terrorisme : des entreprises françaises dans la ligne de mire
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terrorisme : des entreprises françaises dans la ligne de mire
À LA UNE 2015, L’ANNÉE DES CHOCS TERRORISME : DES ENTREPRISES FRANÇAISES DANS LA LIGNE DE MIRE Cellules de veille, gestion de crise, agences et mercenaires en tout genre... Face à la montée du péril djihadiste au Moyen-Orient et en Afrique, les groupes industriels se protègent. C ’ÉTAIT AU DÉBUT DE L’ÉTÉ. A peine les rebelles, conduits par plusieurs centaines de djihadistes, s’étaient-ils emparés de Mossoul, à 350 kilomètres au nord de Bagdad, qu’un convoi d’une soixantaine de véhicules, remplis de combattants cagoulés de l’Etat islamique (E.I.), poursuivait vers le sud, en direction de la raffinerie de pétrole de Baïji, la plus grande d’Irak. Présents sur le site, deux ingénieurs français salariés de Veolia sont alors pris au piège. Trop tard pour envoyer de Bagdad un convoi blindé. Trop dangereux pour s’aventurer seuls sur la route en direction d’Erbil, à deux heures de voiture. « On a pris contact avec un chef de tribu local pour organiser en urgence, à 3 heures 3000 DOLLARS PAR JOUR C’est le prix d’une garde rapprochée pour des collaborateurs en mission dans un pays dangereux. 58 | DÉCEMBRE 2014-JANVIER 2015 | WWW.LEXPANSION.COM du matin, leur exfiltration. L’opération était périlleuse, il a fallu s’y prendre à trois fois à cause des nombreux barrages », raconte l’ancien militaire, spécialisé dans ce type de mission en charge de l’opération. A l’aube, les rebelles prenaient d’assaut la raffinerie. Après de violents combats, cette nouvelle offensive des djihadistes sera repoussée par l’armée irakienne, mais elle aura fait monter d’un cran la menace qui pèse sur les multinationales françaises implantées entre le Tigre et l’Euphrate. Cibles des rebelles de l’E.I. en Syrie, au Nigeria et au Mali, depuis l’intervention de la France en Libye, les voilà exposées en première ligne en Irak. Même le Kurdistan irakien, présenté il y a peu comme un havre de paix propice aux affaires, n’est plus sans danger. L’avancée rapide de l’E.I. à une trentaine de kilomètres de la capitale, début août, a pris la communauté d’expatriés de vitesse. « Sans les frappes américaines, Erbil était pris en quatre heures », décrypte Ghaleb Semo, un homme d’affaires kurde. « Mais le risque va en fait bien au-delà. Il s’étend à tous les pays ennemis de l’Etat islamique, à savoir les pays du Golfe, la Jordanie, la Turquie et le Liban », analyse Dorothée Schmid, spécialiste des poli- tiques européennes au MoyenOrient à l’Institut français des relations internationales. De quoi mettre les cellules de veille des grands groupes en alerte. Déjà, certains assureurs ne souscrivent plus de nouvelles couvertures en risques politiques sur des pays comme l’Irak ou l’Ukraine. « On a des black-lists. Sur le Burkina Faso, on n’a pas attendu le soulèvement populaire contre Blaise Compaoré. Depuis six mois, on ne souscrivait déjà plus de nouvelles garanties », explique Alexandre Egnell, responsable des risques politiques à Liberty. Les preneurs d’otages n’ont désormais rien à négocier Tout le monde en convient, la menace a changé de nature. Elle n’est plus le fait de groupes terroristes clairement identifiés, comme Al-Qaida, mais d’apprentis djihadistes et de combattants solitaires disséminés un peu partout au MoyenOrient, qui ont fait allégeance à l’Etat islamique. Pour apprécier le risque, ça change tout. Laurent Combalbert est bien placé pour le savoir, c’est un ancien officier du Raid devenu spécialiste de la gestion des risques. Il raconte : « Autrefois, il y avait toujours une vocation criminelle derrière les enlèvements. On pouvait alors discu- SHAWN BALDWIN/THE NEW YORK TIMES/REA MENACES. Les entreprises françaises sont en état d’alerte partout. Ici, au Yémen, des salariés de Total sous haute protection. ter avec les preneurs d’otages pour obtenir une libération contre paiement d’une rançon. Aujourd’hui, les ravisseurs n’ont rien à négocier : à peine ont-ils enlevé leurs otages qu’ils les décapitent sans revendication dans une mise en scène macabre diffusée sur Internet. » Comment, alors, assurer un minimum de sécurité aux multinationales parties chercher de la croissance dans des zones de plus en plus reculées ? Le sujet est désormais stratégique pour les entreprises. C’est même devenu un avantage concurrentiel. Eric Delbecque est chef du département sécurité économique à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il forme à la sûreté des managers du CAC 40 : « Il ne s’agit pas de bunkériser les implantations françaises à l’étranger ni de met- « Il ne s’agit pas de BUNKÉRISER les implantations françaises à l’étranger ni de mettre une GARDE RAPPROCHÉE derrière chaque ressortissant.» Eric Delbecque, chef du département sécurité économique à l’INHESJ. tre une garde rapprochée derrière chaque ressortissant, mais d’insuffler une culture du risque, de créer des cellules de veille géopolitique et de mettre en place des outils de sensibilisation et de prévention. » Une mission délicate souvent confiée à des anciens militaires, comme Jean-Louis Fiamenghi à Veolia, ex-préfet à la préfecture de police, ou Jean-Michel Chéreau à Areva, un ex-général de l’armée de terre. D’autres, comme Total, ont préféré un homme du sérail pour gérer les risques : Thierry Bourgeois, ancien n° 2 de Total au Nigeria, est un adepte des situations difficiles. Chez Renault, Eric Legrand n’est pas non plus issu des services de renseignement. C’est un ingénieur de 51 ans recruté à La Poste, où il occupait les mêmes fonctions. « Dans le top 10 d’une grande entreprise, c’est bien que deux ou trois personnes aient occupé à un moment de leur carrière ce poste. Ils savent de quoi il retourne et ont les bons réflexes », analyse Bertrand Monnet, professeur à l’Edhec et spécialiste des risques terroristes. Des sociétés créées par des pros du renseignement Ce qui n’empêche pas les grands groupes de recourir en back up à des sociétés privées créées par d’anciens membres des services de renseignement. Rompus aux situations à hauts risques, ils savent analyser froidement les événements, monter rapidement une escorte, ou dénicher à toute heure et dans n’importe quelle partie du globe le spécialiste du rapatriement, de l’évacuation d’urgence ou de la prise d’otage. « Nous les aidons ≤ WWW.LEXPANSION.COM | DÉCEMBRE 2014-JANVIER 2015 | 59 À LA UNE 2015, L’ANNÉE DES CHOCS ≤ à identifier les risques et à abais- ERIC GAILLARD/REUTERS ser au minimum leur degré de vulnérabilité. Lorsque des Occidentaux sont la cible d’attentats, dans 80 % des cas, il y a au départ une faute de comportement, une consigne pas respectée, un itinéraire dévié », explique Frédéric Gallois, ancien commandant du GIGN, dont la société, Gallice, intervient aux côtés de poids lourds du CAC 40. Comme ce collaborateur de GDF enlevé au Cameroun avec sa femme et ses enfants par une faction de Boko Haram, en février 2013. « Il était parti faire du tourisme en famille dans l’extrême nord du pays, à la frontière du Nigeria, une zone pourtant réputée pour sa dangerosité », déplore l’ancien commandant du GIGN. Les entreprises ont une obligation de protection Seulement voilà, une entreprise qui a recours à ces « experts » au statut juridique flou pourrat-elle s’exonérer de ses responsabilités en cas de bavure ? Depuis les attentats de Karachi, en 2002, qui ont coûté la vie à douze salariés de la Direction des chantiers navals (DCN), les entreprises ont non seulement l’obligation de tout mettre en œuvre pour assurer la protection de leur personnel, mais elles ont également une obligation de résultats. Pour l’avoir oublié, la DCN a été déclarée par un tribunal « coupable de faute inexcusable avec circonstances aggravantes ». Il faut dire que chaque matin, à la même heure, le personnel des chantiers navals empruntait le même chemin pour se rendre de son hôtel à la base navale, alors que la menace était connue de tous. Du coup, ces mercenaires d’un nouveau genre reportent directement au plus haut niveau de l’entreprise pour prendre une décision. « Lorsque des commerciaux veulent sortir le soir au restau- DANGER. A Bagdad, véhicule blindé et gardes armés pour Bernard Di Tullio, le dirigeant de Technip. Dans la capitale irakienne, les déplacements des étrangers sont ultrasécurisés. 60 | DÉCEMBRE 2014-JANVIER 2015 | WWW.LEXPANSION.COM rant à Bagdad, je mets en place un protocole, je donne mon avis, mais c’est le siège qui tranche », raconte Frédéric Gallois. Rester ou évacuer, il faut parfois ne pas perdre de temps. Comme l’an dernier en Egypte lorsque, au creux de l’été, le président Mohamed Morsi a été destitué par l’armée. « Les Frères musulmans étaient retranchés dans une mosquée, au Caire. On s’est dit que ça risquait de dégénérer. On a immédiatement envoyé les femmes et les enfants de nos expatriés à Dubai pour trois semaines », raconte le directeur sécurité d’un grand groupe. La situation sécuritaire échappe à tout contrôle « Au Yémen, en ce moment, on ne comprend plus rien à ce qui se passe dans le pays. Les chiites ont repris le contrôle, il n’y a plus d’Etat. Or on a des salariés qui doivent partir. On hésite. Le patron de l’usine est soidisant cousin avec le chef d’une tribu, mais ça ne suffit pas », explique-t-on au siège d’une multinationale française. Au moins la situation en Syrie at-elle le mérite d’être claire. Entre la répression sauvage du régime de Bachar el-Assad et les exactions des islamistes, il n’y a plus grand monde pour y travailler. Total a attendu que l’Union européenne prononce officiellement des sanctions à l’encontre des compagnies pétrolières nationales syriennes, en décembre 2011, pour arrêter de pomper le brut syrien. De leur côté, les Fromageries Bel ont suspendu leurs activités industrielles en 2012. Mais que faisait encore Lafarge en Syrie lorsque des djihadistes se sont emparés d’une de ses cimenteries, en septembre ? « Nous n’avions plus de collaborateurs français sur place. Il n’y avait que de la main-d’œuvre locale », soutient un porte-parole. Mais « il reste encore des tas d’entreprises qui font du business en Syrie. Elles utilisent des correspondants locaux chargés de faire de la prospection », assure un mercenaire. Pour l’aprèsBachar. z GÉRALDINE MEIGNAN