L`archipel des disparus - Enjeux contemporains de l`enseignement

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L`archipel des disparus - Enjeux contemporains de l`enseignement
INRP. Philosophie de l’éducation et pédagogie. Mémoire et histoire. L’archipel des disparus
L’archipel de la disparition Présentation des sites internet. Jean-françois Bossy. 2002.
L’archipel des disparus
L’archipel de la disparition
Présentation des sites internet
Pourquoi les disparus d’Amérique latine ?
Voici la présentation d’un ensemble de sites Internet consacrés à la question des
disparus et de la « politique de disparition » orchestrée par les dictatures militaires sudaméricaines, dans les années 60-80. Ils nous viennent du Brésil, de la Colombie, de
l’Uruguay, du Chili et de l’Argentine surtout.
Le terme d’archipel nous a paru suggérer le mieux, à la fois la diversité et
l’éparpillement de cet ensemble, mais aussi la multiplicité des analogies et des affinités qui
les relient, par delà les pays concernés et les groupes impliqués : ils forment un réseau. Ce
réseau en ligne veut marquer le pas sur le paysage de désolation publique et politique laissé
par les régimes de la répression militaire, recomposer une société civile dévastée dans sa
mémoire, divisée dans ses intérêts, accoutumée aux usages les plus violents dans le traitement
de la vie humaine. Il explore sans relâche tous les moyens et les artifices disponibles pour
remonter le cours de l’histoire répressive orchestrée des années durant par une idéologie et
des pratiques de la violence extrême, à échelle d’un continent.
Il y eut un territoire du crime organisé dans l’Amérique latine des années 60-80, un
réseau d’entraide et de coopération au plus haut niveau dans la mise en œuvre d’une logique
de répression barbare ; il existe aujourd’hui un territoire épars de la mémoire retrouvée,
reconstitué sur les décombres du premier, fragile, mais prometteur.
Peut-être est-ce l’effet de l’actualité maintenue de cette question des disparus dans le
présent démocratique de ces pays très éprouvés (les anciens détenus et les familles des
victimes, à l’image des Mères de la Place de Mai qui, encore aujourd’hui, se mobilisent et se
manifestent, sans relâche, les anciens bourreaux qui sont là, bien vivants, au milieu de la
population, dont les adresses mêmes sont parfois connues), peut-être aussi, inversement, le
caractère moins massif, moins industriel et barbare que celui que nous fit connaître
l’extermination nazie sur notre continent: il nous a semblé voir à l’œuvre une mémoire
d’autant plus vivante et active, moins figée dans le registre du devoir pédagogique et de la
commémoration publique, une mémoire qui produit non pas des partages et des concurrences,
mais des solidarités et des liens, une mémoire stimulante pour notre présent, en somme, et qui
pouvait inspirer nos propres pratiques et travaux.
Il nous a semblé que cette mémoire en travail, vue à travers la diversité des
perspectives prises par chacun de ces sites, réalisait un exercice difficile, qu’elle parvenait à
harmoniser et équilibrer à la fois : l’élaboration d’un véritable deuil, le partage du souvenir
dimensionné à l’échelle du pays voire du continent par l’évocation un à un des visages et des
biographies des disparus tout autant que par le rappel de l’identité des tortionnaires et de leurs
actes barbares, mais aussi un souci de justice et une demande de réparation pour les victimes,
plus encore, une recherche opiniâtre de la vérité en vue de rétablir l’objectivité des faits,
oblitérée par la propagande militaire des années durant, et enfin, dernière dimension,
l’exercice en acte de la politique et de l’engagement citoyen dans cette visée démocratique de
récupération d’une parole longtemps dérobée au peuple et à la société civile.
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L’archipel de la disparition Présentation des sites internet. Jean-françois Bossy. 2002.
Il nous faut dire quelques mots sur la place de cette étude dans notre site consacré aux
refoulés de l’histoire du 20e siècle, et sur l’intérêt que nous semble avoir une question qui n’a
pas encore retenu en tant que telle l’attention des programmes scolaires de l’enseignement
secondaire en France. Sans doute est-il fait mention de ce problème dans le programme
d’histoire lorsque sont abordées les conséquences dernières de la guerre froide et de
l’affrontement des blocs, ses répercussions sur des pays que les Etats-Unis voulaient garder
sous leur contrôle. Mais pour l’essentiel, la question des victimes des régimes militaires sudaméricains dans les années 70 et son cortège de disparus demeure encore pour nous
inintégrable au champ des épreuves et des pratiques de l’extrême venues bouleverser le cours
de notre histoire occidentalo-centrée, il désigne à jamais un point minuscule au regard de ce
qui figure pour nous la catastrophe majeure de notre temps, le Crime majuscule : les camps
nazis et leur débouché exterminateur et barbare, la Shoah comme renversement désastreux de
l’histoire rationnelle et progressiste.
Les Juntes militaires sud-américaines des années 70, vues de loin, figureraient
presque, à côté de cela, un îlot ou un complexe militaro-policier très identifiable et répertorié :
celui de régimes de dictature auxquels nous a par ailleurs accoutumé un continent peu familier
de l’Etat de droit et dont nous désignons volontiers les tentatives démocratiques sous le terme
de Républiques bananières. Un fossé infranchissable subsiste pour nous entre les crimes
commis par le régime nazi et appuyés par l’Etat français et les exactions des juntes argentines
ou chiliennes, qui frappe de vanité tout rapprochement et rend impossible l’endosmose de
leurs sensations, de leur vécu de l’extrême, les ramenant à la figure plus banale de la
répression politique. Les faits de disparition enregistrés sous les régimes militaires sudaméricains dans les années 70 relèvent pour nous d’un moment strictement politique du crime
d’Etat, celui qui entreprend avant tout l’élimination des opposants, il reste rigoureusement
scindé de toute logique génocidaire conçue comme entreprise d’extermination à fondement
culturel et racial.
Néanmoins, l’omniprésence de la question des disparus dans le paysage politique
contemporain de l’Amérique du Sud, la spécificité des pratiques et des effets à long terme
que la politique de disparition déploient sous nos yeux, peuvent faire vaciller un peu ces
certitudes.
C’est par le biais de la mémoire que notre intérêt pour cette question peut trouver une
approche pertinente, et susciter des rapprochements constructifs, même s’ils laissent à leur
spécificité des épreuves et des pratiques qui nous restent hétérogènes.
L’enjeu de la démocratie.
En faisant figurer sur notre site la question des disparus nous voulons marquer tout
d’abord l’intérêt particulier que revêt à notre sens cette question pour une réflexion sur les
enjeux politiques et historiques de la mémoire collective : le continent sud-américain dans son
ensemble, et les pays du cône sud en particulier (Chili, Argentine, Uruguay) semblent
aujourd’hui travaillés par une blessure collective qui ne cesse de déployer à l’infini son
pouvoir de nuisance sur le processus démocratique en cours. Celui-ci ressort aujourd’hui
chaque fois plus fragilisé de sa progressive compromission avec les politiques barbares du
passé sur lesquelles il voulait marquer le pas. Au Chili et en Argentine les lois d’amnistie
octroyées peu à peu aux anciens militaires et policiers de la politique répressive, l’impunité
des anciens bourreaux toujours vivants et parfois encore actifs dans l’armée et la police,
l’indignation et la colère des survivants de la répression, des familles et des enfants des
victimes n’en finissent pas de compromettre l’avancée de la démocratie et de l’Etat de droit,
malgré la mobilisation importante des associations de lutte pour les droits de l’homme.
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Au centre de cette tourmente, le sujet récurrent qui affleure, objet de toutes sortes de
revendications, de tractations aussi entre l’Etat et la société civile reste celui des disparus,
« los desaparecidos ». 30 000 en Argentine, 3000 au Chili, 164 en Uruguay : les chiffres
restent faibles au regard de ceux de la Shoah, du génocide arménien ou ruandais. Ils
recouvrent et représentent néanmoins le résultat de pratiques et de politiques d’élimination
qui rompent avec les usages de l’affrontement guerrier et de ses excès répertoriés, quoiqu’en
disent les anciens responsables eux-mêmes, ils mettent en œuvre une logique très concertée et
organisée de suppression totale de l’ennemi et de réduction préalable de celui-ci au statut de
déchet ou de chose inutile livrée au bourreau. C’est en ce sens que les pratiques de la
disparition autorisent un rapprochement avec celles de l’extermination, fut-ce sous un tout
autre régime de fonctionnement et selon une tout autre échelle que ce que le continent
européen eut à connaître durant la dernière guerre avec le système des camps nazis. La
spécificité du terme de disparition appliqué à la mort organisée de milliers d’individus reste à
spécifier, en particulier dans sa différence avec celui d’extermination, il nous semble
néanmoins qu’il nous introduit à un horizon référentiel qui n’est pas si éloigné de celui qui
nous est familier. Après tout, les anciens dignitaires nazis, mais aussi des agents français de la
guerre d‘Indochine et de la guerre d’Algérie inspirèrent et formèrent, même, des officiers sudaméricains, argentins et chiliens, dans des centres spécifiques aux Etats-Unis.
Les associations d’anciens détenus et leurs familles n’hésitent pas à parler quant à
elles de camps de concentration en Argentine ou au Chili, le vocable de « génocidaire » (« los
genocidas ») est devenu d’un usage courant, dans l’opinion publique argentine, pour désigner
les figures les plus connues des anciens tortionnaires de l’Argentine de 76-83 ou du Chili des
années 70 et l’on a même trouvé mention, dans le témoignage d’un rescapé, du terme de camp
« d’extermination ». L’usage de ce vocabulaire peut nous sembler outré voire hors de propos
pour toutes sortes de raisons : de par le nombre de victimes mis en jeu, le statut d’opposants
politiques qu’elles eurent pour la plupart, de par l’incomparabilité que l’on peut défendre
entre les centres de détention clandestins sud-américains essentiellement destinés à la
séquestration et à la torture, et les camps nazis comme espaces séparés, spécifiquement
construits en vue de la mort massive. Bref, le terme de génocide se trouverait ici
rigoureusement prohibé dans une pratique rigoureuse de l’histoire. Reste cette sensation
indélébile de la part de la société civile et des familles de victimes qu’à travers une politique
de lutte anti-subversive et anti-terroriste menée par les Juntes militaires un dommage
irréparable a été commis, qu’un crime sans réparation possible reste en travers du chemin et
compromet toute avancée démocratique. La figure des disparus est au cœur de cette certitude,
elle atteste la rémanence infinie de quelque chose qui n’en finit pas de hanter la mémoire et le
corps collectif, à la manière de ce passé qui ne passe pas par lequel nous désignons le régime
de vichy, une blessure collective et une honte nationale, un obstacle majeur à toute tentative
de réconciliation nationale.
« La mémoire fertile »
L’ensemble des sites de cet archipel en ligne sont pour l’essentiel le produit d’une
action associative de la part d’anciens rescapés des centres de détention, le fruit d’une
mobilisation des familles des victimes, parfois le fait d’initiatives plus isolées, moins
impliquées directement dans la tragédie, mais non moins productives et actives. Issus de la
société civile au travers d’initiatives spontanées, portés par un besoin irrépressible de
mémoire, de justice, de vérité et parfois de politique, ils ont tous profité d’une impulsion
« venue d’en haut », de la part d’Etats nouvellement acquis à la cause démocratique, et pour
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lesquels s’imposait le préalable d’un effort d’éclaircissement. Tel fut le rôle des Commissions
nationales pour la vérité qui ont essaimé un peu partout durant ces dernières décennies en
Amérique latine : en Bolivie dès octobre 1982, El Salvador (avril 1991), Brésil (Achevé en
mars 1985 sous la forme d’un livre « Brésil Plus jamais »), Paraguay (mai 1990, « Paraguay
Plus jamais »). L’Argentine eut à entreprendre la première cet effort de rétablissement de la
vérité et de restitution des faits : à l’avènement du régime démocratique présidé par Raul
Alfonsin en 1983, celui-ci institua la Conadep, commission destinée à recueillir les milliers de
récits d’anciens témoins, d’anciennes victimes ou de familiers de victimes de la Junte au
pouvoir de 1976 à 1983. Les dix mois de travail de la Commission sanctionnèrent la création
d’un document publié et offert à la connaissance de tous : le fameux rapport Sabato (« El
informe Sabato »), du nom du célèbre écrivain qui présida la Commission. Ce document allait
inaugurer une tradition bientôt suivie par le Chili (Rapport Rettig, 1990) le Honduras et bien
d’autres pays et allait montrer sa capacité à enrayer le mouvement de l’oubli et du
refoulement si habilement préparé par les anciens tortionnaires.
Mais les associations, elles, n’avaient pas attendu la chute du régime pour engager leur
combat. L’Association des Mères de la Place de Mai reste à ce jour la plus célèbre de ces
organisations, et bénéficie d’un capital de sympathie qui n’a pas peu contribué à attirer
l’attention de l’opinion internationale, suscitant et nourrissant des appuis et des aides, des
travaux et des recherches. Au-delà de la médiatisation qu’elle a su enclencher, elle occupe
sans conteste une place stratégique dans cet ensemble, résumant toutes les dimensions de
l’entreprise à échelle d’un continent par le caractère protéiforme de sa lutte. Ces mères étaient
des victimes éplorées et désorientées, en 1976, lorsqu’elles se regroupèrent pour la première
fois sur la Place de Mai à la recherche de leurs fils qui… étaient disparus. Mais peu à peu
elles vont revendiquer « les disparus » : cette métamorphose du terme en arme de combat fait
de leur fils non plus l’objet d’une perte mais le sujet d’une action à mener, il accuse désormais
les assassins. Ce sera le début d’une longue série d’innovations langagières (la formule
« apparition en vie » comme résumé paradoxal des exigences politiques des Mères ou celle de
la « mémoire fertile »), de trouvailles symboliques (le lange de bébé porté en foulard et
devenu l’emblème de l’association) et de slogans qui ont renouvelé l’imaginaire politique de
l’Argentine et permis de reconsidérer l’attitude de la société civile face aux criminels. Bien
loin de vouloir camper dans le statut de victime absolu, les Mères travaillent sans relâche à
convertir la douleur, la souffrance et l’humiliation en un vecteur actif de subversion du
pouvoir, elles cultivent le politiquement incorrect pour renvoyer à la figure des responsables
d’hier et d’aujourd’hui leur mépris et leur absence totale de scrupules. Le registre victimaire
et compassionnel est rigoureusement banni au profit d’une pratique chaque jour renouvelée de
la provocation, de l’attaque, de l’insulte même. La maternité a pris sa revanche sur les
pouvoirs de la mort, quand on voit la multiplicité des créations de l’Association : un café, une
université populaire, un programme de radio, un journal. Les Mères sont devenues une
véritable (contre)-institution, un contre-pouvoir d’où dénoncer l’hypocrisie et la
compromission des gouvernements démocratiques avec les assassins d’hier. C’est aussi à
partir d’elles que le spectre de l’engagement citoyen a trouvé à s’élargir ces dernières années
avec les créations successives des associations des « Grands-Mères » (Abuelas) ou des
« Enfants » (« Hijos »). Elle reste ainsi comme l’avant-garde d’un mouvement beaucoup plus
vaste, en Argentine et ailleurs, où les initiatives parviennent en ordre dispersé, chacun
oeuvrant à son combat : pour la justice (Associations des droits de l’homme : site du Cels en
Argentine ou Memoria viva au Chili), pour la vérité (le très bien documenté site de « Nunca
Mas »), ou pour la démocratie (Associations des anciens détenus-disparus) etc.
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C’est cette combativité, cette créativité que nous donne à voir le dispositif éparpillé
des sites consacrés à la mémoire des disparus. Le plus frappant, dans l’archipel des sites
proposés en ligne, c’est la variété des approches, des registres, selon les sites, parfois même à
l’intérieur d’un même site.
Il y a tout d’abord le registre strictement mémoriel et la reconstitution des biographies
de chacun des disparus, le rétablissement pointilleux des faits et circonstances de leur
disparition, le rappel des derniers témoins qui les ont vus en vie, le souvenir de leur
personnalité, de leurs goûts, de leurs occupations. (Association des ex-détenus-disparus par
exemple) On trouve même le projet d’une « Galerie de la mémoire » consacrée à la
reconstitution de leur vie et de leurs objets familiers. A l’appui de cette recherche du souvenir
viennent les photos, avec ces visages qui semblent déjà d’un autre temps, témoignages des
années 70, de la posture revendicative et libertaire d’une part de la société (cheveux longs,
vêtements larges…) Le site des Grands-Mères reconstitue les familles disparues avec le père
et la mère, et l’enfant qui vient compléter la fiche, retrouvé ou non. Cette objectivation du
souvenir élabore une première réparation : celle que permet le partage du deuil.
L’un des sites propose un « Mur de la mémoire » où s’affichent 600 portraits des
victimes de l’oubli et le sens politique de ces pratiques de la mémoire fait son apparition : ces
600 visages qui nous scrutent sont comme la recomposition d’une part de la communauté
oubliée, ils nous somment de rendre compte du sort qui leur a été fait, ils accusent le manque
dont souffre la communauté dans son ensemble. La recomposition et le rassemblement des
visages épars de ces hommes et femmes travaillent à rebours des procédures d’exclusion et de
rejet pratiquées par les militaires : les disparus ne sont plus cette partie inintégrable et
ennemie de la communauté mais cette part oubliée d’elle-même qui la laisse indéfiniment
meurtrie tant que les coupables ne seront pas jugés et la vérité établie. C’est pourquoi il arrive
que les anciens tortionnaires aient aussi droit à leurs photos (réactualisées ou non) et à leur
fiche identificatoire auxquelles un site ira même jusqu’à rajouter l’adresse et le numéro de
téléphone des anciens bourreaux…
A ce registre initial, ailleurs ou dans les mêmes sites, vient s’ajouter l’effort de la
connaissance et du savoir. Sont mis en ligne les fameuses Commissions pour la vérité avec
leur descriptif très détaillé des modes opératoires des dispositifs militaro-policiers, les
chiffres, les dates, les discours des dirigeants militaires pendant la période de la répression.
On trouve bien-sûr des ouvrages sur toutes ces questions. Le site « Nunca mas » reste à ce
titre un modèle du genre.
Le combat pour la justice est une autre dimension décisive de la plupart de ces sites :
associé à la mémoire des disparus, on trouve toutes sortes d’explications sur les actions
menées par les associations de défense des droits de l’homme, les déclarations, les procès
engagées contre les anciens tortionnaires, les amnisties accordées et les procès actuels
concernant notamment les enlèvements et appropriation illégales d’enfants. (Site du
« CELS » par exemple)
Il y a pour finir les sites à vocation militante ou la dimension militante de certains
sites. Celui des Mères (« Madres de la Plaza de Mayo ») bien-sûr mais aussi celui des
grands-Mères (« Abuelas »), des Enfants (« Hijos ») etc. Et c’est alors le lien entre le passé
barbare et le présent amnésique ou mimétique qui est établi sans relâche, à travers les diverses
amnisties accordées aux anciens responsables militaires, à travers les solutions purement
répressives données à la question sociale, à travers aussi l’amnésie volontaire et l’hypocrisie
des gouvernants démocrates. Chez les Mères, l’engagement prend une dimension
internationaliste : contre le capitalisme, contre l’impérialisme américain, contre les
multinationales. Chez les Hijos, le militantisme se concentre davantage dans des actions
ponctuelles contre la personne des anciens bourreaux : des rendez-vous sont pris devant les
domiciles des tortionnaires qui sont encore en vie, le voisinage est informé, puis un véritable
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charivari est organisé pour jeter à la figure du criminel le nom de ces victimes, la série de ses
exactions. Chez les grands-Mères, le site Internet rend compte de leur recherche opiniâtre des
enfants disparus, adoptés par des voisins, des familiers qui n’ont pas voulu révéler la vérité,
parfois par des familles de tortionnaires.
La dimension artistique trouve aussi sa place dans un site consacré au Parc de la
Mémoire ouvert à Buenos Aires et où de grands artistes ont rivalisé d’ingéniosité pour tenter
de représenter l’irreprésentable et de proposer une forme de monument aux victimes de la
répression militaro-policière.
On trouve même dans cet ensemble un site chilien intitulé Ecomemoria qui veut
associer écologie et pratique de la mémoire : pour chaque disparu, le projet entend planter un
arbre, maintenir ainsi sa mémoire et permettre à la vie de reprendre le dessus.
Nous avons trouvé, enfin, un document complet qui est comme une sorte de dossier
pédagogique sur la question des disparus en Argentine, proposé aux élèves de lycée.
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