Le principe du théâtre et du cinéma est l`attente d`un mystère (v

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Le principe du théâtre et du cinéma est l`attente d`un mystère (v
Le principe du théâtre et du cinéma est l’attente d’un mystère (v. fiche dans le dossier). Cette attente
engendre une question dans le public. Le mystère est une question sans réponse. Il est donc le
moteur le plus puissant de la création. Cependant, ce principe est dangereux et peut engendrer aussi
bien la médiocrité que la création.
La présence des personnages et les éléments qui portent l’attente du public doivent être dès le début
de la pièce, des destins inéluctables. Ce destin n’est pas écrit par Dieu, mais par la force des
choses. Quoi que les personnages fassent, l’action sera destinée à avoir lieu. Si un personnage ou un
événement peut se passer autrement, la pièce perd sa dimension tragique, pour ne devenir qu’une
histoire privée. Le théâtre, même le plus quotidien est au contraire une dimension publique
universelle.
Lorsque le théâtre perd sa nécessité (qui n’est pas le calcul logique d’une action nécessaire à une
autre), l’attente du public commence à disparaître. C’est alors que le mauvais écrivain invente
des événements qui retiennent artificiellement l’attention du spectateur.
Après les tragédies grecques, cette dimension a cessé d’exister. Hamlet et Roméo et Juliette ne sont
plus des tragédies, parce que Hamlet aurait pu ne pas vouloir venger son père et Roméo aurait pu ne
pas rencontrer Juliette. Leurs actions ne sont pas nécessaires pour leur existence, mais elles sont
nécessaires pour l’agencement de la pièce. L’Abbé D’Aubignac, Racine et Corneille ne font que
développer la nécessité liée à l’agencement de la pièce. Ils élaborent l’intrigue et la vitesse des
changements. Ils préparent l’action hollywoodienne à suspense.
Le premier qui a su faire renaître la tragédie est Beckett. Dans En attendant Godot, les personnages
en scène ne font que vivre leur dimension biologique. Tant qu’ils seront vivants et qu’ils resteront
sur scène, tout ce que se passera, même le fait de manger un navet, ne pourra qu’être une nécessité
inéluctable. Outrage au public de Peter Handke en est un autre exemple. Les acteurs sur scène et le
public dans la salle ne font que vivre leur rapport inéluctable. Tant qu’ile resteront les uns en faces
des autres, leur réalité d’acte théâtral ne pourra pas être modifiée. Un personnage de cette pièce
affirme avec raison : -Cette pièce est une tragédie classique.
La nouvelle tragédie est la représentation des détails fondamentaux de l’existence, tendanciellement
privés du déguisement de leur interprétation[1]. Elle ne peut avoir lieu que si ces détails exposés sur
la scène ne peuvent pas se passer autrement. Naturellement tout le théâtre moderne et contemporain
du quotidien en est exclu, parce qu’il met en scène une réalité qui pourrait (et devrait) être modifiée.
La représentation de toute action qui pourrait se passer autrement ne fait que déguiser ces détails
fondamentaux. Or, déguiser, signifie cacher, cacher signifie s’enfermer dans le privé, donc,
représenter des actions non inéluctables signifie séparer le théâtre de sa dimension publique. Le
théâtre inéluctable est le seul théâtre historique.
Or, la différence entre la tragédie grecque et la tragédie moderne réside dans le déplacement de
point de vue que l’homme a opéré sur sa perception de l’humain. Chez les Grecs, et jusqu’au siècle
dernier, le destin inéluctable d’une personne et de ses actions avait une valeur sociale. Si le destin
d’Œdipe était tragique, c’était à cause de la valeur de l’inceste que la société reconnaissant comme
un fait antihumain. Aujourd’hui l’homme s’est transformé en être indifférencié da la nature. Il ne
« vaut » pas plus que les atomes qui composent l’univers (cf. Hannah Arendt, Condition de
l’homme moderne, dernier chapitre). Dans ces conditions d’existence, un inceste ne peut plus
constituer un élément tragique, car les atomes ont tous un lien de parenté entre eux.
Comme le dit Jean Marie Domenach dans Le retour du tragique, l’âge contemporain est tragique
parce que nous vivons le drame essentiel de l’existence en tant que telle. Nous ne passons plus par
des événements plus ou moins terribles, mais c’est notre avènement sur terre qui constitue une
impossibilité, donc une tragédie. L’écrivain contemporain ne peut donc pas faire fi de sa dimension
biologique. Le destin inéluctable devient celui de sa nature biologique. La tragédie moderne est une
tragédie biologique. Les parties du corps, ses déformations, le dialogue que nos membres
entretiennent avec les arbres et la nature en général, ce dialogue constitue le tragique contemporain.
Dans une pièce, les événements et les actions ne devraient plus surgir comme des éléments externes
à ce destin biologique. Les conventions du théâtre consistant à accepter qu’un nouveau personnage
débarque de nulle part, alors qu’il aurait pu ne pas choisir d’être en scène, ces conventions
acceptées par le public pendant des millénaires, ne sont plus valables.
Les événements et les actions d’une pièce deviennent, par conséquent, des obstacles à la vie même
de cette pièce. Ils plombent sa dimension tragique, donc réelle. L’action vue comme une suite
logique d’événements devient une réalité extérieure à la réalité de la scène.
Le théâtre quotidien et réaliste contemporain n’est rien d’autre que le produit aveuglé de la tragédie.
Le nouveau théâtre vit dans la schizophrénie. Par conséquent, il doit être conscient du risque qui
consiste à vouloir unifier des parties que la nature humaine ne peut unifier. Il doit, en outre,
éliminer le risque qui consiste à chercher une forme pure, car cela institutionnalise le théâtre (et
peut rendre fous ceux qui y croient vraiment). Il faut maintenir l’écart de la différence (ArtaudDerrida) ou du furtif (écart entre la pensé et la parole), en considérant cet écart comme une méthode
et non pas comme une fin.
La tragédie est la mise à distance de l’angoisse fondamentale de l’être. Le XXème siècle était trop
prêt de cette angoisse. Il a eu la force de ramener le théâtre au fait biologique. (Le retour du tragique
comme base de la nature de la tragédie). Arendt comme limite à franchir (l’indifférencié du
processus).
[1]
C'est-à-dire du paradigme dont parle Heidegger à la fin de son essai Pourquoi des poètes.