L`Architecture de l`information : un concept opératoire

Transcription

L`Architecture de l`information : un concept opératoire
Analyse de Joachim SCHÖPFEL
[email protected]
I2D - Information, données & documents
vol. 53, n°1, mars 2016
©ADBS
Architecture de l'information.
Méthodes, outils, enjeux
Bruxelles : De Boeck Supérieur, 2015. – 208 p. –
(Information & stratégie). – ISBN 978-2-80419140-5 : 24,50 €
Sous la dir. de Jean-Michel Salaün et Benoît Habert
L’Architecture de l’information : un
concept opératoire ? Dossier
Numéro de Études de communication, 2014,
n°41
Coord. par Ghislaine Chartron, Stéphane Chaudiron et Madjid
Ihadjadene
ARCHITECTE DE L’INFORMATION, UNE VRAIE PROFESSION ?
Le concept d’architecture de l’information fête ses 40 ans. Généralement, on considère l’architecte et designer Richard S. Wurman
comme « l’inventeur » du terme. Pour lui, il s’agissait avant tout d’initier une science de l’organisation de l’information afin de créer
des outils capables de faire face à la grande masse de l’information (déjà !), et de rendre l’information compréhensible aux utilisateurs. Force est de constater que le projet de Wurman n’a réussi qu’à moitié. Le domaine ne s’est pas réellement établi comme
champ disciplinaire ou professionnel, et le même constat vaut pour le métier d’architecte de l’information qui, comparé à d’autres
profils émergents comme le community manager ou le web designer, est resté relativement marginal.
Il est d’autant plus méritoire qu’une équipe lyonnaise autour de Jean-Michel Salaün et Benoît Haber (tous les deux ENS de Lyon) ait
entrepris la publication d’un premier ouvrage de référence en langue française consacré au concept d’architecture de l’information.
Les neuf chapitres sont issus de plusieurs séminaires et d’un colloque et constituent le support d’un Mooc sur la plateforme FUN1.
Ceci explique le caractère didactique du livre, les illustrations et schémas, le style pédagogique, la structure, l’index, et la présence
d’un mode d’emploi avec plusieurs façons de lire ce livre.
Le premier chapitre, signé Jean-Michel Salaün, Christine Dufour et Audrey Laplante, propose une définition du métier d’architecte de
l’information qui « structure les contenus et leur accès (navigation, recherche) pour qu’ils soient les mieux adaptés possible aux tâches
des utilisateurs effectifs ». Par rapport à d’autres professions spécialisées dans le domaine du Web et des services en ligne, sa mission
serait d’y mettre « un peu d’ordre, [d’avoir] un peu de recul, une vision plus globale, une meilleure prise en compte des objectifs généraux des institutions ainsi que des besoins effectifs et des comportements des utilisateurs […] pour arriver à une conception fine et
réactive des services numériques ». Au cœur de cette approche se trouvent deux concepts : l’expérience de l’utilisateur (user experience, UX) et la détection (findability) de l’information, qui traversent le livre comme un fil rouge.
La suite du livre décline les six compétences d’un architecte de l’information dans la gestion de projets et d’équipes aussi bien que
dans des domaines techniques et aborde plusieurs aspects professionnels, comme la construction d’un site, le développement d’un
projet en architecture de l’information ou encore l’expérience utilisateur. On n’y trouvera pas de chapitres sur l’ergonomie des interfaces, sur les algorithmes d’organisation de l’information ou sur la sécurité des applications. Et, à la fin, une interrogation demeure :
en lisant le plaidoyer « pour une déontologie de la profession », on tombe sur une petite phrase : « Si les architectes de l’information
veulent s’imposer comme une vraie profession, ils doivent se donner les moyens d’en définir les principes de comportement et d’en
bâtir la gouvernance. Sous cette condition, l’architecture de l’information ne sera pas seulement une belle aventure […] ». Alors, après
40 ans, elle ne serait toujours qu’une belle aventure ? Et s’agit-il réellement d’une nouvelle profession informationnelle, à l’instar des
bibliothécaires, archivistes ou journalistes, ou bien d’une approche conceptuelle pour certaines fonctions de ces métiers ? Le doute
n’est pas levé.
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1
Cf. Architecture de l’information MOOC#ARCHINFO de l’ENS Lyon sur https://www.france-universite-numerique-mooc.fr
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On retrouve le même point d’interrogation dans le titre du dossier de la revue Études de Communication (2014, n°41) : s’agit-il d’un
concept opératoire ou « simplement » d’une approche théorique, utile peut-être pour mieux comprendre la création de dispositifs
d’information, mais au fond, pas indispensable, ni pour la pratique de la création, ni pour l’évaluation des outils et sites ?
Ce dossier se lira en complément au livre de l’ADBS, avec des allers-retours entre une réflexion conceptuelle (éditorialisation, sémantique, design d’information) et des études empiriques sur le terrain des archives médicales, des intranets et de la presse quotidienne
en ligne. L’introduction des éditeurs de ce dossier (Ghislaine Chartron, Stéphane Chaudiron et Madjid Ihadjadene) définit
l’architecture de l’information comme relevant « des modes d’organisation spatiale et temporelle de l’information, de la structuration
et de l’interaction des différents contenus et du design informationnel. [Elle] se présente ainsi comme la structure d’organisation sousjacente à un système de contenu ». Le premier chapitre ajoute une « généalogie » du domaine pour mieux comprendre son originalité
et son actualité, mais aussi sa proximité avec d’autres termes et approches. Le même chapitre assume clairement aussi la dimension
professionnelle du concept, à l’instar du livre de l’équipe de Lyon, en mettant en avant l’équation de l’architecture de l’information
(= technologie de l’information + gestion des connaissances + expérience utilisateur). Ici, aussi, le concept de l’user experience (UX)
joue un rôle central, tout comme le terme de « dispositif de l’information ». Face à l’importance cruciale de ces deux concepts, on
finit par se demander si le terme d’architecture de l’information est réellement indispensable, ou s’il ne s’agit pas davantage d’une
sorte de plateforme d’échange autour d’une certaine manière de « faire le Web », centrée sur les pratiques et attentes des internautes (consommateurs, usagers, etc.).
À propos de l’interrogation sur le « concept opératoire », une dernière remarque : fin 2015, Ex Libris a publié un livre blanc sur la
conception des services de découverte d’une bibliothèque2. Au cœur de ce petit livre, l’expérience de l’utilisateur (UX), une conception intuitive et pratique (« action-oriented design »), la personnalisation des outils, la sérendipité ; mais à aucun moment n’est mentionnée l’architecture de l’information. Monsieur Jourdain ferait-il de la prose sans le savoir ? Mais alors, y-a-t-il besoin de ce concept
pour faire du « UX design », pour comprendre l’interaction entre l’utilisateur et l’application et optimiser cette expérience ? La question reste posée. Au lecteur-professionnel de se trouver la réponse.
Ces deux publications lui donneront tous les arguments pour ou contre.■
2
http://www.bibliothequeinitiative.fr/application-des-principes-de-lux-la-conception-des-services-de-decouverte-dune-bibliotheque

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