Cahiers de déontologie 2006-1
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Cahiers de déontologie 2006-1
4000 Liège, le 11/05/06 Palais de Justice – Bte 2 LE BATONNIER CAHIERS DE DEONTOLOGIE 2006-1 Conformément au souhait exprimé par Monsieur le Bâtonnier, la commission de la déontologie au quotidien a décidé, dans un souci d’information, de prévention et de pédagogie, d’assurer, mensuellement, par la biais d’une nouvelle « mailing list » intitulée “Cahiers de déontologie”, la diffusion d’un cas rencontré dans la pratique et qui peut être considéré comme exemplaire et riche d’enseignement. La méthodologie adoptée se fonde sur le modèle suivant: 1) exposé des données du casus; 2) rappel des règles applicables; 3) solution apportée in concreto par Monsieur le Bâtonnier; 4) le cas échéant, conseils qui peuvent apparaître utiles. Le casus analysé ci-après est relatif à la confidentialité des réunions auxquelles les avocats participent aux côtés de leurs clients, à la notion de juste cause et à la loyauté. Bonne lecture. La Commission de la déontologie au quotidien. 1. Exposé des données du casus Après une procédure en divorce ayant connu de nombreux rebondissements, les parties se réunissent avec leurs conseils afin de mettre au point une convention réglant les points encore en litige. La réunion intervient au cabinet du conseil de Madame; les deux conseils déclarent qu’à l’issue de cette réunion, un accord est finalement intervenu entre les parties. Aucun document écrit n’est cependant établi à ce moment et le projet de convention établi ultérieurement ne sera pas signé. Madame change de conseil et son nouveau conseil est mandaté pour soutenir qu’en réalité il n’y a jamais eu d’accord, le consentement de sa cliente n’ayant pas été plein et entier sur tous et chacun des points discutés lors de la réunion susdite. Le conseil de Monsieur conteste que le nouvel avocat de Madame puisse soutenir qu’un accord n’aurait pas existé et, sur la base de la notion de juste cause, il saisit le Bâtonnier. 2 Il soutient en effet que le nouveau conseil ne peut affirmer et plaider qu’un accord ne serait pas intervenu sous peine de violer la notion de juste cause, même s’il lui est bien entendu loisible de soutenir qu’il y a eu revirement de sa cliente. Le nouvel avocat de Madame soutient au contraire que l’accord vanté par la partie adverse n’est pas intervenu et que la conviction de son prédécesseur ne peut suffire pour lui interdire de plaider l’absence d’accord, à partir du moment où il est en mesure d’argumenter objectivement la thèse qu’il reçoit mandat de défendre, c’est-à-dire l’absence d’accord. 2. Rappel des règles applicables A propos de la notion de juste cause, Pierre LAMBERT (Règles et usages de la profession d’avocat du barreau de Bruxelles, éd. Bruylant 1994) écrit que : “... En d’autres termes, la cause est-elle défendable, est-elle plaidable, un homme censé et loyal peut-il la considérer comme telle, voilà la seule question que doivent se poser notre âme et notre conscience” (p. 379). Monsieur le Bâtonnier HANNEQUART (“La juste cause”) écrit, au sujet du caractère juste ou injuste de la défense de la demande du client, que l’avocat s’inspirera de trois critères: “ Le premier critère est celui du caractère objectivement plaidable de la cause. Le second est celui de la conformité objective de la cause aux règles du débat judiciaire. La troisième consiste dans le caractère objectivement acceptable de la cause en vertu du jugement de valeur que l’avocat est appelé à porter sur la défense qu’il lui est concrètement demandé d’assumer. Le premier critère relève de la problématique du service à rendre au client, le second de la problématique du rôle de l’avocat dans l’ordre de l’organisation judiciaire et le troisième de la problématique typiquement morale du bien et du mal de l’activité de défense propre au cas d’espèce. Tandis que les deux premiers critères sont largement dominés par des éléments objectifs, qui s’imposent de l’extérieur à l’avocat, le troisième critère est essentiellement subjectif, puisque, même s’il s’applique à des cas concrets évidemment tributaires de facteurs objectifs extérieurs, le verdict moral repose essentiellement sur un classement personnel des valeurs”. La recommandation du 22 juin 2004 du conseil de l’Ordre de Bruxelles sur le devoir de loyauté de l’avocat (Marc WAGEMANS, Recueil des règles professionnelles, Ed. 2005, p. 233), rappelle que : “La loyauté constitue, avec l’indépendance, la vertu essentielle de l’avocat et, avec le respect du secret professionnel, son devoir le plus impérieux. Elle inspire l’ensemble des comportements de l’avocat et confère à son intervention un fondement moral. Dans la mesure où il est avant tout le conseil de son client et lui apporte son assistance en toute indépendance, l’avocat a le devoir de déterminer le contenu et les moyens de la cause qu’il défend. L’avocat en Cahiers de déontologie 2006-1 3 juge souverainement et dans l’intérêt bien compris de son client, en conformité avec les règles de la profession”. En vertu de cette règle fondamentale, l’avocat se gardera ainsi, notamment, de conclure ou plaider contre les éléments de fait dont il a connaissance, ou de soutenir une thèse antinomique par rapport au contenu d’une pièce confidentielle. 3. Décision du Bâtonnier Monsieur le Bâtonnier a considéré qu’il ne lui appartient pas de se substituer au Juge pour dire si une convention, parfaite au sens du code civil, existe ou a été conclue entre les parties et qu’à défaut pour elles de la régler de manière amiable, cette question devra être soumise au Juge compétent. Il lui appartient cependant de se prononcer sur l’attitude adoptée par un avocat qui serait contraire à son serment ou, de manière plus générale, contraire à son devoir de loyauté. Il a considéré, dans le cas d’espèce, que les développements argumentés de l’avocat mis en cause confirment qu’il a apprécié les éléments dont il a connaissance en son âme et conscience et a estimé que la thèse de sa cliente est objectivement plaidable. Il peut dès lors, sans blesser son serment ou heurter la loyauté, soutenir qu’il n’y a pas eu d’accord entre parties à l’issue de la réunion. Le conseil de la partie adverse pourra bien entendu plaider le contraire et ce litige devra être tranché par le Juge sur la base des règles de preuve du droit commun. 4. Recommandations Lorsqu’une réunion est organisée au cabinet d’un des deux conseils et en présence de leurs clients, il convient de délimiter, de manière précise, le cadre et la portée de cette rencontre, en particulier en ce qui concerne son caractère confidentiel ou non, le cas échéant en faisant signer un engagement écrit par les clients qui ne sont pas, en tant que tels, tenus par les règles de la confidentialité existant entre avocats. Lorsque les parties assistées de leurs conseils aboutissent à un accord, il est vivement recommandé de concrétiser celui-ci immédiatement par écrit, à tout le moins dans ses éléments essentiels. En cas de difficulté ultérieure, l’avocat ne pourra pas, en cette qualité, être le témoin de l’existence ou non d’un accord s’il est remis en cause par l’une des parties. Cahiers de déontologie 2006-1