Emilia de Sao Paulo - Salon du livre d`Alençon

Transcription

Emilia de Sao Paulo - Salon du livre d`Alençon
Emilia de São Paulo
Ma grand-mère calabraise née au Brésil
Le peuple brésilien est formé de plusieurs races. A São Paulo, où je suis née et où j’habite
nous avons eu deux vagues importantes d’immigration à la fin du XIX° siècle et début du XX°
pour remplacer le travail esclave. Italiens et les japonais sont venues à la province de São
Paulo pour travailler dans la campagne surtout dans les champs de café mais aussi dans la
grande ville qu’avait aussi besoin de main d’œuvre spécialisée soit dans les usines soit dans
les arts et métiers , menuisiers et même les cordonniers.
Ma maman et ses sœurs ne sont pas sûres de l’année d’arrivée de la famille Ambrosio à São
Paulo. C’est probable qu’ils soient venus vers 1895.
En Calabre, mon arrière-grand-mère Mariangela de Natali, fille d’un puissant signore (voir
capo) de Reggio est tombée amoureuse d’un simple cordonnier de Cosenza. Les générations
suivantes n’ont pas gardé les détails de cet amour défendu, mais tout ce qu’on sait c’est que
Mariangela et Giacinto, pour pouvoir vivre leur amour se sont enfuis dans un navire cargo en
direction du nouveau monde. Il avait 25 et elle 22 ans.
A São Paulo ils ont eu cinq enfants dont ma grand-mère Emilia, née en 1899, la deuxième
d’une petite troupe de sept enfants. Quand Emilia avait près de 9 ans ils sont tous rentrés en
Italie pour revoir leur famille, qui les avait alors pardonnés. Là-bas est née tante Italia.
A leur retour à São Paulo ils ont eu encore deux enfants, dont un je me souviens bien, le cadet
Alfredo.
C’est donc dans cette ambiance italienne de leur quartier et ambiance particulièrement
calabraise chez eux qui a grandi cette petite dame adorable, Emilia Ambrosio, ma douce
grand-mère, fille de cordonnier devenu propriétaire d’une fabrique de bottes.
Entourée des frères qui la gâtaient, dans une famille qui s’aimait beaucoup et qui était très
chaleureuse mais qui parlait pas mal de gros mots et qui faisait sans cesse des plaisanteries
les uns aux autres. Emilia a gardé cette gaîté jusqu’à la fin de sa vie.
A 18 ans elle connaît mon grand-père Jayme alors étudiant de médecine, mélange de
portugais, indien et allemand. Jayme qui avait laissé parents et frères à Santa Catarina est
immédiatement introduit dans cette famille italienne qui leur a commencé à apprendre le
calabrais par les jours de la semaine. Évidemment chaque jour correspondait à un des pires
gros mots en calabrais et il a découvert ça après les avoir fièrement récités à ma grand-mère,
qui a naturellement éclaté de rire. C’est comme ça le début dans une famille calabraise, et
tout devient anecdote, c’est certain.
Emilia et Jayme ont eu quatre enfants. Mon grand-père était certainement un homme honnête,
il est devenu un chirurgien-dentiste respecté. Leur vie en famille était très conventionnelle.
Mais pareil- t- il que c’était quelqu’un de très sévère avec sa femme et leurs filles. Elles
n’avaient pas beaucoup de liberté pour sortir, voir ses amies, recevoir leurs copines. Petit à
petit ma grand-mère passe à voir de moins en moins ses amies de jeunesse et mène une vie
assez isolée.
Quand elle avait quarante ans, un accident avec la machine à laver le linge lui a fait perdre son
bras droit. À l’époque les machines à laver étaient américaines, de moteur très puissant. Un
jour l’électricité est finie et elle est allée enlever le linge de la machine. L'électricité est revenue
juste au moment qu’elle avait son bras dedans. Une fatalité.
Mais au contraire de devenir une femme triste et moins active elle a appris à coudre avec la
main gauche, et a continué à tout faire, en s’adaptant à cette nouvelle condition.
Je n’ai jamais entendu ma grand-mère se plaindre de la vie.
Du mari oui, mais toujours en rigolant.
Et pourtant on sait que comme une bonne femme calabraise c’est toute seule dans sa
chambre et sur son lit qu’elle allait pleurer.
Elle n’a certainement pas eu une vie spécialement intéressante et était une typique femme de
son époque, dédiée à sa famille et à sa maison.
Sauf que malgré les mauvais moments qu’elle a passé, elle a su garder pendant toute sa vie, y
compris sa vieillesse, autant de tendresse que de gaîté et de bonne humeur avec un sens de
l'humour enviable, tout ça c’est pour moi signe de sagesse.
De ma grand-mère mignonne et adorable je sais que j’ai hérité le nez. Et la garde (très)
attentive sur mes enfants (qui sont déjà adultes, oui, je le sais), et une bonne sauce tomate, et
l’esprit de l’improvisation dans la cuisine et dans la vie. Si en partie je suis une maman
calabraise, c’est parce que j’ai eu un bel exemple.
Je voudrais aussi avoir hérité le teint bronzé de la Méditerranée qu’elle avait...
Annick Arnoult

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