Evaluation du risque naturel l`chelle de la plante

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Evaluation du risque naturel l`chelle de la plante
Cybergeo : Revue européenne de géographie, N° 286, 16 septembre 2004
Cartographie du risque naturel dans le monde . Etude comparative
entre une approche d'ordre social et une approche d'ordre économique
de la vulnérabilité
Global natural hazard mapping. Comparative study between a social
approach and an economical approach of the vulnerability
Gilles ANDRE
Université Paris 7 – Denis Diderot – Pôle Image
2, place jussieu – 75005 Paris Cedex – Case 7001.
Résumé :
Depuis une vingtaine d'années les catastrophes naturelles (C.N.) occupent une place
importante dans nos esprits, dans les médias et sur la scène politique. Hier encore, jugées
comme la manifestation de la colère de dieu ou de la fatalité, les progrès scientifiques ont
conduit à une rationalisation des modes de pensée qui nous rend moins tolérant vis-à-vis des
catastrophes naturelles. Si de nombreuses études ont été menées pour mieux cerner et
comprendre les mécanismes qui engendrent de tels phénomènes, rares sont celles qui se sont
intéressées à une estimation globale du risque naturel à l'échelle de la planète, selon
différentes approches de la vulnérabilité. Nous présentons, dans cet article, une étude
comparative de l'estimation du niveau d'exposition au risque naturel de chaque pays à partir
de deux approches de la vulnérabilité (sociale et économique) combinées à une approche
probabiliste de l'aléa naturel. Ce travail permet de faire ressortir l'existence d'inégalités entre
les pays "riches" et les pays "pauvres" face au risque naturel en considérant l'aspect social de
la vulnérabilité, alors que dans l'approche économique, la tendance s'inverse, mettant les pays
"riches" parmi les pays les plus exposés au risque naturel.
Mots-clés : risque naturel, cartographie, vulnérabilité, aléas
Abstract :
Since the last twenty years, natural hazard have taken an important place in our mind
and in the media. Considered in the pastas the manifestation of the divine's anger and of the
fatality, scientist progress has brought us to a rationalization of the way of thinking, making
us less tolerant with natural hazard. If many studies have been made in a frame of the
characterisation of the physical process that bring to natural hazard, few studies have been
made in a frame of the a global estimation of the exposition of each country to natural hazard
using two approaches of the vulnerability. The aim of our paper is to present a comparative
study of the estimation of the risk exposure of each country, combining two approaches of the
vulnerability (social and economic) with a probabilistic approach of the hazard. This work
highlights the fact that using a social approach of the vulnerability, we can observe a great
inequality between "rich" countries and "poor" countries that present a high level of exposure
to risk while using an economical approach of the vulnerability, "rich" countries present the
highest level of exposure to risk.
Keywords : natural hazard, Map, Vulnerability
1
Cybergeo : Revue européenne de géographie, N° 286, 16 septembre 2004
1. Introduction
Voilà plus de 10 ans que dans le sillon de la "décennie de lutte mondiale contre les
catastrophes naturelles", émergeait une nouvelle science du risque : la cindynique. Cette
science dont l'objectif est d'étudier et de comprendre non seulement les phénomènes naturels
d'un point de vue physique mais également d'estimer les facteurs de vulnérabilité des biens et
des sociétés afin de déboucher sur des actions de prévention. Si un certain nombre d'efforts
portant sur la compréhension de certains aléas naturels, sur leur prévision et leur prévention a
été réalisé, il demeure que la caractérisation de la vulnérabilité des biens et des enjeux reste
encore un problème délicat en raison des nombreuses approches et définitions que l'on peut
donner à la vulnérabilité. Cette difficulté à estimer la vulnérabilité d'une société ou d'un
territoire en termes de quantification physique ou de causes et de conséquences sociales
conduit à ne pas pouvoir mener d'études comparatives d'un territoire à l'autre, ou d'une société
à l'autre. Les facteurs de vulnérabilité étant souvent étroitement liés au vécu des sociétés, les
études de vulnérabilité se sont toujours portées sur des territoires précis et bien délimités
(Chardon, 1994). Les comparaisons entre différents territoires et sociétés n'étaient que trop
rarement effectuées. La conséquence de cette absence de comparaison est qu'il est difficile de
relativiser un événement naturel, et de crier à la catastrophe, quand l'Aude et ses affluents
débordent faisant une dizaine de morts, alors qu'au même moment, les coulées de boues qui se
produisaient sur la côte Nord du Venezuela faisaient à elles seules près de 50.000 morts.
Sans chercher à dénoncer un certain égoïsme de nos sociétés, nous proposons à travers cette
étude d'estimer l'exposition de chaque pays au risque naturel. Comme nous venons de le
souligner précédemment, il est difficile d'estimer la vulnérabilité des biens et sociétés exposés
en raison de la relative ambiguïté de ce concept. Néanmoins, si l'on se réfère à la définition du
risque naturel du MEDD1 selon laquelle le risque naturel correspond à la conjonction d'un
phénomène naturel dit "aléa" et d'une vulnérabilité des biens et des personnes exposés, nous
devons, dans notre étude comparative sur le niveau d'exposition aux risque naturel de chaque
pays, mettre au point une méthode d'estimation globale de la vulnérabilité pour chaque pays.
Au regard des différentes définitions proposées pour la vulnérabilité, il ressort que deux
approches peuvent être retenues : une première approche visant à estimer la vulnérabilité en
fonction des pertes financières qu’occasionnerait une catastrophe naturelle, et une approche
intégrant un large panel de facteurs sociaux, démographiques, culturels et historiques. Dans
notre étude, nous avons donc cherché un ensemble d’indicateurs pouvant nous permettre de
caractériser la vulnérabilité selon les deux approches retenues. Ces indicateurs devaient
présenter l’intérêt d’être disponibles pour l’ensemble des pays du globe, et de présenter une
certaine fiabilité. Face à la grande difficulté de trouver des indices socio-économiques et
démographiques détaillés pour tous les pays, nous nous sommes contraints à l’utilisation de
quatre indices synthétiques : le Pib par habitant, l’Indice de développement Humain, le taux
d’urbanisation, et la croissance démographique.
Un premier travail a donc consisté à compiler les informations nécessaires aux différents
calculs de la vulnérabilité ainsi qu’à l’estimation de l’aléa. Pour la vulnérabilité, nous avons
cherché les indicateurs dans les différentes bases de données mondiales des Nations Unies, du
PNUD2 (PNUD, 2003). L’estimation des aléas s’est faite grâce à la base de données EMDAT
du CRED3 qui recense plus de 13000 catastrophes naturelles dans le monde depuis 1900. Les
catastrophes naturelles y sont classées par pays et grands types de phénomènes (séisme,
inondations, tempêtes, cyclones, tempêtes tropicales, avalanche, glissement de terrain,
sécheresse etc…). Ce travail de compilation a été effectué à partir de sources hétérogènes
telles que les rapports d’ONG, de gouvernement, de compagnies d’assurance, les coupures de
presses. Il est bien évident, que comme dans tout travail de compilation, le niveau de fiabilité
et d’exhaustivité de l’information diffère d’un pays à l’autre et surtout d’une époque à une
autre. Aussi, nous avons décidé de nous intéresser uniquement aux 30 dernières années, pour
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lesquelles nous estimons que l’information recueillie est plus exhaustive et plus fiable. À
partir de ces données relatives aux catastrophes naturelles, nous avons effectué des
regroupements selon les origines des aléas en quatre classes : séismes, inondations,
sécheresse, phénomènes éoliens (cyclone, tempête). Nous avons délibérément écarté les
phénomènes comme les avalanches ou les glissements de terrains, qui ne représentent pas une
grande part dans les aléas à l’origine de catastrophes naturelles.
Le travail de compilation de données étant réalisé, nous avons intégré l’ensemble des ces
informations dans un système d’information géographique afin de calculer d’une part le
niveau d’exposition des chaque pays aux phénomènes naturels et d’autre part la vulnérabilité
selon les deux approches retenues. Nous présentons donc dans une première partie, les
méthodes de calcul de l’aléa et de la vulnérabilité, puis nous discutons les résultats obtenus
dans une seconde partie.
2. Le calcul de l'aléa
En considérant la définition acceptée par tous dans laquelle " le risque naturel
correspond à la conjonction d'un aléa naturel de la vulnérabilité des enjeux exposés ", nous
devons au préalable présenter les différentes méthodes de calcul de ces paramètres en fonction
des approches retenues.
L'aléa étant indépendant de l'une ou de l'autre des approches, nous utiliserons la même
méthode de calcul de celui-ci dans les deux approches d'estimation du risque naturel.
En nous référant à la définition du MEDD, nous proposons une approche probabiliste
du calcul de l'aléa à partir de la somme des probabilités d'occurrence des quatre grands types
de phénomènes naturels retenus dans le cadre de notre étude. Cette probabilité est calculée à
partir des observations faites sur les 30 dernières années disponible dans la base de données
EDM-DAT du CRED. Les phénomènes naturels n'ayant pas tous la même intensité
dommageable, nous avons pris le parti de pondérer chaque probabilité par le nombre moyen
de victimes (morts) qu'occasionnent ces phénomènes. Un poids de 1 a été retenu pour les
inondations, de 2,2 pour les phénomènes éoliens (cyclone, tornade, tempête), de 8,3 pour les
séismes et de 15,4 pour les sécheresses.
Ainsi nous définissons l'aléa selon la formule suivante [2.1]
i
⎡x
⎤
A = ∑ Pi * ⎢ i * 0, 01 ⎥
⎢⎣ n
⎦⎥ [2.1]
1
où Pi correspond à la probabilité d’occurrence de chaque type de phénomènes noté i, xi au
nombre de morts par phénomènes, et n au nombre total de catastrophes naturelles par type de
phénomènes.
Dans cette approche de l'aléa, nous aurions pu uniquement nous intéresser à la probabilité
d'occurrence des phénomènes, mais cela aurait consisté à placer sur une même échelle
d'intensité des phénomènes aux conséquences différentes. L'aléa devant être défini par son
intensité (Dauphiné 2001), il nous a donc semblé nécessaire de pondérer chaque phénomène
naturel par une intensité moyenne estimée à partir du nombre de morts.
L'aléa étant défini, nous allons maintenant nous intéresser à la quantification de la
vulnérabilité selon deux approches : humaine ou sociale et économique.
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3. Les deux approches de la vulnérabilité
3.1. Estimation de la vulnérabilité selon une approche d'ordre sociale.
Cette première approche de la vulnérabilité, que nous qualifions d'ordre social, privilégie les
facteurs sociaux, démographiques et culturels, et ne prend pas en compte les facteurs
économiques qui cherchent à quantifier en termes de coûts financiers les dommages et les
pertes liées à une catastrophe naturelle. Le choix des paramètres entrant dans le calcul de la
vulnérabilité a été conditionné par deux facteurs : le facteur disponibilité des informations, et
le facteur échelle. Nous avons donc retenu un ensemble de paramètres disponibles pour la
plupart des pays qui sont d'ordre socio-économique et démographique.
Le premier paramètre retenu est l'Indice de Développement Humain (IDH) proposé par le
PNUD, qui est un indice synthétique "commode" selon d'Ercole et Pigeon (1999), combinant
plusieurs facteurs socio-économiques (santé, richesse et éducation) représentatifs du niveau de
développement d'un pays. Dans le calcul de la vulnérabilité, nous entrons donc l'IDH en
valeur inversée, car nous considérons ici que plus un pays est développé, plus il saura se
protéger des phénomènes naturels.
Le second paramètre utilisé est le produit intérieur brut (PIB) par habitant estimé en indice et
en valeur logarithmique inversée. Ici encore, nous considérons que la richesse d'un pays
permet à celui-ci de développer des moyens de prévention, de prévision des catastrophes
naturelles, et d'intervenir rapidement en cas de crise. En effet, on observe (André 2003) que la
plupart du temps, l'efficacité des secours, les structures d'accueil sanitaire, le nombre
d'hôpitaux disponibles et la capacité de lutte contre les épidémies sont fonction de la richesse
du pays. L'emploi du PIB, ici, conjugué à celui de l'IDH peut paraître redondant. Cependant,
bien qu'entrant dans le calcul de l'IDH, le PIB et ce dernier indice ne présentent pas une très
forte corrélation (coefficient de corrélation entre le PIB/hab et l’IDH de 0.30 sur 174
observations). La transformation de la valeur du PIB/hab en valeur logarithmique permet de
minimiser les effets de taille dans le calcul final de la vulnérabilité.
En reprenant la définition de la vulnérabilité d'Ercole et Thouret (1994) qui est la propension
à subir des dommages, suivant la capacité de réponses des sociétés concernées vis-à-vis des
menaces d'origines naturelles, nous considérons que plus une société est riche et moins elle
aura de difficulté à retrouver un équilibre après une catastrophe naturelle. Inversement, plus
cette société et pauvre et moins sa capacité de réponse vis-à-vis de la menace sera forte et
donc le retour à un équilibre rapide.
Le troisième paramètre retenu dans le calcul de la vulnérabilité est celui de la part de la
population urbaine dans la population totale du pays. Même si ce paramètre ne peut être
directement corrélé avec une augmentation du risque, il demeure que pour certains auteurs
(Ledoux 1995, Blaikie 1994), l'urbanisation, synonyme de concentration spatiale de la
population, est un facteur aggravant de la vulnérabilité. Cependant, une urbanisation réfléchie
et planifiée, qui évite l'implantation des populations dans des zones exposées aux aléas
naturels (plaine d'inondation, versants instables ou versant de volcans etc…), peut être un
facteur réducteur de la vulnérabilité. Globalement, nous pouvons dire que les zones
urbanisées les plus vulnérables sont celles qui connaissent une croissance exponentielle non
maîtrisée en raison d'un exode rural prononcé lié à une paupérisation des campagnes. Pour
Ledoux (1995) le taux d'urbanisation dans les pays en voie de développement est un bon
révélateur de la vulnérabilité dans la mesure où "le processus d'urbanisation est lié à la fois à
une migration de populations rurales et à une croissance démographique forte ; les
populations s'installent en masse en ville, ne laissant pas le temps aux infrastructures de les
accueillir".
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Pour permettre une séparation entre les pays dont le fort taux d'urbanisation est un héritage, de
ceux dont l'urbanisation relève de processus récents liés en grande partie à la paupérisation
des campagnes et à une forte croissance démographique, nous avons pris le parti de pondérer
ce taux d'urbanisation par le taux de croissance démographique des dix dernières années.
À partir de ces quatre paramètres, nous proposons une estimation de la vulnérabilité par pays
selon la formule suivante [3.1].
V=
1
1
*
IDH Log Pib
(
)
* U * CP
hab
[3.1]
où IDH est l'indice de développement humain de 1999, le PIB/hab est le produit intérieur brut
de 1999 par habitant, U est la part de la population urbaine dans la population totale du pays
et Cp est le taux de croissance démographique de 1990 à 2000.
3.2. L'approche économique de la vulnérabilité
Cette seconde approche de la vulnérabilité se base sur l'estimation globale, a priori, des pertes
économiques occasionnées par une catastrophe naturelle. Elle repose donc sur le calcul du
montant des enjeux et est fréquemment exprimée en unité monétaire. Dans cette approche,
plus la valeur des biens exposés est importante et plus la vulnérabilité sera grande. Cependant,
ne pouvant prendre uniquement en compte la valeur des biens exposés, au risque de retomber
dans la première définition du risque naturel proposée par Thouret (1996)4, il nous faut
obligatoirement évaluer la vulnérabilité à partir d'autres critères que celui de la valeur. En
effet, deux biens de même valeur ne présenteront pas la même vulnérabilité face à un aléa en
fonction du degré de protection de ceux-ci, et de la capacité à prévenir le phénomène naturel.
Si le degré de protection peut être estimé à grande échelle, il est quasiment impossible de
l'estimer à l'échelle d'un pays ou d'un continent; le niveau de protection des enjeux étant
étroitement lié aux politiques de prévention et au degré de développement des pays. À titre
d'exemple, nous pouvons retenir l'approche proposée par la société munichoise de
réassurance5, qui estime, pour une trentaine de mégas poles du monde, la vulnérabilité en
fonction du type de construction, des politiques de prévention et de protection, de la densité
de population et d'urbanisation. Tout ceci est ensuite combiné avec une valeur du bâti, le PIB
par habitant et le poids de chacune des villes dans le réseau économique global (MunichRE,
2002). Cette approche, qui présente l'avantage de combiner des facteurs physiques et
économiques, ne peut être utilisée dans le cadre d'un travail à l'échelle planétaire pour laquelle
l'estimation de la valeur du bâti et sa vulnérabilité physique ne peut être faite correctement.
Elle reste toutefois pratique pour travailler à l'échelle d'une ville.
La méthode de calcul de la vulnérabilité que nous proposons ici selon une approche
économique repose sur l'utilisation combinée d'indices économiques comme le PIB par
habitant, et d'indices socio-économiques et démographiques comme l'IDH, la part de la
population urbaine et le taux de croissance de la population depuis 10 ans. La formule du
calcul de la vulnérabilité économique est présentée dans l'équation suivante (cf. équation 3.2).
1
1
*U*
*
V = Log Pib
Hab IDH
CP [3.2]
(
)
où IDH est l'indice de développement humain, le PIB/hab est le produit intérieur brut de 1999
par habitant, U est la part de la population urbaine dans la population totale du pays et Cp
est le taux de croissance démographique de 1990 à 2000.
Dans cette seconde approche, le PIB par habitant (exprimé en valeur logarithmique)
permet d'estimer la richesse globale d'un pays et donc la valeur des biens exposés. Le PIB est
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donc un facteur d'augmentation de la vulnérabilité. Afin de juger en partie de la capacité d'un
pays à prévoir et se protéger contre les catastrophes naturelles, nous utilisons l'IDH inversé.
Nous considérons ici que plus un pays est développé, plus il développera des politiques de
prévention et de prévision des catastrophes naturelles et plus il mettra de moyens pour la
protection de ces biens exposés. L'IDH est donc utilisé comme un facteur réducteur de la
vulnérabilité. Par exemple, concernant les mesures de protection contre les séismes, nous
constatons que les règles de construction parasismique sont globalement bien appliquées et
respectées dans les pays "riches" alors que pour les pays en voie de développement comme la
Turquie, l'Algérie ou encore les pays d'Amérique du Sud, ces règles sont quasi inexistantes ou
alors non respectées. Le cas le plus flagrant est celui du séisme d'Izmit (1999) en Turquie,
pour lequel nous avons constaté qu'une grande partie des immeubles détruits était des
immeubles construits durant les années 90, période à laquelle les règles de construction
parasismique étaient déjà en vigueur dans ce pays (André, 2003). Ce même phénomène a été
observé lors du séisme d'Alger en mai 2003 (André et al. 2003). De même que pour les règles
parasismiques, les plans de prévention des risques et les plans d'urbanisme dont sont dotés les
pays développés, font très souvent défaut dans les pays en voie de développement. À partir de
ces constatations, il nous est apparu nécessaire d'utiliser un indice de développement comme
facteur de pondération dans le calcul de la vulnérabilité. Enfin, comme le fait remarquer
Ledoux (1995), le taux d'urbanisation est aussi révélateur de la vulnérabilité d'une société. A
priori, les zones fortement urbanisées et peuplées sont plus vulnérables du fait de la
concentration spatiale des enjeux et des richesses. Cependant, les urbanisations anciennes sont
pour la plupart dotées de plans d'urbanisme. Elles ont déjà connu des catastrophes naturelles
et en ont tiré un certain nombre de leçons. Elles apparaissent moins vulnérables que les
urbanisations récentes qui sont le produit d'une croissance démographique importante et non
maîtrisée, ainsi que d'un exode rural soutenu par la paupérisation des campagnes. Ces
nouvelles urbanisations ne contrôlent pas le flux d'immigrants qui bien souvent s'installent à
la périphérie des centres historiques, dans les secteurs les plus exposés aux aléas naturels.
C'est pourquoi, dans l'optique d'intégrer une composante historique caractérisant la structure
urbaine d'un pays, nous utilisons comme derniers facteurs dans le calcul de la vulnérabilité, le
facteur de la part de la population urbaine pondéré par l'inverse de la croissance
démographique ; ceci permettant de différencier deux types de structure urbaine.
Les deux approches de la vulnérabilité étant définies, nous pouvons définir le risque naturel
selon les deux équations suivantes (cf. équation 3.3 et 3.4).
Le risque naturel selon une approche sociale :
⎛
⎞
i
⎛
⎡ xi
⎤⎞ ⎜
1
1
RN = ⎜ A = ∑ Pi * ⎢ * 0,01⎥ ⎟ * V1 =
*
* U * CP⎟
⎜
⎟
n
IDH
Pib
⎝
⎠
⎣
⎦
1
Log
⎝
⎠ [3.3]
hab
Le risque naturel selon une approche économique :
i
⎛
⎡x
⎤⎞ ⎛
1 ⎞
1
⎟
⎜
*U*
*
RN = A = ∑ Pi * i * 0,01 ⎟ * ⎜ V2 = Log Pib
⎢
⎥
Hab
⎝
C
IDH
n
⎠
⎝
⎣
⎦
P⎠
1
[3.4]
où Pi correspond à la probabilité d’occurrence de chaque type de phénomènes noté i, xi au
nombre de morts par phénomènes, et n au nombre total de catastrophes naturelles par type de
phénomènes, IDH est l'indice de développement humain, le PIB/hab est le produit intérieur
brut de 1999 par habitant, U est la part de la population urbaine dans la population totale du
pays et Cp est le taux de croissance démographique de 1990 à 2000.
(
(
)
)
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À partir de ces deux définitions du risque naturel, nous avons calculé pour chaque pays un
niveau d'exposition au risque naturel selon les deux approches. Le chapitre suivant présente
les résultats sous la forme de cartes d'exposition au risque.
4. Résultats et discussions
Avant même de présenter les résultats des deux approches du risque naturel sous la forme de
cartes, il nous semble primordial, pour une meilleure interprétation des résultats, de se
pencher sur le niveau d’exposition aux aléas naturels responsables de catastrophes de chaque
pays. Le risque naturel étant la conjonction d’un aléa et d’une vulnérabilité, ne pas présenter
les différents niveaux d’exposition de chaque pays à l’aléa risque de conduire à des
interprétations erronées des résultats finaux concernant les risques à l’échelle de la planète, et
la comparaison des deux approches retenues dans le calcul du risque.
4.1. L’exposition des pays aux aléas naturels responsables de catastrophes naturelles.
Afin de définir un niveau d’exposition aux aléas pour chaque pays, nous avons, dans un
premier temps, réalisé une carte d’estimation de l’exposition à partir du traitement des
probabilités d’occurrences de chaque aléa naturel retenu dans le cadre de notre étude,
calculées sur une période de 30 ans. Cette première méthode ne tenant pas compte de
l’intensité et de la dangerosité des aléas, nous a conduit à classer les 2/3 de la planète comme
fortement exposés aux aléas naturels dommageables.
Cependant, comme nous l’avons déjà évoqué précédemment (cf. § 2), les différents aléas
naturels ne présentent pas tous le même pouvoir destructif, il faut donc pondérer la probabilité
de chaque aléa par un facteur de dangerosité ou d’intensité globale du phénomène. Nous
avons donc repris la formule [2.1] proposée dans le paragraphe précédent pour calculer un
niveau d’exposition globale aux aléas par pays (cf. figure 4.1), pondéré par l’intensité des
aléas. Cette seconde méthode de calcul de l’exposition aux aléas nous permet de constater que
les pays les plus exposés à des phénomènes naturels destructeurs sont les Etats-Unis, le
Mexique, la partie nord de l’Amérique du sud, l’Asie mineure, centrale et orientale, l’Océanie
ainsi que l’Afrique Sahelo-soudanaise et l’Afrique de l’Est. Concernant l’Europe, cette
dernière présente des valeurs fortes sur la façade océanique, et moyennes dans sa partie
orientale.
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Figure 4.1 : carte d’estimation du niveau d’exposition des pays aux aléas naturels réalisée à
partir de la somme des probabilités d’occurrence de chaque type d’aléa pondérées par la
dangerosité des phénomènes.
Cette seconde carte nous permet donc de mettre en avant les différenciations spatiales du
niveau d’exposition à des aléas responsables de catastrophes naturelles. Du point de vue de la
composante physique du risque naturel, on peut donc avancer que tous les pays et toutes les
régions du globe ne sont pas sur un même pied d’égalité. Cette constatation étant faite nous
allons maintenant nous intéresser à l’estimation de la composante « non physique », et non
aléatoire du risque : à savoir la vulnérabilité, estimer ici selon les deux approches
précédemment présentées.
4.2. Estimation du risque naturel selon les approches sociales et économiques de la
vulnérabilité.
Dans cette section, nous présentons les résultats finaux sur la caractérisation du risque naturel
à partir, d’une part des données relatives à l’exposition aux aléas présentées précédemment et
d’autre part, à partir des deux approches de la vulnérabilité que nous avons définies dans le
paragraphe précédent. Nous présentons donc dans un premier temps une estimation du risque
naturel selon un approche sociale puis dans un deuxième temps, selon une approche
économique. Les résultats sont présentés ici, sous forme cartographique afin de pouvoir
discuter et comparer les deux méthodes employées. Pour chacune d’entre elles, nous avons
défini quatre niveaux de risque, allant du risque faible à très fort, basés sur une discrétisation
selon la méthode moyenne ± 1 écart-type.
La représentation sociale du risque (cf. figure 4.2) confirme nos suppositions sur l’existence
d’une inégalité Nord-Sud des pays face au risque naturel. Nous observons, en effet, une
dichotomie de la planète, avec d’une part les pays « riches » de l’hémisphère Nord, d’Océanie
et d’Amérique du Sud, pour lesquels le niveau de risque naturel est relativement faible, et
d’autre part, les pays « pauvres » ou PVD, d’Amérique centrale et du Sud, d’Afrique et d’Asie
pour lesquels le niveau de risque naturel est relativement important.
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Figure 4.2: carte d’estimation du niveau de risque par pays réalisée
selon une approche sociale de la vulnérabilité.
Une analyse minutieuse nous permet de constater qu’il existe un premier groupe de pays à fort
niveau de risque, comprenant l’Afrique Sahelo-soudanaise, l’Afrique des grands lacs, le subcontinent indien, la Chine et l’archipel indonésien ainsi que le Mexique, le Pérou et la Bolivie.
Dans ce premier ensemble, nous pouvons observer que de fortes disparités demeurent quant
au niveau de développement de chaque pays en termes social, technologique et économique.
Certains pays comme la Chine, l’Inde ou encore le Mexique, présentent un bon niveau de
développement technologique et économique. Leur affectation à une classe de pays à fort
niveau de risque, peut donc être en partie expliquée par une inégale répartition des richesses
au sein des populations, ou encore par une forte exposition aux phénomènes naturels
destructeurs. Le groupe Afrique ne peut quant à lui expliquer son très fort niveau de risques
par une forte exposition aux aléas naturels. Bien que très meurtrières, les sécheresses, qui
frappent cette région du globe, restent peu fréquentes, et ne suffisent pas expliquer à elles
seules ces valeurs de risque. Il faut donc chercher du côté de la vulnérabilité sociale, qui ici
reste très forte pour expliquer cette situation. Cette partie de l’Afrique correspond aux pays les
moins développés, avec des indices socio-démographiques, sanitaires, et économiques
toujours très faibles.
Du point de vue des pays présentant un niveau moyen à faible de risque, l’analyse du niveau
d’exposition aux aléas naturels nous apprend que majoritairement ces pays sont fortement
exposés aux phénomènes naturels. Ce qui réduit, en définitive, leur niveau global de risques et
donc une très faible vulnérabilité sociale liée à une fort développement économique,
technologique, et à une meilleure répartition des richesses et du savoir au sein des
populations.
Si la caractérisation du risque naturel selon une approche sociale de la vulnérabilité a permis
de faire ressortir des inégalités Nord-Sud des sociétés vis-à-vis du risque naturel, qu’en est il
de la caractérisation du risque selon une approche économique de la vulnérabilité ?
De même que pour l’approche sociale du risque, nous avons calculé un niveau de risque par
pays selon l’approche économique de la vulnérabilité en employant la formule présentée au
paragraphe 3 [2.5], puis réalisé une carte du niveau de risque (cf. figure 4.3) en quatre classes
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selon la même méthode de discrétisation que celle employée dans le calcul du risque selon
l’approche sociale.
Figure 4.3 : carte d’estimation du niveau de risque par pays réalisée
selon une approche économique de la vulnérabilité.
La première constatation que nous pouvons faire à la lecture de la carte (cf. figure 4.3)
est que les inégalités Nord-Sud observées dans la première approche du risque naturel sont
moins marquées. Bien évidemment, ici, ce sont les pays riches qui présentent le plus fort
niveau de risque mais la grande majorité de l’Amérique du Sud, ainsi que l’Inde et la Chine se
trouvent aussi dans des classes de niveaux élevés. Ce constat peut s’expliquer par le fait que
ces pays, considéré comme « pauvres », ont une très forte activité économique et produisent
autant voire plus de richesses que bon nombre de pays « riches ». Seules l’Afrique, la
péninsule indonésienne et la Scandinavie présentent des niveaux de risque faibles. Pour cette
dernière, il semble que le faible niveau de risque ne peut être imputé à une faible activité
économique, mais plus à une exposition très faible aux aléas naturels. Pour le groupe
Indonésie et Afrique, le faible niveau de risque s’explique d’avantage par une faible
production de richesses économiques que par une faible exposition aux phénomènes naturels.
Cette seconde approche du risque, nous montre donc en partie des résultats contraires à ceux
observés avec l’approche sociale. Les pays les plus exposés sont ici ceux-là mêmes qui avec
la première approche présentaient des niveaux faibles de risque.
Conclusions
Sans être la solution idéale, ce travail, sur la vulnérabilité face aux catastrophes naturelles, a
permis de poser les bases d’une réflexion sur les approches à envisager dans l’estimation du
risque naturel à l’échelle d’un continent ou de la planète. Bien que les deux méthodes de
calcul du risque soient opposées, elles présentent une certaine complémentarité et ne donnent
pas systématiquement des résultats contradictoires. Leur combinaison pour une évaluation du
risque nous permettrait de faire ressortir trois groupes de pays : un groupe caractérisé par un
risque faible (Scandinavie, Afrique australe atlantique, péninsule indochinoise), un deuxième
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Cybergeo : Revue européenne de géographie, N° 286, 16 septembre 2004
groupe fortement exposé au risque (Mexique, nord de l’Amérique du Sud, Inde, Chine,
Indonésie, Philippines), et un troisième groupe caractérisé par un niveau de risque moyen et
regroupant l’ensemble des autres pays du globe.
Bien évidemment, il est rare que l’on combine ces deux approches du risque. Soit, on se place
du point de vue des coûts financiers (point de vue des assureurs) et l’on retient l’approche
économique, auquel cas la géographie du risque présente les pays riches comme étant les plus
exposés avec quelques PVD d’Asie et d’Amérique du Sud ; soit on se concentre sur l’aspect
social et culturel du risque, et l’on met alors en évidence une très forte inégalité nord-sud avec
les sociétés les plus démunies qui demeurent les plus exposées au risque naturel.
Enfin, dans l’étude du risque naturel, il est souvent observé une dichotomie entre les partisans
de l’analyse du risque par les phénomènes naturels (aléas) et ceux, partisans d’une approche
par la vulnérabilité, ceci conduisant bien souvent à une analyse imparfaite du risque naturel.
En combinant, à la fois l’étude des aléas sous la forme d’une analyse probabiliste et l’étude de
la vulnérabilité selon deux approches empiriques (économique et sociale), nous proposons
une méthode d’analyse plus complète du risque naturel à l’échelle du globe, ouvrant ainsi sur
la possibilité de comparer différentes régions de la planète entres elles, et sortant du cadre très
local dans lequel le risque naturel est souvent étudié. Quelques bémols doivent être apportés à
cette nouvelle approche du risque, qui reste encore expérimentale. Désireux de proposer une
méthode permettant une comparaison par pays, nous avons été contraints de recourir à des
indices socio-économiques et démographiques synthétiques disponibles pour l’ensemble des
pays. Ces indices peuvent parfois présenter une certaine corrélation mais globalement à
l’échelle de la planète, il ne nous a pas été permis de constater de corrélations significatives
entre le PIB et l’IDH ou encore entre le taux d’urbanisation et la croissance urbaine. Enfin,
pour pallier à des effets de tailles liés à l’emploi du Pib/hab, nous avons opté pour une
transformation logarithmique de ce dernier, ce qui permet de réduire le poids de cet indice
dans les deux méthode de calcul de la vulnérabilité.
Bibliographie.
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© CYBERGEO 2004
ANDRE G., Cybergeo, No. 286, 16 septembre 2004
1
Ministère de l'écologie et du développement durable.
Programme des Nations Unies pour le Développement
3
Centre for Research on the Epidemiology of Disasters
4
RN = aléa * enjeux
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MunichRe
2
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