Zoo de Vincennes - Tribune de Laurent LAFON parue dans Le
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Zoo de Vincennes - Tribune de Laurent LAFON parue dans Le
Tribune de Laurent LAFON parue dans Le Monde du 19 septembre 2004 Triste actualité pour le bois de Vincennes en ces Journées du patrimoine ! Peut-on parler de surprise ? Certes non : on ne compte plus les rapports, études et mises en garde pour attirer l'attention du propriétaire - l'Etat - sur le délabrement du zoo. Le ministère de l'éducation nationale vient de promettre au Muséum national d'histoire naturelle, dont dépend le parc zoologique, 0,5 million d'euros pour des travaux d'urgence, quand on chiffre à 60 millions la rénovation totale, indispensable à la pérennité du site. Comment a-t-on pu en arriver là ? Quel mal secret ronge l'action publique pour voir notre patrimoine national faire les frais de cette incurie ? Assurément, il y a une propension française à laisser les édifices à l'abandon pour les restaurer ensuite ; l'on s'exalte plus lorsqu'il y a beaucoup à faire que dans le soin quotidien, et l'on préfère les habits du sauveur à ceux de l'intendant fidèle. Ici comme ailleurs, l'Etat montre le mauvais exemple. Le manque d'intérêt endémique pour l'entretien du patrimoine ne saurait seul expliquer le mal actuel. Le problème réside aussi dans la logique rétive des considérations budgétaires. Car les crédits d'entretien, à la différence des travaux neufs, s'inscrivent en fonctionnement. Ils ont dès lors ce vice impardonnable pour les finances d'être des dotations que l'on "risque" de dépenser. Aussi Bercy leur préfère de loin une autorisation de programme, régulable à volonté ! Un cadeau de 500 000 euros fera-t-il oublier que, dès 1999, l'Etat s'est engagé à réaliser des travaux dans ce zoo, et que, depuis 2000, chaque loi de finances autorise un programme de rénovation du Muséum de 0,15 milliard d'euros, ouvrant ainsi les crédits permettant la rénovation du parc zoologique ? Or aucun euro n'a encore été dépensé. Si l'argent n'a pas d'odeur, il y a des promesses qui sentent la monnaie de singe... Pis encore, tout porte à croire que nous sommes les témoins impuissants de jeux d'écriture complices entre ministères. Les rapports parlementaires, comme ceux de la Cour des comptes, n'ont de cesse de le mettre en évidence. Alors que l'état de notre patrimoine se dégrade, les crédits que lui consacre la loi de finances ne sont pas intégralement consommés. Si l'on ajoute que cette sous-consommation chronique a pu autoriser, par le passé, le "recyclage" de l'argent du patrimoine au bénéfice du spectacle vivant, déshabillant les fourmis pour habiller les cigales, que reste-t-il de sincère dans la politique budgétaire et quel crédit (sans jeu de mots) accorder aux documents soumis à l'approbation de la représentation nationale ? Seulement voilà, l'effet d'annonce prend en politique le pas sur la réalité de l'action publique. Pourtant, parce qu'il est le coeur de l'action politique, le budget ne peut plus souffrir de son manque de sincérité et de sa déconnexion de la réalité. Il doit moins s'agir d'afficher des objectifs séduisants en termes de loi de finances que de s'attacher sans défaillance au budget exécuté. Mission impossible tant que les effets d'annonce opacifieront toute analyse. En 1999, la réhabilitation du zoo était estimée à 83 millions d'euros ; réjouissons-nous s'il est vrai que 60 millions peuvent suffire aujourd'hui ! Hélas, le doute subsiste : le chiffre ancien était-il surdimensionné pour accentuer l'effort consenti, ou est-ce la prévision actuelle qui dissimule une rénovation partielle, en deçà des besoins réels ? Il est urgent de pratiquer une sincérité des inscriptions budgétaires, d'autant qu'elle ne contredit pas, bien au contraire, les efforts d'économies. Il y aurait à cette révolution des moeurs budgétaires une autre vertu, et non des moindres : réintroduire la politique dans les choix patrimoniaux de la nation, à un moment où la sensibilité populaire est particulièrement vive sur le sujet. Plus de rigueur budgétaire rappellerait que l'Etat n'a pas les moyens de tout faire, et qu'il faut savoir faire des choix. Rien de plus politique que cela : faire des choix. En revanche, si l'acte budgétaire apparaît comme une contrefaçon de la réalité, c'est l'acte politique qui s'en trouve décrédibilisé. Il n'est guère alors d'autre issue que de quitter l'espace politique, de faire appel aux médias et de s'exprimer dans le champ plus vaste du débat public. Ce que je fais, pour réclamer que soit prise en compte la volonté populaire : sauver le zoo de Vincennes.