Excellence, c`est le mot qui convient quand on s

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Excellence, c`est le mot qui convient quand on s
Excellence, c'est le mot qui convient quand on s'adresse à un ambassadeur et,
en l'occurence, vous l'êtes et excellemment.
Pour moi cette ambassade, qui était celle d'Otto Abetz et d'Ernst Achenbach,
non pas l'ambassade d'Allemagne en France mais l'ambassade allemande
auprès du Commandant militaire allemand en France occupée, cette
ambassade est redevenue celle d'Allemagne depuis que vous l'y représentez
avec ce sens élevé des responsabilités d'être allemand que j'avais découvert
chez Hans et Sophie Scholl, que j'avais deviné en celle que j'aimais, Beate, que
j'avais apprécié dans les écrits de Karl Jaspers et d'Heinrich Böll et qui m'avait
tant ému quand Willy Brandt s'était agenouillé à Varsovie en 1970 devant le
monument du Ghetto, même geste provocateur et fondateur que deux ans
plus tôt la gifle à Berlin. Willy Brandt, Kurt Kiesinger : "les deux visages de
l'Allemagne" c'était le titre du premier article de Beate dans "Combat" le 14
janvier 1967 et où elle opposait l'ancien résistant à l'ancien nazi.
Beaucoup de fils et filles de déportés Juifs de France sont autour de Beate et de
moi en cette ambassade de l'Allemagne et je peux déclarer en leur nom que,
comme tous les Juifs ou presque, la vengeance n'a jamais guidé leurs actes. Le
crime, chacun des crimes qui constituaient ce génocide, la Shoah, était trop
immense pour exiger la vengeance. Il était même trop immense pour espérer
une indispensable justice qui d'ailleurs est passée, même imparfaitement, sur
la plupart des décideurs et des grand exécutants de la solution finale de la
question juive. Nous, Fils et Filles, y avons joué notre rôle, y compris en ce qui
concerne les principaux complices du gouvernement de Vichy. Mais
qu'attendions-nous de l'Allemagne?
D'abord que l'Allemagne et les Allemands souffrent, comme nous avions
souffert et l'Allemagne a souffert : pas d'Etat allemand pendant plusieurs
années; puis deux états antagonistes avant une réunification qui a pris 40 ans
et des frontières qui se sont rétrécies. Les Allemands ont souffert des
considérables pertes humaines de la guerre, des destructions des principales
villes, des gigantesques déplacement de population, de la division du pays, du
passage de l'hitlérisme au communisme pour des millions d'Allemands qui,
ainsi, de 1933 à 1989 n'ont plus connu ou pas connu la liberté .Mais
progressivement l'Allemagne de l'ouest puis l'Allemagne réunifiée ont affirmé
leur personnalité démocratique, respectueuse de la liberté individuelle,
courageuse dans sa démarche de se confronter à l'Allemagne hitlérienne, fidèle
à la mémoire des victimes, comme le démontrent ne serait-ce qu'à Berlin le
Mémorial de l'Holocauste à côté du Reichstag, le Musée de la Topographie de
la Terreur, celui du Judaïsme, la Maison de Wannsee, la gare de Grunewald;
une Allemagne attachée à sa politique de réparation à l'égard des victimes et à
la solidarité avec l'Etat d'Israël, une Allemagne accueillante aux Juifs qui
viennent y séjourner ou s'y installer et qui reconstituent une importante
population juive allemande qui sera peut-être un jour aussi exceptionnelle que
les Juifs allemand d'avant 1933.
Il y a quelques semaines, ici même, Claude Lanzmann, recevait de vos mains
cette même distinction. Ce jour là vous honoriez un génie qui a su donner un
nom au génocide dont le peuple juif a été la victime et qui a su capter dans un
film l'essentiel de cette indicible tragédie. Et comme nous, et avant nous, dès
l'immédiat après-guerre, Claude Lanzmann avait fait confiance aux Allemands
qu'il avait combattus dans le Résistance et c'est à Tübingen et à Berlin qu'il est
allé apprendre, enseigner et comprendre.
Quand les Fils et Filles des Déportés se rendaient avec nous à de multiples
reprises en Allemagne pour y protester ou pour y réclamer justice, il y avait
toujours en nous la volonté d'obliger les Allemands à accomplir des actes justes
et nécessaires qui amélioreraient la société allemande et nos rapports avec
elle.
Madame l'Ambassadrice, merci d'avoir accepté notre proposition de nous
recevoir à la date du 20 juillet : il y a 71 ans, le 20 juillet 1944 a été la seule
journée presque sympathique de l'occupation puisque c'est le jour où la police
militaire allemande a arrêté à Paris les membres de la SS et de la Gestapo.
Malheureusement cela n'a duré que quelques heures en raison de l'échec
rapide du putsch et le lendemain le SS Brunner s'emparait de centaines
d'enfants juifs qui allaient faire partie du dernier grand convoi de Drancy vers
Auschwitz le 31 juillet .
Nous ne pouvons empêcher notre mémoire de faire d'incessants aller-retour
dans le temps et nous continuerons à vivre au jour le jour et aussi en 1942 , ce
qui nous rend encore beaucoup plus conscients que d'autres de la distance -
inimaginable pour tous en 1945 - qui sépare l'Allemagne d' aujourd'hui de celle
qui venait d'être notre bourreau.