Les petits-déjeuners débats Alain BAUER

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Les petits-déjeuners débats Alain BAUER
Les petits-déjeuners débats
10 mai 2016, Cercle de l’Union Interalliée
Compte-rendu
Alain BAUER
Professeur de criminologie au Conservatoire des Arts et Métiers, New York et Beijing
« TERRORISME : QUI EST L’ENNEMI ? »
Le mot « terrorisme » ne veut rien dire. Il existe aujourd’hui plus de 300 définitions du mot
mais un problème important se pose à chaque tentative de définition : rien ne ressemble
plus à un terroriste qu’un résistant. Ce qui fait réellement la différence ce ne sont pas les
méthodes ou les exécutants mais l’objectif et les cibles visées. En effet, « quand tout devient
terrorisme, rien ne l’est ». D’après Alain Bauer, on peut définir le terrorisme comme étant
« la tentative d’assassinat de personnes n’ayant aucun lien avec la revendication qui a
justifié leur assassinat » ; tout le reste nécessite une analyse circonstanciée.
La France a “inventé” le terrorisme lors de La Terreur. C’est également en France qu’a eu lieu
le premier attentat à la bombe, le 24 décembre 1800. Il s’agit de la première instance de
professionnalisation de l’assassinat. Il convient par ailleurs de noter qu’en matière de
terrorisme, rien n’est nouveau et que les idées se recyclent : par exemple, l’organisation
russe révolutionnaire du XIXe siècle, Narodnaïa Volia, avait déjà tenté la “méthode
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kamikaze” en essayant d’assassiner la famille royale en remplissant un avion de poudre à
canon afin de le faire s’écraser sur le Palais Impérial.
On peut considérer plusieurs étapes du terrorisme contemporain. En 1989, on assiste à un
moment chaotique avec la dissolution de l’Union Soviétique. On passe d’un terrorisme
binaire, relativement “encadré” par les grandes puissances, à « des terrorismes pluriels,
multiples et incompréhensibles ». Parmi ces terrorismes, on a surtout retenu le golem que
nous avons créé avec les anglais et les américains : Al Qaida ou Front international islamique
pour le jihad contre les juifs et les croisés. Jusqu’en 2012, et donc au cours de la période
durant laquelle la nébuleuse Al Qaida a été la plus active (période qui inclut les attentats de
2001, de Londres, de Madrid), les services de renseignements français ont été efficaces.
Mais depuis 2012, on assiste à l’émergence d’une nouvelle forme de terrorisme qui
complique la tâche des services de renseignement.
On peut aujourd’hui établir une sorte de typologie du terrorisme : le terrorisme d’Etat, le
terrorisme nationaliste, le terrorisme résiduel, le terrorisme hybride (criminels de carrières
qui commettent des actes terroristes du type de Kaled Kelkal en 1995 ou Mohamed Merah
en 2012), le lupenterrorisme (individu sans aucune attache, complètement imprévisible) et
le « terrorisme honteux » que personne ne veut reconnaitre et que personne ne souhaite
réellement revendiquer.
Cette pluralité d’acteurs et de types de terrorisme complique les choses pour les services de
renseignement. Il convient également de noter que nous n’avons pas, en occident, de
culture du contre-terrorisme. Il existe, notamment depuis la Guerre Froide, une très forte
culture du contre-espionnage. Cependant, le contre-terrorisme et le contre-espionnage
fonctionnent sur des modèles diamétralement opposés.
La temporalité est différente : alors que le contre-espionnage est un exercice qui se déroule
sur le temps long, dans lequel on essaye d’infiltrer des individus et de monter des réseaux, le
contre-terrorisme est davantage centré sur du temps court. Par ailleurs, le contreespionnage est l’antre du secret où aucune information n’est partagée, même entre
différents services d’une même institution. Au contraire, le contre-terrorisme nécessite un
partage constant d’information entre services, institutions et Etats. Ce sont des cultures
diamétralement opposée. Cela explique en partie la difficulté aujourd’hui des services de
renseignements à combattre les nouvelles formes de terrorisme.
Il conviendrait de fonder une école du renseignement afin de former des véritables
analystes. On a des écoles d’espions, très efficaces, mais pas d’écoles de l’analyse et de la
compréhension. C’est aujourd’hui l’un des plus grand défis auquel nous sommes confrontés :
pour répondre à une telle pluralité de menaces, nous nous devons d’avoir une immense
pluralité d’analystes.
Avec Daesh, on voit encore que rien n’est nouveau dans le terrorisme. Il s’agit une fois
encore d’un golem dont le contrôle a échappé à ceux qui l’ont créé. Tout s’est d’ailleurs joué
en 1979 sans que personne ne s’en rende compte. Il y a eu 3 évènements majeurs en 1979
qui ont fait basculer l’équilibre des rapports de force dans la région : la prise de la Grande
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Mosquée de La Mecque (en novembre), l’envahissement par l’URSS de l’Afghanistan et le
lâchage du Shah d’Iran par ses alliés américains.
La question se pose aujourd’hui de savoir qui est le grand manipulateur de Daesh ? En tant
que criminologue, l’une des premières questions qu’Alain Bauer est amené à se poser
lorsqu’il étudie l’Etat Islamique est : à qui profite le crime ? Pour lui, le seul véritable
bénéficiaire des agissements de l’Etat Islamique est l’Iran. Mais aujourd’hui l’existence de
terrorismes pluriels, le peu de préparation et de connaissances que nous avons sur la région
et la religion complique fortement l’analyse.
Christine Demesse (CD CONSEILS) a interpellé Alain Bauer sur l’efficacité des services de
renseignement et de contre-terrorisme belge qui ont beaucoup été critiqués.
Pour Alain Bauer, les services belges ne sont « ni mieux, ni pires » que les autres. La
coopération est très compliquée à mettre en place, surtout au niveau international. Il
convient d’établir une culture de l’anti-terrorisme. Aujourd’hui, il n’existe qu’un seul
véritable service de contre-terrorisme. Il a été créé par le préfet de police de New York
(policier de carrière et homme de terrain) au lendemain des attentats du 11 septembre
2001. Il n’y avait en effet pas de services de contre-espionnage de la ville de New-York et
donc pas de culture du contre-espionnage, ce qui a facilité l’établissement et le succès de ce
service anti-terrorisme.
Alain Bauer a également tenu à aborder la question de la ghettoïsation et à rappeler que, a
contrario de ce qu’y est souvent pensé, la ville a civilisé le crime. En effet, c’était dans
l’espace rural qu’il y avait le plus de violence et de crimes. La ville, et le changement du
rapport à la terre qui l’accompagne, n’a donc pas créé de phénomène de violence exacerbée
contrairement à la ghettoïsation dont les pouvoirs publics sont à l’origine.
En réponse à une question de Léonidas Kalogeropoulos (Vice-président d’Ethic et Président
de Médiation & Arguments) sur l’absence de réaction d’un « Islam Républicain » après les
attentats, Alain Bauer a tenu a rappeler que l’Etat n’avait pas su se saisir de la question et
aider à la création d’un Islam Républicain. La question de l’Islam en France a toujours été
« sous-traitée » or l’Etat a un rôle primordial à jouer.
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