L`agriculture biologique, fruit d`une réflexion stratégique maturée

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L`agriculture biologique, fruit d`une réflexion stratégique maturée
Qu’il s’agisse d’une orientation idéologique ou économique, remanier son système de production sous le
label de l’agriculture biologique nécessite de bien appréhender les enjeux d’un tel changement.
L’agriculture biologique, fruit d’une réflexion stratégique maturée
L
a vie d’une entreprise et
notamment agricole n’est pas
un long fleuve tranquille. De
sa création à sa transmission, en
passant par son développement, elle
doit sans cesse s’adapter et se
réorienter. Politique, économique,
sociétal,
environnemental,
technologique et légal sont autant
de vagues qui peuvent amener leurs
lots d’opportunités et de menaces.
Le travail d’entrepreneur prend alors
tout son sens lorsqu’il consiste à
piloter son exploitation en évitant les
écueils et en refusant de se laisser
porter par la houle. Convertir son
activité à l’agriculture biologique
entre tout à fait dans ce cadre-là.
questions se poser ?
démarche adopter ?
Quelle les freins et les accélérateurs
possibles. Par exemple, à l’issue de
la démarche, il peut avoir été
De l’idée au projet… identifié la nécessité d’élaborer un
Cruciale, la première étape doit assolement et une rotation
permettre à l’agriculteur de définir cohérents avec la ration du
les
démarches
son projet afin de le rendre le plus troupeau,
administratives,
une
étude
limpide possible à la fois pour luimême, sa famille et ses partenaires. économique, etc.
L’objectif ici est de trier les
différentes hypothèses de départ
pour n’en retenir que les plus
envisageables. Et c’est à chaque
acteur de réaliser ce travail
introspectif car il y a autant de
projets
que
de
personnes
impliquées. Cet exercice pourrait se
résumer en quelques points :
mes valeurs, mon histoire ;
mes objectifs (ambitieux et
réalistes,
mesurables
et
quantifiables) ;
mes envies et ce que je ne veux
pas ;
mes freins.
Cette phase de réflexion doit
absolument être couplée avec une
phase d’analyse de l’entreprise
(forces et points d’amélioration) et
de l’environnement (opportunités et
menaces).
… Du projet au plan
d’actions
La deuxième étape consiste alors à
élaborer la stratégie de l’entreprise,
c’est-à-dire comment aller du point A
(existant) au point B (souhaité) ?
Cela implique de lister les actions à
Mais comment optimiser ses mettre en œuvre en déterminant aules
facteurs
clés
chances de réussite? Quelles préalable
indispensables au projet ainsi que
Deux maîtres mots
PRENDRE SON TEMPS.
Un choix de carrière ne se
décide pas en quelques heures
ou semaines. Plusieurs mois ou
années peuvent être
nécessaires pour accoucher
d’un projet abouti et solide. Ce
n’est pas un hasard si
aujourd’hui, le délai de réflexion
observé avant concrétisation de
la conversion en Agriculture
biologique est de 6 ans en
moyenne.
ECHANGER
Ne pas hésiter à partager avec
sa famille, ses associés et ses
partenaires pour être compris et
conseillé pour faire mûrir le
projet ; ni à faire évoluer ses
analyses et son cadre de
référence surtout si la réflexion
s’étale dans le temps. Il est plus
facile de modifier un projet en
phase de réflexion qu’un projet
lancé.
Le temps des décisions
et du suivi
Le risque zéro n’existant pas, tout
projet
comporte
un
risque
irréductible. Est-il mesuré, peut-on et
veut-on le prendre ? En cas de
réponse favorable, l’entrepreneur
devra ensuite tout au long de ses
actions prendre de nouveau le
temps de suivre le déroulement des
opérations pour pouvoir analyser
leurs impacts et corriger la dérive si
nécessaire. L’agriculteur est l’acteur
principal de son projet. C’est lui qui
tient la barre pour une réussite
optimale professionnellement et
personnellement.
L’accompagnement
par
un
partenaire dans cette phase cruciale
pour le pilotage de l’entreprise
apparaît indispensable. Cet œil
extérieur constituant un effet miroir
garantit que les interactions ont bien
été prises en compte (travail,
compétences,
références,
organisation, partenaires, etc.).
Benjamin AUDÉ, conseiller d’entreprise et référent bio au CER France Poitou-Charentes
« Une vision sans action, c’est un rêve.
Une action sans vision, c’est du temps perdu.
Une vision suivie d’action peut changer le monde. »
Nelson MANDELA
Mickaël MOREAU, converti depuis 2009 sur le secteur
d’Ayron (86)
✔
3 associés
✔
65 vaches laitières et leur suite
✔
400 000 litres produits, vendus à EURIAL ou en
direct
✔
Atelier de veaux de lait, vendus en direct à la
ferme et sur les marchés
✔
120 ha de SAU dont 37 ha de métaye (poistriticale), 18 ha de maïs ensilage et 65 ha de prairies,
excédents vendus à la coopérative
Témoignage
Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre système de production vers le bio ?
’est tout d’abord une question. Jeune installé, je venais de rencontrer mon épouse quand son frère,
technicien de rivière, m’a demandé pourquoi j’utilisais des produits phytosanitaires. Elle m’est restée en
tête et le temps à fait le reste. A cela il faut ajouter ma volonté perpétuelle de rechercher une plus grande
autonomie alimentaire, la conjoncture lait 2007 -2008 et cette absence de vision à moyen terme liée à la forte
volatilité des prix. Ma proximité avec l’environnement fait aussi partie des facteurs déclenchants.
C
Quel a été l’élément déclencheur, votre démarche pour vous convertir ?
J’ai dans un premier temps repris les marges brutes que je dégageais en conventionnel pour analyser les postes
de charges. Premier constat : près de 9 000 € de trésorerie à sortir à chaque début de campagne pour investir
dans l’approvisionnement ! En conjoncture instable et en situation tendue, l’effort financier était conséquent et
difficile. Je me suis donc penché sur la possibilité de valoriser la SAU au travers de l’atelier laitier sous le label
biologique. A rentabilité équivalente nous pouvions nous permettre de produire 150 000 litres de moins avec un
prix connu et stable à long terme !
Le deuxième temps a été quant à lui consacré à échanger avec d’autres agriculteurs convertis ou en réflexion,
ainsi qu’à visiter des entreprises agricoles afin de pouvoir me forger ma propre opinion et imaginer mon système
de production. Comble du sort, nous avons accueilli un stagiaire d’école supérieure proche de l’agriculture
biologique et de conservation ayant mené ses propres recherches et disposant de données chiffrées utilisables
dans mon étude de faisabilité.
Combien de temps a duré votre phase de réflexion ?
Plus de 2 ans ont été nécessaires pour aboutir à un projet concret, clair et viable. J’ai pris le temps d’échanger,
de comparer et de calculer. Je ne suis pas parti à l’aveugle. Je savais vers quoi je m’orientais.
Et votre entourage, vos voisins ?
Rien à signaler. Ma femme était dans le même état d’esprit que moi. Quant à mon père il a fallu l’intégrer au
projet car distant au début, mais il m’a laissé les rennes de l’entreprise dans une position de fin de carrière.
Aujourd’hui tout se passe bien.
Comment avez-vous géré votre conversion ?
La conversion s’est très bien déroulée. Nous avons évidemment subi quelques désagréments comme dans toute
phase de transition mais rapidement corrigés une fois le système en place.
Progressivement nous avons amélioré notre système pour arriver aujourd’hui par exemple à l’utilisation plus
importante de légumineuses dans nos prairies ou encore la gestion du pâturage de manière intensive et
tournante (mob-grazing). L’achat de matériel plus ou moins spécifique comme une charrue ou une bineuse a été
compensé par la vente de matériel devenu inutile comme le pulvérisateur. Le changement ne se s’opère pas en
un jour, il faut savoir être patient et ajuster si besoin.
Aujourd’hui quel serait le bilan de votre système ?
Très clairement je mettrai en avant la stabilité des prix et du revenu. Depuis que l’entreprise est convertie le prix
du lait n’a varié que de 30 €/1 000 litres. Je connais mon chiffre d’affaires, mes charges, mon revenu. C’est une
sécurité ! Ensuite je m’épanouis davantage. Il y a moins de pointes de travail mais du travail tout le temps.
Cependant celui-ci relève de tâches bien plus diversifiées qu’auparavant. Il faut maintenant faire ses semences,
gérer la ration, les prairies etc. Enfin le dernier point fort est d’ordre financier. Plus besoin d’autant d’avance de
trésorerie à la mise en place des cultures.
Tout système n’est pas parfait et mérite de s’améliorer. Dans notre cas justement nous travaillons sur une plus
grande homogénéité de la ration pour une meilleure productivité. L’achat d’une mélangeuse devrait nous aider à
atteindre notre objectif.
La bio vous a-t-elle ouvert la porte sur de nouveaux débouchés ?
Pas dans notre cas. La production de veaux de lait et la vente directe ont permis l’installation de ma femme mais
ne dépendaient pas du bio. Par contre le label permet évidemment de rentrer dans un marché de niche et de
capter une clientèle plus large. La bio facilite la vente directe.
Maintenant que votre entreprise est en rythme de croisière qu’envisagez-vous ?
Je travaille à conforter le système, à simplifier le travail pour gagner du temps afin d’anticiper le départ en retraite
de mon père. Je souhaite aussi continuer à recevoir du monde sur l’entreprise comme les écoles pour partager
mon expérience et expliquer mon travail, mes méthodes.
Si vous aviez à donner des conseils aux confrères s’interrogeant sur la bio que mettriez-vous en
avant ?
En tout premier lieu je dirai que l’entreprise doit se trouver en bonne santé financièrement pour se lancer. La
période de conversion est une étape sensible car les deux premières années la production est valorisée en
conventionnel. La gestion d’une entreprise en bio mérite autant d’attention voire plus qu’en système classique.
Ensuite, la recherche de l’autonomie doit être un leitmotiv tout comme la maîtrise des charges. Il faut veiller à
harmoniser l’engagement financier et le résultat attendu. Ne pas investir lourdement quand on n’est pas
quasiment sur du résultat. De cette manière le système est plus sécurisé. Mais cette pratique est valable dans
tout système.
La recherche d’un système plus extensif avant la conversion est aussi un facteur clé de succès. Moins la marche
est haute, plus la conversion sera aisée.
Enfin d’un point de vu réglementaire, avoir un parcellaire groupé autour du site de production peut faciliter la
gestion du troupeau et du pâturage dans le respect du cahier des charges. Il est conseillé avant de s’engager de
faire un état des lieux de l’entreprise pour vérifier la possible transposition des outils de productions (bâtiments).
Propos recueillis par Benjamin AUDÉ, conseiller d’entreprise et
référent bio au CER France Poitou-Charentes