O BROTHER Where are thou

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O BROTHER Where are thou
DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
O BROTHER
Where are thou
Joël et Ethan COËN
Dossier pédagogique complémentaire
DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
SOMMAIRE :
1.RESUME.....................................................................................................................................................................3
2.ANALYSES.................................................................................................................................................................3
IMAGES D’ULYSSE........................................................................................................................................................... 3
UN FILM POUR RIRE..........................................................................................................................................................5
UN UNIVERS CINÉMATOGRAPHIQUE DE LA REPRÉSENTATION..................................................................................................... 6
UNE COMÉDIE… MUSICALE …..........................................................................................................................................8
ABSURDE ET MERVEILLEUX................................................................................................................................................8
3.SECRETS DE TOURNAGE..................................................................................................................................... 9
ADAPTÉ DE HOMÈRE :......................................................................................................................................................9
LES YEUX FERMÉS ...........................................................................................................................................................9
UNE B.O. COMPOSITE......................................................................................................................................................9
JOEL COEN ÉCRIT EN MUSIQUE...........................................................................................................................................9
QUELQUES GOUTTES DE RÉALITÉ...................................................................................................................................... 10
4.CRITIQUES............................................................................................................................................................. 11
LES SIRÈNES DU MISSISSIPPI............................................................................................................................................12
5.LES FRERES COËN : PORTRAIT .....................................................................................................................15
JUMEAUX GÉNIAUX.........................................................................................................................................................15
6.TOUT LE MONDE CHERCHE DES REPONSES..............................................................................................20
LES RÉPONSES POLITIQUES À TRAVERS LA CARICATURE DES DEUX POLITICIENS:.........................................................................20
LES RÉPONSES COLLECTIVES À TRAVERS LES ORGANISATIONS SECTAIRES ................................................................................. 20
LES RÉPONSES INDIVIDUELLES À TRAVERS DES TYPES CARICATURAUX ....................................................................................20
LE RÔLE ATTRIBUÉ AUX ÉLÉMENTS : LA TERRE, L’ EAU ET LE FEU :...................................................................................... 21
UN ROAD MOVIE AUTOUR DE LA THÉMATIQUE DU DOUBLE :................................................................................................. 21
L’HOMME FACE À SON DESTIN : LA MÉTAPHORE DES CHAÎNES ............................................................................................. 21
CROYANCES, MANIPULATIONS ET TRAHISONS :....................................................................................................................22
LE BESTIAIRE DANS LE FILM :.......................................................................................................................................... 22
LES GENRES ÉVOQUÉS :.................................................................................................................................................. 22
LE JEU DE PISTE :.......................................................................................................................................................... 22
LE CINÉMA DANS LE CINÉMA :......................................................................................................................................... 22
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1. RESUME
L'Amérique des années 30, la grande dépression économique... Dans le Mississipi profondément raciste,
trois hommes enchaînés les uns aux autres s'évadent d'un bagne: Ulysses Everett McGill (George
Clooney), Pete (John Turturro) et Delmar (Tim Blake Nelson). Poursuivis par un shériff et sa meute, ils
partent à la recherche d'un trésor qu'Everett a soit-disant caché. Leur cavale devient une succession de
rencontres aussi bizarres qu'inattendues, allant d'un géant borgne, Big Dan Teague (John Goodman) à
trois ravissantes sirènes, en passant par le Ku-Klux-Klan et des politiciens véreux... Il apparaît
finalement que le trésor n'existe pas, prétexte pour Everett d'aller retrouver son épouse Penny (Holly
Hunter) et sa nombreuse progéniture... Parallèlement et presque par accident, les trois évadés
deviennent... des vedettes de la chanson !
Joel et Ethan Coën (le premier à la réalisation, et les deux au scénario) n'ont pas encore tourné de
mauvais films, même pas un seul raté. Et ce ne sera pas encore pour cette fois. Même si O'BROTHER ne
peut se prévaloir de la même qualité que Miller’s crossing ou Fargo il n'en reste pas moins un délectable
divertissement.
2. ANALYSES
Images d’Ulysse
La critique, du moins de ce côté-ci de la francophonie (le Québec), fût plutôt dure avec le dernier-né des
frères Coen. Car si plusieurs s'entendent sur l'honnêteté du jeu de Clooney et Turturro, on semble
toutefois vouloir dégager du film un certain vice de forme. On y voit alors une suite de trouvailles
visuelles fascinantes, mais qui manquent d'une cohérence interne et d'un véritable projet de mise en scène
qui en aurait fait une oeuvre aboutie. Nostalgique des deux oeuvres précédentes du duo (FARGO et THE
BIG LEBOWSKI), ainsi que du magistral BARTON FINK, la critique voit en O BROTHER, WHERE
ART THOU? une oeuvre narcissique et égoïste, dont le maniérisme de la composition ne constitue que
l'unique fin en soi.
Certes, j'abonderai dans le sens de la majorité critique en affirmant que le dernier opus des cinéastes
prodiges ne se classe pas parmi leurs meilleurs (cités plus haut). Mais ce serait gâcher notre plaisir que de
nier toute valeur à ce film dont le mérite et la cohérence tiennent justement de «l'incohérence» de ses
images et de son propos; une oeuvre post-moderne où le recyclage et l'aspect préfabriqué des images
(exploitées délibérément comme «clichés») et du texte filmique deviennent contemporains à un véritable
travail de déconstruction esthétique et idéologique.
Revenons brièvement sur ce concept de «post-modernité», soit celui de l'échec des Grand Récits
rationnels de la Modernité, selon l'analyse de Jean-François Lyotard, mais également celui de la culture
(voir de la complaisance) de l'image et de ses codes, exploités comme fins en soi. Laurent Jullier, dans
L'écran post-moderne, en dit: «Bombardé d'images et de messages quels que soient l'heure de la journée
et l'endroit où il se trouve, l'homme occidental se trouve moins en contact avec la réalité qu'avec une
représentation aspirant à la remplacer (1)». Ou selon le mot de Dominique Noguez: le lieu où la réalité se
met de plus en plus à ressembler au cinéma (et non l'inverse). Citant la définition de Collins, Jullier
définit alors l'oeuvre d'art post-moderne comme étant le produit «[d']un éclectisme radical fondé sur la
juxtaposition de discours conflictuels (art de pointe/culture populaire, contemporaine/historique, etc.), où
le texte devient le «site» de modes de représentation en intersection (2)». Le film des frères Coen se place
d'emblée dans ce contexte d'éclatement de l'image, alors que le sujet de l'oeuvre n'est pas, malgré ce qu'on
peut en penser, celui de la ségrégation raciale et de la sclérose droitiste de l'Amérique des années 30, mais
bien celui du «texte» de cette ségrégation et de cette sclérose. C'est dire que par ce récit déjanté éclate non
seulement une réflexion sur l'Amérique et son idéologie, mais également une réflexion sur la façade
derrière laquelle et par laquelle se construit cette idéologie. Du doute post-moderne exprimé envers les
schémas théoriques et idéologiques, les frères Coen ne filment non pas l'Amérique, mais bien son image,
derrière laquelle n'arrive plus à éclore la réalité, dont on ne soupçonne même plus l'existence.
O BROTHER se veut donc une réflexion sur la construction du signe (le signe comme constructeur
d'idées): du signifiant (l'objet) à son signifié (le sujet). Les frères Coen procèdent alors par la
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confrontation d'images codées et de récits préétablis: de L'Odyssée d'Homère au cinéma burlesque muet
(dénoté autant par l'utilisation des intertitres et de la fermeture à l'iris, que par la narration par courts
segments épisodiques presque indépendants), du discours politique aux spectacles musicaux, etc. Mais
ici, l'image est constamment recyclée et recontextualisée dans les codes de représentation d'une autre
institution. C'est ainsi que le Ulysse (George Clooney) des frères Coen, tout comme celui d'Homère,
rencontrera les sirènes, affrontera le Cyclope (John Goodman) et confrontera les prétendants de Pénélope
lors de son retour à Ithaque (ici le Mississipi du Ku Klux Klan), le tout recontextualisé dans le monde du
slapstick et de la magouille politique sudiste. Le discours des frères Coen se veut donc celui de la
déconstruction des images, des textes, qui s'affrontent et se croisent sans pouvoir s'entremêler de façon
homogène. Par l'excès des codes qui se fracassent, l'image n'acquiert plus le statut transparent d'une
fausse réalité, mais regagne son essence propre, soit son statut «d'image», de cliché (le cliché n'est-il pas
l'expression même de l'artificialité de l'image?). Une image qui n'est plus naturelle, mais bien fabriquée
par une présence omnisciente assumée comme telle. Une image qui sert à la fois de masque et de référent
à l'idéologie qu'elle construit, idéologie qui, plus que tout autre «texte», demeure encore et toujours une
construction que les frères Coen démasquent en détruisant sa naturalité pour dévoiler son jeu de façade.
Dans O BROTHER, tout est donc «image»: du récit homérique aux campagnes électorales, du slapstick
au numéro de music-hall, de la religion au dictat de la mode capilaire, etc. Ainsi, les deux comparses
d'Ulysse s'embarquent dans l'Odyssée grâce à l'idée d'un trésor, qui n'est qu'un mirage construit par un
Ulysse qui, lui, se lance dans l'aventure pour contrer un autre mirage, soit celui dressé par sa femme
(Holly Hunter) qui, voulant éviter l'angoisse du père criminel à sa progéniture, raconte à ses filles que
celui-ci est mort dans un accident de train. Et par l'accouplement des textes et des façades, c'est le jeu des
idéologies qui est ici mis à nu sous le mode de la confrontation, tel que nous le présentait déjà le couple
antinomique de THE BIG LEBOWSKI, où s'opposait un héros de guerre droitiste, nourri d'images et de
propagande politique, et un chômeur complètement apolitique sur lequel aucune image ni idéologie
n'arrivaient à coller, sinon celle de son propre individualisme. Dans O BROTHER, encore une fois,
l'idéologie comme mythe recyclable (donc comme image construite) est encore une fois à l'ordre du jour,
toujours sous le mode du ridicule. C'est ainsi que Homère (ici un politicien, Homer Stokes, également
auteur d'un «récit» idéologique, soit celui de la droite raciste et du Ku Klux Klan) sera goudronné et que
de son dictat politique et idéologique, nous passons sous le dictat de son opposant politique, exploitant la
ferveur populaire entourant le trio musical d'Ulysse (ils jouent sous couvert, sous une fausse-barbe : ils
sont «spectacle») pour prendre le pouvoir. Il arrive ainsi à «angéliser» les dangereux évadés, ayant
préalablement été «démonisés» par son opposant politique. Dans l'univers des Coen, les idéologies
deviennent objets arbitraires, jetables et recyclables.
A propos du cinéma des frères Coen, Thomas Bourguignon, de Positif, écrivait que «les images, comme
les mythes, deviennent agissantes quand on y croit. Le spectateur ne sait plus, dès lors, s'il doit croire aux
trompe-l'oeil de la réalité ou aux visions qui se réalisent, le cinéaste maniant la baguette de l'illusionniste
et le bâton du visionnaire (3)». Ces quelques mots résument bien la portée philosophique du cinéma des
frères Coen quant à leur réflexion sur la construction de l'image. Car s'ils font figures de visionnaires à la
fois dans l'expression du pouvoir de l'image que dans son acte de déconstruction, ils ne sont pas dupes de
l'acte même de leur énonciation, de la construction d'idées qu'ils mettent en branle sans jamais fuir
derrière leur propos. Il suffit de penser à cette finale où Ulysse, priant son Dieu, sa Muse (le cinéasteauteur), de venir à sa rescousse, voit l'impossible, sinon l'absurde, se produire, alors que le Mississipi,
contaminé de toutes ces idéologies et références surfaites, est complètement lavé par un raz-de-marée où
les objets (signifiés), perdus dans un environnement hétérogène au leur (on pense ici à Magritte), sont
déliés (ou «lavés») de leurs significations codifiées. C'est ainsi que le cercueil d'Ulysse devient l'objet qui
lui permet de survivre à la surface de l'eau, et que le gel capillaire «Dinky Dan», jusqu'alors métonymique
d'Ulysse lui-même, devient inutile, «insignifiant». Sarcasme sur la relativité des sens (dans le sens
linguistique du terme), cette finale inattendue devient l'acte de foi des cinéastes, puisque l'absurdité et
l'excès de leur participation à la narration vient servir, comme dans le MAGNOLIA de P.T. Anderson,
d'autodérision à leur travail même de créateur d'images et d'idées.
Bruno Cornellier 2001
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Un film pour rire
Inspiré par "L'Odyssée" d'Homère, le film n'a pas d'autre ambition que de nous amuser et il y réussit.
Souvent très proche de la comédie musicale (voir la scène des sirènes, celle des Baptistes ou la cérémonie
du K.K.K., scène par ailleurs peut-être la plus contestable du film), O'BROTHER est allégé de toute
noirceur et même de ce qui a toujours fait le succès des deux frères: le sarcasme. Celui-ci s'est transformé
en simple ironie, poussant du coup le côté "farce" beaucoup plus loin. Les Coën n'ont pas peur de la
caricature, au contraire ils en rajoutent toujours une couche !
Les trois évadés, pour commencer: trois quasi demeurés: "Ulysse" Everett tout d'abord, le play-boy beauparleur du groupe qui, se rêvant philosophe, ne cesse de raisonner dans le vide (jolis dialogues pour
George Clooney), sans cesse animé d'un optimisme à toute épreuve et obsédé par ses cheveux (sa
première inquiétude à chaque réveil) et par la gomina dont il ne peut se passer (et surtout toujours la
même marque). Idée fixe qui, bien sûr, détruit allègrement le côté pseudo-intello du personnage qui
s'avère un vrai crétin !
Pete, sorte de brute abêtie, aux réactions primaires et à la diction de « plouc » absolu (contraste total avec
celle, léchée, d'Everett), qui rêve d'ouvrir un restaurant et d'y être Maître d'Hôtel en smoking, et Delmar,
sorte de benêt naïf, complètent un trio "à la Pieds Nickelés".
De même, l'apparition délectable du gangster George "Baby Face" Nelson en permanent pétage de plomb
ou les deux opposants politiques, candidats au poste de gouverneur: l'un (Charles Dunning), vieux style,
représentant de grands intérêts et entourés d'incapables; l'autre se présentant comme l'ami des "petites
gens", menant une campagne moderne mais chef secret du K.K.K.... Un vrai jeu de massacre...
Les références à L'Odyssée sont bien sûr nombreuses, même si on est loin d'une réelle adaptation de
l'oeuvre d'Homère. Les principales se retrouvent dans les personnages d'"Ulysse" Everett et de son
épouse... Penny (Penelope), du géant borgne Big Dan Teague (autrement dit le Cyclope) vendeur de
bibles, voleur et membre du K.K.K. ou encore des trois "sirènes". Ces dernières se débrouillent pour
livrer Pete à la police contre une prime, tandis que ses deux acolytes se persuadent (enfin, surtout Delmar)
que les jeunes femmes l'ont changé en crapaud, crapaud finalement tué par Big Dan Teague/le Cyclope !
Un film des frères Coën entraîne toujours un grand plaisir visuel, l'image, les couleurs étant
particulièrement travaillées. De même ici où la pellicule paraît curieusement décolorée (les couleurs sont
en fait désaturées sélectivement, cf. interview des frères dans "Première", 05/2000), par suppression des
couleurs et recolorisation numérique et même teintée d'absurde (tous les champs sont jaunes). Mais à
cette dimension picturale habituelle pour eux, ils en rajoutent ici une nouvelle, musicale, tout à fait
exceptionnelle et ce dès l'ouverture du film: alors que l'écran est encore noir, on entend un superbe blues,
mêlé au son caractéristique de masses cassant des pierres. On sait où on est: le sud profond. L'image
apparaît, nous révélant effectivement des bagnards (tous noirs) chantant et accomplissant leur rude tâche.
Puis, tandis que le générique commence à défiler sur l'écran (écrit sur des cartons à l'ancienne dont les
quatre coins représentent un boeuf, une fleur, un thermomètre, une assiette et ses couverts !), la musique
change et passe au country. On découvre alors trois bagnards (trois blancs) s'enfuyant à travers un champ
de maïs...
La musique, le Gospel et le Hillbilly s'ajoutant au blues et au country, ne va plus cesser, cimentant
véritablement le film, lui donnant toute son unité au-delà des scènes disparates. Le point d'orgue est peutêtre l'enregistrement d'un disque par les trois compères, accompagné de Tommy, un guitariste noir qui "a
vendu son âme au diable" (hommage au génial Robert Johnson). Baptisé "The Soaky Bottom Boys", soit
en V.F. "Les Culs mouillés" (!) on les retrouvera plus tard sur scène, déguisés en vrai ZZ Top (fausses
longues barbes)...
L'interprétation, comme toujours, est parfaite. On retrouve les fidèles des fidèles des frères Coën : John
Turturro, John Goodman et Holly Hunter. Auxquelles viennent s'ajouter deux nouveaux: Tim Blake
Nelson, au jeu très fin et lunaire, et celui qu'on attendait sans doute pas dans un tel univers, George
Clooney. Celui-ci fait montre de tous ses talents comiques dans une espèce de parodie irrésistible de Clark
Gable !
Philippe Serve 1999
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Un univers cinématographique de la représentation
O' Brother… se présente de façon ambitieuse comme une retranscription de L'Odyssée de Homère et, sur
un mode beaucoup plus plaisant, comme une sorte de parodie de certains styles de cinémas américains
hollywoodiens, à commencer par les road-movies. Il appartient à ce type de films qui mélangent plusieurs
genres et qui sont, de ce point de vue, apparemment, "impurs", dans le sens où, justement, on peut les
prendre de différents côtés.
C'est un film composite, on y trouve des références à beaucoup de choses, et d'abord à Homère, qui est
d'ailleurs présenté dans le film sous l'aspect du noir aveugle sur sa draisine, puisque tout le monde sait de
façon certaine qu'Homère était aveugle. On trouve beaucoup de citations à L'Odyssée ailleurs dans le film,
c'est un film à citations, comme l'ensemble du cinéma américain depuis trente ans : c'est un cinéma qui
n'est plus dans l'innocence et qui sait qu'il y a eu avant un autre cinéma, le grand cinéma classique. Depuis
les alentours de 1970, tout le cinéma hollywoodien des grands cinéastes travaille sur ce qui s'est déjà fait
avant, la référence est obligatoire. Par exemple, au début de ce film, le personnage d'Ulysse est habillé de
telle façon que, si l'on connaît l'histoire du cinéma et les films des grands cinéastes américains, on est
obligé de penser au film de John Ford, "Les Raisins de la Colère" : très volontairement, ils le font
ressembler à Henry Fonda dans "Les Raisins de la Colère" puisque, c'est logique, le film se passe a priori
à la même époque et le film de Ford était lui-même aussi un road-movie.
Aujourd’hui, on ne peut plus " représenter ", on " re-présente ", c’est-à-dire que c’est une présentation de
quelque chose qui a déjà existé, en référence à des images qui ont été déjà vues et qui sont restées dans
l’esprit du spectateur : on ne voit pas un film tel qu’il est, mais on voit un film avec les images que l’on
reconnaît dedans. Il y a une culture qui est sous-tendue dans le système de représentation, étant entendu
en revanche que le spectateur n’a pas à connaître cette culture : le spectateur peut être complètement
ignare, mais cela n’empêchera pas le jeu de se mettre en place, du fait que le deuxième degré ou la représentation l’emporte sur le présentation. La notion de re-présentation est une chose qui devient de plus
en plus forte : le cinéma est une invention scientifique qui permettait de connaître le mouvement
(cinématographe, c’est-à-dire l’écriture du mouvement) tout en " inventant " la vie. Une vie illusoire, mais
pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on re-présentait la vie en train de se dérouler, par
opposition à avant où l’on était dans la pensée de la vie. D’où l’idée qui a perduré selon laquelle si une
chose avait été photographiée ou filmée, elle était vraie, et cela perdure encore dans les informations.
Classicisme et maniérisme : la fin du rêve américain
Ce travail sur des références très précises, sur quelque chose qui a préexisté et que le spectateur américain
connaît, consciemment ou inconsciemment, les frères Coen en jouent pour en dire quelque chose et non
pas simplement pour dire "Voyez comme je connais mon cinéma". Ils en jouent pour montrer comment
regarder une époque ancienne, non pas simplement pour l'observer mais pour parler d'aujourd'hui par
cette époque interposée. Le film est construit de cette façon, par des références constantes et, même si le
terme est un peu prétentieux, par une distanciation nécessaire qui évoque le maniérisme et le baroque,
puisque ces deux courants sont la conséquence de la fin d'un classicisme. Une fois qu'un classicisme a
atteint son apogée, il y a ensuite un autre mouvement qui le remplace et qui inverse le classicisme pour en
retravailler ses formes et son sens. Tous les arts fonctionnent ainsi, et le cinéma n'y échappe pas, nous
sommes actuellement dans la période maniériste, au niveau mondial, parce qu'il y a une évolution
profonde de l'histoire humaine, des sociétés humaines, et qu'aujourd'hui, plus rien dans les sociétés ne
permet de faire du classicisme puisque pour faire du classicisme, il faut avoir des certitudes de valeur.
a dans "Les Raisins de la Colère" puisque, c'est logique, le film se passe a priori à la même époque et le
film de Ford était lui-même aussi un road-movie.
Les cinéastes américains, que ce soit Coppola, De Palma, les frères Coen, Burton et bien d'autres, et
même quelquefois Eastwood, le plus classique de tous, savent qu'il y a eu en effet les années 60-70, et
qu'à ce moment-là le grand rêve américain auquel tous les Américains ont cru depuis leur petite enfance a
été brisé. Ce film-là, comme bien d'autres, est un film qui sait qu'il y a eu la guerre du Viêt-nam, et la
crise morale de cette guerre est sur l'écran. En d'autres termes, c'est un film qui joue apparemment
l'innocence de cette époque-là et qui va jouer sur la croyance. Ils font semblant de croire à la croyance,
quoiqu'il y ait d'autres éléments qui s'interposent, à commencer par la croyance religieuse.
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De l’Odyssée à la bande dessinée : des personnages de l’innocence
Ce rêve américain, sa notion de réussite et de progrès, a de quoi faire sourire, par exemple quand un
personnage disserte sur l'arrivée de l'électricité, le développement du Sud, les superstitions vont
s'évanouir, etc. : ce beau rêve 1930, évidemment revu et corrigé par ce qui se passe aujourd'hui, crée une
certaine distance appelée sous une forme d'humour à mettre en question nos propres certitudes. Tous les
personnages sont très intéressants de ce point de vue, car ils sont travaillés par de nombreuses références.
Il y a d'autres références qui interviennent dans le film, à commencer par celle de la Bande Dessinée, mais
après tout, L'Odyssée était aussi de la Bande Dessinée, simplement on ne la dessinait pas, on l'écrivait et
on la chantait : ce sont des histoires merveilleuses, des histoires pour enfants, où les aventures se
succèdent les unes aux autres, suivant le modèle du conte et du poème de l'époque. Essayer d'adapter
fidèlement L'Odyssée aujourd'hui serait impossible : Ulysse, même s'il est à la fois beaucoup plus
intelligent et plus sceptique que les autres, est malgré tout immensément naïf : quand il rencontre le
Cyclope et qu'il reste bouche bée d'admiration avant de recevoir un coup, on peut se dire qu'il aurait pu se
méfier un petit peu plus. Ils ont beau être des forçats, ce sont encore des innocents.
Les chants de l’Amérique profonde
D'autre part, la dépression, ou en tous cas le chômage aujourd'hui, provoque une misère aux Etats-Unis
qui peut permettre les correspondances : après tout, et ce n'est pas innocent ni gratuit, aux Etats-Unis
aujourd'hui, on a réenchaîné les forçats ou les prisonniers, les chaînes d'aujourd'hui sont les mêmes que
celles d'hier. La première séquence des forçats, filmée quasiment comme une comédie musicale, est plutôt
plaisante, et en même temps, ce n'est pas fait uniquement pour montrer une petite situation amusante, c'est
pour attirer notre attention sur le fait qu'ils sont entraînés à chanter en travaillant et donc, sans le savoir,
ils vont se mettre à chanter tous les trois de très beaux chants country : si on n'avait pas commencé par les
forçats qui chantent, on ne pouvait pas imaginer comment ces personnages se retrouvent face à un micro
et deviennent des super vedettes. Les Coen jouent donc sur des éléments qui vont se répondre les uns aux
autres et, en ce qui concerne la bande son, ils utilisent de la musique qui, à la fois, joue à fond le country,
c'est-à-dire l'Amérique profonde et l'âme américaine, le soul, avec jonction de cette musique de Blancs
avec la musique de Noirs qui est tout autant l'âme profonde d'une autre Amérique : les trois héros allaient
donc rencontrer forcément le Noir. Le Noir, et c’est tout aussi logique également dans cet univers, s’est
forcément donné au démon, puisqu’un Noir ne peut bien jouer de la guitare qu’avec l’aide du démon,
parce qu’il n’est pas possible que les Noirs aient des dons dans ce contexte, et il a donc vendu son âme au
diable. Au niveau de l’écriture du scénario, les Coen se sont sûrement bien amusés mais, en même temps,
chaque situation est bien pensée grâce au jeu des références.
Un film politique ?
Le film repose sur l’idée de savoir comment Homère aurait fabriqué L'Odyssée s’il avait vécu en 1930.
Dans ce cas, il est logique que le film parle du Klu Klux Klan. Le Klan, c’est quelque chose de très
important en Amérique, qui a été évoqué au cinéma dès " Naissance d’une Nation " de Griffith, qui
explique pourquoi ce mouvement est né juste après la Guerre de Sécession, de façon admirable même s’il
s’agit d’un film à fortes tendances racistes où tous les stéréotypes en la matière apparaissent : les blancs
ayant été obligés de libérer les esclaves, ils ont joué sur la naïveté et la crédulité des Noirs pour s’habiller
en fantômes afin de leur faire peur. Le mouvement est ensuite retombé, et c’est ensuite en 1912-1914
qu’ils ont repris une véritable fonction politique contre la libéralisation des Noirs, jusqu’aux années 30-40
où l’on dénombrait trois ou quatre lynchages par semaine. L’éveil du Klan est donc extrêmement
important dans les années 30, et plus encore dans ce Sud profond violemment fasciste
Les Coen traitent ce thème à travers une comédie musicale qui rendent ces membres du Klan ridicules
tout en les rendant odieux. Le film parle aussi de la violence des sectes par deux fois : dans la séquence
où les héros se font baptiser, et à travers cette secte terrifiante du Klu Klux Klan. Il leur fallait montrer et
révéler la " traversée des Etats-Unis ", c’est-à-dire la vérité du visage des Américains, mais plutôt que de
réaliser un film directement politique, ils préfèrent le faire avec légèreté. Le film se veut aérien dans une
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absence de gravité. Dans cette séquence du Klu Klux Klan, la situation, a priori inextricable, est donc
résolue d’une façon complètement fantaisiste et aérienne.
En même temps, quand on regarde le film de son point de vue politique, on s’aperçoit qu’on a deux
politiciens en pleine campagne électorale : les films de cette époque-là où apparaissent des politiciens, par
exemple chez Ford, sont très souvent liés à une campagne électorale. Ici, on s’aperçoit que celui qui
détient le pouvoir est corrompu jusqu’à la racine et que l’autre est encore plus terrifiant que le premier, et
par conséquent le premier devient finalement très sympathique. Le film aborde donc la politique sous
deux aspects : le Klu Klux Klan qui représente le fascisme américain toujours larvé et présent dans une
Amérique profonde de l’extrême droite, et le politicien démocrate corrompu mais qui a au moins le mérite
d’apprécier la musique de l’autre Amérique profonde et une certaine façon de vivre. On pourrait faire la
même chose en France : vous avez la France profonde de certains partis politiques et une autre France
profonde d’un certain art de vivre à la française. Nous sommes rentrés dans un cinéma américain qui est
un cinéma de lutte et de scepticisme par rapport à la société américaine où le personnage d’Ulysse, si naïf
et sympathique au début, va rentrer dans le système à la fin. Bien sûr, Pénélope ne passe pas ici son temps
à faire de la tapisserie, elle passe son temps à faire des enfants qui, à la fin, sont attachés les uns aux
autres comme les forçats au départ.
Une comédie… musicale …
Le personnage du braqueur de banques est également totalement en référence au cinéma américain, par
exemple avec Bonnie and Clyde et bien d’autres, que les Américains connaissent bien. Les frères Coen
font de ce personnage quelqu’un de complètement énorme avec, lui aussi, une innocence absolue,
notamment dans la scène du braquage. Le film se veut une mise en boîte de toutes les valeurs sur
lesquelles la société américaine a voulu reposer et qui ont aujourd’hui disparu. La rencontre du gérant de
radio dans un désert absolu montre déjà la puissance du média, comme une sorte de symbole également
de la naissance de Las Vegas. C’est un film joyeux sur un sujet qui ne l’est pas du tout, et on peut le
recevoir de différentes façons : on peut le voir au tout premier degré et s’amuser beaucoup (ce que j’aime
beaucoup dans les films comiques, c’est quand le public se dit " On a bien rigolé, mais qu’est-ce que c’est
bête ! "), le rire est une libération et une défense, et on peut aussi beaucoup réfléchir sur la signification de
telle ou telle scène.
Il y a beaucoup de cinéastes américains aujourd’hui qui sont très calés et très imprégnés de la musique,
notamment le jazz avec par exemple Clint Eastwood qui en joue lui-même. Si on connaît bien la musique
américaine, on peut percevoir des choses relatives à la musique dans ce film, par exemple le fait que le
Grand Sorcier du Klu Klux Klan chante du gospel, ce qui constitue bien sûr l’ironie suprême.
Absurde et merveilleux
Il n’y a rien d’absurde dans le film, tout est très logique. Le personnage de Georges Clooney ne cherche
pas un trésor, il cherche un mensonge de trésor. Le merveilleux lui-même n’est pas merveilleux : le
crapaud, qui est de l’ordre du merveilleux, n’est pas merveilleux. Le trésor représente la quintessence des
contes où il symbolise la connaissance profonde de soi : ici, comme ce trésor est un mensonge, on ne peut
parvenir à cette connaissance de soi. A la fin du film, Ulysse retrouve Pénélope et semble revenir à une
valeur sûre parce qu'on va repasser par l’alliance, mais ce n’est pas la bonne alliance, il n’a pas présenté la
bonne alliance, il lui offre une re -présentation d’une alliance. Les situations du film sont poussées au
drolatique mais ne sont pas absurdes : les Sirènes n’ont rien d’absurdes, ce sont simplement des femmes
qui ont compris qu’il y avait de l’argent à gagner.
Au royaume des aveugles…..
Il y a une symbolique de l’aveugle tout au long du film. Le premier aveugle, c’est le personnage du Noir
qui joue Homère, qui ne voit pas l’extérieur parce qu’il voit de l’intérieur. L’aveugle total du film, c’est le
policier et ses lunettes noires, représentation de la force et de l’autorité de la Loi. C’est la Loi à l’état pur,
loin d’être ce que devrait être une Loi, en particulier dans un pays démocratique, c’est-à-dire quelque
chose qui ouvre à la vie : c’est au contraire une Loi totalement de fermeture, qui impose le malheur et
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
empêche la vie. C’est un personnage totalement diabolique, car il ne veut rien voir hormis sa certitude, la
Loi, qui détermine son autorité et son pouvoir. Il est parent du borgne, le Cyclope du film.
Un cinéma d’effets…
Les frères Coen sont des cinéastes d’effet, ils ne travaillent que dans les effets, et chaque effet doit être
efficace. De ce point de vue-là, ils sont dans la logique du gag. Dans Blood Simple , les effets étaient
lourds : ils demeurent intéressants mais sont fortement appuyés. Ici, au bout d’une quinzaine d’années de
carrière, ils essayent de conserver le système à effets en le débarrassant de la lourdeur d’écriture dans la
manipulation des effets. Voyez la séquence d’ouverture. Le film commence par un fusil, la caméra recule
et un autre fusil entre dans le champ : les deux fusils se croisent, faisant une fermeture. A ce moment-là,
on tourne, et on découvre une perspective, avec les bagnards autour d’une perpendiculaire. La caméra
tourne toujours, et on peut se dire qu’on va assister à un sujet souvent traité par les Américains : l’évasion
des bagnards. Brutalement, la caméra recule, le paysage est idyllique : un très beau champ qui a été coloré
pour qu’il soit bien jaune à l’écran ; dans le fond, en ligne de fermeture, toujours les bagnards mais
devenus d’un seul coup décoratifs, quelque chose de joli dans le paysage. Et brutalement, on voit surgir
trois bonshommes qui re disparaissent, et nous avons donc nos trois personnages qui, d’un seul coup, se
mettent à courir, etc. Cette séquence est construite sur le principe d’absence de liens et de continuité, sur
la discontinuité, un peu comme dans les dessins -animés : d’une certaine façon, il y a une technique ou
une écriture de dessin -animé ou de bande -dessinée dans le film. Le but des frères Coen, c’était de
trouver de la légèreté à partir d’un style qui, a priori, est lourd, et c’est ce qui fait l’intérêt de leur œuvre.
Jean Douchet.
3. SECRETS DE TOURNAGE
Adapté de Homère :
O' Brother se présente comme la libre adaptation de «L'Odyssée» de Homère dans le Deep South des
années 30.
Joel Coen ironise : «Ce projet est né il y environ 3000 ans, depuis qu'Homère a commencé à en parler ici
et là.» avant de reconnaître qu' «il s'agit d'un sujet très américain, comme tous nos sujets. Il est inséré
dans une époque e une région précises. Mais, en même temps, il se fonde sur une histoire universelle,
connue de tous.»
Les yeux fermés
George Clonney, enthousiaste à l'idée de jouer sous la direction des frères Coen, a accepté le projet sans
même lire le scénario. La lecture du script n'a fait que confirmer ses a priori favorables.
Et de quatre !
O'Brother marque la quatrième collaboration entre John Turturro et Joel Coen. Le comédien était
auparavant apparu aux génériques de Miller's crossing (1990), Barton Fink (1991) et The big Lebowski
(1998).
Une B.O. composite
L'action de O'Brother se déroule dans le Deep South, région où le musique la plus populaire est le
"bluegrass", une forme traditionnelle de blues. La bande-originale traduit cette ambiance musicale à
travers des enregistrements originaux des années 30 et des titres de l'époque réenregistrées. De plus, une
chanson a spécialement été composée pour les besoins du film.
Joel Coen écrit en musique
« Dès le début de l'écriture, la musique a occupé une place très importante, qui n'a cessé d'augmenter. Il y
a très peu de scènes dans le film sans élément musical. »
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
Quelques gouttes de réalité
Certains personnages que rencontrent les trois héros de O'Brother ont réellement existé. Ainsi, George
«Babyface» Nelson, incarné par Michael Badalucco, était-il un gangster extrêmement dangereux des
années 30. Mais le personnage décrit dans le film n'a que peu de points communs avec son modèle.
Comme le confesse Michael Badalucco, «ce qu'il devient dans l'esprit des frères Coen est très différent de
ce qu'on a pu voir dans le vieux films policiers.»
Tommy Johnson, le personnage qu'interprète Chris Thomas King, était l'un des bluesmen les plus célèbres
de l'époque. Le comédien réunissait les qualités d'acteur, de musicien et de chanteur indispensables pour
rendre son personnage crédible.
Chris Thomas King, qui dut apprendre la technique de jeu des musiciens de l'époque, s'estime chanceux
d'avoir décroché le rôle et avoue qu'«il y a dû avoir une intervention divine ou quelque chose comme ça !
Il fallait qu'ils aient drôlement confiance en moi pour me donner le rôle.»
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
4. CRITIQUES
- L'Express. Jean-Pierre Dufreigne
(...) un pur bonheur. Une comédie en musique où l'émotion ajoute au rire.
- Chronic'art.com. Elysabeth François
(...) cette comédie échevelée consacre enfin un talent de caricaturistes dont les auteurs auraient tort de
nous priver
- Télérama. François Gorin
Sans la musique, O' brother... ne serait qu'un nouvel artefact mêlant rigueur formaliste et joyeuse
"décoennade". Par elle, les frères grimaçants font passer un courant d'affection qui n'était pas si manifeste
dans leurs films précédents.
- Le Parisien . Alain Grasset
les frères Coen nous offrent une comédie véritablement jubilatoire. Le film emprunte à la fois aux Marx
Brothers et aux frères Dalton, pour une série d'aventures surréalistes et picaresques (...)
- Repérages. Teddy Roudaut
Après Barton Fink et tutti quanti, les frères Coen continuent donc l'exploration de la mythologie, tout en
revisitant leur propre filmographie [...] ce nouveau film aussi jubilatoire et charmant que les précédents.
- Première. Gérard Delorme
L'ensemble provoque une euphorie légère et très agréable.
- Ciné Live. Marc Toullec
De temps à autre, un plomb saute. Mais, même lorsqu'une idée disjoncte, les frères Coen ont le mérite de
l'avoir risquée. D'avoir simplement risqué le film tout entier
- Jean-Luc Brunet
Les frères Coen font, une nouvelle fois, la preuve de leur liberté de ton, d'une grande inventivité et surtout
chaque plan de ce nouveau film témoigne de leur passion du cinéma
- Vincent Malausa
Un hymne définitif aux chef-d'?uvres oubliés de Preston Sturges (mais aussi à Vidor ou à Milestone), où
l'échec des grands idéaux américains se mue en espace de pure poésie cinématographique.
- Le Monde. Thomas Sotinel
(...) O' Brother reste une comédie simple et réussie. D'abord à cause du plaisir évident que les acteurs
prennent à jouer (...) La grâce enfantine des plaisanteries, la réussite des numéros musicaux font le reste.
L'odyssée, dans les années 30 , de trois bagnards en cavale.
Des bagnards sous le cagnard cognent en cadence la caillasse. Un chant morne et profond s'élève de leurs
g6siers asséchés. Quatre plans plus tard, trois têtes hagardes émergent des herbes hautes. Fastoche de
s'évader dans un film des frères Coen, où la dure, réalité n'est en général pas un problème. Ni le sujet,
d'ailleurs. Ce qui importe, ce n'est pas comment Everett, Delmar et Pete ont t échappé à leurs gardeschiourmes, c'est plutôt que l'herbe alentour est jaune : parce que les Coen n'aiment pas le vert. L'
Amérique des années 30, son Deep South de culs-terreux paupérisés par la Dépression, ils l'ont coloriée
comme un vieil album, avec application et fantaisie. Pour Ethan et Joel, citadins nés un peu avant le
rockn'roll, ce Sud-la, avec ses locos à vapeur et ses granges en planches, fleure bon l'Antiquité. D'où
l'idée apparemment bizarre de placer leur film sous le haut sponsoring d'Homère et de son Odyssée - tout
en prétendant ne pas l'avoir lue. Ils y ont pourtant picoré quelques épisodes connus - c'était peut-être
alors une version digest , ou en bande dessinée.
Du poids du temps et des classiques les Coen se délestent en tout cas, comme leur trio de forçats se
défait de ses entraves gràce au marteau d'un fermier hippophage. Voici bientôt les fuyards tirés d'un
encerclement policier par un moutard pilotant une guimbarde, assis sur des catalogues. La bride est
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
lâchée. Le but du jeu n'est évidemment pas de nous faire croire aux aventures incroyables de ces Pieds
Nickelés en pyjama de Dalton, mais de nous attacher à eux par des liens a utrement subtils qu'une chaîne
et un boulet. Vu leurs tronches de parfaits abrutis, il y a du boulot mais les frères cinéastes, faux
flemmards, aiment ça. Echos de vieux films, de vieux disques et de vieux bouquins tissent un canevas de
connivences sur lequel les Coen brodent. C'est une auberge espagnole où chacun peut apporter son
manger, puisque Tintin ou Lucky Luke (coïncidences involontaires) y côtoient le vieil Homère ou
Flannery O'Connor. Les acteurs se prêtent à ce récital de clins d' oeil : George Clooney est un Everett
clownesque, yeux roulants, moustaches à la Clark Gable, obsédé par la Gomina qui doit graisser ses
cheveux. C'est lui qui se fait appeler Ulysses, mais seule sa langue, châtiée jusqu'à l'absurde, fait « mille
tours -. A ses côtés, le fin John Turturro et l'étonnant Tim Blake Nelson (une révélation) jouent à qui fera
le plus épais péquenot (attention au doublage).
Leur odyssée va son train, délibérément accordé à l'époque ou à l'idée qu'on s'en fait, à sa mythologie.
Ces péripéties tantôt donnent chair à une figure légendaire : Tommy/ Robert Johnson, le bluesman qui a
vendu son âme au diable, George « Babyface Nelson, le gangster déjanté; tantôt plongent les trois zigues
dans une semi-féerie, tels des collégiens chahuteurs traversant un tableau vivant - baptême en procession
ou sirènes enchanteresses. La magie de ces scènes-là tient beaucoup au « quatrième mousquetaire » du
film, son personnage principal en fait : la musique. Plus qu'un fil conducteur, elle est, sous ses formes
prérock (country, folk, gospel), à la fois moteur et carburant. D'elle peut naître un gag (l'enregistrement
désopilant des « Culs mouillés ») ou l'émotion (Tommy Johnson grattant un blues au coin du feu).
Absente, elle dessine des creux. Survoltée, elle transforme une réunion électorale en morceau de
bravoure. Sans la musique, O'brother ne serait qu'un nouvel artefact mêlant rigueur formaliste et joyeuse
« décoennade ». Par elle, les frères grimaçants font passer un courant d'affection qui n'était pas si
manifeste dans leurs films précédents e
François Gorin Télérama (30 août 2000)
Les sirènes du Mississippi
A quelques heures de la projection cannoise de leur huitième long métrage, - une comédie à chansons »
située dans le Sud profond des années 30, les frères Coen, plus volubiles et partageurs que d'ordinaire, ne
faisaient pas mystère d'une excitation qui ne devait rien à leur présence en jean et smoking dans un salon
surplombant la Croisette. Dès leur retour, ils étaient attendus en princes à Nashville, capitale de la
country music, pour une soirée de gala dont la seule évocation leur donnait des « palpitations .. -Je ne
tiens pas en place, ricanait Joel. Nous allons retrouver le trac des premières années. Mais nous y
survivrons. - Finalement, tout s'est bien passé. Sur la légendaire scène du Grand Oie Opry, temple de la
country, les musiciens de folk, blues et bluegrass enrôlés par les frères cinéastes jouaient avec flamme les
chansons de la bande originale, qui est la grande affaire d'O'brother, where art thou ? (1). La mise en
scène du concert était aussi minutieusement réglée que celle du film. Un théâtre nu d'avant-guerre, sans
décor et sans ombres. Pour l'amplification, un seul micro d'époque, vestige du temps lointain où les
grésillements en direct du Grand Oie Opry faisaient tenir toutes les campagnes du Sud autour d'un poste
de radio.
A l'époque où ils planchaient sur les premiers jets d'O'brother... les Coen tenaient plus que tout à obtenir
la participation de Ralph Stanley, figure mythique de la musique blue grass et du populaire « son des
montagnes » dont l'Amérique a perdu jusqu'au souvenir. Le vieil homme au banjo, citoyen d'honneur
pour l'éternité de Mc aine en Virginie, prête sa voix, dans le film, à un leader du Ku Klux Klan.
Dépouillée de la distance corrosive de la comédie et chantée sans accompagnement, lors du concert de
Nashville, la funèbre supplique du vétéran (73 ans), -O mort pourrais-tu m'épargner un an encore », a fait
passer un drôle de frisson dans l'assistance. Une résonance émotionnelle qui dépasse tout ce qu'on peut
trouver dans un film hollywoodien -, lisait-on après coup dans le quotidien local. Les frères Coen sont
sans doute tombés d'accord. Ils ne sont pas du genre à s'épancher, mais on les sentait vraiment
bouleversés, dit T. Bone Burnett, complice de Bob Dylan et d'Elvis Costello, qui leur a servi de conseiller
musical sur le f ilm. ils ont conçu O' brother... comme une déclaration d'amour à la musique des années
30. C'est une décennie prodigieuse, sans doute la plus riche du siècle, et il en reste finalement peu de
traces enregistrées. ils vont la faire redécouvrir à une époque où les jeunes se lassent du formatage et
sont en quête de musiques pures. J'ai été surpris par la manière dont ils ont été accueillis dans le Sud, où
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
l'on est facilement paranoîaque. Ils n'ont essuyé aucun refus. Les méfiances sont tombées dès lors qu'ils
évoquaient la musique, ils n'ont jamais été perçus comme des petits malins branchés et moqueurs... Lors du concert de Nashville, D.A. Pennebaker, auteur d'un fameux documentaire sur Bob Dylan, idole
des Coen, a mis en botte le singulier projet d'un film sur la musique du film. Dommage qu'il n'ait pas
suivi le tournage, dont on rapporte le souvenir de prises d'une grande intensité, comme celles où l'un des
Fairfield Four se mit à sangloter en entonnant la chanson des fossoyeurs (« Il te faut rejoindre la vallée
solitaires personne ne peut y aller à ta place... »). Face à un tel naturel, les frères cinéastes se seraient
mis à rire, courante manière de communiquer leur émoi.
Il y a dans la sensibilité des Coen une musique âpre et curieuse, écrivait à leurs débuts le magazine
Interview. Comme du rock n roil diffusé à travers un appareil de l'époque du muet. - Joel et Ethan,
enfants du rock et des sixties, cherchent perpétuellement, comme Jarmusch, Tarantino, Scorsese, de
nouvelles manières de faire vibrer la musique au coeur de leurs réalisations et tournent depuis longtemps
autour de l'idée d'une comédie musicale. Sans vouloir pour autant sacrifier aux canons du genre. Leurs
films sont traversés de numéros musicaux savamment décalés, de la scène de fusillade lyrique de Millers
Crossing (pour laquelle un ténor irlandais chantait Danny Boyen s'accordant au rythme des balles) à la
chorégraphie onirique de The Big Lebowski, hommage débridé à la country et aux musicals de Busby
Berkeley. Cette fois, la musique était à la source de leur projet. Elle a été en partie enregistrée avant le
tournage, mais la place qu'ils allaient lui ménager dans le film est restée un mystère jusqu'au bout. « Dans
le script, il n'était jamais question de comédie musicale, dit le guitariste Chris Thomas King, qui à hérité
d'un second rôle d'importance, celui du bluesman Tommy Johnson. Il était juste stipulé que les chansons
devaient être interprétées en direct devant la caméra, sur le vif. Comme à J'époque où la musique était
indissociable du quotidien et où les producteurs venaient enregistrer les musiciens en pleine campagne
du Mississippi, sur le pas de leur porte, dans les champs, les bars, les prisons... J'ai moi-même chanté à 1
heure du matin sur un plateau transformé en campement. C'était à la fois stressant et excitant. »
- On ne savait pas trop où on allait, raconte T. Bone Burnet L Le film s'est construit en chemin.
Certaines scènes comme celle de la chanson des bagnards ont été dictées par l'écoute d'un disque. »
Quand les Coen 1ui ont fait part de leur projet sur les années de la « grande dépression » et la musique «
traditionnelle », ils ont juste précisé qu'il s'agirait d'. une version de L'Odyssée située dans le Mississippi
et [quel le trésor dUlysse serait un 'tube' interprété par le personnage de George Clooney (malgré les
encouragements, l'acteur a finalement renoncé à chanter en direct et se fait doubler par un musicien de
Nashville). A partir de là, Joel et Ethan se sont amusés à dévider la bobine des résonances entre la
mythologie du Sud et celle du monde antique, l'épopée grecque et le répertoire du folk américain qui
recycle des thèmes identiques. - C'est une musique de conteur, dit T. Bone Burnett, un monde qui repose
sur la même tradition orale. - Le « hit - du film, Man of constant sorrow, a ainsi traversé le siècle sous
différentes formes, et son créateur, un violoniste aveugle, ne savait plus trop s'il l'avait vraiment écrit luimême, ni qui pouvait bien lui avoir soufflé dans les années 10 cette histoire d'un homme condamné à errer
et à ruminer sa peine. « Homère est encore tout proche de nous, s'amuse Burnett. Pour moi, c'était un DJ
avant l'heure, il piochait à toutes les sources et compilait toutes les formes de récit. Dylan fait ça aussi.
Chaque fois que je le croise, il est encombré de carnets de chansons qu'il va recycler. Il a une manière
très sophistiquée d'adapter ses influences et de conduire ses auditeurs à découvrir d'autres univers
artistiques. Je ne suis pas étonné qu'il soit une telle référence pour les Coen. »
Quand on leur demande s'ils ont fait d'importantes recherches pour sélectionner la vingtaine de chansons
qui irriguent leur film, les Coen disent que non, et c'est un mensonge. Les archives de la librairie du
Congrès, du Smithonian Institute et de la Country Music Foundation ont été épluchées dans les grandes
largeurs. A lui seul, T. Bone Bumett s'est constitué un stock d'un bon millier de disques. Ça ne l'a pas
empêché d'être souvent devancé par les propositions des deux frères, qui ne se se sentent jamais aussi
bien conseillés que Par eux mêmes et qui ont déniché tout seuls nombre des chansons exhumées sur leur
précieuse BO (en particulier le magnifique gospel Down in the river to pray pour une scène de baptême).
Tout chez eux est frappé au coin de la précision maniaque. La réverbération du son passe par des micros
d'époque qui semblaient voués à la poussière, tel l'épatant « arbre Dacca - à trois têtes déniché dans on ne
sait quelle brocante du Mississippi. Pour son rôle, Chris Thomas King, jeune guitariste virtuose de La
Nouvelle-Orléans, a dû se perfectionner encore pour jouer à la manière complexe d'un pionnier du Delta,
Skip James. Dans le film, il est Tommy Johnson, dont on dit qu'il vendit son âme au diable en échange de
ses talents de musicien. « La mémoire de la musique populaire attribue désormais un peu vite cette
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
histoire de pacte originel à un autre bluesman, Robert Johnson, explique Chris Thomas King. Tommy
Johnson, quia très peu enregistré, est aujourd'hui oublié alors qu'il fut à l'origine de cette légende qui a fait
du chemin. Ce genre de détail témoigne du respect que les Coen ont pour leur sujet. Pour jouer le rôle,
j'ai accepté de couper les dreadlocks que je portais jusqu'au bas du dos depuis une éternité. Je ne pense
pas que je l'aurais fait pour d'autres. » Aux acteurs, les Coen donnent peu d'explications sur le contexte et
la nature du rôle. Chaque scène est très minutieusement détaillée sur le story-board. A chacun de creuser
ensuite. Chris Thomas King approfondira d'ailleurs le projet du film en enregistrant un album consacré à
Tommy Johnson. Les chansons sont déjà écrites. L'une d'elles s'intitule O'brother, where art thou ..
« Précision et documentation ne signifient pas reconstitution, dit T. Bone Burnett. Leur vision de
l'Amérique tient autant du mythe et du fantasme que de la réalité. lis ont d'ailleurs modifié le texte de
certaines chansons, comme la berceuse noire de la scène des sirènes, pour lui donner une tonalité plus
inquiétante ('Dors petit bébé/ toi et moi et le diable ça fait trois-), qui correspond à leur idée du Sud profond et de ses
superstitions. » « La musique n'est pas là pour souligner l'action et guider le spectateur », disaient-ils à
leurs débuts. La musicalité outrée des accents, les textes de chansons conjurant l'effroi et la mort, le choix
de voix étonnantes et sublimes comme celle d'Alison Krauss (. qu'on croirait surgie de la Forêt-Noire il y
a plusieurs siècles », dixit T. Bone) tissent un contrepoint envoûtant et mélancolique à l'orchestration de
leur comédie et au périple des personnages. Comme l'énonce Chris Thomas King, citant les Beatles, c'est
« leur Magical Mystery Tour vagabondant entre réalisme et surréalisme « Leur manière de trouver des
articulations entre la musique et la fiction est si moderne que les musiciens du Sud faisaient la queue pou
décrocher un rôle. Et pourtant, ils en ont vu d'autres.
Laurent Rigoui
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
5. LES FRERES COËN : PORTRAIT
Jumeaux géniaux
Ethan et Joel, Joel et Ethan, les deux frères inséparables, les deux maîtres du cinéma indépendant
américain. Kidnappings ratés, portraits de loosers cupides et complètement à coté de la plaque, l' univers
des frères Coen est une vision réaliste et acide du rêve américain.
Nés dans le Minnesota, état du nord des Etats-Unis, au climat assez rude, ils vont se hisser au sommet de
la série dite B, en réalisant des petits bijoux pétris d'humour noir.
Le cinéma des frères Coen se fait en famille : les deux frères écrivent le scénario, Joël réalise, Ethan
produit et ils montent leur film ensemble (crédité sous le pseudo Roderick Jaynes). De plus, ils travaillent
souvent avec les mêmes acteurs, Frances McDormand bien sûr( l'épouse de Joel), John Turturro, John
Goodman , ou encore Holly Hunter. Ils s'entourent des mêmes techniciens comme, par exemple le
compositeur Carter Buwell.
Joel Coen l'ainé des deux frères commence sa carrière comme assistant monteur du film Evil Dead, d'un
autre surdoué du cinéma indépendant américain Sam Raimi. Auparavant, il a étudié le cinéma à l'Institute
of Film and TV de New-York; son frère Ethan, suit des études de philosophie.
En 1984, ils écrivent leur premier film - devenu culte - Blood Simple (Sang Pour Sang).
Cynisme, suspense omniprésent, sens de l'absurde, les Coen dès leur premier film imposent leur style.
Photographié par Barry Sonnenfeld (qui deviendra par la suite le réalisateur La Famille Adams, Men In
Black ou encore Wild Wild West) , le film cumule des scènes fortes : l'enterrement vivant d'une victime
qui refuse de mourir, les traits de lumière traversant la chambre par les trous réalisés par les balles de
revolver. Frances McDormand, devenue en 1984, la femme de Joel, tient le rôle principal.
Ce premier film est très remarqué. Il obtient le Grand Prix du jury du Festival de Sundance. Sam Raimi
met, ensuite, en scène un de leurs scénarios, Crimewave (Mort Sur le Grill), de nouveau un polar
jubilatoire.
On les croit cantonné au genre policier qu'ils prennent tout le monde à contre-pied et signe une farce
burlesque : Raising Arizona (Arizona Junior). Avec des personnages complètement déjantés, des cadrages
tordus, le duo s'amuse et nous amuse. Nicolas Cage est méconnaissable, en mari paumé, mince avec une
petite moustache. Holly Hunter dégage un énergie communicative dans ce film éminemment sympathique
mais qui a un peu vieilli. Raising Arizona confirme néanmoins leur statut de surdoués imprévisibles et
audacieux. Le film est présenté hors compétition à Cannes en 1987. C'est la découverte en France de ces
jeunes prodiges du cinéma indépendant américain.
S'inspirant de La Clé de Verre de Dashiell Hammett, ils signent en 1990, leur chef d'oeuvre méconnu , le
magnifique Miller's Crossing.
Visuellement le film est une pure merveille, l'automne « bostonien » est superbement photographié. Tom
Reagan (Gabriel Byrne dans son meilleur rôle) traverse l'histoire, seul, isolé devant la folie meurtrière des
hommes. Une histoire d'engrenage fatal, de petits grains de sable qui font déraper l'histoire vers l'absurde
et la violence. Les cinéastes se servent des clichés du polar, la femme fatale, les clans mafieux, pour
mieux les détourner et signer un film sombre et personnel.
Néanmoins la genèse de ce film est particulièrement difficile. Barton Fink drame paranoïaque sur les
affres du créateur devant la page blanche est inspiré des 3 années d'errements créatifs entre Raising
Arizona et Miller's Crossing.
Barton Fink en 1991, rafle tout à Cannes : Palme d'or, Prix de la Mise en Scène et Prix d'interprétation
pour John Turturro, des mains du jury présidé par Roman Polanski. La razzia est telle que Gilles Jacob
changera le règlement pour interdire à l'avenir les multiplications de prix pour le même film. Barton Fink
a la particularité d'être le seul film de duo, dont la réalisation est à la fois crédité à Joel mais aussi à Ethan.
Barton Fink est un film kafkaïen, à la fois le portrait de l'artiste confronté à une panne d'inspiration,
incarné par un John Turturro, fabuleux, et une vision démoniaque et absurde d' Hollywood. Le film
possède une virtuosité, une beauté plastique renversante. Le film le plus sombre, le plus adulte des frères
Coen. Le moins accessible aussi.
Ironie du sort, c'est après cette fable furieusement anti-hollywood que les studios américains proposent à
nos deux génies de réaliser un film avec plus de moyens financiers. C'est le spécialiste des films d'âaction
Joel Silver (L'Arme Fatale et Piège de Cristal) qui produit le film. Sam Raimi participe à l'écriture du
scénario. Un budget conséquent, un casting imposant (Tim Robbins, Paul Newman, Jennifer Jason Leigh)
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
et le plus gros, l'unique échec des frères Coen. The Hudsucker Proxy est un fiasco public, mais aussi
critique. Présenté en Ouverture à Cannes en 1994, le film déçoit. Le Grand Saut est pourtant une critique
féroce du capitalisme américain Truffé de moments burlesques et dialogues savoureux, avec un Paul
Newman, extraordinaire en capitaliste manipulateur, le film vaut nettement mieux que sa réputation.
Certes, le film souffre de quelques longueurs, le personnage de la journaliste Jennifer Jason Leigh est
notamment très agaçant, rappelant celui des blondinettes des comédies US des années 30. Mais cela reste
un film stylisé et très drôle, un croisement entre Brazil de Terry Gilliam et les fables de Franck Capra.
Après cette escapade ratée à Hollywood, les frères reviennent à leur premier amour, le polar mêlé
d'humour noir et signe avec Fargo, leur plus gros succès.
Le film va remporter de nombreuses récompenses dont le prix de la Mise en Scène à Cannes en 1996, et
surtout l'Oscar du meilleur scénario, consécration d'Hollywood pour ces cinéastes indépendants. Sans
oublier l'Oscar de la meilleure actrice pour Madame Coen, alias Frances McDormand. Fargo va
également séduire le public américain. Tourné pour 7 millions de dollars, le film en rapporte plus de 23,
uniquement sur le continent Nord-Américain. Avec une mise en scène distante et sobre, les deux frères
Coen dissèquent la face cachée de l'Amérique, de leur Minnesota natal.
L'ombre de la statue de Bunyan, bûcheron rustre mais plein de bon sens, plane sur ce film.. Les Coen se
moque avec tendresse de leurs personnages montrés avec des failles humaines loin des personnages trop
lisse du cinéma américain contemporain. Malgré le succès, les frères Coen refusent les sirènes
d'Hollywood. Ils se refusent à faire le même film. C'est leur ami Sam Raimi qui réalise une « suite » à
Fargo . Ethan et Joel préfèrent changer de style. The Big Lebowski (1998) est une comédie burlesque,
dont la réalisation est à des années-lumières de la sobriété affichée de Fargo. Jeff Bridges et John
Goodman interprètent des personnages de loosers sympathiques, de fous de bowling savoureux, de vrais
glandeurs. Dialogues savoureux (« C'est pire que des nazis, c'est des nihilistes : ils ne croient en rien ») et
moments drôlissimes avec notamment la scène de remise de rançon la plus ratée de l'histoire du cinéma
jalonnent The Big Lebowski..
John Turturro en Jésus, joueur de bowling chambreur, Julianne Moore en artiste déjantée et le malheureux
Steve Buscemi s'en donnent également à coeur joie, dans des seconds rôles délirant. Un film sur
l'Amérique bis, un nouveau kidnapping raté raconté par un cow-boy ringard. Hilarant.
Avec O Brother Where Art Thou, en sélection officielle à Cannes, ils s'essayent à un nouveau genre, la
comédie (presque) musicale, avec un casting de choix, George Clooney en tête.
Sous une forme décapante et parfois surréaliste, les siamois du cinéma indépendant américain éclairent la
face cachée des Américains, des ploucs aux ratés, ceux qui ne gagnent jamais, mais aussi ceux qui ont la
crasse ailleurs que sous leurs baskets. Les monomaniaques et autres timbrés qui font de leur pays un
continent d'excès et mauvais goût. Ils déforment tout, en n'inventant rien, flirtant entre John Waters,
Fellini et l'âge d'or d'Hollywood. Une rigolade qui tourne souvent vinaigre. On comprend que les
Américains apprécient peu ce portrait au vitriol de leur mode de vie.
Preston Sturges: un cinéaste méconnu et réhabilité par les frères Coen…
Le titre en vieil anglais du dernier Coen cache un gros clin d'oeil à un cinéaste légendaire dont
les deux frères revendiquent l'influence avec force éloges laconiques et rires sous cape, mais qui reste
méconnu en France, terre pourtant cinéphile : Preston Sturges. Dans Les Voyages de Sullivan (1941), l'un
des sommets de son oeuvre, un réalisateur de comédies niaises, voulant enfin passer au drame social, part
en quête de la réalité américaine. Ce projet, intitulé avec emphase O'brother, where art thou ?, Sullivan
ne le tournera pas. Joel et Ethan Coen l'ont récupéré pour servir d'enseigne... à une comédie, nouvelle
preuve de leur humour tordu. Mais si pour eux l'hommage s'adresse à une figure du patrimoine américain
(là-bas les biographies pleuvent, et un prix porte son nom), il n'en est pas de même chez nous, où
l'opportune réédition du dernier grand Sturges, lnfidèlement vôtre (1948), est une occasion trop rare de
faire la lumière sur un auteur souvent confondu avec son homonyme John, robuste spécialiste du western.
Qui se souvient qu'André Bazin citait Preston Sturges comme l'une des deux grandes révélations d'un
cinéma US revenu sur les écrans après guerre - l'autre étant Orson Welles ?
C'est pourtant en Europe, et notamment à Paris, que Preston Sturges passa ses jeunes années. Sa
mère, Mary Dempsey, lui fit côtoyer la famille Wagner et Isadora Durican. Parfumeur à Deauville, il
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
entre dans l'histoire des cosmétiques en inventant le rouge à lèvres kîssproof, ancêtre du Rouge Baiser.
Après la Première Guerre mondiale, où il sert dans l'aviation, et deux mariages ratés (avec de riches
héritières), Preston se lance dans l'écriture théâtrale et y gagne son passeport x pour Hollywood.
Commencent alors deux décennies magistrales. La première, les années 30, fait de lui le scénariste le
mieux payé des grands studios, qui s'arrachent son talent prolifique, Sturges étant aussi à l'aise dans
l'adaptation de la trilogie de Pagnol (Port of seven seas, de James Whale) que dans le script novateur (The
Power and the Glory, écrit pour William K. Howard, anticipe étrangement Citizen Kane). Ses
collaborations avec Mitchell Leisen (surtout Easy Living, 1937) lui permettent d'affiner un style fondé sur
la réunion des inconciliables, la logique du saugren u et l'a rt d u contre-pied. Le ryth me échevelé de
cette madcap comedy (comédie loufoque) se substitue au sentimentalisme de Capra ou à la sophistication
de Lubitsch, et renouvelle un genre où s'îllustrent également les Hawks, Cukor ou McCarey.
Mais il ne suffit pas à Sturges d'être une plume brillante. A l'époque où les moeurs
hollywoodiennes interdisent qu'on « passe - d'un métier à l'autre, il propose aux dirigeants de la
Paramount de réaliser lui-mème The Great McGinty (Gouverneur malgré lui, 1940) pour un salaire de...
10 dollars. Le coup de poker réussit (un oscar du scénario à la clé). Sturges ouvre une brèche où va
s'engouffrer toute une génération de scénaristes-réalisateurs (John Huston, Delmer Daves, Billy
Wilder ... ). Pour lui commence une période faste, son heure de gloire. Au fil de comédies furieuses, il se
constitue une troupe d'acteurs fidèles, que l'on retrouve aux côtés de stars comme Barbara Stanwyck et
Henry Fonda (The Lady Eve, 1941), Veronica Lake (Les Voyages de Sullivan, 1941), ou Claudette Colbert
(The Palm Beach Story, 1942). Ce goût des acteurs et de l'amitié conduit aussi le cinéaste à engloutir sa
fortune dans un restaurant mondain sur Sunset Boulevard, The Players' A l'écran, c'est une pagaille
beaucoup mieux organisée qui sévit. Le génie - sturgésien n'apparaît jamais mieux que dans des
séquences hystériques où le champ se remplît, de répliques de plus en plus drôles, proférées ou hurlées
par les dangereux spécimens de sa troupe. Pliée de rire, l'Amérique assiste, en plein conflit mondial, à la
mise en pièces, sur un tempo et avec une férocité proches du cartoon, de ses mythes fondateurs : la mère
(Miracle au village, 1944) ou le héros (Héros d'occasion, 1944).
En avance sur son temps, Preston Sturges fut desservi par sa superbe (il claqua la porte de la Paramount,
se fâcha avec Daryl Zanuck, patron de la Fox) et parfois mal inspiré dans ses entreprises (une association
malheureuse avec Howard Hughes). Son déclin dans les années 50 ne pouvait pas plus mal tomber: c'est
à ce moment-là que se constitua presque en direct le panthéon hollywoodien revu et corrigé par la critique
française via la « politique des auteurs -. Sa veine iconoclaste a néanmoins continué d'irriguer une
certaine frange du cinéma américain, Joe Dante par exemple, voire Tarantino dans son goût pour la
logorrhée verbale, et bien sûr ces drôles d'oiseaux de frères Coen, princes actuels du bazar loufoque érigé
en style. Leur O'brother.. a beau ne présenter avec Sturges et ses Voyages de Sullivan que des
ressemblances éparses (le bagne, la salle de cinoche envahie de forçats), l'un de ses grands mérites est
d'arracher un peu plus à l'oubli ce grand classique injustement déclassé.
Marc Cerlsuelo . Télérama ( 30 août 2000)
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
Le Ku Klux Klan
Société secrète fondée dans le sud des États-Unis, au lendemain de la guerre de Sécession, en 1866. Le
Ku Klux Klan s’est immédiatement assigné comme objectif la lutte contre les Noirs, que venait
d’émanciper (en 1865) le XIIIe amendement à la Constitution, et leurs alliés du Nord (carpet -baggers,
membres du gouvernement fédéral en poste dans les anciens États sécessionnistes). D’une certaine
manière, il correspond à un mouvement de désespoir de la part des vaincus qui n’ont pas compris la
signification de leur défaite et ne parviennent pas à accepter l’abolition de l’esclavage ou l’occupation
militaire de leur région par les troupes de l’Union. Ses moyens d’action consistent dans l’emploi de la
violence, le recours aux déguisements pour effrayer les Noirs et la mise sur pied d’une hiérarchie très
structurée. Des lois ont immédiatement combattu le Klan, que ses propres excès discréditaient auprès de
la plupart des Sudistes; il fut officiellement dissous en 1869.
Dès 1915, et plus encore au lendemain de la Première Guerre mondiale, il renaît de ses cendres. Cette
fois-ci, ce n’est plus simplement l’expression du malaise du Sud: il s’étend à l’Ouest et au Middle West
avec un succès considérable qui lui permet en 1925 de revendiquer plus de cinq millions d’adhérents. Les
méthodes n’ont pas changé: longues robes blanches, croix enflammées devant les maisons des "ennemis",
lynchages et brutalités, hiérarchie complexe et correspondant à des dénominations ésotériques, voilà qui
fait ressembler le deuxième Klan au premier. Les thèmes, en revanche, se sont modifiés. Aux "nègres"
qu’il convient de "remettre à leur place" s’ajoutent dès lors les juifs, les catholiques, les immigrants qui
n’appartiennent pas au monde anglo-saxon, les "rouges". Anti marxiste, xénophobe, réactionnaire, le
nouveau Klan exprime l’inquiétude de la vieille Amérique face à des changements brutaux qu’elle refuse
et aux grandes villes qui lui font peur; il se fait le champion d’un "américanisme à cent pour cent" et
n’hésite pas, au nom de l’Amérique libérale, à combattre le libéralisme. Pourtant, si le Klan parvient à
faire entendre sa voix au sein des partis traditionnels, il ne se transforme pas en un mouvement fasciste
dont il a malgré tout certaines caractéristiques; la crise économique de 1929 lui portera un coup décisif, au
moment où son déclin dans l’opinion américaine était nettement amorcé.
Au temps du sénateur Joseph McCarthy, un troisième Klan est apparu, qui correspond à l’une des formes
politiques de la pensée d’extrême droite. C’est un groupuscule dont l’influence est quasi négligeable.
Société prônant la suprématie de la race blanche et du christianisme. Il est créé le 24 décembre 1865, à
Pulaski, Tennessee, par six jeunes ex-officiers confédérés en mal de divertissement. L'organisation ne
comporte pas encore les aspects racistes et violents qui feront sa célébrité plus tard. Son nom dérive du
mot grec Kuklos (cercle) et du mot écossais Klan (clan). Chargé d'administrer l'Empire Invisible (les états
du sud), le Klan se dote d'une structure fantasmagorique (un Grand Sorcier, entouré de Dix Génies) et de
costumes (longues cagoules blanches) destinés à effrayer les non-membres de l'organisation.
Rapidement, cependant les théories sur la suprématie de la race blanche gagnent les membres de
l'organisation. Le Klan se développe et tient un congrès en 1867, à Nashville (Tennessee), au cours duquel
le général Nathan Bedford Forrest est nommé Grand Sorcier. Ex-officier de cavalerie, il donne au Klan
une structure militaire. Le Klan adopte une Charte qui le définit comme " dédié à la Cavalerie, à
l'Humanité, à la Miséricorde et au Patriotisme ".
Le Klan fait régner la terreur par les raids nocturnes de ses cavaliers blancs contre la population noire. En
1868, en Arkansas, ont compte quelque 200 meurtres entre août et novembre. La loi martiale est décrétée
et la lutte contre le Klan est déclenchée en Arkansas, puis dans les états voisins. Il est officiellement
démantelé en 1869, et pratiquement éliminé en 1873.
Le 24 décembre 1915, à Stone Mountain, William Joseph Simmons, ex-pasteur méthodiste, annonce la
renaissance du Ku-Klux-Klan et se proclame Sorcier Impérial de l'Empire Invisible. Le succès de la
nouvelle organisation est fulgurant et, en 1920, Simmons annonce 4 millions d'adeptes. Le Klan se lance
dans de nombreuses campagnes contre les immigrés italiens et irlandais, accusés de participer à une "
conspiration catholico-papiste pour la conquête de l'Amérique ", contre les leaders syndicaux désignés
comme agents bolcheviques. Les élections de 1924 et 1928 consacrent le succès du Klan au niveau local.
Le FBI nouvellement créé s'attaque à l'organisation. Le Grand Dragon de l'état de l'Indiana, David
Stephenson est condamné pour homicide. Evans, Grand Sorcier à la fin des années 30 parvient à
maintenir l'organisation, sans arrêter son déclin. Mais, en 1944, face à un arriéré d'impôts de 685 mille
dollars, le Klan préfère se dissoudre officiellement.
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
La décision de la Cour Suprême sur la politique d'intégration des populations noires en 1954 marquera un
regain d'activité du Klan, qui ne recule pas devant les méthodes terroristes pour lutter contre les militants
des Civil Rights.
( extrait site personnel . www.terrorwatch.ch/fr/ )
O brother et l’Odyssée de Homère :
-
Les clins d’œil sont nombreux , mais les frères Coen prennent beaucoup de liberté avec le récit
d’Homère…
La rencontre avec le vieil homme :
-
Il est celui qui lance le récit ( comme un voyage) et le clos : aède.
Le vieil homme est aveugle comme Homère .
Il vient de nulle part et va nulle part….Il dit ne pas avoir de nom. ( Cf Ulysse : « Mon nom est
personne »…..)
Il est celui qui sait ( omniscient) : Il connaît le destin d’Ulysse et de ses compagnons et pose les
jalons et recommandations (« DESTIN » ou « FORTUNE » aux deux sens du terme : « fortune » des
Dieux….)
Il est celui qui trace le chemin ( rectitude de la voie ferrée par opposition aux méandres du trajet de
Ulysse ).
Les scènes rappelant directement le récit de l’Odyssée :
-
-
Le voyage et ses nombreux détours.
La rencontre avec les sirènes : Elles les attirent par leur chant et ils sont subjugués ( impossibilité de
se défendre) . Ulysse cependant ne se fait pas « attacher » par ses compagnons . Il succombe lui aussi
aux sirènes ( il se laisse enivrer…) . Les sirènes ne se révèlent être que des délatrices ( elles livrent
Pete au shériff) . Plus tard, pour Ulysse, il s’agira bien là d’une manifestation du destin ( Pete ayant
succombé à la « fornication », il mérite quelque part ce châtiment divin…)
La rencontre avec Big Dean , le borgne ( référence au cyclope). Mais il ne fait nullement preuve de
ruse ( il se fait rosser )…
Penny ( Pénélope) est l’objet du désir, la femme que Ulysse veut retrouver . Mais elle est mère d’une
ribanbelle de filles et n’attend pas sagement le retour de son mari. La rencontre et le combat avec le
prétendant tourne également au désavantage d ‘Ulysse.
La « révolte » des compagnons d’Ulysse . Mise en cause de la suprématie de leur chef.
Les références à l’Odyssée ne servent qu’à mettre en évidence de statut de contre-emploi du personnage
d’Ulysse dans le film. ( on est dans le jeu et l’humour…) .Ulysse ici est un « looser »…
- Il ne pense qu’à son « look » ( les boites de gomina et le peigne : attitude d’adolescent attardé)
- Il est d’une naïveté sans bornes ( épisode du « rossage » par Big Dean le cyclope)
- Il est le anti héros par excellence : il ne sait pas se battre.
- Il est loin d’être admiré par sa femme….Il est au contraire en situation de soumission totale à une
sorte de péronnelle capricieuse…
- Il a pour seul idéal celui de régner sur sa famille (nombreuse progéniture féminine…) : le repos du
guerrier ( cf dernière séquence) après un long voyage….Mais son autorité est contestée par sa femme.
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
6. TOUT LE MONDE CHERCHE DES REPONSES
Les réponses politiques à travers la caricature des deux politiciens:
Papy O Daniel :
- Le personnage ( gros, suant, entouré de conseillé « tarés »…, riche propriétaire terrien qui a fait sa
fortune dans les farines – villa dans le style classique des riches planteurs du sud- )
- On entend pour la première fois son programme radio ( chanson traditionnelle et pub pour la farine O
Daniel) chez le cousin de Pete .
- Au studio radio: Papy O Dan arrive avec son équipe de campagne: utilisation des nouveaux moyens
de « communication de masse ». Comique de situation.
Homer Stokes :
- Le personnage : jeune arriviste à lunettes .
- Passage du camion de l’équipe de Stokes et recherche des « culs trempés » devenus célèbres pour
appuyer sa campagne.
- Le meeting de Stokes : image du coup de balai ( contre les lobbies, la corruption, le conservatisme).
Utilisation du nain pour représenter « les petits ». Comique de situation.
- Les filles de Ulysse se produisent sur le podium.
- La cérémonie de lynchage du KKK : Stokes en est le grand chef. Il joue sur plusieurs tableaux.
Rencontre entre les deux politiciens : Scène finale du banquet
- Les manipulations de Papy O Daniel ( essai de corruption de Waltrip , le directeur de campagne de
Stoke) et la récupération des « culs trempés » …( il monte sur scène et danse – obscénité- prend la
main et les somme de chanter « you are my sunshine »…)
- La tentative de récupération de la salle par Strokes qui monopolise le micro . Il se dévoile de façon
imprudente…. Sa chute interviendra par privation de micro ( une main anonyme le débranche).
Les réponses collectives à travers les organisations sectaires
-
-
La cérémonie du baptême . Traitée de façon irréaliste , comme une manifestation de « doux
dingues ». Hymne à la paix ( de Dieu)….Présence de l’eau purificatrice. Delmar y succombe (sous le
regard critique d’Ulysse) , mais ce sont pour des motifs bassement personnels ( se faire pardonner des
ses mauvaises actions passées) .
La cérémonie du KKK. Traitée comme une farce.( ex : la prise de la place des gardes par le trio et leur
démarche, le trou unique dans la cagoule de Big Dean , le chant de Stokes …) . Hymne à la haine .
Présence du feu purificateur. Le cérémonial sera détourné par le trio à la façon des Max Brothers…
Les réponses individuelles à travers des types caricaturaux
-
-
Georges Nelson : le hold up de banques . Traité de façon humoristique ( sa haine des vaches et son
extrême susceptibilité ) . Soucieux de sa notoriété et de sa postérité ( plus que de l’argent qu’il laisse
s’envoler…) . Référence aux films de gangsters ( ex : course poursuite, tirs à la « sulfateuse »…) et à
la période de la prohibition ( film « Bonny and Clyde »).
Big Dan : Le VRP de l’arnaque. Critique au passage de la crédulité humaine envers tout les vendeurs
de bonne parole et de bonne conscience . Avide d’argent et allié de Stokes le politicien au sein du
KKK .
Tommy : Il a vendu son âme au diable . Vivre sa vie sur terre aux dépends de la vie éternelle…
Référence à Méphistophélès et à la sorcellerie .
Ulysse : Il veut vivre tranquille en bon « Pater familias » traditionnel. Il aimerait être un chef de
famille…non contesté !
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
Thématiques du film :
L’arrière plan sociologique et économique : La grande dépression
-
Les bagnards essentiellement noirs.
Le regain du KKK.
L’importance de la nourriture ( repas autour du feu de bivouac – poule, écureuil, tarte - ; chez le
cousin de Pete – cheval avarié- ; au restaurant et en pique nique.)
Le véhicule chargé de meubles qui les prend en stop. Référence aux « Raisins de la colère ».
Le barrage ( irrigation et production d’électricité ). Référence au New Deal.
Le rôle attribué aux éléments : La terre, l’ eau et le feu :
La terre :
- Les paysages filmés en cinémascope
- Le côté « country »
- Le rêve de Delmar ( « on n’est rien sans terre » )
Le feu :
- Incendie de la grange . ( Ulysse a une peur panique du feu)
- Croix en feu : Feu de la haine …( mais la chute de la croix les sauve du KKK…) .
- Feux des bivouacs : feu domestiqué…
L’eau :
- La rivière des sirènes : eau malfaisante…
- La rivière des anabaptistes : eau purificatrice...
- Le torrent et le lac de barrage : eau salvatrice…
- L’eau des pains de glace transportés par deux noirs ….
Un Road movie autour de la thématique du double :
Le temps n’est pas réaliste ( même si le film est précisément daté – voir le journal de Juillet 1937 – et si
on sait que le barrage sera mis en eau dans quelques jours). On ne présente qu’une succession de jours et
de nuits ( bivouacs) un peu désordonnée.
Les lieux ne sont pas vécus non plus de façon réaliste. On a l’impression qu’ils tournent en rond. ( retour
à la case départ avec la capture à la fin par le shérif).
Impression donnée par la répétition ( en double) des scènes :
- Incendie de la grange .
- Passage à la station radio .
- Pendaison dans un bois ( Pete, le quatuor)
- Scènes dans la ville d’Ulysse ( le meeting de Stokes ; le banquet)
- La rencontre de Big Dean .( au restaurant / au KKK)
- La rencontre de Tommy ( au croisement/ au KKK)
- La rencontre avec G Nelson ( sur la route/ à la ville)
- La rencontre avec le vieil homme.( début et fin du récit)
L’Homme face à son destin : La métaphore des chaînes
-
-
L’Homme n’est pas maître de son destin.…( Prédictions du vieil homme : le destin est tracé ; « vous
ne pouvez échapper à votre destin » dit le Shérif ) . Ils sont cependant sauvés par l’eau du barrage (–
« Le Déluge » donc une manifestation divine pour Delmar et Pete – mais pas pour Ulysse pour qui sa
croyance en Dieu n’est que l’expression d’un moment de détresse… )
Hommes enchaînés sur la route / fillettes attachées.( et qui traversent la voie ferrée à la fin )
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DOSSIER PEDAGOGIQUE COMPLEMENTAIRE
« O BROTHER »
Croyances, manipulations et trahisons :
-
De l’Homme par l’Homme ( Du cousin de Pete ; de Pete et Delmar par Ulysse ; de Ulysse et Delmar
par Big Dan…)
Des électeurs par les deux politiciens.
Des hommes par les sectes religieuses , politiques.( croyance dans les manifestations surnaturelles,
sorcellerie…)
De l’Homme par la Femme.( Sirènes, Penny envers Ulysse)
Le bestiaire dans le film :
- Les animaux qu’on mange ( cheval – avarié- ; poule ; écureuil)
- Le cochon….
- La vache ( à plusieurs reprises)…
- Le chien pisteur du shérif .
- La grenouille (– Pete -) ….
Les genres évoqués :
- Le western ( les grands espaces ; les policiers à cheval ; les scènes de bivouac, les coups et
l’expulsion du bar, le fouet et les hommes du shérif…)
- Le policier des année 30 ( les fuites en voiture, la police et les « sulfateuses », le hold up…)
- Le road movie ( les routes, les paysages divers, les moyens de communication : à pied , en voiture, en
stop, carriole, train.)
Le jeu de piste :
- Les boites de gomina et les résilles que Ulysse parsème partout où il passe. ( et l’odeur…)
Le cinéma dans le cinéma :
- Les références aux films d’époque et aux films du Sud ( « Missippi burning », « les raisins de la
colère », « Bonnie and Clyde »…)
- La scène dans la salle de cinéma
- La présence des nombreuses scènes où les personnages sont en représentation ( scène du banquet)
Yves Maussion
Coordinateur Cinéma audiovisuel
Action Culturelle
Rectorat de Nantes
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