La passion de la Nouvelle-Zélande selon Claude Picher

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La passion de la Nouvelle-Zélande selon Claude Picher
Mars 2002
Contes et comptes du prof Lauzon
La passion de la Nouvelle-Zélande selon Claude Picher
1ère partie
par Léo-Paul Lauzon
Oh! que j'ai une histoire fascinante à vous raconter mes amis qui, toutefois, comme bien des
soaps américains à l'eau de rose, va se terminer de façon dramatique. Le genre d'histoire à
inspirer l'ineffable Réjean Tremblay, journaliste sportif à La Presse mais surtout concepteur de
télé-romans toujours plus insignifiants les uns que les autres.
Ça commence en 1984, en Nouvelle-Zélande, un tout petit pays très loin d'ici de 3.8 millions
d'habitants situé près de l'Australie et dont l'économie repose principalement sur l'élevage et
l'agriculture. Las de l'État-providence et inspiré par le Thatchérisme de la Grande-Bretagne et le
Reaganisme des États-Unis, le gouvernement d'alors a mis en place une série de politiques
économiques afin d'exorciser une fois pour toutes l'enfer social-démocrate. Privatisations, baisses
d'impôts, sous-traitance, État minceur, instauration de la concurrence dans les écoles et les
hôpitaux, réduction draconienne des programmes sociaux, déréglementation du marché du
travail, coupes radicales dans l'éducation et la santé, et j'en passe ont alors été à l'ordre du jour.
Bien évidemment, l'application de ces mesures était censée apporter croissance, prospérité et
richesse pour tous. À ce petit jeu, il n'y aurait que des gagnants, claironnait-on alors. Vous le
savez bien, les mêmes âneries nous sont servies ici depuis plus de vingt ans par le patronat, les
politiciens, les économistes et certains journalistes économiques, dont Claude Picher de La Presse,
qui constitue un impénitent inconditionnel de la pensée magique du néolibéralisme économique.
Mon Dieu que Claude Picher fantasmait, orgasmait et éjaculait sur la Nouvelle-Zélande tellement
qu'au mois de janvier 1994, La Presse l'envoyait en pèlerinage dans ce lieu de culte néolibéral afin
qu'il nous rapporte la bonne nouvelle. Ce qu'il fit en nous livrant, du 8 au 11 janvier 1994, quatre
longs reportages intitulés «Thérapie de choc en Nouvelle-Zélande». À cette époque, Claude,
«Cloclo» pour les intimes dont je suis, du moins je l'espère, voyait en ce pays une incarnation
contemporaine du paradis sur terre. Je dis bien à l'époque, car depuis, son petit paradis s'est
avéré être un gros enfer pour la majorité, comme ce fut le cas récemment en Argentine. Depuis
son divorce avec la Nouvelle-Zélande, précédé d'une douloureuse dépression, notre chérubin a
mis le cap plus au nord et a pris pour épouse l'Irlande néolibérale, qui devra toutefois le
demeurer, sinon Claude va décrisser vers d'autres cieux, pis vite à part de ça. Toujours est-il
qu'en 1994, il a rédigé des articles, des poèmes devrions-nous plutôt dire, plein de sensibilité et
d'émerveillement à faire rougir de honte Richard Desjardins et l'autre Piché, Paul de son prénom.
Claude, as-tu immortalisé ta neuvaine en Nouvelle-Zélande en te filmant ou en te photographiant?
J'aimerais tellement enrichir ma collection de souvenirs de toi. J'ai tellement aimé ces textes que
je les ai fait laminer et encadrer. Ils sont accrochés bien en vue au dessus de mon lit, m'ayant
débarrassé de ma peinture d'Armand Vaillancourt et de ma sculpture de Bétournay que Michel
Chartrand m'avait offert. Que voulez-vous, ces reportages me servent de modèle et d'inspiration
et je me recueille souvent plusieurs heures par jour devant eux, tellement que mon ex m'a quitté
en grande partie pour ça. Elle a commis l'erreur impardonnable de me demander de choisir. Enfin,
passons vite au vif de notre sujet sinon je vais devenir mélancolique encore une fois.
En passant, toutes ces politiques économiques et sociales ont été appliquées là-bas sans aucune
étude sérieuse au nom du pragmatisme, de la modernité, du gros bon sens et de la
mondialisation. Ici même au Canada, avez-vous déjà vu une étude économique quelconque
passer lorsque nos gouvernements ont privatisé (CN, Air Canada, Pétro-Canada, Téléglobe,
Télésat, Les Arsenaux Canadiens, les aéroports, les ports, le système de contrôle aérien, etc.) et
baissé les impôts des nantis et des compagnies? Cherchez pas, il n'y en a pas, cela est tout à fait
superflu car privatisations, déréglementation, sous-traitance et baisses d'impôts riment avec «loi
naturelle du marché» et rigueur économique.
Pour celles et ceux qui sont intéressés, j'ai conservé précieusement les dits reportages de Claude
Picher et à la rigueur, je pourrais m'en défaire en échange des séries complètes de cartes de
hockey des années 1950 à 1960 inclusivement. Avis aux intéressés, premier arrivé, premier servi.
Comme je ne peux reproduire tout ce qu'a constaté empiriquement Claude Picher lors de son
périple en Nouvelle-Zélande et qu'il a colligé dans ses quatre «articles fort éclairants» aux dires
même d'Alain Dubuc, l'ex-rédacteur en chef de La Presse, je devrai malheureusement me limiter à
vous livrer quelques extraits seulement. C'est vraiment dommage, les épîtres de Picher sont
tellement éducatifs et lénifiants, pas «léninents» comme dans Lénine, bande de petits mongols.
On devrait enseigner Picher de la maternelle à l'université. C'est un «must» incontournable. Si
vous êtes gentils avec moi, je vous promets de vous citer, à l'occasion, d'autres perles faisant
partie de cette oeuvre monumentale qui fait partie intégrale du Nouveau Testament Néolibéral. Je
vous le jure sur la tête de ma mère et de mon psy.
Premier verset: Sur les fonctionnaires et la fonction publique. Faut bien savoir que c'est le maître
Picher qui s'adresse aux pèlerins: «Croyez-moi, je n'ai jamais vu une fonction publique aussi
efficace. Le jour où j'ai visité les bureaux du gouvernement, à Wellington, j'ai vu plein de
fonctionnaires au boulot à huit heures du matin! J'ai demandé à une secrétaire s'il y avait quelque
chose de spécial. "Oh, mais c'est maintenant comme ça tous les jours", m'a-t-elle répondu». Ah
non! Commencez pas à «chigner» tout de suite. Faites preuve, je vous en prie, d'un minimum de
retenue. Même si je dois bien admettre avec vous que ça nous touche drette au coeur. Maudit
Picher, il a donc le don de venir nous chercher dans nos retranchements les plus profonds. C'est-y
pas beau ça des fonctionnaires à huit heures du matin au boulot et cet enthousiasme délirant de
la secrétaire. Dieu sait que Claude Picher en a vu d'autres dans sa vie et qu'il n'est pas né de la
dernière neige et de la dernière pluie. Malgré tout, il n'a jamais vu une fonction publique aussi
efficace. J'espère que nos fonctionnaires ont compris le message et que dans leur cas, un peu de
gêne serait de mise. On devrait tous les «shipper» là-bas en réhabilitation et en désintoxication, le
temps qu'il faut pour qu'ils s'amendent. Pour Picher, il y a une forte corrélation entre «efficacité»
et «heure d'arrivée». Claude, à quelle heure se terminait la journée de travail de tes fourmis de
fonctionnaires? Tu nous l'as pas dit et on aimerait le savoir, juste comme ça. C'est à faire rêver
ces abeilles de fonctionnaires comparées à nos cigales d'ici qui chantent mal et seulement quand
ça leur tente en plus de ça. Enfin, des fonctionnaires qui fonctionnent!
Deuxième verset: Sur les nids-de-poule et les mendiants. C'est toujours le «preacher» Picher qui
parle: «Avec tout ce qu'on a entendu dire sur les compressions budgétaires à la population depuis
dix ans, je m'attendais à trouver des routes défoncées, des mendiants... La surprise a été totale.
Les routes? Elles sont milles fois mieux entretenues que les nôtres. J'ai parcouru près de trois
mille kilomètres sur des routes nationales, secondaires, locales, sans jamais trouver un seul nidde-poule (non, non, je n'exagère pas du tout: pas un seul). Les mendiants? Pendant six jours, j'ai
marché en tous sens dans le centre-ville d'Aukland, la première ville du pays; je n'en ai pas vu un
seul, pas plus qu'à Wellington, la capitale». Pas de nid-de-poule, pas de quêteux, c'est
définitivement le «paradise» sur terre. Faites pas vos critiqueux, je n'en peux vraiment plus de
votre attitude négative. D'accord, ils n'ont pas nos hivers, mais, ce n'est pas une raison pour ne
pas s'émerveiller. Vous vous rendez compte bande d'athées, Claude a bien dit aucun nid-depoule, définitivement notre problème national numéro un ici. Ça doit être qu'en Nouvelle-Zélande,
ils ont dû certainement donner l'entretien des routes en sous-traitance. Tant qu'à être pogné avec
nos nids-de-poule, pourquoi ne pas lancer le festival du nid-de-poule pour faire concurrence au
festival de Rio et inaugurer le musée du nid-de-poule pour concurrencer le Louvre et le Quaid'Orsay. Assuré que les Brésiliens et les Français vont crier à la concurrence déloyale et qu'ils vont
nous traîner devant le tribunal de l'Organisation mondiale du commerce. Quant aux mendiants, il
touche là notre principal problème de pollution. Oubliez les émissions de gaz à effet de serre et les
sols contaminés. On pourrait peut-être leur en «shipper» quelques milliers en même temps que
nos fonctionnaires qui malheureusement n'ont jamais fonctionné? On a le droit de rêver à une vie
meilleure, non? Le quiz télévisuel de l'heure là-bas s'intitulait «Cherchez le mendiant». Après trois
mois, ils y ont mis fin, aucun participant n'ayant trouvé un seul mendiant.
Vous voyez bien que la solution à nos problèmes structurels passe par le néolibéralisme à la sauce
néo-zélandaise. Finis les nids-de-poule et les quêteux. Les preuves empiriques rapportées par
Picher sont irréfutablement irréfutables.
Troisième verset: Sur le prix du panier d'épicerie. Savourons toujours les paroles de l'exégète
Picher. «Le panier d'épicerie est moins cher qu'ici même en tenant compte de la TPS... Vous
pouvez obtenir un kilo de kiwis pour 60 cents, un généreux casseau de fraises fraîches pour moins
d'un dollar». Mais, c'est tout simplement merveilleux, il y a là-bas une TPS sur la nourriture de
base! Fallait juste y penser. Quoi, en janvier, les fraises sont moins chères là-bas que nos fraises
hivernales qui poussent ici dans un pied de neige? Il est aussi niaiseux de parler d'un généreux
casseau de fraises que d'un généreux carafon de vin. Dans un casseau, il y a généralement 12
fraises. Dans son «généreux» casseau, c'est quoi, il y a 13 fraises? Bien que j'aie plus confiance
en Claude Picher qu'en moi-même et qu'en ma mère, j'ai de la difficulté à croire que leurs kiwis
sont moins chers que nos kiwis «made in» Québec. Léo, homme de peu de foi, tu devrais
travailler encore plus sur la profondeur de ta foi. Claude, est-ce que leur sirop d'érable, leur
caribou, leurs bleuets et leurs oreilles de christ sont moins chers qu'ici? Léo, encore une question
niaiseuse de ta part. Poser la question c'est y répondre. Comme protocole scientifique, vous ne
pouvez trouver mieux. Les preuves sont faites, rien ne va plus. Je recommande à la justice
québécoise de condamner nos agriculteurs de «pot» à se recycler dans la culture du kiwi. L'offre
augmentera, ce qui fera nécessairement baisser les prix et nous permettra même d'en exporter
en Nouvelle-Zélande. Bravo Léo pour ta brillante idée, encore une autre. À Cuba, le café, le sucre,
les mangues et la papaye sont beaucoup moins chers qu'ici et qu'en Nouvelle-Zélande. Ainsi, tu
dois être d'accord avec moi Claude que le socialisme c'est beaucoup mieux que le capitalisme?
Claude, serait-il possible que tu fasses pression à La Presse pour qu'elle me défraie un court
séjour à Cuba pour que j'aille enquêter sur le prix de leur panier d'épicerie, sur leurs nids-depoule, sur leurs mendiants, sur leurs fonctionnaires, etc.? Claude, j'en fais une promesse
solennelle, à mon retour, je rédigerai un dossier sur Cuba aussi neutre, objectif et scientifique que
le tien. Peut-être pas aussi poétique, faute de talents.