Vivre dans le camp, vivre ailleurs : Les Palestiniens réfugiés en

Transcription

Vivre dans le camp, vivre ailleurs : Les Palestiniens réfugiés en
Vivre dans le camp, vivre ailleurs :
Les Palestiniens réfugiés en Egypte et dans les
Territoires palestiniens
Publié en janvier 2006 dans : GEOGRAPHIES. Bulletin de l'Association des
Géographes Français. Association de Géographes Français.
Sari HANAFI∗
"Les mots peuvent aider à comprendre, en réintroduisant les
nuances que l'images perdent, s'ils sont assez précis pour décrire de
l'intérieur ce qui se passe, ce qui est vécu. Pour parler des souffrances
tout en critiquant la victimisation dont les réfugiés sont l'objet"
(Agier, 2002: 15)
RESUME. - Parler des réfugiés palestiniens dans les pays arabes prend sens si l’on
distingue ceux qui habitent dans les camps et les autres. En Syrie, Jordanie, Liban mais aussi
dans les Territoires palestiniens, les réfugiés ont été entassés dans des camps même si
certains ont pu s’en échapper. L’Egypte est le seul pays arabe ayant refusé d’ouvrir des
camps pour les Palestiniens qui, de ce fait, habitent principalement en ville. Cet article
compare le statut légal et la situation socio-économique de deux communautés
palestiniennes, l’une accueillie en Egypte et l’autre vivant dans des camps en Territoires
palestiniens. Il démontre que les modalités d’installation contrairement à l’opinion répandue
qui met en avant l’absence de camps de réfugiés comme facteur déterminant de la dilution de
l’identité nationale des réfugiés dans le pays hôte, cet article démontre que le lien entre le
maintien d’une identité nationale des réfugiés dans un pays d’accueil et les modalités
d’installation est très faible et que le fait de vivre dans un camp crée une nouvelle identité qui
relève davantage d’une identité urbaine que nationale.
Mots-clés : Egypte, Territoires palestiniens, Réfugiés, Palestiniens, camps, statut légal,
situation socio-économique, identité nationale.
ABSTRACT. - With respect to Palestinian refugees in the Arabic countries it helps to
make a distinction between two groups: the first includes those in the refugee camps of Syria,
Lebanon, Jordan and West Bank and Gaza, even those who chose later on to move outside ;
the second group comprises the Palestinians of Egypt where they are mainly urban dwellers
(without refugee camps). This article will present first an overview of the legal and socioeconomic situation of the Palestinian refugees in Egypt and then it will compare the situation
of these Palestinians with those who dwell in the refugee camps, mainly in the occupied
Palestinian territories. Contrary to those who see the absence of refugee camps as a
determining factor in the dilution of the national identity of the refugees with that of the host
country, we will see that the relationship between national identity and type of place of
residence is very weak and, on the contrary, the camps created rather a new much more
urban identity than a national one.
Key words : Egypt, Palestinian territories, refugees, Palestinians, camps, legal status, socioeconomic situation, national identity.
∗
Sociologue, Professeur associé (Associated professor), Université américaine de Beyrouth, Liban
1
La diaspora palestinienne comprend aujourd’hui entre 4 et 5 millions de personnes
installées pour la plupart dans les pays arabes limitrophes de la Palestine historique mais aussi
dans les monarchies pétrolières du Golfe, dans les deux Amériques et en Europe. La plupart
des Palestiniens émigrés ont le statut de réfugié. Cette diaspora entretient avec les actuels
Territoires palestiniens (la Cisjordanie et la bande de Gaza) des rapports étroits, mais fragiles
qui se déploient essentiellement dans trois sphères : celle des réseaux, celle de l’idéologie et
celle du cyberespace. La sphère des réseaux repose sur les relations entre membres de réseaux
sociaux et économiques, sur une base surtout familiale. La littérature scientifique sur la
diaspora présuppose souvent des liens mécaniques entre des périphéries et un centre, fondés
sur des réseaux sociaux et économiques transnationaux, des activités économiques
ethniquement organisées (business ethnique) et un système de solidarité (entraide, dons, etc.).
Toutefois ces connexions sont loin d’être évidentes dans le cas palestinien. Certains réseaux
ont en effet été complètement déstructurés sous le poids des contraintes structurelles imposées
par les Etats arabes.
Le discours nationaliste palestinien du passé fondait sa légitimité sur la base de deux
revendications, la Nakba (catastrophe) et le droit au retour des réfugiés (Hanafi, 2002). Pour
renforcer autant que possible le nationalisme, le camp se présentait comme l’unité de base de
l’identité réfugiée dans les pays hôtes arabes et donc comme le soutien de l’identité
palestinienne. Cet article interroge cette assertion. Il présente tout d’abord le statut légal et la
situation socio-économique de la communauté palestinienne en Egypte (Hanafi, 1997, 2001),
et ensuite les compare à la situation dans un autre contexte où les réfugiés vivent dans les
camps des Territoires palestiniens. Cette démarche démontre que la relation entre l’identité
nationale des réfugiés vivant dans un pays d’accueil et le type de lieu de résidence est très
faible et que vivre dans un camp crée une nouvelle identité qui est beaucoup plus une identité
urbaine que nationale.
1. Vivre en dehors du camp: les Palestiniens en Egypte
Il est impossible de connaître le nombre exact de Palestiniens vivant en Egypte
aujourd’hui tant la diversité des situations que recouvre cette identité est large ; néanmoins, la
dernière estimation en date avance un ordre de grandeur de 120 000 palestiniens.1 Le statut
juridique des Palestiniens en Egypte est multiple. Il est fonction de leur histoire, de leur
origine, de leurs itinéraires. Ce statut dépend également de la catégorie identitaire dans
laquelle ils se trouvent : réfugié, déplacé, étranger, bénéficiaire de certains droits. Les
autorités égyptiennes délivrent trois catégories de permis de séjour en fonction de la date
d'installation en Egypte (documents de catégorie B et J pour ceux arrivés en 1948, de
catégorie D pour ceux arrivés en 1956 et de catégorie H pour ceux arrivés depuis 1967)2.
Cependant, la situation des Palestiniens en Egypte a surtout évolué en fonction des
aléas politiques. Elle a été largement tributaire des relations entre l’OLP et les autorités
égyptiennes. Nous pouvons donc identifier deux périodes bien distinctes : l'âge d'or des
Palestiniens en Egypte entre1962 et 1978 et la période suivante pendant laquelle les
Palestiniens ont été considérés comme étrangers.
1
En 1995, les services égyptiens ont déclaré, à partir de leur connaissance des flux migratoires, un
chiffre de plus de 90 000 palestiniens, mais ce chiffre n'a toujours pas été publié.
2
Il faut cependant noter que les Palestiniens ayant un passeport jordanien d’une durée de 5ans sont
considérés par les autorités égyptiennes comme Jordaniens, échappant ainsi à la fluctuation des relations entre
l'OLP et l'Egypte. La Jordanie délivre deux types de passeport : l'un, d’une validité de cinq ans, est attribué aux
Jordaniens et aux Palestiniens réfugiés avant 1967, et l'autre, d’une validité de deux ans, est accordé aux
Palestiniens réfugiés après 1967.
2
Malgré la sympathie du peuple égyptien pour la cause palestinienne et en dépit des
recommandations de la Ligue arabe concernant l'emploi des réfugiés3, les documents de droit
au séjour délivrés par l'Egypte de 1948 à 1962 mentionnent l'interdiction de travailler même
si, à partir de 1954, le président Nasser permet officieusement à de nombreux Palestiniens de
travailler, notamment comme enseignants. Il faut attendre le 10 mars 1962 pour voir l'Egypte
appliquer les directives de la Ligue arabe et qu’ainsi la situation des Palestiniens s'améliore.
Une loi est promulguée, permettant aux Palestiniens d'être employés par l'Etat (article 1 de la
loi 66 de 1962). Cette loi tardive est sans doute liée au caractère jugé longtemps éphémère de
leur séjour. Le 10 mai 1963, le ministre du Travail exempte les réfugiés de l'obligation d'avoir
une carte de travail. Outre le droit à l'emploi, le régime nassérien permet également aux
Palestiniens d’acquérir des terrains agricoles, un droit normalement interdit aux étrangers (loi
51 de 1963).
Toutefois, leur situation se dégrade rapidement à la suite de la visite à Jérusalem
d'Anouar al-Sadate en novembre 1977 et de l'assassinat de Youssef al-Siba'i, ministre de la
culture égyptien, à Chypre en février 1978 dont l'OLP est rendu responsable. Un décret
intitulé ‘Développement des ressources de l'Etat’, qui spécifie les conditions d'accès aux
emplois publics pour les Egyptiens et les étrangers et donc pour les Palestiniens est
promulgué en 19844.. En 1985, la loi 104 abroge la loi 51 de 1963 qui permettait aux
Palestiniens de posséder des terres agricoles, ce qui les contraint à céder leurs terres à bas prix
(Dajani, 1986).
Les retombées directes de ces mesures sont lourdes, même si les contournements sont
toujours possibles:
- interdiction de travailler dans le secteur public. Les seuls Palestiniens autorisés sont
ceux employés dans l'administration de Gaza ;
- exigence d’une carte de travail pour pouvoir travailler dans le secteur privé, ce qui
implique des interdictions de travail sectorielles ou des refus d'attribution pour des
raisons politiques ;
- interdiction d'accéder à l'école publique sauf dans les villages qui ne possèdent pas
d'autres types d'établissement ; dans ce cas, un droit de scolarité payable en devises
est exigé ;
- interdiction de faire de l'import-export ou de fonder une société dont le capital est à
plus de 50 % étranger ;
- interdiction de s’inscrire dans des clubs sportifs sauf par dérogation du Ministère de
l'Intérieur et contre paiement d’un droit annuel important ;
- difficultés d’obtention du permis de séjour pour certaines catégories. La durée du
permis de séjour en Egypte est fonction de la date d'immigration des Palestiniens : 10
ans pour les réfugiés de 1948, 3 ans pour ceux de 1956, un an pour ceux de 1967, 10
mois pour les réfugiés du camp du Canada5 ;
3
. Lors de la session no 11 du 9 mars 1959, la Ligue arabe a conseillé aux pays arabes membres de
“trouver des opportunités d'emploi pour les réfugiés palestiniens résidant dans leurs pays respectifs, tout en
gardant la nationalité palestinienne comme principe général.”
4
. À titre d'exemple, les autorités égyptiennes exigent le versement de 42,5 LE (Livres Egyptiennes) par
personne pour chaque renouvellement de la carte de séjour, à savoir une période de 10 mois pour les réfugiés
arrivés après 1967. Cette somme est exorbitante pour une famille moyenne de 6 membres.
5
Cet ancien camp du contingent canadien de la Force d’urgence des Nations Unies, établi dans le Sinaï,
héberge des réfugiés palestiniens expulsés au début des années 70 de la bande de Gaza. Assistés par l’ACDI,
l’Agence Canadienne de développement international, ils sont peu à peu rapatriés.
3
- obligation d’un certificat de scolarité émanant d’une université ou d’un institut
d’études supérieures égyptiens ou bien d’une carte de travail pour les enfants des
réfugiés ayant atteint leur majorité (18 ans) afin qu’ils puissent rester en Egypte6;
- interdiction d'ouvrir un cabinet médical privé, même si l'on est inscrit au syndicat
des médecins.
Ces mesures ont affecté directement les conditions de vie de la communauté
palestinienne en ayant des répercussions sur le marché du travail, l’éducation et le droit au
déplacement. Regardons en détail ce marché du travail.
1.1. Le marché du travail
Dispersés sur une grande partie du territoire égyptien, les Palestiniens occupent des
positions socio-économiques extrêmement diverses. Nombre d'entre eux ont ouvert, au cours
des années cinquante, des petits commerces et notamment des épiceries, entreprises qui ne
nécessitent pas de gros investissements. Ainsi, ils ont remplacé partiellement les Grecs et les
Juifs qui avaient quitté le pays.
Toutefois, les activités palestiniennes relevant du domaine privé dépassent largement
ce cadre. On rencontre également de nombreux Palestiniens dans les activités de services
(coiffure, restauration, etc.) où leur savoir-faire leur procure un avantage non négligeable.
Mais le secteur d'activité privilégié des Palestiniens reste le commerce. La continuité
territoriale avec Gaza, dont sont issus la majorité des Palestiniens d'Egypte, a favorisé la
circulation des capitaux et des marchandises. Jusqu'en 1967, l'Egypte est le principal marché
des activités commerciales gazaouites, situation qui prend fin à la suite de l'occupation
israélienne et de la limitation par l'Egypte des flux migratoires palestiniens.
À partir des années cinquante, Gaza administrée par l'Egypte devient un centre
marchand important. Le statut spécifique du secteur et le vide juridique qui découle de
l'administration militaire ne soumettent pas Gaza à la limitation des importations qui touche
l'Egypte à partir de 1952. Malgré la situation militaire, aux avant-postes de la confrontation,
les Gazaouites font le commerce de produits de luxe dont la révolution socialiste proscrit
l'importation en Egypte. De petites embarcations en provenance de Syrie ou du Liban
apportent vers Gaza de nombreuses marchandises dont les Egyptiens sont demandeurs
(textiles, denrées alimentaires, biens d'équipement, etc.).
Les commerçants palestiniens se souviennent de ces jeunes mariés qui venaient alors
du Caire ou d'ailleurs jusqu'à Gaza pour équiper leur foyer. Il en résulte un formidable essor
de l'activité commerciale, des fortunes se constituent, ce qui permet ensuite à de nombreux
commerçants palestiniens d'étendre leurs activités vers Le Caire, où ils bénéficient déjà d'une
clientèle, et, pour certains, d'y revenir après 1967.
Cependant, l'immigration palestinienne en Egypte ne se limite pas aux commerçants.
Lorsque la situation économique de Gaza, surpeuplée, se détériore après la guerre de 1967,
des Palestiniens décident de gagner l'Egypte et d'y chercher un emploi, même précaire.
Nombre d'entre eux sont employés comme ouvriers dans les complexes industriels de Helwân
et al-Mahalla al-Kubra...
Aujourd'hui marginal, le fonctionnariat fut longtemps un vecteur privilégié
d'intégration, au moins numériquement. Cependant, si l'immigration palestinienne est pour
l’essentiel urbaine, on trouve en Egypte une immigration rurale qui se concentre surtout à
Faqos, dans le gouvernorat de Sharqiyya, mais qui représente une toute petite partie de la
communauté (5,6 %). Elle s’est installée dans le Delta du Nil, en provenance souvent de BirSaba. Ses membres sont employés comme travailleurs agricoles saisonniers. 1 500 personnes
adhèrent à l'Union générale des travailleurs de Palestine qui compte 10700 membres en
6
. Cela oblige de nombreux Palestiniens à payer en devises les droits de scolarité dans n'importe quelle
université ou institut supérieur pour obtenir un certificat de scolarité.
4
Egypte 7. Ils travaillent dix heures par jour pour 4 à 7 LE (Livres Egyptiennes) en moyenne,
pendant 15 à 20 jours par mois8. Dans le village d’Abu-Kabir, les maisons des Palestiniens se
distinguent des maisons égyptiennes par leur extrême pauvreté9. Ils subissent de plein fouet
les mesures anti-palestiniennes, notamment en matière d’éducation : pour suivre les cours
gratuits dispensés par les écoles d’al-Azhar, certains enfants se déplacent jusqu’à 15 km de
leur domicile.
Les Palestiniens sont également présents dans les carrières libérales ou intellectuelles,
qui complètent le large éventail des positions socio-économiques de la communauté. Mais audelà de ces réussites, nous pouvons néanmoins souligner que la précarité demeure le
dénominateur commun de nombreux Palestiniens d'Egypte. Selon les premiers résultats d'une
enquête de l'Unicef, axée sur l'enfance et la maternité et menée auprès de la population
palestinienne du Caire, une pauvreté sans précédent semble désormais la caractériser10.
1.2. Entrepreneurs réfugiés: les privilèges de la proximité
Si les entrepreneurs palestiniens interrogés en Amérique et en Syrie sont pour la
plupart des ‘self-made-men’, le cas de ceux vivant en Egypte est plus complexe. En fait, la
continuité territoriale entre l'Egypte et Gaza, ville dont une grande partie de notre échantillon
est issue 11, a favorisé l'exportation des capitaux et du savoir-faire familial. On observe cette
continuité tout particulièrement dans le domaine commercial.
Les entrepreneurs palestiniens en Egypte travaillent dans des secteurs divers : 28 %
ont des entreprises industrielles, 41 % travaillent dans le commerce (de gros ou
d'import/export) et 31 % se répartissent dans l'agriculture, le tourisme, la construction et les
services. Une autre caractéristique est qu'ils détiennent majoritairement (74 %) un diplôme
universitaire - économie, commerce, ingénierie, etc. Dans l’échantillon retenu, personne n'a
un niveau inférieur au baccalauréat. En fait, les Palestiniens d'Egypte ont bénéficié jusqu'en
1982 d'un traitement égal en matière d’entrée dans les universités égyptiennes, et donc à la
quasi-gratuité de l'enseignement supérieur.
Depuis Camp David et la fin de l'état de grâce pour les Palestiniens, les nouvelles lois
ont sérieusement entravé le développement de leurs affaires (interdiction de faire de l'importexport ou de fonder une société dont le capital est à plus de 50 % étranger). Dans un pays où
le système du crédit bancaire est peu développé et les activités économiques sont souvent
familiales, il est rare que s'établisse un partenariat avec des Egyptiens. On recourt dans
certains cas à des partenaires fictifs : c'est-à-dire que l’on inscrit 51 % du capital au nom d'un
proche ayant la nationalité égyptienne, la plupart du temps les épouses égyptiennes de
Palestiniens.
Quant aux hommes d'affaires palestiniens des pays arabes, leur marge de manœuvre
est moins importante que pour leurs confrères des pays occidentaux. Ceux qui sont en Egypte
n'ont pu regrouper leurs efforts que très récemment. Deux tentatives de constitution d'un
regroupement des hommes d'affaires - la première fois en 1985 sous le nom de Comité
d'action sociale et la deuxième fois en 1989, sous le label de l'Union des hommes d'affaires
8
Entretien avec Hassan 'Aid, responsable d'al-Sharqiyya pour l'Union générale des travailleurs de
Palestine.
9
. Depuis un an, il est possible d'installer l’eau courante, mais l'opération coûte 3000 LE environ,
dépense inaccessible pour la plupart.
10
. À titre indicatif, une information chiffrée datant de 1966 révèle que 9243 Palestiniens résidant en
Egypte dont 4288 au Caire recevaient une aide gouvernementale (Brand, 1988, p.50)
11
Un échantillon de 76 entrepreneurs palestiniens en Egypte a été interviewé entre 1997-1998 dans le
cadre du projet du CEDEJ sur l'économie palestinienne dispersée.
5
palestiniens12 - ont échoué pour des raisons politiques. La situation s’est débloquée et
l'Association des hommes d'affaires palestiniens en Egypte a été constituée en 1994. En effet,
l'Autorité nationale palestinienne a encouragé ce regroupement parce qu'elle en a finalement
éprouvé le besoin pour favoriser l'investissement à Gaza, la plupart des hommes d'affaires
étant originaires de cette ville.
1.3. Une quête d'identité
La question de l'identité, pour les Palestiniens de l'exil, ne saurait s’appréhender
comme naturelle, le processus socio-historique la métamorphosant soit pour l'étouffer, soit
pour lui donner un nouvel élan. Ici, le rapport à la société d'accueil est déterminant.
On a vu que les Palestiniens, y compris ceux ayant un passeport jordanien,
constituaient en Egypte une minorité d'environ 120 000 membres sur 60 millions d'habitants,
soit moins de 0,2 % de la population. Dispersés géographiquement, ils forment selon leurs
migrations et leurs origines géographiques et sociales, différents groupes ouverts et peu
institutionnalisés. La présence palestinienne est diluée au Caire et dans les grandes villes du
nord du pays. Son intégration sociale a été facilitée par l'homologie des structures sociofamiliales palestiniennes et égyptiennes, réduisant les relations conflictuelles et l'ethnicisation
des rapports sociaux. Par ailleurs, de nombreux Palestiniens marqués par l'exode ont
volontairement joué la carte de l'intégration, alors que les représentations véhiculées par le
nationalisme arabe brouillaient leurs repères.
Il est très rare que nos interlocuteurs désignent un nombre d’amis exclusivement
palestiniens et qu’ils distinguent, dans leur choix amicaux, Egyptiens et Palestiniens ; la
plupart y sont indifférents. Nous pouvons également noter que la majeure partie des patrons
palestiniens ne s’intéressent pas à la nationalité de leurs employés lors de leur embauche.
Cependant, intégration ne signifie pas assimilation. Lorsqu'il s'agit de mariage,
l'origine palestinienne du conjoint l’emporte largement, ce qui montre une certaine résistance
à l'assimilation. Ici les explications divergent : les uns affirment préférer épouser un(e)
Palestinien(ne), tandis que les autres considèrent que c'est l'Egyptien(ne) qui n'aime pas
épouser un(e) étranger(ère) . Il est vrai que le caractère aimable du peuple égyptien a
beaucoup aidé les Palestiniens à s'intégrer, mais certains facteurs ont eu des effets contraires.
Les Palestiniens demeurent toujours soumis à des aléas politiques qui se concrétisent dans
leur statut juridique. À partir des années soixante-dix, des mesures discriminatoires
consécutives à la dégradation des relations entre l'Egypte et l'OLP ont altéré leur statut, les
reléguant dans une marginalité socio-économique certaine. Bénéficiant jusqu'alors de la
plupart des droits des nationaux - accès à la fonction publique, à la quasi-gratuité de l'école
publique et de l'enseignement supérieur, etc. - ils sont redevenus des étrangers et leur
intégration s'est trouvée remise en cause.
Ainsi, entre marginalité et intégration, une identité palestinienne surgit, certes faible,
comparée à celle existant dans les monarchies de Golfe. Il est frappant de constater que parmi
nos interlocuteurs, beaucoup ont un nom dont la signification est liée à la question
palestinienne : Nidal, Kifah, Jihad (lutte), 'A'd, 'A'da (retourné), 'Awda (retour), Tahrir
(libération), Istishhad (martyr), Tha'r (révolutionnaire), Fida' (sacrifice), etc.
2. Vivre dans les camps
L’étude précédente des réfugiés Palestiniens en Egypte suggère que cette population a
gardé son identité palestinienne tout en la recomposant avec la culture égyptienne. En effet,
12
. À l'initiative de l'homme d'affaires Fayez al-Turk, une série des réunions préparatoires à la
constitution de cette union ont eu lieu au Caire, sous le parrainage d'al-Tayeb Abdel-Rahim, directeur du bureau de
l'OLP.
6
une partie de ces réfugiés reste désireuse de rentrer lorsque le droit et la situation politique le
permettront. Par contre, cette communauté diffère de celles résidant dans les autres pays
arabes puisqu’elle n’est pas hébergée dans des camps. Il est intéressant de s’interroger sur les
répercussions que peuvent avoir cet accueil en camp sur la situation socio-économique et sur
l’identité politique et nationale des réfugiés. Nous allons démontrer que le camp est davantage
générateur d'une identité urbaine que d’une identité nationale, car l'identité nationale est
partagée avec ceux qui vivent en dehors des camps. Avant de développer cet argument, nous
donnerons une vision générale des caractéristiques socio-économiques des habitants des
camps que nous comparerons à celle des autres réfugiés.
2.1. Caractéristiques socio-économiques des habitants des camps
Selon les statistiques du HCR de 2002, seuls 38 % des réfugiés dans le monde vivent
dans des camps, soit 4 439 158, tandis que 20 % habitent des zones urbaines. Selon les
statistiques de l’UNRWA de 2001, on recense 1 460 396 réfugiés palestiniens en Cisjordanie
et dans la Bande de Gaza, dont 607 915 vivent dans les camps : en Cisjordanie, ils sont
147 884, soit 24 % des 60 777 réfugiés. À Gaza, quelque 53 % des 852 626 réfugiés, soit 460
031 sont dans cette situation (Al-Rimmawi et Bukhari, 2002 p. 23-24).
Tableau 1. Réfugiés enregistrés par l’UNRWA (March 2005)
Nombre de
Région
Camps
Nombre de réfugiés
Dans
camps
les
Hors
camps
283,183
des
%
vivant
dans
les
camps
1,780,701
15.9
Jordanie
10
Cisjordanie
19
Gaza
8
Liban
12
Syrie
10
112,88213
311,768
424,650
26.6
Totaux
59
1,146,931
3,108,189
4,255,120
29.6
1,497,518
181,241
687,542
31.4*
*
961,645
49
78.4*
*
400,582
52.7
189,630
* Statistiques de 2000
32.8
26.4
490,090
210,952
Proportion de
réfugiés dans la
population
locale (en %)
*
506,301
471,555
de
Total
10.7
*
2.4 *
** Recensement de 1997
Source : UNRWA, in Figures, UNRWA H Q, March 2005
Hanssen-Bauer et Jacobsen (2003) résument la situation des réfugiés dans les camps
en évoquant leur vie menée dans une normalité du provisoire. Bien que les résidents des
camps jouissent de services de santé et d’éducation généralement adéquats, ils sont
défavorisés sur le plan socio-économique. Alors que les différences entre d'une part, les
résidents des camps de réfugiés en Syrie et dans une moindre mesure en Jordanie et, d'autre
part, les résidents hors camps sont minimales, le fossé au Liban est énorme.14 Sur le plan des
infrastructures, on observe que 60% ou plus de foyers dans les camps libanais et jordaniens
13
Ce chiffre n'inclut pas le camp de Yarmouk puisque l'UNRWA ne le reconnaît pas comme un camp
officiel.
14
Toutes les statistiques présentées dans ce paragraphe sont tirées de différentes enquêtes faites par Fafo
(Norwegian Institute for Applied Social Science).Voir (Hanssen-Bauer, Jacobsen, 2003).
7
sont sans installation sanitaire pour l'eau potable ou pour les eaux usées. Mais le grand
problème concerne la densité de population à l'intérieur du camp: 30 à 40% des foyers a une
densité de 3 personnes ou plus par pièce. Cela concerne souvent les larges foyers de 11
personnes ou plus. Les problèmes environnementaux sont énormes. Souvent les logements
sont entassés dans des ruelles étroites où le soleil n'entre pas. La mortalité infantile est élevée
dans les camps du Liban (avec 239 morts pour 100 000 naissances) et les maladies infantiles
chroniques y sont de 2 à 3 fois plus élevées en pourcentage.
Si l'éducation est généralement de bon niveau grâce à l'intervention de l'UNRWA, on
constate au Liban que 60% de jeunes (18-29 ans) ne terminent pas leur éducation de base.
Dans les Territoires palestiniens, les filles ne finissent pas leur cursus scolaire à cause du
mariage précoce et on trouve chez elles un taux d'analphabétisme plus fort que chez les
garçons.
2.2. Les camps dans les Territoires palestiniens
Cette situation urbaine des camps a été confirmée par l'enquête de Shaml auprès des
réfugiés en Territoires palestiniens. Selon cette enquête15, environ les deux tiers des résidents
des camps que nous avons interviewés considèrent que leur logement n’est pas assez grand
pour leur famille. Environ la moitié juge que les camps ne répondent pas à leurs besoins
essentiels ; 57 % estiment que les conditions sanitaires sont inadéquates. Les deux tiers
signalent qu’ils seraient prêts à quitter le camp si leur situation financière s’améliorait.
Etudions de plus près la situation socio-économique de ces réfugiés16. La pauvreté des camps
est structurelle : les pauvres en milieu rural peuvent toujours cultiver un lopin de terre pour
satisfaire leurs besoins essentiels, tandis que les habitants des camps ne possèdent pas de
terre, de façon générale. La fragilité des camps apparaît d’autant plus importante quand on
compare les employeurs de leurs habitants avec d’autres employeurs : 27 % des habitants des
camps travaillent surtout pour l’ANP, l’Autorité Nationale Palestinienne, où les salaires sont
très modestes, alors que leur proportion est seulement de 19,5 % dans les zones urbaines et
12,8 % dans les zones rurales. En même temps, seuls 16,7 % des résidents des camps
travaillent pour les ONG internationales où les salaires sont assez élevés, à rapprocher avec
les proportions dans les villes (15,6 %) et en zone rurale (26.8 %). Seule exception à cette
situation, 5.7 % des employées de l’UNRWA vivent dans les camps, 1.4 % dans les villes, et
0.4 % en milieu rural. Les habitants des camps travaillent moins souvent que les citadins pour
le secteur privé (34.7 % versus 46.6 %) où les salaires sont moins élevés que dans les ONG,
mais un peu plus souvent que les gens de milieu rural (33.2 %). La contradiction entre la
qualité des services en matière d’éducation et le statut socio-économique des résidents des
camps relève du fait que les personnes dont le statut économique s’améliore tendent à quitter
le camp, normalement pour aller dans les grandes villes où l’offre d’emploi est plus large.
La société des Territoires palestiniens n’intègre ni les réfugiés ni les rapatriés pour
deux raisons : il s’agit d’une société très fragmentée dont l’intégration dépend de facteurs qui
relèvent non seulement du niveau national, mais aussi de la sphère diasporique. Les réfugiés
qui vivent ailleurs que dans les camps s’intègrent bien dans les Territoires palestiniens aux
niveaux social et culturel. Pourtant, ceux qui résident dans des camps s’intègrent moins bien
aux villes autour d’eux, à en juger par les pratiques matrimoniales. Selon l’enquête
PSR(enquête du Palestinian Center for Policy and Survey Research) de 2003, environ 40 %
des réfugiés en dehors des camps ont un membre de la famille qui est marié avec un non
réfugié, chiffre qui décroît de moitié pour ceux qui habitent les camps.
15
Cette enquête socioéconomique et anthropologique a été réalisée en 2001 par questionnaires ouverts
auprès de 650 palestiniens résidents en Territoires Palestiniens et en Israël.
16
Toutes les statistiques qui suivent sont prises du recensement de 1997 (Al Rimmawi et Bukhari,
2002). Il existe des chiffres plus récents, mais nous avons préféré utiliser ceux de 1997 pour neutraliser l’effet de
l’Intifada et ainsi mieux nous rendre compte des perspectives d’avenir.
8
Les camps dans les Territoires palestiniens sont devenus des symboles de
l’illégitimité territoriale pour deux raisons. D’une part, ils sont invisibles par rapport au
processus de paix d’Oslo, puisqu’ils sont assimilés aux zones des Territoires palestiniens que
l’ANP découpe en espaces de réfugiés et de non réfugiés. D’autre part, les camps se
présentent comme des lieux hétérotopiques, au sens de Foucault17, déconnectés du tissu social
et urbain qui les entoure, espaces de tensions autour de la déviation, la marginalité et la
contradiction : à la fois objets de contrôle total et lieux de la marge ce qui favorise des actes
potentiels de résistance et transgression. Cette déconnection est le résultat d’un processus
graduel qui a été accéléré par l’exclusion des habitants des camps du vote pour les élections
locales.
Cette délégitimation a un impact sur l’identité à plusieurs niveaux. Selon l’enquête
Shaml, 89 % des résidents des camps s’identifient à ce lieu et sont fiers d’y habiter.
Cependant, certains répondants, surtout dans le camp Shufat, avouent qu’ils cachent leur lieu
de résidence à leurs collègues universitaires. Des disputes mineures entre les habitants du
camp et ceux de la ville deviennent des conflits majeurs, tels ceux qui se sont produits entre
les habitants du camp de Kalandia et ceux de Ramallah en 2001. On ne peut comprendre les
problèmes des camps de réfugiés que si on les étudie en tant que sites urbains. En raison des
longues années de double marginalisation des camps de réfugiés en Cisjordanie et à Gaza, ces
camps ressemblent à n’importe quel bidonville ou quartier dégradé dans le monde. Les
chercheurs doivent les aborder comme tels, comme par exemple ceux de la banlieue
parisienne.
Enfin, les résidents des camps ressentent leur marginalisation sociale et sont prêts à
transformer leur lieu de résidence. Selon l’enquête PSR de 2003, la moitié des réfugiés
seraient volontaires pour s’installer en dehors du camp, et en accepteraient aussi la
normalisation, c’est-à-dire, qu’il soit considéré comme partie intégrante de l’agglomération
urbaine. Lorsque le camp se situe à l’intérieur de la ville, la majorité de ses habitants (87 %)
préfèreraient voter dans le cadre municipal ; la proportion est encore des trois quarts quand le
camp se situe à l’extérieur. Environ la moitié des résidents est en faveur de l’élargissement du
camp à l’intérieur du périmètre urbain.
2.3. Les camps comme espace d’exception
Les camps dans les Territoires palestiniens sont devenus un espace d'exception. Ils
sont soumis au bio-pouvoir et à l’utilisation de l'état d'exception, exercé par un souverain qui,
historiquement, a été la force militaire israélienne puis l'UNRWA et enfin, depuis les accords
d’Oslo l'Autorité Nationale Palestinienne et l'UNRWA. Rappelons que selon Carl Schmitt
(1985 [1922]) l'état d'exception ne se caractérise pas par l'ordre qu'il institutionnalise mais par
la suspension de cet ordre. Le souverain a le droit de suspendre la validité de la loi, droit qui
n'est, bien entendu, pas inscrit dans la constitution. Une politique d'exception a été exercée
contre ces lieux urbains sur deux plans: celui de l’aménagement urbain et celui de
l’établissement des frontières. (Agamben, 1998)
Sur le premier plan, alors que l'Etat est présent dans les lieux publics par ces lois
urbaines, il a délaissé les camps, des lieux sans lois et réglementations et seulement à la merci
des lois d'urgence. Les directeurs des camps, les leaders de toute sorte de fractions politiques
et les représentants des forces de sécurité dans les camps, ont imposé des mesures aussi
changeantes que le rapport de forces entre ces différents groupes. Les entretiens que nous
avons menés dans différents camps ont montré combien les populations vivaient avec désarroi
cet état d'exception: "A qui peut-on se plaindre lorsque le voisin construit un 2eme ou un
3eme étage en ne laissant aucun espace libre avec mon logement ?"
17
Par opposition aux utopies, lieux irréels, Foucault qualifie d’hétérotopies ces lieux réels et effectifs,
qui sont « des sortes de contre-emplacements réels, sortes d’utopies effectivement réalisées, (…) des sortes de
lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. » (Foucault, 1994 :
755).
9
Sur le plan de la frontière, c'est surtout le pouvoir militaire israélien qui établit et
contrôle ces frontières. L'Etat d'exception dans le projet urbain en Territoires palestiniens est
un projet qui prend sa particularité du fait qu’il surgit dans un contexte d’apartheid.
Aujourd’hui, vivre dans un camp en Cisjordanie par exemple, c’est savoir reconnaître ces
frontières et ceux des zones A, B, C, H1, H2 ; c’est croiser la présence massive d’hommes en
uniformes, des armes, de véhicules blindés, c’est apprendre à vivre avec le barbelé, avec les
barrières bloquant l’avenue, l’attente infinie aux ‘check points’, avec les soldats. Le barbelé et
les murs règlent l’effet de domino causé par le processus de bio-politique, de colonisation et
de répartition ethnique. C’est un projet qui instaure non seulement des camps de réfugiés mais
aussi d’autres camps de toute sorte, villages palestiniens enfermés et enclaves «protégées»
pour les colons. Barbelés et surveillance forment un dispositif colonial unique d’application
spatiale du pouvoir. Le barbelé apparaît, Olivier Razac nous le rappelle, comme « un jalon
décisif d’une histoire de la gestion politique de l’espace. […] Les meilleurs dispositifs du
pouvoir sont ceux qui dépensent la plus petite quantité d’énergie possible, matérielle et
symbolique, pour produire certains effets de contrôle et de domination » (2000 : 8 cité par
Pandolfi, 2003). Les camps sont devenus par l'exercice souverain de l'état d'exception des
symboles de l’illégitimité territoriale. Cependant, cet état d'exception n'est pas seulement
exercé par le souverain, mais par les acteurs eux-mêmes. Ici on peut adresser une critique de
la pensée agambienne sur l'état d'exception. Giorgio Agamben construit sa pensée politique à
partir de la conception du camp comme une place paradigmatique de la modernité et de la
politique moderne. L’exemple type a été le camp de concentration comme le camp
d’Auschwitz (Agamben, 2002). Une zone indifférente entre le public et le privé, ce camp est
sans sujet où tout est soumit à la subjectivation du souverain.
Les camps de réfugiés palestiniens en effet sont un espace de transgression. Le sujet
s'exprime non seulement par l'action de résistance qui va jusqu'à l’utilisation du corps comme
bombe, mais par l'utilisation du même procédé de pouvoir: l'état d'exception. Discursivement,
beaucoup d'acteurs (souvent sont les commissaires politiques de ces camps) insistent sur l'état
d'exception de camps en refusant de le soumettre à la réglementation urbains, économique et
politique. Mais comme on va montrer c'est un technique de pouvoir de ces commissaires
politiques de certains camps pour garder un pouvoir sans élection. Le refus que l'élection
municipale inclut le camp vient de faite que la plupart de comités populaires sont nommés par
les fractions politiques et qui n'ont aucune légitimité. Economiquement, ces même comités
populaires refusent que les habitants du camp paient le taxe municipale, l'électricité et l'eau
parce que historiquement c'est l'UNRWA ou/et le pays d'accueil qui paye. Ces positions des
commissaires politiques de camps ne sont pas souvent partagées par les habitants du camp.
Selon l'enquête de PSR de 2003, lorsque le camp se situe à l’intérieur de la ville, la majorité
de ses habitants (87 %) préfèreraient voter dans le cadre municipal ; la proportion est encore
des trois quarts quand le camp se situe à l’extérieur. Environ la moitié des résidents est en
faveur de l’élargissement du camp à l’intérieur du périmètre urbain.
Vivre dans une espace d'exception voulu par le souverain ou par les acteurs sociaux
a une conséquence énorme sur l'urbanité du camp et ses relations à la ville et à l'espace
environnant.
Conclusion
Nous avons tenté de démontrer que les modalités d'accueil (camps, habitat hors
camps) n'ont pas d'incidence sur le renforcement de l'identité nationale et que les camps ont
créé davantage une identité urbaine que nationale.
Comme cela a été avancé dans l’introduction, le discours dominant palestinien a
considéré que le nationalisme autant que possible, le camp, se présentait comme l’unité
primaire de l’identité réfugiée dans les pays hôtes arabes et donc comme le soutien de
l’identité palestinienne. En conséquence, le camp devenait une entité quasi-politique, et un
objet d’investigation pour une discipline en particulier, les sciences politiques. Les camps se
présentaient comme un moyen de reproduction de la société palestinienne de la période
10
d’avant 1948. Dans cette logique, les chercheurs essayaient d’identifier les camps à des lieux
d’origine ; par exemple, le camp Al-Huilwa à Lobieh et Yarmouk à Safad ... Il y eut ainsi une
ethnicisation de l’histoire des réfugiés qui a occulté l’importance du rapport économique,
social et culturel avec les pays hôtes. Sauf dans un petit nombre d’études sociologiques,
anthropologiques, psychologiques et juridiques, les camps ne sont pas abordés en tant que
sites urbains.
Des mythes circulaient, non seulement au niveau de l’imaginaire populaire mais aussi
dans la communauté scientifique. Par exemple, celui de l’avantage du maintien d’un
maximum de Palestiniens dans les camps pour renforcer la mémoire et l’identité palestinienne
ou celui selon lequel si les conditions de vie dans le camp restaient misérables, elles
limiteraient le nombre de personnes qui allaient vouloir s’établir dans le pays hôte.
L’UNRWA et le pays hôte ne peuvent pas exercer leur autorité à moins que les réfugiés ne
soient regroupés dans un lieu central et contrôlé où ils sont soumis à une surveillance
permanente. Nous pensons qu'il s'agit là d'un discours de stagnation, qui muselle le camp, et
que le réfugié peut demeurer tel tout en vivant en dehors du camp.
L'UNRWA a souvent soumit à la volonté de l'hôte autorité pour rendre les camps
comme espaces provisoires. Avec les mesures cœrcitives (privation des rations élémentaires),
les réfugiés dans le Liban des années 50, 60 et 70s ont été obligés de ne pas construire un toit
de béton et gardé celui de zingue. Une parfaite coopération avec un prétexte de 'mieux' gérer
une population démunie et garder l'espace temporaire, a comme conséquence de 'forcer' les
réfugiés à partir. Partir dans les pays du Golf dans les années 60, 70 dans un projet
économique assez réussi mais ensuite partir dans les pays scandinaves et l'Allemagne pour
vivre une marginalité et une préretraite même si leur age ne dépasse pas 40 ans (Dorai, 2003).
C’est dans ce sens qu’on peut qualifier cette politique de bio-politique. Sous le nom de garder
une population 'vigilent' et opérationnelle pour le retour, on les a éloignés de plus en plus de
leur terre d'origine et rendu leur aliénation double: aliénation pour ne pas avoir accès a leur
place d'origine mais aliénation pour les déconnecter d’un point de vue urbain et social de la
société d'accueil. Cette situation que Michel Agier la qualifie d'urgence humanitaire se trouve
chez beaucoup de cas de réfugié dans le monde, et particulièrement en Afrique. Agier écrit:
"Ces situations 'urgence humanitaire ne sont légitimées qu'en tant qu'elle se placent à l'écarte
de la guerre et de la politique: que devient cette légitimité lorsque l'urgence se transforme en
un dispositif durable, permanent, d'assistance et lorsque l'humanitaire, fondé sur l'exclusion
du politique, se transforme en une situation de pouvoir, instrument de manipulation
politicienne ou principe internationalement admis de gouvernement des indésirables de la
planète?". (2002: 83)
BIBLIOGRAPHIE
AGAMBEN G., 1988. – Homo Sacer. Sovereign Power and Bare Life, Standford,
Standford University Press
AGAMBEN G., 2002. – Remnants of Auschwitz. The Witness and the Archive, New
York, Zone Books.
AGIER, M. 2002. Aux Bords du Monde, Les Réfugiés. Paris: Flammarion.
AL-RIMMAWI H. et BUKHARI H., 2002. – « Population Characteristics of the
Population Refugee Camps, Ramallah », PCBS and Dissemination and Analysis of Census
Findings (Analytical Report Series no 3). (In Arabic)
BRAND A. L.,1988. – Palestinians in the Arab World : Institution Building and the
Search for State, New York, Columbia University Press
DAJANI M., 1986. - "The institutionalization of Palestinian identity in Egypt", in
Cairo Papers in Social Science, Vol. 9, n°3, 133 pages.
11
DORAI M. K., 2003. –“Les réfugiés palestiniens en Europe et en Suède. Complexité
des parcours et des espaces migratoires” in M. Guillon, L. Legoux, E. Ma Mung (eds) L’asile
politique entre deux chaises. Droits de l’Homme et gestion des flux migratoires, Paris,
l’Harmattan, pp. 311-331
FOUCAULT M., 1994. – Dits et écrits. Paris, Gallimard
HANAFI, S., 1997. - Entre deux mondes. Les hommes d'affaires palestiniens de la
diaspora et la construction de l'entité palestinienne. Le Caire, publications du CEDEJ.
HANAFI, S., 2001. - Hona wa honaq: nahwa tahlil lil ‘alaqa bin al-shatat alfalastini wa al markaz (Here and There: Towards an Analysis of the Relationship between the
Palestinian Diaspora and the Center). Ramallah: Muwatin; Jerusalem, Institute of Jerusalem
Studies (in Arabic).
HANAFI, S. 2002. - “Opening the Debate on the Right of Return,” in Middle East
Report March no 222, pages
HANSSEN-BAUER J. et JACOBSEN L. B., 2003. - “Living in Provisional
Normality – The Living Conditions of Palestinian Refugees in the host countries of the
Middle East”, paper presented in Stocking II Conference on Palestinian Refugee Research,
IDRC: Ottawa, June.
PANDOLFI, Mariella (2002) "'Moral entrepreneurs', souverainetés mouvantes et barbelés. Le
bio-politique dans les Balkans postcommunistes" in Anthropologie et Sociétés, vol. 26, n°
1pp.29-51.
RAZAC, O. (2000) Histoire politique du barbelé. Paris: Ed. La Fabrique.
SCHMITT, C. 1985 [1922]. Political Theology. Four chapters on the concept of sovereignty.
Translated by George Schwab. Cambridge: MIT Press.
12

Documents pareils