BLOIS 2016 Adolf Hitler - Propos intimes et politiques

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BLOIS 2016
BLOIS 2016 Adolf Hitler - Propos intimes et
politiques
Samedi 8 octobre bibliothèque Abbé Grégoire 10-11h NOUVEAU MONDE (25 janvier
2016) Collection : HISTOIRE - François Delpla
par Bruno Modica
Mise en ligne : lundi 24 octobre 2016
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1) Brève histoire des Propos
2) Leur sous-utilisation par l’historiographie
3) Aperçu des richesses
1) Brève histoire du texte
5 juillet 1941-12 mars 1942 : prise de notes par Heinrich Heim
21 mars-3 juillet 1942 : prise de notes par Henry Picker
1er août-7 septembre 1942 : prise de notes par Heinrich Heim
13 juin 1943-30 novembre 1944 : prise de notes très intermittente, auteurs inconnus
1941-1945 : tri, contrôle et conservation par Martin Bormann pour un usage inconnu
fin des années 1940 : achat par François Genoud d’un exemplaire ayant appartenu à
Bormann
1951 : publication par Picker, dans un ordre thématique brisant la chronologie, de ses
propres notes (incomplètes) et d’une sélection de celles de Heim sous le titre Hitlers
Tischgespräche
1952-53 : publication par Genoud chez Flammarion d’une mauvaise traduction française de
son achat (embellissements et contresens), sous le titre Libres propos sur la guerre et la paix
1953 : publication d’une traduction anglaise du livre de Genoud (encore rééditée sans
vérification ni changement en 2007) sous le titre Hitler’s Table Talk
1963 : publication par Picker de ses notes par ordre chronologique (avec une sélection de
celles de Heim)
1980 : publication du texte allemand dont était parti Genoud (correspondant aux passages
retenus par Bormann) par Werner Jochmann, sous le titre Monologe im Führerhauptquartier
, à l’exclusion des passages notés par Picker (mars-juillet 1942)
2) L’utilisation du texte dans l’historiographie
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Elle a tendance à citer toujours les mêmes passages, concentrés sur deux sujets : les Juifs et les
femmes
Hitler et les Juifs : les passages très violents qui accompagnent la mise en place de la Solution
finale, entre octobre 1941 et janvier 1942, ont été exploités notamment par Philippe Burrin et
Edouard Husson ;
Hitler et les femmes : quelques passages sexistes ont retenu l’attention, notamment celui qui,
le 25 janvier 1942, compare la jeune fille à une cire molle qu’un homme peut façonner à sa
guise et qui "ne demande d’ailleurs rien d’autre" ;
une hirondelle n’a pas fait le printemps : Ernst Nolte, en 1963. Ce professeur quadragénaire
de philosophie, ancien étudiant de Heidegger, se tourne vers l’histoire avec un livre
retentissant, Le Fascisme en son époque. Il est de loin l’historien qui utilise le plus les
Propos. Il en tire essentiellement trois enseignements : Hitler était angoissé, sauvage et
infantile. Il est insensible en particulier à l’humour, dont l’orateur n’est pas dépourvu. Ainsi,
pour illustrer sa détestation du tabac, il dit, le 22 janvier 1942, que l’air chargé de fumée
l’enrhume car "les bactéries se ruent" sur lui et Nolte y voit une preuve de sa nature
angoissée !
3) Ce que les lectures antérieures ont négligé
Un exemple : Ian Kershaw, dans The End, entreprend d’expliquer pourquoi les Allemands
ont obéi jusqu’à la consommation d’un désastre sans précédent. Il donne des explications
convaincantes mais néglige le fait que Hitler a prévu très tôt l’éventualité de ce désastre : il
s’est organisé en conséquence dès les premiers signes de piétinement de son offensive en
URSS. C’est le 14 septembre 1941 qu’il dit pour la première fois (il le répétera à plusieurs
reprises) qu’il a donné l’ordre à Himmler, en cas de "menace de troubles intérieurs", de tuer
toute la population des camps -moyennant quoi il ne le fera qu’à titre symbolique, par
exemple en faisant assassiner à Buchenwald le chef communiste Thälmann (décrété
irrécupérable par un propos du 2 août 1941) le 18 août 1944, quand les armées alliées
viennent de percer en Normandie.
Sur le plan de la stratégie générale, ces Propos devraient faire progresser l’idée que Hitler
menait ses guerres avec le souci de les gagner, autrement dit d’amener ses adversaires à la
paix -tantôt par la puissance de ses coups, tantôt par la bénignité de ses demandes. Il laisse
entendre à plusieurs reprises, et déclare carrément à d’autres, qu’il se croit sur le point de
pouvoir traiter : avec l’URSS, surtout au lendemain de la prise de Kiev ; avec la GrandeBretagne, plus étonnamment, surtout au dans les semaines suivant l’engagement de Pearl
Harbor. Il s’exprime dans ce sens un mois plus tard, le 7 janvier 1942. Son raisonnement
n’est point sot : l’Angleterre, concentrant ses coups contre l’Allemagne, a dégarni ses
défenses en Extrême-Orient, où le Japon est en train de lui chiper ses positions l’une après
l’autre. La couche dirigeant anglaise devrait bien finir par s’en alarmer, et par congédier le
politicien aventuriste, vendu aux Américains, qui par un antigermanisme stupide et borné est
à l’origine de ce désastre. La paix semble d’autant plus à portée de la main que Hitler
n’envisage pas de demander des réparations ce guerre, ainsi qu’il le déclare le 11 août 1942.
On peut en conclure qu’il persiste, envers et contre tout, dans l’orientation fondamentale
qu’il avait définie dès avant le putsch de 1923 : la recherche d’une alliance "aryenne" avec le
Royaume-Uni pour dominer les "peuples inférieurs".
A la suite d’une demande venue du public de préciser ce que ces Propos nous apprennent sur
Vichy, je donne l’exemple du remplacement de Darlan par Laval, le 18 avril 1942 : quelques
jours plus tôt, le 5, Hitler avait évoqué railleusement l’amiral, ce qui avait tout l’air d’un
ordre de congédiement. Du moins la question de son intervention personnelle dans cet
événement mérite-t-elle, quand on lit une telle parole, d’être posée.
Conclusion : ces textes ont fait l’objet d’un mépris que reflétaient, tout d’abord, les titres des
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recueils. Si "libres propos" signifie "paroles à bâtons rompus sans aucun effet pratique", on est aux
antipodes de la vérité ; ils portent sur bien d’autres sujets que la guerre et la paix ; ils sont
prononcés à table (souvent, pas toujours) mais nullement "de table" ; et ce ne sont pas des
monologues (Picker, en particulier, résume force discussions). Ils ouvrent une voie royale vers
l’idéologie nazie et la manière de gouverner de Hitler, et une vue précieuse sur les réactions du
camp allemand aux événements formidables qui jalonnent l’histoire du monde, depuis l’agression
contre l’URSS jusqu’à la veille de Stalingrad.
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