Federico García Lorca

Transcription

Federico García Lorca
À la rencontre de…
Federico García
Lorca
par
Line Amselem
Un ouvrage paru
sous la direction d’Alexis Lavis
Introduction
Une vie en bref
Federico García Lorca est unanimement reconnu comme
étant le poète le plus important et un des principaux dramaturges
espagnols du xxe siècle. Il naît le 5 juin 1898 à Fuente Vaqueros,
dans la région de Grenade en Espagne, et meurt fusillé près
de chez lui, à Viznar, le 19 août 1936. Sa vie commence avec
la fin de l’Empire colonial espagnol et s’achève au début de la
Guerre civile. Comme sa vie, son œuvre est marquée par les
paysages et l’histoire de sa ville, où il voyait les héritages grec,
romain, juif, arabe et gitan se mêler à un catholicisme ardent.
Alors qu’il était de coutume dans les familles aisées comme
la sienne d’envoyer les enfants en pension à la ville, sa santé
délicate lui permet de rester au village auprès de sa mère
institutrice et de son père propriétaire terrien. C’est là qu’il
aurait pris goût aux chansons populaires. Le souvenir de cette
enfance rurale est essentiel dans son œuvre.
Avec ses parents, son frère Francisco et ses deux sœurs
Concha et Isabel, Federico s’installe à Grenade en 1909. Il y
reste jusqu’à la fin de ses études de philosophie et de lettres ;
il obtient parallèlement une licence de droit. Les voyages
d’études qu’il effectue avec un professeur et des camarades
inspirent sa première œuvre publiée, un recueil de textes en
prose, Impressions et paysages (1918). Lorca hésite encore
entre le piano et l’écriture poétique.
Il est difficile de parler d’œuvres de jeunesse et de maturité
pour Lorca, tant sa vie fut brève : les extrémités de l’existence
s’y côtoient en permanence, sa production est dans son
ensemble hantée par la mort, tout en demeurant durablement
enfantine.
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À la rencontre de…
De 1918 à 1928, il s’installe à la Résidence des étudiants de
Madrid où il fait la connaissance des poètes et artistes que
l’histoire appellera la « Génération de 1927» : Jorge Guillén,
Pedro Salinas, Gerardo Diego, Dámaso Alonso, Rafael Alberti
et plus particulièrement Salvador Dalí.
Après l’échec de sa première pièce dramatique Le Maléfice
de la phalène (1920), Lorca travaille intensément. Le recueil
Poème du chant profond (1921), qui verse en poésie l’essence
la plus condensée du flamenco est très bien accueilli.
Il compose Livre de poèmes (1921) influencé par le modernisme
de Rubén Darío et travaille au recueil Suites.
En 1920-1921, lors de ses voyages à Grenade, il se lie d’amitié
avec le compositeur Manuel de Falla qui partage son amour
pour le folklore. Ensemble, ils organisent en janvier 1923 un
spectacle de marionnettes pour une centaine d’amis dont de
nombreux enfants : « La jeune fille qui arrose le basilic et le
Prince Curieux ».
De 1923 à 1928, le lien étroit qui unit Federico García Lorca
et Salvador Dalí est une riche source d’inspiration mutuelle,
ponctuée par deux séjours en Catalogne (avril 1925 et maijuin 1927). Les années 1926 à 1928 sont fécondes : Lorca se
consacre à l’écriture, à la musique et au dessin. Son livre
Chansons est publié en 1927, la même année, il expose ses
dessins à Barcelone et écrit les Complaintes gitanes (Primer
romancero gitano), éditées en 1928. Il compose l’Ode à
Salvador Dalí (1926) tandis que Dalí réalise pour lui les décors
de Mariana Pineda (1927), premier grand succès théâtral de
Lorca.
Lorca est encouragé par Dalí sur la voie de la modernité et,
dans le même temps, il partage avec les poètes de son entourage
une réflexion sur la poésie classique et baroque hautement
célébrée par le groupe à Séville lors du tricentenaire de la
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Federico Garcia Lorca par Line Amselem
mort de Góngora en 1927. Lorca y prononce sa conférence
« L’image poétique de don Luis de Góngora ».
En 1928, influencé par les avant-gardes catalanes, Lorca
fonde la revue littéraire grenadine Gallo dont seuls deux
numéros verront le jour. Cependant, Dalí s’est lié d’amitié et
travaille avec Buñuel, beaucoup des amis de la Résidence l’ont
quittée et, malgré le grand succès des Complaintes gitanes,
Lorca, qui vient de se séparer d’Emilio Aladrén, connaît une
crise profonde.
Après dix ans de vie à Madrid, il part en voyage à New York
en 1929. Les œuvres qu’il écrit alors bénéficient d’une nouvelle
expérience de la solitude et de la modernité en Amérique :
Poète à New York est un tournant poétique et les deux
pièces qu’il commence – Lorsque cinq ans auront passé et
Le Public – appartiennent à ce théâtre que l’on dit
« impossible ». Son séjour à La Havane en 1930 est riche de
succès et de rencontres.
En Espagne, on montait sa farce populaire La Savetière
prodigieuse.
Avec l’avènement de la Seconde République en avril 1931,
son ami Fernando de los Ríos devient ministre de l’Instruction
publique et donne les moyens à Lorca de diriger la compagnie
de théâtre estudiantine « La Barraca », qui présente à travers
le pays des mises en scène d’œuvres du Siècle d’or espagnol
pour un public populaire. Le poète écrit alors Noces de sang,
Yerma et Doña Rosita la vieille fille.
En 1933, il se rend à Buenos Aires et à Montevideo pour six
mois afin d’y présenter ses propres pièces et ses mises en scène
d’œuvres classiques. Il rencontre un extraordinaire succès
avec la compagnie théâtrale de Lola Membrives. Il acquiert
enfin une indépendance économique, noue de nouvelles
amitiés et se sent affranchi du milieu littéraire espagnol.
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À la rencontre de…
À son retour, il vit deux années très intenses, achevant
des œuvres nouvelles : Yerma, Chant funèbre pour Ignacio
Sánchez Mejías (1935), La Maison de Bernarda Alba (1936);
en reprenant d’autres (Poète à New York, Divan du Tamarit
et Suites) ; il se rend à Barcelone pour y diriger ses œuvres,
donner des conférences et lire ses poèmes. Il se consacre
surtout au théâtre, qu’il envisage comme un instrument
d’« action sociale ». Sa pièce Yerma (1934) est attaquée par
la presse conservatrice pour « immoralité et pornographie ».
La Guerre civile éclate le 17 juillet 1936. Sa popularité
et sa personnalité font de Lorca une cible prévisible pour
les Nationaux. La Colombie et le Mexique lui proposent de
l’accueillir, mais le poète refuse et préfère rentrer chez lui
pour l’été. Il est arrêté le 16 août 1936 et fusillé entre Viznar
et Alfacar – la date habituellement retenue pour sa mort
est le 19 août. Il a été jeté dans une fosse commune dont
on ignore la situation exacte. Les raisons de son exécution
dans les premières semaines de la Guerre civile demeurent
incertaines, on évoque ses liens avec le Front populaire, son
homosexualité, mais aussi des querelles familiales.
Premières chansons et Les Amours de Don Perlimplín et
de Bélise dans leur jardin sont publiées à titre posthume.
***
Les ouvrages sur la biographie de Lorca sont nombreux,
le chercheur irlandais Ian Gibson y a consacré sa propre vie,
il est l’auteur de la somme :
Ian Gibson, Vida, pasión y muerte de Federico García
Lorca, (1re édition 1989), Barcelone, Plaza y Janés, 1998.
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Federico Garcia Lorca par Line Amselem
Sur Internet, on trouvera d’excellents résumés rédigés par
deux universitaires :
« Vida en breve » par Christopher Maurer, site de la
Fundación García Lorca,
http://www.garcia-lorca.org/Federico/Biografia.aspx
En français par Jocelyne Aubé-Bourligueux sur le site
« Música y memoria »
http://www.musimem.com/Garcia_Lorca.htm
***
Ce livre est composé de dix chapitres, comme un semestre
universitaire un peu écourté. J’évoque ici ce qu’un professeur
ne dit pas dans une salle de cours, mais pendant que je
parcourais mon lien personnel à l’œuvre de Garcia Lorca,
je n’ai pas cessé de penser à mes élèves et mes étudiants.
Chaque chapitre est assorti d’un texte de Lorca (sauf
exception), d’abord dans sa version originale, puis traduit en
français par moi-même.
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Je découvre Lorca
J
’ai commencé à étudier l’espagnol quand j’avais treize ans.
Au premier cours, le professeur, qui était une très jeune femme,
a demandé à chacun de répéter « Soy Valérie, Soy Pierre ».
J’ai attendu mon tour, le cœur battant, il fallait que je dise
bien mon nom d’élève, pas le nom de la maison, en espagnol.
J’ai répété dans ma tête la phrase : « Je suis unetelle ».
J’ai ouvert la bouche et je me suis entendu dire « Me llamo
Line » (Je m’appelle Line). C’était fait, je n’avais pas pu
m’empêcher de dire une vraie phrase au lieu d’un artifice
pédagogique, j’étais fichée comme hispanophone, pourtant,
je ne voulais pas me faire remarquer. Dans la classe, d’autres
élèves portaient des noms espagnols qui les trahissaient, pas
moi ; j’aurais pu passer inaperçue.
Je savais que l’espagnol du lycée était différent de celui
de chez nous, ma sœur s’était mise à corriger tout le monde
après ses premiers cours : « “la calle” : ça se prononce
“câlié”, pas “cayé” », les parents la laissaient dire et s’en
amusaient. Ils imitaient sa façon affectée de parler. Quant
à moi, j’étais perplexe. Je crois que j’ai choisi mon camp le
jour où j’ai entendu ma jeune prof se tromper en traduisant
le mot « cheminée » par « chiminea » au lieu de « chimenea ».
Une petite lettre, ça n’est pas grand-chose, et on ne parle pas
de cheminées tous les jours, mais j’ai commencé à me méfier
de l’espagnol d’école.
J’étais bonne élève et curieuse, le livre ne ressemblait pas
à la méthode d’anglais ; dès les premières pages, on nous
donnait de petits poèmes à lire :
11
À la rencontre de…
« Por allí, por allá,
a Castilla se va.
Por allá, por allí,
a mi verde país… »
« Rutas »,
Rafael Alberti
« C’est par ici, par-là,
Qu’en Castille on s’en va.
C’est par-là, par ici,
Qu’est mon vert pays… »
« Itinéraires »,
Rafael Alberti
Rien ne ressemblait à ce que nous disions à la maison, même
les mots les plus simples, allí, allá, n’étaient pas les nôtres.
En tout cas, la Castille n’était pas notre pays. Je savais qu’il me
faudrait faire le tri, apprendre l’espagnol des « autres », une
langue « comme il faut », qui me servirait pour parler avec les
gens que nous retrouvions en été à la plage, près de Valence.
Nous passions nos journées avec la famille d’une collègue de
ma mère, nous ne pouvions pas nous laisser aller. J’ai compris
plus tard que ces amis parlaient « l’espagnol d’Espagne »
– c’est-à-dire le castillan – avec le même complexe que nous,
parce que leur langue maternelle était le valencien, une langue
proche du catalan.
Je m’engageais donc dans l’apprentissage du castillan
aguerrie par l’expérience de mon aînée et armée de méfiance.
Dès la deuxième année, j’ai eu le professeur que j’ai retrouvé
le plus souvent dans ma scolarité : Madame Calvo. Elle était
en fin de carrière, comme la plupart de ceux qui enseignaient
dans notre bon lycée parisien. Elle paraissait fatiguée avec ses
lunettes fumées de couleur ocre, la monture un peu plus claire
que les verres qui lui faisaient de grands yeux flous. C’était
une femme à la voix rude, sans doute issue d’une famille de
républicains, certainement élevée dans le Sud-Ouest, pépinière
d’hispanistes de cette génération. Elle ne bougeait pas de son
bureau. Et moi, par une stratégie qui consistait à voir sans être
vue, je m’asseyais toujours au même endroit dans la salle : au
premier rang, pour ma myopie, et juste devant le bureau plein
12
Table des matières
Introduction - Une vie en bref................................................................................................. 5
Je découvre Lorca................................................................................................................................. 11
« Escena del Teniente Coronel de la Guardia Civil ».................... 20
« Scène du Lieutenant-Colonel de la Garde Civile »...................... 21
Je raconte Lorca...................................................................................................................................... 27
La Zapatera prodigiosa (Acto II, escena II)............................................. 34
La Savetière prodigieuse (Acte II, scène II)............................................. 35
Une inauguration.................................................................................................................................... 39
El Público (Cuadro segundo)............................................................................................. 46
Le Public (Deuxième tableau)......................................................................................... 47
Incarnation......................................................................................................................................................... 53
Así que pasen cinco años (Acto primero).................................................... 60
Lorsque cinq ans auront passé (Premier acte)................................... 61
Une exposition............................................................................................................................................ 67
« Sketch de la nueva pintura ».......................................................................................... 74
« Sketch de la nouvelle peinture ».............................................................................. 75
J’enseigne l’œuvre de Lorca............................................................................................. 77
La Casa de Bernarda Alba (Acto II)..................................................................... 84
La Maison de Bernarda Alba (Acte II)............................................................. 85
141
Je traduis Lorca........................................................................................................................................ 91
« Y después »................................................................................................................................................. 98
« Et après »....................................................................................................................................................... 99
Lorca parle...................................................................................................................................................... 101
Juego y teoría del duende................................................................................................... 106
Jeu et théorie du duende...................................................................................................... 107
Lorca et mon Grand-père................................................................................................... 111
Recuerdo de León Cohen Mesonero.................................................................. 118
Souvenir de Léon Cohen Mesonero..................................................................... 119
Le courage de vivre........................................................................................................................ 121
« Escuchís, señor soldado… » - Romance................................................ 128
« Écoutez, monsieur le soldat… » - Romance..................................... 129
Las Nanas infantiles.................................................................................................................. 132
Les Berceuses........................................................................................................................................... 133
Conclusion - Partir avec Lorca........................................................................................ 137
« Vuelta de paseo ».......................................................................................................................... 139
« Retour de promenade »...................................................................................................... 139

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