projet concret ne sort de terre. Les objectifs majeurs comme le renforcement des capacités de production des 282 pays, les Projets dont les études de faisabilité sont achevées ne connaissent aucun début de réalisation. À ces insuffisances, il faut ajouter les problèmes non résolus relativement à la gestion du seul projet qui fonctionne : le mécanisme d‟évaluation par les pairs (MAEP). Aujourd‟hui, le débat relatif à la mise en place et la gestion des démembrements nationaux de ce mécanisme est loin d‟être tranché. Après une demi-décennie d‟existence, les Bailleurs de Fonds et les États africains ont levé des ressources substantielles pour la réalisation effective des études de faisabilité des grands projets d‟infrastructures qui constituent, sans aucun doute, la priorité des priorités du NEPAD. En effet, facteur déterminant de la croissance économique, les infrastructures devraient permettre la constitution d‟un véritable marché régional et participer à combler l'écart de développement entre l'Afrique et les pays industrialisés. Les appuis importants mobilisés par la BAD, le PNUD, le Japon et bien d‟autres institutions de financement n‟ont pas permis d‟attirer les capitaux et les investissements étrangers pour financer les Programmes à Court ou à Moyen et Long terme du NEPAD. Depuis juin 2002, avec l‟aide de la Banque de Développement de l'Afrique, le Projet de Plan d'Action à Court Terme du NEPAD (STAP) pour le Développement des Infrastructures avait été élaboré et validé par un atelier d‟experts. Dans ce sens, le Rapport de Progression du NEPAD et le Plan d'Action Initial de juin 2002 pour combler le manque d'infrastructures a identifié comme un élément important : « Promouvoir l'intégration régionale et, donc, créer des marchés plus importants pour l'infrastructure se réfère dans ce contexte à l'Énergie, l'Eau, le Transport, l'Information et l'Informatique. Pour identifier les projets, le NEPAD, à travers l'AFB, a entrepris un examen des projets d'infrastructures dans les pays qui ont été inclus dans les programmes élaborés par les REC ». En comparaison avec l‟UEMOA, celle-ci vient d‟organiser en Juillet 2006 à Dakar, la Réunion des Bailleurs de Fonds pour le Financement du Programme Économique Régional (2006-2010) d‟un montant de 2900 milliards de francs CFA environ 6 milliards de dollars. Le financement de ce Programme, dont les infrastructures constituent les 90%, est aujourd‟hui entièrement bouclé. Le Steering Committee est très loin de cette performance malgré l‟ampleur des ressources mobilisées depuis sa création. À titre d‟exemple, en 2002, le PNUD a mobilisé pour le secrétariat 3,5 millions de dollars pour financer la gouvernance politique (y compris la création du mécanisme d‟évaluation intra-africaine et sa mise en œuvre), la promotion du NEPAD et des Objectifs du Millénaire pour le développement. Également, il a contribué à hauteur de 2,7 millions au Fonds d‟Affectation Spéciale qui dispose de ressources estimées à 4 milliards de dollars. Les États Africains ne sont pas en reste, l‟Afrique du Sud, l‟Algérie, le Nigeria, le Sénégal, le Lesotho, le Mozambique et d‟autres encore ont véhiculé des contributions importantes auxquelles sont venues s‟ajouter celles de pays comme le Canada, le Japon, le Secrétariat Britannique au Développement International. D‟autres pays et organisations internationales ont aussi affecté des fonds supplémentaires. Beaucoup de moyens pour peu de réalisations concrètes. II/ Le Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP) La seule réussite que l‟on peut comptabiliser au titre du NEPAD est sans doute le Mécanisme Africain d‟Évaluation par les pairs (MAEP) Ŕsystème d‟auto-évaluation et d‟auto-surveillance, il est destiné au renforcement de la gouvernance (politique, économique et d‟entreprise) et « vise à favoriser l‟adoption des politiques, normes et 283 pratiques qui conduiront à la stabilité politique, à une plus grande croissance économique, au développement durable et à accélérer l‟intégration économique de la sous-région et du continent »191. Le MAEP est construit à partir des documents adoptés par le Comité de Mise en Œuvre et de Gouvernement lors de son Sommet d‟Abuja192. Décidé en février 2004 à Kigali, le MAEP ne concerne que les pays qui choisissent de se faire évaluer par leurs pairs. D‟une part, l'adhésion se fait d'une manière volontaire et de l‟autre, ce sont les chefs d'État eux-mêmes qui sont responsables des évaluations qui doivent être faites. La Structure du MAEP a démarré en mai 2003 avec la nomination de ses membres qui sont d‟éminentes personnalités africaines choisies pour conduire les processus d‟évaluation et qui s‟appuient sur un Secrétariat. Le processus comporte cinq étapes définies dans le Document de base du MAEP : établissement du point focal national, envoi du questionnaire par le Secrétariat du MAEP, autoévaluation par le pays à partir du questionnaire, élaboration du programme préliminaire et remise du document au Secrétariat. Opportunément, le Président BOUTEFLIKA souligne qu‟«En nous dotant d'un mécanisme crédible d'évaluation par les pairs, qui stimule nos efforts d'amélioration de la gouvernance, nous adressons également au monde un signal fort quant à notre volonté d'éloigner à jamais le spectre de la marginalisation…La consultation, la concertation, la participation et la transparence, faut-il le rappeler, sont les valeurs qui se situent à la base même de nos traditions communes et qui servent naturellement de fondements à la renaissance de l'Afrique». Dans la même direction le Président OBASANJO précise que « ce que prévoit le MAEP pour le continent africain, nous le faisions déjà au plan informel entre nous…. Nous voulons donc officialiser ce que nous discutions entre nous…et nous soumettre à l'évaluation de nos performances par nous-mêmes aux plans politique, économique et social….c'est une bonne méthode pour nous connaître entre nous, apprendre des choses sur nous pour en choisir ce qui nous paraît important». En définitive, toute appréciation globale de ce Mécanisme, montrerait que les dirigeants africains ne s‟empressent point et beaucoup d‟entre eux continuent de soulever des questions relativement à la structure, au mode de fonctionnement et au pouvoir d'action de ce mécanisme et cela malgré la pression de certains pays donateurs. Paradoxalement, certains gouvernements se déclarent intéresser, tout en indiquant qu‟ils n'avaient pas encore pris de décision officielle définitive et irréversible. Concrètement, sur les 53 pays membres de l‟Union Africaine, 24 manifestent des dispositions à participer au mécanisme mais seulement 4 se sont proposés pour subir l‟évaluation : le Rwanda, le Ghana, Maurice et le Kenya. Empressement de quelques uns mais prudence de l‟écrasante majorité. III/ Le nouveau départ après la récente conférence d’Alger du Comité de Mise en Œuvre. Le Communiqué du Sommet des Chefs d‟État de Sharm El Sheikh (19 avril 2005) a « reconnu les complexités des évaluations du MEAP qui sont d‟autant plus importantes qu‟il s‟agit de la première fois qu‟un tel processus est mis en place en Afrique, et qu‟il s‟agit également d‟un processus unique à l‟échelle du Monde ». Selon Mme Marie-Angélique SAVANÉ, Présidente du Groupe de personnalités éminentes, Il s‟agit du « Mémorandum d‟Entente sur le MAEP », « Objectifs, Normes, Critères et indicateurs pour le MAEP », « Manuel des Techniques d‟Évaluation : 191 192 284 Certains pays craignaient que le mécanisme d'évaluation ne porte atteinte à la souveraineté nationale tandis que d‟autres redoutent qu‟il serve aux partenaires pour sanctionner. Autre observation de taille, la coexistence éventuelle entre l‟organisation des processus nationaux d‟élaboration des DSRP et le Mécanisme d‟évaluation. En effet, il est proposé de mettre en place à l'échelon national « une structure adéquate et représentative à même d'organiser des processus participatifs et équilibrés associant les principaux acteurs de la société civile et une organisation efficace de la collecte et de la dissémination d'informations». Cet exercice est parfaitement réalisé dans les processus d‟adoption du DSRP. Il faut bien reconnaître que le NEPAD stagne et les critiques fusent de tous côtés. C‟est pourquoi, une Session spéciale du CMO a été convoquée pour examiner « l'état de la mise en œuvre du NEPAD depuis son lancement en 2001 et les perspectives pour le renforcer et donner plus de cohésion à la démarche africaine. À l‟ordre du jour figure l‟intégration du secrétariat du NEPAD à la Commission de l‟UA en plus d‟une réflexion sur les financements des grands projets et les questions liées au partenariat avec le reste du monde ». En effet, il est apparu à l‟expérience le manque d‟application des programmes de développement et l‟insuffisante impulsion et attraction des capitaux et les investissements étrangers comme a réussi à le faire l‟UEMOA avec son Programme Économique Régional. Le Secrétariat du NEPAD a multiplié les réunions, les ateliers et séminaires sans résultats tangibles. Cela traduit parfaitement l‟absence d‟une stratégie efficiente de communication à destination des opérateurs économiques internes et externes, des nombreuses institutions de financement ou des sociétés civiles africaines. Les quelques acteurs qui sont parvenus à briser l‟asymétrie d‟information sont restés complètement dubitatifs au point de ne prendre aucun engagement. Le NEPAD traîne, aujourd‟hui deux erreurs qui peuvent être fatales en perspective : l‟absence d‟un lien organique entre le Steering Committee et le Bureau directif du Comité de Mise en Œuvre (Heads of State and Government implementation Committee) et ensuite la mise en veilleuse des Cinq groupes thématiques sectoriels qui ont été définis dans le cadre de ce comité. Chaque groupe était placé sous la responsabilité d'un des États leaders selon la répartition suivante : Au Sénégal : infrastructures, environnement, NTIC, énergie En Afrique du Sud : paix et sécurité, bonne gouvernance publique ; Au Nigéria : bonne gouvernance économique et flux de capitaux ; En Algérie : développement humain (éducation, santé) ; En Égypte : accès aux marchés et agriculture Sur le premier point, il convient de rappeler que l‟approche « Top Down » adoptée dès le départ par les « pères fondateurs » suppose que les initiatives partent de haut vers le bas. En clair, le Secrétariat et tout autre organe du NEPAD devrait relever de la tutelle et du contrôle du Bureau Directif du Comité de Mise en Œuvre. Dans cette optique, la formation des groupes thématiques et leur affectation aux membres fondateurs renforce la tutelle en donnant aux Chefs d‟État responsables de groupes le contrôle de l‟élaboration des projets constitutifs de chaque thème recouvrant en fait les secteurs prioritaires du NEPAD. Dans pareil contexte, le Secrétariat devient un organe exécutif des projets élaborés et ficelés par chaque groupe thématique. À l‟évidence, sa feuille de route s‟éclaire en toute logique : rechercher le financement, informel, mobiliser les opérateurs privés, publics et institutionnels. La réunion d‟Alger du Comité de Mise en Œuvre qui attendait 15 Chefs d‟État et qui en définitif n‟en a compté que 5 (OBAJANSO, BOUTEFLIKA, MBECKI, 285 KOUFFOR, AMADOU TOUMANI TOURE, MELES ZENAWI et certains Premiers Ministres) se devait de repenser tout le dispositif institutionnel du NEPAD. Certaines questions sont vraiment arrivées à maturité comme la gestion des organes du Secrétariat, le processus concret de mise en œuvre du Programme ainsi que la remobilisation des dirigeants africains qui selon le Président Abdoulaye Wade « ne font pas beaucoup pour le NEPAD, s'ils ne comprennent pas simplement le sens de la démarche ». La question agitée depuis plusieurs Sommets de rattacher le Secrétariat du NEPAD basé à MIDRAND en Afrique du Sud à la Commission de l'Union Africaine continue d‟entretenir de profondes divergences. En effet, la finalisation du processus d'intégration du NEPAD à l'architecture globale de l'Union Africaine appelle « la même exigence de cohérence, de cohésion et d'harmonie dans la démarche » soutient le Président BOUTEFLIKA qui ajoute qu‟il est à craindre « une insuffisance de coordination en la matière avec l'Union africaine, dont le NEPAD est en fait l'émanation, voire une distorsion qu'il est urgent de rectifier ». Cette difficulté explique sans doute, selon le Président OBAJANSO, que « depuis 3 ans, nous n'avons pas pu réaliser l'intégration prévue pour l'an dernier. Nous espérons qu'une année de transition permettra le passage vers l'intégration totale du NEPAD dans les structures de l'Union Africaine ». Au demeurant, ce rattachement à l‟UA soulève beaucoup plus de problèmes qu‟il n‟en résout. Premièrement, l‟expérience passée montre que tous les projets de ce type rattachés au Secrétariat Exécutif ont souffert d‟une tutelle paralysante qui finit par n'accorder aucune attention aux dossiers économiques et à leur agenda: le Plan de Lagos et la mise en œuvre de la Communauté Économique Africaine en attestent largement. Deuxièmement, il existe un Département Économique au niveau de l‟Union Africaine qui ne se prévaut d‟aucun bilan positif ni en termes de réalisations de terrain ou d‟études techniques ou prospectives concernant le développement économique et la croissance de l‟Afrique. Où faut-il loger le NEPAD ? Quelles seront ses nouvelles attributions et ses liens avec les différents organes ayant en charge les questions économiques et financières ? Quelle sera la nouvelle architecture institutionnelle cohérente qui garantisse au NEPAD opérationnalité et souplesse? Troisièmement, le risque de politisation excessive pourrait être, à terme, fatale au Programme particulièrement s‟il s‟avère incapable d‟appliquer à tous les 53 États le principe « gagnant-gagnant » c‟est-à-dire assurer à tout le monde le bénéfice des investissements. Quatrièmement le problème du lien organique avec le Comité de Mise en Œuvre va toujours se poser tant que le NEPAD restera un Programme « Top Down ». À toutes ces questions viendront s‟ajouter d‟autres de moindre importance comme les coûts d‟agence, l‟impact des lourdeurs et longueurs des procédures de l‟UA sur le processus décisionnel du NEPAD. IV/ Impérative nécessité de préserver le Programme de la dernière chance pour le développement solidaire de l’Afrique. À y regarder de près trois raisons au moins militent profondément pour la sauvegarde du NEPAD par tous les africains : une raison de crédibilité, une raison liée à la qualité technique et au caractère novateur du document et la nécessité de préserver un instrument rodé de coopération internationale. La première raison pour préserver et consolider le NEPAD tient au fait que toutes les tentatives analogues passées se sont révélées infructueuses. En 286 conséquence, le raffermissement du Programme est éminemment une entreprise de crédibilisation des dirigeants, des experts et des élites d‟Afrique. Ce n'est pas la première fois que les Etats africains conçoivent des Plans de développement du continent. En effet, depuis les années 70, les Etats africains ont engagé plusieurs initiatives comme le Plan d‟Action de Lagos, la Charte de la Communauté Economique Africaine, la Décennie du développement industriel, la Décennie des Transports et des Communications, le Programme de Développement Accéléré de l‟Afrique, le CARPAS, sans le moindre succès. Les résultats ont été bien en deçà des espérances, ce qui a justifié les évaluations sévères de l‟époque comme «la décennie gâchée», «la décennie des espoirs déçus» ou encore «la décennie perdue». En effet, qu‟il s‟agisse de la croissance économique, de la résorption du double déficit structurel de la balance commerciale et des finances publiques, de la dette extérieure et intérieure, de la pauvreté, de la nutrition, de la santé, de l‟éducation en un mot de l‟amélioration du bien-être social, les performances sont extrêmement médiocres voire insignifiantes. Tout simplement, aucune de ces initiatives n‟a connu le moindre début d‟exécution pour réussir à pousser l‟Afrique sur la voie de la croissance et du développement économique et social. À l‟analyse, toutes ces initiatives montrent, en bout de course, l‟écart toujours grandissant entre le discours et la pratique entre les intentions proclamées et la réalité. Ces attitudes sont symptomatiques de l‟incapacité chronique des États africains à traduire les principes directeurs adoptés au niveau continental en politique, programmes et projets nationaux ainsi que le manque de détermination à poursuivre sans relâche les stratégies et politiques convenues. La seconde raison de la préservation du NEPAD est qu‟il est incontestablement un Programme novateur dans sa conception comme dans sa démarche. Les critiques conceptuelles et techniques formulées ça et là semblent ignorer totalement les orientations et les préoccupations des décideurs ainsi que le référentiel théorique qui est le modèle de croissance endogène. Sous ce rapport, le NEPAD propose une démarche novatrice, une stratégie de rupture construite par les dirigeants africains autour de 4 composantes : la réalisation des préalables politiques et institutionnelles qui créent la stabilité et la sécurité, la fixation des priorités sectorielles qui assurent les investissements, la compétitivité et la diversification des économies, la détermination d‟un cadre régional stratégique de mise en œuvre et la définition d‟un partenariat actif avec la communauté internationale, le secteur privé interne et externe, les institutions de financement. La stratégie du développement ainsi adoptée passe par l‟organisation des solidarités africaines comme marchepied vers la mondialisation inévitable et contraignante. La troisième raison de la consolidation du NEPAD est qu‟il est une initiative africaine de coopération et de partenariat en vue du développement et du transfert des technologies. Ce partenariat est fondé sur le principe de responsabilité mutuelle vis-à-vis des objectifs de croissance et de développement définis à travers les secteurs prioritaires. Dans cette optique, depuis sa création, les « pères-fondateurs » ont toujours été conviés aux réunions du G8 pour y soutenir le Programme. Ainsi, l'Afrique et le NEPAD étaient au cœur de l‟agenda du Sommet du G8 à KANANASKIS en 2002 à l‟issue duquel le NEPAD a été consacré comme le cadre de référence obligé pour la mise au point des stratégies de développement et de la coopération avec l'Afrique. Le Plan d'Action pour l'Afrique a été mis en place et le Canada s'est engagé à affecter 6 milliards de dollars de ressources nouvelles et existantes sur cinq ans (2002-2007). À GLENEAGLES en 2005, le G8 a examiné les progrès relatifs au Plan d'action pour l'Afrique et a fixé de nouvelles mesures notamment le doublement de 287 l‟aide à l'Afrique d'ici 2010 et l‟annulation totale des dettes des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) envers la Banque mondiale, le Fonds monétaire internationale et la Banque Africaine de Développement. Le G8, lors de sa rencontre d‟ HEILIGENDAMM (près de ROSTOCK, ville du nord de l'Allemagne) a une fois encore convié les responsables du NEPAD pour y présenter une plaidoirie pour un élargissement des acquis de la coopération NordSud (accroissement de l‟aide, effacement de la dette des pays africains les plus pauvres, aide insuffisante au développement, lutte contre les pandémies, etc.) et formuler de nouvelles propositions sur les grands sujets en discussion comme : «l'exploitation des matières premières», «le besoin de structures nouvelles et solides»; et de «canaux raisonnables» pour attirer les investissements en Afrique : « ne plus dilapider l'argent», mais «récompenser certains pays» pour leur «bonne gouvernance dans le cadre de partenariats. Il doit être question pour le NEPAD d‟approfondir cette coopération et de l‟élargir à la Chine, l‟Inde, le Japon, l‟Amérique du Sud. En définitive, ces trois raisons sont suffisantes pour établir l‟impérieuse nécessité de préserver le NEPAD comme étant l‟initiative de la dernière chance et qui a suscité une grande espérance comme outil de développement, d‟intégration et de coopération entre l‟Afrique et la communauté internationale. Alors, l‟enjeu majeur restera fondamentalement de créer une véritable « Task-Force » qui doit parvenir à finaliser et opérationnaliser les projets retenus dans le Plan d‟Action à Court Terme en vue de montrer les réalisations concrètes, susceptibles de persuader les populations africaines de sa pertinence. L‟Afrique plongée dans une crise sociale profonde, marginalisée et pillée de ses richesses y trouvera « une nouvelle voie de l‟espérance ». Les problèmes d‟organisation et d‟administration revêtent une importance capitale pour mériter une attention plus soutenue. La mise en œuvre du Programme impliquera à une grande échelle un ensemble d‟acteurs au niveau régional et continental, des bailleurs de fonds, des Institutions internationales, des Etats et des entreprises. Également, il est aussi attendu un volume appréciable de ressources financières mobilisées à partir de projets techniquement bien ficelés. Un Programme d‟une telle ampleur doit avoir un schéma institutionnel à la fois cohérent et efficace. Cela demande une administration fonctionnelle qui devra répondre à différentes préoccupations de transparence, de compétence, d‟efficacité, d‟indépendance vis-àvis des États en matière de gestion et de bonne gouvernance ; s‟il est vrai qu‟il faut éviter les pièges des principaux biais bureaucratiques observés au niveau de beaucoup d‟organisations internationales. L‟organigramme pourrait comprendre au moins trois maillons : d‟abord un maillon politique comprenant les décideurs de haut niveau. Ce maillon pourrait être le Comité actuel de mise en œuvre dont les attributions doivent être précisées, affinées avec des modalités d‟articulation avec le Président en exercice de l‟Union Africaine ; ensuite un maillon décisionnel où pourraient se retrouver tous les acteurs impliqués dans la réalisation du programme. Il devrait avoir des démembrements pour valider les activités et traduire en décisions les orientations dégagées par le CMO ; enfin un maillon d‟exécution où se réalise la coordination et la consolidation des projets régionaux, sous-régionaux et continentaux. C‟est ce maillon qui gère les ressources, lance et contrôle la passation des marchés, assure le suivi et l‟évaluation des projets. 288 Il faut s‟empêcher de tomber dans le travers d‟une sous-administration incapable de répondre aux multiples sollicitations techniques émanant d‟acteurs divers. En conséquence, le NEPAD doit être doté d‟une administration compétente capable d‟assurer une nouvelle gouvernance des rapports de l‟Afrique avec le monde. La réflexion doit se poursuivre en vue de trouver ce schéma institutionnel et son organigramme adéquat. Tous les analystes conviennent que les taux de croissance actuels en Afrique ne sont pas assez élevés pour freiner les tendances à la baisse des économies et pour réduire ou éradiquer une pauvreté rampante. Les pays isolés ne peuvent point atteindre ces objectifs, une trentaine d‟expérience d‟ajustement le prouve largement. L‟intégration économique est la solution pour l‟Afrique, principalement parce qu‟elle permet, tout au moins aux économies du continent, d‟être mieux présentes sur le marché mondial, de profiter des débouchés de proximité et d‟offrir un meilleur cadre d‟exploitation des avantages comparatifs, de mettre en commun les ressources pour l‟investissement, d‟élargir les marchés locaux et de mener un processus d‟industrialisation efficace en exploitant les économies d‟échelle et en tirant parti des possibilités d‟intégration verticale transfrontalière et de partage de la production. En élargissant les marchés, en facilitant l‟accès aux intrants et en accroissant le volume potentiel de production des entreprises, l‟intégration contribuera à attirer les Investissements Directs Étrangers (IDE) et à atténuer certains effets défavorables de l‟environnement économique et monétaire international. Cependant, à l‟heure de la globalisation inéluctable, l‟objectif n‟est plus, certainement pour un pays ou un groupe de pays, de rechercher une autonomie collective sur la base d‟un modèle de substitution aux importations et un développement autarcique ou autocentré. Ces illusions sont balayées par les nouvelles perspectives offertes par l‟intensification des échanges qui font que chaque pays cherche à tirer profit de la croissance tirée par les exportations. C‟est pourquoi, depuis au moins une vingtaine d‟années, les économistes tentent de déterminer les coûts et les avantages de la participation à une union économique et monétaire efficiente. Car ce n‟est pas en additionnant des marchés étroits et mal constitués, souvent soumis à de multiples barrières qu‟on aboutit inéluctablement à l‟intégration et bénéficier de ses avantages. Il y a toute une dynamique à enclencher dans un schéma organisationnel pertinent au double plan technique et institutionnel. 289 CHAPITRE 27 INTÉGRATION MONÉTAIRE AFRICAINE A LA LUMIÈRE DE L’EXPÉRIENCE EUROPÉNNE L‟intégration monétaire est un élément essentiel de l‟intégration économique régionale. Elle doit être forte pour que cette dernière évolue, au-delà des accords de libre-échange et des unions douanières, vers un véritable marché commun (EICHENGREEN 1998). En effet, s‟il apparaît que la croissance soutenue et régionalement équilibrée est un objectif majeur, ni les pays, ni les organisations d‟intégration ne pourraient continuer d‟accorder à la monnaie une place marginale. Dans un processus d‟intégration qui restructure les divers systèmes de production, le volet monétaire sous la forme d‟un système techniquement approprié aura au moins trois fonctions principales de financement des opérations productives communautaires, de compensation multilatérale des soldes financiers entre partenaires, et de financement des difficultés de trésorerie d‟un pays membre. La première fonction a trait à l‟objet même de la politique monétaire qui, à partir d‟une centralisation des réserves en devises, met les moyens financiers à la disposition des unités communautaires. Cela suppose l‟unification des institutions monétaires et financières pour rendre possible l‟instauration de rapports monétaires et une politique régionale de crédit. Le crédit est un acte économique qui unifie les processus de production et de circulation. Il est, selon le mot de M. AGLIETTA, une assignation sur la production future et en même temps une condition de l‟achat des moyens de production pour la mise en valeur du capital. Il est alors une variable clef de l‟investissement, donc de la croissance. La seconde fonction fait de la monnaie un instrument d‟accroissement des échanges communautaires. Dans le cadre de pays liés par une division du travail, la monnaie confère à ses usagers deux principaux avantages : l‟usage potentiel d‟un espace plus étendu pour les transactions réelles et financières ; et une garantie pour ces mêmes transactions. Ainsi serait mis sur pied un système qui permettrait une compensation multilatérale des soldes financiers résultant des échanges commerciaux. Dans ce cadre, les Banques Centrales pourraient se concéder des lignes de crédits réciproques. Quant à la troisième fonction de la monnaie, elle réside dans la possibilité de création de mécanismes de péréquation qui feraient circuler les surplus financiers des pays excédentaires vers les pays déficitaires et dans la mise en place des structures de coopération qui permettraient de régler les difficultés de trésorerie d‟un pays moyennant de rigoureuses conditionnalités concernant l‟intégralité de la gestion du développement. À cela s‟ajoute que, dans une conjoncture de turbulence monétaire et financière, comme c‟est le cas actuellement, les unions monétaires quelles que soient leurs formes, constituent les espaces de stabilité et d‟amortissement des risques. La zone franc en offre une illustration avec des performances satisfaisantes par rapport à celles des pays comparables : les taux de croissance, les niveaux d'inflation et la stabilité tant monétaire que celle du taux de change ont atteint des paliers acceptables. Ces résultats peuvent être attribués à l'existence d'une banque centrale supranationale relativement indépendante, à la discipline qu'impose le taux de change fixe et à la sécurité qu'offre la garantie de convertibilité du franc CFA fournie par la France. Au-delà, les différents membres de l'Union souscrivent généralement à la lettre et à l'esprit de l'intégration monétaire. En d‟autres termes, une union monétaire convenablement élaborée et bien gérée pourrait offrir à ses membres des 290 avantages considérables. Lorsque des pays adoptent une forme poussée de coopération telle qu‟une monnaie unique, les échanges internationaux se développent de manière notable (ROSE 1999; GLICK et ROSE 2001; BUN et KLAASSEN 2002) et il en va de même pour les performances économiques et la production par tête d‟habitant dans les pays concernés (FRANKEL et ROSE 2000). Section 1 : Les enjeux de la construction d'un espace monétaire optimal comme accélérateur de l'intégration africaine. En se référant à la théorie des zones monétaires optimales et en mettant l'accent sur l'expérience européenne dans ce domaine, on identifie les variables essentielles permettant d'évaluer le potentiel d'une zone économique donnée en tant que sphère d'intégration monétaire : une grande mobilité des facteurs, l'ouverture économique de chaque pays, une forte diversification de la production, une faible vulnérabilité aux chocs extérieurs, un degré convenable d'intégration des politiques et une grande flexibilité des salaires et des prix. Ces conditions observées dans l‟Union Européenne souvent présentée comme un modèle d'intégration monétaire, sont-elles applicables à l'Afrique ? En d‟autres termes, l'intégration monétaire est-elle possible et quelles en sont les mécanismes et les étapes ? La pertinence de l'approche dépend de la nature des avantages attendus d'une intégration monétaire. S'il s'agit essentiellement d'un renforcement de la discipline et de la stabilité monétaire, il importe peu que la zone envisagée soit « optimale » ou pas. L‟étude de l‟optimalité et de la convergence économique en Afrique est arrivée à l‟heure de la mondialisation marquée par une turbulence extrême des marchés financiers dominants et l‟achèvement en Europe de la monnaie unique (l‟euro), particulièrement avec l‟harmonisation des politiques budgétaires. La démarche de l‟Union Européenne va nécessairement influencer en général l‟avenir monétaire de l‟Afrique ainsi que ses perspectives de développement. L‟évolution de l‟économie africaine s‟est illustrée à travers des performances économiques et sociales globalement modestes. Plus de deux décennies d‟application des PAS n‟ont point modifié fondamentalement le contexte d‟un espace économique et monétaire africain non optimal marqué par de profondes disparités. Encadré 18 : La théorie des zones monétaires optimales L'unification monétaire offre des gains microéconomiques et impose des coûts macroéconomiques : la mise en balance de ces effets détermine le degré d'optimalité d'une zone monétaire. Si l'on suppose que les chocs macroéconomiques qui frappent des pays de manière asymétrique peuvent être résolus par les mouvements de taux de change, la disparition de cette variable d'ajustement doit être compensée par des mécanismes rééquilibrants. Quels sont-ils ? En quoi permettent-ils (Mundell, 1961), de faire face à un choc de demande (du déplacement de la demande des consommateurs d'un pays A vers les produits fabriqués dans le pays B) ? - La mobilité de la main d'œuvre doit être suffisante pour éviter l'apparition de poches de chômage en A et de pénuries de main d'œuvre en B ; - La flexibilité des salaires permet de reconquérir la compétitivité coût en A ; - L'interdépendance commerciale entre les membres d'une Union monétaire permet à un pays frappé par la récession de conserver une source de croissance, de ses exportations vers les pays plus dynamiques (McKinnon, 1963) ; - Le fort degré de diversification de l'appareil productif dilue les effets d'un choc de demande frappant un secteur donné (Kenen, 1969). 291 Les chocs asymétriques sont alors atténués, même en cas de faible mobilité internationale de la main d'œuvre, car, à cette dernière, se substitue une mobilité intersectorielle dans le pays touché. On pourrait même dire que, entre économies très diversifiées, la probabilité de chocs asymétriques diminue. Reste à savoir comment évolue la spécialisation de chaque pays une fois l'union monétaire constituée. D’après: L’Économie contemporaine en 10 leçons, Edition Sirey, P.503 I/ Les critères de convergence, l’harmonisation des politiques et le système de surveillance multilatérale : les nouveaux déterminants de l’intégration. La mise en place des organisations d‟intégration a pour but d‟éliminer ces dissemblances, avec une plus grande mise en cohérence des politiques économiques entre les États membres afin de promouvoir le processus d‟intégration économique sur la base, d‟une part, des acquis importants du continent, et d‟autre part, du respect d‟un certain nombre de critères de convergence économique d‟ordre monétaire, budgétaire et financier. Même si les pays membres des unions économiques et monétaires africaines de la Zone Franc ne connaissent pas encore les efficiences attendues de l‟intégration économique et monétaire, ils ont tout de même entamé un processus de convergence de leurs économies de part et d‟autre des deux sous-régions d‟Afrique Francophone avec l‟UEMOA et la CEMAC. Le processus de convergence connaît des avancées plus prononcées dans la zone UEMOA que dans celle de la CEMAC, même si cette dernière réalise de bien meilleures performances (mais non les meilleures harmonisations de politique économique) en terme de respect des critères de convergence économique retenus dans le cadre de la Surveillance Multilatérale. Toutefois, ce processus de convergence demeure relativement lent, ce qui nécessite de la part des pays membres, de gros efforts non seulement pour consolider les acquis favorisés par l‟ajustement de la parité de 1994, mais aussi œuvrer dans le sens du respect des critères de convergence et de l‟harmonisation des politiques économiques. Cette double recommandation rentre dans le cadre d'un processus d‟intégration économique et monétaire stable et durable. C‟est dans cette perspective que s‟inscrit la nouvelle dynamique d‟intégration en Afrique de l‟Ouest, en Afrique Centrale et tout récemment au niveau du Continent. L‟objectif visé à tous égards est de permettre aux pays africains de développer des avantages comparatifs et d‟améliorer leur compétitivité dans un environnement de mondialisation. Ceci traduit la nécessité de faire évoluer la question monétaire vers une stratégie de développement dont les Africains eux-mêmes auront à tenir les leviers. C‟est là le fondement de la création d‟un espace monétaire africain restructuré et guidé par des idées novatrices qui seraient empreintes d‟un esprit de responsabilité individuelle, impliquant profondément tous les acteurs. II/ Pourquoi structurer un espace monétaire africain? S‟il apparaît que la croissance soutenue et régionalement équilibrée est l‟objectif majeur, ni les pays, ni les organisations d‟intégration ne pourraient continuer d‟accorder à la monnaie une place marginale. Dans un processus d‟intégration qui restructure les divers systèmes de production, le volet monétaire 292 sous la forme d‟un système techniquement approprié aura au moins trois fonctions principales : de financement des opérations productives communautaires, de compensation multilatérale des soldes financiers entre partenaires, et de financement des difficultés de trésorerie d‟un pays membre. Dans cette turbulence monétaire, les unions monétaires quelles que soient leurs formes, constituent un excellent moyen de maintenir ou même d‟élargir les échanges commerciaux. C‟est précisément la leçon que l‟on peut tirer de l‟organisation du Système Monétaire Européen (SME) institué depuis 1979 après les expériences du « Serpent Monétaire » qui s‟est achevée par la mise en place de la monnaie unique. La nouvelle institution, malgré ses imperfections, ses difficultés de fonctionnement parfois même ses blocages, est généralement admise et acceptée comme indispensable à travers les objectifs : de création d‟une zone de stabilité dans un ordre monétaire international en déconfiture, fluctuant et incertain ; de changement de contexte de la lutte contre l‟inflation dans l‟ensemble de la communauté ; d‟établissement des bases et fondements d‟une coopération monétaire, donc d‟un développement solidaire sous la double forme de l‟instauration des conditions de mise en commun des réserves de change et d‟accroissement des concours aux Etats membres ayant des problèmes de financement. L‟extrême poussiérisation des zones et des statuts monétaires actuels face à l‟accentuation des déséquilibres macrofinanciers facilite la satellisation à des zones monétaires extérieures, au détriment de la recherche obstinée d‟une formule d‟intégration monétaire. Dès lors, le problème n‟est point, pour les pays d‟Afrique, de savoir si le SME ou un tout autre système est une bonne ou mauvaise affaire, mais plutôt de savoir plus exactement ce qu‟il faut faire pour établir les conditions de création et de fonctionnement d‟un Système Monétaire Régional (SMR). En effet, selon le mot de R. NURSKE, le capital doit être généré localement pour être un instrument qui facilite la production et l‟échange des biens et services. Personne aujourd‟hui ne met en doute ce principe, pas plus que ses implications dont la plus importante est la nécessité de créer des institutions et des instruments financiers efficaces et diversifiés. L‟Afrique, en la matière, est caractérisée par l‟existence de plus d‟une trentaine de monnaies nationales différentes et d‟une pluralité de politiques et de régimes monétaires. Ces monnaies sont souvent rattachées à des monnaies étrangères sans possibilités de liens réciproques à cause des contrôles de change rendus obligatoires par l‟inconvertibilité. Ce cloisonnement est donc un obstacle au développement des échanges, mais aussi à l‟instauration d‟une politique monétaire et de crédit. Par ailleurs, l‟extrême variété des systèmes financiers n‟autorise pas encore l‟harmonisation des législations bancaires et celle des politiques de taux d‟intérêt. Quel système monétaire mettre en place ? Quelles en seraient les étapes de réalisation? Ces deux questions ont fait l‟objet de plusieurs réflexions et propositions(3) dont il faut rendre compte pour mieux avancer vers l‟établissement (3) On peut citer les travaux de : S. AMIN : « Propositions pour une association monétaire des États de l’Afrique de l’Ouest » Colloque, Faculté de Droit Dakar, 25 mars – 2 Avril 1978. P. DESNEUF : « La chambre de compensation » Revue Africa n°89, Janvier 1977. « Afrique de l’Ouest : la fin de la zone sterling », Africa n°89, Mars 1977. Problèmes monétaires en Afrique de l’Ouest Mois en Afrique, Février, Mars 1980. 293 d‟institutions monétaires et financières qui centralisent les ressources et les traduisent en investissements productifs. L‟idée consiste à concevoir les conditions possibles de création en Afrique d'une zone monétaire (optimale) et stable. En effet, l'enjeu est de concevoir dans le continent, à partir de l'expérience institutionnelle des différentes tentatives d‟intégration économique, un réaménagement monétaire fondé sur des moyens et des orientations prioritairement africains, en définissant les conditions préalables de respect de certains critères de convergence macro-économique, d'une part, mais aussi en redéfinissant nécessairement les espaces économiques à intégrer, d'autre part. La création dans les États africains de conditions de gestion optimale de la monnaie constitue le premier jalon de la souveraineté et de la responsabilisation des Africains dans la construction de leur société. Ceci est un préalable à la relance des économies par le rétablissement de la compétitivité et de la crédibilité extérieure, avec une autonomie d'initiative et une maîtrise des décisions et actions. Pour que ce projet puisse se réaliser, il faut commencer, dès à présent à apprendre aux Africains à se démarquer de toute idée relative au maintien de ces multiples États (et monnaies). L'avènement de l'euro dans la construction de l'Europe est une occasion (pour ne pas dire une chance) pour les africains en général, de réfléchir sur la manière de développer l‟Afrique. De ce fait, les africains ne sont-ils pas en train de "repousser à demain ce qu'il est opportun de faire aujourd'hui"? C'est-à-dire prendre leurs responsabilités dans la gestion de leur société. Toutefois, nous précisons que la volonté de prendre des responsabilités essentiellement africaines dans la gestion de leur monnaie est moins une rupture avec l'Europe ou les États-Unis d‟Amérique, qu'une nécessaire reformulation des accords de coopération qui deviendraient, désormais, réellement bilatéraux en permettant aux Africains de prendre conscience de l'opportunité que leur continent représente pour l'Europe et le monde en général. La peur de cette "rupture" (réarrangement) provient du fait que dans le cadre des relations entre l'Afrique et les autres pays développés en général, les opportunités qu'offre le continent africain sont souvent passées sous silence, voire négligées par les africains eux-mêmes, contrairement à celles que présente le partenaire concerné. Cela crée et renforce la situation et l'esprit de dépendance qui freinent toute ambition de relance économique et de développement. Section 2 : Les leçons tirées de l’expérience européenne : arguments et mécanismes en faveur d’un Système Monétaire Régional tirés du Rapport de la Commission R. JENKINS. La Commission présidée par le Commissaire Roy JENKINS avait produit un rapport très documenté sur les arguments qui militent en faveur de l‟établissement d‟un SMR. Ces arguments au nombre de sept(7) sont le meilleur plaidoyer pour un Système Monétaire Régional : O. BERTE : Contribution à la recherche d’une stratégie d’intégration en Afrique de l’Ouest. Thèse de Doctorat, soutenue en Nov. 1985. Faculté des Sciences Économiques de Dakar, 713 p. 294 1. Il permet d’impulser et rationaliser le développement industriel régional Le premier argument est que l‟Union Monétaire favorise une rationalisation plus efficace et plus poussée de l‟industrie et du commerce que ne le permet à elle seule une union douanière. Cet argument est aussi valable aujourd‟hui qu‟il l‟a toujours été, et sa valeur reflète dans les tentatives répétées qu‟a connu l‟histoire européenne de constituer des unions monétaires, par exemple l‟union monétaire austro-allemande de 1857, l‟union monétaire latine conduite par la France en 1865 et l‟union scandinave de 1873. 2. Il fournit des piliers solides aux politiques monétaires et de crédit Le deuxième argument se fonde sur les avantages qu‟il y aurait à créer une nouvelle devise internationale importante s‟appuyant sur le rayonnement et la force économiques de la Communauté qui, comme l‟observe R. Jenkins « sans nos divisions et nos divergences sur le plan monétaire, seraient comparables à celles des États-Unis ». Une devise européenne qui constitue un autre pilier commun du système monétaire mondial présenterait de grands avantages et serait encore plus nécessaire, compte tenu des problèmes actuels du dollar et des déséquilibres qu‟il risque d‟entraîner. La Communauté serait ainsi débarrassée de nombreuses préoccupations à court terme en matière de balance des paiements. Elle pourrait traverser avec une relative sérénité de courtes périodes accusant des résultats commerciaux défavorables, s‟accompagnant d‟une chute de quelques points du taux de change. Les taux internationaux seraient plus stables étant donné qu‟ils spéculeraient sur des risques de change moindres et l‟Europe profiterait du fait qu‟elle serait émettrice d‟une devise mondiale. Dans une large mesure, les problèmes nationaux de balance des paiements, au sens où les États membres de la Communauté les ressentent aujourd‟hui, ne pèseraient plus directement sur la gestion économique. 3. Change le contexte de lutte contre l’inflation Le troisième argument concerne l‟inflation. Il est pratiquement certain que l‟Union Monétaire modifiera radicalement le paysage actuel en conduisant à un mouvement commun des prix. Mais, il est plus discutable, que l‟union monétaire puisse faciliter l‟ouverture d‟une nouvelle ère de stabilité des prix en Europe et représenter une rupture décisive avec le désordre inflationniste chronique des années 70. Évidemment, les sources de l‟inflation contemporaine sont diverses et la plus importante d‟entre elles résulte de ce qui peut sembler être des conflits essentiellement intérieurs et éminemment politiques au sujet de la distribution des revenus. Mais supposons, à un moment ou à un autre, une réforme monétaire : l‟émission d‟une nouvelle devise unique par une autorité monétaire européenne, et l‟adoption par cette autorité d‟une politique résolue et relativement indépendante visant à contrôler l‟émission des billets et la création de monnaies par les banques. 4. Il impulse la demande pour combattre le chômage Le quatrième argument concerne l‟emploi : actuellement, une recette à moyen terme qui viserait à réduire l‟inflation sans avoir d‟effet bénéfique sur l‟emploi n‟est pas acceptable. Les niveaux actuels de chômage constituent le mal social le plus grave et le plus dangereux auquel nous avons à faire face. Au mieux, ils engendrent une prudence et un immobilisme nationalistes et défaitistes. Au pire, ils menacent la stabilité de nos systèmes sociaux et politiques. 295 La Communauté compte plus de huit millions de chômeurs. Il est typique de constater que, dans les plus grands États membres, le niveau d‟un million de chômeurs a longtemps été considéré, après-guerre, comme une sorte de barrière politique. L‟impensable a été dépassé sans catastrophe, jusqu‟à présent. Mais personne ne devrait se laisser aller à supposer que cette situation peut se maintenir longtemps sans causer un dommage irréparable au bien-être des millions de familles directement affectées par le chômage, au moral et aux motivations de toute une génération de jeunes, à la stabilité et au consensus dans nos sociétés. 5. Il peut atténuer les déséquilibres régionaux en Afrique Le cinquième argument concerne la répartition des emplois et du bien-être économique entre les différentes régions d‟Europe. L‟Union Monétaire n‟assurera pas, comme par enchantement, une répartition régionale harmonieuse des avantages tirés d‟un renforcement de l‟intégration et de l‟union économiques. Ceux qui ont critiqué une conception purement libérale de l‟économie monétaire, qui n‟aurait d‟autre objectif que de créer des conditions de concurrences parfaites, ont de solides arguments à faire valoir. 6. Il donne plus de consistance et vigueur aux institutions d’intégration Le sixième argument est d‟ordre institutionnel : le niveau auquel des décisions doivent être prises ou le degré de décentralisation que nous devrions chercher à maintenir dans la Communauté. L‟Union Monétaire impliquerait qu‟une nouvelle grande autorité serait chargée de gérer les taux de change et les réserves extérieures et de définir les grandes orientations de la politique monétaire intérieure. En matière de finances publiques, les infrastructures de l‟union monétaire impliquent une argumentation substantielle du transfert des ressources par le canal des institutions communautaires. La question qui se pose est la suivante : l‟union monétaire est-elle compatible avec les fortes pressions que l‟on voit exercer dans presque tous les États membres, en faveur d'un système de gouvernement plus décentralisé ? 7. Il génère une nouvelle dynamique d’accélération de l’intégration C‟est l‟argument purement politique selon lequel l‟union monétaire s‟offre comme véhicule de l‟intégration politique européenne. Comme l‟a déclaré Jacques Rueff en 1949 : « L‟Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas ». Je ne serai pas tout aussi catégorique. Néanmoins, il devrait être plus clair que la réussite d‟une union monétaire européenne ferait franchir à l‟Europe un seuil politique. I/ Le fonctionnement du SME : Taux de change stables mais ajustables Quatre éléments caractérisent l‟établissement, entre les pays de la Communauté adhérant au système, de taux de changes stables mais ajustables : l‟existence d‟un numéraire commun ; la fixation des marges de fluctuation ; la possibilité de modifier les cours-pivot en E.C.U. ; l‟organisation des relations entre les monnaies du S.M.E. et l‟extérieur. 1°) Existence d’un numéraire commun Une unité monétaire européenne, l‟E.C.U. constitue l‟élément central du système. 296 Il est établi pour chaque monnaie du système une équivalence fixe Ŕ mais modifiable Ŕ avec l‟E.C.U., appelé cours-pivot (2). Ce cours-pivot est notifié au FECOM. On peut comparer les cours-pivot du S.M.E. aux « pairs » déclarés au F.M.I. lors du régime de taux de change fixe établi par le système de Bretton-Woods. La composition de l‟E.C.U. peut être révisée : une telle décision est toutefois subordonnée à un accord mutuel et ne doit pas avoir pour effet d‟introduire une solution de continuité dans la valeur externe de l‟E.C.U. La résolution du 5 décembre prévoit, à cet égard, que les poids des monnaies entrant dans la composition de l‟E.C.U. feront l‟objet d‟un réexamen et au besoin d‟une révision : dans un délai de six mois à compter de l‟entrée en vigueur du système ; par la suite, tous les cinq ans, ou sur demande, si le poids de l‟une des monnaies a varié de 25%. 2°) Fixation de marges de fluctuation Le quotient des cours-pivot exprimés en E.C.U. permet de déterminer, pour les monnaies adhérant au système, une grille de cours-pivot bilatéraux comparables aux « parités » du système de BRETTON-WOODS et du mécanisme du « SERPENT ». Les marges de fluctuation établies de part et d‟autre des cours-pivot bilatéraux permettent de fixer les cours d‟intervention auxquels les pays participants sont tenus de vendre ou d‟acheter leur monnaie en quantité illimitée. Ces cours sont communiqués au marché. Le fonctionnement est d‟une grande simplicité, tant en cas de modification des cours-pivot ou de retrait d‟une monnaie : la modification du cours-pivot en E.C.U. d‟une monnaie n‟oblige pas les autres participants à modifier leurs cours-pivot bilatéraux, ni leur cours limite d‟intervention vis-à-vis des autres monnaies de participation ; le changement de la valeur d‟une monnaie restée en dehors ou s‟étant retirée du système de change, n‟entraîne pas davantage d‟incidences. 3°) Possibilité de modifier les cours-pivot Pour éviter les rigidités antérieures et permettre les ajustements qui se révéleraient indispensables, les promoteurs du S.M.E. ont tenu à « dédramatiser » les modifications éventuelles des taux de change. Les changements de cour-pivot doivent cependant être effectués par accord mutuel entre les pays participants au mécanisme du système de change. Les décisions importantes concernant la politique de taux de change font, par ailleurs, l‟objet de consultations réciproques Ŕ dans le cadre de la Communauté Ŕ entre pays membres et pays non membres du système. 4°) Relations entre S.M.R. et l’extérieur Le S.M.R. a l‟ambition de constituer une zone de relations de change stables entre monnaies participantes dans un univers de taux de change flottants. Par opposition toutefois au mécanisme du « serpent » dans le « tunnel », cette zone n‟est arrimée à aucune monnaie tierce. La résolution du 5 décembre 1978 s‟efforce de situer le S.M.R. dans l‟ordre monétaire international existant, et notamment par rapport : 297 aux pays tiers ; aux pays européens qui désireraient s‟associer au système de change ; au Fonds monétaire international. II/ La marche européenne vers la monnaie unique l’euro : un étapisme monétaire régulé et maîtrisé. Conformément au traité instituant la Communauté Européenne modifié par le « Traité de Maastricht » entré en vigueur le 1er novembre 1993, l‟union économique et monétaire s‟est effectivement réalisée en trois phases : La première phase, qui s’est terminée le 31 décembre 1993, a consacré la fin des financements des déficits publics générés par la création monétaire dans les États membres et a donné lieu à la levée des restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres d‟une part et entre les Etats membres et les pays tiers d‟autre part. La deuxième phase a débuté le 1er janvier 1994 et, conformément au Traité, doit se terminer au plus tard le 1er janvier 1999. L‟Institut Monétaire Européen (IME, composé des gouverneurs des banques centrales) a été créé, et est chargé, pour les sujets de sa compétence, de préparer la troisième phase. Au cours de cette phase, les États membres entament le processus conduisant à l‟indépendance de leurs banques centrales et s‟efforcent d‟éviter les déficits publics excessifs. Ils ne procèdent plus au financement monétaire de leurs déficits publics. La troisième phase est introduite par le Conseil européen de Madrid des 15 et 16 décembre 1995 qui a confirmé que cette phase commencera le 1er janvier 1999, dans le respect des critères de convergence, du calendrier, des protocoles et des procédures établis par le Traité. III/ Le dispositif technique de l’union économique et monétaire 1°) Conditions et modalités de passage à la monnaie unique La capacité des États à entrer en troisième phase suppose un degré de convergence économique élevé et durable. Celui-ci sera apprécié par le Conseil des ministres des finances et le Conseil européen sur la base des performances de l‟État membre concerné en matière d‟inflation, de finances publiques, de changes et de taux d‟intérêt à long terme. Le Traité impose aux États membres de satisfaire aux critères de convergences suivants : la réalisation d‟un degré élevé de stabilité des prix est acquise dès lors que le taux d‟inflation n‟excède pas de plus de 1,5% la moyenne des trois meilleures performances de l‟Union ; le caractère soutenable de la situation des finances publiques est apprécié par rapport à des valeurs de références fixées par le Traité pour le déficit et la dette des administrations publiques rapportée au PIB (seuils de 3% pour le ratio de déficit et de 60% de dette) ; le critère de change impose le respect des marges normales de fluctuation prévues par le mécanisme de change du SME pendant deux ans au moins, sans dévaluation de la monnaie par rapport à celle d‟un autre État membre ; le caractère durable de la convergence se reflète dans le niveau des taux d‟intérêt à long terme : celui-ci ne doit pas excéder de plus de 2% la moyenne des taux d‟intérêt des trois pays les plus performants en matière d‟inflation. 298 2°) les procédures permettant d’accélérer le processus de convergence au sein de l’Union ont été mises en place dès l’entrée en vigueur du Traité : D‟abord, la procédure des grandes orientations des politiques économiques, prévue par l‟article 103 du Traité a été mise en œuvre dès Décembre 1993. Cet article prévoit que le Conseil à la majorité qualifiée sur recommandation de la Commission, élabore un projet pour les grandes orientations des politiques économiques des Etats membres et de la Communauté, dont il fait rapport au Conseil européen. Les conclusions du Conseil européen servent ensuite de fondement à la recommandation relative aux grandes orientations adoptées définitivement par le Conseil ECOFIN à la majorité qualifiée. Le Parlement européen est simplement informé de cette recommandation. De nouvelles grandes orientations sont adoptées chaque année en Juillet (en dernier lieu, en Juillet 1996). Celles-ci s‟articulent autour de trois axes : stabilité monétaire interne et externe, assainissement budgétaire, réformes structurelles. Ensuite, le traité organise un suivi collectif de ces orientations. Le Conseil européen a montré l‟importance qu‟il attachait à cette surveillance multilatérale : les conclusions du Conseil européen de Bruxelles de Décembre 1993 prévoient que le Conseil des ministres des finances doit faire un rapport chaque année au Conseil européen sur la mise en œuvre des grandes orientations. À terme, un État qui ne respecterait pas ces orientations dont le contenu est assez précis pourrait se voir adresser une « admonestation » par ses pairs. En outre, les États membres établissent des programmes pluriannuels de convergence, au titre de l‟article 109 E 2, destinés à assurer la convergence durable nécessaire à la réalisation de l‟UEM, en particulier en ce qui concerne la stabilité des prix et la situation saine des finances publiques. L‟élaboration de tels programmes n‟était obligatoire qu‟en première phase, mais les États membres continuent à en produire en seconde phase. Enfin, le Traité a prévu la procédure des déficits publics excessifs (article 104 C) : Le Conseil des ministres des finances, sur la base d‟une recommandation de la Commission, décide à la majorité qualifiée si un Etat membre est ou non en situation de déficit public excessif, c‟est-à-dire s‟il respecte ou non le critère de la situation des finances publiques posé par le Traité. Pour les États membres ne faisant pas l‟objet d‟une dérogation, les conséquences d‟une mise en situation de déficit public excessif seront renforcées après l‟entrée en troisième phase. L‟article 104 C 9 dispose que si un État membre persiste à ne pas donner suite aux recommandations du Conseil, celui-ci peut décider de mettre l‟Etat membre concerné en demeure de prendre, dans un délai déterminé, des mesures visant à la réduction du déficit jugée nécessaire par le Conseil pour remédier à la situation. Un pacte de stabilité et de croissance validé au Conseil européen d‟Administration a précisé les conditions d‟application de cette procédure (calendrier des étapes de la procédure, montant des sanctions, …). Les Chefs d‟État ou de gouvernement ont en effet validé, à Amsterdam, deux règlements du Conseil et la résolution constituant ce pacte de stabilité et de croissance. Ce pacte est destiné à assurer la gestion saine des finances publiques dans la zone euro, afin d‟éviter que la politique budgétaire laxiste d‟un État membre ne pénalise les autres par le biais de son impact sur les taux d‟intérêt de la zone. Il comporte deux volets : 299 La concertation sur la situation économique et financière des États membres (article 103 du Traité) : les États membres présenteront dans des « programmes de stabilité » (pour les pays de la zone Euro) et des « programmes de convergence » (pour les autres États membres) les objectifs de comptes publics à moyen terme qu‟ils se seront fixés, ainsi que leurs hypothèses sur l‟évolution à moyen terme de l‟environnement économique. Ces programmes serviront de base à la surveillance du Conseil destinée à prévenir à l‟avance toute dérive significative des comptes publics. Le cas, échéant, le Conseil pourra émettre des recommandations et les rendre publiques. Le fonctionnement de la procédure des déficits excessifs (article 104 C du Traité) : un État membre de la zone euro dont le déficit public excède 3% du PIB disposera d‟un an pour réagir. En cas d‟inaction persistante, et après avertissements du Conseil (recommandation, éventuellement rendue publique, puis mise en demeure), il pourra être soumis à des sanctions financières. Ces sanctions (constitution d‟un dépôt sans intérêt, transformé en amende au bout de deux ans) comprendront une partie fixe, de 0,2% du PIB, une partie variable fonction de l‟ampleur du déficit, et seront plafonnées à 0,5% du PIB. Le Conseil pourra en outre exempter un État membre de cette procédure, si ce dernier subit des circonstances exceptionnelles et temporaires, qui ont été définies à Dublin. 3°) Le passage à la monnaie unique Conformément au Traité, les chefs d‟État ou de gouvernement réunis au Conseil européen de Dublin, ont procédé à un premier examen de la convergence, sur la base des rapports de la commission et de l‟Institut monétaire européen. Ils ont constaté qu‟une majorité des États membres ne remplissait pas les conditions nécessaires pour l‟adoption d‟une monnaie unique et donc conclu, conformément à l‟article 109 J 4 du Traité, que la troisième phase commencera le 1 er janvier 1999. L‟examen des critères pour l‟entrée en troisième phase le 1er Janvier 1999 aura lieu le plus tôt possible en 1998. La période intérimaire : du début 1998 au 1er Janvier 1999. Une première étape, dite « période intérimaire », concernera avec la définition, dès que possible en 1998, de la liste des États membres qualifiés pour entrer en troisième phase de l‟UEM sur la base des données de l‟année 1997 et se terminera le 1er janvier 1999 Le directoire de la Banque Centrale Européenne (BCE) sera nommé et la nouvelle BCE se substituera à l‟Institut Monétaire Européen (qui fonctionne depuis le 1er janvier 1994 et dont le siège se trouve à Francfort). La législation nécessaire à la conduite d‟une politique monétaire en monnaie unique par le Système Européen de Banques Centrales (SEBC, composé de la BCE et des banques centrales nationales) dès le début de la troisième phase, sera adoptée : clés de répartition pour la souscription du capital ; collectes d‟informations statistiques ; réserves obligatoires ; consultation de la BCE ; amendes et astreintes qui peuvent être infligées aux établissements. 300 Dans cette étape, la BCE et le SEBC se prépareront à la phase opérationnelle par l‟adoption du cadre réglementaire nécessaire à leur fonctionnement. La période transitoire, du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001 Le Conseil européen de Madrid a retenu « euro » pour nom de la monnaie unique à partir du début de la troisième phase. Il s‟agit d‟un nom complet, non d‟un préfixe qui précéderait les noms des monnaies nationales. Une seconde étape du calendrier commencera avec l‟entrée en troisième phase, er le 1 janvier 1999 et se terminera le 31 Décembre 2001, avec le début de l‟introduction des pièces et des billets en euro. Cette étape sera marquée, dès le 1er Janvier 1999, par : la fixation irrévocable des parités entre les monnaies des pays participants et par rapport à l‟euro ; la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire unique en euro par le SEBC ; la conduite de la politique de change en euro et l‟utilisation de l‟euro sur le marché des changes, encouragée par le SEBC. Les opérations qui se dérouleront sur ces marchés seront effectuées et réglées en euro ; l‟émission des nouveaux titres négociables de la dette publique en euro par les États membres participants. Par ailleurs, la France convertira en euro à la même date son stock de dette actuellement libellé en francs ; la disparition de l‟Écu-panier officiel. Les contrats libellés en Écu-Panier officiel seront convertis en euro au taux de un pour un, sous réserve des conditions particulières de chaque contrat. D‟autre part, les contrats exprimés en monnaie nationale seront convertis en euro en appliquant le taux de conversion fixé par le Conseil. Pour les titres et les emprunts à taux fixes, le remplacement des monnaies nationales par l‟euro ne modifiera pas en soi le taux d‟intérêt nominal payable par le débiteur. Au cours de cette période, le SEBC et les autorités publiques des États membres et la Communauté surveilleront le processus de passage à la monnaie unique dans les secteurs bancaires et financier ; et aideront tous les secteurs économiques à bien structurer le passage à la monnaie unique ; Les mesures nécessaires au plan national seront préparées et adoptées pour permettre ce passage. Les opérations des administrations publiques (comptabilité publique, fiscalité, sécurité sociale…) basculeront à la monnaie unique dans tous les États membres au plus tard au moment de l‟introduction des billets et des pièces en euro. L’échange des pièces et des billets : du 1er Janvier 2002 au plus tard au 30 juin 2002 au plus tard Enfin une troisième étape débutera avec l‟introduction des pièces et des billets en euro, au plus tard le 1er janvier 2002 et se terminera, au maximum six mois après, avec le retrait total des pièces et des billets en unités monétaires nationales. Cette période de double circulation pourra être réduite par chaque État membre. Section3 : L’arrimage du franc CFA à l’Euro. Les avantages de l‟ancrage du franc CFA à l‟Écu sont connus, rassurants et sécurisants pour les pays concernés. Ces avantages sont au nombre de cinq : 301 meilleure stabilité monétaire, libre convertibilité, diversification des partenaires, plus grande rigueur dans la gestion des politiques économiques en référence aux critères de convergence, à savoir : une politique budgétaire saine, une politique monétaire de haute qualité, une maîtrise de l‟inflation en vue de préserver la stabilité du cadre macro-économique, solidarité et garanties de financement des déficits, enfin. en termes de crédibilité, c‟est l‟existence d‟une monnaie unique et stable qui réduit les coûts d‟informations et de transactions. Elle est liée à la fermeté des engagements institutionnels (à moyen terme), permettant d‟éviter les déséquilibres macro-économiques, et à la pertinence de l‟ajustement en cas de besoin (à court terme). En partant du principe « gouverner, c‟est prévoir », la gestion des risques et des incertitudes caractéristiques des marchés financiers doit être de rigueur. À ce niveau, deux problèmes se posent avec acuité et, il ne s‟agit pas d‟hypothèses d‟école : D‟abord, le niveau de la parité, bien que cela ne soit pas précisé, les cours seront sans doute déterminés à partir de la valeur du panier calculée en chacune de ses monnaies composantes, telles qu‟elles sont publiées chaque jour par les services de la commission. On ne connaîtra donc la parité du franc CFA que le jour venu, même si l‟on sait que les pays qui entrent dans l‟Union ne doivent pas avoir modifié leur parité dans les deux années précédentes. Mais dès lors que la parité est fixée, quand l‟Euro va s‟apprécier, le franc CFA le fera parallèlement sans que la situation économique de la Zone Franc le justifie. Ainsi, cela peut déboucher sur une surévaluation ou une dévaluation sans rapport avec la situation des pays africains ; Ensuite, compte tenu du fait que la politique de la Future Banque Centrale Européenne (BCE) est calquée sur celle de la Bundesbank dont la caractéristique essentielle est l‟attachement viscéral des Allemands à une monnaie forte et à une gestion rigoureuse de celle-ci, une double interrogation se pose pour les pays africains de la Zone Franc : Cette solution est-elle réaliste ? Est-il souhaitable et économique que le Tchad, le Niger, la Guinée Bissau aient un CFA fort ? Au total, les inconvénients et problèmes découlant de l‟arrimage du franc CFA à l‟euro sont liés à la perte d‟autonomie en matière monétaire, mais aussi à la faible souplesse de la régulation lors des chocs ou des cycles. Elles peuvent se corriger. Cependant les analyses réalisées sur le SMI et le SME montrent que l‟une des tendances marquantes au sein de l‟économie mondiale, depuis 1945, consiste en un mouvement d‟intégration croissante entre les différentes économies nationales. Pour les pays africains, cette solution ne sera pas évitable dans l‟avenir. À long terme, la stabilité de la monnaie d‟un pays dépend de la convergence de son économie et de la coordination de sa politique avec celles de ses partenaires. De ce point de vue, la Zone Franc comme accord de change peut découler de l‟intégration croissante des marchés financiers dans le cadre de la mondialisation de l‟économie avec la règle des 3 D. (Désintermédiation, Déréglementation, Décloisonnement). Les enjeux de la globalisation financière posent la question de la gouvernance du monde par les marchés financiers. Ainsi, les citoyens de la planète ont commencé à suivre, en temps réel, la fiche de santé de l‟économie mondiale au travers des indices financiers des grandes bourses (CAC 40, Indice Nikkei, Down Jones,…). Dans ce contexte, les mécanismes de transmission de la politique monétaire confèrent un rôle plus accru à la politique de change et, l‟absence de celle-ci sera un sérieux handicap pour tout pays ou groupe de pays. 302 L‟ouverture internationale d‟un pays est pertinente lorsque ses produits sont compétitifs. Pour mesurer la compétitivité d‟un pays et ses variations, on utilise généralement le Taux de Change Éffectif Réel (TCER), qui apprécie la variation du taux de change effectif nominal par rapport au taux d‟équilibre (PPA). Le TCER donne une bonne estimation des conséquences sur la balance extérieure, des variations du TCEN, liée aux modifications de prix résultant des changements d‟efficacité du système productif. Il procure une bonne appréciation de l‟évaluation des coûts de production domestique des biens internationaux, ceux qui font l‟objet d‟une demande mondiale et qui doivent guider la spécialisation. Pour que l‟indice de compétitivité reste stable, il faut que les coûts nationaux de production des biens échangeables restent proches de ceux des autres pays concurrents, et donc que l‟inflation interne reste voisine de celle des pays partenaires. Ce qui signifie, peut être faut-il le rappeler sous une forme que toute hausse des prix internes qui serait supérieure à la hausse des prix internationaux, pondérés par le taux nominal, entraînera une baisse du TCER, c‟est-à-dire une surévaluation du taux réel, et donc une perte de compétitivité. Au contraire, pour améliorer la compétitivité nationale, il convient de : diminuer le taux nominal, c‟est-à-dire dévaluer la monnaie nationale ou diminuer les prix domestiques ou encore, augmenter les prix internationaux, par exemple grâce à la production aux frontières. On remarque que l‟analyse ne conduit pas aux mêmes décisions de politique économique selon que le pays se trouve en régime de changes fixes ou variables. Ainsi, ce sont les nécessités de la compétitivité qui imposent de faire de la Zone Franc un accord de change pour lui permettre de faire face à ses principaux concurrents tant en Afrique même (Nigeria, Maroc, Tunisie, Ghana,…) qu‟en Asie (Chine, Thaïlande, Pakistan), lesquels peuvent modifier favorablement leur TCER pour améliorer leur degré de compétitivité. Dans les faits, face à l‟évolution de la situation économique et financière de certains pays membres de la Zone Franc, la déconnexion est beaucoup agitée en ce moment par des cercles d‟intellectuels d‟économistes et d‟observateurs de la vie économique et financière du continent africain. Deux sous-hypothèses peuvent être envisagées : La première sous-hypothèse serait celle d’une déconnexion par éclatement de la Zone Franc Les tenants de cette formule s‟appuient sur un échec patent des politiques d‟ajustement mises en œuvre avec la dévaluation et qui se traduirait par de nouveaux déséquilibres, l‟accumulation de déficits internes et externes et des pressions accentuées de la communauté financière internationale en faveur d‟une seconde dévaluation. Mais, compte tenu des disparités caractéristiques des pays de la Zone, en terme de niveau de développement ou de besoin de financement ou encore de politiques économiques nationales, il peut s‟avérer extrêmement difficile de faire accepter un taux de dévaluation uniforme, comme ce fut le cas en 1994. En effet, les résultats dissemblables enregistrés ces dernières années devront conduire à l‟adoption de taux de dévaluation différenciés. Dès lors, le risque est grand de voir éclater la solidarité monétaire organisée jusque là autour d‟une gestion commune des réserves de change. 303 La seconde sous-hypothèse est celle de la déconnexion concertée en direction de l’intégration économique et monétaire en Afrique La stabilité d‟une monnaie peut être défendue par sa banque centrale, mais pas indéfiniment. À long terme, la stabilité de la monnaie d‟un pays dépend de la convergence de son économie et de la coordination de sa politique avec celles de ses partenaires. Dans les pays en voie de développement, la difficulté s‟accroît avec la nécessité de donner à cette politique des objectifs à plus long terme. Il ne s‟agit plus seulement de rétablir l‟équilibre extérieur par la politique macroéconomique traditionnelle, mais d‟assurer une croissance durable de l‟économie et d‟initier une véritable politique de développement. De ce point de vue, l‟intégration régionale devrait être favorisée par la mise en place d‟un système monétaire et de crédit en vue de faciliter les échanges entre pays de la Zone. Ceci exigerait la création d‟une Division Régionale du Travail (DRT) accompagnée de la création d‟un Système Monétaire Régional (SMR) établissant : des règles de parité, des règles de stabilité, des règles de gestion monétaire. D‟ailleurs, la dévaluation du franc CFA, en 1994, a contraint les membres de cette Zone à accélérer les processus d‟intégration. Les groupements économiques régionaux se mettent en place dans plusieurs domaines (fiscal, financier, douanier), les réformes ne sont pas toujours opérationnelles. Les « grands chantiers d‟intégration » de la Zone Franc (assurances, droit des affaires, observatoire économique régionale,…) se construisant peu à peu, à travers la ratification des traités et la mise en place d‟institutions nouvelles. Des structures telles que la CEDEAO, l‟UDEAC et la SADCC pourraient moins contribuer efficacement, par des voies certes différentes, au moins à enclencher un processus d‟intégration des économies des pays membres. Section 4 : Les préalables d’une intégration monétaire en Afrique. La réussite d‟un espace monétaire africain dépendra nécessairement d'un certain nombre de mesures de politique économique. Il s'agira pour les futurs pays membres de respecter au préalable un certain nombre de critères de convergence macro-économique qui seront vigoureusement étudiés et suivis par tous les pays africains. Ces harmonisations préalables préconisées ont pour objectif l'assainissement du cadre macroéconomique de l'espace à intégrer, l'accélération de l'intégration économique, politique et sociale du continent et la création de conditions appropriées permettant à l'Afrique de jouer le rôle qui est le sien dans l'économie mondiale et dans les négociations internationales. La réalité actuelle de l'espace africain est que le continent est constitué d'une multitude de micro-États hérités de la fameuse Conférence de Berlin (fin 1884 début 1885). Ceux-ci sont, de toute évidence, incapables d'atteindre séparément un niveau important de développement économique, culturel, social et politique. Très peu d'États disposent en Afrique de seuils considérables en termes d'espace géopolitique, de dimension de population, de ressources naturelles, de débouchés, etc., indispensables au développement socio-économique. De ce fait, l'encouragement de la coopération régionale est le meilleur moyen pour contrebalancer les effets 304 néfastes du partage de l'Afrique à Berlin et faire bénéficier au continent des complémentarités naturelles qui permettront aux pays africains de profiter des avantages de spécialisation et d'économie d'échelle. Cependant, le processus d'intégration régionale en Afrique a été souvent mal posé au départ. Le véritable problème repose sur le fait que l'espace économique intégré (ou à intégrer) des sous-régions ou régions du continent a été mal défini. De ce fait, les intégrations (ou tentatives d'intégration), sans fondements économiques majeurs et basées sur des modèles de développement copiés de l'extérieur, et donc inadaptés au contexte africain, sont vite vouées à l'échec ou au plus, enregistrent de maigres résultats. La problématique de la définition de l'espace à intégrer est moins une question de regroupement d'un maximum ou de la totalité des entités économiques existantes (plusieurs micro-États) qu'un souci de retrouver un "ensemble optimal". Ainsi, la dimension d'un vaste marché regroupant un maximum d'entités économiques n'est-elle pas moins importante que les conditions stables et appropriées permettant aux forces de ce marché de jouer pleinement dans le sens d'une relance des activités économiques et du développement? Cette question est d'autant plus fondée qu'aujourd'hui, nul ne doute que tout processus d'unification économique et monétaire nécessite un certain nombre d'étapes successives qu'il serait dangereux d'inverser, au risque de conduire l'intégration à l'inefficience ou à l'échec. Et cela, que l'on passe par des intégrations sous-régionales (Afrique de l'Ouest, Afrique de l'Est, Afrique Centrale, Afrique du Nord et Afrique Australe, par exemple) ou régionales. Cette voie ainsi préconisée a l'avantage de mieux responsabiliser les participants à l'union économique et monétaire face à la gestion de leur monnaie et à leur développement économique. Toutefois, c'est dans cette perspective que la vraie solidarité africaine, cette fois-ci différente de celle héritée des arrangements traditionnels post-coloniaux, devra faire preuve d'effectivité dans un esprit panafricaniste. La dynamique susceptible d'effet de stimulation et amplifiée à terme par le jeu de l'effet de groupe (ou de la dynamique de groupe) dépendra de la coopération renforcée (dans l'autonomie) entre les États africains. Cette dynamique (que nous qualifions de "prudente"), vise la réalisation d'une coopération monétaire intra africaine suivant une gestion autonome et responsable, par les africains, de leur monnaie et donc des intérêts du développement de leur continent unifié. Cela nécessite de la part des dirigeants africains une souscription forte à la volonté de construction de l'Union Africaine (U.A.), et de leurs peuples, une adhésion forte et confiante dans un esprit de nationalité africaine. Section 5 : Le schéma d’intégration monétaire de l’Union Africaine L‟Acte Constitutif de l‟Union Africaine (UA) prévoit opportunément un ensemble d‟institutions monétaires et financières. Sans conteste, c‟est une notable avancée par rapport à la Charte de l‟OUA. Cependant, l‟intérêt et la faisabilité de ces institutions soulèvent beaucoup d‟interrogations. En effet, dans le contexte actuel de globalisation financière, le continent est confronté à une double contrainte : financière et monétaire. Toutes les économies africaines sont sous la coupe d‟un ajustement structurel dont l‟objectif principal est de garantir le remboursement de leur dette extérieure par les États majoritairement débiteurs (51 sur 53). Dans 305 nombre d‟entre eux, le service de la dette absorbe plus d‟un tiers des ressources budgétaires. À cette contrainte s‟ajoute une seconde de nature monétaire. Les monnaies africaines appartiennent à une fresque de zones monétaires dont la plupart ne sont pas interconnectées par des systèmes de change. Autre situation : ces zones monétaires peuvent être arrimées à des monnaies fortes, ce qui implique des politiques monétaires et financières dépendantes. Dans un espace soumis à cette double contrainte financière et monétaire, et surtout composé d‟une telle mosaïque de zones monétaires et qui de surcroît, n‟ont défini entre elles aucun système de change, aucune règle de convertibilité et d‟émission monétaire, il est techniquement illusoire de parler de Banque Centrale. Une Banque Centrale est toujours au cœur d‟un dispositif de gestion d‟un actif financier émis en contrepartie des avoirs extérieurs et des créances sur les États et sur les économies. Cet actif, accepté comme équivalent général, repose d‟un côté sur les fondamentaux des économies et de l‟autre sur la confiance que K. ARROW considère comme une importante institution invisible. Aucun élément ne vient corroborer aujourd‟hui la moindre amorce d‟un processus de création d‟une Banque Centrale à l‟échelle africaine. Pourtant sur cette question, on dispose d‟une expérience édifiante qui est celle de l‟Union Européenne. Elle est pleine d‟enseignements sur les différentes étapes caractéristiques de la création d‟une monnaie unique et du dispositif technique qui peut y mener. L‟Europe monétaire a démarré en 1979 (écu) et s‟est accomplie en 2002 avec l‟émission de la monnaie commune. En réalité, l‟Écu n‟était pas une monnaie comme les autres : elle servait à mesurer la valeur des biens produits et échangés (fonction d‟étalon de valeur), ensuite, elle était peu utilisée comme moyen de paiement dans les transactions (fonction d‟intermédiaire) enfin, elle est une monnaie-panier dont la valeur est déterminée par les valeurs pondérées des différentes monnaies de la Communauté. Avec le Traité de Maastricht, les modalités de mise en place d‟une monnaie commune est entrevue à partir du Rapport Delors. L‟Euro sera émis par un organisme bancaire : la Banque Centrale Européenne. Sa valeur sera fonction des performances européennes ainsi que de la confiance qui lui sera accordée. C‟est dire que le processus de création d‟une Banque Centrale est passé de l‟expérience difficile du «serpent monétaire», avec ses parités ajustables à la coordination des politiques monétaires nationales marquée par une gestion vigilante et rigoureuse de l‟inflation et des taux d‟intérêt. La première phase qui s‟est achevée le 31 Décembre 1993 a consacré la fin des financements des déficits publics générés par la création monétaire dans les États membres. La seconde a débuté en janvier 1994 et s‟est achevé le 1er Janvier 1999 avec l‟établissement de l‟interdépendance des Banques centrales et la création de l‟Institut Monétaire Européen composé des gouverneurs des banques centrales des Etats membres. La troisième phase qui a démarré en Janvier 1999 dans le respect des critères de convergence, du calendrier et des procédures établis par le Traité de Maastricht sera aussi marquée par la fixation irrévocable des parités entre les monnaies des pays adhérents, la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire unique, la conduite d‟une politique de change et l‟utilisation de l‟euro sur les marchés de change, l‟émission par les États membres des nouveaux titres négociables de la dette publique en euro et la disparition de l‟écupanier officiel. Cette expérience de l‟Union Européenne montre que si l‟objectif est de réaliser une monnaie unique africaine, ce que préfigure la création d‟une Banque Centrale, 306 cela devrait passer impérativement par une rigoureuse harmonisation des politiques économiques, monétaires et financières et établie à partir de critères de convergence. Au demeurant, la monnaie est à la fois un excellent facteur d‟accélération de la croissance et des échanges au sein de l‟Union, et de clarification des conditions de la compétition. Elle est aussi un facteur de rayonnement et de puissance sur la scène internationale. Toutefois, mal gérée, elle devient un facteur de désintégration et de rupture. Elle est donc trop importante pour être évoquée de façon aussi laconique qu‟elle l‟a été dans l‟Acte Constitutif (Article 19). Si la volonté politique existe de créer effectivement une banque centrale, des réponses claires sous forme d‟orientations, de dispositifs, de procédures et de chronologie de mise en œuvre devraient être apportées aux questions fondamentales suivantes : pourquoi une Banque Centrale ? Quelle sera l‟architecture financière d‟ensemble ? Quels seront les fonctions, les principes et les règles de l‟émission monétaire et les déterminants de la politique monétaire? Quel sera le degré d‟indépendance de la Banque Centrale Africaine par rapport aux autorités monétaires nationales? La Banque Centrale étant le prêteur en dernier ressort, quelle politique de crédit sera appliquée? Quel est le chronogramme préparatoire à la phase opérationnelle ? Ces questions techniques et bien d‟autres appellent des préalables politiques sur lesquels les décideurs doivent au moins se prononcer avec clarté. Il est vrai que la Nouvelle Initiative Africaine souligne et insiste sur la nouvelle volonté politique des décideurs qui veulent ramener l‟économie et le partenariat au rang des urgences prioritaires. 307 CHAPITRE 28 LES NOUVELLES OFFRES COMPETITIVES DE PARTENARIAT À L’AFRIQUE PEUVENT-ELLES-DEBOUCHER SUR UN CONTRAT MONDIAL DEVELOPPEMENT ? La configuration actuelle de la compétition mondiale avec l‟avènement des nouvelles puissances émergentes, l‟Afrique, grande réserve des matières premières, peut revenir dans la géostratégie planétaire. Cela se traduit par la diversification des offres de partenariat et les renouvellements des anciens : les APE avec l‟Europe, l‟AGOA, le MCA avec les Etats-Unis, le « Plan d‟Action de Beijing » avec la Chine, la « Nouvelle coopération Inde-Afrique », les encrages du Brésil dans l‟espace lusophone et les balbutiements d‟une francophonie économique. Des grandes puissances commerciales du futur dénommées BRIC, seule la Russie ne manifeste pas encore une présence massive pour la raison simple qu‟elle est aussi une réserve de matières premières. L‟Afrique ne va-t-elle pas redevenir le champ clos de nouvelles convoitises (rivalités) dont elle ne tirerait pas grand profit pour son développement ? Ne devrait-on pas alors s‟orienter vers l‟établissement de contrat de développement ? Le concept de contrat de développement a été avancé pour la première fois, dans les années 90, par Thorvald STOLTEBERG Ministre norvégien des Affaires Étrangères. Il pourrait alors avoir pour caractéristiques essentielles la polyvalence, la durée et la réciprocité des engagements contractuels. Dans cette optique, Louis EMMERIJ, estime que « les contractants devraient s‟entendre sur une stratégie de développement à plus long terme, et convenir d‟une approche plutôt que d‟un ensemble de mesures… Dès lors, la différence entre le contrat de développement et le PAS résiderait dans les engagements qui doivent être souscrits par les donateurs et par les banques »193. Au cours de ces dernières décennies, la communauté internationale a consenti des investissements sans précédent pour accélérer le développement en Afrique et au bout du compte, les déceptions l‟emportent sur les succès. Toutefois, ces énormes ressources n‟ont pas été au service de stratégies claires et de schémas pertinents de développement. Cela explique, sans nul doute, les médiocres résultats qui font que le continent africain est toujours embourbé dans une situation économique, financière et sociale catastrophique. Pourtant, l‟Afrique a absorbé trois fois plus de ressources financières que le Plan Marshall. Cela soulève alors la nécessité de réviser la manière d‟envisager le développement économique, sa nature, ses causes et les choix correspondants de politique économique et sociale. Aujourd‟hui, beaucoup d‟initiatives indiquent pour des motivations certes diverses que les grandes puissances commerciales et politiques manifestent une volonté unanime pour accélérer le développement en vue d‟éradiquer la pauvreté qui est une menace pour la planète toute entière. Pour la première fois, un consensus mondial semble se dégager en faveur de l‟élaboration de programmes économiques et sociaux qui recentrent l‟objectif autour de la croissance au service de l‟homme africain et de l‟amélioration de son bien-être. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a pris un leadership véritable dans la lutte contre la pauvreté en la consacrant comme la priorité dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). La Banque mondiale change de discours et réoriente son action vers la réduction de la pauvreté. Ce serait faire preuve de beaucoup de myopie que de déchiffrer cette nouvelle 193 Louis EMMERIJ : Nord-Sud : La grenade dégoupillée, Document FIRST, 1992 p 197 308 orientation comme un nouvel habillage du néo-libéralisme. Les réflexions menées au sein de cette institution ainsi que les nombreux travaux d‟analyse et d‟observation de la pauvreté tentent de concrétiser ces orientations dans les Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DSRP). Le FMI adhère à cette nouvelle stratégie tout en conservant ses missions financières traditionnelles de gardiennage du SMI ou ce qui en reste. Le BIT est dans la même mouvance. Dans le Rapport de son Directeur général, il est affirmé que l‟objectif majeur est, aujourd‟hui, de « S‟affranchir de la pauvreté par le travail ». En effet, « le travail décent est un outil puissant qui permettra d‟atteindre les objectifs et les résultats visés par la Déclaration du Millénaire en matière de développement humain »194. Malgré le volume des ressources mobilisées, au cours de ces dernières décennies, pour accélérer le développement en Afrique, au bout du compte, les déceptions l‟emportent sur les succès. Les dirigeants africains, par le biais du NEPAD et du Programme de l‟Union Africaine, partagent les mêmes convictions. Il importe alors d‟analyser les contenus des programmes proposés. Section 1 : Convergence des récentes visions programmatiques pour le développement de l’Afrique : NEPAD, OMD et DSRP. Au début du millénaire, les économistes professionnels rouvrent le dossier de l‟analyse du développement, les organisations internationales font autant et réorientent progressivement leurs programmes vers le développement humain. Il semble se dégager au niveau de tous les acteurs un consensus fort pour trouver de nouvelles solutions au développement de l‟Afrique par la recherche d‟une croissance forte et durable dans l‟équité. De l‟interrogation de la Banque mondiale de savoir si «L‟Afrique peut revendiquer sa place dans le 21ème siècle»195 à la Déclaration du Millénaire des Nations Unies en passant par la mise en œuvre du NEPAD, une préoccupation unique semble se dégager: relever le défi du développement africain. À l‟occasion de la Déclaration du Millénaire, les décideurs les plus significatifs des institutions internationales à savoir Kofi ANNAN, (Secrétaire Général de l‟ONU), Donald JOHNSON, (Secrétaire général de l‟OCDE), Horst KÖHLER (Directeur Général du FMI), et James WOLFENSOHN (Président de la Banque mondiale), ont solennellement proclamé « que leurs différentes institutions s‟emploieraient à faire de ces objectifs de développement le fondement commun de leurs actions et de leurs programmes, et à mesurer leur efficacité par la réduction de la pauvreté de moitié à l‟horizon 2015 ». Les Etats africains, après un long processus de concertation, ont pris collectivement et individuellement l‟engagement de promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance et de lutter pour la paix et la sécurité pour relever significativement les performances socio-économiques et placer leurs pays sur le sentier du développement humain durable. À cette fin, ils ont initié un processus participatif de préparation d‟un programme de partenariat : le NEPAD. Le consensus autour de cette stratégie met l‟accent sur la nécessité d‟une mobilisation des décideurs politiques, des acteurs nationaux et des partenaires au développement pour BIT : S‟affranchir de la pauvreté par le travail, Rapport du Directeur Général à la 91 ème Session 2003. 195 Rapport de la Banque mondiale (2002) : L‟Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle. 194 309 lutter contre la pauvreté et l'exclusion à travers l‟établissement d‟un lien étroit entre la réduction de la pauvreté, le progrès économique et le renforcement des capacités. I/ Le plaidoyer de la Communauté internationale en faveur du NEPAD Le NEPAD est un sursaut de l‟Afrique, un défi qu‟elle se lance, une vision pour s‟insérer dans la mondialisation. Son objectif majeur est de créer les conditions d‟une croissance forte et durable, capable de sortir le continent de la pauvreté de masse et des déséquilibres de tous ordres. Il comprend des préalables indispensables à la création d‟un environnement propice aux investissements, un Programme d‟actions sectorielles et des institutions de mise en œuvre. Encadré 19 : sur le NEPAD Le présent Nouveau Partenariat pour le Développement de l‟Afrique (NOPADA) est une promesse faite par les dirigeants africains fondée sur une vision commune ainsi qu‟une conviction ferme et partagée qu‟il leur incombe d‟urgence d‟éradiquer la pauvreté, de placer leur pays, individuellement et collectivement, sur la voie d‟une croissance et d‟un développement durable, tout en participant activement à l‟économie et à la vie politique mondiales. Il est ancré dans la détermination des Africains de s‟extirper eux-mêmes, ainsi que leur continent, du malaise du sous-développement et de l‟exclusion d‟une planète en cours de mondialisation. Texte du NEPAD Depuis sa création les « pères-fondateurs » ont toujours été conviés aux réunions du G8 pour y soutenir le Programme. Ainsi, l'Afrique et le NEPAD étaient au cœur de l‟agenda du Sommet du G8 à KANANASKIS EN 2002 à l‟issue duquel le NEPAD a été consacré comme le cadre de référence obligé pour la mise au point des stratégies de développement et de la coopération avec l'Afrique. Le Plan d'action pour l'Afrique a été mis en place et le Canada s'est engagé à affecter 6 milliards de dollars de ressources nouvelles et existantes sur cinq ans (2002-2007). À GLENEAGLES en 2005, le G8 a examiné les progrès relatifs au Plan d'action pour l'Afrique et a fixé de nouvelles mesures notamment le doublement de l‟aide à l'Afrique d'ici 2010 et l‟annulation totale des dettes des pays pauvres très endettés (PPTE) envers la Banque mondiale, le Fonds Monétaire Internationale et la Banque Africaine de développement. En juin prochain se réunira à HEILIGENDAMM (près de Rostock, ville du nord de l'Allemagne) le G8. Les responsables du NEPAD doivent y présenter une plaidoirie pour élargir les acquis de la coopération Nord-Sud (accroissement de l‟aide, effacement de la dette des pays africains les plus pauvres, aide insuffisante au développement, lutte contre les pandémies, etc.) et formuler de nouvelles propositions sur les grands sujets en discussion comme : «l'exploitation des matières premières», «le besoin de structures nouvelles et solides»; et de «canaux raisonnables» pour attirer les investissements en Afrique « ne plus dilapider l'argent» mais «récompenser certains pays» pour leur «bonne gouvernance dans le cadre de partenariats. Il doit être question pour le NEPAD d‟approfondir cette coopération et de l‟élargir à la Chine, l‟Inde, le Japon, l‟Amérique du Sud. 310 II/ Les OMD : un pacte pour vaincre la pauvreté. Les OMD engagent les pays du globe à redoubler d‟efforts pour s‟attaquer à l‟insuffisance des revenus, à l‟omniprésence de la faim, aux inégalités sociologiques entre hommes et femmes, à la dégradation de l‟environnement et au manque d‟instruction, de services de santé et d‟eau potable. Huit objectifs sont ainsi définis et assortis de cibles chiffrées qui doivent être atteintes dans un délai de 25 ans (19902015), et d‟indicateurs pour mesurer les progrès accomplis dans chaque domaine. Ces objectifs et la promotion du développement humain procèdent d‟une même motivation et témoignent d‟un même engagement vital à promouvoir le bienêtre des individus fondé sur les principes de dignité, de liberté et d‟égalité de tous 196. Le tableau ci-dessous présente la relation entre les visées du développement humain et les objectifs du Millénaire pour le Développement : Tableau 33: Relation entre les visées du développement humain et les objectifs du Millénaire pour le Développement Capacités essentielles au Développement humain Vivre longtemps et en bonne santé Objectifs du millénaire pour le développement Objectifs 4, 5 et 6 : réduire la mortalité des enfants, améliorer la santé maternelle et combattre les principales maladies Accéder à l‟éducation et à l‟instruction Objectifs 2 et 3 : assurer une éducation primaire pour tous et l‟autonomisation des femmes en œuvrant à l‟égalité des sexes dans l‟éducation Disposer d‟un niveau de vie décent Objectif 1 : réduire la pauvreté et la fin Conditions essentielles au Objectifs du millénaire Développement humain pour le développement Durabilité des ressources écologiques Objectif 7 : assurer la durabilité des ressources écologiques Égalité, en particulier égalité des sexes et Objectif 3 : promouvoir l‟égalité des sexes l‟autonomisation des femmes Environnement économique mondial Objectif 8 : renforcer le partenariat entre pays favorable riches et pauvres Source : RMDH. 2003 III/ Les DSRP : le nouveau cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. Les modestes performances des politiques d‟ajustement se sont traduites par une série d‟impacts négatifs sur l‟emploi, sur les revenus et sur la prestation des services sociaux. De plus, ces politiques sont perçues comme un facteur d‟aggravation de la misère ou d‟expansion de la pauvreté. Les diverses investigations ont alors abouti à placer la lutte conte la pauvreté au cœur des préoccupations. En conséquence de ce choix, la Banque mondiale modifie ses modalités d‟intervention et réoriente ses financements. À l‟échelle nationale, les programmes d‟ajustement cèdent la place aux Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DSRP) qui sont préparés par les gouvernements après de larges concertations avec les opérateurs économiques et la société civile. Les nouveaux Programmes ne sont pas imposés d‟en haut par des PNUD, RMDH 2003 : Les Objectifs du Millénaire pour le Développement : un pacte entre les pays pour vaincre la pauvreté humaine, Economica. 196 311 experts avec des conditionnalités (comme jadis dans les Documents de Politique Économique), mais sont apprêtés par les pays en relation avec toutes les forces vives mieux à même de cibler les politiques de la lutte contre la pauvreté. Le cadre stratégique contient généralement quatre éléments essentiels : la description du processus de préparation, fondé sur la participation des acteurs; le diagnostic de la pauvreté, avec l‟identification des obstacles au recul de la pauvreté et à la croissance ; les objectifs, les indicateurs et les systèmes de suivi fondés sur le diagnostic de la pauvreté ; les mesures prioritaires que les pays s‟engagent à prendre - dans les limites imposées par leur budget- pour atteindre les objectifs établis. Encadré 20 : Liste de bonnes pratiques pour les DSRP Pour les pays : Faire participer les parlements, les cabinets et les ministères à la préparation des DSRP aux stades appropriés. Analyser l‟impact des principaux programmes et mesures de lutte contre la pauvreté. Établir des indicateurs appropriés pour permettre un suivi des résultats en temps opportun et un retour d‟informations. Établir les objectifs réalistes de croissance et de réduction de la pauvreté. Établir divers scénarios macroéconomiques dans les DSRP, y compris des programmes de dépenses pour imprévus et des mesures à l‟appui d‟autres politiques de recettes. Inclure des mesures visant à réduire les risques liés à des chocs extérieurs et à assurer la viabilité de la dette. Pour les partenaires de développement, y compris la Banque mondiale et le FMI : Fournir en temps opportun des commentaires constructifs aux équipes chargées de l‟établissement des DSRP, mais se garder de faire sur les projets de longs commentaires qui pourraient saper l'appropriation de la stratégie par les pays. Coordonner l‟aide à la préparation des diagnostics de la pauvreté et des analyses de l‟impact sur la pauvreté et la situation sociale. Fournir en temps opportun une analyse appropriée des principaux éléments du DSRP, conjointement avec les autorités, si possible. Redoubler d‟efforts pour comprendre les liens entre l‟action des pouvoirs publics et la croissance favorable aux pauvres au niveau des pays. Respecter les cycles nationaux des processus décisionnels, en particulier les cycles budgétaires annuels, et aligner l‟aide sur ces cycles. Aligner les projets sur les DSRP nationaux, y compris les critères de résultats et la conditionnalité, et justifier le choix des instruments par rapport aux objectifs des DSRP. Appuyer le renforcement des capacités de la société civile. B.Ames,G.Bhatt et M.Plant : Finances et Développement, juin 2002 En clair, toutes les initiatives sont complètement abandonnées aux pays, de manière à ce qu‟ils prennent en charge leurs réformes économiques en enclenchant un exercice fondé sur la concertation large et la participation de tous les acteurs du développement économique et social : les pouvoirs publics et les donateurs, les 312 communautés locales et les organisations de la société civile, comme les organisations non gouvernementales (ONG), les syndicats, les organisations religieuses, les Instituts de Recherche et les universités. En définitive, les nouvelles politiques de l‟État se résument en six points majeurs : satisfaire l‟attente des citoyens et renforcer la société civile, assurer l‟équité, sécuriser les personnes et les biens, développer les marchés et pallier leurs insuffisances, professionnaliser l‟administration, systématiser les mécanismes de compte rendu. Ces nouvelles politiques présentent, entre autres objectifs, le resserrement des liens entre le service public et les usagers. Ce qui resterait serait alors de faire en sorte que la démarche participative soit une exigence pour tous les démembrements du pouvoir, à quelque niveau qu‟il puisse être dans le processus administratifs. Du fait du processus participatif qui fonde sa légitimité, le DSRP sera le cadre de référence de toutes les interventions de tous les acteurs. Il servira de base pour l‟élaboration des plans sectoriels de développement et des programmes d‟investissement. On peut noter que dans ses grandes lignes, la démarche participative retenue par les États pour élaborer le DSRP a impliqué aussi bien au niveau local que national l‟ensemble des acteurs du secteur public, du secteur privé, de la société civile et les partenaires au développement, selon des procédures et degrés d‟implication différents. IV/ La forte synergie stratégique des programmes. Les trois programmes que sont le NEPAD, les OMD et les DSRP présentent une forte synergie stratégique. D‟abord ils font de la lutte contre la pauvreté un objectif prioritaire qui permet de mettre l‟homme « au début et à la fin du développement ». Ensuite, les documents partagent une vision multidimensionnelle du développement. Enfin, ils suggèrent une stratégie axée sur quatre leviers fondamentaux du développement humain: la création de richesses par la croissance économique, la promotion et l‟accès aux services sociaux de base, l‟amélioration des conditions de vie des groupes les plus vulnérables, le renforcement des capacités des pauvres, et l‟approche participative de mise en œuvre et de suivi-évaluation basée sur la décentralisation du pilotage et de l‟exécution. Les études en cours de réalisation dans beaucoup de pays africains concernant les analyses des déterminants de la pauvreté révèlent déjà l‟insuffisance des revenus et justifient amplement que la promotion de la création de richesses dans un cadre macro-économique sain et stable constitue le premier pilier de la stratégie, dans le but de favoriser l‟émergence et le renforcement de l‟emploi productif des pauvres. Dans le cas du Sénégal, il a été retenu le renforcement des capacités et l‟accès aux services sociaux de base comme second pilier de la stratégie. D‟abord, cette option prioritaire permet de relever le stock de capital humain, social et naturel, base d‟une croissance durable, de répondre à la demande sociale et de favoriser la participation des populations dans la gestion des affaires de leurs communautés de base, notamment à travers une véritable politique de développement local et de décentralisation administrative. Ensuite, la protection des groupes vulnérables est le troisième pilier de la stratégie. Dans ce cadre, des 313 programmes ad hoc sont mis en œuvre pour réduire les facteurs d‟exclusion sociale, notamment en faveur des populations pauvres dont les capacités d‟action sont affectées par le statut social (genre), l‟âge, les handicaps physiques ou les conjonctures particulières (victimes des inondations). Section 2. La coopération UE Ŕ Afrique. L‟Europe et l‟Afrique entretiennent des relations séculaires depuis la colonisation. Elles se sont perpétuées par des formes diverses : Eurafrique, Accords de Yaoundé puis de Cotonou, les Relations CEE-ACP et APE. Cela a permis l‟élaboration et le renforcement de partenariat fondés sur des liens commerciaux, culturels, des flux d‟aides et d‟assistance. La variété des accords et la diversité des mécanismes de coopération semblent indiquer que les relations entre l‟UE et l‟Afrique ont parfois été mal définies, tant au niveau des priorités que de la mise en œuvre des politiques ; ce qui a entrainé souvent des tensions et des ruptures de négociation. Aujourd‟hui, les cadres de coopération se sont stabilisés avec l'Accord de Cotonou et l‟accord de partenariat global, en matière d'aide et de commerce, conclu entre les 77 pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) et l'Union Européenne. Il reste en suspens les APE qui traversent une période d‟âpres négociations avec ses menaces de ruptures et sa reprise de table. I/ Le nouveau partenariat avec l’Europe : les Accords de Cotonou Le partenariat entre l‟Union Européenne et les Pays ACP a souvent été présenté comme un modèle de coopération Nord-Sud, exemplaire sur plusieurs aspects et qui, de surcroît, s‟est étalé sur une longue période. Les différentes Conventions de Lomé qui ont fait suite aux Accords de Yaoundé ont non seulement mis en place des mécanismes conciliant harmonieusement commerce et aide mais aussi apporté sous forme de dons des financements substantiels. 1°) Une coopération séculaire Si les pays ACP ont toujours manifesté leur volonté de perpétuer la coopération avec l'Union Européenne, du côté européen les positions exprimées dans le livre Vert étaient différentes et n'envisageaient pas forcément le renouvellement de la coopération ACP-UE. D‟une part, pour l'Europe, l'Afrique n'est plus aussi importante sur la scène internationale ; mais d‟autre part cette coopération, malgré son exemplarité, n‟a point permis aux pays africains de sortir de la marginalisation et de s‟insérer dans le système commercial mondial par application des règles de l‟OMC. C‟est dans ce contexte que se sont déroulées les négociations de renouvellement de la coopération ACP - UE. Dans cette direction, l‟accord conclu à Cotonou répondait aux nouvelles exigences européennes : D‟abord, l‟alignement sur les règles du libre échange avec l‟abandon du système d'échanges non réciproque, et des systèmes de garanties des prix des matières premières (STABEX et SYSMIN) au profit de Zones de Libre Échange entre UE d'un côté et des entités régionales économiques et commerciales de l'autre.; Ensuite, l‟établissement de nouvelles conditionnalités avec la promotion d‟un environnement politique stable et démocratique dans les Pays ACP. Le dialogue politique assorti de son mécanisme de sanctions est une nouveauté de Cotonou (article 96), bien que la dimension politique existe déjà sous Lomé (référence à la 314 démocratie, aux droits de l'homme et à l‟État de droit) ; de même que le système de sanctions unilatérales (art.366 bis : suspension de l'aide) à l'encontre des pays ACP qui portent atteinte aux principes démocratiques; En outre, la promotion et l‟accélération du développement économique avec un renforcement des réformes d‟ajustement structurel et la privatisation des services publics (référence à l'accord général sur le commerce des services, AGCS) dans le mandat de négociation de la Commission pour les APER ; Enfin, la réduction, voire l‟éradication de la pauvreté, ceci en cohérence avec les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Ces Accords de Cotonou sont en rupture avec la vision de Lomé, à laquelle on a imputé l'échec du développement des pays ACP en ce qu‟ils forcent les pays membres à jouer le jeu du libéralisme mondial et à en supporter les coûts. Il faut souligner que ce tournant vers la libéralisation (insertion dans l'économie mondiale) était déjà un objectif dans Lomé IV c‟est dire que les Accords de Cotonou ne font qu‟entériner ce mouvement en fonction des échéances précises pour l'adoption des règles OMC. Sur certains points, ils sont cependant assez novateurs, il s‟agit notamment de la priorité accordée à l'objectif d'éradication de la pauvreté qui devrait viser, selon la Banque mondiale, à rassembler tous les donateurs autour des « Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté » dont la légitimité est contestée par beaucoup d'ONG ; de la reconnaissance de la société civile comme acteur du partenariat. Elle doit prendre part au dialogue sur les stratégies et politiques de développement en amont, et être associée à la mise en œuvre des programmes, en bénéficiant directement des fonds. Se trouve alors posée la question de la définition et de la structuration de la société civile, ainsi que de son rôle réel dans le partenariat ; de la promotion de la bonne gouvernance pour ancrer le dialogue politique, en dehors de toutes dispositions contraignantes ; de la mise en œuvre de l‟Accord au niveau de tous les acteurs concernés. Dans ce cadre, la Commission Européenne et les gouvernements des pays ACP sont responsables de l'application des dispositions de l'accord. Elle est aussi mandatée (en la personne de Pascal LAMY, Commissaire au Commerce) pour négocier les accords de partenariats économiques régionaux. En revanche, le Conseil des Ministres ACP-UE est l‟instance de décision. C‟est le Conseil des Affaires Générales de l'UE (regroupant les Ministres des Affaires Étrangères) qui décide d'intenter des sanctions, et non le Conseil du développement. Enfin, la société civile, nouvel acteur de ce partenariat, doit aussi pouvoir intervenir dans la mise en œuvre en bénéficiant directement des crédits européens pour réaliser des projets. Il faut observer que le rôle du Parlement Européen dans la mise en œuvre de Cotonou est limité au débat des rapports d'évaluation et d'information, et à donner décharge pour le FED. « Tant que le FED ne sera pas budgétisé, nous n'avons aucune compétence, après la ratification, dans le suivi et la réalisation des objectifs de la coopération ACP-CE. » Il reste encore à savoir si le PE pourra exercer son pouvoir d'avis conforme au moment de la renégociation du FED (tous les 5 ans). Il est en revanche d'ores et déjà exclu qu‟il soit associé officiellement aux décisions sur le futur régime commercial... Toutefois, le PE s'est auto-saisi pour adopter une résolution sur les APER (en Juin ou Juillet), qui n'aura aucune force contraignante. En réalité l'application de l'accord de Cotonou dépend plus globalement du cadre renouvelé de la politique de développement communautaire, et dorénavant de 315 la place des politiques de développement dans le nouveau Traité à venir, actuellement élaboré dans le cadre de la Convention. L‟impact de la mondialisation peut se lire à partir de la balance des paiements qui peut exprimer parfaitement les gains ou pertes de l‟ouverture. Le développement des exportations est une nécessité évidente pour des pays en développement tout d‟abord parce qu‟elles sont l‟instrument qui permet d‟accroître la capacité d‟importation et de remédier aux pénuries en devises. Selon Linder, trois types d‟importation sont utiles pour des pays lancés sur le sentier du développement qui ne peuvent produire ces biens eux mêmes : les importations de fonctionnement, les importations de remplacement et les importations d‟expansion. Le commerce international permet aussi des gains statiques d‟allocation des ressources et des gains dynamiques (économies d‟échelle, transferts de technologie) décrits par les théories néo-classiques du commerce international. La théorie keynésienne ajoute l‟effet multiplicateur du commerce extérieur sur la production et l‟emploi. 2°) De faibles résultats pour cause de mauvais ciblage des secteurs et des acteurs Les faibles résultats du partenariat Afrique-Europe proviennent selon certains chercheurs du mauvais ciblage des investissements. Malgré les fonds mobilisés, aucun pays africain n‟a encore pu inverser de façon probante les tendances à l‟appauvrissement à grande échelle. Tous les programmes et partenariats misent sur une croissance durable pour y arriver. Seulement, les faits ne corroborent pas encore ces objectifs car la croissance longue se fait attendre. Pour certains chercheurs comme P. ENGELHARD, les secteurs ciblés ne peuvent réaliser l‟objectif de réduction de la pauvreté et cela quel que soit le volume des investissements mobilisés. La solution alternative est alors de partir du secteur informel qui fournit déjà plus de 50% du PIB. Dans cette optique, la réduction de la pauvreté devrait se fonder sur deux exigences : le développement de l‟économie informelle et la diminution drastique des coûts de base. L‟un et l‟autre doivent s‟articuler dans une stratégie cohérente du marché intérieur, dont les exportations constituent le soutien indispensable mais non le moteur unique. P. ENGELHARD a bien raison de croire que en toute vraisemblance, les pays pauvres- ou abritant une importante proportion de pauvres- n‟ont que deux issues : soit faire le pari très risqué qu‟une croissance longue permettra aux pauvres d‟avoir accès à des services de base dont le coût et la qualité sont ceux de la modernité occidentale, soit faire le pari qu‟ils peuvent rapidement avoir accès aux services de base à un coût beaucoup plus faible, mais selon des techniques et des modes d‟organisation qui diffèrent de ceux de pays riches197. II/ Quel bilan du partenariat UE Ŕ Afrique ? Ce partenariat est très vaste et concerne d‟abord les relations commerciales entre les deux régions. Toutefois, dans le cadre de la Stratégie de l‟UE pour l‟Afrique, il a été conçu pour guider l‟interaction entre l‟ensemble de l‟Europe et de l‟Afrique à tous les niveaux: institutions panafricaines telles que l‟Union Africaine, organisations régionales et autorités nationales. Cela devrait constituer une plate-forme politique importante pour la mise en œuvre de l'aide publique au développement en faveur de 197 P. Engelhard: op. Cit; p 49-52 316 l'Afrique dans les années à venir, aide qui devrait augmenter d'environ 10 milliards d'euros par an d'ici 2010. 1°) Augmentation du volume de l’aide publique au développement accordée par l’UE. Les pays de l‟Union Européenne ont toujours été les principaux mécènes de l‟aide au développement. En 2002, leur part dans l‟aide en faveur des pays en développement s‟élevait à 56%, devançant largement celle des États-Unis qui viennent en seconde position avec 20%. Figure 17: Qui donne quoi : Aide au développement des pays de l’OCDE pour l’année 2002. Japon Etats-Unis Autres UE et pays membres Source : OCDE. En Juillet 2005, l‟UE a pris de nouveaux engagements pour le financement du développement: intensification et amélioration de l'aide, avec la volonté d‟atteindre l'objectif fixé de longue date au niveau international de 0,7% du PNB pour l'aide publique au développement (APD) d'ici 2015. L'UE s'est fixée pour objectif intermédiaire 0,56 % du RNB/APD d'ici 2010, ce qui devait représenter des engagements chiffrés de l‟ordre de 20 milliards d'euros supplémentaires par an pour l'APD d'ici 2010 et de 45 milliards d'euros supplémentaires par an d'ici 2015. La moitié du montant supplémentaire est accordée à l'Afrique pour l‟atteinte des OMD.198 2°) Les relations commerciales : une hégémonie battue en brèche. Les pays d‟Europe ont toujours été les principaux partenaires de l‟Afrique mais les relations commerciales sont trop inégales entre les deux régions : l‟Afrique compte pour un peu plus de 1% des importations et des exportations de l‟Union Européenne. Les États-Unis représentent le marché le plus grand, avec 29,6% des exportations en 2005. La Chine vient en seconde place, avec 10,9%, suivi de l‟Angleterre avec 7,1%. L‟UE recueille 34,4% des exportations d‟Afrique 198 Les relations extérieures de l‟Union Européenne 317 subsaharienne, ce qui en fait son principal partenaire (cela est valable aussi pour l‟importation). Les tendances de l‟évolution montrent que l‟hégémonie européenne est battue en brèche par les nouveaux partenaires que sont la Chine et les États-Unis. En effet, la diversification des partenaires se réalise au détriment des relations avec l‟Europe. Ainsi, en 2005, la Chine est devenue le premier pays exportateur en Afrique subsaharienne avec un chiffre d‟affaires de 13,4 billions de $ et qui représente 7,7% des exportations. Les exportations chinoises ont en effet augmenté de 35,2% depuis 2004. Également, l‟Afrique du Sud joue de plus en plus le rôle de locomotive dans ses relations avec son espace africain. Déjà il exporte plus que le Japon, l‟Italie ou l‟Espagne, pour un chiffe d‟affaires de 6,98 billions de $ en 2005. 199. Tableau 35 : Les principaux partenaires de l’Afrique subsaharienne (en billions de $) 2004 Importations Chine Allemagne France Etats-Unis Angleterre Japon Italie Espagne Total UE Exportations États-Unis Chine Angleterre Japon Espagne France Allemagne Italie Total UE Part en % 2005 Part en % 9,9 10,7 9,8 8,5 7,4 5,7 4,0 2,0 47,7 6,9% 7,4% 6,8% 5,9% 5,1% 4,0% 2,% 1,4% 33,0% 13,4 11,7 10,8 10,3 8,1 6,3 4,8 2,4 54,3 7,7% 6,7% 6,2% 5,9% 4,7% 3,6% 2,8% 1,4% 31,3% 37,8 14,5 11,3 8,3 7,0 7,0 6,3 5,4 50,6 27,1% 10,4% 8,1% 5,9% 5,0% 5,0% 4,5% 3,9% 36,2% 52,4 19,3 12,6 9,4 9,1 8,6 7,1 6,3 61,0 29,6% 10,9% 7,1% 5,3% 5,2% 4,8% 4,0% 3,6% 34,4% Source : Rapport des États-Unis sur la politique commerciale et de l‟investissement en Afrique subsaharienne et de l‟implémentation de l‟AGOA, 2007. 3°) Les actions des institutions financières de l’UE : La Banque Européenne d’Investissement (BEI) et les politiques de l’Union Européenne dans les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. La Banque Européenne d‟Investissement est la « banque de développement » de l‟Union Européenne. Sa mission est de financer les projets qui soutiennent les objectifs définis par les politiques de coopération et d‟aide au développement de l‟Union dans 122 pays. 199 Rapport AGOA 2007 318 En Afrique, les activités de la BEI mettent en œuvre l‟aide financière remboursable prévue dans l‟accord de partenariat de Cotonou entre l‟UE et les pays ACP (États d‟Afrique, des Caraïbes et du Pacifique). Au titre de l‟Accord de Cotonou, la BEI administre une nouvelle Facilité d‟investissement, financée par les États membres de l‟Union Européenne, qui a pour objectif d‟appuyer le secteur privé à se développer, à créer des emplois qui concourent progressivement à réduire la pauvreté. À côté de cette Facilité, la Banque accorde également des prêts sur ses ressources propres. Ces activités (3,9 Md d‟euros) constituent une part substantielle de l‟appui de l‟Union Européenne aux objectifs de développement des pays ACP, en sus des aides non remboursables (11,3 Md d‟euros) administrées par la Commission Européenne. Depuis près d‟une quarantaine d‟années suivant les mandats successifs qui lui ont été confiés par l‟Union Européenne, la BEI est un partenaire financier du développement des pays d‟Afrique, puis des Caraïbes et du Pacifique. Depuis la première Convention de Yaoundé (1963), la BEI intervient comme institution de financement du développement de l‟Union Européenne sur la base des conventions successives de Yaoundé et de Lomé : elle a octroyé plus de 9 milliards d‟euros de prêts en faveur d‟investissements dans les pays ACP.200 L‟accord de partenariat de Cotonou prévoit un élargissement substantiel des responsabilités de la Banque, tant sur le plan du montant des prêts qu‟elle est autorisée à accorder pour aider les pays ACP, que sur celui de la nature de ses opérations. Tableau 35 : Répartition des financements au titre de l’Accord de Cotonou Fonds Européen de Développement Commission Européenne Banque Européenne d‟Investissement Facilité d’investissement Ressources propres de la BEI Aides non remboursables Prêts, prises de participations, garanties Prêts à l‟appui de projets pour des projets d‟investissement d‟investissement 11 300 millions d‟euros 2 200 millions d‟euros 1 700 millions d‟euros Source : BEI, le financement des politiques européennes, Octobre 2004. III/ Quel avenir aux relations de partenariat EuropeŔAfrique : Les APE vont-ils pousser à la rupture ? La coopération UE-Afrique offre de grandes opportunités à l‟Afrique dans sa perspective de croissance, de développement et de réduction de la pauvreté mais elle est fortement secouée par la volonté africaine de diversifier ses partenaires et celle de l‟Europe d‟appuyer un peu plus les transitions en Europe de l‟Est. Les Africains, de plus en plus conscients des enjeux renégocient fréquemment les accords passés. Dans ce cadre et conformément à l‟article 95 de l'Accord de Cotonou qui prévoit des 200 BEI, le financement des politiques européennes, Octobre 2004. 319 adaptations de l'Accord tous les cinq ans (à l'exception des dispositions sur la coopération économique et commerciale qui sont soumises à une procédure de révision spécifique), les négociations ont été lancées lors du Conseil des Ministres ACP-UE à Gaborone en Mai 2004 et se sont achevées le 23 Février 2005 à Bruxelles aboutissant ainsi à un accord global qui est de plus en plus critiqué. 201 Les deux parties ont toujours entretenu des relations commerciales préférentielles non réciproques (APE) depuis plus de 35 ans. Dans ce contexte, quel bilan peut-on faire des relations de coopération EuropeAfrique depuis les conventions de Yaoundé(1963) et de Lomé (1975) jusqu‟aux Accords de Cotonou(2000) A grands traits on peut distinguer deux aspects d‟abord les plus favorables et ensuite les plus aspects les plus contestables : 1°) Les protocoles favorables : Le « Protocole sucre » a favorisé le développement économique a profité à 4 pays : l'Ile Maurice, Fidji, la Guyane et la Barbade Le « Protocole viande bovine » a profité essentiellement à l'Afrique Australe et accessoirement a quelques pays sahéliens Le «Protocole banane, café, cacao» a profité au Cameroun, Côte d‟Ivoire, Ghana, à l'Ile Maurice 2°) Sur 2o ans (1976-1996) toutes Conventions de Lomé n‟ont pas assuré le décollage économique des pays ACP, ce qu‟illustrent parfaitement les situations qui suivent : En 20 ans (1976-1996) la part des marchés des pays ACP sur le marché européen a régressé en passant de 7% à 3%. Les ACP ont continué de se spécialiser dans les produits de base d‟origine agricole et minière non transformés. Les pays ACP sont fortement tributaires de leurs relations avec l'UE (pour leurs exportations) alors que l'UE n'est que faiblement dépendante de ces importations. Actuellement l‟Europe soutient que les APE sont contraires aux nouvelles dispositions de l‟OMC alors que dans les textes de l‟OMC, il est précisé que les pays en voie de développement doivent bénéficier d‟un traitement spécial différencié (TSD). De plus une étude montre que les APE actuels auraient un impact négatif sur les ACP : baisse de leur PIB, baisse des revenus budgétaires, un déficit commercial généralisé, la perte du bien-être. C‟est pour cela, ils sont de plus en plus dénoncés par la société civile africaine. 1°) Les négociations relatives aux APE L‟Afrique dans le cadre des ACP négocie une série d‟accords bilatéraux concernant les accords de partenariat économique (APE) avec l‟UE. Les négociations sur les APE, lancées en 2002, concernent essentiellement les questions de l‟accès aux marchés, de la pêche, des mesures sanitaires et phytosanitaires, de l‟agriculture, des Les conventions de Lomé, signées à partir de 1975, autorisent les produits industriels et certains produits agricoles des ACP à entrer dans l‟UE sans droits de douane ni restrictions. Par ailleurs, ces accords instituent des mécanismes visant à stabiliser les recettes d‟exportations, de matières premières pour faire face à une chute de leurs cours avec le Stabex pour les produits de base et le Sysmin pour les produits miniers. L‟économiste français Jacques Berthelot recommande même aux ACP de se « retirer de l‟accord de Cotonou, de poursuivre les améliorations des accords de Lomé ». Ces derniers étaient des accords tarifaires et commerciaux conclus avec la CEE et les pays ACP destinés à procurer des avantages sans réciprocité aux pays ACP 201 320 services, de l‟investissement et de la concurrence. Ces APE remplaceront les préférences de Cotonou qui fonctionnent actuellement dans le cadre d‟une dérogation de l‟OMC qui arrivera à expiration à la fin de l‟année 2007. Le concept d‟APE a été fécondé au milieu des années 90, quand les Institutions Financières Internationales croyaient aux vertus du libre-échange. Toutefois, avec l‟approfondissement de la mondialisation, cette croyance s‟est amoindrie. Les APE prévoient la libéralisation de 90% des échanges entre l‟UE et les pays ACP c‟est-à-dire que 100% du marché européen sera ouvert contre 80% de celui des ACP. Les Etats ACP pourront par conséquent protéger 20% de leur marché qui représente les fameux « produits sensibles » que les régions ACP peuvent choisir de ne pas libéralisés ou qui ne le seront que progressivement dans un délai de 10 à 15 ans. Pour la Commission Européenne (CE), qui agit au nom de l‟UE sur les questions commerciales, cela signifie ne point imposer aux pays pauvres à se libéraliser tous azimuts ce qui aurait des conséquences économiques et sociales catastrophiques et particulièrement autoriser certains pays d‟Afrique à étaler leurs réformes commerciales dans le temps en fonction de leurs propres plans de développement et de lutte contre la pauvreté, et enfin leur offrir une assistance financière supplémentaire en vue du développement des capacités dont ils ont besoin pour participer au commerce et s‟adapter à des marchés plus ouverts.202 Toutefois, il convient de remarquer que la détermination de ces produits est loin d‟être réalisée si bien que l‟on ne sait pas avec précision quelle est la part du commerce général que les régions ACP ne vont pas libéraliser ainsi que le calendrier de démantèlement tarifaire. En d‟autres termes les secteurs ACP à protéger restent encore à négocier et cela malgré la date butoir de signature des APE fixée au 31 Décembre 2007. Quelles sont les conséquences de la signature des APE sur les économies des ACP ? Ou encore que prédisent exactement les études d‟impact réalisées à partir de modèles économétriques pour mesurer avec précision les conséquences dues aux chocs de la libéralisation ? La littérature économique abonde de débats sur les effets de création et de détournement de trafic. Toutes les analyses, au-delà des chiffres souvent sujets à de très âpres controverses, admettent unanimement que les APE produiront une série d‟effets négatifs indiscutables sur les pays et sur les processus d‟intégration en cours. 2°) Analyse des conséquences des APE sur le développement des ACP. Au niveau interne la signature des APE devrait entraîner irrémédiablement : la destruction des systèmes productifs locaux agricoles et industriels, une baisse drastique des recettes publiques et une aggravation de la situation sociale. Ces systèmes productifs locaux agricoles comme industriels n‟étant pas compétitifs seront démantelés au profit des importations provenant d‟Europe. Sont concernés l‟élevage et tous ses produits dérivés, les agro industries, certaines industries naissantes. Pour sûr, les APE vont induire des pertes de recettes pour les Trésors publics ce qui va accentuer le déficit des finances publiques. Ces pertes de recettes vont compromettre les investissements publics au niveau des infrastructures, de l‟éducation et de la formation et de la santé et d‟autres secteurs sociaux qui sont des supports indispensables pour le développement des secteurs privé et public. La conséquence toute logique de la dégradation du système productif sera une situation sociale 202 Rapport de la CEA 2005 321 explosive qui va se manifester par l‟aggravation du couple infernal pauvreté-chômage provenant de la destruction des principaux secteurs d‟activité. A l‟échelle de l‟Afrique, les APE vont contribuer au démantèlement des processus fragiles d‟intégration régionale en cassant l‟unité et la cohésion des Communautés Régionales d‟Intégration. En effet, face à la résistance des Organisations Africaines d‟intégration, la Commission de Bruxelles tente par diverses pressions de faire signer certains Etats à revenu intermédiaire des « Accords intérimaires » les mettant ainsi en porte à faux avec les accords de Tarif Extérieur Commun antérieurement signés dans le cadre des Unions douanières comme la CEDEAO et surtout l‟UEMOA. Malgré toutes les mises en garde et les diverses protestations des organisations de producteurs, de certaines institutions d‟intégration et des prises de position de certains gouvernements, l‟UE semble plus que jamais déterminer dans son combat pour une plus grande libération du commerce.203 Pour cause, elle représente plus de 28% du commerce mondial des services.204 Avec l‟Afrique de l‟Ouest, les négociations prennent un relief particulier. Le projet de loi de la Commission Européenne soutient que « les Etats d‟Afrique de l‟Ouest sont tenus d‟offrir uniquement les avantages offerts à ses principales puissances commerciales » et que par ailleurs, les États de la région peuvent bénéficier entre eux d‟un traitement plus favorable par rapport à celui offert à l‟UE. Le danger est que cette libéralisation des services ne soit qu‟un objectif intermédiaire pour arriver enfin à celle des investissements. Dans tous les cas, la région n‟a aucun intérêt à céder à cette requête, d‟autant plus qu‟aucune disposition de l‟OMC ne l‟y oblige : dans une logique de développement, le débat des services dans les APE devait normalement porter sur la manière pour l‟UE de soutenir ce secteur essentiel par des financements ou une assistance technique. Après tout, les pays ACP et l‟UE se sont engagés, à juste titre, à négocier des Accords de Partenariat Économique (APE), qui devront être, pour unr grande conformité avec les objectifs de l‟Accord de Cotonou, plus équitables et plus à même de soutenir les économies en développement. Section 3 : L’AGOA Le 18 mai 2000, le président CLINTON a promulgué la Loi de 2000 sur le commerce et le développement dont le Titre premier est la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA). Cette loi, qui fait partie de celle de 2000 sur le commerce et le développement, autorise l'adoption d'une nouvelle politique américaine envers l'Afrique dans le domaine du commerce et des investissements. Elle donne un accès libre à la plupart des pays d‟Afrique subsaharienne au marché américain. L‟AGOA cherche à promouvoir le commerce et les investissements entre les États-Unis et les pays d'Afrique subsaharienne en facilitant l‟accès. Ainsi, les produits de ces pays admissibles bénéficieront d‟une franchise douanière à l‟accès au marché américain qui représente plus de 10 billions de dollars. En outre, elle encourage le développement économique et les réformes en Afrique subsaharienne en soutenant une vaste gamme de branches d'activité et en accordant des avantages concrets aux créateurs d'entreprises, aux agriculteurs et aux 203 250 ONG d‟Europe et des ACP, les organisations Professionnelles comme les Associations des Producteurs ruraux et celle des Industriels, comme par exemple l‟Association industrielle africaine (AIA) et l‟écrasante majorité des Communautés Economiques Régionales ainsi que des Chefs d‟Etat comme le Président Abdoulaye Wade ont fermement rejeté les APE. 204 Passerelles, Entre commerce et développement durable, volume VIII numéro 3. 322 familles. De plus, elle cherche à favoriser un accès et des possibilités accrues pour les investisseurs et les entreprises des États-Unis en Afrique Subsaharienne. Quels sont les critères d‟amissibilité ? Quelles avantages offre ce nouveau partenariat et comment a évolué le commerce entre les deux acteurs depuis la promulgation de cette loi en 2000 ? Les importantes possibilités concrètes offertes par cette loi seraient susceptibles de donner lieu à des milliards de dollars de nouveaux flux d'échanges et d'investissements entre les deux régions. I/ L’adhésion à l’AGOA 1°) Les critères d'admissibilité des pays Les avantages qui découlent de l'AGOA sont destinés aux 48 pays d'Afrique subsaharienne. Toutefois, tous ces pays ne sont pas automatiquement aptes à bénéficier de ces avantages. En effet, ceux-ci ne seront consentis qu'aux pays qui remplissent divers critères d'admissibilité. Ces critères ont été formulés en consultation avec les pays d'Afrique Subsaharienne et ils reflètent la prise de conscience du fait que l'ouverture accrue du marché des États-Unis en vertu de l'AGOA ne favorisera la croissance économique et le développement soutenus que si les pays ont adopté une politique intérieure judicieuse. Ces critères correspondent à des «pratiques optimales » qui auront pour effet, à terme, de stimuler les échanges et les investissements et d'encourager le rayonnement de la prospérité. Le statut des pays d'Afrique subsaharienne désignés comme étant admissibles ou bénéficiaires sera réexaminé tous les ans. À l'occasion de cette révision annuelle, des pays pourront être rajoutés à la liste des pays admissibles ou bénéficiaires et d'autres pourront en être radiés. Le président est chargé de suivre et d'examiner les progrès de chacun de ces pays et de soumettre au Congrès un rapport annuel précisant leur degré de conformité aux critères d'admissibilité. Il est tenu de radier de la liste des pays bénéficiaires d'Afrique subsaharienne tout pays qui cesserait de progresser dans cette voie. Lors de l'examen de l'admissibilité des pays d'Afrique subsaharienne à l'AGOA, le président est tenu par cette loi d'évaluer les pays sur la base des critères prévus par le Système Généralisé de Préférences (SGP) aussi bien qu'en fonction des nouveaux critères de l'AGOA et d'un nouveau critère du SGP. Le président doit notamment déterminer si ces pays ont établi, ou progressent de manière continue en vue d'établir une économie de marché, l'État de droit, la suppression des obstacles aux échanges et aux investissements des États-Unis, des mesures de nature à faire reculer la pauvreté, la protection des droits internationalement reconnus des travailleurs et un système de lutte contre la corruption. De surcroît, ces pays ne doivent pas se livrer à des activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale des États-Unis ou à leurs intérêts en matière de politique étrangère, ne doivent pas commettre des violations flagrantes des droits de l'homme reconnus au plan international, ni soutenir les actes de terrorisme international et doivent avoir traduit dans les faits les engagements qu'ils ont pris de supprimer les pires formes de travail des enfants.205 205 AGOA, guide d‟application, Octobre 2000. 323 2°) Les avantages que procure l’adhésion à l’AGOA a) Les avantages commerciaux L'AGOA confère trois avantages non négligeables à tous les exportateurs des pays admissibles d'Afrique subsaharienne. D‟abord, elle prolonge jusqu'au 30 septembre 2008 l'exonération des droits de douane à laquelle peuvent prétendre les pays admissibles d'Afrique Subsaharienne au titre du SGP. Ensuite, elle soustrait les pays admissibles d'Afrique Subsaharienne à la plupart des restrictions dont le SGP est assorti. En outre, elle rallonge la liste des produits visés par le SGP, mais uniquement en faveur des produits venant d'Afrique subsaharienne. L'AGOA exempte de droits de douane pratiquement tous les produits, à l'exception des textiles et des articles d'habillement, qui sont « cultivés, produits ou manufacturés » par un pays bénéficiaire d'Afrique Subsaharienne, sous réserve de la condition de valeur ajoutée, s'il détermine que ces articles ne sont pas sensibles à l'effet des importations dans le contexte des produits en provenance de pays bénéficiaires d'Afrique Subsaharienne. L'AGOA traite indépendamment du SGP la question des avantages commerciaux qui sont applicables aux textiles et aux vêtements. Cette disposition particulière de l'AGOA confère un certain avantage aux fournisseurs d'Afrique Subsaharienne sur ceux des pays avec lesquels les Etats-Unis ne sont pas liés par des accords de libre-échange. Les droits de douane qui frappent un grand nombre de ces produits peuvent être très élevés. De ce fait, leur suppression rendra les exportateurs des pays bénéficiaires d'Afrique Subsaharienne plus à même de soutenir la concurrence des autres fournisseurs. Pour ce qui concerne le textile, un certain nombre d'articles d'habillement, et de produits textiles entrant dans la fabrication de ces articles, qui sont fabriqués dans des pays admissibles d'Afrique Subsaharienne sont admis en franchise de douane et sans aucune restriction quantitative. Dans la plupart des cas, les pays intéressés peuvent prétendre à ces avantages indépendamment du volume total des vêtements qui sont exportés aux Etats-Unis par les pays admissibles d'Afrique Subsaharienne. b) Autres dispositions commercial) de l'AGOA (programme non Si l'AGOA traite principalement des avantages commerciaux, elle comprend néanmoins un certain nombre d'autres dispositions. Ainsi instaure-t-elle un Forum de coopération commerciale et économique Etats-Unis Ŕ Afrique Subsaharienne, lequel aura pour mission d'institutionnaliser l'engagement économique des EtatsUnis vis-à-vis de l'Afrique et de promouvoir, par le biais d'un dialogue structuré - à tous les niveaux de l'administration, du secteur privé et des ONG -, l'adoption de mesures à caractère pratique et à même de renforcer les échanges et les investissements et de stimuler des possibilités économiques mutuellement bénéfiques entre les États-Unis et l'Afrique Subsaharienne. L'AGOA exhorte le Congrès et le président à œuvrer de concert avec la communauté internationale en vue de l'allégement de la dette des pays qui en ont le plus besoin, sur une base tant bilatérale que multilatérale. En outre, l'AGOA donne pour instructions à l'« Overseas Private Investment Corporation » (OPIC) d'accroître ses programmes de prêts, de garanties et d'assurance à l'appui des projets en Afrique Subsaharienne, y compris ceux qui sont réalisés par des entreprises dirigées par des femmes et ceux qui maximisent les perspectives d'emploi pour les personnes 324 démunies. De même, les activités de la Banque import-export des États-Unis en Afrique Subsaharienne seront élargies. L'AGOA ordonne aux États-Unis de fournir une assistance technique aux entreprises et aux gouvernements d'Afrique Subsaharienne. Le concours des États-Unis dans ce domaine visera, entre autres, à libéraliser les échanges et à promouvoir les exportations, à faciliter l'intégration des pays de la région à l'organisation mondiale du commerce et à promouvoir les réformes en matière de budget de réglementation. II/ Une nouvelle initiative américaine porteuse : le Millenium Challenge Account, le MCA Le Millenium Challenge Corporation (MCC) a été créé en 2004 par les ÉtatsUnis « pour donner aux pays en développement des moyens plus grands en prenant de plus grandes responsabilités pour développer leurs pays ». Le MCC reçoit des fonds provenant des contribuables américains et doit rendre des comptes sur leur utilisation. Les ressources financières mises à la disposition des pays elligibles sont très appréciables. Le noyau de cette stratégie consiste à exiger que chaque Entente MCC et les documents y afférents comportent des mécanismes de responsabilité financière pour les activités financées par la MCC afin d‟assurer une gestion ouverte et équitable des finances et des approvisionnements en toute transparence. En élaborant ces mécanismes adaptés à un pays déterminé, le MCC et le pays respectif chercheront un équilibre optimal parmi les facteurs suivants : réalisation opportune des programmes et des projets, rendement opérationnel, réduction des frais généraux, durabilité des résultats et efficacité de la responsabilisation. Dans la détermination des mécanismes de responsabilité financière pour chaque pays, le MCC appliquera les principes de : Ttransparence dans les transactions et activités financières Responsabilité des uns et des autres Intégrité afin que les fonds soient utilisés pour les objectifs définis Appui sur des systèmes et mécanismes existants et sur des évaluations antérieures Renforcer des capacités III/ Le commerce entre l’Afrique et les États-Unis Pour des raisons historiques, l‟Afrique a toujours privilégié ses relations avec l‟Europe. Les relations avec les États-Unis, qu‟elles soient commerciales, politiques et même en matière d‟immigration étaient marginales. Certains analystes voient ainsi en l‟AGOA une tentative pour pallier à cet écart. Tableau 36: Commerce de l’Afrique millions de $) 2003 Importations 6 870,9 Exportations 25 633,3 subsaharienne avec les États-Unis (en 2004 8 438,5 35 879,5 2005 10 342,6 50 364,6 2006 12 116,8 59 175,2 Source : Rapport des États-Unis sur la politique commerciale et de l‟investissement en Afrique subsaharienne et de l‟implémentation de l‟AGOA, 2007. 325 Les importations d‟Afrique subsaharienne ont sensiblement augmenté, passant ainsi de 6,8 milliards de dollars en 2003 à 12 milliards en 2006. Il faut savoir que le continent se tourne de plus en plus vers les États-Unis ces dernières années pour certains produits. Il s‟agit notamment des appareils électroniques et autres machines, des équipements de télécommunication, des véhicules, des avions, des produits pharmaceutiques, de l‟huile raffinée, des équipements médicaux… 206 Quant aux exportations, elles ont plus que doublé en 3 ans. Cela est dû à la demande de pétrole des États-Unis qui ne cesse d‟augmenter, augmentant de 15% pour le Nigeria, 38% pour l‟Angola, 91% pour le Congo, 28% pour le Tchad et 11% pour la Guinée Équatoriale.207 Cependant, certains pays démontrent qu‟ils ont toujours plus d‟affinités avec les États-Unis que d‟autres, comme le montre le tableau suivant : Tableau 37: Les exportations de l’Afrique Subsaharienne vers les ÉtatsUnis (en milliers de $) Pays Nigeria Angola Afrique du Sud Congo Gabon Tchad Lesotho Madagascar Kenya Swaziland Maurice Malawi Cameroun Congo (RDC) Ghana Namibie Botswana Éthiopie Rwanda Tanzanie Uganda Mozambique Zambie Sierra Leone Guinée Sénégal Mali TOTAL 2005 23 875 179 8 466 134 5 854 118 1 662 438 2 885 673 1 472 053 403 471 323 877 347 754 198 876 221 997 82 444 154 520 246 134 159 260 129 557 178 164 61 803 6 301 34 066 25 851 10 817 31 698 9 389 74 734 3 663 3 588 TOTAL 2006 AGOA avec AGOA avec AGOA avec les TOTAL les les provisions 2007 de provisions provisions du SPG janv. à juil. du SPG du SPG 2007 de 2005 2006 janv. à juil 27 863 412 16 346 483 22 460 617 25 824 257 11 513 833 7 037 866 8 314 666 11 307 198 7 497 257 5 092 167 1 472 352 1 783 328 3 045 473 1 607 450 574 136 774 575 1 330 984 1 314 277 2 487 530 1 290 031 1 904 713 1 008 012 1 180 265 1 698 008 408 407 248 316 388 584 384 591 281 065 178 833 275 466 231 611 352 804 179 557 278 267 272 911 155 807 85 076 176 117 149 815 218 649 105 207 152 591 157 502 79 010 52 978 65 902 60 908 223 517 114 060 101 491 153 161 85 111 122 009 49 841 2 609 192 228 103 994 59 422 45 333 115 650 129 131 53 241 33 228 252 107 110 652 30 050 28 251 81 120 47 148 5 197 7 203 8 854 6 455 88 864 34 567 27 517 3 797 3 697 21 787 14 541 4 911 2 465 15 594 3 314 8 351 11 802 28 969 25 282 119 369 35 895 25 500 170 105 91 689 60 647 107 139 21 450 16 154 388 14 359 7 851 2 470 240 490 14 853 232 6 804 742 1 093 281 1 047 432 951 927 930 663 225 174 147 232 140 365 80 446 71 178 45 747 44 942 42 183 41 148 22 987 17 642 5 423 3 909 2 674 814 678 146 141 133 87 71 Revue de l‟Union Européenne, des États-Unis, de la Chine, du Japon et de l‟Afrique du Sud dans l‟Atlas du commerce mondial. 207 Rapport AGOA 2007. 206 326 Burkina Faso 2 084 1 020 1 025 122 66 37 Gambie 427 287 118 9 14 35 Sao Tome & Prin 144 187 285 0 0 31 Niger 65 511 123 695 1 178 155 43 26 Cap-Vert 2 624 965 1 622 2 148 106 25 Bénin 513 555 472 4 24 0 Mauritanie 825 0 0 51 0 0 Libéria 0 0 64 854 0 0 0 Djibouti 1 101 3 295 2 982 0 0 0 Seychelles 5 884 10 121 5 323 0 132 0 Cote d’Ivoire 0 0 0 0 0 0 Guinée-Bissau 114 470 29 0 0 0 Burundi 0 1 866 981 0 0 0 Total 47 002 789 56 010 263 34 143 964 38 146 396 44 239 193 26 574 552 Source : Commission Internationale du Commerce. L‟Afrique du Sud, l‟Angola et dans une plus grande mesure le Nigeria sont les principaux exportateurs. En effet, pour l‟année 2006, ce dernier a exporté vers les États-Unis pour une valeur de plus de 27 milliards de dollars (dont 25,82 dans le cadre de l‟AGOA), soit une proportion de 49,7% du total des exportations de l‟Afrique subsaharienne. Cependant, l‟Afrique subsaharienne ne représentait encore que 1,7% du commerce mondial en 2005, en petite amélioration des 1,5% en 2004. Concernant le commerce avec les États-Unis, elle compte seulement pour un peu plus de 1% des exportations de ce dernier contre un peu plus de 3% de ses importations. Il faut dire que la part de marché des États-Unis reste constante en Afrique depuis 2006 et que l‟impérialiste chinois gagne inexorablement du terrain dans la région. Section 3 : Le nouveau partenariat sino-africain : mécanismes et domaines de la coopération "gagnant-gagnant Il ne fait absolument aucun doute que l‟émergence de la Chine en tant que principale puissance mondiale sera l‟un des principaux enjeux auxquels le monde sera confronté dans les prochaines décennies. Aujourd‟hui 4ème puissance économique, elle pourrait devenir la première à l‟horizon 2025 selon les prévisions les plus pessimistes. Depuis trois décennies, elle a adopté des stratégies gagnantes par des réformes économiques et sociales à la fois rapides et amples pour édifier une économie de marché qui se fondent : La libéralisation de l‟économie en favorisant un secteur privé dynamique et la mobilisation des investissements directs étrangers attirés par de faibles coûts de production industriels et ces IDE ont amené la délocalisation de segments entiers de production ainsi que leurs fonds de commerce de même que leurs expériences du commerce international. Selon ARVANITIS et ALI (, 2003), les 400 plus grandes entreprises du monde ont investi en Chine dans les secteurs les plus importants allant des équipements de télécommunication aux automobiles. Désormais, la motivation de la délocalisation n‟est plus seulement l‟exploitation des faibles coûts de production mais aussi l‟exploitation du marché domestique chinois. Grâce aux IDE, la Chine occupe le premier rang mondial dans la production de certains types de matériel électronique. Déjà en 2003, elle (y compris Hongkong) était le principal 327 producteur de huit des douze principaux produits de consommation électroniques (HALE & HALE, 2003)208. La production de masse à faible coût quant à la main- d‟œuvre simple et qualifiée se maintient dans certains secteurs spécifiques et pour des marchés bien localisés. Le secteur des industries à forte intensité de main-d‟œuvre en est le prototype. Une des conséquences de cette option est la dégradation des conditions de travail et de rémunération dans les industries employant une main-d‟œuvre bon marché ;209 La quête des matières premières nécessaires au gigantesque potentiel de production qui se met en place et qui fait de la Chine « l‟usine ou encore l‟atelier du monde ». La mise en place d‟un système financier fonctionnel et ouvert qui a permis la constitution d‟énormes réserves de change avec lesquelles, la Chine a acquis le contrôle d‟entreprises étrangères dont elle convoite le savoir-faire et souhaite la délocalisation sur son sol. Ainsi pour pénétrer le marché américain, par exemple la Chine a participé au financement des fonds d‟investissements américains, tel Blackstone, et a également acquis des participations dans des entreprises stratégiques comme General Electric avec l‟objectif de bénéficier d‟une délocalisation d‟une partie des activités en Chine, notamment celles qui concernent la recherche et l‟innovation. Une politique d‟ouverture sur le commerce international. Dans cette optique la Chine a accéléré son adhésion à l‟OMC avec respect scrupuleux des clauses. Lors de la conférence ministérielle de l‟OMC à Hong Kong, la communauté économique internationale s‟est félicitée du respect de ses engagements par Pékin. La Chine a abaissé ses droits de douane pour les produits agricoles de 54% en 2001 à 15,3% en 2005 et cette baisse s‟est poursuivie pour atteindre 15,2% en 2006. Dans toute l‟histoire de l‟OMC, aucun membre n‟a procédé à un abaissement car, aujourd‟hui, le taux moyen mondial des droits de douane sur les produits agricoles est de 62%. On observera qu‟en raison de son nouveau rôle dans le système productif mondial, la Chine enregistre maintenant des déficits commerciaux avec l‟Asie du Sud-est et des excédents commerciaux avec l‟Europe et les États Unis. Quatre raisons expliquent que les économies chinoises et africaines renferment des complémentarités qui peuvent fonder une solide coopération. La première raison est que la Chine avec son rythme de croissance élevé de l‟ordre de 11 à 12%, a une forte demande des matières premières pour soutenir ses industries dont l‟offre peut être fournie par les pays africains riches en matières premières et qui ont des besoins énormes en devises étrangères et en biens d‟équipements. Cela présente clairement des opportunités communes qui peuvent parfaitement exploiter dans le cadre coopération mutuellement avantageuse. La deuxième raison procède du constat que, dans les dix dernières années l‟aide publique au développement est en déclin alors que les Investissements Directs Étrangers (IDE) s‟orientent Les premières sources des IDE provenaient au début des années quatre-vingt, majoritairement des Chinois d‟outre-mer (Taiwan et Hongkong). Les IDE en provenance de Taiwan, Hongkong et Macao représentaient en 2001 18% des investissements attirés par des politiques incitatives, la main-d‟œuvre et l‟étendue du marché chinois. C‟est particulièrement après la crise financière asiatique que les IDE se sont multipliés et surtout diversifiés pour s‟étendre aux milliers d‟entreprises délocalisée. 209 Avec la fin de l‟accord multifibres, en janvier 2005 les ventes chinoises ont explosé conduisant à la perte en Europe des centaines de milliers d‟emplois pour cause de fermeture d‟usine a poussé. Cela amènera la Commission de Bruxelles à négocier des limitations volontaires d‟exportation avec la Chine. 208 328 préférentiellement vers l‟Asie et l‟Amérique Latine, l‟Afrique ne recevant que seulement 3% des flux internationaux. L‟Afrique a un besoin de nouveaux partenariats. La troisième raison est que les dirigeants africains doutent de plus en plus de la volonté (ou de l‟intérêt) des Occidentaux et les Institutions internationales qu‟ils contrôlent à contribuer efficacement au développement du continent. A l‟évidence leur priorité semble se tourner vers la zone Asie-Pacifique leur apparaît pleine d‟attraits. Cela a amené l‟appel que le président WADE, du Sénégal, a formulé aux pays du G 8 pour « qu‟ils investissent en Afrique comme le font l‟Inde et la Chine ». À ces trois raisons s‟ajoutent une quatrième raison qui est d‟ordre historique la commune appartenance au Tiers-Monde. Dans les années 60, l‟objectif de la coopération avec le Tiers-Monde consistait en l‟organisation de la solidarité entre deux continents appartenant au même monde : celui des pays sous-développés. La Chine est un pays en voie de développement qui commence à réaliser de grandes performances économiques et financières. Les pays africains qui cherchent une croissance accélérée pour vaincre la pauvreté peuvent emprunter à la Chine ses expériences et solliciter son assistance pou réaliser une croissance rapide. Cette dernière raison a été évoquée par le Président chinois HU JINTAO pour rappeler lors du Sommet Asie-Afrique rappelant les 45 ans de la Conférence de Bandung : « Du passé glorieux à un futur lumineux : construire un nouveau type de partenariat stratégique entre l'Asie et l'Afrique »210. Il reprendra à l‟occasion du Sommet ChineAfrique l‟impérieuse nécessité de construire « un nouveau type de partenariat stratégique Asie-Afrique à long terme stable et substantiel, qui réponde aux changements du temps »211. I/ Les lignes partenariat. directrices du nouveau modèle actif de Les stratégies de la coopération sino-africaine sont à la fois très anciennes et assez subtiles. Au début des années 60, elles tenaient à des considérations purement idéologiques, à l‟organisation de la solidarité militante entre deux continents. Les grandes mutations intervenues dans les relations économiques et financières et le nouveau statut de la Chine dans l‟échiquier mondial appellent des changements et la nécessité de disposer d‟un cadre stratégique de gestion des relations. En démarrant dans les années 1970 avec des secteurs de prédilection comme les matériaux de construction, le textile et la pharmacopée, la Chine va pénétrer avec force dans les services, l‟électronique, le textile et l‟habillement, les infrastructures, la transformation sur place de certains minerais et même la prise de participation dans certaines grandes entreprises africaines. Ce Sommet a eu lieu à Jakarta, en Indonésie le 22 avril 2005. Cet appel il l‟a réitéré à chaque rencontre avec les dirigeants africains : Paul BIYA, BONGO 211 Au président camerounais BIYA, le président HU JINTAO déclara que … « La Chine et l‟Afrique n‟ont jamais essayé d‟imposer leur modèle de développement économique et social aux autres peuples » (sous-entendu, comme jadis, les puissances coloniales). Et il poursuivit : « j‟invite les compagnies chinoises à venir investir dans les hydrocarbures, les mines et la forêt, où il y a fort à faire ». 210 329 1°) Évolution quantitative des échanges sino-africains Le commerce entre les deux parties est en pleine expansion et a continué à croître au rythme annuel de 30% sur cinq années consécutives (2000_2005). En 2006, il a atteint 55,5 milliards de dollars EU. Les exportations chinoises vers l‟Afrique étaient de 13,08 milliards en 2004, soit une augmentation de 36 % par rapport à l‟année précédente. Les exportations chinoises à destination de l'Afrique sont passées à 26,7 milliards de dollars, en hausse de 43% en rythme annuel alors que les importations en provenance de l'Afrique ont atteint 28,8 milliards de dollars, soit une progression de 37% par rapport à l‟année précédente. En trois ans, la Chine et certains pays africains ont conclu 245 accords sur l‟assistance économique (44% de l‟aide chinoise durant la période considérée). Depuis 2000, elles ont construit plus de 6000 kilomètres de routes et 8 stations électriques de grande/moyenne envergure sur le continent africain. La construction d‟une station hydroélectrique à Imboulou au Congo et réalisé un chiffre d‟affaires de 9,5 milliards de dollars. En fin 2005, la Chine était engagée dans plus de 800 projets complets dans 49 pays africains et les compagnies chinoises s‟étaient impliquées dans 58 projets avec des prêts préférentiels dans 26 pays d‟Afrique. Et en 2006, elle a investi 6,3 milliards de dollars en Afrique, dans des domaines aussi variés que l‟agriculture, les communications, l‟énergie et l‟industrie manufacturière. En 2004, les IDE chinois s‟élevaient à plus de 900 millions de dollars sur les 15 milliards de dollars d‟investissements directs étrangers en Afrique. Par ailleurs, le gouvernement chinois encourage les entreprises chinoises à établir des usines en Afrique. Il a appliqué le tarif zéro pour cent quatrevingt-dix types de produits fabriqués par 28 pays africains les moins développés et exportés vers le marché chinois ; et entre 2004 et 2006, le nombre d‟Africains qui ont reçu une formation fournie par la Chine a dépassé dix mille. Au total, la Chine est devenue le troisième partenaire commercial de l‟Afrique après les États-Unis et la France. Au niveau des importations, la Chine a importé du continent africain près de 30% de ses besoins pétroliers, 21% de son coton et un tiers de son manganèse, notamment. De ce fait, l‟énergie constitue une part importante de la coopération sino-africaine car la Chine est devenue, depuis 2003 le deuxième consommateur de produits pétroliers dans le monde après les États-Unis. Selon les estimations de certains experts économiques, comme deuxième consommateur de brut de la planète, plus de 25 % des importations de pétrole proviennent du golfe de Guinée et de l‟hinterland soudanais. La demande a dépassé les 5,56 millions barils/jour, tandis que d‟autres prévisions montrent que la consommation chinoise dépassera les 12 mbj d‟ici à 2025 et 60 % de l‟énergie consommée proviendront des importations. Lors de la première session du Forum sino-africain, tenu à Pékin, la Chine s‟était engagée à annuler, en totalité ou en partie, la dette, pour un montant de 1,27 milliard de dollars, de trente-deux pays africains comptant au nombre des pays les moins avancés. L‟accroissement du volume des transactions va progressivement dicter la nécessité d‟avoir une base référentielle solide de cette coopération rapidement ascendante. 330 2°) Forum sur la Coopération sino-africaine : Plan d'Action de Beijing (PAB) 2007-2009 Il a été institué un Forum sur la coopération sino-africaine en 2000 à Beijing comme un cadre permanent pour une nouvelle ère de la coopération. Depuis six ans, ce forum est devenu un mécanisme efficace de dialogue collectif et constructif. En effet, la préoccupation de la Chine a toujours été d‟établir et de développer un modèle de partenariat stratégique avec l‟Afrique, basé notamment sur l‟égalité et la confiance réciproque sur le plan politique, la coopération conduite dans l‟esprit gagnantgagnant sur le plan économique et le renforcement des échanges sur le plan culturel. En définitive, cette orientation procède d‟une volonté d‟entretenir, tout d‟abord, une amitié sincère, de traiter d‟égal à égal et d‟accepter, ensuite, les cinq principes de la coexistence pacifique c‟est-à-dire, entre autres, respecter le libre choix des pays africains quant à leur voie de développement et soutenir les pays africains dans leurs efforts tendant à s‟unir pour accroître leur puissance. Lors du Forum sur la Coopération durant les trois années à venir, les deux parties, en conformité avec le principe de « l'an 2006 et pour concrétiser les résultats obtenus et planifier la coopération globale pour l‟amitié, la paix, la coopération et le développement », ont élaboré ensemble et adopté à l'unanimité un Plan d'action dénommé « Plan d‟Action de Beijing sur la période 2007-2009 ».212 Il comporte 4 volets : politique, économique, affaires étrangères et développement social. Le volet politique du PAB propose aux deux parties « de procéder régulièrement à des échanges de vues sur les relations bilatérales et les grands dossiers internationaux et régionaux, de se concerter et de coopérer étroitement, et de partager leurs expériences en matière de gouvernance pour réaliser leur développement partagé et leur progrès commun ». Il comprend 4 mécanismes relatifs à la consultation et à la coopération ; aux échanges entre les organes et les autorités locales ; coopération consulaire et judiciaire ; coopération entre la Chine et l‟Union Africaine et les organisations régionales africaines. Le Programme insiste sur la coopération sino-africaine et « le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD), avec la détermination de renforcer cette coopération et d'en explorer les nouveaux moyens et domaines concrets ». Le volet économique revêt une très grande importance pour les deux parties et on en comprend parfaitement les raisons. Elles devront œuvrer pour intensifier la coopération entre les PME chinoises et africaines, promouvoir le développement des industries en Afrique et renforcer les capacités de production et d'exportation des pays africains. Il est alors défini 7 domaines de coopération avec par moments des propositions concrètes : l‟agriculture qui est considérée comme secteur prioritaire car elle contribue à l'élimination de la pauvreté, à la promotion du développement et à la garantie de la sécurité alimentaire ; Investissements et entreprises ; Commerce ; À l‟ouverture du Sommet africain placé sous le thème : « Amitié, Paix, Coopération et Développement », le Président de la Commission de l‟UA Alpha Oumar KONARE a déclaré : «Ce sommet va, j'en suis convaincu, développer et renforcer le partenariat stratégique entre la Chine et l'Afrique. Nous en avons la volonté. Nous en avons les moyens», 212 331 Les finances ; Les infrastructures ; Les énergies et les ressources naturelles ; La science et technologies de l‟information et le contrôle de la qualité des produits. En ce qui concerne la composante finance, « la partie chinoise encourage les institutions financières chinoises à ouvrir davantage de filiales en Afrique. La partie africaine est prête à fournir l'assistance nécessaire à cet égard et souhaite le succès de la Conférence annuelle en 2007 de la Banque Africaine de Développement qui sera organisée par la Chine ». Cette rencontre s‟est effectivement déroulée lors de l‟Assemblée annuelle de la BAD de 2007. La partie chinoise précise que ce sous-volet financement peut prendre « la forme de financement direct du projet, octroi de lignes de crédits aux institutions financières africaines pour reprêter aux entreprises de joint ventures des investisseurs africains et chinois, co-financement des projets des institutions financières chinoises et africaines, et les financements structurés du commerce». Pour l‟énergie, la partie chinoise « accorde une haute importance à ce que cette coopération aide les pays africains à transformer leur avantage en matière d'énergie et de ressources naturelles en un avantage pour le développement, à protéger leur environnement écologique et à promouvoir leur développement économique et social pour qu‟elle soit durable » Dans l‟important domaine des infrastructures, « Les deux parties notent le fait que la construction des infrastructures joue un rôle primordial dans le développement des pays africains. La Chine possède des technologies et des expériences qui répondent aux besoins de l'Afrique. La coopération entre les deux parties est donc prometteuse. Elles sont d'accord pour désigner, comme par le passé, la construction des infrastructures, en particulier les communications, les télécommunications, les travaux hydrauliques et l'électricité comme domaines clés de leur coopération ». Toutefois, il est demandé aux africains d‟« ouvrir davantage ce secteur et de favoriser la participation des entreprises chinoises à la construction des infrastructures en Afrique, en leur fournissant les assistances et facilités nécessaires ». Concernant la science et la technologie, il est décidé qu‟ « En conformité avec les principes du respect mutuel, de la complémentarité et du gagnant-gagnant, les deux parties développeront une coopération en matière d'application des acquis scientifico-technologiques, de mise au point des technologies et de transfert des acquis. La Chine continuera à organiser, en faveur des pays africains, des stages de formation sur les techniques pratiques et lancer des programmes de démonstration de technologies, pour promouvoir en Afrique la vulgarisation et l'application de ses acquis scientifico-technologiques et de ses techniques pratiques ». Les autres volets ne comportent pas d‟originalité particulière. Il demeure cependant que certains engagements chinois sont assez remarquable comme : la poursuite des annulations des dettes, la nécessité de contribuer très fortement à la revalorisation des ressources humaines par l‟octroi annuellement de 2000 à 4000 bourses d‟études et de formation ? Le tourisme sera encouragé et élargi. Enfin, dans le domaine de la santé, « Les deux parties expriment leur satisfaction devant les résultats de leur coopération médicale depuis la 2ème Conférence ministérielle du Forum. Les pays africains concernés sont très reconnaissants aux membres des équipes médicales chinoises en Afrique en raison de leur dévouement afin de sauver les mourants et de soigner les blessés dans des conditions difficiles, et s'engagent à 332 mettre en place des conditions de travail et de vie convenables pour les équipes médicales chinoises ». Même si le PAB ne comporte aucune conditionnalité, le Ministre Chinois du Commerce semble adroitement en soulever quelques unes sous forme de souhaits. En effet, il note que « Les efforts déterminés pour enlever les barrières du commerce et de l‟investissement, les pays africains peuvent attirer plus d‟IDE et augmenter les opportunités pour la coopération financière et économique. L‟Afrique doit, donc, essayer : De terminer les conflits civils qui créent la perception de grands risques politiques de manière à augmenter leurs attirances pour les investissements ; D‟approfondir ou restaurer la stabilité de la macroéconomie pour améliorer le climat général d‟investissement ; De chercher la coopération et l‟intégration régionales pour étendre le marché domestique et encourager les investissements directs étrangers sur des plus larges domaines ; De développer le régime d‟investissement plus ouvert et basé sur le marché, surtout par l‟élimination des réglementations excessives et discriminatoires ; D‟étendre les infrastructures physiques, financières, humaines et institutionnelles ; De pratiquer les politiques favorables au marché de main-d‟œuvre pour réduire le coût général de la production ». II/ Les leçons pour l’Afrique de l’expérience et la consolidation du partenariat avec la Chine Le modèle chinois de développement et de coopération est riche d‟enseignement pour les pays africains : deux méritent une grande attention : la réussite des réformes amples et rapides pour édifier une économie de marché performante et le nouveau modèle de coopération dynamique fondé sur les bénéfices mutuels. Sur le premier point, concernant les réformes pour le développement économique et social, la Chine a réussi en une décennie à construire une économie de marché performante alors que l‟Afrique a expérimenté dans la douleur sociale plus de deux décennies d‟ajustement libéral sans aucun succès notable, sinon celui d‟avoir approfondi le couple infernal pauvreté et chômage. En effet dans les années 70, la Chine et l‟Afrique ne présentaient pas des écarts frappants en termes de niveau de développement et de vie. Aujourd‟hui, la Chine avec une croissance soutenue et au taux plus élevé est parvenue au rang de quatrième puissance économique mondiale. Pendant ce temps, l‟Afrique avec ses énormes potentialités naturelles n‟arrive point à décoller économiquement. Sans entrer dans le fond du débat, on peut retenir que cette expérience chinoise fait l‟objet d‟une littérature trop abondante avec des évaluations fortement controversées où l‟idéologie le dispute souvent aux analyses techniques rigoureuses et sérieuses. Sans entrer dans le fond du débat, on peut observer au moins trois éléments qui, soit n‟existent pas, soit alors ils dysfonctionnent complètement en Afrique : d‟abord, l‟élément relatif à l‟existence d‟une stratégie claire de développement économique et sociale et une vision précise des réformes pour sa mise en œuvre, ensuite, l‟élément concernant l‟implication et la mobilisation des acteurs et enfin l‟élément touchant la volonté politique incarnée par un État fort. La présence de 333 ces éléments est déterminante dans la réussite des réformes. À y regarder de près, ces éléments ont toujours été l‟objet de débats au sein du Parti Communiste Chinois depuis sa création. Le point de départ est toujours le rejet de l‟universalisme stalinien et s‟exprime dans des visions formulées à MAO TSE TOUNG : la question de la démocratie nationale, « que milles écoles rivalisent et que mille fleurs fleurissent », « un pays deux systèmes » et « marcher sur deux jambes ». Cette formule traduit la volonté d‟élaborer une politique de développement qui permette de jouer sur tous les tableaux de la vie économique. Les réformes en Chine sont discutées puis traduites en objectifs précis et exécutées sous la direction du Parti Communiste qui utilise l‟État comme instrument technique. À la différence de l‟Afrique les réformes sont conçues par l‟Extérieur et ne sont même pas internalisées par les acteurs chargés de les exécuter. Il se pose alors la capacité de définir des orientations claires, de désigner les acteurs et le régulateur c‟est-à-dire l‟État comme instrument efficace et polyvalent. De manière plus ponctuelle, les réformes ont mis l‟accent sur le cadre macroéconomique, sur les possibilités du marché domestique et extérieur, sur la formation des ressources humaines, la politique d‟attractivité des IDE, l‟utilisation de la science et de la technologie etc. La volonté politique est clairement exprimée par les instances dirigeantes du Parti qui assurent le contrôle de l‟exécution des réformes décidées. Sur le second point, le nouveau partenariat avec la Chine offre une alternative à l‟échec de la coopération avec les pays du Nord. Sa spécificité et son avantage proviennent d‟une part du fait que la Chine n‟ait pas été une puissance coloniale et d‟autre part de la complémentarité entre les deux économies. Le nouveau modèle chinois de coopération du « win-win » (gagnant-gagnant) ou encore du « bénéfice mutuel » doit être mis à profit par les africains pour construire d‟autres systèmes productifs à partir des transferts de technologie et l‟industrialisation, ce qui viendrait en échange des matières premières. Le nouveau partenariat bien exploité pourrait contribuer à stabiliser le marché mondial des matières premières. Enfin les externalités positives doivent être optimisées : en contrepartie d‟un accès aux ressources naturelles, l‟industrialisation ainsi que le transfert de technologie sont des minima exigibles par les parties africaines. La concurrence sauvage que livre les produits chinois, doit faire également l‟objet d‟une attention particulière». Enfin, à l‟image de l‟Union Européenne, l‟Afrique peut utiliser sa position de pourvoyeuse de matière première pour négocier avec la Chine des dérogations aux règles de l‟OMC ». Bien évidemment, les États africains ne pourront bénéficier de façon optimale du nouveau cadre de coopération que s‟ils arrivent à constituer un vaste marché africain en lieux et place des « micromarchés » nationaux. Section 4 : Quelles leçons tirer de ces partenariats et comment gérer l’ambitieuse stratégie planétaire de réduction de la pauvreté ? I/ Les attentes générales des offres de partenariat. La problématique des relations de partenariat entre l‟Afrique et les grandes puissances économiques ne pouvait être plus ardue. Outre le fait qu‟il existait déjà des relations inégalitaires, se pose aujourd‟hui la menace de la mondialisation. Or, les économies africaines sont encore trop fragiles et doivent être impérativement préservées de certains chocs et règles extérieures si elles veulent y survivre. Aussi, des 334 mesures doivent être prises aussi bien par la communauté extérieure que par les africains eux-mêmes. Tout d‟abord, le continent doit exploiter les partenariats dans le sens de la consolidation d‟une double diversité : celle des partenaires et celle des investissements et des produits proposés. La diversité des partenaires est sans doute le préalable à toute relation égalitaire, en donnant la possibilité de mieux choisir en tenant compte des coûts d‟opportunité. Ainsi, « l‟arrivée » du partenariat chinois doit être comprise comme une grande opportunité, à condition toutefois d‟en définir clairement les modalités en fonction des leçons tirées des coopérations passées avec de vieux partenaires. Ensuite, il faut reconnaitre que l‟Afrique bénéficie d‟un accès important aux marchés extérieurs grâce aux systèmes de préférence, mais a manifestement, elle a du mal à en bénéficier. Il reste à développer des facteurs de compétitivité. De plus, cet accès peut être amélioré de deux manières : Une amélioration de la capacité de l‟Afrique de participer au commerce en éliminant les facteurs de blocage internes, mais aussi en améliorant l‟environnement économique pour les agriculteurs et les entreprises. Cela devrait passer par « d‟importants investissements d‟aide de la part des donateurs internationaux, l‟objectif étant que l‟Afrique puisse produire et vendre de manière compétitive. »213 Une amélioration de l‟accès de l‟Afrique aux marchés du monde riche par une meilleure adaptation. Enfin, resurgira l‟éternelle question de l‟intégration : il est évident que l‟Afrique balkanisée ne pourra jamais obtenir une négociation juste avec les grands blocs économiques du monde. L‟intégration régionale, voire totale, devient donc un impératif à plus d‟un titre. II/ Le recentrage autour de la réalisation des objectifs du développement humain avec une contractualisation du développement. Les RMDH offrent une bonne grille de lecture qui permet d‟éviter l‟engrenage des Écoles de pensées et leurs controverses pas toujours adossées au réel. Ces RMDH depuis 1990 insistent en permanence que le défi majeur des PVD est la réduction de la pauvreté et des inégalités voire son éradiquation. Les modèles économétriques utilisés font le lien entre croissance (exprimée en termes d‟investissements productifs) et réduction de la pauvreté. 213 Rapport CEA 2005. 335 Figure 18 1°) Les politiques économiques et sociales doivent être orientées vers l’objectif prioritaire de réduction de la pauvreté. Pendant une bonne décennie, les RMDH se sont attelés à la conception et à la construction d‟indicateurs de mesure et de comparaison des niveaux de pauvreté et de développement humain dans le monde, lesquels dépassent le cadre restrictif du PNB. L‟élaboration de ces indicateurs a permis de mesurer l‟énorme retard des pays d‟Afrique subsaharienne en matière de développement humain et conséquemment, l‟état de la pauvreté. 336 Tableau 38 : Indicateurs économiques et sociaux dans le monde Pays de l‟OCDE PIB/hbt en Espéra 1998 (en francs nce de vie français de 1999) (en années) 134 000 76,4 Taux d‟alphabétisation des H plus de 15 ans (en %) 97,4 0,89 Europe de l‟Est et 40 900 CEI 68,9 98,6 0,78 Amérique Latine 43 000 69,7 87,7 0,76 Asie de l‟Est (Chine 23 500 incluse) 70,2 83,4 0,72 Pays arabes 27 300 66 59,7 0,63 Asie du Sud (Inde 13 900 incluse) 63 54,3 0,56 Afrique subsaharienne 10 600 48,9 58,5 0,46 du 43 000 66,9 78,8 0,71 Ensemble monde ID Source : Rapport mondial sur le développement humain, 2000 Le RMDH de 2000 le révèle : l‟IDH de l‟Afrique subsaharienne atteint en moyenne 0,46, ce qui traduit un gap de 0,536 en termes de développement humain. Depuis 1990, environ 35 des 50 pays classés derniers en fonction de l‟IDH sont africains. Compte tenu de l‟aggravation de la pauvreté et des inégalités dans le monde, et particulièrement dans les PVD, il apparaît aujourd‟hui nécessaire d‟aller au-delà de l‟aspect statistique des analyses menées pour adopter une démarche dynamique qui fasse le lien entre ces indicateurs de qualité de vie et le profil de la croissance économique. Le bilan de plus d‟une décennie de recherche et de lutte contre la pauvreté est fortement contrasté. Les actions de lutte contre la misère et la famine ont donné quelques résultats positifs indéniables avec l‟augme