La saisie des 51 vaches dans les montagnes de

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La saisie des 51 vaches dans les montagnes de
La saisie des 51 vaches dans les montagnes de Péguère
Le 12 juin 1782, à la demande du baron de Castelnau Durban, Jean-Paul de Bellissens et du seigneur de Sentenac,
le sieur Laffont, Pierre Albenq, garde général des Eaux et Forêts de la maîtrise de Pamiers dut se rendre sur les
montagnes de Péguère, lieu où il se déroulait quotidiennement des délits dans les forêts. Ces délits consistaient
en la coupe d'arbres ou en la dépaissance des bestiaux dans les zones défendues. Le but de cette expédition était
donc de surprendre d'éventuels fraudeurs et de les ramener dans les prisons de Pamiers afin de les juger.
Dans le but de pouvoir mener à bien cette mission, Pierre Albenq fut accompagné de trois cavaliers de la
maréchaussée et de Guilhaume Joffres, garde particulier de la maîtrise.
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Ils quittèrent Pamiers avec Pierre Olive, habitant de Saverdun et atteignirent la Bastide de Sérou vers les neuf
heures du soir. Ils descendirent à l'auberge du lieu et repartirent une heure et demie plus tard afin de rejoindre la
forge de Tourné où les attendait le sieur Capdeville. Ce dernier devait les guider et leur prêter main-forte, car la
montagne où ils se rendaient, avait mauvaise réputation. En effet, des attroupements et rébellions se formaient
dès que l'autorité se présentait pour surprendre ceux qui ne respectaient pas les règles établies.
Ils poursuivirent leur route jusqu'à la forge des Taniel, autre lieu de rendez-vous où le sieur Lafont de Sentenac
devait leur donner une nouvelle main-forte. Ils furent accueillis, vers une heure de la nuit par Jean-Paul Marrot,
consul d'Esplas.
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A deux heures du matin, ils se remirent tous en route, mais l'obscurité et une forte pluie, les incita à faire demitour et revenir ainsi à la forge des Taniel. D'ailleurs, Marrot tomba dans un ruisseau à cause des mauvaises
conditions climatiques.
La nuit fut de courte durée car l'expédition se remit en chemin vers les cinq heures du matin en direction des
montagnes. Le consul d'Esplas et dix huit habitants du village furent de la partie. Ils partirent également très tôt.
Ces derniers montèrent jusqu'au lieu appelé le Cap du Pradal de Toulza où ils rejoignirent l'autre partie de
l'expédition qui était accompagnée de vingt quatre habitants de Castelnau Durban et d'un de leur consul, un
nommé Maurette. Le nombre total de l'expédition s'élevait à une cinquantaine de personnes. Ce nombre
impressionnant nous indique donc à quel point l'insécurité dans ces montagnes était grande.
En montant, ils constatèrent que la forêt était en mauvais état. Beaucoup des jeunes pousses avaient été
broutées par des bestiaux.
En se dirigeant vers les Quers de Toulza, ils aperçurent des vaches, ainsi que trois hommes les gardant. A leur
approche, les trois bergers prirent peur. Le premier prit la fuite, le second se précipita en bas de la montagne, en
roulant à travers les rochers, tout en ayant courbé sa tête sur ses genoux. Malheureusement pour lui, il fut arrêté
par l'un des paysans de l'escorte. Il leur dit qu'ils lui avaient fait très peur et qu'il avait payé aux fermiers du sieur
Laffont, le droit de forestage. Il dit qu'il s'appelait Jacques Piquemal Labeille et qu'il habitait aux Barous, dans la
seigneurie de Boussenac. Il ne fut pas arrêté. Par contre, le troisième homme qui fut immédiatement arrêté,
refusait de dire son nom.
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Ils poursuivirent la visite des lieux et remarquèrent que des tailles récentes de bois avaient été faites. Ils
trouvèrent également une vache et une génisse qui broutaient dans des taillis. Plus loin, ils entendirent des
sonnailles qui leur indiquèrent qu'il y avait un nombre considérable de bêtes à grosses cornes.
Ils s'y précipitèrent et virent effectivement un grand troupeau. La plupart des sonnailles des animaux avaient été
remplies d'herbe et de feuilles. Cette technique était employée par les bergers afin que les troupeaux fussent
moins facilement repérables. Mais ce ne fut pas suffisant. L'expédition compta les bestiaux. Ils étaient au nombre
de quarante neuf vaches, génisses dont un taureau. La prise totale s'éleva donc à cinquante et une bêtes.
Le garde général Albenq regretta tout de même que la brume épaisse qui envahissait les lieux, ne lui permit pas
d'en saisir davantage. En effet, les bergers profitèrent de telles conditions pour faire fuir le reste du troupeau. Ils
se trouvaient à présent dans les lieux dénommés les Campels et la Finestro (fenêtre).
Dans cette brume épaisse, l'expédition entendit un premier coup de fusil, puis un second, peu après. De
nombreuses voix s'élevèrent de divers endroits et effrayèrent ainsi l'escorte. Trois hommes arrivèrent pour
essayer de libérer les vaches saisies. L'un d'eux frappa à coup de hache, un membre de l'escorte. Seule sa veste
fut déchirée. Ce dernier qui avait un fusil, donna alors un coup de crosse à l'assaillant. Mais un coup de feu partit
du fusil et blessa légèrement l'agresseur qui prit immédiatement la fuite, suivi de ses compères.
Les cris se multiplièrent sur le versant de Boussenac, ce qui accentua encore la peur au sein de l’escorte. Elle
craignait de voir se constituer un attroupement qui l’aurait attaquée. De nouveau, trois nouvelles personnes se
dirigèrent vers eux. Deux venaient du sommet de la montagne en leur lançant des pierres alors que le troisième
arrivait en courant depuis le chemin de Massat. Deux coups de fusil furent tirés en l'air par l'escorte. Ceci
n'empêcha pas le troisième de poursuivre sa course. Il était armé d'une hache. Sans leur dire son nom, il leur dit
que parmi les vaches saisies, six lui appartenaient ainsi qu'une génisse. Après l'avoir désarmé, cet homme fut
remis à la main-forte. Alerté par les deux derniers coups de fusils, le reste de l'escorte qui s'était éloigné, rejoignit
l'expédition en rapportant une hache qu'ils avaient saisie sur une autre personne qui avait réussi à s'enfuir.
L'expédition décida alors de quitter les lieux. Il était déjà six heures du soir en ce jeudi 13 juin 1782. Sur le chemin
du retour, l'expédition reconnut que l'ensemble des forêts qu'ils parcouraient était en mauvais état. Ils
atteignirent Castelnau Durban vers neuf heures du soir. Ils parquèrent les animaux chez deux habitants du lieu
afin que ces derniers les gardassent pendant la nuit. Le corps de l'expédition passa la nuit dans l'auberge du lieu,
tenue par les nommés Papy, Adoue et la veuve Ségarol. L'homme retenu prisonnier fut gardé par des sentinelles
de peur qu'une bande armée ne vînt le délivrer pendant la nuit et reprendre les bestiaux.
Le lendemain matin, 14 juin, l'expédition quitta Castelnau vers sept heures. Elle avança à la vitesse des animaux
qu'il fallut faire paître tout au long du trajet. Elle ne put donc pas rejoindre Pamiers le soir même et dut passer la
nuit à Saint-Jean de Verges qu'elle atteignit vers les neuf heures du soir. Les gens d'Esplas, de Castelnau et de
Sentenac les accompagnèrent tout au long du chemin par crainte d'être attaqués par les gens de Boussenac et de
Massat.
En ce 15 juin, le départ se fit à quatre heures du matin. Ils atteignirent enfin Pamiers en milieu de matinée où les
bestiaux furent parqués chez l'aubergiste Delpech dans un endroit réservé à cet effet. Le troupeau fut gardé par
un homme de la maréchaussée et cinq paysans. Le prisonnier qui n'avait pas encore voulu dire son nom, fut,
quant à lui, amené au palais de justice de la ville où furent également déposées les deux autres haches saisies.
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Dans l'après midi, Albenq et Joffres se rendirent devant noble Thomas Alexandre Lemercier du Chalonge, maître
des Eaux et Forêts afin de témoigner des faits passés.
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Dans la foulée, on détailla les frais inhérents à cette mission. Ceux de la maîtrise, de la maréchaussée, des consuls
(9 livres chacun) et des habitants qui prêtèrent main-forte (4 livres 10 sols chacun) furent donc payés en
conséquence. Le total de la note s'éleva à 539 livres.
Sans perdre de temps, une lettre du procureur du roi autorisa la mise en vente immédiate des bêtes saisies, ceci
afin d'éviter des frais supplémentaires. De cette vente seraient déduits les frais précédemment détaillés et autres
frais de vente. La vente serait faite paire par paire d'animaux, au plus offrant et dernier enchérisseur. La somme
restante serait remise au seigneur de Castelnau qui était à l'origine de l'expédition suite à la plainte qu'il avait
déposée auprès du maître des Eaux et Forêts.
La vente se déroula sur la place sise devant le palais de justice, lors de l'audience ordinaire qui fut tenue dans la
grand-salle du palais. Les paires d'animaux furent numérotées afin d'éviter tout litige. La première paire qui fut
vendue, était composée de deux vaches âgées d'environ trois ans, au poil gris. La première offre fut de 90 livres.
L'enchère finit à 140 livres après 13 propositions et fut adjugée à Jean Bop, métayer du chapitre cathédral de
Pamiers. Le deuxième lot partit à 75 livres.
Mais devant le temps que prenait la vente paire par paire, et vu le nombre important de bestiaux qu'il restait
encore à vendre, le procureur du roi décida d’aller plus vite, en vendant les bêtes restantes (au nombre de
quarante sept) en un seul et unique lot.
Les enchères débutèrent à 1000 livres et finirent à 1780 livres, somme proposée par un certain Guilhaume
Milhau, habitant du village des Allemans. Mais ce dernier se rétracta aussitôt et dut payer 30 livres d'amende
(différence entre sa folle enchère est-il dit et la précédente). Ce fut donc au sieur Surre, fournisseur du Mas d'Azil
que fut attribué le lot pour 1750 livres. Mais une fois de plus, l'acheteur se rétracta et dut payer 10 livres
d'amende. La fois suivante fut la bonne puisque le sieur Clauzel, négociant de Pamiers, put payer la somme de
1740 livres, soit 37 livres par animal.
Ainsi se termina cette vente qui rapporta la somme de 1955 livres dont plus de 1000 livres (somme énorme pour
l'époque) revinrent au baron de Castelnau.
Le 16 juin, notre prisonnier subit son premier interrogatoire. Ce jour-là, le coupable fut transféré de la prison en
la chambre du conseil du palais de justice.
Avant de débuter l'interrogatoire, Jean-Paulet prêta serment sur les Saints-Evangiles et promit de dire toute la
vérité.
Il déclina tout d'abord son identité et dit s'appeler Jean-Paulet del Vignas. Lors des faits, il avait avec lui pour
seule arme, une hache qu'il portait sur le bras gauche.
On lui demanda ce qu'il faisait là.
Il répondit qu'il possédait une cabane dans laquelle il y avait deux veaux à lui, âgés de trois et cinq jours dont il
s'occupait et ne pouvait donc, en même temps, surveiller le reste de ses bêtes qui broutaient alors sans
surveillance. Ce fut à ce moment là qu'il entendit la voix d'un jeune homme qu'il ne put reconnaitre à cause de la
brume. Ce dernier criait que l'on emmenait les vaches. Jean-Paulet fut alors inquiet car il gardait sept vaches
(dont trois génisses) qui appartenaient au sieur Piquemal, propriétaire de la métairie des Vignas. Ce fut la raison
pour laquelle il quitta la cabane en courant et qu'il se mit à la recherche des vaches. Il les chercha tout d'abord
vers le lieu appelé Sarraute, mais ne les y trouvant pas, il partit vers le Planol de la Finestro, où il fut alors arrêté.
Il avait alors laissé ses vaches sans gardien. Elles furent ensuite saisies par l'expédition qui refusa de les lui
rendre.
On lui demanda pourquoi il portait cette hache sur lui, si ce n'était pour agresser ceux de l'escorte.
Il répondit que cette hache lui servait comme pour tous les bergers du coin à couper les souches d'arbre qui
pouvaient meurtrir les pieds des bêtes, mais en aucun cas, dans le but d'agresser quelqu'un.
On lui demanda alors de préciser s'il opposait une résistance à son arrestation.
Il répondit que non, car il ne se sentait coupable d'aucun délit. Et, ceux de l'escorte ne le maltraitèrent pas.
On lui montra ensuite deux haches et il reconnut la sienne dans le lot ; puis on l'incita à donner les noms des
bergers qui gardaient, lors des faits, les bêtes qui broutaient dans ces lieux défendus.
Il rappela que depuis tout temps, il y avait un nombre très considérable de bêtes à grosses cornes qui
dépaissaient (broutaient) dans ces montagnes, à condition de payer trente sous par animal au baron de
Castelnau. Ces bêtes étaient gardées par des bergers qui surveillaient également celles du baron.
On lui demanda ensuite s'il était vrai que les bergers étaient dans l'usage de s'attrouper et de rébellionner contre
les préposés du baron lorsque ces derniers les empêchaient de faire paître leurs bêtes en délit ? Est-ce qu'il
participait lui-même à ces délits ?
Il répondit alors que non dans les deux cas.
Avait-il vu et reconnu les deux autres hommes qui s'enfuirent lorsqu'il fut fait prisonnier ?
Il répondit qu'il les vit mais ne les reconnut pas, d'autant plus qu'il fut tiré un coup de fusil en l'air par ceux de
l'escorte, ce qui l'effraya.
Etait-il vrai qu'il avait mis des feuillages et herbages dans les cloches des bêtes afin qu'elles puissent brouter plus
impunément ?
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Il dit que cinq de ses vaches portaient des cloches à leurs cous, mais qu'il ne mettait rien à l'intérieur, bien que
certains le fissent, mais il ne connaissait pas les bergers qui utilisaient cette pratique courante.
Exhorté à mieux dire la vérité, il dit ne rien ajouter ni retrancher à ses déclarations.
Ainsi se termina cet interrogatoire. Jean-Paulet fut ensuite remis en prison.
Ce même 16 juin, commencèrent les appels à témoigner des différentes personnes présentes lors des faits afin
d’entamer la procédure liée à la plainte du baron de Castelnau.
Ce même jour, les 14 témoins convoqués furent interrogés chacun à leur tour.
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Le premier fut Jean-Paul Lahotte, brigadier de la maréchaussée, habitant au Mas d'Azil, âgé de cinquante ans. On
lui lut le procès verbal qui fut consigné le 15 juin par les officiers des Eaux et Forêts, Albenq et Joffres. Il précisait
que les forêts qu'ils visitèrent étaient en mauvais état, notamment les hêtres qui étaient majoritaires aux Pradals
de Toulza, de Campels et de Finestro. Il précisa qu'ils auraient pu saisir davantage de bêtes si la brume n'avait
pas été aussi épaisse et si des pâtres n'avaient pas crié pour alerter ceux de Boussenac qui gardaient les vaches. Il
rapporta qu'un homme voulut par la suite lui porter un coup de hache et qu'il fut seulement touché en haut du
bras car il réussit à parer le coup avec le canon de son fusil, canon duquel partit une décharge. L'agresseur lui
porta ensuite un fort coup dans l'estomac et il répondit par un coup de canon de fusil sur la tête. La personne
s'en alla alors. Peu après, ils aperçurent un homme avec une hache sur le bras qui accourait dans leur direction et
qu'ils arrêtèrent. Il s'agissait de la personne qui fut arrêtée et menée dans les prisons de ce lieu.
Le second témoin fut François Vieu, cavalier de la maréchaussée, habitant également au Mas d'Azil, âgé de
cinquante trois ans. En fait, il précisa que lors de la saisie des bestiaux, il s'éloigna du gros de la troupe tant et si
bien qu'il se perdit et ne retrouva l'expédition qu'aux abords de Castelnau vers les dix heures du soir. Néanmoins,
il précisa que lors de son retour il aperçut plusieurs fois des vaches qui broutaient de jeunes pousses d'arbres.
Jean-Baptiste Servole fut le suivant. Il était également cavalier de la maréchaussée, habitant au Mas d'Azil et âgé
de trente sept ans. Il précisa que lorsque les pâtres se mirent à crier dans la brume, l'escorte eut peur qu'un
attroupement ne se formât, entrainant une rébellion de la part des gens de Boussenac. De plus, il ajouta que la
personne interpellée refusa de dire son nom.
Puis, ce fut au tour de Guilhaume Reig, lui aussi cavalier du Mas d'Azil. Il dit que celui qui refusa de dire son nom
était venu afin de réclamer une de ses vaches (qui avait été saisie), afin de faire téter les veaux qu'il avait dans sa
cabane. De plus, ce fut à ce moment là que deux coups de fusil furent tirés en l'air afin de disperser
l'attroupement et rébellion qui se formaient autour d'eux.
Le lendemain, 17 juin, se poursuivirent les auditions.
Raymond Eychenne, chapelier d'Esplas, âgé de 28 ans, avait fait partie des gens d'Esplas qui avaient accompagné
leur consul afin de prêter main-forte à l'expédition.
Une fois sur les lieux, l'expédition s'était divisée en peloton afin d'être plus efficace dans la recherche des
fraudeurs.
Son équipe alla vers les Quers (rochers) de Marty où ils saisirent vingt sept vaches qui broutaient au milieu des
hêtres et des chênes. Ils rencontrèrent un vacher qu'ils ne connaissaient pas, mais dont la tenue vestimentaire
était celle des gens de Massat. Armé d'une hache, il voulut empêcher la saisie. Mais un de l'équipe, le nommé
Saurat, après avoir reçu deux coups de hache (non du côté taillant mais du plat de l'outil), lui porta un coup sur la
tête avec le canon de son fusil. Il en partit alors un coup de feu (le fusil était armé de grenaille de fer) qui blessa le
vacher à la tête. Ce dernier tomba de frayeur et porta sa main sur sa tête. Ils notèrent qu'il ne coula pas de sang
et laissèrent le vacher sur place sans le faire prisonnier. Ils saisirent les vaches sans tarder à cause des cris qui
venaient de plus loin, de peur d'un attroupement.
Ils rejoignirent alors les autres de l'expédition au Planol de la Finestro où il y avait déjà des vaches saisies. Deux
hommes sur une crête se mirent à leur lancer des pierres. Après un coup de fusil tiré en l'air par un de la troupe,
les deux hommes s'enfuirent et on n'entendit plus les cris des bergers.
L'expédition put alors se retirer plus sereinement.
Le témoin suivant fut Jeannet Saurat, voiturier habitant de Tourné (paroisse de Castelnau), âgé de 21 ans.
Il déposa que sur l'ordre du sieur Capdeville, régisseur de la forge de Tourné, il en partit dans la nuit du douze au
treize juin, avec la brigade de la maréchaussée du Mas d'Azil, accompagné de Joseph Cusalès, l'un des consuls de
la communauté de Castelnau Durban et d’une vingtaine d'habitants de cette communauté.
Ils rejoignirent ensuite ceux de la Maîtrise des Eaux et Forêts, la brigade de la maréchaussée de Pamiers, les
consuls et habitants d'Esplas et de Sentenac et partirent alors ensemble, en formant plusieurs pelotons, vers les
forêts de la montagne de Péguère.
A un moment donné, son peloton rencontra trois hommes qui gardaient une trentaine de vaches.
Ces derniers purent justifier qu'ils n'étaient pas en délit car leurs bêtes broutaient dans un lieu où les arbres
avaient plus de six ans. C'était effectivement le cas, bien que les chênes en fussent bien peu élevés.
Laissant donc les trois bergers tranquilles, ils poursuivirent jusqu'aux Quers de Marty. Ils y trouvèrent alors les 27
vaches, pour lesquelles, le dernier témoin en avait déjà rapporté les faits. Il confirma les dires du précédent
témoin en précisant qu'il avait confisqué, en plus des vaches, la hache du berger. Il ajouta que les deux autres
hommes, qui étaient avec le berger, s'étaient enfuis mais l'un d'eux avait crié au berger, en langue du coin : "Eh !
Donne lui des coups de hache, nous y allons, nous y allons ! ".
Ce fut à ce moment que le peloton prit peur, craignant un attroupement. Il précisa que les cloches de certaines
des vaches saisies étaient remplies de feuilles de gentiane et autres végétaux.
Antoine Eychenne, charbonnier, habitant à Baleix, paroisse d'Esplas, témoigna à son tour.
Il rapporta qu'ils étaient une douzaine d'Esplas à se joindre à l'expédition, sur ordre de leur consul. Il faisait partie
de ceux qui saisirent les 24 vaches, dans le quartier de Sarraute situé au dessus de celui de la Finestro. Ils
réunirent alors leurs 24 vaches aux 27 autres au Planol de la Finestro et quittèrent les lieux.
Les interrogatoires se poursuivirent dans l'après midi.
Ce fut au tour de Jean Petit Maurette, brassier de Sentenac, âgé de vingt ans.
Il dit que sur ordre de leur consul, ils furent neuf habitants à se joindre à l'expédition. Il apporta une précision
importante quant au berger qui reçut le coup de fusil. Le coup de canon lui fut porté sur la tête, mais que le bout
du canon dépassait d'un pam (soit 22 centimètres environ) la tête du berger, précision qui permit de comprendre
que la décharge n'avait pas pu atteindre le berger qui tomba alors au sol à cause de la frayeur liée à la
détonation.
Le neuvième témoin, Pierre Olive de Saverdun, n'apporta rien de nouveau si ce ne fut qu'il confirma les
précédentes dépositions.
Ainsi se terminèrent ces premiers témoignages. Les suivants ne purent être entendus par manque de temps.
La suite des auditions fut donc reportée au 26 juin. Ils n'apportèrent que très peu d'éléments nouveaux.
Ils concordaient avec ce qui avait été précédemment rapporté.
Le premier témoin fut Pierre Bernard, maréchal des logis de la brigade de la maréchaussée de Pamiers, âgé de
soixante ans, puis Pierre Thomassin, Bernard Béderède, cavaliers de cette même brigade, confirmèrent que les
faits contenus dans le procès verbal des sieurs Albenq et Joffres étaient exacts.
Il fallut attendre le 10 juillet, pour continuer l'audition des 14 témoins.
Ce fut alors au tour de Guilhaume Joffres, l'un des deux rapporteurs du procès verbal qui s'en tint à ces
précédentes déclarations, tout comme le fit le lendemain, Pierre Albenq, second rapporteur du procès verbal.
Notre prisonnier était, quant à lui, toujours détenu dans les prisons de la Maîtrise des Eaux et Forêts de Pamiers.
L'enquête à son sujet avait quelque peu avancé suite à son interrogatoire qui s’était déroulé le 16 juin. Un mot
du 12 juillet, adressé au baron de Castelnau nous apprend que le prisonnier fut mis sous la contrainte de prise au
corps. Ceci interdisait donc au geôlier de pouvoir libérer le prisonnier, et ce, de façon encore plus contraignante.
Le 16 juillet, une somme de 12 livres fut allouée afin de pouvoir nourrir le prisonnier pendant un mois. Le 20
juillet eut lieu le second interrogatoire du prisonnier. Une fois de plus il fut transféré dans la salle du conseil. On y
apprit qu'il était âgé de 25 ans. Il rappela que sa première déclaration du 16 juin était l'exacte vérité et qu'il ne
comptait pas prendre de défenseur pour l'aider. Il n'ajouta rien de plus et dit s'en tenir donc à sa première
déclaration.
Le 31 juillet, Pierre Albenq et Guilhaume Joffres furent une dernière fois entendus afin de confirmer leur première
version des faits, ce qu'ils firent.
Le 8 août, le prisonnier porta plainte contre le baron de Bellissens, en rappelant les faits.
Pour lui, il n'avait commis aucun acte répréhensible et ne méritait donc pas un emprisonnement aussi long. Cela
faisait déjà un mois et demi qu'il était retenu prisonnier. Il rappela également que la communauté de Boussenac
était en procès contre le baron afin de maintenir leurs droits sur les montagnes de Péguère.
Au final, Jean-Paulet demanda la condamnation du baron et 1000 livres afin de le dédommager de l'injustice qu'il
subissait. Dans l'immédiat, il demanda à être libéré.
La réponse de la part du baron de Bellissens ne tarda pas, puisque deux jours plus tard, il déposa une nouvelle
plainte contre le prisonnier. Mais ce dernier donna un nouvel argument afin de condamner le coupable. En effet,
lors des deux interrogatoires qu'il avait subis, le prisonnier avait dit s'appeler Jean-Paulet del Vignas. Or, le baron
précisa qu'il s'appelait en fait Jean-Paulet Teychené, habitant du hameau de Madounet, dans la seigneurie de
Boussenac. Le baron l'accusa donc de vouloir dissimuler son identité afin que les condamnations ne pussent lui
être appliquées. En effet, ayant dissimulé son vrai nom et ayant demandé sa sortie de prison, le baron voyait là
une belle occasion pour le prisonnier qu'on ne le retrouvât jamais. Ce fut la raison pour laquelle, le baron
s'opposa à sa libération. Il insista davantage en précisant que la dissimulation d'identité était un crime capital.
Afin de démasquer le coupable, le baron demanda qu'il subît un nouvel interrogatoire et que des témoins
l'identifiassent. De plus, il demanda que de nouveaux chefs d'accusation lui fussent reprochés comme le crime de
faux avec parjure.
Le 13 août, une nouvelle lettre du baron insista sur les points décrits précédemment. Le 19 août, Jean-Paulet se
justifia au sujet de la soi-disant dissimulation d'identité. En fait, il précisa qu'il n'avait aucunement l'intention de
mentir. En effet, Jean-Paulet del Vignas était son appellation usuelle et tout le monde le connaissait sous ce nom.
Ce fut tout naturellement qu'il se désigna ainsi, ce qui se faisait dans la majorité des cas à l'époque. Combien
d'actes officiels en ce temps-là employaient couramment les sobriquets à la place des noms de famille! Il fut
quelque peu malhonnête de la part du baron d'utiliser l'argument de falsification d'identité, car il savait bien que
sous le nom de Jean-Paulet del Vignas, il aurait été facilement retrouvé par la maréchaussée.
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Le lendemain, le baron de Bellissens demanda que si la justice autorisait la libération provisoire du coupable, elle
le fit en lui demandant une caution.
Le procureur du roi ordonna dès le 21 août la libération du prévenu, sous la condition que ce dernier en payât
une caution suffisante, comme le baron l'avait demandé. Cet ordre fut confirmé le 31 août.
Le 27 septembre de la même année, eut lieu le procès qui condamna Jean-Paulet. La peine fut importante. Il fut
condamné à payer 990 livres d'amende, à savoir 980 livres à raison de 20 livres par vache (soit 49) plus 10 livres
pour une génisse et un veau. Le coupable fut maintenu en prison, jusqu'au payement total de son amende. A
cette première somme, il fut également condamné à payer la même somme pour dédommager le baron. Ainsi
trancha le procureur du roi.
On peut considérer, au vu des preuves en notre possession, que la sentence fut totalement arbitraire, car il est
bien évident que Jean-Paulet n'était pas le propriétaire de tous les animaux, voire d'aucun puisqu'il n'était que
fermier. De plus, le nombre de personnes qui gardaient des troupeaux au moment des faits était important
puisqu'on entendit plusieurs voix s'élever dans la montagne de Péguère. Ce fut à cause de la brume épaisse que
l'expédition prit peur et ne put attraper d'autres coupables.
Il semble donc bien évident que Jean-Paulet avait payé pour tous les autres. On peut estimer que son procès ne
fut pas équitable d'autant plus que les sommes demandées étaient considérables pour le pauvre Jean-Paulet qui
n'était propriétaire d'aucun cheptel.
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Les textes retrouvés ne permettent pas de dire si Jean-Paulet fit appel de la sentence auprès de la Table de
Marbre du tribunal de Toulouse ou s'il put sortir de la prison et recouvrer enfin la liberté.
Philippe Cabau de Faouroune

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