Approche comparée des avenants aux DSP et aux MP
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Approche comparée des avenants aux DSP et aux MP
Sous-rubrique Dossier Approche comparée des avenants aux DSP et aux MP ■ Pendant de nombreuses années, les régimes des avenants aux marchés publics et aux délégations de service public reposaient sur des règles identiques faisant peu de cas de la nature juridique des contrats. ■ Mais, sous l’influence du Conseil d’État, les juridictions administratives s’engagent aujourd’hui dans un processus de dissociation de ces régimes afin d’accorder davantage de souplesse aux parties pour adapter les conventions de délégation. Auteur Hervé Letellier, Avocat associé, SELARL Symchowicz-Weissberg Mots clés Avenant • Marché public • Délégation de service public • Régime • Distinction • Objet du contrat • Durée du contrat • Modification substantielle • Réalité technique et économique • Montant initial du contrat P rocéder à l’analyse comparée du régime des avenants aux délégations de service public et aux marchés publics, de surcroît en procédant à un bilan de la jurisprudence récente, présente une double difficulté. La première est liée à la circonscription évidente du champ de l’étude. Dès lors que la réglementation ne soumet les avenants à aucun régime spécifique d’exécution – ceux-ci étant évidemment régis par les mêmes principes que ceux applicables à la convention à laquelle ils se greffent – et que, par ailleurs, les conditions matérielles de leur conclusion ne diffèrent guère en fonction de la nature du montage contractuel, l’essentiel de la problématique va se concentrer autour d’un point crucial : à quelles conditions un avenant pourra-t-il être régulièrement conclu sans mise en concurrence, sans être considéré comme un nouveau contrat ? Ce qui renvoie inévitablement à une autre interrogation : dans quelle mesure les possibilités offertes aux parties d’adapter leurs conventions pourraient varier selon qu’est en cause un marché public ou une délégation de service public ? Et, c’est ici qu’apparaît la seconde difficulté. En effet, si certains principes théoriques ont certes été dégagés, l’étude comparée du régime de passation des avenants constitue une tâche quelque peu délicate dans la mesure où la jurisprudence, à un moment prolixe, s’est quelque peu tarie, en particulier à propos des conditions d’adaptation des délégations de service public. Difficile donc de comparer et de mettre en perspective lorsque les juridictions administratives n’ont guère eu le soin, à notre connaissance, d’expliciter véritablement les éléments distinctifs dessinés, d’ailleurs implicitement, par le Conseil d’État dans son avis du 19 avril 2005 sur les avenants aux conventions de remontées mécaniques(1). Quoi qu’il en soit, certaines lignes directrices semblent pouvoir être dégagées en raison de la volonté affirmée par la Haute assemblée d’exclure désormais toute transposition mécanique des règles applicables aux marchés publics aux délégations de service public (I). Mais, il faut bien l’admettre, la portée véritable (1) CE 19 avril 2005, avis n° 371.234 de la Section des travaux publics, Rapport public 2006, p. 197, BJCP 2006/45, p. 105, obs. R. Schwartz et P. Terneyre. Contrats Publics – n° 105 – décembre 2010 1 Dossier Sous-rubrique de cette libéralisation reste relativement floue et ne devrait finalement présenter d’intérêt que parce qu’elle se traduit par un abandon de l’approche purement quantitative aujourd’hui appliquée aux marchés publics (II). I. Dissociation progressive des régimes applicables aux avenants aux DSP et aux MP La distinction entre les régimes des avenants applicables aux marchés publics et aux délégations de service public n’a été conceptualisée que très récemment (B), l’œuvre du juge administratif ayant consisté, pendant très longtemps, à calquer les secondes sur les règles écrites des premiers (A). A) La transposition initiale des dispositions du code des marchés publics aux délégations de service public 2 Historiquement, et ce constat est toujours d’actualité, seuls les marchés publics ont fait l’objet d’un encadrement textuel restreignant de manière générale, au nom des principes de transparence et de libre accès à la commande publique, les possibilités d’aménagements contractuels. Cette restriction est, en l’état de la réglementation, retranscrite à l’article 20 du code des marchés publics selon lequel « sauf sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties, un avenant ou une décision de poursuivre ne peut bouleverser l’économie du marché ou de l’accord-cadre, ni en changer l’objet ». Les juridictions administratives, pour apprécier la régularité d’un avenant à un marché public, procèdent ainsi, de manière traditionnelle et récurrente, à un double contrôle, qualitatif (l’avenant impacte-t-il l’objet du contrat en incorporant des prestations dissociables ?)(2) puis quantitatif (l’avenant bouleverse-t-il, d’un point de vue financier, l’économie du marché ?)(3), les deux le plus souvent marqués, du moins jusqu’à l’assouplissement admis à propos de l’extension du périmètre de l’opération Velib(4), par une interprétation rigoureuse privilégiant le principe de mise en concurrence sur celui d’adaptabilité. L’objectif recherché consiste à éviter la conclusion de contrats – qui, par leurs caractéristiques, constitueraient de nouveaux marchés – en dehors de toute procédure de dévolution et donc au détriment de candidats potentiels. Mais, autant le débat n’a guère existé s’agissant des conditions d’adaptation d’un marché public, puisque les textes étaient aussi explicites que la jurisprudence (à de rares exceptions) homogène, autant la question s’est posée de savoir selon quelles modalités et à quelles conditions pouvaient être modifiées les délégations de service public. En effet, si le principe traditionnel était celui de la liberté de conclure des avenants(5), l’encadrement progressif de la passation des délégations de service public a rendu nécessaire d’en circonscrire l’usage sous peine de contourner in fine les règles de mise en concurrence(6). Faute (2) Cf. en ce sens CE, 30 janvier 1995, Société Viafrance Société Sparfel, req. n° 151.099 ; CE 28 juillet 1995, Préfet région Ile-de-France c/ Société de gérance Jeanne-d’Arc, req. n° 143438. (3) Cf. CE 8 mars 1996, Commune de Petit-Bourg, req. n° 165075 ; CAA Paris 21 septembre 2004, Préfet du Val-d’Oise, req. n° 00PA00172). (4) CE, 11 juillet 2008, Ville de Paris, req. n° 312354. (5) En ce sens É. Fatôme, Les avenants, AJDA 1998, p. 760 et s. (6)N. Symchowicz, La notion de délégation de service public, AJDA, 1998, p. 205. d’encadrement législatif(7), le juge a dû alors faire preuve de pragmatisme en identifiant lui-même les limites. Et, sous l’influence de nombreux rapporteurs publics(8), les juridictions administratives ont alors opté pour une transposition sans nuance et quasi mécanique du régime applicable aux marchés publics. La légalité des avenants aux délégations de service public se trouvait donc également conditionnée, et avec la même rigueur, par le maintien de l’objet du contrat et par l’absence de bouleversement de son économie(9). C’est sur ces bases qu’ont notamment été sanctionnés des avenants substituant la construction d’un parking souterrain par la réalisation de deux parcs de surface et modifiant la durée et les conditions financières d’exécution(10), aménageant la dimension et les capacités d’accueil d’un centre des congrès de près de 25 %(11), prolongeant de douze ans une délégation afin de permettre au délégataire du chauffage urbain de construire une unité de cogénération complétant les installations existantes(12), bouleversant l’équilibre économique d’un contrat d’exploitation d’un réseau de chauffage urbain(13) ou envisageant encore de greffer la réalisation d’une nouvelle section d’autoroute non rentable à une section rentable, déjà exploitée par un concessionnaire(14). Pendant plus d’une décennie (1993 - 2005), l’analyse comparée des régimes applicables aux avenants aux marchés publics et aux délégations de service public permettait ainsi, si l’on met de coté les dispositions spécifiques de l’article L. 1411-2 du CGCT, de constater une similitude quasi parfaite et l’absence d’impact de la nature du contrat sur la latitude offerte aux parties pour adapter leurs conventions. B) L’autonomie récemment affirmée du régime des avenants aux délégations de service public Ce constat est aujourd’hui, au moins d’un point de vue théorique, largement remis en cause. Constatant que cette transposition mécanique s’avérait en définitive peu pertinente (puisque l’on venait appliquer à des contrats de longue durée, reposant sur un équilibre économique (7) A l’exception toutefois des dispositions spécifiques de l’article L. 1411-2 du CGCT encadrant les avenants modifiant la durée des délégations et ne les autorisant que « lorsque le délégataire est contraint, pour la bonne exécution du service public ou l’extension de son champ géographique et à la demande du délégant, de réaliser des investissements matériels non prévus au contrat initial, de nature à modifier l’économie générale de la délégation et qui ne pourraient être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une augmentation de prix manifestement excessive ». Notons également l’article 8 de la loi n° 95-127 du 8 février 1995 prévoyant que, au-delà d’un certain seuil, tout projet d’avenant soit obligatoirement soumis pour avis à la commission de délégation de service public. (8) Cf. par exemple concl. Besle, sous CAA Lyon, 8 février 2005, Commune d’Auxerre c/ Sté Lyonnaise des eaux, req. n° 99LY00655, BJCP, n° 40, p. 222 ; cf. également, dans le même sens, concl. Rey sous CAA Bordeaux, 27 avril 2004, Ville de Toulouse, req. n° 00-1587, BJCP, n° 36, p. 392. (9) Cf. TA Toulouse, 13 avril2000, Jacques Levy c/ Cne Toulouse, BJCP 12/2000, p. 340 ; TA Grenoble 7 août 1998, Beto, req. n° 962133, BJCP n° 2, p. 181 et s., concl. C. Crau ; TA Lille 2 juillet 1998, Préfet du Nord, req. n° 98640, BJCP n° 1, p. 72 et s., concl. T. Célérier. (10) CAA Marseille, 22 janvier 2001, Préfet Corse du Sud, req. n° 98MA00196. (11) CAA Bordeaux, 27 avril 2004, Ville de Toulouse, req. n° 00-1587, BJCP, n° 36, p. 392 confirmant TA Toulouse, 13 avril 2000, Jacques Levy c/ Cne Toulouse précité. (12) CE, 29 décembre 2004, Commune de Fontenay-sous-bois et société Soccram, req. n° 239681, confirmant CAA Paris, 3 juillet 2001, req. n° 99PA03841, Contrats et marchés publ., janvier 2002, p. 30, note Delacour. (13) CAA Versailles, 3 mars 2005, Communauté d’agglomération de Cergy Pontoise, req. n°03VE04736 (14) CE, avis 16 septembre 1999, n° 362.908, BJCP, n° 10, p. 199, note Schwartz. Contrats Publics – n° 105– décembre 2010 Sous-rubrique Dossier spécifique, des règles mises en œuvre pour des contrats de nature différente, de courte durée, sans investissements nécessairement lourds et sans risque d’exploitation), le Conseil d’État a souhaité libéraliser le régime des avenants aux délégations de service public et faire primer (dans une certaine mesure) la règle de la mutabilité des services publics (et donc des conventions supports) sur celle de la mise en concurrence. Ce changement de perspective a été formalisé par l’avis précité du 19 avril 2005, aux termes duquel : « a) un avenant dont celui qui prolongerait une convention de délégation de service public ne peut pas modifier l’objet de la délégation (…) b) un avenant ne peut pas modifier substantiellement l’un des éléments essentiels de la délégation, tels que sa durée ou le volume des investissements à la charge du délégataire »(15) puis conforté, au contentieux, par certaines juridictions du fond affirmant que « la légalité d’un avenant à une délégation de service public doit s’apprécier uniquement au regard de l’absence de modification d’un élément substantiel de la délégation et non du bouleversement de son économie »(16) ou sanctionnant un avenant à un contrat d’affermage au motif qu’il entrainait la suppression « d’un élément substantiel » de la convention initiale(17). Ce faisant, si l’avenant aux délégations de service public ne peut (toujours pas) modifier, ni l’objet du contrat, ni trop fondamentalement son contenu, l’objectif affiché (et donc imposé) est d’élargir les possibilités d’adaptation de ce type de convention, ainsi que le rappelait d’ailleurs le président de la 7e sous section du contentieux, faisant état de ce que « de fait, pour des contrats conclus pour vingt, trente, voire soixante-cinq ans, les modifications sont inéluctables en cours d’exécution. Àpérimètre de délégation inchangé, il faut prévoir au fil du temps de nouveaux investissements s’intégrant à l’ouvrage principal : par exemple, au fil des années, de nouveaux branchements et voies d’accès sont intégrés à des autoroutes existantes, sans avoir été prévus, mais rendus nécessaires par l’évolution du trafic »(18). Cette idée d’assouplissement des règles applicables aux avenants aux délégations du service public, au nom notamment des réalités techniques et économiques, est du reste reprise au niveau communautaire. Ainsi les conclusions récentes de l’avocat général Bot sous la décision Wall AG(19) le révèlent : « au stade de l’exécution du contrat, il est nécessaire de concilier l’obligation de transparence avec l’intérêt du service public, qui exige, dans certaines circonstances, d’adapter et de modifier le contrat. Comme nous l’avons indiqué, le concessionnaire prend en charge l’organisation du service ainsi que les risques d’exploitation y afférents. Compte tenu du caractère complexe et à long terme de la concession de services, le concessionnaire doit disposer de la marge de manœuvre suffisante pour s’adapter aux conditions du marché et aux changements qui peuvent intervenir dans l’environnement économique, technique ou juridique de la concession. Les contraintes imprévisibles et les incidents d’exécution qui sont inévitables dans les investissements de longue durée requièrent donc des parties une flexibilité particulière et un esprit de coopération. Les causes de renégociation des contrats sont donc multiples ». (15) Cf. CE avis section des finances, n° 364803 du 8 juin 2000. (16) CAA Paris 17 avril 2007, Sté Keolis, req. n° 06PA02278 (17) CAA Marseille, 17 mai 2010, Ville de Cannes, req. n° 08MA00148. (18) cf. R. Schwartz, BJCP, n° 45, p. 109, précité. (19) Concl prononcées le 27 octobre 2009 dans l’affaire C- 91/08 Wall AG. Contrats Publics – n° 105 – décembre 2010 Depuis 2005, la logique intellectuelle est donc fondamentalement inversée puisque la Haute assemblée (suivie par certaines juridictions du fond) impose désormais d’apprécier libéralement les conditions de recours aux avenants aux délégations de services public. Le constat est donc clair, et pour tout dire difficilement discutable : ce qui doit être considéré aujourd’hui comme régulier en matière de marchés publics doit évidemment l’être en matière de délégations de service public. Et, plus encore, les juridictions administratives sont désormais invitées à considérer comme légaux certains avenants aux délégations qu’elles auraient pu hier, par transposition des dispositions de l’article 20 du code des marchés publics, regarder comme constitutifs de nouveaux contrats. II. Portée de la libéralisation du régime des avenants aux DSP et critères de distinction avec les avenants aux marchés publics Une fois appréhendée cette nécessité de distinguer les modalités d’analyse selon la nature juridique du contrat, reste à s’interroger sur l’impact réel de cette libéralisation et sur la différence susceptible d’exister entre les deux régimes ; tâche rendue quelque peu délicate par l’absence de recul jurisprudentiel. En effet, si le juge administratif a pu venir récemment confirmer ces règles traditionnelles d’analyse en matière de marchés publics (appréhendées il est vrai avec plus ou moins de souplesse selon les cas)(20), les décisions intervenues en matière d’avenants aux délégations de service public (hors application de l’article L. 1411-2 du CGCT) se limitent à la portion congrue(21). Certaines lignes directrices peuvent toutefois être identifiées, l’approche libérale prônée par le Conseil d’État ayant sans doute vocation à distinguer le régime des délégations des marchés plutôt sur l’aspect quantificatif (évolution financière) que sur l’aspect qualitatif (objet du contrat). A) Les facteurs d’unicité entre régimes des avenants aux marchés publics et aux délégations de service public Sur ce point, nous pouvons formuler deux observations. La première est afférente à la portée conceptuelle de la volonté manifestée par le Conseil d’État de réserver un sort particulier aux avenants aux délégations de service public au regard notamment de la multitude des conventions susceptibles d’être concernées (concession, affermage, courte ou longue durée…). En effet, si le Conseil d’État est venu assouplir les mécanismes d’évolution des conventions existantes, cette « libéralisation » visait avant tout, et quasi essentiellement, à permettre aux contrats de très longue durée de s’adapter, sans remise en concurrence, à l’évolution de l’environnement technique et économique qui ne pouvait être appréhendée par les parties au moment de leurs engagements. De ce fait, si l’avis de 2005 (20) Cf. par exemple CE, 11 juillet 2008, Ville de Paris, req. n° 312354 ; CAA Nantes, 30 décembre 2009, SAS Seche Eco Services, req. n° 09NT00763. (21) Certaines allant même à l’encontre de l’évolution jurisprudentielle et continuant à apprécier la régularité d’un avenant à une délégation, en l’occurrence de stationnement, au regard du bouleversement de « l’économie du contrat initial » (TA Pau, 22 novembre 2007, Ass. de défense des usagers de stationnement dans Biarritz et autres, req. n° 0500920). 3 Dossier Sous-rubrique évoque, de manière générale et sans distinction, toutes les délégations de service public, l’interprétation souple proposée pourrait alors ne valoir que pour les délégations de longue durée, en l’occurrence pour les contrats de concession s’accompagnant d’investissements lourds. Il y aurait donc, potentiellement, une distinction à faire entre, d’une part, les délégations de courte durée, au fond quasiment assimilables à des marchés publics (hormis le mécanisme financier), qui pourraient ne pas pouvoir faire l’objet d’une interprétation beaucoup plus souple que celle applicable aux marchés publics et, d’autre part, les délégations de plus longue durée (huit ans, dix ans, quinze ans…) qui devraient être plus facilement adaptées. En d’autres termes, plus la convention sera longue et spécifique, plus l’argument tenant à la non-transposition des mécanismes marchés publics paraitra pertinent, même si la spécificité du financement de la délégation et sa gestion aux risques et périls devrait permettre à un délégataire, plus encore qu’un simple titulaire de marché, de faire évoluer raisonnablement son cadre contractuel. 4 Le second point de rapprochement entre régimes des marchés publics et des délégations de service public a trait à la nécessité, aujourd’hui comme hier, que l’avenant considéré ne modifie pas, dans les deux cas, l’objet du contrat. La préservation du périmètre contractuel, via une non-modification de l’objet du marché, constitue la première des conditions imposées par l’article 20 du code des marchés publics. Sont donc irréguliers les avenants introduisant des missions distinctes et dissociables des prestations initialement prévues au marché(22), étant précisé que pour procéder à l’analyse du caractère dissociable de l’objet de l’avenant les juges ont tendance, non pas à prendre en compte le critère (souple) dit de la fongibilité(23) faisant la part belle à l’intention des parties en recherchant si la modification apportée serait de nature à permettre l’accomplissement du but recherché par la convention initiale(24), mais à retenir une lecture formaliste interprétant à la lettre la modification du périmètre contractuel. Un tel procédé conduit évidemment, le plus souvent, à sanctionner la modification réalisée dès lors que l’avenant ne se borne pas à exécuter l’objet du contrat, dans les conditions initialement – et définitivement – arrêtées. A cet égard, peut-on notamment évoquer un jugement du tribunal administratif de Lille sanctionnant l’avenant à un marché de construction et de réhabilitation de groupes scolaires visant à la réalisation supplémentaire d’une unité de restauration s’insérant dans le même périmètre géographique que la prestation initiale ou encore un arrêt du Conseil d’État considérant comme (22) CE, 30 janvier 1995, Société Viafrance Société Sparfel, req. n° 151.099 sanctionnant le recours à un avenant ajoutant des prestations qui « étaient dissociables des travaux prévus par le marché initial et auraient donc dû donner lieu à la passation d’un marché distinct ». cf. également C. Bergeal, concl. sur l’arrêt Préfet du Puy-de-Dôme, req. n° 173025, BJDCP n°1, novembre 1998, p. 36. (23) Cf. en ce sens, par exemple A. Ghozi, La modification de l’obligation par la volonté des parties, LGDJ, 1980, n° 113 évoqué in L. Richer, Droit des contrats administratifs, 5e édition, p. 284, n° 345. (24) Cf. toutefois TA Saint-Denis de la Réunion, 23 juillet 2004, Préfet de la réunion c/ Communauté d’agglomération du Territoire de la Côte Ouest, req. n° 0301874 jugeant que le remplacement de certains bacs d’enlèvement d’ordures ménagères par d’autres conteneurs destinés à un autre type de collecte et portant sur un périmètre légèrement différent était régulier dès lors qu’il s’intégrait « dans le cadre général du contrat initial » ; CE, 11 juillet 2008, Ville de Paris, req. n° 312354 précité considérant qu’en « raison de l’identité de nature entre la prestation prévue par le marché initial et la prestation supplémentaire ainsi proposée aux usagers du système parisien Vélib’, de la portée limitée de ce complément, et dès lors qu’il ne s’agit que d’une extension réduite du service public parisien de vélos en libre service » n’était pas en cause une modification de l’objet du contrat ». dissociables des travaux complémentaires aux prestations de réfection des routes limitativement prévues au marché résultant pourtant de dommages imprévisibles provoqués par les concessionnaires du domaine public(25). Théoriquement, cette interprétation jurisprudentielle (plus ou moins souple) devrait donc être transposée aux délégations de service public dès lors que la nécessité de préserver le périmètre contractuel a été rappelée par le Conseil d’État dans son avis du 19 avril 2005, qui précise qu’au-delà de la non modification substantielle d’un élément essentiel de la convention, un avenant « ne peut pas modifier l’objet de la délégation ». Il en conclut d’ailleurs qu’il « n’est donc pas possible de recourir à un avenant pour mettre à la charge du délégataire la réalisation d’investissements conduisant à la réalisation d’un ouvrage dissociable des ouvrages déjà construits, en raison de sa dimension, de son coût et de son autonomie fonctionnelle »(26). On peut toutefois espérer, dans la mouvance de la décision Ville de Paris précitée et dans la mesure où l’avis de 2005 n’a pas souhaité durcir les conditions d’adoption des avenants aux délégations de service public, qu’au travers des notions de maintien de l’objet du contrat et de non réalisation de prestations dissociables, le Conseil d’État ait souhaité renvoyer, non pas nécessairement au concept (rigide) de dissociabilité souvent identifié en matière de marchés publics, mais à l’idée selon laquelle la convention, si elle peut être adaptée, ne doit pas aboutir à un changement significatif des prestations identifiées dans le contrat. Il peut d’ailleurs, à cet égard, être relevé que l’avis du 19 avril 2005 semble retenir des critères d’appréciation de la dissociabilité des prestations plus larges que l’interprétation qui en est faite par les magistrats en matière de marchés publics puisque, pour qu’un ouvrage soit considéré comme distinct, encore faudrait-il, pour reprendre les termes utilisés, que cela puisse être révélé par sa « dimension », son « coût » et son « autonomie fonctionnelle ». Cela laisse entendre qu’il ne suffirait pas que, matériellement, la prestation ne soit pas prévue initialement, mais aussi qu’elle implique des répercussions techniques et contractuelles conséquentes. D’ailleurs, on peut souligner que si le Conseil d’État précise, dans son avis, que la convention d’exploitation de remontées mécaniques ne peut se voir greffer des investissements distincts liés à l’enneigement des pistes, ce n’est, semble-t-il, que dans la mesure où le contrat initial « portait exclusivement sur des installations de remontées mécaniques » et, puisque le Conseil d’État apporte cette précision (avec le terme « et » induisant un caractère cumulatif des exigences), parce que ces investissements présentaient « un coût substantiel ». En outre, de manière plus décisive, une telle interprétation extensive aurait pour principal intérêt de prendre en compte la spécificité de la délégation de service public, laquelle – en induisant un transfert total de gestion, parfois pour une très longue durée (à charge pour le délégataire d’atteindre la performance attendue) – semble s’opposer à ce (25) CE, 13 mars 1998, Département du Pas-de-Calais, req. n° 167764, RDI 1998; cf. sur ce point la vision critique de JM Peyrical, Les avenants aux marchés publics, 3e édition, p. 96. (26) Pour prendre l’exemple des remontées mécaniques objet dudit avis, cette intangibilité de l’objet du contrat interdit, « si le contrat initial portait exclusivement sur des installations de remontées mécaniques », la conclusion d’un avenant mettant « à la charge du délégataire des investissements différents, tels ceux qui permettent d’assurer l’enneigement des pistes, et d’un coût substantiel ». Alors que les prestations semblaient finalement étroitement liées, le Conseil d’État refuse donc d’y voir là une finalité (et donc un objet) identique. Contrats Publics – n° 105– décembre 2010 Sous-rubrique Dossier que l’objet du contrat soit totalement intangible et autoriser, dans la limite du raisonnable, qu’une évolution puisse avoir lieu afin de pouvoir adapter la convention au contexte technico-économique ambiant(27). B) Le vecteur principal de démarcation : l’abandon de l’approche purement quantitative. Mais, quoi qu’il en soit, c’est au regard du critère quantitatif que le régime des avenants aux délégations de service public se distingue désormais clairement de celui afférent aux avenants au marché public. En effet, alors que traditionnellement l’appréciation de la régularité d’un avenant à un marché public doit s’apprécier, dans un second temps, en fonction de l’impact économique des modifications envisagées – ce qui suppose, si l’on synthétise la jurisprudence – que l’avenant ne dépasse pas une fourchette de 10 % à 15 %(28) du montant initial du contrat(29), le recours désormais imposé, en matière de délégation de service public, à la notion de modification substantielle des éléments essentiels de la convention (avis de 2005)(30) permet d’opérer une déconnexion avec la notion – réductrice – de bouleversement de l’économie du contrat donnant (presque) le dernier mot aux chiffres. L’analyse de la régularité d’un avenant à une délégation de service public, à la différence de ceux des marchés publics, doit donc désormais se faire, globalement, en appréhendant si les éléments piliers du contrat, au cœur de l’engagement du délégataire, se trouvent modifiés de manière trop importante, c’est à dire en fonction d’une perception qualitative tenant compte de l’importance des clauses pour les parties(31). Certes, on peut en revenir là à une appréciation qui restera pour partie arithmétique – de sorte que la notion de bouleversement de l’économie générale du contrat ne devrait pas être nécessairement éloignée, d’un point de vue économique, de la modification substantielle –, mais cela suppose que ce qui était déjà considéré comme régulier au titre d’un bouleversement, le soit tout autant aujourd’hui, et même plus, au titre d’une supposée modification substantielle d’un élément essentiel du contrat. En bref, le juge devra identifier, non plus tant l’impact financier, mais, au regard de l’ensemble des composantes du contrat et du contexte du dossier, l’existence ou non d’un aménagement des (27) Cf. en ce sens P. Limouzin-Lamothe, Les avenants : observations complémentaires, AJDA 1998, p. 767, cf. également L. Richer, Droit des contrats administratifs, précité, p. 234 ; impl. L. Vidal, L’équilibre financier du contrat dans la jurisprudence administrative, Bruylant, 2005, p. 680. (28) Pour un exemple récent de censure pour une modification à hauteur de 12,8 % du montant initial : CAA Nantes, 30 décembre 2009, SAS Seche Eco Services, req. n° 09NT00763. (29) Cf. Christophe Guettier, Droit des contrats administratifs, PUF, 2004, p. 375 ; Denis Piveteau, concl. sur CE 30 juillet 2003, Commune de Lens, BJCP 2003/31, p. 462 : « pour que la jurisprudence permette l’hésitation, il faut en pratique que l’augmentation ne dépasse pas 10 à 20 % ». (30) Notons toutefois sur ce point que la décision précitée CAA Paris, 17 avril 2007, Sté Kéolis, req. n° 06PA02278 énonce elle « que la légalité d’un avenant à une délégation de service public doit s’apprécier uniquement au regard de l’absence de modification d’un élément substantiel de la délégation et non du bouleversement de son économie » et laisse ainsi entendre que la régularité de l’avenant pourrait être appréciée au regard, non pas nécessairement de la modification substantielle d’un élément essentiel, mais de la modification – qui pourrait donc être substantielle ou non – d’un élément substantiel du contrat. A suivre cette lecture, l’avenant pourrait ainsi se trouver fragilisé dès que les éléments fondamentaux du contrat se trouveraient touchés, interprétation semblant plus restrictive que celle du Conseil d’État. (31) N. Symchowicz, P. Proot, L’avis du 19 avril 2005 : d’utiles précisions sur le contenu et le régime d’exécution des conventions de délégations de service public, AJDA, 2006, p. 1371 ; H. Hoepffner, Le régime des modifications conventionnelles de délégation de service public, à propos de l’avis du Conseil d’État du 19 avril 2005, Contrats et marchés publics, décembre 2006, p. 6. Contrats Publics – n° 105 – décembre 2010 conditions d’exécution telles que la nature du contrat pourrait s’en trouver affectée ou que les données de la mise en concurrence s’en trouveraient significativement modifiées. C’est en tout cas ce qui semble résulter du peu de décisions rendues en la matière puisque, dans l’affaire Keolis précitée(32), la cour administrative d’appel de Paris a sanctionné l’avenant au motif que celui-ci, situation pour le moins irrégulière, modifiait « de manière importante le risque d’exploitation » du délégataire via la mise en place d’un nouveau mécanisme d’indexation des coûts, de compensations tarifaires nouvelles et de la diminution des hypothèses de fréquentation, le tout moins de deux ans après la conclusion de la convention initiale. Quant à la décision « Ville de Cannes » de la Cour administrative de Marseille(33), celle-ci sanctionne l’avenant à une convention d’affermage dans la mesure où celui-ci supprimait la redevance d’occupation et d’utilisation de la cuisine centrale à des fins propres au délégataire (afin de conclure une convention distincte d’occupation du domaine public) alors même qu’il s’agissait de conditions qui avaient été prises en compte pour l’attribution de la délégation. Sur ce point, la jurisprudence nationale semble d’ailleurs s’harmoniser quelque peu avec la position (sans doute toutefois un peu plus rigide) de la CJUE, celle-ci venant de juger, dans la mouvance de sa décision Pressetext(34) que : la modification apportée « aux dispositions essentielles » d’un contrat peut, dans certaines hypothèses, appeler l’attribution d’un nouveau contrat lorsqu’elle « introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure d’attribution initiale, auraient permis l’admission de soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou auraient permis de retenir une offre autre que celle initialement retenue »(35). 5 Conclusion Il apparaît qu’à un régime unifié réglementant la conclusion des avenants aux délégations de service public et aux marchés publics, s’est progressivement substitué un certain dualisme entre : - d’une part, les règles applicables aux avenants aux marchés, identiques depuis plusieurs années et marquées, en dépit de certains évolutions jurisprudentielles, par une rigidité évidente; -et d’autre part, les principes applicables aux délégations de service public qui, désormais, font la part belle à une approche plus globalisante et subjective des modifications apportées. Le tout afin de permettre au juge administratif d’apprécier au cas par cas – sans être enfermé dans un carcan mathématique trop rigide et en prenant en considération l’impact de la modification sur la convention, sur les données au cœur de l’engagement des parties ou encore sur la mise en concurrence – la régularité des aménagements envisagés à une délégation de service public.n (32) CAA Paris, 17 avril 2007, Sté Kéolis, req. n° 06PA02278. (33) CAA Marseille, 17 mai 2010, Ville de Cannes, req. n° 08MA00148. (34) CJCE, 19 juin 2008, aff. C-454/06. (35) CJUE, 13 avril 2010, Wall AG, Aff. C- 91/08. Dossier Sous-rubrique 6 Contrats Publics – n° 105– décembre 2010