La Seine et ses métiers - Alain Ryckelynck, Bouquiniste de Paris
Transcription
La Seine et ses métiers - Alain Ryckelynck, Bouquiniste de Paris
0 LA SEINE À TRAVERS PARIS ET SES MÉTIERS « Ah ! les beaux livres !“ se serait exclamée Madeleine Renaud, sur le ton de “Ah ! les beaux jours ! » J’en feuillette un, de ces beaux livres à la couverture rouge, au titre gravé à la feuille d’or, et à l’odeur d’étés anciens. Dès que je l’ai pris en main, son cartonnage m’a attiré l’œil et je l’ai ouvert impatiemment, avec juste ce qu’il faut de retenue pour en épargner les chairs douces. Et deux cent fois et plus, j’ai été surpris des dessins de Gustave Fraipont*, de leur douceur, mais aussi de leur précision qui fait se rencontrer l’amour respectueux du dessinateur pour ses “sujets“ avec la cruauté quotidienne de leur condition. Le chirurgien a sans doute de ces délicatesses pour réparer un tissu lésé sur un patient perdu. Je ne fais pas de “style“ : voyez le dénuement de ces petites gens, et remarquez comme Fraipont les caresse de traits précis mais tendres. Le texte de Saint-Juirs, je ne l’ai remarqué qu’ensuite : il est de la même qualité, et d’une lecture fraîche. Son titre, “La Seine à travers Paris“, cache l’originalité de son sujet. Il aurait pu être “Les métiers de la Seine à Paris“ : raccomodeuse de sacs à plâtre, mégissiers, trieurs de sable ou tondeurs de chiens, toutes ces petites gens nécessaires et méprisés sont là, modestes, silencieux, et âpres à la peine. Aucun bouquiniste n’est croqué par Fraipont : avions nous déjà si mauvais caractère ? Non, l’occasion a manqué sans doute, car le texte de Saint-Juirs, délicieux, nous en acquitte. En tournant ensemble les pages de ce Parapet, rendons une visite discrète à ces braves gens. * peintre et graveur belge né à Bruxelles en 1849, installé à Paris 1 LA BATELLERIE Les bateaux se regroupent pour le passage des écluses, pour être remorqués, ou aux ports. Ce train de bateaux vient de s’amarrer à la Cité. Des chevaux tirent les bateaux par les chemins de halage dont certains, aujourd’hui encore, font de belles promenades. Les connaissez-vous ? 2 Certains bateauxsont halés par des ânes – ici entre Passy et Grenelle – et leur offrent un abri mérité mais bien mesuré : les bateliers ne sont pas mieux logés. Des remorqueurs à vapeur, déjà, lancent leurs fumées âcres dans l’air de Paris à l’écluse de la Monnaie, aujourd’hui disparue.. 3 L’entrée dans Paris, par eau comme par la route, est marquée du passage à l’octroi. Les chalands alourdis de sable, de fer ou de pierre s’y arrêtent. En aval, ils rencontrent le gardien des bateaux, petit métier de la Seine à Paris 4 Eclusiers et dragueurs, autres métiers de l’eau sédentaires, rythment la vie des mariniers. Les femmes participent à la manœuvre comme les hommes 5 Tandis qu’aux Forges du Point-du-Jour, on répare les gros bateaux dans des ateliers aux ouvriers nombreux, le réparateur de bateaux du Pont des Saints-Pères travaille seul, à son rythme, et de nombreuses pipes seront bourrées avant que cette barque soit à nouveau en mesure d’affronter les coups de tabac. 6 LES MARCHANDISES ET LEURS MÉTIERS Les péniches qui descendent la Seine déposent leur limon à Paris comme les abeilles leur butin : du sable fin de la Loire, du calcaire tendre de l’Aisne, du calcaire coquillier de Lorraine, du charbon du Nord, de Lorraine ou de la Haute Loire, du fer de Moselle, et des denrées agricoles comme le blé de tout le Bassin Parisien. Les trains de bois passant la barrière d’Ivry descendent de la Nièvre. A chaque marchandise sont liés plusieurs petits métiers, du simple débardeur – ici quai Saint-Bernard – à l’ouvrier spécialisé : suivons Fraipont. 7 Quai d’Ivry, ces hommes colletés à la misère coltinent le charbon de terre destiné aux forges dans des hottes de paille tressée. 8 Le fer est entreposé à Grenelle sous forme de longues barres, comme celui qui est déchargé au quai Saint-Bernard. Le travail est dur, certainement, mais le dessin de Fraipont donne à ces scènes la paix champêtre des moissons. 9 10 Combien comptez-vous de diables sur ce dessin, deux, trois, ou cinq ? 11 La viticulture est une industrie qui ne supporte pas l’improvisation. Ici, quai SaintBernard, tout est bien organisé pour le “service du vin“ cher à Rabelais. Les ouvriers en tablier et casquette – insignes de leur êtat autant que tenue de travail – travaillent avec ordre et méthode à la préparation des tonneaux. 12 L’EAU PROPRE ET L’OPPROBRE Tandis que les pêcheurs placides s’adonnent à cet autre vice impuni (l’un étant la lecture a dit Valéry Larbaud), et que les lavandières du pont de Valmy battent le linge dans ce Gange purificateur, on baigne les chevaux à Grenelle, et à Ivry on déverse les ordures dans des barges amarrées à la rive. Les mégissiers rejettent la chaux des peaux tannées en blanc dans la Bièvre rue du Pot au Lait et aux Gobelins : cette opprobre jetée à la Bièvre conduira à sa couverture dans la seconde moitié du XIXe : misérable cache-misère… 13 Que dire au contraire devant cette Cosette cousette ? Ses Thénardier, c’est la misère. On ne peut distinguer les sacs raccommodés des lambeaux qui jonchent le sol, et l’abri lui-même est dérisoire. Son espoir est à l’image de l’échelle posée contre le mur. 14 15 LES PETITS METIERS DES BORDS DE SEINE Les petites gens des Mystères de Paris (1842) et des Misérables (1862) hantent, et pour longtemps encore, le ventre grouillant de Paris, et trouvent refuge auprès de la Seine qui n’appartenant à personne les accueille tous. Le fleuve les attire non pour son eau ou ses transports, mais pour son espace libre, loin des bourgeois, loin des “cognes“, mais riche en petits trafics et en métiers originaux : marchands de bouts de cigares à Maubert, brocanteurs à la Bûcherie, cardeuses au Pont-Marie, ou marchands de bonbons à Austerlitz. 16 17 Il y a même des célébrités dans ce petit peuple, tel Jean-Marie : 18 19 20 Et puis encore, et pour toujours, les bouquinistes dont Fraipont ne nous a donné hélas aucune esquisse. Saint-Juirs leur consacre plusieurs bonnes pages. Lisons-les : 21 22 23 24 25 LE PONT-NEUF LE JOUR ET LA NUIT LA MÉTÉO À PARIS… 26 Et en conclusion, une anecdote qui met en scène l’un des plus fourmilleux et dissipés peuples de Paris : les étudiants ! 27 Voilà, la promenade est terminée, rendons le livre à Alain Mehul, et gardons-en le souvenir dans ce petit livret. note (p26) : Lespès, littérateur français (1815-1875) devint célèbre pour publier chaque jour dans le Petit Journal des articles bizarrement coupés. Qui possède ses Promenades dans Paris (1867) ? Trimestriel du Syndicat des Bouquinistes Professionnels des Quais de Paris 1, RUE DE LA BASSE ROCHE, 91140 VILLEBON SUR YVETTE 01 60 10 35 01 – [email protected] 28 29