Si je touche du bois,

Transcription

Si je touche du bois,
Si je touche du bois,
ça va marcher non ?
Quelques repères académiques
Est ce que les chats noirs, trèfles à quatre feuilles, pleine lune, vendredi 13,
bris de miroir, ouverture d’un parapluie à l’intérieur d’une pièce vous laissent
indifférents ? Pensez-vous que pour guérir de la morsure d’un chien, il faut
manger un de ses poils ? Autrement dit, êtes-vous superstitieux ? Difficile de
répondre à cette question d’autant qu’il est difficile de cerner les frontières de
la superstition. Elle se distingue de la religion, de la magie mais aussi d’autres
formes de croyances (astrologie, voyance, radiesthésie, OVNI, fantômes ou
encore esprits) en alimentant le besoin de croire de chacun, et notamment, dans
les situations où la science peine à avancer des explications que l’on pourrait
qualifier de rationnelles.
Certains auteurs définissent la superstition comme des “croyances qui, à une
époque donnée, vont à l’encontre des doctrines et pratiques attestées par les fractions
dominantes de la communauté scientifique et/ou de la communauté religieuse”. Pour
autant, la superstition est culturellement ancrée : les Américains par exemple
sont très superstitieux s’agissant du chiffre 13. Les Taïwanais pensent que le
chiffre 8 porte chance ainsi que la couleur rouge. La superstition est également
sectorielle : les sportifs sont superstitieux (cf. la publicité de Zidane qui en joue
ou encore l’équitation où chaque brin de paille oublié dans la queue du cheval
prédit une chute). Mais ce n’est guère étonnant ; les sportifs, tous comme les
acteurs d’ailleurs, évoluent dans des contextes de forte incertitude, à fort enjeu
et à faible degré de contrôle.
Plusieurs champs théoriques ont avancé des explications pour comprendre la
superstition. Des historiens ont cherché à comprendre les peurs millénaires
mais également le millénarisme (les cataclysmes de l’an Mil privant l’humanité
du paradis sur Terre). Par extension, on parle de peurs millénaristes pour
désigner toutes les annonces de fin du monde qui font régulièrement la une.
Pour certains anthropologues du début du siècle la superstition est surtout un
dysfonctionnement de la pensée logique. Les scientifiques de cette époque la
traitent alors comme un défaut intellectuel. Mais certains s’y opposent. Pour eux, la
superstition est une réponse culturelle à un besoin de certitude. Face à l’angoisse
et l’incertitude de l’avenir, les individus mettent en place des rituels particuliers
afin de leur donner l’illusion de contrôler ce qui n’est pas contrôlable par les
seules connaissances rationnelles. Des sociologues ont expliqué la superstition
via la magie qui naît dans la psychologie de l’individu mais devient un fait social
lorsqu’elle repose sur des représentations collectives. La superstition reposerait
donc sur des croyances magiques collectives. Enfin, pour Freud, la superstition
est une manifestation de la névrose obsessionnelle (le névrosé n’a pas dépassé
le stade du narcissisme), alors que pour Piaget, il s’agit d’un retour à un stade
animiste. La superstition sert alors à déformer la réalité et à mieux l’appréhender.
La croyance s’appuie sur un lien de causalité entre deux évènements qui n’en ont
pourtant pas. Par exemple, la dernière fois que je suis allé chez mon dentiste, j’ai
eu très mal ; donc, cette fois, je change mon itinéraire pour ne pas avoir mal.
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Si je touche du bois,
ça va marcher non ?
La touche culture&sens
• Si la pensée superstitieuse du primitif est dominée par
le mythe et celle du névrosé par un égocentrisme absolu,
qu’en est-il de celle de l’homme “normal” ? La superstition
moderne repose sur une semi-croyance : les personnes
ont du mal à dire qu’elles croient en leurs petits rituels
pour attirer la chance ou repousser la malchance mais
elles ont tout autant de difficultés à dire qu’elles n’y
croient pas. C’est à ce titre que la superstition concerne
“tout le monde” (une personne rationnelle peut avoir
ses propres rituels superstitieux) et qu’il est très difficile d’identifier les
personnes superstitieuses car chacune a ses propres rituels ou croyances,
déconnectés parfois de “croyances collectives” telles que vendredi 13,
pattes de lapin ou autre adages populaires.
• Malgré les difficultés d’appréhender les superstitions car propres à
chacun, il est néanmoins possible d’identifier les personnes superstitieuses.
Des instruments de mesure permettent d’identifier les différentes facettes
du trait de superstition, autrement dit, d’un état stable de la personnalité.
Des recherches montrent que le trait de superstition serait composé de
plusieurs dimensions.
• L’adhésion à des superstitions culturellement partagées en est la
première. C’est le fait d’éviter le chat noir ou d’être 13 à table. Ces
superstitions reposent sur un socle commun et perdurent car elles sont
transmises, personne ne les ayant définitivement contestées. La deuxième
dimension est l’adhésion à des rituels superstitieux. Les individus
développent leurs propres rituels superstitieux pour attirer la malchance
ou au contraire la repousser. C’est l’exemple d’une personne qui pense
réussir son entretien si la boulette qu’elle lance atteint la corbeille. Enfin,
la dernière est le pessimisme superstitieux. Il permet de penser au pire
afin d’éviter qu’il advienne. Ainsi, penser au pire permet 1) de trouver la
force d’agir et de rebondir au cas où l’échec se confirme, 2) de mieux se
préparer à l’échec et 3) de repousser le malheur.
• Alors, superstitieux comme 54% des Français qui déclarent l’être
(enquête TNS-Sofres, 2008) ?
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Des idées de loisirs
A lire :
Le Livre des superstitions, d’E. Mozzani, Robert Laffont,
collection Bouquins. Psychologie de la superstition, de K.
Zucker, Payot. La superstition, de F. Askevis-Leherpeux,
Presses Universitaires de France. Je suis trop superstitieux,
d’I. Taubes, article à lire sur www.psychologies.com.
A voir :
Un jour sans fin, comédie de H. Ramis, avec B. Murray et A. MacDowell. Le
film repose sur diverses croyances plus ou moins superstitieuses. Dans le
registre “fin du monde” : Deep impact, de M. Leder, avec R. Duvall, T. Leoni
et M. Freeman, pour un “scénario hollywwoodien” de météorite géante et
La route, de J. Hillcoat, avec V. Mortensen, C. Theron et R. Duvall, une sorte
de road-movie post-apocalyptique.
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