L`affaire d`Outreau

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L`affaire d`Outreau
L'affaire d'Outreau
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L'affaire d'Outreau
Il faut savoir, ici, dans les affaires qui nous préoccupent,
que les erreurs judiciaires majeures, elles viennent de ce
que le juge se transforme en militant de son propre
dossier, alors que le juge ne doit jamais être un militant.
Quand il n'a pas de doute méthodique, eh bien il devient
dangereux. Je crois que Nietzsche disait que la conviction
est encore plus ennemie de la vérité que le mensonge. Et
c'est vrai.
You should know that, in the case we're concerned about,
major judicial errors arise when an investigating
magistrate becomes a champion of his own case, whereas
an investigating magistrate should never become a
champion. When there's not systematic doubt, he
becomes dangerous. I think it was Nietzsche who said
that certainty is a bigger enemy of the truth than lies. And
it's true.
La France est secouée en ce moment par une erreur
judiciaire de proportions tragiques: quatorze
personnes ont eu leurs vies brisées par des fausses
accusations de viol et de pédophilie.
You should know that, in the case we're concerned
about, major judicial errors arise when an
investigating magistrate becomes a champion of his
own case, whereas an investigating magistrate
should never become a champion. When there's not
systematic doubt, he becomes dangerous. I think it
was Nietzsche who said that certainty is a bigger
enemy of the truth than lies. And it's true.
Les éléments de l'affaire d'Outreau sont complexes.
Des enfants dans cette ville du nord du pays ont été
violentés. Ce fait est incontesté; quatre personnes, y
compris les parents des victimes, sont écrouées pour
avoir participé à des crimes horribles.
Mais à partir de ces faits réels, un jeu de fantasme
s'est installé, une chasse aux sorcières qui rappellent
"Les sorcières de Salem" d'Arthur Miller. Les victimes
et leurs parents ont commencé à accuser presque
tous les gens qu'ils connaissaient dans leur quartier.
On sait maintenant que ces accusations étaient sans
fondement. Mais, sans la moindre preuve à l'appui, la
justice les a crues. Les accusés ont été emprisonnés.
L'un entre eux est mort derrière les barreaux. Les
treize autres ont passé jusqu'à trois années en prison
avant d'être innocentés.
Comment la justice a-t-elle pu se tromper d'une
manière aussi spectaculaire? Une commission
parlementaire a été convoquée, et ses audiences
passent en direct à la télévision nationale.
Ce qui choque dans l'affaire est le manque d'écoute
pour les accusés. La justice française est fondée sur
une démarche d'inquisition. Dans les grandes
affaires, un juge d'instruction enquête sur les
suspects, mais c'est lui aussi qui mène la
contre-enquête à la décharge des suspects. C'est
une double responsabilité qui perdure dans très peu
de pays, toutefois Catherine Fillon, Maître de
conférences à l'Université Jean Moulin Lyon 3, nous
explique que cette procédure remonte loin dans le
temps:
- Les racines, elles sont effectivement très très
anciennes, puisqu'il faut remonter au Moyen Age.Il
faut remonter au XIIIe siècle où va se développer
cette procédure qu'on appelle la procédure romano
canonique, qui va orienter la procédure pénale qui
jusqu'alors était accusatoire, hein, puisque la
procédure féodale, de façon générale, était
accusatoire. Mais à partir du XIIIe siècle, sous
l'influence du droit romain et de la redécouverte de la
procédure romaine telle qu'on l'avait connue dans son
dernier état au Bas Empire, eh bien, l'inquisitoire,
cette notion d'inquisitoire, va s'emparer très très
largement du continent qui va dès lors faire ce choix
France is shaken at the moment by a miscarriage of
justice of tragic proportions: fourteen people have had
their lives shattered by false accusations of rape and
paedophilia.
The elements of the L'affaire d'Outreau are complex.
Children from this town in the North of the country
where abused. That fact is not contested; four people,
including the parents of the victims, have been locked
up for taking part in horrible crimes.
But from these real facts, a game of fantasy evolved,
a witch hunt reminiscent of Arthur Miller's "The
Crucible". The victims and their parents begun to
accuse virtually everyone they knew in their
neighbourhood.
We now know that these accusations were without
foundation. But, without the slightest evidence to go
on, the courts believed them. Those accused were
imprisoned. One of them died behind bars. Thirteen
others spent up to three years in prison before being
cleared.
How could the justice system get things wrong in
such a spectacular fashion? A parliamentary
commission was called and the public hearings are
being shown live on national television.
What is shocking in this case is the failure to listen to
the accused. French justice is based on an
inquisitorial system. In the most important cases, an
investigating magistrate will lead the investigation into
the defendants, but will also be responsible for the
counter-investigation to establish the defendants'
case. It's a double responsibility which survives in
very few countries. Nevertheless as Catherine Fillon,
lecturer at the Jean Moulin Lyon 3 University
explains, it's a procedure which goes back a long
way:
- The roots are in fact very very old, because they go
back to the Middle Ages. You have to go back to the
XIIIth century when what's called the
Romano-canonical procedure developed, which
would push penal proceedings, which until then had
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d'une procédure beaucoup plus autoritaire dans
laquelle le juge va diligenter les poursuites, mener
l'investigation et rechercher lui-même la vérité.
C'est-à-dire qu'on ne va pas attendre que ce soit les
deux parties, la plaignante -la victime- et l'accusée,
qui s'expliquent, et, s'expliquant devant le juge
peuvent faire surgir, éventuellement, la vérité. Là,
c'est le magistrat qui va, lui, partir à la recherche de la
vérité.
C'était un système qui convenait parfaitement aux
monarchies de l'Ancien Régime:
- J'aurais tendance à dire qu'il y a une volonté
politique d'un juge qui est, quelque part, aussi un
reflet du monarque. Donc,je pense qu'il y a un goût
de l'absolutisme qui est passé jusque dans les
pratiques judiciaires. C'est-à-dire le juge, il est
quelque part à l'image du pouvoir. Quand le pouvoir
est lui-même absolu, on a tendance à donner au juge
un pouvoir absolu.
- On a aussi un sens, en France à ce moment-là, très
aigu de l'exemplarité des peines. C'est-à-dire qu'on
sait très bien qu'on n'a pas les forces de police
nécessaires pour engager une lutte systématique
contre la délinquance et qu'en fait, quand on prend un
criminel, on en prend un sur... un grand nombre qui
passe au travers des mailles du filet. Donc c'est une
procédure qui est destinée aussi à terrifier.
La Révolution rejette le système inquisitoire:
- La Révolution a constitué un moment de rupture où
on a voulu revenir à un système accusatoire et où on
s'est énormément inspiré d'ailleurs de l'Angleterre
parce que l'Angleterre apparaissait comme un modèle
de libéralisme en matière de justice pénale et on a
réessayé de réintroduire le tout accusatoire1 dans la
procédure. C'est là où la France introduit le jury qui
continue à exister au niveau du jury de jugement mais
la procédure révolutionnaire avait créé aussi un jury
d'accusation, imité -mal imité d'ailleurs- de la culture
anglaise. Le problème, sans doute, qui s'est posé
pour la Révolution, c'est que, les juges n'étant plus
des professionnels, mais étant des juges élus, ils sont
très sensibles, les juges élus, à ceux qui les élisent.
Donc, on s'est assez vite rendu compte qu'il n'y avait
peut-être pas... Le souci de la répression avait un peu
disparu, et surtout sous le Directoire, dans les
années, donc, dix-sept cent quatre-vingt-seize,
quatre-vingt-dix-sept, on critique de plus en plus ce
système accusatoire. Il est de plus en plus remis en
question.
Et donc, comme dans d'autres domaines, il incombe
à sur Napoléon de restaurer un peu d'ordre:
- La solution qui s'est dégagée très naturellement
pour les magistrats français au début du consulat
napoléonien, ça a été de dire que, pour l'efficacité de
la répression, qu'une instruction soit inquisitoire était
une bonne chose mais qu'il fallait garder ce que la
Révolution avait instauré, c'est-à-dire le procès public
accusatoire, mais que l'instruction préparatoire reste
inquisitoire. C'est-à-dire cette espèce de jugement de
Salomon. On a coupé la poire en deux2:l'inquisitoire
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been accusatory, because Feudal proceedings were
in general accusatory... but from the XIIIth century,
under the influence of Roman law and the rediscovery
of Roman proceedings as practised in the last stages
of the Late Roman Empire, well the inquisitory
method, this notion of the inquisitory, would spread
very very widely across the continent, which would
from them on opt for a procedure which was much
more authoritarian, in which the judge would oversee
the investigation, lead the investigation and search
after the truth himself. That's to say no longer would
we wait for the two parties, the plaintiff (the victim) and the accused, to explain themselves and via
explaining themselves in front of the judge bring out,
in theory, the truth. Here, it's the magistrate who
himself would go out in search of the truth.
It was a system which suited perfectly the monarchies
of the Ancien Régime:
- I would tend to say there was a political will for a
judge who is to a certain extent a reflection of the
monarch. So I think there's a taste for absolutism
which is transferred to judicial practices. That's to say
the judge is to a certain extent a reflection of the
powers that be. When power is itself absolute, there's
a tendency to give judges absolute power.
- There's also in France during that period a very
strong feeling that punishments should be exemplary.
That's to say they know very well that they don't have
the police forces necessary to carry out a systematic
fight against delinquency and when they capture a
criminal, they're capturing one out of a large number
who slip through the net. So it's a procedure that's
designed as well to generate fear.
The Revolution rejected the inquisitorial system:
- Th Revolution was a breaking point where they
wanted to return to an accusatory system and where
they were enormously inspired moreover by England,
because England seemed like a model of liberalism
concerning penal justice and they tried to reintroduce
a completely accusatory procedure. It's at this point
that France introduces the jury which still exists as a
jury that passes judgement, but the Revolutionary
procedure also introduced a jury for the accusation,
copied - badly copied, moreover - from English
culture. The problem, without doubt, that arises for
the Revolution, is that the judges are no longer
professionals but elected judges. They're very
sensitive, elected judges, to the people who elect
them. So people realised fairly quickly that maybe
there was not... The desire to curb crime had
disappeared a little, and above all during the
Directorate, so in the years 1796, 1797, people
criticise more and more this accusatory system. It's
more and more called into question.
And so, as in other domains, it falls on Napoleon to
bring back a bit of order:
- The solution which emerges very naturally for the
French magistrates at the beginning of Napoleon's
consulate was to say that, in order that crime be
quelled effectively, an inquisitory investigation would
be a good thing, but it would be best to keep what the
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au début, l'accusatoire à la fin.
Aujourd'hui, les pouvoirs du juge d'instruction sont
moins importants qu'à l'époque de Napoléon, mais la
structure de base - instruction inquisitoire, procès
accusatoire - reste la même. Maître Jean Félix
Luciani est avocat de la défense depuis 20 ans :
- Vous savez, Napoléon disait de lui que c'était
l'homme le plus puissant de France, ce qui n'est pas
exact, mais c'est vrai qu'il a beaucoup de pouvoirs,
notamment celui de mener les enquêtes qu'il veut
comme il le veut -dans le respect de la légalité, bien
sûr- et notamment, c'est lui qui apprécie s'il doit faire
droit3 ou non aux actes demandés par la défense.
Les avocats - c'est-à-dire les mis en examens ou les
témoins assistés et donc les gens qui sont
soupçonnés, si vous voulez, qui comparaissent
devant le juge d'instruction, ont le droit de demander
des actes. C'est-à-dire, on peut demander des
confrontations. On peut demander des expertises. On
peut demander la production de certaines pièces, le
fait qu'on aille chercher des pièces dans tel ou tel
endroit. On peut demander ça et le juge peut refuser
ou accepter.
Et dans le cas du procès d'Outreau, quelles sont les
erreurs de l'enquête?
- Ce qui saute un peu aux yeux, c'est qu'à certains
moments il y avait quand même des évidences, enfin,
qui n'ont pas été consignées ou dont on n'a pas tiré
les conséquences. C'est-à-dire que quand on nous dit
par exemple que, eh bien, un enfant va dire qu' un tel
a enterré un cadavre quelque part et que c'est pas
vrai, je veux dire, on doit quand même s'interroger sur
ce qu'il a pu dire par ailleurs. Vous avez par exemple
des choses qui sont très choquantes : on a fait des
confrontations générales alors que normalement on
confronte une personne soupçonnée à une seule
autre personne, parce que si vous le confrontez en
même temps ses trois accusateurs, en même temps,
par définition, évidemment, il y a un déséquilibre qui
se fait et chaque accusateur se nourrit de la parole de
l'autre.
Le jeune juge d'instruction de l'affaire, Fabrice
Burgaud, est beaucoup mis en cause:
- La jeunesse, malheureusement, je le dis, n'est pas
un atout. Il vaut mieux des gens plus expérimentés.
Moi, ce qui me frappe chez beaucoup de jeunes
juges -pas chez tous, hein- c'est qu'ils arrivent,
comme d'ailleurs souvent les jeunes avocats, mais,
ils arrivent pétris de certitudes. Si vous voulez, quand
on se couche avec la certitude, on se réveille avec
l'erreur judiciaire, alors, ça, c'est une évidence. Il faut
douter toujours. Moi, je ne suis jamais sûr de rien -et
heureusement- parce que les rares fois où je l'ai été,
ça a été cuisant. Et les juges sont exactement dans
ce cas de figure là. Je pense que quand ils sont,
souvent quand ils sont expérimentés, quand ils ont
une dizaine d'années derrière eux, ils jugent
différemment. Ils apprécient différemment. Ils se
rendent compte de, eh bien, de ce que ça peut
signifier quelqu'un qui vole parce qu'il est au bout du
rouleau4, quelqu'un qui va avoir une rupture de
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Revolution had established, that's to say an
accusatory public trial, with the preparatory
investigation remaining inquisitory. That's to say a
kind of judgement of Solomon. They've gone half
way; inquisitory at the start, accusatory at the end.
Today, the powers of investigating magistrates are
much less extensive than in Napoleon's era, but the
basic structure - inquisitory investigation, accusatory
trial - remains the same. Jean Félix Luciani has been
been a defence lawyer for 20 years :
- You know, Napoleon said that (the investigating
magistrate) was the most powerful person in France,
which isn't true, but it's true that he's got a lot of
powers, notably to carry out the enquiries that he
wants, how he wants - while respecting the laws of
course - and notably it's he who decides whether or
not to allow actions asked for by the defence.
Lawyers... What it means is that the accused or those
brought in for questioning and therefore under
suspicion, if you like, who appear before the
investigating magistrate, have the right to ask for
actions. That's to say you can ask for confrontations.
You can ask for expert witnesses to be brought. You
can ask that certain pieces of evidence be sought,
that someone goes and looks for pieces of evidence
in a given place. You can ask that and the judge can
accept or refuse.
And in the case of Outreau, what were the errors in
the enquiry?
- What jumps out in your eyes is that at a certain point
there were indicators that weren't noticed or weren't
acted upon. That's to say, when we're told for
example, that a child says that so-and-so has buried
a body somewhere and it's not true, you've got to ask
yourself questions about what he might have said
elsewhere. You have for example some things which
are very shocking : there were grouped confrontations
when normally you put a person accused opposite
one other person, because if you confront them with
three accusers at the same time, by definition there's
an inbalance which is established and each accuser
feeds off the words of the others.
The young investigating magistrate in the case,
Fabrice Burgaud, has come in for a lot of criticism.
- Youth, unfortunately, I would say, is not an
advantage. You are better off with more experienced
people. What strikes me with a lot of young judges not all of them though - is that they turn up, like a lot
of young lawyers mind you, but they arrive steeped in
certainty. If you like, when you sleep with certainty
you wake up with judicial error, that's clear. You
should always doubt. I'm never sure of anything - and
that's lucky - because the only times I have been, I
was left smarting. And judges are in exactly the same
situation. I think that, often when they've got
experience, when they've got ten or so years behind
them, they judge things differently. They appreciate
things differently. They realise that, well, what it can
mean that someone steals because they are the end
of their tether, somebody who's going to have a
change of behaviour because at a certain moment,
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comportement parce qu'à un moment donné, sa vie,
elle va basculer parce qu'il y a un amour qui s'est mal
passé, parce qu'il y a un gamin qui tourne mal. La vie,
elle est faite de ça. Le vrai problème actuellement,
c'est que la justice pénale est quand même conçue
par l'opinion générale telle qu'elle nous est décrite par
les médias comme une justice qui doit frapper.
Des juges des libertés auraient dû sonner l'alarme
mais eux aussi sont restés sourds aux arguments des
avocats de la défense. Pourquoi?
- À mon avis, il y a tout. Il y a d'abord effectivement
une tendance quand même, à mon avis, à confirmer
ce qu'a fait un collègue, mais elle n'est pas générale,
c'est-à-dire que moi, j'ai quand même connu
beaucoup de Chambres d'instruction qui n'étaient
pas, comme on dit, des Chambres de confirmation.
J'ai vu des Chambres d'instruction prendre vraiment
des décisions tout à fait autres que celle du juge
d'instruction. Donc, l'institution en elle-même,
normalement, ça peut fonctionner.
- C'est une question d'hommes qui les animent,
d'abord, parce qu'il y a des personnalités différentes.
Il y a des gens qui regardent et qui se posent des
questions, d'autres qui s'en posent moins, et puis il y
a aussi effectivement le problème des Chambres
d'instruction qui sont submergées. C'est-à-dire que
vous avez des Chambres d'instruction
indéniablement submergées. Donc, quand vous êtes
submergé, c'est compliqué.
- Il n'y a pas plus de magistrats aujourd'hui en France
qu'au début du vingtième siècle. Enfin, le nombre de
magistrats par rapport à nos voisins européens,
quantitativement, il est ridicule. La justice française
fonctionne avec une économie en personnels qui est
saisissante, quand même, qui est même affolante, et
qui peut expliquer aussi certaines dérives, parce que
des magistrats surchargés, par manque de temps,
par manque de moyens, n'auront pas le temps
nécessaire, pour un juge des libertés par exemple,
d'étudier très à fond les dossiers qui leur sont remis.
- Et puis, vous savez, il faut pas oublier aussi le rôle
de la presse. Quand, au départ, cette affaire à
laquelle je pense a éclaté, ils ont été les premiers à
mettre dans les journaux des articles incendiaires sur
ces pédophiles, ces monstres, et personne n'aurait
compris, personne n'aurait compris qu'un juge
remette en liberté des gens pareils, d'après ce que
disait la presse. Là aussi, le problème, hein, c'est que
qui a nourri le sens répressif de l'Institution?
Les avocats de la défense ne sortent pas très
glorieux de l'affaire non plus. Où que l'on regarde, on
se rend compte qu'il y a eu surtout un manque de
moyens au coeur du problème:
- Il faut que les avocats à l'aide juridictionnelle soient
payés et non plus indemnisés de manière misérable.
Parce que c'est indéniable : il faut qu'il y ait une
défense qui ait les moyens défendre et il faut que les
gens puissent payer leur loyer. On ne peut pas faire
autrement, ça a un coût, hein? Bon. La difficulté, elle
est que ces moyens-là... On sait que la France est un
pays endetté aussi et que les hôpitaux ont besoin de
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their life is going to change because a love has gone
wrong, because a child goes off the tracks. Life is
made of things like that. The real problem at the
moment is that penal justice is conceived of by public
opinion, such as it is described to us by the media, as
a justice that needs to strike.
Parole court judges should have sounded the alarm
but they too remained deaf to arguments from
defence lawyers. Why?
- In my opinion, there's a bit of everything. Firstly
there is, yes, in my opinion, a tendency to confirm the
actions of a colleague, but it's not universal, that's to
say I have known lots of Courts of Investigation which
weren't as they say Courts of Confirmation. I've seen
Courts of Investigation take decisions completely
different from those of the investigating magistrate, so
the institution itself should normally work.
- It's a question of the people who sit in them, first of
all, because there are different personalities. There
are some people who look around and ask questions,
others who ask less and then there is also, yes, the
problem of Courts of Investigation which are without
doubt overwhelmed. So when you're overwhelmed,
it's complicated.
- There aren't more magistrates today in France than
at the beginning of the 20th century. At the end of the
day the number of magistrates we have relative to our
European neighbours, quantitatively, it's ridiculous.
French justice runs with a manpower level which is
astonishing, it's frightening and which can be an
explanation as well of certain abuses because
magistrates who are overburdened, through lack of
time, through lack of means, won't have the time they
need... for a Parole Judge for example, to study in
depth the cases which are brought to them.
- And then, you know, you mustn't forget as well the
role of the press. When, at the beginning, a case I'm
thinking about blew up, they were the first to put
articles in the press about these paedophiles, this
monsters, and no-one would have understood that a
judge freed them after what was said in the press.
There as well the problem is, who builds up the
repressive aspect of the institution?
The defence lawyers don't come very well out of the
case either. Wherever you look, you realise that
above all a lack of resources is at the heart of the
problem.
- Criminal aid lawyers must be paid and not just
compensated in a desultory manner. Because it's
undeniable : there has to be a defence which has the
means to defend. And people have to be able to pay
their rent. You can't do things otherwise and it has a
cost doesn't it? OK. The problem is that the means...
We know that France is a country that's in debt and
that the hospitals need people, education needs
people. At the present time, is the country prepared to
give the justice system the means it needs? That's
the real question. If you have the financial means, the
intellectual means, if you like, the best ways of
carrying out reforms, will follow. But here for example
if you move to a system that's completely accusatory,
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monde, que l'éducation a besoin de monde.
Actuellement, ce pays est-il disposé à donner à sa
justice des moyens? C'est ça, la vraie question. Si on
lui donne des moyens financiers, les moyens
intellectuels, j'allais dire, d'une meilleure réforme, ils
vont suivre. Mais là, par exemple, si on bascule dans
le système totalement accusatoire, c'est un système
qui revient très cher, très cher, à tout le monde. Le
juge d'instruction, c'est aussi un système très
économique. Je crois qu'il ne faut pas l'oublier.
L'affaire d'Outreau marquera-t-elle une page dans
l'histoire de la justice française? Maître Luciani le
croit:
- Moi, si vous voulez, je pense que le juge
d'instruction va disparaître. Je pense que là, c'est la
chronique d'une mort annoncée du juge d'instruction.
Je pense véritablement qu'il sera supprimé.
Aujourd'hui, ce qui est un peu inquiétant, c'est que si
on enlevait le juge d'instruction, on le remplacerait par
quoi? On nous dit, il y a un parquet qui va poursuivre.
Très bien. Le problème du parquet en France, c'est
qu'il est hiérarchiquement soumis au pouvoir. Donc,
vous avez un parquet qui va concentrer entre ses
mains des enquêtes alors qu'il est hiérarchiquement
soumis au pouvoir, c'est-à-dire qu'en réalité, si on ne
coupe pas le cordon ombilical entre le parquet et
l'État, par définition la justice va être rendue de
manière, à mon avis, pire. Parce que le juge
d'instruction, il a sûrement beaucoup de défauts, mais
il a au moins une vertu, c'est qu'il est protégé par son
statut. Il y a un statut de la magistrature qui le
protège. Donc, supprimer le juge d'instruction, moi, je
suis pour depuis des années. Je pense qu'il faut le
supprimer, mais, je dis, supprimons-le, d'accord, mais
à condition de le remplacer par quelque chose qui
soit meilleur. Aujourd'hui, dans ce qu'on nous
propose - où on ne va pas au bout de la réforme- je
dois dire que la suppression du juge d'instruction
m'apparaîtrait comme un emplâtre sur une jambe de
bois5, et même, le remède risque d'être pire que le
mal.
Madame Fillon en est moins sûre, quant à elle:
- Je ne pense pas parce que ça supposerait de
donner des moyens à la justice et je crois
qu'actuellement ça ne fait pas partie des priorités des
gardes des sceaux. Outreau, ça va être comme
beaucoup d'autres. Bon, il y a eu un autre grand
fiasco judiciaire il y a quelques années, ça a été
l'Affaire du petit Grégory6 qui a posé aussi le
problème du juge d'instruction, d'un très jeune juge
d'instruction qui sort de l'École nationale de la
magistrature, qui va commettre un certain nombre
d'erreurs monumentales qui vont aboutir
effectivement à une situation inextricable et
douloureuse et dramatique. On n'en a pas tiré les
leçons. ça fait vingt ans. Il y a trop de défenseurs -y
compris du côté des juges d'instruction- du système
actuel. Les juges d'instruction sont attachés à leur
pouvoir. Je pense qu'ils risquent d'être eux-mêmes le
principal obstacle à la réforme. On est dans une
période où on a quand même une tendance au tout
répressif; donc, je nous vois mal partis dans une
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it's a system that costs a lot of money to everyone.
The investigating magistrate is also a system that's
very cheap. I think we shouldn't forget that.
Will "l'affaire d'Outreau" be a turning point in the
history of the French judicial system. Maître Luciani
believes so.
- If you like, I believe that the investigating magistrate
will disappear. I think it's the announcement of a
death foretold for the investigating magistrate. I really
think the post will be done away with. Today, what's
worrying is, if we take away the investigating
magistrate, what will we replace him with? People
say, there will be a prosecution service that will follow.
Very well. The problem is that the prosecution service
in France is hierarchically accountable to the powers
that be. So you will have a prosecution service that
will have investigations entirely in its hands while
being hierarchically beneath the powers that be, that's
to say in reality, if you don't cut the umbilical cord
between the prosecution and the state, that'll mean
that the justice delivered will be even worse. Because
investigating magistrates certainly have lots of
defects, but they have at least one virtue: that's that
they're protected by their status. There's a status of
being a magistrate which protects them. So get rid of
investigating magistrates, I've been for it for years. I
think that they should be got rid of, but as I say, lets
get rid of them, OK, but on the condition that they're
replaced by something that's better. As far as what's
on offer today - where you don't complete the reforms
- I have to say that getting rid of investigating
magistrates seems like putting plaster on a wooden
leg and even worse, the remedy could prove worse
than the disease.
Madame Fillon est less certain that reform will follow:
- I don't think so because that would presuppose that
the means would be given to the justice system and I
don't think that's a priority of the Justice Minister at
the moment. Outreau will be like lots of other cases.
Well there was another big judicial fiasco several
years ago, it was the case of little Gregory, which also
raised the question of the investigating magistrate, a
very young investigating magistrate who'd just left the
Ecole Nationale de la Magistrature, who committed a
certain number of monumental errors which would
lead to a sad and dramatic, inextricable situation. We
haven't learnt the lessons, that was 20 years ago.
There are too many people to defend the present
system - including the investigating magistrates. The
investigating magistrates are attached to their
powers. I think that they're likely to be provide the
principle obstacle to reform. We are in a period which
tends towards repressive solutions; so I can't see us
getting into a reflexion on how to moderate the
excesses of an investigating magistrate. The
atmosphere is much more geared toward repression
than anything else at the moment, notably when you
think of the most notorious politicians of the present
time.
06/07/2006 13:39
L'affaire d'Outreau
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http://www.laguinguette.com/lejournal/2006/02act/
réflexion sur comment temporiser les excès que peut
commettre un juge d'instruction. L'ambiance est
quand même beaucoup plus à la répression en ce
moment qu'à autre chose, du côté des politiques les
plus notoirement influents du moment.
1. 1. le tout accusatoire - c'est l'accusation qui est la chose la plus importante. Les jurés se basent sur l'accusation
pour rendre leur verdict. L'accusé doit faire la preuve de son innocence, alors que dans le système inquisitoire, le juge
doit enquêter pour prouver la culpabilité.
2. 2. On a coupé la poire en deux - on a pris un peu des deux systèmes. 'Couper la poire en deux' signifie 'faire
moitié-moitié'pour trouver un accord.
3. 3.s'il doit faire droit - s'il doit accepter légalement (c'est un terme juridique uniquement)
4. 4. il est au bout du rouleau - il est complètement désespéré
5. 5. comme un emplâtre sur une jambe de bois - complètement inutile, comme un pansement sur une jambe de bois.
C'est une expression populaire.
6. 6. l'Affaire du petit Grégory - un petit garçon attaché et noyé dans une rivière en 1984 dont on n'a jamais retrouvé le
meurtrier.
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