TCG III - Ecriture - Version finale
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TCG III - Ecriture - Version finale
Pour une citoyenneté manifestée et éclairée à travers la démarche de conseil. Ouvrage collectif En référence aux « Troisièmes Journées du Tenir Conseil en Gascogne ». 10 et 11 juin 2010 à Salies de Béarn (64). Novembre 2010. SOMMAIRE L’avant propos des organisateurs page 3 Les auteurs page 5 Le thème des Journées de Salies page 9 La force du conseil, c’est la présence de l’Autre page 11 La démarche de conseil : la voie est contre le modèle page 13 La démarche de conseil assume le doute avec confiance page 14 L’acte signe le sens page 15 N’ayons pas peur : tenir debout pour faire face page 16 Conclusion page 17 Conclusion alternative page 18 Brève bibliographie page 20 2 L’avant propos des organisateurs : En 2008 à HAGETMAU (40), les CIBC du Sud Aquitaine 1 et le FONGECIF Aquitaine organisaient les premières Journées du « Tenir Conseil en Gascogne 2». Initialement destiné aux conseillers des deux Organisations partenaires, ce temps partagé annuel3 s’est ouvert depuis aux différents professionnels qui œuvrent dans le champ du conseil. Ces journées constituent une véritable et assumée « respiration formative annuelle ». Une parenthèse organisée, un emprunt réfléchi sur le temps de la production, qui opèrent un tournant réflexif structurant. « Redécouvrir le métier4 » est une occasion finalement assez rare. C’est donc une occasion précieuse. L’utilité de « redécouvrir le métier » n’est pas sans considération, ni option et conviction préalables. Au commencement, étaient la pensée et les travaux d’Alexandre LHOTELLIER5 qui encadrent un choix stratégique des institutions organisatrices. Le pressentiment, -l’intuition managériale en quelque sorte-, fut de considérer la proposition de l’Universitaire comme une possible et féconde alternative à la pression lancinante des dispositifs qui commande et réglemente l’intervention professionnelle quotidienne. Loin de la poussée insurrectionnelle, le choix de « la démarche du Tenir Conseil » institue la responsabilité des actes du conseiller au regard du sens délibéré avec le (ou les) bénéficiaire (s). « Comment être à la hauteur de l’Autre ? » est une préoccupation définitivement exigeante. C’est aussi une préoccupation définitivement exigible d’un professionnel, dont il faut admettre en contrepartie qu’elle légitime, autant qu’elle encourage de sa part, une veille résolument critique sur le travail prescrit. La subversion, parce qu’elle s’exprime dans un cadre professionnel maîtrisé et référencé aux valeurs portées par l’entreprise6, est admise ici comme une source d’inspiration et de progrès pour tous. 1 Sous cette appellation, il faut comprendre les CIBC 64 et CIBC 40 qui font direction commune depuis 2005. La Gascogne (en occitan : Gasconha) était au Haut Moyen Âge une principauté du sud-ouest de la France. 3 Les deuxièmes Journées ont eu lieu en 2009 à CLAOUEY, à l’entrée de la Presqu’île du Cap Ferret (33) – La troisième édition s’est déroulée en juin 2010 à SALIES DE BEARN (64). 2 4 Cf. Yves CLOT – In « Le travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux ». Ed La Découverte. Coll. Cahiers libres. 05/2010. 5 Auteur de « Tenir Conseil – Délibérer pour agir ». Ed. Seli Arslan. Coll. Perspective soignante. 04/2001. 6 Les CIBC Sud Aquitaine et le FONGECIF Aquitaine sont des associations dirigées par les Partenaires Sociaux. Chacune d’elles affirme tenir pour centrale la place de l’usager des services. 3 L’utilité de ces journées annuelles de formation résisterait à la démonstration si nous ne pouvions en illustrer les effets. Ce que nous voulons, c’est la mise en actes du sens donné à des pratiques professionnelles autorisées. Une ambition que nous savons inépuisable et par définition inachevée ; Une ambition influencée tant par un contexte professionnel incertain et provisoire que par la dimension intersubjective propre « au colloque singulier7 » de l’entretien de conseil. Cette précarité justifie, autant qu’elle limite, la présente tentative d’ordonner les traces de notre débat professionnel engagé depuis maintenant 3 ans. Ce qui pourrait obérer l’exercice convoque en réalité l’humilité et la mise en garde contre toute tentation de modélisation. La construction de références partagées vaut, seulement et seulement si, le niveau de participation autorise la possibilité, et donc le choix, de s’y reconnaître. En d’autres termes, ce n’est pas d’une obédience dont les praticiens se réclament. Ce qui leur a été proposé, et ce qu’ils ont accepté, c’est de s’associer à une démarche d’écriture collective d’une vision du métier et du travail bien fait, « à un moment donné » de leur vie professionnelle. Finalement, c’est dans l’éphémère que ce travail d’écriture8 puise sa raison d’être. Et c’est dans « l’intelligence du partage9 » qu’il convient de considérer la force et la permanence du récit. Depuis la Gascogne – Été 2010. Thierry ANSALDO François BANIZETTE Directeur du FONGECIF Aquitaine Directeur des CIBC Sud Aquitaine 7 Fondatrice de la relation médicale (« une confiance rencontre une conscience ») et, par extension, de la « relation d’aide » en général, cette vision aujourd’hui dépassée conserve néanmoins son rôle d’idée régulatrice des pratiques professionnelles. 8 Ndlr : issue des apports des formateurs/intervenants et des travaux menés en ateliers par les stagiaires lors des Journées de Salies Béarn (06/2010), la mise en forme emprunte les voies rédactionnelles du manifeste, préférées à celles de la charte. C’est donc « le mouvement » qui prime sur « le règlement ». 9 Nous comprenons ici la co-construction d’une vision partagée et d’une culture commune. 4 Ont participé à l’écriture : • Les stagiaires : Ansaldo Thierry Fongecif Aquitaine Arambourou Nicole CIBC 66 Banizette François CIBC 64/40 Barbe Denis Mission Locale du Libournais (33) Bertoli Bruno FPSPP (75) Bonamour Denis Fongecif Limousin Bordis Cathy CIBC 64/40 Brion Judith CIBC 33 Cabanes Marie CIBC 64 Candau-Sanz Cécile CIBC 64 Cazallé Claire CIBC 64 Charritton Isabelle Greta Bearn Soule (64) Cochard David CIBC 33 Costes Brigitte Fongecif Aquitaine Cullier Marie CIBC 33 Delamare Hugues Fongecif Aquitaine Duxin Sonia CIBC 40 Enee Alain Pôle Emploi Mourenx (64) Fontaine Soraya CIBC 66 5 Foricher Agnes CIBC 24 Foucher Séverine Fongecif Aquitaine Fournier Nathalie CIBC Gard/Lozère Gaujous Florence CIBC 40 Gillot Stéphanie CIBC 78 Goffre Laetitia CIBC 24 Gorce Nathalie Fongecif Midi-Pyrénées Hammen Vivianne Etudiante à Tours (37) Heidet Agnès André Chauvet Conseil (13) Lavergne Brigitte CIBC 40 Loustalot Bernadette Aquitaine Cap Métiers Marest Emmanuelle CIBC 64 Marie Vanessa CIBC 33 Marillot Maïté CIBC 64 Marine Carole CIBC 33 Marty Simon Fongecif Midi-Pyrénées Maury Gérald CIBC 33 Moles Leslie CIBC 40 Monserant Laurence Fongecif Aquitaine Narbeburu Pantxika CIBC 64 Nardi Nathalie PERF Tarnos (40) Neto Rul CIBC 33 6 Pages Lydie CIBC 33 Petit Jean-François ANPAA 74 Peyré Pascal Fongecif Aquitaine Poecker André AFPA Pau (64) Prévost Hervé AFPA Ingénierie - Montreuil (93) Prévost Marie-Pierre A titre personnel Ribaud Anne-Cécile CIBC 40 Royer Céline PDITH 64 Rycheboër Carine Fongecif Limousin Sarramaigna Pierre A titre personnel Serraj Béatrice SRFPH Aquitaine Simon Christine Simon Adéquation (40) Soccalingame Shila CIBC 40 Terrade Sylvie Fongecif Aquitaine Teyssedre Calie CIBC 40 Touin Odile Groupe IGS (75) Vannereux Olivier CIBC 33 Vareilhas Florence Fongecif Aquitaine Verbauwen Patricia CIBC 47 Vézian Vanessa CIBC Gard/Lozère Vitrac Françoise AFPA Montreuil (93) Nom Prénom 7 ni • Les formateurs et les intervenants : Caroline ALIBERT et Jean Michel FREDERIC : Respectivement Présidente et Vice-président de l’Association ière INTEN’CIF Franche Comté. Il s’agit de la 1 association du genre créée en France, dont l’objet est de regrouper des salarié(e)s qui ont bénéficié d’un Congé Individuel de Formation (CIF). Leurs collaborations avec les OPACIF, au premier rang desquels le FONGECIF France Comté, en font un partenaire apprécié et efficace dans la diffusion des informations relatives à l’accès à l’orientation et à la formation tout au long de la vie. Marie-Hélène DOUBLET10 : Docteure en psychologie du travail, elle est Chargée d’Études, de Recherche et Développement au CIBC 64. Ses travaux de recherche sur les pratiques de conseil et la mesure de leurs effets l’ont amené à développer des actions d’analyse de pratiques et de professionnalisation dans le champ de l’orientation, de l’insertion, de l’accompagnement social et de la formation. Luc PABOEUF : Président du CESR11 Aquitaine depuis novembre 2007, il anime également la commission « Observatoire des pratiques de l’orientation » du Comité d’Orientation Scientifique d’Aquitaine Cap Métiers (CARIF Aquitaine). Conseiller professionnel de métier (ANPE devenue Pôle Emploi), il a été le Secrétaire Départemental de la CGT (Gironde) et c’est à ce titre qu’il siège au CESR. Le CESR et le Conseil Régional constituent « La Région », Collectivité territoriale de plein exercice depuis 1986. Saisi pour avis par l’exécutif régional, le CESR peut également « s’autosaisir » afin d’étudier toute question intéressant l’échelon régional. Vincent CAPUTO : Ancien collaborateur de l’AFPA, il est depuis janvier 2010 Responsable de l’animation 12 réseau des OPCA et des FONGECIF au sein du FPSPP (Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours 13 Professionnels). Créé par l’ANI du 7 janvier 2009 et par la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, le FPSPP est une association constituée entre les organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel. André CHAUVET : Formateur, consultant. Après 25 ans d’expérience en orientation professionnelle, il propose une approche situationnelle et stratégique depuis plusieurs années dans différents dispositifs et dans de nombreuses structures. « Homme de métier », il est très investi sur le plan national dans des études d’impacts et de mesure des effets des politiques et des dispositifs de formation et d’orientation tout au long de la vie. Alexandre LHOTELLIER : Maître de conférences à l'Université de Nantes, Consultant et Formateur, il a réalisé une part importante de sa carrière professionnelle dans l’enseignement. Parallèlement, il a mené une activité de conseil qui l’a amené à développer sa théorie de l’accompagnement et du conseil sur les bases conceptuelles du counseling. Il a publié de nombreux articles et ouvrages dont « La relation de conseil » (1973) et « Tenir Conseil » (2001). 10 Bien qu’absente pour raisons familiales aux Journées de Salies, sa contribution à nos travaux est néanmoins une évidence. 11 Conseil Économique et Social Régional devenu, depuis le 13 juillet 2010, le Conseil Économique, Social et Environnemental Régional (CESER). 12 A remplacé le Fonds Unique de Péréquation (FUP). 13 Accord National Interprofessionnel. 8 LE THÈME DES 3IÈMES JOURNÉES DU « TENIR CONSEIL EN GASCOGNE ». Source : proposition de formation. Journées de Salies de Béarn (64) – Juin 2010. Après « les premières, puis les deuxièmes journées du Tenir Conseil en Gascogne », qui se sont déroulées successivement en mai 2008 à Hagetmau (40) et en juin 2009 à Claouey (33), -deux temps fondateurs d’une communauté de pratiques en émergence-, ces deux nouvelles journées de formation devaient permettre aux participants, d’une part, d’ancrer leurs choix de pratique dans une éthique professionnelle en questionnement et, d’autre part, de coconstruire avec les différentes figures et expressions de l’usager des services une démarche contractuelle qui procède d’une controverse organisée et féconde sur les termes du service à rendre. Empruntant à Pierre CAUVIN son «modèle des quatre corps »14, nous avons expérimenté et confronté les logiques à l’œuvre dans la définition du « conseil à rendre », comme dans la mesure du « conseil rendu », suivant que l’on appartient au corps qui : □ □ □ □ fournit les ressources, transforme les ressources, fournit les services, utilise les services. Nos travaux ont été influencés par les attendus de la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Ils ont également fait référence au « Premier état des lieux et principaux enjeux aquitains en matière d’éducation, de formation, d’emploi et d’insertion » réalisé par le Conseil Économique et Social Régional15. Ils ont enfin été traversés par la réflexion menée au sein de la commission « Observatoire des pratiques de l’orientation » du Comité d’Orientation Scientifique d’Aquitaine Cap Métiers (CARIF Aquitaine). 14 In « Un modèle pour gérer les organismes de services à but non lucratif » - Cahiers de l’ISMEA, revue des sciences de gestion – Octobre/Novembre/Décembre 1981. 15 Rapport publié en juin 2009 – www.cesr-aquitaine.fr 9 Considérant avec Théodore MONOD : □ [que] « l’union féconde n’est pas celle qui abolit les virtualités spécifiques et fait d’une précieuse diversité je ne sais quel informe et désolant magma », □ [que] « l’union véritable exalte les personnalités associées, découvrant dans leur contact mutuel, et plus encore dans un but commun proposé à leur activité, des raisons nouvelles d’être pleinement elles-mêmes et de mettre leurs richesses respectives au service du bien collectif 16 », l’usager, le praticien, le chercheur et l’institutionnel se sont donc retrouvés pendant deux jours au centre d’une « dispute 17 » réglée où chacun occupe une place singulière, mais totalement dépendante les unes des autres ; où chacun interprète une partition autocentrée, mais qui doit faire l’épreuve de la compréhension qu’en a l’Autre ; où chacun dit ce qu’il est en situation d’attendre, mais n’obtient jamais et au mieux de l’Autre que ce qu’il est en capacité d’apporter... Le texte qui suit manifeste l’attachement de ses auteurs à cinq ancrages que la mise en forme distingue, mais que la réflexion collective conjugue : 1. « La force du conseil, c’est la présence de l’Autre ». 2. « La démarche de conseil : la voie est contre le modèle ». 3. « La démarche de conseil assume le doute avec confiance ». 4. « L’acte signe le sens ». 5. « N’ayons pas peur : tenir debout pour faire face ». La forme choisie n’a d’autre intérêt que de donner à voir le fond de nos débats. Le plus clairement possible. 16 17 In « Dictionnaire humaniste et pacifiste » Ed Le cherche midi – 2004. Au sens médiéval du terme utilisé par Yves CLOT (Cf. Controverse). 10 LA FORCE DU CONSEIL, C’EST LA PRESENCE DE L’AUTRE. Le conseil procède de la rencontre. C’est pourquoi le conseil convoque et entretient la sensibilité à l’Autre. C’est cette sensibilité qui fonde l’expérience d’une coprésence par laquelle peut s’opérer l’émergence du sens. « Faire sens » s’inscrit toujours dans un « faire Société ». La démarche de conseil procède ainsi d’une conscience assumée de l’altérité et c’est pourquoi elle se veut une expérience humanisante. Il s’agit là tout autant d’une caractéristique que d’une condition. La démarche de conseil engendre le sens et interroge sans cesse la qualité (et ses critères) de la présence à l’Autre. Son opus n’est pas pour autant compassionnel. Révélateur de différences accueillies, le conseil féconde l’hospitalité18 en lui conférant des perspectives concrètes. Touché par la singularité de l’Autre, le conseil façonne les clés d’ouverture du champ des possibles. La conscience de l’existence de l’Autre fonde la nécessité de la délibération. Celle-ci procède de l’acceptation d’Autrui comme « infiniment autre », comme un « tout autre », avec lequel la coprésence n’est possible qu’à la condition d’une « composition ». Toute rencontre authentique est une expérience de présentification ouvrant sur une (re-) découverte de Soi. C’est par cette expérience que le conseil restaure le processus dynamique du « Je », refondant l’expérience d’un devenir qui appelle une « recomposition permanente » de la représentation de Soi. La délibération est la voie dialogique de cette recomposition où la présence d’Autrui stimule la plasticité de Soi, jusqu’aux limites incertaines de la rupture (avec Soi-même comme avec l’Autre…). Le conseil est donc le théâtre où se rejoue la scène primitive de l’altérité, expérience fondatrice du « Je » et où s’enracine l’impératif de la délibération comme possibilité d’un « Nous ». Sensible au décor initial et à ses évolutions19, qui en influencent nécessairement l’expression, le conseil n’est pas pour autant vitalement dépendant des accessoires de la mise en scène. Ainsi le conseil n’est-il pas aliénable au désordre ou la pénurie : il donne un sens à la réalité, quelle qu’elle soit, comme aux émotions qui s’y rattachent. 18 19 Entendue ici comme un geste de mise à égalité, un partage qui va bien au-delà du service et qui n’est pas sans risque. Comprendre ici l’ensemble des conditions, plus ou moins favorables, qui entoure les situations de conseil. 11 Avec lucidité, et par conséquent avec des limites, le conseil s’affranchit de la fatalité. Il est la source d’un génie de situation. Parce que son contenu est systématiquement et méthodiquement discuté, le conseil ne peut être défini de manière absolue. Sa force est dans sa capacité à bouger, à s’adapter et à se nourrir des questionnements qu’il fait naître. Le conseil est un processus vivant, source de conflits, de créations et d’expériences nouvelles. Le conseiller affirme et entretient une considération positive inconditionnelle de et à l’Autre, dans un environnement favorable à son épanouissement. La pratique professionnelle du conseiller alimente la négociation et reconnaît le contrat. Ce qui est possible, comme ce qui ne l’est pas, procède d’un constat à partager au plus tôt, constat certifié révisable à tout moment, au gré des opportunités qui jalonnent la démarche de conseil. 12 LA DEMARCHE DE CONSEIL : LA VOIE EST CONTRE LE MODELE. Le conseil n’est réductible ni à une procédure normée ni à un protocole indistinctement applicable20. A l’inverse, son universalité est garantie par sa construction originale, renouvelée, et par la singularité de ses emprunts21. Le conseil résiste à l’enfermement dans la prestation et tend à lui substituer la coélaboration du service à rendre. Cette création partagée est par essence conflictuelle. Les collisions, en termes de contraintes, d’intérêts, de risques encourus, de gains espérés, sont constitutives des temps de la délibération. Le conseil révèle les alliances possibles et impossibles qui sont autant de moyens disponibles ou non pour atteindre les buts consentis. Le conseil s’apprécie à travers la mobilisation réciproque et l’expression coordonnée d’engagements mutualisés. S’il n’y pas de mouvement sans engagement, il n’y a pas plus d’engagement sans sécurité. Le conseil tient pour fondateur un cadre d’exercice réglé et rassurant, c'est-à-dire reconnu comme utile et utilisable. Le conseil est une exploration organisée qui conduit à des découvertes. A ces occasions, l’Autre peut affirmer ou devenir ce qu’Il est. Le conseil favorise une transcendance, c'est-à-dire un possible dépassement de Soi, à la mesure des changements rendus possibles. Le conseil institue des rapports symétriques qui témoignent, à leur tour, d’une situation de conseil effective. Le conseil est une démarche réflexive qui suppose et entretient l’expression de la citoyenneté. Une citoyenneté résolument contributive, à l’intentionnalité créative, permettant au citoyen d’avoir prise sur le monde qui l’entoure. La pratique professionnelle du conseiller intègre, sans dissimulation, le tâtonnement et l’étonnement comme les signes caractéristiques d’une offre de service en coconstruction. 20 On se rappellera ici la pièce de théâtre « 7022 Z : Errance en mode anonyme », créée par la Compagnie « Imago Mundi » le 10/06/10 à Salies de Béarn et écrite par André CHAUVET. 21 Au-delà des outils, il s’agit davantage ici de signaler la multiplicité des conditions d’accès (Cf. La « segmentation » des publics). 13 LA DEMARCHE DE CONSEIL ASSUME LE DOUTE AVEC CONFIANCE. Le conseil est une construction nécessairement personnalisante. Dès lors, le conseil récuse la standardisation et reconnaît l’incertitude comme une caractéristique intrinsèque de la condition humaine. Le doute raisonne comme l’assurance que l’incertitude est prise en compte à son juste niveau. Les tentatives, - intuitives ou maîtrisées -, de les combiner favorisent la prise d’initiatives. Les certitudes alimentent l’inertie. L’incertitude appelle le mouvement. Le conseil met l’incertitude et le doute en chantier pour en faire des objets de travail, donc de création. Le conseil invalide le despotisme de l’expert et combat les mécanismes de son élection22. Le conseil ne se satisfait pas plus de l’injonction qu’il n’autorise l’usage du savoir à des fins de domination ou de manipulation. Si la posture de l’expert entraîne le naufrage du conseil, les tensions sur le front de l’expertise sont pour autant inhérentes à la fonction conseil. Elles doivent donc être reconnues et considérées en tant que telles. Cette conscience, en particulier à l’esprit des professionnels, a la vertu attendue de la prévention. Elle exige également de penser une organisation du travail qui favorise l’analyse critique des faits de pratique23. Le conseil ne fuit ni les temps de doute ni les temps de la controverse entre ses parties prenantes. Reliant l’effort à l’œuvre, le conseil a pour ambition d’assembler avec pertinence ces temps opportuns. Le conseil s’entraîne de leurs réitérations. Les professionnels veillent à ne pas se laisser séduire par leur technicité. Bénéficiaire(s) et conseiller disposent d’une capacité égale à mettre en examen les engagements consentis par les parties et à juger, contradictoirement, de leur mise en œuvre comme de leur efficacité. 22 Renoncer à s’auto-ériger en expert ne suffit pas forcément à annihiler la demande d’expertise. D’une certaine manière, les « Journées du Tenir Conseil en Gascogne » participent à cette critique utile, puisque finalement destinée à « se disputer » régulièrement à propos de la qualité du travail. 23 14 L’ACTE SIGNE LE SENS. La Valeur n’a pas de sens s’il ne lui est pas donné d’actes. Le conseil est à la fois la palabre24 et « le pas d’après » la palabre. Le conseil ne se tient pas à l’écart de l’action, pas plus qu’il n’en est mis à la porte, et ce quelque soit le degré d’intensité ou le rythme25de l’action qu’il génère. « Délibérer pour un agir sensé » sont les tenants et aboutissants indissociables du conseil. Si l’action est la manifestation d’une volonté éclairée26, l’acte est le signe d’un accomplissement. Le conseil par sa mise en actes fait sens et crée de la valeur, observable à ses effets sur la situation, objet initial et réactualisé de la délibération. Si le conseil procède généralement d’une mission reçue dans un cadre identifiable27, il ne peut se satisfaire de la seule préexistence de ses intentions. Il convoque l’engagement, considérant l’action et l’évaluation28 de ses effets comme des épreuves démonstratives de sa consistance et de sa légitimité29. Si le conseil fait appel à des techniques, il est d’abord politique. Il aspire à renforcer le pouvoir d’agir de chacun en créant un « agir collectif » dans lequel chacun se retrouve. Le conseil, s’il est émancipateur, ne participe pas pour autant au renforcement de l’individualisme. Au contraire, le conseil compte parmi les formes les plus abouties du « vivre ensemble », qu’il s’exerce dans le cadre d’une relation duelle, d’un groupe restreint, ou d’une communauté plus importante. La pratique professionnelle du conseiller entretient la dépendance entre la Société et les citoyens, c'est-à-dire l’équilibre des facultés respectives à peser légitimement sur des choix socialisés. 24 En référence à la palabre africaine, coutume de rencontre, de création ou de maintien du lien social permettant également de régler des contentieux. 25 Le temps de l’action ne suit pas forcément immédiatement le temps du conseil. Le différé peut faire penser qu’il n’y a pas eu d’actions, ce qui ne correspond pas nécessairement à la réalité mais plus sûrement au temps réservé à la prise de décision. 26 Est écarté ici toute forme pulsionnelle (passage à l’acte). 27 C’est le cas bien sûr pour les professionnels dans nos secteurs d’intervention. 28 L’évaluation est entendue ici comme la mesure de la valeur. 29 La légitimité est comprise ici comme la concordance entre ce qui est fait, ce qui devrait être fait et ce qu’il est possible de faire. A ce titre, elle n’est probablement jamais durablement acquise. 15 N’AYONS PAS PEUR : TENIR DEBOUT POUR FAIRE FACE. Le conseil n’est pas une revendication. C’est une démarche assumée qui s’explique30 et se défend ; Une démarche qui peut être exposée à tous et comprise par tous, quelle que soit la place ou la fonction occupées. Le conseil réfute la technicisation31. Il convoque une pédagogie active et accessible, illustrée par des situations réelles qui permettent d’en saisir, voire d’en expérimenter, au plus près les attributs et les résultats. Le conseil ne méconnait pas les contraintes de l’environnement, y compris en matière de financement. Mais son essence ne saurait s’y dissoudre, fût-ce au prix de l’entrée en résistance de ses valeurs et de ceux qui s’en réclament. Le conseil se nourrit et se renforce de la critique sur lui-même. C’est en soignant ses insuffisances chroniques que le conseil se défend utilement et durablement. Le soin porté au conseil est une responsabilité à partager entre ses parties prenantes 32 . Provoquer, instruire et accepter 33 sa conflictualité confère au conseil la meilleure expression de son humanité. La pratique professionnelle du conseiller résiste aux dogmes au prix de la meilleure transparence quant à ses effets. Pour être reconnue, donc discutable, la pratique professionnelle doit d’abord être connue du conseiller lui-même. 30 Il est clairement du rôle des conseillers de dire « comment ils font ce qu’ils font ». On pense ici notamment à la « psychologisation », voire à la « psychopathologisation » des rapports sociaux. 32 Les conseillers se reconnaissent ici une responsabilité majeure, qui fait appel à la solidarité professionnelle et à leur capacité à transformer leurs pratiques en savoir collectif. 33 Accepter la conflictualité, c’est d’abord renoncer à l’illusion de son éradication. 31 16 CONCLUSION. La conclusion de ce type de travail collectif ne peut être que provisoire. Il s’agit moins là d’une limite douloureusement avouée que d’un encouragement et d’une espérance à poursuivre. Encore et toujours. Encore, parce que nous ne saurions nous satisfaire de ce à quoi nous sommes parvenus. Toujours, parce que « le métier ne tient pas dans la main […] et qu’il ne se tapit pas non plus dans la communauté de pratiques »34. « Le métier relie dans des discordances plus ou moins créatrices des instances impersonnelles, transpersonnelles, interpersonnelles et personnelles. A charge pour chaque professionnel, avec ses collègues, de maintenir cette architecture au contact des surprises du réel, de la lester par ce qui la tient debout : la qualité du travail à jamais discutable35 ». Est-ce là un exercice de formation continue ? Nous répondons que oui, sachant être en contradiction avec la lecture « à la lettre » de sa définition contemporaine. C’est donc « à l’esprit » que nous nous référerons pour convaincre et obtenir la possibilité de faire vivre sans délai, c'est-à-dire sans fin, notre « dispute professionnelle ». Comme le montre Yves CLOT, il en va ici de notre santé au travail. Mais puisque « l’esprit » est appelé à nous servir de porte drapeau36, laissons nos derniers mots et la synthèse de nos convictions à Paul RICOEUR, philosophe de l’Éthique : « Viser la vraie vie avec et pour l’autre dans des institutions justes » Soi-même comme un autre. Ed du Seuil, Paris – 1990. 34 Yves Clot, Le travail à cœur, op.cit. Ibid., p. 182. 36 L’emblème comprend la devise : « Résistement » et « Acconseillement »…Ces deux néologismes, « inventés » avec humour par quelques conseillers, prétendent concilier une attitude éthique non figée avec une action de conseil qui inclut l’accompagnement. 35 17 CONCLUSION ALTERNATIVE. Des conseils….. J’en avais plein. Je m’en étais bien occupé, Je les avais choyés, bichonnés, astiqués. Des conseils bien élevés. Bien à moi. Je les tenais bien serrés contre moi. Et puis un jour, ils m’ont dit : - « tu nous serres trop fort, on étouffe ! - ah bon… ? mais c’est avec amour ! - oui, mais on étouffe quand même ! » Alors, j’ai desserré mon étreinte. Ils en ont profité pour partir et vivre leurs vies ailleurs…. Je me suis ressaisi et j’en ai retrouvé. Des mieux d’ailleurs. Plus à ma mesure. Et puis on m’a dit : faut pas les garder. Faut les donner. Alors, j’ai donné des conseils. Les miens. Ce n’était pas mieux. Quand je les donnais, tout juste si on me disait merci. Il y en a même qui se retournaient en me disant « il vaut rien ton conseil ! » et d’autres, les pires, qui font la mendicité du conseil, qui te tendent la main, t’implorent, pour après te dire « on t’a rien demandé !» Avec tout ça, je me retrouve complètement perdu. Sans conseil, ou avec des conseils, qui ne valent plus rien. 18 Alors, dans ma détresse, je me suis adressé à un conseiller en conseils : « C’est pas grave. Au contraire, c’est bien. C’est ton chemin. Maintenant tu es comme nu. Sans tes apparats. C’est peut être là que tu peux être disponible pour de véritables rencontres et être utile… » Je dois dire que je n’ai pas tout compris. Ce que je sais, c’est que je ne sais plus rien. Et c’est ça mon souci ! Professeur PILULE, alias Denis BARBE. Directeur de la Mission Locale du Libournais (33). Et clown. Source : • Improvisation du 11/06/2010. 13h30. Fin du déjeuner à l’hôtel du Parc. Le Professeur PILULE termine sa performance sur les genoux, face au Professeur LHOTELLIER. • Mise en forme le 20/06/2010. Publié avec l’aimable autorisation du Professeur PILULE. 19 Arendt, H. (1972, 1973, 1982). Les origines du totalitarisme. Ed du Seuil. Aubenas, F. et Benasayag, M. (2002). Résister, c’est créer. Ed La Découverte. Aubret, J. et Blanchard, S. (2010). Pratique du bilan personnalisé. Ed Dunod. Boursier, S. et Chauvet, A. (2006). Le conseil en VAE, une opportunité de renouvellement du conseil professionnel ? Actualité de la Formation Permanente, n°198. Brugère, F. (2009). Pour une théorie générale du Care. Ed La vie des idées. Castra, D. et Dubet, F. (2003). L’insertion professionnelle des publics précaires. Ed P.U.F. Clos, Y. (2010). Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux. Ed La Découverte. Doublet, M-H. (2006). Étude des interactions conseiller/bénéficiaire dans le bilan de compétences. Thèse de doctorat. INETOP/CNAM Paris. Dubet, F. (2002). Le déclin des institutions. Ed du Seuil. Freire, P. (1974). Pédagogie des opprimés. Ed Maspero. Guichard, J. (1997). Quelques enjeux pour l’orientation à l’aube du XXIème siècle. Questions d’Orientation, 4, 11-37. Layec, J. (2006). Auto-orientation tout au long de la vie : le portofolio réflexif. Ed L’Harmattan. Le Bosse Y. et Lavallee M. (1993). Empowerment et psychologie communautaire : aperçu historique et perspectives d'avenir. Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale. N° 18. p 7-20. Le Boterf, G. (2010). Professionnaliser professionnalisation. Ed Eyrolles. - Construire des parcours personnalisés de Monod, T. (2004). Dictionnaire humaniste et pacifiste. Ed Le cherche midi. Lhotellier, A. (2001). Tenir conseil - Délibérer pour agir. Ed Seli Arslan. Lhotellier, A. (2003). L’accompagnement : Tenir conseil. Carriérologie, 1, 2, 25-65. Palmade, J. (2003). L’incertitude comme norme. Ed PUF. Pineau, G. (2007). Les histoires de vie. Que sais-je ? Ed PUF. Prévost, H. et Tourmen, C. (2010). Être formateur aujourd’hui. Ed Raison et Passions. Revuz, C. (1991). Ni thérapeute, ni expert : l’entretien de bilan-orientation à la recherche de sa spécificité. Education Permanente, numéro Spécial « Bilan et Orientation », n° 108. Vermersch, P. (1994) L’entretien d’explicitation. Ed ESF. 20